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Avril 1915 - La Vie en Lorraine (2/3)

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NOS SUCCÈS entre MEUSE et MOSELLE
Plus de 1, 000 Allemands tués aux Eparges. - Les seuls survivants d'une compagnie sont faits prisonniers au bois de Morville. - Succès dans les bois d'Ailly et de Mortmare.
De VERDUN au BOIS LE PRÊTRE

Paris, 8 avril, 15 heures.
Combats d'artillerie, en Belgique, dans la vallée de l'Aisne et à l'est de Reims.
Les résultats obtenus entre Meuse et Moselle, et signalés hier soir, sont confirmés.
Les pluies de ces jours derniers ont profondément détrempé le sol argileux de la Woêvre, ce qui rend les mouvements d'artillerie difficiles et empêche les projectiles d'éclater.
Nos troupes ont consolidé les progrès faits la veille. Nous avons maintenu tous nos gains, malgré des contre-attaques extraordinairement violentes Aux Eparges, notamment, la dernière contre-attaque des Allemands, menée par un régiment et demi, a été complètement repoussée.
Ils ont subi d'énormes pertes. Leurs cadavres couvrent le terrain. Trois cents hommes, qui avaient un moment pu progresser en avant des lignes allemandes, ont été fauchés par nos mitrailleuses. Aucun d'eux n'a échappé Au bois Brûlé, nous avons enlevé une tranchée ennemie.

Communiqué officiel du 8 avril, 23 heures :
Malgré le mauvais temps persistant, nous avons à enregistrer de nouveaux succès entre Meuse et Moselle, dans la nuit du 7 au 8 avril et dans la journée du 8.
Aux Eparges, une attaque de nuit nous a permis de faire un nouveau bond en avant. Nous avons maintenu notre progrès, malgré trois, violentes contre-attaques.
Nous avons déjà compté sur le terrain plus de, mille cadavres allemands.
Plus au sud, au bois de la Morville, dans une vive action d'infanterie, nous avons détruit une compagnie allemande dont il n'est resté que dix survivants, qui ont été faits prisonniers par nous.
Au bois d'Ailly, nous avons enlevé de nouvelles tranchées et repoussé deux contre-attaques.
Au bois de Mortmare, au nord de Flirey, nous avons pris pied dans les organisations défensives de l'ennemi et nous nous y sommes maintenus, en dépit des efforts qu'il a faits pour les reconquérir.
Au nord-ouest de ce bois, à Pannes, un ballon captif allemand a eu son câble coupé par un nos obus et s'en est allé à la dérive dans nos lignes, vers le sud-est.
En résumé, les reconnaissances offensives et les attaques que nous poursuivons depuis le 4 avril entre la Meuse et la Moselle, nous ont donné, dès maintenant, les résultats, suivants :
1° Sur les fronts nord-est et est de Verdun, nous avons gagné, sur un front de vingt kilomètres de long, de un à trois kilomètres en profondeur. Nous avons occupé les hauteurs qui dominent le cours, de l'Orne et enlevé les villages de Gussainville et de Fremezey ;
2° Sur les Hauts-de-Meuse, aux Eparges nous avons conquis la presque totalité des fortes positions tenues par l'ennemi sur le plateau qui domine Combres, et conservé le terrain gagné, malgré des contre-attaques nombreuses et extrêmement violentes ;
3° Plus au sud, près de Saint-Mihiel nous nous sommes emparés de toute la partie sud-ouest du bois d'Ailly, où les Allemands étaient fortement établis et qu'ils n'ont pas pu reprendre, malgré des contre-attaques répétées ;
4° Dans, la vallée de la Woëvre méridionale, entre le bois de Mortmare et le bois Le Prêtre, nous avons conquis, sur un front de sept à huit kilomètres de long, trois kilomètres en profondeur et enlevé à l'ennemi les villages de Fey-en-Haye et Régnieville.
Sur tous ces points, les Allemands ont subi des pertes, dont le nombre des cadavres trouvés aux Eparges permet d'apprécier l'importance.

DEVANT LE FRONT
LA GUERRE SOUS BOIS

Nous roulons à grande allure de Chalons vers Nancy. L'activité militaire se manifeste sur les routes par la rencontre de nombreux véhicules : tantôt ce sont des trains de voitures régimentaires ou des convois automobiles que nous croisons, tantôt nous longeons dans les bourgs ou en pleine campagne de véritables parcs de moyens de transport. De temps à autre on rencontre des patrouilles de maréchaussée. Mais dans ces régions de la zone des armées, on ne voit pas de troupes en armes, on ne fend pas des flots de soldats, contrairement à l'opinion populaire et à l'image qu'on se fait de la guerre. Les soldats sont à leurs postes. Ils semblent, cachés, même hors des tranchées. Souvent, dans certains villages, on trouve des cantonnements paisibles qui rappellent plutôt les grandes manoeuvres. Des hommes pansent des chevaux ; d'autres, les bras nus, en corps de chemise, les ferrent, devant la porte d'une remise. Dans les villes, toujours des voitures et des voitures. On dirait d'une guerre de livraisons.
Nous avons constaté que partout on a remué de la terre. Des travaux de défense nombreux s'échelonnent et témoignent que les leçons de retranchements ont été vite et bien apprises. Les fils de fer hérissés étendent leurs réseaux inextricables autour de ces terrassements profonds. En chemin, nous avons été reçus par le général X..., qui commande une armée. Installé dans une école, où l'on n'a jamais travaillé avec autant de zèle, le général nous accueille dans une salle tapissée de cartes d'état-major rayées de larges traits. «  Vous allez au bois Le Prêtre, nous dit-il, vous verrez ce qu'est la guerre sous bois, la guerre de sape. Vous vous rendrez compte des difficultés que nous avons à vaincre et de la valeur incomparable de nos soldats. Le général R..., qui vous conduira - c'est lui qui dirige les opérations du bois Le Prêtre - est prévenu. Il vous attend.» La réception a été courte. Nous reprenons la route détrempée, dans les ornières de laquelle les autos font jaillir des gerbes ou plutôt des faux de liquides boueux.
Voici Nancy. Les habitants vont et viennent comme en temps normal ; et c'est une surprise de cette guerre paradoxale que cette ville, qui «  pouvait » être prise dès le début dès, hostilités, qu'il fallait le cas échéant, sacrifier à des nécessités stratégiques, ait gardé sa physionomie, son calme et sa force, tandis que Lille, qui n'est pas sur la frontière allemande, connaît la dure loi de l'occupation. Nancy, de fait, a une tenue admirable. Chacun y reste à son poste, fier du rôle qu'il a à remplir: les «  coeurs inutiles » sont partis.
Il est midi quand nous arrivons dans la noble cité lorraine. Deux heures après, nous repartions pour Pont-à-Mousson et le bois Le Prêtre. Dans la partie de Pont-à-Mousson que nous avons traversée, nous n'avons pas vu les effets du bombardement presque quotidien. Quelques, soldats et de rares civils marchent le long des maisons, évitant le milieu de la rue. A partir de Pont-à-Mousson, les autos qui nous mènent ont la consigne de garder une assez longue distance entre elles, par mesure de prudence. Notre procession automobile s'égrène. A l'endroit fixé, le général R..., accompagné de ses officiers d'ordonnance, nous accueille très aimablement. Nouvellement promu, sur place, le général, un «  sapeur », colonel du génie de la veille, porte un uniforme sans indignes visibles : une longue capote à une rangée de boutons de drap bleu sombre, un képi de même couleur ; deux étoiles en acier bruni sar les manches et le couvre-chef marquent le grade. Elles n'attirent pas le regard. Aussi ai-je entendu un soldat que le général interrogeait répondre : «  oui, mon... ». Le soldat voyait bien qu'il avait affaire à un chef, mais il ne savait pas son grade.
Messieurs, nous dit le général, nous allons de ce pas au bois Le-Prêtre. Nous monterons d'abord sur ce plateau qui domine la position et d'où vous pourrez voir tous les environs. Puis nous irons à la maison du père Hilarion, qui a été le théâtre d'un combat acharné.

Le Bois Le Prêtre
La contrée qui était devant nos yeux offrait, quoique à une échelle réduite, tous les caractères des pays de forêts et de montagnes. De grands mouvements de terrain formaient des alternances de vallées nues et de hauteurs boisées, espaces labourés et masses noires de sapins. A notre gauche, sur un flanc découvert, à mi-coteau, on apercevait des ouvertures carrées de distance en distance, entrée d'une ligne de tranchées ; devant nous une forêt de haute futaie s'infléchissait vers un repli de terrain, - où était tapie la maison du père Hilarion - et sur notre droite la forêt se redressait presque à pic et se terminait par une croupe arrondie couverte d'arbres dont l'extrême pointe touffue faisait «  la corne» du Bois. Le ciel était couvert ; le vent soufflait par rafales ; de gros nuages noirs couraient au-dessus des collines et semblaient s'accrocher et se déchirer aux piques de sapins. Une pluie glaciale et drue nous fouettait le visage. Une boue épaisse, gluante et glissante gênait notre marche. Par un chemin montant, un sentier plutôt, nous nous rendions sur le plateau dont avait parlé le général. Le bruit des détonations ne cessait de résonner, répercuté par les échos. C'étaient des coups sourds ou éclatants, non pas un roulement continu mai» des explosions intermittentes qui donnaient à la solitude et au silence de ce paysage grave je ne sais quoi de tragique. Les officiers, nos guides, nous «  présentaient » ces détonations : «  Celle-ci, c'est une pièce lourde allemande ; celle-là c'est une bombe boche ; ah ! voilà que notre grosse artillerie répond. » Parfois un grondement qui ébranlait l'air nous avertissait qu'une mine venait d'exploser. Soudain, tout près, devant nous, à un détour du sentier et se détachant sur l'horizon sombre, apparurent quatre hommes portant une civière. Nos regards se fixèrent sur deux pieds démesurés, sur deux masses de boue qui dépassaient la couche portative et qui avançaient, Nous nous rangeâmes sur les côtés, ôtant nos chapeaux. Nous vîmes, alors, quand il passa devant nous, un soldat étendu, la tête bandée, le front et les joues avec des traînées de sang frais, le nez pincé et blanc. Le pauvre garçon venait d'être tué un instant auparavant dans les tranchées voisines. La mort frappait dans ces parages.
Sur le plateau, la pluie redoubla de violence. Le général R... nous fit un petit «  topo » d'orientation. Il nous désigna tous les bois des environs, toutes les crêtes et nous montra la direction de nos lignes et celle des Allemands. «  Là-bas, derrière cette colline, c'est Xon, que nous occupons, et plus loin les hauteurs de Norroy, d'où l'ennemi bombarde journellement Pont-à-Mousson. Devant nous s'étend le bois Le-Prêtre. Nous en occupons la plus grande partie, à partir de la corne du bois. Les Allemands l'ont tenue longtemps. Leur première ligne de tranchées se trouvait presque à l'entrée du bois.
Nous la verrons tout à l'heure. Ils y étaient solidement retranchés, ainsi que vous pourrez en juger. Mais nous les avons forcés à les évacuer après une lutte terrible. Poursuivant notre avantage; nous nous sommes avancés dans la même direction à plusieurs centaines de mètres; nous avons d'autre part, tandis que se produisait cette attaque de front, attaqué la colline opposée, prenant l'ennemi de flanc. Il a reculé, après des alternatives d'attaques et de contre-attaques, notamment dans le repli où s'élève la maison du père Hilarion. Il s'est porté à plus d'un kilomètre en arrière de la lisière de la forêt qui, étant donné la nature du terrain, marque pour lui un gros échec. Depuis, nous nous «  moulons » sur les lignes ennemies. Partout nous sommes nez à nez. Nous avons entrepris un réseau de sape, dans lequel l'ingéniosité de nos hommes et leur vaillance font merveille. Ce sont sans cesse des épisodes qui prouvent, que nous avons acquis l'ascendant sur l'adversaire. » J'ai retracé d'une manière générale et vague les paroles précises du général R... pour une raison qui se comprend facilement. Du haut du plateau, la vue embrassait l'ensemble de la vallée et la lisière du bois. On voyait sortir de la forêt des hommes qui suivaient les sentiers et les routes en terrain découvert par petits groupes, à la file indienne ou deux par deux. Et par un mouvement inverse, d'autres hommes montaient de la vallée vers la forêt. Ce tableau évoquait assez l'image des cortèges de fourmis qui se croisent, mais qui partent toutes d'une même fourmilière ou y aboutissent. Ici on devinait sans peine ce qu'était la fourmilière, le trou invisible qui déterminait cette activité. Parmi ces hommes, les uns avaient été relevés de leur poste, les autres étaient de corvée. Ils montaient des seaux à incendie remplis d'eau potable. Ils avaient des costumes étranges. Certains revêtaient une façon d'imperméable qui défie la description exacte. C'était un caoutchouc-sac d'une couleur où se heurtaient toutes les nuances du vert ou du jaune. Ni peau de lézard, ni peau de grenouille, il semblait avoir été trempé dans une décoction de mousse, de feuilles sèches dorées, de frondaisons rouillée s, d'aiguilles de sapin d'un vert cru, de fougères foncées. Par un phénomène de mimétisme curieux, les habitants de ces lieux avaient pris les couleurs variées d'un bois épais, les couleurs de ses quatre saisons. D'autres portaient des espèces de cuirasses de peau de mouton : la toison était tournée à l'extérieur. Les bras restaient libres et dégagés dans les manches de la capote réglementaire. Ces soldats des bois avaient vraiment un pittoresque hardi et une tournure martiale.

La maison du père Hilarion
Nous pénétrons dans le bois. Une odeur lourde de champignons moisis et des senteurs acides de cyclamens vous frappent vivement. Nous suivons une allée bordée de grands arbres qui découpent dans le ciel comme un canal gris lumineux dans la masse de la futaie obscure. Mais le canal déverse tout son contenu sur nos têtes. Nous enfonçons de plus en plus dans la boue. De droite et de gauche, partent des layons jonchés de feuilles qui brillent. Nous voici à la première tranchée allemande conquise par nos troupes. Ce sont au ras du sol des trous profonds qui vus du dehors, ne semblent pas communiquer entre eux. Recouverts de branches et de feuillage, ils ont formés de cavités larges pouvant contenir sept ou huit hommes et séparés par un boyau étroit. Derrière est le poste de commandement de l'officier. Tout autour des arbres sont coupés. A mesure que nous avançons, le concert de l'artillerie paraît s'accentuer. Les coups succèdent aux coups, les explosions aux explosions. Une note nouvelle s'ajoute à cette bruyante orchestration. On croirait s'approcher d'un stand. Le claquement sec des coups de fusil larde les échos de la forêt. Nous arrivons à la maison du père Hilarion. C'est une masure rustique blanche et rose, rendez-vous des Mussipontains pendant les beaux jours. Ils y trouvaient des victuailles et à côté une source fraîche et pure. C'est même pour la possession de cette fontaine qu'on s'est battu avec tant d'acharnement. Une inscription sur une planche de sapin nous avertit qu'il est défendu de laver son linge à cette fontaine. A gauche de la maison du père Hilarion, une allée que coupe la première, celle que nous avons déjà suivie, nous montre à deux cents mètres une barrière, et, plus loin, une clarté diffuse très pâle indique, ou une clairière ou la lisière du bois. C'est à cet endroit clair que se trouve la ligne allemande. De quatre à cinq cents mètres nous en séparent. Les Allemands retranchés sur la droite n'ont pas la vue de l'allée. Deux balles sifflent dans les arbres. «  C'est des Boches! » nous dit l'officier. Nous sommes près du front et cependant nous ne voyons pas un soldat à son poste. Tout le travail se fait sous terre. Seuls les canons nous signalent que les positions sont bombardées.
Nous revenons par le même chemin, sous la même pluie glaciale, dans la même boue gluante et glissante. Nous croisons des soldats, qui montent ou descendent, en petits groupes séparés. Les uns ont des fusils les autres des pelles. Qui dira jamais l'admiration que méritent ces héros ? Quelle endurance il leur faut pour lutter contre ces éléments qui s'appellent la pluie, la boue, le froid ! Quelle énergie pour vivre sous terre, dans ce bois, et pour mener une attaque incessante ! Dans cette guerre de mines, l'engagement ne connaît ni trêve, ni repos. L'action continue de jour et de nuit. Et voilà des mois que cela dure. Mais quand on a vu le terrain, on s'explique pourquoi un gain de quelques mètres représente un fait d'armes important. Soldats et chefs sont pleins d'entrain, malgré leurs très dures épreuves. Ils ont de la belle humeur et une confiance souriante. Je remarquai des soldats qui se pressaient autour de quelques-uns d'entre nous qui leur distribuaient du tabac et des cigares. Ils avaient l'air d'écoliers en vacances. A leur figure, on voit qu'ils ne souffrent pas de la faim. Le service de l'alimentation n'est certainement pas en défaut sur cette partie du front. Le général R... nous a invités à prendre le thé à son poste de commandement. C'est une ferme fort simple : une entrée étroite en forme de couloir que les hommes balayent tant telle est envahie par l'eau; une assez vaste pièce basse, éclairée modérément par une lampe à pétrole, une cheminée monumentale en pierre à tablier et à colonnes dans laquelle flambe un fagot imposant. Sur la table, une table dressée, une nappe blanche, au milieu une couronne de fleurs des bois, et tout autour des bouteilles, des gâteaux, une brioche, de grande pointure. De jeunes officiers font les maîtresses de maison. La salle donne directement sur l'écurie ; une autre porte ouverte nous montre une pièce avec des tables rondes chargées de cartes, de papiers et d'écritures ; un téléphone brille sur un bureau. La fenêtre; de la salle n'a plus qu'un ou deux carreaux de verre, des carrés de papier blanc bouchent le reste de la fenêtre. «  Hier, nous dit le général, un obus est tombé devant la fenêtre, à quelques mètres et a brisé, les vitres. » Le son du canon nous rappelle que nous sommes près des premières lignes. Tout à l'heure d'ailleurs, à une croisée de chemins, tandis que les autos étaient arrêtées, un obus a éclaté à une vingtaine de mètres de la route, à côté d'un abri dans lequel un soldat a eu juste le temps de se glisser. Et plus tard, au retour, après avoir pris congé du général, au moment où les chauffeurs allumaient les phares, une détonation effroyable nous avertissait qu'il n'était pas l'heure de musarder en chemin.

Un autre aspect de forêt
Le décor change. Nous visitons un autre théâtre de la guerre sous bois. Mais actuellement ce théâtre fait relâche. Nous sommes dans une forêt aux environs de Nancy, qu'il est inutile que je nomme. A la pluie de la veille ont succédé un soleil éclatant et un froid qui mord. Le sol est détrempé et cède sous les roues des autos qui s'enfoncent. Des artilleurs doivent désembourber une de nos voitures. Partout le silence. Aucun coup de canon pas le moindre coup de fusil. Avant d'entrer dans la forêt, nous avons longé de nombreuses tombes, petits tertres rectangulaires de terre surmontés d'une croix portant un petit drapeau ou un képi. A un des croisements de chemins qui s'appellent d'ordinaire la «  Croix du Grand-Veneur » ou la «  Croix des Gardes », nous mettons pied à terre. Nous entrons sous bois. Nous voici dans un village d'une époque primitive. Ce ne sont que des huttes, faites de branches d'arbres. Je pénètre dans l'une d'elles d'où s'échappe une fumée abondante. J'y trouve un «  poilu » devant un fourneau improvisé sur lequel bout une grande marmite appétissante.
C'est un rata de pommes de terre. Les hommes qui habitent ce village portent tous la capote grise. Ils sont propres et ne ressemblent guère dans leur uniforme clair aux «  mineurs » du bois Le-Prêtre.
Nous avons visité la hutte du capitaine, qui loge avec son lieutenant : il faut descendre une ou deux marches ; la pièce n'est pas vaste ; une table sur laquelle on voit une cuvette en caoutchouc, un blaireau, une lampe, quelques livres ; un poêle et au fond une espèce de lit de camp, plan, incliné où on remarque un sommier à gauche et un matelas à droite. Le premier est pour le capitaine, le second pour le lieutenant. Nous visitons aussi une hutte-abri pour les soldats : longue galerie divisée en deux parties ; la première contient les sacs, les fusils, c'est le refuge de jour ; l'autre couverte de paille, est le couloir profond et sombre d'une section. La tranchée où on nous conduit a été faite d'après le dernier cri de règles de l'art : le toit en est formé de branches solides, l'intérieur est clayonné soigneusement, des sacs de terre extérieurs encadrent les meurtrières. Une pompe d'épuisement assure l'assèchement de la tranchée. Il nous a été donné de voir un des gros canons de marine servi par des canonniers de la flotte. L'engin formidable est caché dans une coupole sur béton et recouvert d'une carapace épaisse de terre. La première ligne de tranchées est à peu de distance de la forêt. De la lisière de celle-ci on aperçoit, en terrain découvert, des villages de la Lorraine annexée, dont les clochers se dressent dans le ciel bleu. Dans ce coin qui appartient au «  Grand-Couronné » de Nancy, il n'y a pas, en c moment, d'activité offensive ou défensive.
On y attend. Mais on y attend avec calme parce qu'on sait qu'on est prêt. Les troupes qui occupent ces postes avancés ne se sont pas croisé les bras. Les travaux très importants qui ont été exécutés permettent d'envisager l'avenir avec confiance. Tous ceux, qui entrent dans cette forêt y trouvent l'espérance.
(«  Le Temps »). JOSEPH GALTIER.

LES BOMBARDEMENTS DE PONT-A-MOUSSON

ont-à-Mousson, 9 avril.
Au cours des derniers bombardements, notamment de celui de mardi, la place du Paradis et l'avenue de Metz ont encore une fois de plus souffert. Les maisons Houpert et Renard sont inhabitables ; les projectiles crevant le toit, ont tout bouleversé à l'intérieur des maisons et les locataires ont dû évacuer leurs appartements. Deux blessés, légèrement toutefois, M. Claisse et Mme Gauthier, qui habitent place du Paradis.

Toute, la position des Eparges
EST A NOUS
Quinze attaques allemandes au bois de Mortmare ont abouti à quinze échecs et à des monceaux de morts allemands.

Paris, 9 avril, 15 heures.
Les troupes britanniques ont repoussé, dans la nuit du 7 au 8, une attaque allemande entre Kenimel et Wulverghem.
Entre Meuse et Moselle, de nouveaux progrès ont été réalisés. Aux Eparges nous avons encore gagné du terrain, retourné, face à l'ennemi, les tranchées allemandes qui étaient encombrées de cadavres, et repoussé, à la fin de la journée, deux contre-attaques.
Au bois d'Ailly, où nous avons pris six mitrailleuses et deux lance-bombes, l'ennemi n'a plus contre-attaqué depuis hier midi.
Au bois de Mortmare, tous nos progrès ont été maintenus, malgré une très violente contre-attaque qui s'est produite hier, à 19 heures.

Paris, 10 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 9 avril, 23 heures :
Après une nouvelle et brillante attaque, l'importante position des Eparges, qui domine la plaine de la Woëvre, et que l'ennemi défendait obstinément, est tout entière en notre pouvoir.
Nous avions enlevé, hier, plus de 1.500 mètres de tranchées et, ce matin, les Allemands ne conservaient plus, sur le plateau, que deux îlots de quelques mètres encore fortement tenus.
Nous nous en sommes emparés cet après-midi, en faisant 150 prisonniers ces derniers jours.
Plus au sud, au bois d'Ailly, nous avons maintenu tout notre gain de deux cents mètres de profondeur sur quatre cents mètres de front, et repoussé trois contre-attaques.
Au bois de Mortmare, les Allemands ont prononcé quinze attaques pour reprendre les tranchées que nous leur avions enlevées hier. Ils ont été quinze fois repoussés. Il y a sur le terrain des monceaux de cadavres allemands.

Sur l'Yser, en Champagne et en Alsace

Sur le reste du front, les actions à signaler sont les suivantes :
En Belgique, près de Driedgrachten, une attaque allemande, a occupé un élément de tranchée sur la rive gauche de l'Yser, tandis qu'une attaque belge, débouchant non loin de là, sur la rive droite, y installait une tête de pont.
En Champagne, une action d'infanterie, toute locale, mais très vive, s'est déroulée au nord de Beauséjour. Les Allemands ont essayé de reconquérir une partie des tranchées perdues par eux le mois dernier, mais leur attaque a été fauchée, sauf sur un point, où ils ont réussi, hier soir, à s'installer dans un élément avancé.
Aujourd'hui, nous les avons contre-attaqués. Nous avons repris cet élément et ramené l'ennemi à son point de départ en lui infligeant des pertes sensibles.
Sur les pentes sud-est de Hartmansviler, le nombre de prisonniers faits par nous dans la dernière journée est de 150.

Nouvelles du Pays meusien

Pareid. - Un élève de l'école Saint-Louis, récemment rapatrié, adresse de Grignon (Savoie), la lettre suivante :
«  Le 27 août, nous vîmes des dragons allemands qui vinrent en éclaireurs et coupèrent les fils télégraphiques. Durant huit jours, on les vit aussi mais ils ne firent aucun mal à Pareid, mon pays natal. A Maizeray, qui se trouve à 2 kilomètres environ, le téléphoniste qui avait mal compris les ordres de la receveuse des postes de Fresne fut tué dans la plaine en tentant de rejoindre ce village avec ses appareils.
Le 4 ou le 5 septembre, au soir, arriva le gros de l'armée. Ce fut alors que commencèrent pour nous les douleurs de l'invasion. Le lendemain, les Boches réquisitionnèrent hommes, chevaux et voitures, et enlevèrent toutes les poutres, planches, volets et même les portes qu'ils purent trouver. Les maisons inhabitées furent soumises à un pillage méthodique et en règle. Il n'y resta que les quatre murs.
Ils commencèrent leurs tranchées couvertes dans la plaine et, afin de faciliter leur besogne, ils faisaient couper les avoines par des hommes qu'ils conservaient ensuite comme otages. Ils arrêtèrent le curé, le maire et plusieurs conseillers municipaux, les enfermèrent dans une maison et ne les relâchèrent qu'au bout de quelques jours.
Du matin au soir, des bandes de pillards entraient dans toutes les maisons et y volaient tout ce qu'ils voulaient. On n'avait rien à dire et ils nous menaçaient lorsque nous n'étions pas contents. De plus, nous avions continuellement des troupes à loger. Ils nous réquisitionnaient tout. Le village était sous une véritable terreur ; il fallait se cacher pour manger, cuire le pain, etc... Il fallait tout dissimuler, ou bien ils nous volaient tout. Lorsqu'ils découvraient des provisions quelconques ou tombaient sur des caves bien garnies, c'était une maison mise à sac.
On vivait aussi sous la perpétuelle menace de se voir tous fusillés et de voir en même temps le village brûlé. Ils nous accusaient d'espionnage ou de faire les francs-tireurs.
Cependant, ils ne fusillèrent personne à Pareid. Il y eut des morts causées par une épidémie de faux choléra, dont les Boches avaient une frousse terrible. Leurs majors soignaient les malades.
Le village n'avait aucunement souffert avant mon arrestation.
Le 30 septembre, on arrêta tous les hommes et on les enferma dans l'église. On prit les noms et les âges. Nous y passâmes la nuit et, à 2 heures du matin, un sous-officier, qui parlait français, vint avec une liste et nous appela à vingt. Nous partîmes pour Metz.
On nous incarcéra. Nous allâmes ensuite à Darmstadt. Les autres hommes, à partir de 48 ans, restèrent enfermés à l'église, puis à la mairie. Ils durent arracher les pommes de terre pour les Boches. Ensuite, on évacua le village trois semaines après notre arrestation. »

UN TAUBE SUR NANCY

Nancy, 11 avril.
Samedi, vers cinq heures du soir, plusieurs détonations ont averti les habitants de Nancy que nos braves artilleurs postés sur les collines tiraient sur un «  taube » qui essayait de venir survoler la ville.
L'avion ennemi, s'apercevant qu'il était découvert, s'empressait de faire demi-tour et de regagner les lignes allemandes.

LEURS PERTES AUX ÉPARGES
Durant les deux derniers mois les pertes allemandes auraient atteint là 30.000 hommes. - Nous avions en face de nous leurs meilleures troupes.

Paris, 10 avril, 15 heures.
Rien à ajouter au communiqué d'hier soir.
Des rapports complémentaires arrivés dans la nuit relatent que les deux attaques qui nous ont rendus maîtres, hier, des dernières positions allemandes aux Eparges, ont donné lieu à des combats acharnés à la baïonnette.

Paris, 11 avril, 0 h. 58.
Communiqué officiel du 10 avril, 23 heures :
Entre Meuse et Moselle, nous avons conservé tout le terrain gagné et fait de nouveaux progrès.
Entre l'Orne et la Meuse, il n'y a eu aucun engagement.
Aux Eparges, l'ennemi n'a réagi ni par son infanterie ni par son artillerie. La journée a été calme. La totalité de la position est en notre pouvoir.
Les déclarations des prisonniers soulignent l'importance de notre succès.
Les Allemands, depuis la fin de février, avaient engagé, sur cette partie du front, toute la 33e division de réserve, puis vers la fin de mars, quand cette division fut épuisée, ils y envoyaient la 10e division active du 5e corps d'année, constituée avec les meilleures troupes de leur armée. C'est cette division qui vient de perdre une véritable forteresse, édifiée sur l'éperon des Eparges.
Ces troupes avaient reçu, à diverses reprises, l'ordre de tenir coûte que coûte. Il leur avait été spécifié que la position était de la plus haute importance et leur général avait dit que pour la conserver il sacrifierait «  la division, le corps d'armée, cent mille hommes s'il le fallait ».
Les pertes subies aux Eparges par les Allemands, dans les deux derniers mois, atteignent trente mille hommes.
Dans le bois de Mortmare, nous avons enlevé une nouvelle ligne de tranchées et repoussé une contre-attaque.
Au nord de Regniéville, nous avons consolidé et élargi légèrement notre position.
En Lorraine, une demi-compagnie qui, dans la nuit du 9 au 10 avril, avait poussé jusqu'au village de Bezange-la-Grande, situé entre nos lignes et les lignes allemandes, a été enveloppée par des forces supérieures et faite prisonnière.

A HOUDELAINCOURT

Nous recevons de M. Mage, notaire a Houdelaincourt, la lettre suivante :
«  Dans l'intérêt de la vérité, afin de rendre à un bon Français la justice qui lui est due, je vous serai obligé de rectifier l'article que vous avez fait paraître dans votre journal, relatant l'incendie à la ferme de Toulon.
Votre correspondant vous fait dire que cette ferme «  était affermée à un sieur Schmitt, sujet allemand, qui, au début des hostilités, s'est empressé de repasser la frontière ».
La vérité est toute autre.
Schmitt est Français, et bien Français. Il a fait son service militaire en France, et, actuellement, il est soldat et combat avec les nôtres contre l'Allemagne, qu'il exècre, cela, je puis vous l'assurer.
Son frère unique, qui a également fait son service en France, combat aussi avec nous contre les Allemands (le bruit a même couru qu'il était tué).
Quant aux père et mère Schmitt, qui sont encore existants et habitent Horville, canton de Gondrecourt (Meuse), ce sont de ces Alsaciens réintégrés dans leur qualité de Français, qui détestent nos ennemis, plus qu'aucun de nous.
Ce pauvre Schmitt n'est peut-être pas même assuré contre l'incendie, ou l'est insuffisamment. Ce sera assez pénible pour lui de faire cette perte et de risquer sa vie tous les jours pour la France, que de se voir encore traiter d'Allemand.
Je connais particulièrement Schmitt et sa famille. C'est moi qui lui ai loué la ferme. C'est pourquoi j'estime que je dois le défendre de cette accusation, en son absence.
Le chiffre des pertes indiquées est bien inférieur à la réalité, mais cela n'a pas d'importance. »

ENTRE MEUSE & MOSELLE
Progrès au Bois Le Prêtre et dans celui de Mortmare

Pas, 11 avril, 15 h 05.
En Belgique, sur l'Aisne et en Champagne, actions d'artillerie.
Les progrès entre Meuse et Moselle, signalés dans le communiqué de Ce matin, sont confirmés.
Au bois de Mortmare, le front conquis a été étendu vers l'Est par l'enlèvement de nouvelles tranchées. Plusieurs contre-attaques ont été repoussées.
Au Bois-le-Prêtre, une avance a été réalisée à la lisière Ouest du te Quart en réserve ». Une mitrailleuse allemande a été prise.
La neige, la pluie et le vent ont fait rage presque toute la journée.

ÉCHECS ALLEMANDS
près d'Albert et dans l'Argonne

Paris, 12 avril, 3 heures.
Voici le communiqué officiel du 11 avril, 23 heures:
Au Nord d'Albert, les Allemands ont prononcé, dans la nuit du 10 au 11 avril, une attaque sur les deux rives de l'Ancre, au centre de nos tranchées de Hamel et du bois de Thiepval. Ils ont été repoussés après un combat corps à corps.
Dans l'Argonne, une lutte très vive s'est déroulée pendant toute la nuit. Nous avons démoli un blockhaus ennemi, pris trois cents mètres de tranchées et maintenu notre gain, malgré deux contre-attaques allemandes.
Entre Meuse et Moselle, aucune action d'infanterie n'est signalée dans la région des Eparges et de Combres depuis notre succès du 9 avril.
Au bois d'Ailly, une attaque lancée dans la soirée du 10 avril, nous a rendus maîtres d'une nouvelle ligne de tranchées.
Au bois de Mortmare, les Allemands ont réussi, dans la nuit, à reconquérir les tranchées qu'ils avaient perdues au cours de la journée, mais les positions que nous avions conquises le 8 avril demeurent tout entières en notre possession.
Dans le bois Le-Prêtre, à la lisière Ouest du «  Quart en réserve », deux violentes contre-attaques ennemies ont échoué sous notre feu d'artillerie.
Nos avions ont lancé des obus de 155 sur la gare maritime et sur la fonderie de Bruges.

UN ZEPPELIN m NANCY
Six bombes pour un incendie
Pas de victimes

Nancy, 12 avril.
Dans la nuit de dimanche à lundi, par un ciel magnifiquement constellé d'étoiles, Nancy a eu sa seconde, visite de zeppelin. Il y avait bien eu, on le sait, depuis le 26 décembre, un certain nombre d'autres tentatives, mais les mastodontes aériens avaient toujours jugé prudent de ne pas dépasser les points d'où l'on peut efficacement les canonner. Il était un peu plus d'une heure, lorsque deux fortes détonations, pour ainsi dire accouplées, et bientôt suivies d'une troisième, réveillèrent, divers quartiers de Nancy en sursaut.
On pourrait croire que, se conformant à de sages recommandations, chacun s'était hâté de descendre à la cave, ou de gagner du moins les étages inférieurs.
Il n'en fut rien, pour la plupart des Nancéiens, qui s'empressèrent, au contraires de se mettre à leurs fenêtres., afin de jouir du spectacle.
On ne pouvait cependant avoir aucun doute sur la nature de cette alerte nocturne. On entendait très distinctement le bruit des moteurs, que l'on peut comparer celui d'une batteuse ou encore d'une locomotive haletant sur quelque plaque tournante mal ajustée.
Nos réflecteurs inondaient le ciel d'immenses rubans de clarté, tandis que les canons, tiraient de tous côtés sur le bandit des airs.
Ce dernier jugea prudent de ne pas insister davantage, et, sans prendre le temps de nous lancer de nouveaux engins, il filait à toute vitesse vers la frontière.
Un quart d'heure s'était à peine écoulé depuis son apparition, que le bruit de ses moteurs s'évanouissait dans le lointain.

Le zeppelin, pendant son cours passage au-dessus de Nancy, avait donc envoyé six bombes. Hâtons-nous de dire qu'elles n'ont fait heureusement aucune victime. Mais elles ont provoqué un incendie, deux commencements d'incendie et les dégâts matériels sont, assez importants.

Rue Victor
L'incendie s'est déclaré rue Victor, 16, dans les dépôts de M. Maurice, négociant en couleurs et vernis, rue des Carmes. Là, dans un vaste enclos, se trouvent trois constructions parallèles et perpendiculaires à la rue. Elles renferment des matières destinées à la préparation des couleurs : des alcools et des essences de pétrole et de térébenthine, le tout, on le comprend, essentiellement inflammable.
C'est dans le bâtiment du milieu, construit en planches, que la bombe incendiaire est tombée. En peu d'instants, le feu s'est développé. Le camionneur de M. Maurice, qui s'était, réveillé au bruit de la détonation, s'est levé aussitôt - il était alors 1 h. 25. Voyant que l'incendie prenait des proportions, il s'est empressé d'appeler les voisins, d'organiser les premiers secours et de faire avertir les sapeurs-pompiers.
Ceux-ci, prévenus quelques minutes auparavant qu'un commencement d'incendie s'était déclaré rue de la Prairie, 13, dans les chantiers de MM. Bernanose et Lhommée, entrepreneurs, s'étaient déjà rendu à cette adresse, mais là, à leur arrivée, tout était éteint.
Le lieutenant Collignon, qui commande les sapeurs, aperçut alors la vive lueur d'incendie des entrepôts de M. Maurice. Il se dirigea immédiatement de ce côté.
A son arrivée sur les lieux, il organisa les secours avec l'effectif de la compagnie accouru avec le matériel au complet.
Le feu fut rapidement combattu. Après une heure de travail, nos braves sapeurs étaient maîtres du sinistre, malgré la violence des flammes qui avaient trouvé un aliment facile dans les matières enfermées dans le bâtiment ; les autres constructions où se trouvaient des matières aussi dangereuses avaient pu être préservés. Il y avait notamment un petit bâtiment, distant seulement de quelques mètres, et où étaient emmagasinées plusieurs pipes d'alcool et des fûts de benzine.
A deux heures et demie, les sapeurs rentraient à là caserne, laissant sur les lieux un piquet pour continuer à arroser les décombres.
Les dégâts sont assez importants. Ils peuvent être évalués à cent mille francs environ.

A une trentaine de mètres des magasins de M. Maurice, à l'angle de la rue du Progrès, une bombe est tombée sur la chaussée, où elle a fait un trou énorme d'une profondeur d'environ un mètre sur trois mètres de diamètre.
L'explosion fut particulièrement violente. Un mur en briques, élevé en façade de la rue du Progrès, s'effondra, sur une longueur de trois mètres, renversé, laissant apercevoir l'intérieur des magasins de M. Henri Essig, fabricant de meules à émeri.
La partie de la construction sur la rue Victor a été disloquée, mais n'est pas tombée.
Fait qui mérite d'être constaté : en explosant, la bombe n'a envoyé que très peu d'éclats, car les maisons voisines ne portent presque pas de traces.
Une autre bombe explosive est tombée dans le pré situé entre le boulevard d'Austrasie et la rue des Chaligny, devant l'abattoir. Elle a creusé simplement un énorme trou en terre.
Sur le quai du canal, devant les chantiers de M. Kronberg, négociant en houilles, une bombe, en explosant, a fait aussi au trou dans le sol, soulevant les pavés, brisant les rails d'une petite voie ferrée qui sert au déchargement des bateaux.
Un morceau de la bombe a été lancé avec une telle force qu'il est allé retomber de l'autre côté du canal, où il a été retrouvé.
Rue de la Prairie, n° 13, une bombe incendiaire est venue tomber sur un petit appentis peu élevé, construit en planches, en bordure de la rue. Elle a traversé la toiture peur venir s'abattre sur le sol.
Au brait de la détonation, M. Bernanier, chef de chantier de la maison Bernanose, qui habite la maison voisine, s'est levé et avec le plus grand sang-froid, a ouvert la porte de la maisonnette atteinte. Apercevant sur le sol une bombe en train de brûler en projetant une grande lueur, il l'a saisie par l'anse, au risque de se brûler et s'en est allé la placer sous une fontaine du voisinage.
L'engin, une fois bien détrempé, a pu être rapporté dans le chantier de M. Bernanose. Ajoutons qu'à l'aide de quelques seaux d'eau, on avait pu éteindre le léger commencement d'incendie, avant même l'arrivée des sapeurs-pompiers.

La dernière bombe est venue s'abattre près de la panne faîtière du toit de l'école maternelle du quai de la Bataille. Après avoir brisé quelques tuiles, elle est allée heurter le plancher du grenier, où le choc a provoqué l'explosion, qui la fit rouler près du mur.
En achevant de brûler, elle a communiqué le feu au plancher et au plafond de l'unique étage, qu'elle a traversés pour s'abattre sur le plancher d'une chambre à coucher, où fort heureusement, il n'y avait personne.
Le plancher a brulé très lentement et c'est vers quatre heures seulement que Mme Schwab la directrice de l'école, qui couche dans une autre pièce, aperçut la lueur et qu'elle donna l'alarme.
Les pompiers accoururent. Ils purent rapidement conjurer tout danger. Les dégâts causés à cet immeuble sont peu importants.
Mme Schwab, qui est déjà d'un certain âge, habite seule à la maison maternelle. Un peu après une heure, elle avait entendu la détonation produite par la bombe, et avait cru que celle-ci était tombée dans la cour ; justement, effrayée, elle n'avait pas osé sortir de son lit. Ce n'est que lorsque l'incendie se déclara qu'elle prit la résolution de se lever.
Mme Schwab a déjà été éprouvée par la guerre, car un de ses fils, capitaine d'infanterie, a été tué au début de la campagne, et ses autres enfants sont encore sur le front.
Aussi, lorsqu'elle nous eut raconté les incidents de cette nuit terrible, elle ajouta: «  Lorsque mes enfants vont savoir cela, ils auront encore plus de courage pour combattre et exterminer ces Allemands. »
Puis, toute tremblante encore, Mme Schwab rentre dans son logement, en maudissant les Barbares qui commettent de tels méfaits, sans nécessité militaire.

L'engin tombé sur le quai du canal devait être particulièrement puissant, car un pavé en granit, arraché du sol, fut en partie brisé et projeté jusqu'à la rue Lasalle, où il tomba sur la toiture de la maison portant le numéro 26.
Il traversa la toiture et vint s'abattra sur le sol de la cage de l'escalier, sans causer d'autre dégât, ni d'accident de personne. Ce morceau de pierre pèse deux kilogrammes cinq cents grammes.

Beaucoup de Nancéiens étaient sortis dans la rue au bruit des détonations. Ils ont pu constater que le dirigeable ennemi avait été parfaitement repéré par nos projecteurs, et c'est sans doute pour cela qu'il s'éloigna sans avoir épuisé l'habituelle provision de bombes.
Lundi matin, Nancy avait sa physionomie laborieuse et calme de tous les jours.

Nous avons organisé nos gains
ENTRE MEUSE et MOSELLE
UNE BONNE PRISE

Paris, 12 avril, 15 heures.
Il n'a pas été signalé d'action d'infanterie pendant la journée du 11 avril.
En Belgique, sur l'Ancre, entre l'Oise et l'Aisne et en Champagne, canonnades de part et d'autre.
Entre Meuse et Moselle, nous nous sommes organisés sur les positions conquises par nous au cours des combats précédents. L'ennemi n'a pas contre-attaqué.
Nous avons, le 10 avril, au bois d'Ailly et au bois Le-Prêtre, pris cinq mitrailleuses et un lance-bombes.

Des Eparges au Bois Le Prêtre
ILS NOUS
contre-attaquent mais vainement

Paris, 13 avril, 0 h. 02.
Voici le communiqué du 12 avril, 23 heures :
Aux Eparges, pendant la nuit du 11 au 12 avril, après une canonnade et une fusillade assez vives, les Allemands ont contre-attaqué à 4 h 30 et ont été repoussés.
Au bois d'Ailly, dans la région de Flirey, actions d'artillerie violentes, mais sans engagement d'infanterie.
A u bois Le-Prêtre, le 11 avrils vers vingt heures, une tentative d'attaque de l'ennemi, dans la partie du «  Quart de réserve », a été facilement enrayée.
Au cours de la journée du 12 avril, nous avons chassé les Allemands d'un élément de tranchée d'une ligne précédemment conquise et dans lequel ils avaient réussi à se maintenir.
Dans la nuit du 11 au 12 avril, vers 1 h. 30, un dirigeable allemand a jeté sur Nancy sept bombes, dont une est tombée près de l'hôpital civil et une autre près d'une école. Deux commencements d'incendie ont été rapidement éteints.

LE ZEPPELIN ET LES TAUBES

Nancy, 13 avril.
Dans la matinée de lundi, plusieurs habitants de notre ville ont signalé qu'en plus des six bombes dont on avait retrouvé les traces à la première heure, d'autres engins avaient été lancés par le zeppelin, pendant son court passage au-dessus de Nancy.
Dans la rue du Maréchal-Oudinot, à l'angle du boulevard d'Alsace Lorraine, une bombe est tombée dans un jardin au pied d'un arbre en faisant un simple trou en terre.
A peu de distance de là, dans la propriété de Saurupt, appartenant à M. de Villars, un autre projectile n'a également fait aucun mal.
Rue du Montet, n° 13, un engin a traversé la toiture d'un atelier de la manufacture de chaussures de M. Laurent. Il est allé s'abattre sur une table, provoquant un commencement d'incendie, qui a été rapidement éteint par M. Laurent à l'aide de quelques seaux d'eau. La table et quelques paires de chaussures ont été détruites ; plusieurs carreaux ont été brisés.
Une autre bombe s'est abattue dans le jardin de l'hospice Saint-Julien devant la chapelle. Là encore, il n'y a eu qu'une petite excavation dans la terre.
Enfin, près de la Meurthe, dans le prolongement du boulevard d'Austrasie, un projectile a creusé aussi son trou.
Sur le territoire de Tomblaine, au lieu dit La Méchelle, plusieurs bombes sont tombées dans les prés. Deux ont fait explosion. Le résultat a été des excavations assez vastes.
Enfin, à Vandoeuvre et à Nabécor, deux bombes sont venues s'abattre, l'une dans un jardin, l'autre dans une cour près d'un bâtiment. Il n'y a eu aucun dégât. Près de la ferme de Brichambeau, un projectile a fait aussi une excavation dans un champ.
Gomme on peut le constater, à part les dégâts causés rue Victor et rue du Progrès, la visite du zeppelin n'a eu pour les Allemands aucun résultat pratique. Quant à la population de notre ville, on peut répéter qu'elle a tout son sang-froid et n'a été nullement impressionnée. Lundi, chacun échangeait tranquillement ses impressions sur cette visite nocturne.

Nous avons eu la visite des taubes.
Dans la matinée de lundi, vers sept heures et demie, trois avions ennemis, qui essayaient de traverser nos lignes du côté de Frouard ont été accueillis par une vive canonnade. Tous trois se sont empressés de regagner leurs hangars.
Dans l'après-midi, à quatre heures, un taube venant du côté de Seichamps a été également canonné et s'est empressé de fuir au plus vite, pour échapper à nos projectiles, dans prendre le temps de nous apporter les siens.

Lutte de mines et de grenades
DE TRANCHÉE A TRANCHÉE
Nos avions sur Vigneulles

Paris, 13 avril, 15 h. 05.
De la mer à l'Aisne, rien à signaler, si ce n'est quelques actions d'artillerie.
A l'est de Berry-au-Bac, nous nous sommes emparés d'une tranchée allemande.
En Argonne, luttes de mines et combats à coups de bombes et de grenades d'une tranchée à l'autre.
Entre Meuse et Moselle, journée relativement calme. Nos troupes sont parvenues en plusieurs points au contact du réseau de fils de fer de la défense ennemie.

Paris, 14 avril, 1 heure.
Le communiqué officiel du 13 avril, 23 heures, dit :
Journée calme sur l'ensemble du front.
Nous avons maintenu et consolidé nos positions sur les divers points où nous avons progressé depuis huit jours.
Nos avions ont bombardé, avec succès les hangars militaires de Vigneulles-en-Woëvre, et dispersé non loin de là un bataillon allemand en marche.

INTÉGRAL ?

Nancy, 14 avril.
Pendant que nos soldats combattent pour défendre la Patrie, il est bon que les civils préparent ou rétablissent pour eux les foyers délaissés et dont quelques-uns ont été détruits.
Ce n'est pas une oeuvre vaine de polémique que l'on a entreprise en sollicitant, en exigeant du gouvernement, et des représentants du peuple la réparation des dommages causés par la guerre. La justice n'existerait pas si elle ne commandait à tout le pays de donner aux combattants qui reviendront et à leurs familles la possibilité de reprendre avec courage et confiance le travail que le salut national a interrompu.
La Lorraine a été pour une grande partie envahie, bombardée, pillée, dévastée, brûlée. Il faut qu'elle revive comme elle vivait avant, et que les cruels sacrifices ardemment consentis ne soient pas aggravés par la-perte de ce qui est le motif principal de vivre.
Le principe a été adopté par le gouvernement. Mais il a été entouré de telles réticences, d'une si obscure explication que certaines personnes se demandent avec angoisse si la promesse formelle aura sa réalisation complète. Nous avons trop de foi en la République pour en douter un seul instant.
Pourtant, afin que n'existe plus aucune ambiguïté, ni aucune crainte, disons ce qui est nécessaire de dire.
Certains s'effarent un peu devant le mot «  intégral » que nos amis veulent ajouter au mot «  réparation ». Ils estiment que ce serait aller trop loin, qu'on peut ainsi demander réparation non point seulement des dommages matériels et constatés, mais aussi des répercussions plus ou moins indirectes, et aussi du «  manque à gagner ».
- Prenons, disent-ils, l'exemple des chapeaux de paille. Il n'est pas contestable que la guerre en a arrêté la fabrication. Devrons-nous aussi payer ce dommage ?
C'est pousser trop loin la logique. En demandant la réparation intégrale des dommages causés par la guerre, nous n'entendons pas que l'on rembourse à tous les Français ce que la guerre leur a enlevé de bénéfices à bon droit escomptés. Les commerçants que la guerre aura enrichis n'ont nullement l'intention de rendre l'argent qu'ils auront gagné. Il ne saurait donc être question de débourser des millions pour les commerçants ou les industriels qui auront été pendant la campagne privés de leurs bénéfices habituels.
Mais ce que nous demandons, c'est que le propriétaire de toute maison incendiée, bombardée ou pillée, soit dédommagé intégralement. C'est que le possesseur ou le fermier d'un champ dont la récolte a été ravagée par la bataille soit dédommagé intégralement.
C'est que la famille dont le foyer a été détruit ou détérioré soit dédommagée intégralement.
C'est que le soldat, après la victoire, ait à nouveau en ses mains intégralement le bien qu'il faisait fructifier, et les moyens de le travailler. Il a donné son coeur, son corps, son sang à la patrie. Il s'est voué entièrement à sa défense. La patrie pendant la paix a en échange le devoir de le défendre aussi.
- Mais alors, objecte-t-on, si un collectionneur a été par l'envahisseur dépossédé de la collection de timbres qu'il avait amoureusement rassemblée dans son château maintenant incendié, il faudra lui payer sa collection de timbres qu'il estimera un ou deux millions ? Où irons-nous ?
Eh! oui il faudra lui payer ses timbres non pas au prix qu'il estimera, mais à dire d'experts. Et on n'ira pas plus loin que la justice.
Que comptent d'ailleurs les belles collections, dans le règlement final, au regard de toutes les chaumières, de toutes les fermes, de toutes les maisons brûlées ou démolies, des récoltes perdues, des sources nourricières taries dans les régions envahies ? Quand vous aurez donné quelques millions pour les collections, enlevées, cela n'ajoutera pas grand'chose aux milliards que vous devez donner à l'agriculture, au commerce, à l'industrie que les Allemands ont réduits à rien dans certaines contrées.
Ne laissons pas dévier une idée de justice vers l'examen spécieux des sophismes.
Les propriétaires expulsés par la fusillade, la canonnade ou les nécessités militaires, les commerçants ruinés par la guerre, les industriels dont les usines ont été arrêtées ont droit à la justice. La justice, en cette circonstance, est la réparation intégrale des dommages.
Que l'on remplace «  intégral » par un autre mot, si l'on veut. Nous ne tenons pas à la formule. Nous ne réclamons que le droit, mais le droit précis, et écrit dans une loi claire.
René MERCIER.

LA BATAILLE DU GRAND-COURONNÉ

Nancy, 14 avril.
Nous partons de Nancy à huit heures et demie du matin. C'est le 4 mars. Le ciel, gris d'abord, un petit soleil de premier printemps va l'éclairer. Des automobiles militaires, servies par des chauffeurs de l'état-major, sont mises à notre disposition. Elles filent vers l'est sur la route nationale, qui tend à la Lorraine annexée, et auraient bientôt passé la frontière, nous conduisant à Château-Salins, Morhange et Sarreguemines, si les tranchées allemandes n'étaient pas là, sur l'autre rive de la Seille.
Dès qu'on est sorti de la ville, le regard fouille un vaste horizon. La contrée est très ouverte et semée de collines de grand relief. Les prairies, d'aspect maigre, alternent avec les bois défeuillés. Les villages et les maisons isolées sont assez rares. La vue est fermée devant nous à quinze ou vingt kilomètres par une crête en demi-cercle, qu'occupent encore les Allemands. Bien qu'aucun engagement important ne se livre dans la journée, le canon tonne à notre gauche, vers le bois Le Prêtre, au nord de Pont-à-Mousson, devant nous, près de Nomeny.
Nous faisons halte sur un tertre, où l'officier d'état-major commis à ce soin nous explique la bataille qui préserva Nancy de l'occupation allemande. Il faut d'abord la situer dans l'histoire de la guerre pour en montrer l'importance et les résultats.

La deuxième et la troisième semaines d'août avaient été, pour l'armée française, heureuses et presque faciles. La double offensive prévue par l'état-major progressait. L'armée du général Pau, après s'être rendue maîtresse des défilés des Vosges, passait en Alsace. Mulhouse avait été une seconde fois occupée et Les avant-gardes avaient atteint les accès de Colmar. Dans la Lorraine annexée, les armées du général Sarrail et du général de Castelnau, une fois le Donon, sommet septentrional des Vosges, en leurs mains, avaient poussé hardiment dans le terrain qui s'étend au sud de Metz. D'abord, tout alla bien ; au delà de la Seille, les Français avaient, le 19 août au soir, atteint Delme, Dieuze et Morhange. Ils ne s'étaient heurtés qu'à des troupes de couverture. C'est le 20 que commença la malemparée. Plusieurs corps d'armée allemands attaquèrent tout à coup. La droite française céda la première, entraînant après elle le centre et la gauche, qui pouvaient être débordés. Le grand état-major allemand lança le 21 août un bulletin triomphant :
Conduites par le prince héritier de Bavière, des troupes appartenant à toutes les races germaniques ont remporté hier une victoire dans des batailles livrées avec des forces considérables entre Metz et les Vosges.
L'ennemi s'avançant en Lorraine a été rejeté avec de grosses pertes sur toute la ligne.
Le succès total ne peut pas être encore apprécié, attendu que l'étendue du champ de bataille est plus grande que ne le fut celle des luttes de toutes nos armées en 1870-1871.
Animées d'un élan irrésistible, nos troupes poursuivent l'ennemi et continuent à le combattre aujourd'hui.
Le lendemain, 22 août :
Les troupes françaises battues hier entre Metz et les Vosges ont été poursuivies et leur retraite a dégénéré en fuite. Jusqu'ici, plus de dix mille prisonniers ont été faits et au moins cinquante canons pris. Les forces ennemies battues comportaient plus de huit corps d'armée.
L'empereur adressait au roi de Bavière une dépêche de félicitations pour les haut faits du prince Ruprecht. A Munich, devant le palais des Wittelsbach, ce fut un délire et, du haut de son balcon, le roi Louis III haranguait la foule en ces termes:
Je suis fier de voir mon fils remporter de si beaux succès à la tête de ses vaillantes troupes ; mais ceci n'est qu'un début. De grandes victoires nous attendent encore. J'ai la confiance dans la qualité de l'armée allemande, qui restera victorieuse quel que soit le nombre des ennemis.
Eh bien ! la bataille du Couronné de Nancy devait pourvoir à ce que les Allemands fussent arrêtés net, sur la frontière même, après leur victoire de Metz, comme ils disent, de Morhange, comme l'appellent les Français.
Ce résultat allait permettre à Joffre de rallier son armée sur la Marne, quand venant de Belgique les Allemands eurent débordé sur le Nord de la France après la bataille de Charleroi. Sans la résistance du Grand-Couronné, ce formidable coup d'arrêt eût été impossible. Avançant de l'Est à l'Ouest les Allemands eussent franchi la trouée de Charmes et débordé la droite du généralissime, rendant sa position intenable, soit, qu'ils eussent marché droit devant eux vers l'Ouest., soit qu'ils eussent pris le plateau de Langres pour objectif. Joffre aurait dû reculer au moins jusqu'à la ligne de la Seine.
L'armée impériale comptait bien cueillir rapidement les fruits de son succès du 20 août. Le premier qui s'offrait était de choix : Nancy. Cette ville n'est pas une forteresse. En 1870, elle fut occupée, sans coup férir, par une avant-garde de uhlans. On la considérait comme sacrifiée. Si les Allemands prenaient l'offensive, c'est derrière la ligne Epinal-Toul-Verdun et les Hauts-de-Meuse que l'armée pourrait opposer une première résistance efficace. La littérature militaire française ne le mettait pas en doute. La littérature militaire allemande, moins encore. Si bien que certaines catégories de réservistes avaient, dès le début de la guerre, reçu l'ordre de rejoindre leur corps à Nancy, dans les derniers jours d'août. Une entrée triomphale sur la place Stanislas, l'une des plus élégantes de l'Europe avec sa ceinture de grilles dorées était pour sourire à Guillaume II. Nancy, Nanzig, comme ils disent, devait devenir, après la paix, une ville allemande, capitale de la Westfranken, ou Franconie occidentale. Le 22 août l'empereur arrivait à Delme, avec le régiment des cuirassiers blancs, pour préparer ce grand spectacle.
Qui donc eût imaginé qu'après huit mois de guerre se déroulant en majeure partie sur le sol français, Nancy serait encore inviolée et confiante? C'est une surprise, presque un miracle. Comment la bataille du Grand-Couronné, dont les résultats furent si décisifs, n'a-t-elle pas, dès aujourd'hui, sa place au rang des plus mémorables ?

J'avais cru que le Grand-Couronné était un ensemble de travaux du génie construits à loisir en temps de paix. Il n'en est rien. C'est une position naturelle renforcée, où il fallait, par des ouvrages de campagne hâtifs. Supposez une demi-lune, un demi-cercle de hauteurs, les unes boisées, les autres dénudées, protégeant Nancy du Nord au Sud, la Meurthe sinueuse, large et lente en formant la corde. Il commence au Nord, vers Pont-à-Mousson, pour se fermer au Sud vers Saint-Nicolas-du-Port, Dombasle et la forêt de Vitrimont. Les collines dont il est fait sont élevées d'une centaine de mètres, très allongées, à pentes symétriques, sans angles morts, avec de grands champs de tir.
Le général de Castelnau avait pour mission de défendre le Grand-Couronné.
Il disposait à cet effet de quatre corps d'armée, ceux qui avaient combattu à Morhange, où les dépêches officielles allemandes prétendaient en avoir mis huit «  en fuite ». C'étaient les 9e, 15e, 16e et 20e corps. Ils étaient appuyés par trois divisions de réserve, la 68e, la 59e et une autre dont le numéro m'échappe. Les Français étaient donc un peu moins de deux cent mille.
L'attaque allemande se produisit sur deux directions principales. L'armée du prince royal de Bavière, venant de Delme, avait pour objectif le secteur nord du Grand-Couronné ; des éléments de la garnison de Metz et l'armée du général Heeringen, venant de Sarrebourg et de Dieuze, devaient attaquer, en partie directement sur Nancy, par la forêt de Champenoux, en partie plus au sud, par Cirey, Blâmont, Badonviller, Baccarat, Gerbéviller, tournant la droite de la position française.
Cette aile de l'armée était beaucoup la plus avancée, puisque après un vif combat, elle occupa Lunéville le 21 août.

Je ne puis retracer toutes les phases de la bataille, qui, avec des accalmies, dura une douzaine de jours et ne fut achevée que vers le 6 au 7 septembre, avant - notons-le bien - qu'eût commencé la bataille de la Marne.
L'armée venant de Delme vint se heurter au sud de Mousson, au mont Sainte-Geneviève, qui commande la vallée de la Moselle. Après des combats répétés, dont plusieurs corps à corps furieux, l'attaque fut abandonnée le 7 septembre. Depuis lors, l'armée allemande a reculé de quelques kilomètres. Les mêmes troupes tiraillent encore chaque jour dans le bois Le Prêtre, dont nous entendons distinctement le canon.
Ce n'est pas cette partie du grand champ de bataille que nous avons parcourue, mais la partie sud.
L'officier qui nous sert de guide la raconte de la façon la plus saisissante, sans grand déballage de détails tactiques, mais nous montrant ce qu'il a vu. «  Notre état-major était là. A l'aide de nos jumelles, nous avons aperçu les premiers Allemands sortant de la lisière de ce grand bois, là-bas, à gauche. Alors nos 75, en batterie derrière cette crête, ont ouvert le feu. » Et ainsi de suite. Racontée de la sorte, sur les lieux, par un témoin bien disant et expert; le récit prend vie et nous voyons les principaux épisodes de la bataille.
A notre gauche, se dresse le Grand-Mont d'Amance, avec un village entre le Petit et le Grand-Mont, comme Monnetier entre le Petit et le Grand-Salève. Il a joué pour le secteur sud le rôle sauveur du mont Sainte-Geneviève pour le secteur nord, bien qu'il ait été écrasé d'obus, plusieurs jours durant, par des batteries lourdes allemandes qu'on n'arrivait pas à repérer et auxquelles il eût été du reste inutile de chercher à répondre, puisque leur portée était plus longue que celle des pièces dont les Français disposaient alors.
Un des épisodes les plus sanglante fut rentrée en ligne de la brigade de Toul formée des 168° et 169e de ligne.
«  Elle était dans ce bas-fond. Elle a reçu l'ordre de traverser là, à gauche de la route, ce saillant de la forêt de Champenoux, puis, arrivée à l'autre lisière, de gravir à couvert la pente qui aboutit au petit plateau que vous voyez, de le traverser, de franchir la route et de marcher sur le bois d'Erbéviller, qui s'étend à droite. Nous suivions d'ici tout ce mouvement La brigade s'est calmement déployée: Nous l'avons vue peu à peu disparaître sous bois. Pas un coup de canon. Pas un coup de fusil. Après une longue attente, ses lignes ont émergé de la forêt, à l'angle fixé. Après une conversion bien exécutée pour prendre la nouvelle direction, elle a gravi le coteau en ordre, toujours sans être inquiétée. Mais, quand elle a débouché sur le petit plateau, nous l'avons vue fauchée en quelques minutes. A la lisière du bois d'Erbéviller, les Allemands avaient soigneusement dissimulé douze mitrailleuses qui, tout à coup, sans que rien eût révélé leur présence, se mirent à cracher à trois ou quatre cents mètres. Leurs gerbes de balles balayaient le sol. En vain nos hommes se jetaient à terre pour riposter. Ils étaient touchés à la tête. Quelques-uns avaient mis leur sac devant eux. Rempart illusoire. Presque tout ce qui avançait au sommet du coteau est tombé. La terrasse était encombrée de morts et de blessés qui se touchaient tous sur plusieurs centaines de mètres carrés... »
Nous allons voir. Sept mois ont passé et les traces du charnier restent toujours apparentes. D'abord ce sont de longues, longues tombes anonymes, où des centaines de jeunes hommes dorment côte à côte. Une croix surmontée d'un képi rouge, parfois aussi d'une ceinture bleue, et quelques inscriptions sommaires. Nous nous découvrons, la gorge serrée.
Le canon du bois Le Prêtre, à quelques kilomètres, nous rappelle qu'il s'agit, non d'un émouvant spectacle d'histoire, mais de la réalité présente et toute voisine.
(Journal de Genève) ALB. B.

LA FIN D'UN TAUBE

Nancy. 14 avril.
Mardi matin, un taube, venant de la frontière, semblait se diriger sur Lunéville, Il fut aperçu par un de nos avions, qui lui livra aussitôt line chasse acharnée.
Le taube, atteint probablement dans son réservoir d'essence, ne tarda pas à prendre feu et alla s'abattre près de Croismare.
Les uns disent que les deux officiers qui le montaient ont été carbonisés ; d'autres assurent qu'ils sont seulement blessés et faits prisonniers.

CALME SUR LE FRONT D'OCCIDENT
Un Zeppelin a tué trois civils et nous avons abattu trois avions allemands

Paris, 14 avril, 15 h. 15.
Rien à signaler depuis le communiqué de ce matin.
Un zeppelin a jeté des bombes au-dessus de Bailleul. Il visait le terrain d'aviation qu'il n'a pas atteint Trois civils ont été tués.
Deux avions allemands ont été obligés d'atterrir dans nos lignes, l'un près de Braine, l'autre près de Lunéville. Les aviateurs ont été faits prisonniers.
Un troisième appareil ennemi, atteint par le feu de nos avant postes, est tombé près d'Ornes (nord de Verdun), à six cents mètres de nos lignes. Un des aviateurs a été atteint par une balle.

CONTRE-ATTAQUE ALLEMANDE
Ils sont arrêtés et repoussés, à Perthes, aux Eparges, au bois d'Ailly et au bois de Mortmare.

Paris, 15 avril, 0 h. 15.
Voici le communiqué officiel du 14 avril, 23 heures :
Près de Berry-au-Bac, nous avons enlevé, hier soir, une tranchée allemande que l'ennemi a reprise; pendant la nuit. Nous avons pu nous installer à proximité dans une tranchée nouvelle.
En Champagne, dans la région de Perthes, un détachement d'infanterie allemande a tenté de sortir de ses tranchées. Il a été arrêté sur place par notre feu.
Aux Eparges, une contre-attaque allemande a débouché, hier soir, de Cambres. Elle a été immédiatement arrêtée par notre artillerie.
Dans le bois d'Ailly, nous avons élargi notre front et repoussé une contre-attaque.
Dans le bois de Mortmare, nous avons progressé à l'ouest de notre ligne et repoussé deux contre-attaques. Nous avons fait des prisonniers, pris un canon de 37 et beaucoup de fusils et de munitions sont restés entre nos mains.

NOUVEAUX PROGRÈS DE L'ARGONNE à L'ALSACE

Paris, 15 avril, 15 h. 15.
Près de La Boisselle, notre artillerie lourde a complètement bouleversé les tranchées et les abris de l'ennemi, à Ovillers.
En Argonne, près de. Fontaine-aux- Charmes, une action toute locale, de tranchées à tranchées, s'est poursuivie à notre avantage. Notre ascendant sur l'ennemi s'affirme de plus en plus dans ce secteur.
Aux Eparges, l'ennemi a bombardé nos positions, mais n'a pas attaqué.
Au bois d'Ailly, nos derniers progrès nous ont rendus maîtres d'une partie de la tranchée principale allemande, et, au nord de cette tranchée, d'une bande de terrain de 400 mètres de long sur 100 mètres de profondeur.
Près de la route Essey-Flirey-bois de Mortmare, la nouvelle tranchée que nous avons conquise est toujours en notre pouvoir.
Près de Fey-en-Haye, bombardement sans attaque d'infanterie.
Au bois Le-Prêtre, après avoir conquis, le 13, une partie de la ligne ennemie, nous avons, hier, maintenu nos gains et arrêté une contre-attaque.
En Alsace, au nord le la Lauch, nous avons progressé de quinze cents mètres dans la direction du Schnepfenriethkopf, au sud-ouest de Metzeral.

BRILLANT SUCCÈS PRES DE NOTRE-DAME-DE-LORETTE
Leur acharnement inutile, de la Meuse à la Moselle, surtout aux Eparges, dans le bois de Mortmare et au bois Le Prêtre

Paris, 16 avril, 1 heure.
Communiqué officiel du 15 avril, 23 heures :
Au nord d'Arras, nous avons remporté un brillant succès, qui complète celui du mois dernier. Tout l'éperon sud-est de Notre-Dame-de-Lorette a été enlevé à la baïonnette par nos troupes, qui tiennent maintenant la totalité des pentes du sud-est, jusqu'à lia lisière d'Ablain-Saint-Nazaire. Nous avons fait 160 prisonniers, dont plusieurs officiers, et pris trois lance-bombes et deux mitrailleuses.
A Thiéval et à La Boisselle, dans la région d'Albert, l'ennemi a tenté deux attaques, qui ont été immédiatement arrêtées.
En Argonne, à Bagatelle, notre artillerie a démoli la tranchée principale des Allemands.
Plus à l'est, aux Nourrissons, nous avons repoussé une attaque.
Aux Eparges, l'ennemi a contre- attaqué trois fois, dans la nuit de mercredi à jeudi, pour nous reprendre le saillant est, mais il a été repoussé et a subi de fortes pertes.
A midi, il a violemment bombardé nos positions, mais il n'a pas attaqué.
Dans le bois de Mortmare, nous avons repoussé une contre-attaque et poursuivi sur le terrain conquis le 13, l'inventaire de notre butin qui se compose de deux canons-revolvers, de deux lance-bombes, d'une mitrailleuse, de plusieurs centaines de fusils et de milliers de cartouches et de grenades.
Dans le bois Le-Prêtre, nous avons repoussé une attaque et fait des prisonniers.

UN TAUBE ABATTU

Paris, 16 avril, 15 heures.
Aucune action nouvelle sur le front depuis le communiqué de ce matin.
Notre artillerie a abattu, hier après-midi, un avion qui est tombé, en face des lignes anglaises en arrière des, tranchées allemandes, au nord d'Ypres.

LEUR RAGE INUTILE CONTRE
Notre-Dame-de-lorette et les Eparges
Succès d'artillerie à Mortmare

Paris, 17 avril, 0 h. 40.
Voici le communiqué officiel du 16 avril, 23 heures :
A Notre-Dame-de-Lorette, les Allemands ont contre-attaqué trois fois, en préparant chaque contre-attaque par un violent bombardement. Ils ont été toutes les fois arrêtés.
Ils ont échoué également dans une tentative de contre-attaque aux Eparges, la nuit dernière.
Au bois de Mortmare, combat d'artillerie. Nous avons réduit au silence trois batteries et fait sauter un dépôt de munitions.

UN TAUBE SUR BELFORT

Pars, 17 avril, 18 h. 05.
BELFORT. - Ce matin, à neuf heures, un avion allemand a survolé Belfort, à une très grande hauteur. Il a jeté trois bombes. L'une d'elles, en éclatant, a blessé mais peu grièvement un homme et une femme. Les deux autres n'ont causé que des dégâts matériels insignifiants.
Vivement canonné par les forts et pourchassé par un de nos aviateurs, le taube a regagné vite les lignes allemandes.

NOS VAILLANTS AVIATEURS
Ils bombardent une fabrique d'obus une poudrerie et une usine d'électricité puis battent, au retour, 3 aviatiks

Paris, 17 avril.
Notre aviation s'est montrée très active. Dix bombes ont été jetées sur les ateliers du chemin de fer à la gare de Léopoldsthohe, à l'est de Huningue, actuellement utilisés pour la fabrication des obus.
Dix obus mit été lancés sur la poudrerie de Rothweil. Six ont porté. Une grande flamme rouge s'est élevée, surmontée d'une épaisse fumée. Nos aviateurs ont reçu des éclats d'obus dans leur appareil mais ils sont rentrés sains et saufs.
Quarante obus, dont la plupart ont porté, ont été jetés sur le central électrique de Maizières-les-Metz, à quinze kilomètres au nord de Metz, usine qui fournit la force et l'éclairage à la ville et aux forts de Metz. Une épaisse fumée s'est élevée du bâtiment central.
A leur retour, nos aviateurs rencontrant trois aviatiks leur ont donné la chasse et les ont forcés à atterrir.
Ils n'ont eu aucun accident, malgré la violente canonnade des forts de Metz.

LE 88e BOMBARDEMENT DE PONT-A-MOUSSON

Pont-à-Mousson, 17 avril.
Un de nos confrères reçoit des détail sur le 88e bombardement de Pont-à-Mouson, qui a eu lieu lundi :
«  Lundi, vers six heures du soir, alors que les habitants vaquaient tranquillement à leurs occupations, des obus sifflèrent. Une dizaine de projectiles de gros calibre (du 210) tombèrent sur la ville, en différents endroits.
La maison qui abrite les bureaux de la régie eut sa façade endommagée, ainsi que les maisons voisines. Beaucoup de vitres brisées et quelques arbres mutilés.
Un éclat d'obus fracassa le bras gauche du jeune Baillard, âgé de 18 ans. Transporté à l'ambulance la plus proche, ce jeune homme reçut les soins nécessaires et son état est aussi satisfaisant que possible.
Un projectile a éclaté dans une courette, causant des dégâts matériels très importants dans les maisons Maréchal, Demairon, Toussaint et Sellier, où heureusement il n'y a pas eu de victimes. Les murs sont en partie écroulés ou soufflés, gondolés comme du carton. Les logements des étapes supérieurs sont inhabitables, remplis des décombres de la toiture.
Mme Maréchal a dû évacuer son logement, qui ne présente plus de sécurité, certaines cloisons étant prêtes à tomber au moindre choc ; plusieurs poutres des appartements ont été arrachées par la force de l'explosion et projetées à quelques mètres plus loin.
Mardi les Allemands ont encore bombardé Pont-à-Mousson avec des pièces de gros calibre.
La malheureuse petite ville en est à son 88e bombardement. »

NOS SUCCÈS DE LA SOMME A L'ALSACE.

Paris, 17 avril, 15 heures.
Rien n'a été signalé depuis le communiqué de ce matin.

Paris, 18 avril, 1 h. 04
Communiqué officiel du 17 avril, 23 heures :
A Notre-Dame-de-Lorette, nous avons arrêté net, dans la nuit de vendredi à samedi, trois contre-attaques, moins fortes que celles de la nuit précédente.
Nos troupes se sont organisées solidement sur la position conquise.
Dana la vallée de l'Aisne, notre artillerie lourde a bombardé les grottes de Pasly, qui servent, d'abri aux troupes allemandes. Des explosions successives ont témoigné de l'effondrement de plusieurs d'entre elles.
En Champagne, au nord-ouest de Perthes, l'ennemi a fait exploser deux mines à proximité de nos tranchées. Il a occupé les deux entonnoirs, mais nous l'avons chassé de l'un d'eux aussitôt. Il a conservé l'autre et aucune partie de nos tranchées n'a été occupée par lui.
Non loin de là, au nord de Mesnil, une attaque contre un des saillants de notre ligne a été facilement repoussée.
Dans la Woëvre, combat d'artillerie, notamment dans la région du bois de Mortmare, mais aucune action d'infanterie ni hier, ni aujourd'hui.
Dans les Vosges, nous avons réalisé des progrès sensibles sur les deux rives de la Fecht.
Sur la rive nord, nous nous sommes emparés de l'éperon ouest de Sillakerwasen, à l'ouest, de Metzeral, et nous avons débouché dons le ravin qui descend vers la Fecht.
Sur la rive sud, nos chasseurs, après une attaque brillante, ont enlevé le somment du Schnepfenriethkopf, qui a 1.235 mètres d'altitude au point culminant du massif qui sépare les deux vallées aboutissant à Metzeral

Un Taube abattu
Un de nos dirigeables sur Fribourg

Un avion anglais a abattu un avion allemand en Belgique, près de Boesinghe. L'appareil est tombé dans nos lignes. Le pilote a été tué et l'observateur fait prisonnier.
Un de ros dirigeables a bombardé la gare et les hangars d'aviation de Fribourg-en-Brisgau.

HUIT OBUS SUR SAINT-DIÉ

Saint-Dié, 18 avril.
On nous écrit :
«  Depuis plusieurs semaines, notre ville semblait devoir être tranquille, et ne recevait plus que quelques visites de Taubes ou d'Aviatiks.
«  Jeudi soir, vers 1 heures de l'après-midi, huit obus de petit calibre sifflaient au-dessus de nos têtes. En un clin d'oeil, les rues étaient désertes. Les obus tombèrent sur plusieurs points, la plupart sans éclater : rien que des dégâts matériels. C'est le 26° bombardement. »

HOMMAGE AUX FEMMES DE LORRAINE

Nancy, 18 avril.
Notre ami Louis Michel, maire de Tomblaine, président de la Société centrale d'agriculture de Meurthe-et-Moselle, fait aux Fédérations agricoles et à la presse, sous le titre : «  Rendons hommage aux femmes des agriculteurs lorrains », la communication suivante :
Les habitants du Centre, du Midi ou de l'Ouest de la France seraient très étonnés s'ils visitaient le département de Meurthe-et-Moselle, en voyant l'activité déployée dans les campagnes par les femmes de nos agriculteurs mobilisés.
Le département de Meurthe-et-Moselle comprend 600 communes, dont 171 sont occupées ou évacuées. Sur les 429 communes, actuellement libres, 145 ont été sinistrées et ont touché de l'Etat, à titre d'avance sur les indemnités qui leur seront versées plus tard, des semences de printemps et quelques instruments agricoles pour leur permette de travailler.
Le département de Meurthe-et-Moselle ensemence, en année normale, environ 70.000 hectares d'avoine, ce qui représente sensiblement 100.000 quintaux de semences.
Dans les communes qui n'ont pas été touchées par la guerre, les ensemencements sont faits complètement, aussi bien en blé qu'en avoine, malgré le manque d'hommes et de chevaux.
Aux 145 communes sinistrées, il a été distribué 12.000 quintaux d'avoine, et l'on estime qu'un certain nombre de cultivateurs de ces régions, pouvant se passer du concours de l'Etat, en ont semé environ 4.000 quintaux. Ces 145 communes ont donc ensemencé 16.000 quintaux, c'est-à-dire 70 % de leur ensemencement normal, qui nécessite 23.000 quintaux.
Comment ne pas admirer ces femmes, dont les maris sont mobilisés, dont les maisons sont brûlées pour la plupart, et qui ont pris la direction de leurs fermes ?
Les hommes sont dans les tranchées, le canon tonne de toute part, la charrue, en traçant son sillon, descend fréquemment dans les trous creusés par les obus ; peu importe, le travail se fait normalement.
A cinq heures du matin, les femmes de nos cultivateurs sont dans les champs ; elles surveillent les ouvriers d'occasion, que le hasard leur a mis sous la main, les leurs étant mobilisés. Elles déploient une énergie que l'on ne rencontre pas souvent, même chez les hommes.
Si, dans quelques coins de la France, se trouvent des personnes impatientes ou découragées, qu'elles jettent un regard sur nos vaillantes femmes lorraines, leurs coeurs se raffermiront en présence de tant de courage et d'abnégation.
Un pays qui possède de telles forces ne peut être vaincu.
Louis MICHEL,
Président de la Société Centrale d'Agriculture de Meurthe-et-Moselle et des Fédérations agricoles du Nord-Est de la France.

Les Français que les affaires conduisent en Lorraine ou la curiosité de savoir ce qui se passe «  presque » sur le front, ont maintes fois manifesté leur étonnement de la prodigieuse vitalité qu'ils rencontrent à Nancy visité par les Zeppelins, à Pont-à-Mousson bientôt à son centième bombardement, à Lunéville que les Allemands occupèrent pendant vingt jours, et où ils assassinèrent et brûlèrent, de ci de là. Ils n'ont, pas assez de termes admiratifs pour rendre leur surprise et aussi leur émotion.
Ce calme stoïque et cette souriante tranquillité sous les obus, sous les bombes, sous la menace germaine, seront, quand on écrira plus tard l'histoire de la grande guerre, les titres de gloire les plus éclatants pour la Lorraine.
Le courage des femmes dans nos grandes cités est partout cité en exemple. Mais nos visiteurs d'un jour ou d'une semaine, si on leur procure la possibilité de s'approcher des tranchées, n'ont pas le temps de voir la vie dans les villages. Ils ne savent pas que nos évacués allaient parfois, parmi la mitraille, regarder leurs champs, les cultiver, arracher la récolte abandonnée, et que, par amour de la terre où ils sont nés, où ils travaillent, ils bravaient tous les périls pour aller quelques heures la toucher de leurs mains calleuses, la caresser de leur regard reconnaissant.
Il fallait qu'une parole autorisée rendît aux femmes des cultivateurs l'hommage qui leur est dû. M. Louis Michel, qui connaît et qui aime d'une profonde affection le sol lorrain et tous ceux et toutes celles qui vivent sur ce sol, a voulu que la vaillance des villageoises lorraines fût connue de toute la France.
Et il a cité devant le pays le noble travail des Lorraines de la campagne comme on cite devant l'armée les exploits héroïques des combattants.
Il n'est pas besoin de chercher des mots magiques pour glorifier les actes en temps de guerre. La parole se sent faible devant le regard tranquille qui dit : «  Je fais mon devoir ».
Ainsi que nos soldats les femmes des cultivateurs accomplissent leur devoir, qui est fait de ferme volonté et d'indestructible espérance.
Honneur à celles qui aux mains des hommes réclamés par le salut de la patrie ont saisi la robuste charrue, et, dans le tumulte de la bataille qui s'éloigne, continuent à tracer sans peur le sillon, un jour interrompu, au creux de notre terre deux fois sacrée par le sang et par le travail !
RENÉ MERCIER.

POURQUOI UN ZEPPELIN
a bombardé Nancy

Nancy, 18 avril
Le communiqué officiel allemand du 12 avril nous apprend pourquoi un zeppelin est venu jeter quelques bombes sur Nancy, dans la nuit de dimanche à lundi. Il dit :
«  A titre de représailles de l'attaque aérienne du 5 avril, contre la ville ouverte de Mulheim, où trois femmes ont été tuées, un de nos dirigeables a arrosé abondamment de bombes incendiaires Nancy, centre du groupe des fortifications de ce nom. »
Le communiqué aurait bien dû ajouter, le lendemain, pour la plus grande joie des Boches, que le «  centre des fortifications de Nancy » avait, dû beaucoup souffrir, puisque les bombes avaient atteint une école maternelle et failli toucher un hôpital et l'abattoir !

UN TAUBE A NANCY

Nancy, 18 avril.
Les Nancéiens ont eu le plaisir, vendredi soir, vers heures, de voir un Taube de tout près. Mais il ne survolait pas les maisons pour leur lancer des bombes, car chargé sur une auto spéciale, solidement enchaîné, le sinistre oiseau était conduit de la gare vers Toul, d'où il ira, dit-on, à Paris.
Cet avion boche, dont les ailes étaient disposées sur le chariot de façon à bien montrer leur grand croix noire, était celui descendu ces jours derniers près de Croismare, et qu'on avait dit d'abord avoir été incendié.

LES BOMBARDEMENTS DE PONT-A-MOUSSON

Pont-à-Mousson, 18 avril.
Pont-à-Mousson a encore été bombardé à deux reprises, dans l'après-midi et la nuit de mardi avec des projectiles de gros calibre. Fort heureusement il n'y a eu aucune victime.
Le fond du jardin de M. Bonnette père fut copieusement labouré et la toiture de la loge de ce jardin fut projetée sur les arbres des environs. Un obus alla se perdre dans l'île d'Esch.
Les maisons situées entre le café Janin et la boulangerie Kauffmann furent sérieusement atteintes. Il en fut de même, sur un autre point, de la maison de M. Marchal, dont le propriétaire et sa femme réfutés dans le couloir furent littéralement soulevés par l'explosion.
Les obus du second bombardement éclatèrent à peu près aux mêmes points que ceux du premier. Un cheval fut enseveli sous les décombres de l'écurie de M. Gaudiot. Les maisons de M. Lejaille, conducteur des ponts et chaussées, de M. Isler, de Mme Dieudonne et la boulangerie Benoît ont beaucoup souffert. Il n'y a eu heureusement, pas d'accidents de personnes, et pourtant, à cette beure (1 h. 10, ainsi qu'en témoigne la pendule de M. Lejaille, qui s'est arrêtée), tout le monde était couché, ses lits occupés furent, traversés, on a retrouvé des éclats dans les sommiers, les paillasses, etc.
Enfin, le dernier obus éclata sur le groupe scolaire Saint-Charles, causant aussi des dégâts aux maisons avoisinantes.

VIOLENTE ATTAQUE REPOUSSÉE
près d'Orbey, en Alsace

Paris, 18 avril, 15 heures
Une attable allemande préparée par un violent bombardement, a été prononcée par un bataillon contre nos positions au nord-ouest d'Orbey (Alsace). Elle a été repoussée. L'ennemi a laissé de nombreux morts devant nos tranchées. Nous avons fait une quarantaine de prisonniers.
Un avion belge a abattu un avion allemand près de Roulers.
Dans la même région, une de nos escadrilles a efficacement bombardé un terrain d'aviation.

UNE JOURNÉE D'ÉCHECS ALLEMANDS
Dans l'Aisne, en Champagne en Lorraine et en Alsace

Paris, 19 avril, 6 h. 40.
Communiqué officiel du 18 avril, 23 heures :
Journée relativement calme, marquée surtout par des combats d'artillerie et par quelques action d'infanterie toutes locales. Dans la vallée de l'Aisne, au bois de Maintmard, l'ennemi a attaqué nos tranchées sur la fin de l'après-midi. Notre artillerie l'a arrêté net puis une charge à là baïonnette lui a infligé des pertes sérieuses.
En Champagne, au nord-ouest de Perthes, les Allemands ont dû évacuer un entonnoir qu'ils occupaient encore, à proximité de nos lignes.
Par explosion de mines, suivie d'une attaque, nous avons enlevé soixante mètres de tranchées ennemies.
Dans la Woëvre, simple canonnade.
L'ennemi à prononcé, en Lorraine aux environs de la forêt de Parroy, plusieurs petites attaques, avec de faibles effectifs, notamment près de Bures, Mouacourt, Emberménil et Saint-Martin. Toutes, ces tentatives ont été facilement repoussées. En Alsace, les Allemands ont attaqué trois fois, sans aucun succès, nos tranchées du petit Reichackerkopf. Nous avons fait de nouveaux progrès dans la région de Schnepfenrieth.

PROGRÈS EN BELGIQUE
ET SUR LES DEUX RIVES DE LA FECHT

Paris, 19 avril, 15 heures.
Les troupes britanniques ont enlevé hier, en Belgique près de Zvartelen, deux cents mètres de tranchées allemandes. Malgré plusieurs contre-attaques, elles ont conservé le terrain gagné et consolidé leurs positions.
En Alsace, progrès sensibles. Notre avance se poursuit sur les deux rives de la Fecht.
Sur la rive nord, nous avons occupé la crête du Burgkopfte (sud-ouest du Schilleckervassen), qui commande directement la vallée.
Sur la rive sud, dans la région de Schnepfenrietch, nous avons notamment progressé en marchant du sud au nord.
Dans la direction de la Fecht et de Metzeral, nous avons occupé notamment une série de hauteurs dont la plus septentrionale commande le cours de la Fecht, face au Burgkopfle. Au cours de cette action, nous avons pris une section d'artillerie de montagne, deux canons de 74 et deux mitrailleuses.

Les Taubes sur Belfort

es avions allemands qui ont survolé Belfort ont jeté quatre bombes. Celles-ci ont endommagé deux hangars et mis le feu à quelques caisses de poudre. Il n'y a au ni accidents de personnes ni dégâts sérieux.

ATTAQUE VAINE CONTRE LES ÉPARGES
Nos progrès en Alsace

Paris, 30 avril, 1 h. 10.
Voici le communiqué officiel du 19 avril, 23 heures :
Dans la nuit du 18 avril, à 3 h. 30, une contre-attaque allemande s'est produite aux Eparges. Elle a été complètement repoussée.
Au bois de Mortmare, action d'infanterie, sans résultat appréciable, ni d'une part ni de l'autre.
Dans la région de Regniéville, lutte d'artillerie assez violente, où nous avons pris nettement l'avantage.
Dans les Vosges, nos attaques menées sur les deux rives de la Fecht, ont accentué nos progrès et forcé l'ennemi à évacuer précipitamment Eselsbrucke, en amont de Metzeral, où il a abandonné un nombreux matériel.

Garros prisonnier

'aviateur Garros, obligé d'atterrir à lngelmunster, à dix kilomètres au nord de Courtrai, a été fait prisonnier dans la soirée du 18 avril.

Nouvelles du Pays meusien

Braquis. - Trésauvaux. - Beauzée. - Ménil-sous-les-Côtes. - Moranville. - Mont-sous-les-Côtes.-L'autorité militaire a fait évacuer en ces derniers temps les villages ci-dessus par leurs habitants qui ont été dirigés sur Verdun où ils furent hospitalisés dans les meilleures conditions possibles.
Cette mesure fut prise pour faciliter nos opérations dans la Woëvre qui étaient entravée par la présence de ces populations.

Les Allemands mettent en sûreté les, merveilles dérobées aux Français. - On a transporté à Metz, dans la chapelle des Templiers, les oeuvres d'art provenant des localités françaises situées à proximité du front.
On y remarque surtout une statue gothique de Ligier-Richier, datant de 1523 et un panneau sculpté détaché d'une chaire. Ces deux objets proviennent de Hattonchâtel.
A Etain, les Allemands ont enlevé un groupe de pierre, par Ligier-Richier, datant die 1528 et représentant Marie devant le cadavre du Christ, ainsi qu'un splendide bénitier en bronze avec inscription gothique.
Les Boches disent bien qu'ils ont procédé à l'enlèvement de ces oeuvres d'art, afin de les préserver d'une destruction imminente, mais il est peu probable qu'ils aient l'intention de les restituer.

APRÈS LES OBUS, LES BOMBES

Saint-Dié, 20 avril.
Samedi, à 2 heures 25 de l'après-midi, un Taube, qui survolait la ville, lança simultanément deux bombes qui tombèrent dans un jardin, sans causer aucun dégât, ni faire de victimes, fort heureusement.

DES BOMBES DANS LES PRÉS

Bruyères, 20 avril.
Vendredi, vers 9 heures du matin, un Taube a lancé six bombes, qui sont toutes heureusement tombées dans un pré. Les pissenlits ont beaucoup souffert.
L'oiseau boche a dû souffrir aussi, car il tanguait fortement en fuyant sous nos obus.

LES TAUBES

Verdun, 20 avril.
Deux Taubes ont lancé cette semaine des bombes sur Verdun. Pas de victimes et d'insignifiants dégâts. Un de ces engins est entré dans l'hôtel du «  Coq-Hardi » par la verrière de la salle à manger, où il a brisé une demi-douzaine d'assiettes et fait une grosse tache d'huile sur le parquet. L'autre est tombée sur le bateau «  Jeune-Augusta », au Pont-Chaussée, et a démoli divers ustensiles de cuisine. Décidément, les bombes boches, comme leurs propriétaires, en veulent à nos salles à manger.
Ajoutons que quelques autres bombes sont tombées dans les champs, où elles ont fait un petit trou.

LA RÉPARATION DES DOMMAGES DE GUERRE
Une tournée de conférences
La première a lieu à l'Hôtel de Ville de Nancy

Nancy, 20 avril.
On sait que la Société d'assistance aux réfugiés évacués et sinistrés de Meurthe-et-Moselle a organisé une série de conférences sur la très intéressante question de la réparation des dommages causés par la guerre. Il convient, en effet, que les populations éprouvées soient mises au courant de leurs droits et qu'elles connaissent exactement la façon la plus efficace de les faire valoir.
Telle est la double tâche, entreprise par les conférenciers.
La première de ces conférences a eu lieu dimanche, à quatre heures et demie de l'après-midi, dans le grand salon de l'hôtel de ville, mis obligeamment à la disposition des organisateurs par la municipalité de Nancy.
Notre chambre de commerce, que l'on trouve toujours à la tête des oeuvres sociales, si intimement liées a la prospérité économique du pays, avait accordé son haut patronage à cette réunion Aussi, pouvait-on remarquer, parmi la nombreuse assistance, plusieurs des grands noms de l'industrie de l'agriculture et du commence de notre Lorraine .
M. Vilgrain, président de la Chambre de Commerce, préside avant à sa droite M. le préfet et à sa gauche M. Simon, maire de Nancy.
On remarque en outre sur l'estrade : MM. Chapuis et de Langenhagen, sénateurs ; Marin et de Ludre, députés ; M. Escavy, avoué à Senlis, vice-président de la Fédération des Associations départementales des sinistrés, un des orateurs que nous allons entendre ; M. Maurice de Wendel, secrétaire de cette Fédération : M. Jambois, conseiller général, président du Comité d'assistance des réfugiés de Meurthe-et-Moselle ; M. Michel, maire de Tomblaine, président de la Société d'agriculture : M. Keller maire de Lunéville; MM. Krug, Bertrand-Oser, Dannhauser ; Rolland, professeur à la Faculté de droit de Nancy, qui voudra bien remplacer l'un des conférenciers annoncés, M. Jèze, processeur à la Faculté de droit de Paris, que la mobilisation a empêché de venir ; M. Mavaile, l'actif secrétaire général de la Chambre de Commerce, etc., etc.

M. VILGRAIN
Avant de donner la parole aux conférenciers, M. Vilgrain tient à remercier tous les concours qui ont afflué au premier appel.
«  Quand il apprît que la première conférence de la Fédération aurait lieu à Nancy, près de la frontière, son impression fut qu'on allait venir ici prêcher des convertis. En effet si la vaillance de nos soldats et l'habileté de leurs chefs ont heureusement préservé la ville de Nancy des horreurs de l'occupation et du pillage, systématique, nous sommes trop près des régions dévastées pour ne pas compatir profondément à la détresse des populations éprouvées. Je suis certain qu'il ne viendrait à la pensée d'aucun Nancéien, d'aucun Lorrain, de se refuser à accepter sa part des charges qu'imposera la réparation des dommages subis. »
L'honorable président de la Chambre de Commerce fait connaître les excuses de MM. Lebrun de Wendel et Fringant, députés, et il donne lecture d'une lettre où M. Lebrun, après s'être excusé d'être retenu ailleurs par la mobilisation, écrit :
«  Il y a ici un corps d'armée de l'extrême-Midi J'ai eu souvent l'occasion de parler à des soldats, leur réponse a été unanime : «  Comment voudriez-vous que nous restions insensibles aux malheurs qui vous accablent ? Et quand la guerre sera finie, que nous aurons retrouvé nos village intacts et nos foyers inviolés, il nous sera impossible, dans notre bonheur, d oublier ce que nous avons vu ici.
L'union se poursuivra à ce moment pour le redressement des ruines, comme elle s'est faite pour la résistance à l'envahisseur, et nous dirons à nos représentants de consentir en notre nom tous les sacrifices nécessaires. »
Cette promesse de solidarité nationale est saluée de vigoureux applaudissements.

M. Maurice de WENDEL
M. Maurice de Wendel, secrétaire de la Fédération, expose en quelques phrases précises les raisons pour lesquelles doivent s'unir tous ceux qui ont eu à subir un préjudice matériel de la guerre. Quand les soldats de nos régions rentreront vainqueurs, dans leurs communes, il ne faut pas qu'ils n'y retrouvent qu'un foyer dévasté. La France entière sera à l'honneur. Il faut aussi que toutes les régions paient leur part de cette gloire. Il faut une solidarité nationale.

M. ROLLAND
M Rolland a bien voulu se charger de la partie essentiellement juridique. Chaque phrase est un argument. L'ancienne jurisprudence n'admettait pas d'indemnité légale aux victimes de la guerre. Mais, depuis, le principe de l'égalité a été inscrit dans la Constitution. Si la collectivité, c'et-à-dire l'Etat, ne supportait pas les dommages de guerre subis par les particuliers, l'égalité des citoyens d'une même nation serait rompue. Et n'est-il pas inadmissible en effet, alors que tous les contribuables sont égaux devant les charges collectives, qu'une certaine catégorie de ces contribuables ait à supporter toute la part des dommages nationaux ?
Or, ceux qui supporteraient, seuls, ces dommages matériels auraient par dessus le marché à subir des dommages moraux ? Non... L'égalité ne serait plus qu'un vain mot.
Le partage des dégâts entre tous les citoyens n'est pas une idée sentimentale. C'est une idée de justice et de raison.

M. ESCAVY
M. Escavy est un orateur remarquable. Les aridités de la jurisprudence ne l'empêchent point de trouver les images qui frappent et les périodes qui émeuvent jusqu'aux larmes.
Il y a une certaine élégance, dit-il, à discuter les dommages de la guerre, à quelques kilomètres des tranchées, au bruit de ce canon qui cause les désastres.
Que nous ayons droit à la réparation intégrale, la question ne fait pas de doute. La Chambre de commerce et le Conseil municipal de Nancy ont émis des voeux dans ce sens.
La question d'évaluation est délicate. Pour mon compte, je serai intransigeant. Je n'admettrai pas qu'on nous parle de vétusté. Et comment pourra-t-on jamais nous rendre les mille objets familiers, dont la perte, si sensible à nos coeurs, remplacera au centuple le coefficient de vétusté ? Quand les joies et quand les gloires sont partagées intégralement par un pays tout entier, il est juste que ce pays tout entier partage les pertes et les souffrances.
Aujourd'hui, la guerre est une oeuvre nationale. Ce sont les enfants de tout un pays qui défendent un même sol et un même idéal, et les départements envahis sont devenus comparables à un vaste champ de manoeuvres choisi pour la défense nationale.
La loi n'a pas admis, jusqu'ici, la réparation intégrale. Son texte parle simplement de réparation. Il faudra qu'on la modifie, et à bref délai dans le sens que la justice exige. Il ne faut pas nous contenter de promesses, car ce n'est pas sur des promesses que les banques consentiront à nous faire des avances.
Il faut que la loi soit complétée au cours des hostilités. Un bon tien vaut mieux que deux tu l'auras. Si nous nous contentons de promesses, il est à craindre que nos ruines ne restent des ruines après la guerre.
Je sais bien qu'on vous invite à rentrer dans vos foyers et à recommencer la culture de vos terres, mais vos foyers restent en ruines, où vous abriterez-vous ? Mais vos écuries sont vides et vos instruments de travail sont détruits. Quels chevaux s'attelleront donc à la charrue et quelle charrue tracera le sillon ? Il faut donc que l'on vous donne d'abord les moyens de vous abriter et ceux de cultiver vos terres.
M. Escavy termine par urne émouvante invocation à la Patrie, qui mouille de larmes bien des yeux.

M. MARIN
M. Louis Marin compte dans sa circonscription de nombreux villages dévastés. Il rappelle que, dans notre département, on trouve encore des communes qui payent des centimes additionnels imposés lors de l'occupation de 1870-73.
Il n'est pas juste que la Lorraine, parce qu'elle est à la frontière, alors que tous ses enfants, tous ses hommes de 20 à 48 ans, sont partis depuis le début de la guerre, subisse encore des dommages matériels particuliers.
Beaucoup de parlementaires des régions éloignées ne comprenaient pus autrefois cette dette nationale, mais les temps sont aujourd'hui changés et l'union de tous s'est faite aussi sur ce point. Aujourd'hui, l'égoïsme a disparu.
La France a des capacités financières insoupçonnées. On ne saurait donc parler d'impuissance du Trésor.
Au point de vue législatif, la loi doit fixer les conditions des réparations. Il faut nous unir pour que nos réclamations aient plus d'autorité.
Les évaluations exactes seront difficiles, et qui pourra évaluer ? Les commissions officielles seront-elles suffisamment compétentes ? Elles s'attacheront peut-être beaucoup plus à des questions d'hygiène, d'alignement, d'esthétique qu'à des questions d'aisances pour le travail agricole. A côté de ces commissions, il en faut d'autres, composées d'hommes connaissant les aspirations et les besoins de l'agriculture.
M. Marin dit ensuite qu'il faut se mettre au travail sans tarder, car chaque saison qui passe est une récolte perdue. Il faut que la loi permette des acomptes sur l'indemnité globale, pour que le paysan se construise des logements provisoires, remonte son cheptel, achète ses chevaux et ses instruments agricoles.
Où trouvera-t-on assez de maçons pour reconstruire d'un coup tant de villages ? Où trouvera-t-on assez de matières premières et comment les transportera-t-on, avec des canaux et des chemins de fer aux ponts démolis ?
M. Marin conclut que c'est pour le droit que la France s'est jetée dans la mêlée. Il faut donc que l'on rende à chacun ses droits.
On remarque avec plaisir l'allusion qu'il fait à l'entrée prochaine, très prochaine d'une grande puissance dans le conflit aux côtés des alliés.

M. LE PRÉFET
M. le préfet souhaite aussi la constitution de commissions cantonales, qui pourront fournir des évaluations précises aux commissions officielles.
Mais, ajoute-t-il, il convient, de ne pas manifester d'impatience, et de laisser l'Etat maître de l'heure. Et l'Etat ne faillira pas à son devoir.
Il faut surtout que l'ennemi sache que toutes nos aspirations se tournent d'abord vers la victoire et que nous faisons passer l'honneur avant la réparation.

Ces patriotiques paroles sont accueillies par les bravos prolongés de cette immense assistance de réfugiés, qui n'a pu trouver place tout entière dans la vaste salle des fêtes de l'hôtel de ville.
J. MORY.

REIMS PAIE UNE SÉRIE D'ÉCHECS ALLEMANDS
Partout où l'ennemi a prononcé des attaques, en Champagne, dans l'Aisne, en Argonne, en Woëvre, en Alsace, il a été repoussé

Paris, 20 avril, 15 heures.
Rien à ajouter au communiqué de ce matin en ce qui concerne les opérations en lorraine et dans les Vosges.
Sur le reste du front, actions d'artillerie particulièrement vives dans la région de Soissons, le secteur de Reims et l'Argonne.

Paris, 21 avril, 0 h. 35.
Voici le communiqué officiel du 20 avril.
23 heures : Cinquante obus incendiaires ont été lancés sur Reims.
En Champagne, en Argonne, lutte d'artillerie sans intervention d'infanterie.
Entre la Meuse et la Moselle, au bois de Mortmare, près de la route de Flirey à Essey, nos attaques ont progressé légèrement.
Au bois Le Prêtres l'ennemi, après avoir violemment bombardé nos positions dans la région de la Croix-des-Carmes, a esquissé une tentative d'attaque qui a été aussitôt enrayée par notre artillerie.
Canonnade assez vive et combats d'avant-postes à la lisière de la forêt de Parroy.
Dans la soirée du 19 avril, deux contre-attaques allemandes contre Hartmansvilerkopf ont été repoussées.

Condamnés pour espionnage

Nancy, 20 avril.
Dans l'extrait des condamnations prononcées par le conseil de guerre permanent de la 20e région de corps d'armée pendant la cours du premier trimestre de l'année 1915, on relève les condamnations suivantes : Le 7 janvier 1915, Charles-Marie-Emile Lallemand, ouvrier d'usine à Champigneulle, a été condamné pour espionnage à la déportation dans une enceinte fortifiée. Le 13 février, Gaston-Marie-Louis Papelier, comptable à Leyr, a été condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée. Le 11 février également, Ida Jérôme, femme Papetier, ménagère à Leyr, a été condamnée pour complicité d'espionnage à dix ans de détention.

LES TAUBES

Nancy, 21 avril.
Lundi matin, les avions ennemis ont essayé à deux reprises de venir sur Nancy, du côté de Malzéville. La première fois, vers 7 heures moins un quart, le «  taube », accueilli à coups de canon, s'est empressé de faire demi-tour.
Une heure après, un autre avion a essayé également de venir sur Nancy, mais les artilleurs lui ont barré le chemin par des projectiles bien dirigés. Comme le précèdent, il s'est enfui aussitôt.

LA VICTOIRE DES ÉPARGES.
RÉCIT OFFICIEL

La magnifique action qui nous a rendu: maîtres, le 9 avril au soir, de la totalité de la crête des Eparges, est la conclusion d'un effort prolongé et violent.
C'est une victoire, analogue par la sûreté de La méthode et l'intensité de l'offensive, à celle qui nous a conduits au sommet de l'Hartmasviller, plus importante, si l'on considère le chiffre des effectifs engagés et l'accumulation des moyens réalisés par l'ennemi.

UNE FORTERESSE FORMIDABLE
La crête des Eparges est un long éperon de 1400 mètres, d'une altitude de 346 mètres, qui domine à l'est des Hauts-de-Meuse, l'immense plaine de la Woëvre. Les flancs en sont abrupts et glissants. De nombreuses sources les sillonnent. Il y pleut souvent. C'est une montagne de boue.
Cette montagne est particulièrement importante par sa situation. Qui tient les Eparges voit chez nous, a nos routes sous son feu, nous interdit toute action sur la partie sud-ouest de la Woëvre. C'est pourquoi, s'étant saisis des Eparges, le 21 septembre dernier les Allemands s'y étaient aussitôt formidablement organisés.
Du sommet, ils dominaient les vallées de 70 à 80 mètres de hauteur. Entre le sommet et les vallées, ils avaient installé plusieurs lignes de tranchées. En certains points, cinq étages de feux se superposaient les uns aux autres. Partout ailleurs, il y en avait au moins deux.
Par leurs canons, leurs mitrailleuses et leurs fusils, les Allemands nous condamnaient à l'immobilité tant sur la croupe de Montgirmont (nord des Eparges) que dans les villages du pays bas, les Eparges, Mesnils-sous-les Côtes, Mont-sous-les-Côtes, Bonzée et Tresauvaux.
Pour notre sécurité comme pour le développement ultérieur des opérations, il était indispensable d'enlever la crête, véritable tour de Malaloff dressée aux lisières de la Woévre.

LA PRÉPARATION DE L'ATTAQUE
Le début de notre action offensive nous trouvait à la lisière du village des Eparges, à 600 mètres environ des premières tranchées allemandes, faisant face, par conséquent, aux pentes ouest de la position.
Du plateau de Montgirmont, que nous tenions, nous faisions face aux pentes nord. Entre Montgirmont et ces pentes, un chemin de terre traverse le col qui sépare les deux massifs.
Nous étions obligés d'attaquer d'abord la partie ouest du massif (A). Mais notre attaque ne pouvait avoir de résultat décisif que si nous atteignions aussi le point culminant situé à l'est (D)
Nous ne pouvions, par conséquent, procéder que lentement, car un assaut de vive force sur ces pentes boueuses, hérissées de fortifications, nous eût coûté très cher sans nous rien donner.
Dès la fin d'octobre, pas à pas, à la sape, nous nous rapprochions des tranchées Allemandes de l'ouest. En même temps nous nous infiltrions dans les bois, assez épais, qui, dans la partie nord-est, couvrent les francs d'un ravin creusé au coeur du massif.
Les Allemands, confiants dans la valeur de leur position, nous laissèrent procéder à ces premières approches sans réagir très violemment Mais, par de nouveaux travaux, ils rattachèrent fortement la partie ouest de leurs défenses au point culminant dont ils firent un formidable bastion.
De notre côté, nous perfectionnions nos tranchées, surplombées par les travaux ennemis. On atteignit ainsi la mi-février.

LA BATAILLE DE FÉVRIER
Le 17, nos mines, poussées sous le secteur ouest, y provoquèrent une explosion si formidable que, sans coup férir, nous pûmes nous installer dans la première ligne ennemie. Les Allemands, d'abord surpris, se ressaisirent et, le 18, dévalant les pentes, ils contre-attaquèrent furieusement.
Un combat acharné s'engagea, qui dura jusqu'au 21 au soir, marqué par des contre-attaques violentes de la part de nos adversaires, par des attaques répétées de notre part.
Le 18, dans la journée, nous avions presque tout reperdu de notre gain du 17. Mais le 18 au soir, nous avions tout repris.
Le 19, deux nouvelles sorties des Allemands furent repoussées. Nous tenions la partie ouest (A). Mais l'exiguïté de notre position nous soumettait à une concentration de feux qui la rendait intenable. Il fallait ou reculer ou nous donner de l'air et, sur un front élargi, nous mettre à même de faire plus aisément face aux retours offensifs.
Cette extension fut l'oeuvre des journées du 20 et du 21. Par une attaque brusque, nous débouchions du ravin boisé ci-dessus décrit vers un bois de sapins, qui nous rapprochait du sommet.
La lutte fut sauvage. Le colonel Bacquet, commandant le régiment d'infanterie, chargé de l'attaque, fut blessé mortellement à la tête de ses troupes. Nous ne pûmes pas enlever la totalité du bois de sapins. Mais les Allemands ne purent pas nous en faire sortir.
A la fin de ces cinq jours de combat, la situation était la suivante. Nous tenions tout le bastion ouest et vers le bastion est (point culminant D) nous avions commencé à progresser en enlevant aux Allemands 300 mètres de tranchées.
Nos acquisitions sur ces deux points avaient été aussitôt reliées, face aux défenses ennemies, par des tranchées, des boyaux et des places d'armes. C'était une base pour de nouvelles attaques.
Le renforcement continu des ouvrages ennemis, l'entrée en action de 16 batteries lourdes allemandes disséminées dans la plaine nous renseignaient pleinement sur les difficultés de la tâche qui restait à accomplir.

L'ASSAUT DE MARS
Un nouveau bond en avant fut réalisé à la mi-mars. Une préparation d'artillerie minutieuse et violente y avait préludé.
Le 18 mars, avec trois bataillons, nous reprîmes l'offensive. La première ligne ennemie fut enlevée en partie, notre artillerie ayant, avec un plein succès, interdit aux Allemands de la garnir. Mais, de la deuxième ligne, de violentes contre-attaques débouchèrent aussitôt.
Ce fut le début d'une lutte plus âpre encore que celle de février et qui dura jour et nuit jusqu'au 21 au soir.
A l'issue de cette bataille, notre droite avait gagné 100 mètres seulement. Mais notre gauche, visant le sommet, avait enlevé 350 mètres de tranchées allemandes, en infligeant à l'ennemi des pertes élevées.
Dès ce jour, - les prisonniers furent unanimes à le constater, - nos adversaires, bien que remarquablement braver, eurent le sentiment que la partie était perdue et que la position leur échapperait tôt ou tard.
Une nouvelle division allemande, une division active, la 10e, toute fraîche et recomplétée, vint prendre la suite des opérations ; c'est à elle que devait échoir la tâche ingrate de perdre les Eparges.
Avant d'obtenir le résultat total, un nouvel effort préparatoire va pourtant nous être nécessaire : ce sera l'attaque du 27 mars. Il s'agit toujours de nous rapprocher du sommet.
Un bataillon de chasseurs mène cette fois l'attaque principale. Son commandant et, tous les capitaines de compagnies engagées sont blessés. Mais de plus en plus nous serrons de près le bastion ennemi et ce progrès a une grosse importance.
Nous avions constaté, en effet, dans les précédentes attaques, que les Allemands avaient eu le temps, pendant notre marche d'approche, de quitter avec fusils et mitrailleuses leurs abris de bombardement et de venir par des galeries souterraines garnir leurs parapets bouleversés.
A l'avenir, la zone à parcourir par nos troupes étant sensiblement réduite, cette faculté leur sera interdite.

L'ASSAUT DÉCISIF D'AVRIL
C'est dans ces conditions que, le 5 avril, à 16 heures, nous tentons l'effort décisif. Deux régiments sont engagés. Il s'agit d'enlever la partie de la crête à l'ouest du sommet D et la partie, légèrement descendante, qui s'étend à l'est de ce commet jusqu'à l'extrémité du plateau.
A l'heure prescrite, nos troupes débouchent. Il pleut et le terrain est encore plus impraticable que de coutume. Nos fantassins avancent pourtant sous le feu de l'ennemi, sortant avec effort leurs pieds de la boue où ils enfoncent jusqu'aux cuisses.
Par un corps à corps violent, ils pénètrent et s'installent dans les tranchées allemandes. Le soir, ils en tiennent une partie importante. A l'est seulement, ils ont été arrêtés par les torpilles aériennes, que l'ennemi a lancées sur eux, pulvérisant parfois des rangs entiers avec un seul projectile.
Le 6, à 4 h. 30 du matin, les Allemands contre-attaquent. Les troupes fraîches qu'ils ont amenées se battent admirablement. Nos hommes, sous le feu depuis la veille, résistent, mais finalement reculent. L'affaire est à recommencer.
Elle recommence, en effet, - et le soir même. A l'extrémité est du plateau, nous enlevons une tranchée que nous retournons aussitôt face à l'ennemi. Au centre, nous ne gagnons rien. A l'ouest, nous progressons vers le sommet.

LA CHARGE DANS LA NUIT
Nos magnifiques soldats n'entendent pas en rester là. La nuit, sous la pluie, qui tombe toujours, ils chargent à la baïonnette et pied à pied refoulent les Allemands. Le 7, au matin, trempés, boueux, enlisés, mais victorieux, ils font le compte de leurs gains depuis le 5 : 500 mètres de tranchées et plus de 100 prisonniers, dont plusieurs officiers.
Nous approchons du but : mais nous n'y sommes pas encore. L'ennemi contre-attaque constamment Il est repoussé tantôt par des charges, tantôt par des tirs de barrage.
A 5 heures du matin, le 7, il tente un nouvel effort. Son attaque est fauchée avant d'atteindre nos tranchées. Il arrive alors du village de Combres de gros renforts. Il va de toute évidence contre-attaquer à fond.
Mais alors intervient de nouveau notre artillerie. Dès que les rassemblements sont signalés, elle les prend sous son feu et les empêche en partie de déboucher. Nous ne reculons que sur un point, malgré la violence de l'attaque, la plus forte qu'on eût encore vue.
Nos renforts pourtant ont grand'peine à arriver.
Les boyaux sont effondrés, encombrés, canonnés Il nous faut attendre au lendemain pour continuer l'opération. L'ennemi, qui a reçu un coup sérieux, ne contre-attaque pas de toute la nuit.

NOUS APPROCHONS DU SOMMET
Le 8, dès neuf heures du matin, nous reprenons l'attaque. Deux régiments d'infanterie et un bataillon de chasseurs ont l'ordre d'enlever le sommet. Il pleut toujours. Les culasses sont encrassées. A la baïonnette, par conséquent !
A dix heures, le sommet et la crête à l'ouest sont à nous. Nous poussons sur la crête qui est à l'est du sommet. Partout nous progressons et, sous le feu, nous retournons les tranchées allemandes.
A minuit, après quinze heures ininterrompues d'une lutte furieuse, la presque totalité de la position des Eparges nous appartient. L'ennemi ne tient plus qu'un petit triangle à l'extrémité est (X). Il contre-attaque mollement. Nous avons enlevé quinze cents mètres de tranchées, dont le bastion formidable du sommet (D), qui est la clef de la position.
La nuit du 8 au 9 et la matinée du 9 sont calmes. Nous réussissons à opérer sans incident la relève de nos troupes. Un régiment frais est amené. Pour le mettre, en place, il faut quatorze heures, tant le terrain est impraticable.
C'est à lui qu'est confiée la mission de mettre le point final à notre victoire.

LES ÉPARGES SONT A NOUS
A quinze heures, nous attaquons, le sol est creusé de cuvettes profondes où les hommes disparaissent parfois. La pluie fait rage, ainsi que le vent.
Nos fantassins, précédés par le feu absolument précis de nos canons, avancent pourtant et ils atteignent l'extrémité est du plateau. Mais, à ce moment, une calotte de brouillard s'abat sur les Eparges. Nos canons ne peuvent plus tirer. L'ennemi contre-attaque et nous reculons.
Ce n'est d'ailleurs qu'un recul provisoire. Une demi-heure plus tard, une charge furieuse nous rend la totalité de notre gain. A dix heures du soir, nous tenons tout le massif des Eparges. Notre long effort est couronné de succès. Le 10, l'ennemi, écrasé, ne bouge plus.
Il contre-attaque dans la nuit du 11 au 12. Il est repoussé. Les Eparges sont définitivement perdues pour lui.
Une seule ressource lui reste, et il en use : c'est de débaptiser la crête et de donner son nom aux hauteurs plus au sud qu'il tient et que nous n'avons pas attaquées.
Le grand éperon, qui domine la Woëvre dans toutes les directions, est en notre pouvoir. Nul ne nous en délogera.

L'IMPORTANCE DE NOTRE VICTOIRE
Pour garder cette position, les Allemands n'ont rien négligé. On a vu quelle était la puissance de leur organisation défensive. On a vu qu'à la fin de mars ils ont amené aux Eparges une de leurs meilleures divisons.
Ils y avaient joint cinq bataillons de pionniers, les mitrailleuses de la place de Metz, un grand nombre de lance-bombes de 21 et 24. Leurs abris-cavernes, creusés à loisir, comportaient un chemin de fer à voie étroite, des chambres de repos, un cercle pour les officiers. Leurs renforts échappaient à nos vues. Les nôtres étaient sous le feu de leurs canons, de leurs mitrailleuses, voire même de leurs fusils, et l'on conçoit quelles, étaient pour nous les difficultés du ravitaillement tant en vivres qu'en munitions.
C'étaient là les indices certains d'une volonté arrêtée de tenir tête à toutes nos attaques. Effectivement, nous avons trouvé sur les officiers prisonniers les ordres qui prescrivaient de tenir à tout prix. L'état-major allemand était résolu à tout sacrifier pour garder cette crête maîtresse. Il a fourni le maximum de résistance. Les troupes qu'il a engagées ont eu une conduite magnifique. Pour s'assurer de leur fermeté, rien n'a été négligé, et pour éviter aux mitrailleurs la tentation de cesser le feu, on est allé jusqu'à les enchaîner à leurs pièces. Malgré tout, nous avons été vainqueurs.
La nature des choses pourtant favorisait singulièrement la résistance allemande. Pentes abruptes, sol détrempé opposaient à nos attaques le plus redoutable des obstacles. Nous avons eu des hommes non blessés noyés dans la boue. Quant aux blessés, beaucoup n'ont pu être sauvés à temps de la fondrière où ils étaient tombés. Les obusiers et les lance-torpilles allemands nous visaient à coup sûr, puisque l'ennemi tenait les sommets. Malgré tout, nous avons été vainqueurs.
Il y a deux mois, les Allemands, des Eparges, voyaient chez nous. Désormais, nous voyons chez eux. La hauteur même de Combres, qu'ils tiennent, est réduite à l'état d'îlot entre nos mitrailleuses des Eparges et de Saint-Rémy. Et nous avons obtenu ce résultat en infligeant à l'ennemi des pertes doubles que celles que nous avons subies.
Qu'est-ce à dire, sinon que la victoire des Eparges démontre, après tant d'autres, la supériorité croissante de notre armée ?
Nous attaquons ; l'ennemi se défend. Il tient les hauteurs ; nous les lui enlevons. Il a l'avantage de la position ; nous le chassons de ses tranchées.
Quand on a vécu ces combats, on sait, que notre triomphe est sûr et qu'il a déjà commencé. Cette certitude est le plus bel hommage que la France reconnaissante puisse offrir aux morts héroïques des Eparges.
(Journal Officiel).

(à suivre)

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