La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande Guerre
LA VIE EN LORRAINE
JANVIER 1915
L'Est Républicain NANCY
Au mois de janvier le mauvais temps gêne les
opérations. Cependant les Allemands s'efforcent
entre la Moselle et la Meuse, et persistent dans
leur vaine tentative d'encerclement de Verdun. Ils
réussissent à ramener de 1,800 mètres notre front du
côté de Soissons. Là s'arrête définitivement leur
souffle.
Pour nous, nous occupons Steinbach en Alsace. Nos
avions bombardent Metz, et nous nous décidons à
publier le premier rapport sur les atrocités
allemandes.
Les Taubes viennent de temps en temps sur Nancy sans
faire grand mal.
Les Zeppelins vont maintenant tuer des femmes et des
enfants sur les côtes anglaises, pendant que nos
amis Anglais, en un combat naval, mettent en fuite
les navires allemands et coulent le Blücher.
Janvier 1915 est le mois où l'espérance s'ajoute à
la foi. S'il n'est pas d'une activité décisive, il
montre que notre résistance est à l'épreuve de la
fureur germaine.
René MERCIER.
L'AN NOUVEAU
Voici l'an 1914 passé. Il emporte avec lui bien des
deuils, bien des ruines, bien des désastres.
Mais on ne saurait rien lui reprocher. Avec la
guerre il nous a donné l'union nationale, et a
développé la conscience de notre valeur morale. Il a
montré à nos ennemis étonnés, à l'univers surpris de
quelle volonté sont formées les âmes françaises,
d'apparence frivole, et quelle énergie enferment ces
corps que l'on croyait frêles.
L'an 1914 nous a donné l'orgueil du nom français.
Qu'il soit loué.
L'an 1915 est là, qui nous apportera bien des
douleurs nouvelles.
Qu'il soit béni quand même. Il nous délivrera de
l'invasion allemande. Il portera à la vanité
germaine exaspérée le coup mortel. Il offrira au
monde entier la paix idéale dans la joie de la
liberté reconquise.
L'an 1914 nous a donné une guerre qui nous a relevés
à nos yeux et aux yeux de tous.
L'an 1915 nous donnera et donnera à nos enfants une
paix à jamais glorieuse qui mettra la force au
service du droit.
Aux amis soldats dans les tranchées, sur les voies,
dans les bois et dans les villes, aux amis civils
qui, sous la menace des obus et des bombes, dans les
champs ou aux ateliers travaillent à l'éternel
renouvellement de la vie nationale, l'Est
républicain souhaite une année heureuse.
L'an 1915 ne sera point à son terme que notre
souhait sera réalisé.
Vive l'an nouveau l
RENÉ MERCIER.
LA CORRESPONDANCE AVEC L'ALSACE
Liste des localités pour lesquelles la
correspondance peut être acheminée via Dannemarie au
tarif intérieur français : 0 fr. 10. Service
organisé depuis le 6 octobre 1914 :
Altenach, Ballersdorff, Balschwiller, Bellemagny,
Brechaumont, Bretten, Butwiller,
Chavanne-sur-l'Etang, Dannemarie, Dieffmatten,
Eglingen, Elbach, Eteimbes, Fackwiller, Friesen,
Fulleren, Guildwiller, Commersdorff, Guevenatten,
Hagenbach, Hecken, Hindlingen, Largitzen, Lutran,
Magny, Manspach, Merzen, Montreux-Jeune,
Montreux-Vieux, Pfetterhausen, Reitzwiller, Romagny,
Saint-Cosme, Saint-Ulrich, Seppois-le-Bas, Seppois-leHaut,
Sternenberg, Struh, Traubach-le-Bas. Traubach-le-Haut,
Uberkummen, Uberstrass, Valdieu, Wolfersdorf.
UNE SEMAINE DE GUERRE
du 16 au 24 décembre
Cette période a précisé et accentué les résultats
précédents. Nous avons réduit partout l'ennemi à la
défensive. Ses échecs pour la reprise du terrain
perdu confirment nos avantages, et sur plusieurs
parties du front nous avons pris plusieurs points
d'appui importants.
De la mer à la Lys. - Dans la boue.
Les opérations au nord de la Lys ont été très dures.
La boue envahit les culasses et rend le tir
impossible. Nos soldats sont des blocs de boue.
On a organisé pour eux, à la sortie des tranchées,
des services de bains, de changement de linge.
Leur inaltérable bonne humeur supporte
merveilleusement l'existence rude infligée par
l'hiver.
Avant Nieuport, nous avons progressé sur les dunes.
Le 15 décembre, nous avons débouché de Nieuport
jusqu'à la lisière de Lombaërtzyde.
Le 16 décembre, nous avons poussé jusqu'à la mer, et
occupé le phare. Nous avons fait plus de cent
prisonniers. Les jours suivants, nous avons gagné
près de 400 mètres, que nous avons conservés, malgré
les contre-attaques de l'ennemi.
Au nord- d'Ypres, la lutte se concentre près de
Steenstraete-Bixschoote, autour du cabaret Korteker.
Nous avons pris plusieurs tranchées, quatre
mitrailleuses, fait 150 prisonniers et gagné plus de
700 mètres.
Au sud d'Ypres, nous avons gagné 400 mètres le 16
décembre. Les jours suivants, nous avons pris deux
mitrailleuses, des caissons et plusieurs groupes de
maisons, malgré les difficultés du terrain, car il
faut combattre dans l'eau.
De la Lys à l'Oise.
Au nord de Lens, dans la région de Vermelles-Notre-Dame
de Consolation nous avons progressé de 950 mètres.
Nous sommes arrivés à la bifurcation des chemins de
Loos-Le Rutoire-Vermelles, le 20 décembre, aux
premières lignes des tranchées de l'ennemi qui
essaie inutilement de déboucher de Carency. Carency
reste entre ses mains.
Aux portes d'Arras, nous avons attaqué et gagné du
terrain à Saint-Laurent-de-Blanzy. Nous avons fait
exploser un dépôt de munitions à Tholus, et
plusieurs canons à l'est de Blanzy.
Entre Arras et Noyon, les principales actions ont eu
lieu à Ovillers, La Boisselle, Mametz, Carnoy,
Maricourt et Lihons.
Du 17 au 19 décembre, nous avons enlevé le cimetière
de La Boisselle, les tranchées de première ligne de
Maricourt.
Nous avions atteint la lisière sud de Mametz. Le 14
décembre, nous tenons toute la partie sud de La
Boisselle, en prenant 80 prisonniers et une
mitrailleuse.
Nous' repoussons, le 11 décembre, les
contre-attaques allemandes près de Carnoy.
Notre artillerie détruit les tranchées allemandes au
nord-est de Camoy. Elle démolit deux mitrailleuses.
Le lendemain, elle démolit deux pièces allemandes
qui étaient en batterie près de Hem.
Dans la région de Lihons, nous avons pris des
tranchées que nous avons dû défendre contre de
furieuses contre-attaques, notamment le 19 décembre,
où nous avons fauché des colonnes allemandes par
quatre.
Entre l'Oise et l'Aisne.
Entre l'Oise et l'Aisne, notre artillerie a détruit
les mitrailleuses d'un observatoire, près de
Tracy-le-Val, et une barricade dans la région de
Vally. Elle a démoli plusieurs pièces, descendu des
ballons captifs, et bouleversé les tranchées
ennemies sur le plateau de Mouvion.
Notre infanterie a réalisé des progrès incessants
dans la région de Nampcel-Puisaleine, en enlevant
des tranchées ennemies, en prenant des
mitrailleuses, en repoussant des contre-attaques à
la baïonnette.
Au sud de Laon, à Craonne et dans la région de
Reims, des combats d'artillerie marquent la dernière
semaine. L'ennemi n'a pas réussi, malgré une dépense
double de projectiles, à enlever son avantage à
notre artillerie lourde.
Nous avons détruit des abris pour mitrailleuses et
des redoutes, près de la sucrerie de Troyon et aux
carrières de Beaulne, ainsi qu'un bastion sur le
plateau de Vauclerc.
Nous avons dispersé des rassemblements ennemis dans
la vallée de Suippes. Nous avons bouleversé les
tranchées allemandes près de la ferme Boursant.
Nos pertes en infanterie ont diminué.
Entre Reims et Argonne.
Nos attaques n'ont pas permis à l'ennemi de
reconquérir ses positions perdues du 15 au 24. Entre
Saint-Hilaire-le-Grand et Beauséjour, nous avons
gagné 1.000 mètres des tranchées et ce gain
s'étendit à un kilomètre et demi dans la région de
Perthes, où nous avons enlevé plusieurs blockhaus,
une section de mitrailleuses avec son personnel, des
caisses de munitions, des projecteurs, des canons
sous coupole.
Nos gains à Mesnil-les-Hurlus complètent les progrès
à Perthes.
De l'Argonne à la Frontière suisse.
De l'ouest de l'Argonne à la frontière suisse, nous
avons ramené en arrière l'ennemi, qui avait réussi à
faire exploser une de nos tranchées, le 17 décembre.
Au bois de la Grurie et au bois Bolante, à diverses
reprises, nous avons fait exploser des mines
allemandes.
Nous avons démoli des mitrailleuses, des abris
blindés, et pris des pare-balles et du matériel.
De l'ouest de l'Argonne aux Hauts-de-Meuse, le
succès a couronné souvent notre activité. Notre
artillerie lourde a endommagé fortement l'artillerie
ennemie, dont elle a détruit diverses batteries, au
nord-est de Saint-Mihiel et près de Béthincourt.
Notre infanterie a attaqué surtout dans la région
Boureuilles-Cuisy, Culey-Bois des Forges et bois de
Consenvoye. Nous avons pris le village de
Boureuilles. Nous avons dû l'abandonner et nous en
avons repris les lisières. Ailleurs, nous avons
progressé de 100 à 300 mètres.
Entre Meuse et Moselle, progression lente, mais
continue, dans la forêt d'Apremont et au bois Le
Prêtre.
Il convient d'enregistrer aussi plusieurs succès, de
notre artillerie dans les Vosges. Nous avons gagné
250 mètres dans le Bande-Sapt. Nous avons maintenu
partout les gains de la semaine précédente, et nous
sommes arrivés à 1.500 mètres de Cirey.
La guerre aérienne.
Malgré l'extrême difficulté résultant du mauvais
temps, nos avions et nos dirigeables ont lancé 15
obus, le 17 décembre, sur Sarrebourg, six sur la
gare de Petit-Eich, cinq obus et mille fléchettes
sur un train en gare de Herming.
Les Allemands reconnaissent des dégâts importants.
Nos avions, à diverses reprises, du 18 au 22
décembre, ont pourchassé les appareils allemands et
les ont forcés à atterrir. Plusieurs avions ont
lancé, avec succès, bombes et fléchettes sur des
tranchées et des rassemblements, des gares et des
trains.
Le 21 décembre, ils en ont lancé sur un ballon
captif, le. 22 sur le port de Strasbourg et la gare
de Dieuze.
Le prince de Teck a remercié vivement le chef de
l'escadrille qui a opéré sur la côte allemande avec
l'escadre anglaise.
L'escadrille a contribué à régler le tir des navires
et elle a surveillé les sous-marins ennemis.
LA LUTTE DE TRANCHÉE A TRANCHÉE
Nous sommes à Steinbach
Bordeaux, 31 décembre, 15 h. 45.
De la mer jusqu'à l'Aisne, journée à peu près calme.
Duel d'artillerie sur quelques points du front.
En Champagne, à l'ouest de la ferme d'Alger (nord de
Sillery, secteur de Reims), l'ennemi a, dans la
nuit, fait sauter deux de nos tranchées et a lancé
contre elles une attaque qui a été repoussée.
Au nord de Mesnil-les-Hurlus, nous avons conquis des
éléments de la seconde ligne de défense ennemie.
Dans la même région, au nord de la ferme de
Beauséjour, nous avons également enlevé des
tranchées. L'ennemi a contre-attaqué, mais il a été
repoussé, et, reprenant à notre tour l'offensive,
nous avons de nouveau gagné du terrain.
Dans la même zone et plus à l'est, des forces
allemandes qui s'avançaient pour nous
contre-attaquer ont été prises sous le feu de notre
artillerie et dispersées.
En Argonne, vers Fontaine-Madame, nous avons, en
faisant sauter une mine et en occupant l'excavation,
réalisé un léger progrès.
Entre Meuse et Moselle, dans la région du bois de
Mortmare, cent cinquante mètres environ de tranchées
allemandes sont tombées entre nos mains.
En Haute-Alsace, nos troupes sont entrées dans
Steinbach et ont enlevé la moitié du village, maison
par maison.
SUCCÈS SUR LA MEUSE & A STEINBACH
Paris, 1er janvier, 0 h. 25.
Voici le communiqué officiel du 31 décembre, 23
heures :
Hier soir, une attaque de l'ennemi, qui essayait,
après une vive fusillade, de déboucher du bois de
Forges, sur la rive gauche de la Meuse, a été
immédiatement refoulée.
Les positions conquises par nos troupes dans
Steinbach ont été maintenues et nous continuons à y
attaquer celles de l'ennemi.
Du reste du front, ne nous est parvenu aucun
renseignement qui mérite d'être signalé.
LES DÉGATS DANS LE TOULOIS
Toul, 1er janvier 1915.
Les villages au nord de Toul, maintenant occupés par
les soldats français, sont en partie détruits ; leur
territoire, coupé en divers sens par des tranchées,
recèle de nombreux obus non éclatés, ce qui en
rendra la culture difficile et dangereuse : leurs
habitants ont abandonné leurs maisons pillées par
les Allemands ou par des gens qu'il faudra
rechercher après les hostilités.
A Seicheprey, il ne reste qu'une maison et une
partie de l'église ; à Flirey, des quartiers de
maisons sont complètement détruits ; le clocher,
fortement ébréché, menace ruine.
A Limey, dont une trentaine d'habitants, qui
n'avaient pas fui, ont été emmenés prisonniers, les
trois quarts des maisons sont brûlées ou renversées
; l'église est à peu près intacte.
A Lironville, la plupart des maisons qui restent
menacent ruine.
A Mamey, beaucoup de maisons démolies ; église et
clocher méconnaissables ; quelques habitants qui
s'étaient enfuis, le 5 septembre, sont rentrés vers
la fin d'octobre.
A Rogéville, plusieurs maisons démolies, d'autres
brûlées ; l'église est endommagée.
A Beaumont, le beau clocher qui s'apercevait de si
loin est par terre et une vingtaine de maisons
démolies.
A Mandres, une quarantaine de maisons sont brûlées.
VIOLENTS COMBATS ENTRE MEUSE ET MOSELLE
Les gares de Metz et d'Arnaville bombardées par nos
avions
Bordeaux, 1er janvier, 16 heures.
De la mer jusqu'à Reims, il n'y a eu presque
exclusivement que des combats d'artillerie.
L'ennemi a bombardé, sans résultats, le village de
Saint-Georges et la tête de pont organisée par les
Belges au sud de Dixmude.
Vive canonnade, résolue à notre avantage, entre La
Bassée et Carency ; entre Albert et Rove, dans la
région de Verneuil e: de Blanc-Sablon (près de
Craonnelle) Sur ces derniers points, nous avons en
outre démoli des ouvrages allemands.
Dans la région de Perthes et de Beauséjour, nous
avons maintenu nos gains du 11 décembre. L'activité
des deux artilleries opposées a été ininterrompue
pendant toute la journée du 31.
En Argonne, l'ennemi a très violemment attaqué dans
le bois de la Grurie, sur presque tout le front. Il
a gagné sur certains points une cinquantaine de
mètres mais il a été aussitôt contre-attaqué.
Dans la région de Verdun, violents combats
d'artillerie.
Entre Meuse et Moselle, au nord-ouest de Flirey, les
Allemands ont exécuté, dans la nuit du 30 au 31 et
dans la matinée du 31, six violentes contre-attaques
pour reprendre les tranchées conquises par nous le
30. Toutes ces contre-attaques ont été brillamment
repoussées.
Nos avions ont bombardé, de nuit, les gares de Metz
et d'Arnaville.
Nous continuons à progresser pied à pied dans
Steinbach.
L'artillerie ennemie a montré, dans la matinée du
31, une grande activité, mais dans l'après-midi, nos
batteries ont pris nettement l'avantage.
Paris, 2 janvier, 1 h. 35.
Le communiqué du 1er janvier, 23 heures dit qu'on
n'a pas encore de nouvelles des opérations de la
journée.
UN TAUBE ABATTU
Nancy, 2 janvier 1915.
On assure de source sérieuse que nos aviateurs ont
réussi, mercredi après midi, à abattre un « taube »
qui s'apprêtait à lancer des bombes sur Nancy.
Le « taube » se serait abattu un peu avant
d'atteindre la Seille.
UN PASSIONNANT ÉPISODE DE LA GUERRE AÉRIENNE
Nancy, 2 janvier 1915.
Les Nancéiens ont assisté, hier, au spectacle
émouvant d'un « taube » harcelé, traqué, poursuivi à
la fois par la canonnade et par un avion de notre
escadrille de couverture.
Il était exactement midi. Nos rues centrales
présentaient une grande animation. Beaucoup de
consommateurs dans les cafés. Foule aux stations de
tramways. Les conversations s'échangeaient
naturellement sur les visites possibles, les
éventuelles randonnées des « taube » et des «
zeppelin » à l'occasion du Nouvel-An.
On s'accordait généralement à pronostiquer qu'en
guise d'étrennes les Boches nous enverraient leurs
cadeaux sous la forme qu'ont prise leurs souvenirs
d'un « joyeux Noël », l'autre semaine.
Soudain la silhouette d'un biplan se dessina sur le
ciel gris, là-haut, avec la netteté d'une image sur
un écran.
Allemand ou français ? Les avis se partagèrent. Pas
longtemps. En moins de deux minutes, tout le monde
se mettait d'accord pour reconnaître qu'un appareil
allemand piquait droit sur Nancy, se maintenant à
une altitude d'environ quinze cents mètres, luttant
contre une assez forte brise du sud-ouest.
Comme les gardes d'Hippolyte, les curieux, sans
s'armer d'un courage inutile, dans les
établissements voisins ou sous un store cherchent
alors un asile. Des agents dispersent les rares
attroupements, prodiguant leurs avis prudents.
Mais, soudain, voici qu'un léger flocon se forme non
loin de l'oiseau de mauvais augure. Une fusée
éclate. La foule applaudit. C'est le signal d'un
combat dans les airs et un spectacle nouveau va
s'offrir à tous les yeux.
Bientôt, huit, dix, douze petits nuages semblent «
encadrer » le taube. Celui-ci continue sa marche. A
peine une très faible oscillation indique-t-elle que
son pilote a senti passer le vent du boulet et
qu'une inquiétude paralyse sa manoeuvre.
Le canon tonne toujours ; il salue convenablement
notre hôte. Les coups se succèdent à de courts
intervalles ; ils « tapent » en arrière, assez près
pour augmenter l'émotion qui s'est emparée du public
et qui se manifeste en hurras, en exclamations où
insiste le conseil de rectifier le tir, comme si nos
artilleurs; là-bas, pouvaient l'entendre :
« Plus à droite... Ah ! sapristi ! il s'en est fallu
d'une dizaine de mètres. Vous allez voir, ils feront
une « mouche » au prochain coup... Braves
artilleurs... Vlan, ils l'ont placé trop à gauche,
maintenant... On le descendra à la frontière. Tenez,
il vire dans la direction de Moncel... »
Les techniciens affirment que, pour abattre un
avion, les canons ne peuvent compter que sur la
veine. ; mais ce n'est pas l'opinion, parait-il, des
aviateurs boches, dont la confiance en cette
définition s'atténue par la crainte de nos pièces
aux explosions rapides et sûres. On se croirait, ma
foi, au tir aux pigeons sur la terrasse de
Monte-Carlo.
La cible se déplace. Le taube évolue sur l'aile
gauche. A ce moment, il domine le quartier des
Trois-Maisons. Va-t-il lancer des bombes ? Non. Il
gagne de la hauteur, prononce son virage vers l'est,
dans le moment même où, à l'autre bout de l'horizon,
s'élève un des avions de notre escadrille de
couverture.
Les détonations de l'artillerie s'éloignent ; elles
annoncent que, de Nancy jusqu'à la Seille, les
postes ont fait à l'oiseau de mauvais augure un
accueil si empressé qu'on lui enlèvera sans doute
pour longtemps le désir de nous rendre une nouvelle
visite.
Les témoins de cette scène émouvante retournent à
leur apéritif, escaladent la plate-forme des cars,
ou gagnent tranquillement à pied leur domicile, avec
l'assurance, cette fois, que Nancy possède des
moyens de défense immédiate et vigoureuse.
LES TAUBES
dans les Vosges
Paris, 2 janvier, 17 h. 05.
Remiremont. - Un taube a survolé Bruyères. Il a
lancé quelques bombes qui n'ont causé aucun dégât.
Un autre taube, qui survolait Dounoux, a été
canonné.
ÉTRENNES AU CANON
Notre BAIONNETTE à l'oeUVRE
en Lorraine et Alsace
Bordeaux, 2 janvier, 16 heures.
Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, l'ennemi
a prononcé sur de nombreux points du front des
attaques qui ont été facilement repoussées.
La région au nord de la Lys a été, dans la journée
du 1er janvier, le théâtre d'un combat d'artillerie
particulièrement vif, sur les dunes, à Nieuport et à
Zonnebeke.
A Saint-Georges, l'ennemi n'a pas continué à
contre-attaquer et tous nos gains ont été maintenus.
Dans toute la région d'Arras, d'Albert et de Roye,
duel d'artillerie. L'ennemi nous a fait sauter deux
caissons entre Beaumetz et Achicourt. Nous avons, en
revanche, bouleversé ses tranchées de Parvillers et
de La Boisselle, et éteint le feu des Minenwerfer
(lance-mines), établis devant Fricourt.
Notre artillerie a obtenu également des résultats
heureux dans la région de l'Aisne, où elle a fait
taire l'artillerie ennemie et dispersé plusieurs
rassemblements.
Nous nous sommes installés sur Le plateau de
Nouvron, dans les excavations produites par des
explosions de mines. Les Allemands n'ont pu nous y
devancer ni nous en chasser. Toutes leurs
contre-attaques ont été repoussées.
La région de Reims a été assez violemment bombardée
par l'ennemi.
Dans la région de Perthes, nous avons enlevé et
conservé un bois, à deux kilomètres au nord-est de
Mesnil-les-Hurlus ; l'ennemi n'a pas contre-attaqué.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, le
fléchissement local signalé hier n'a pas eu de
suites ; nous avons regagné une partie du terrain
perdu et nous tenons fortement nos positions.
Sur les Hauts-de-Meuse, combats d'artillerie sans
grande intensité.
En Woëvre, nous avons conservé les positions gagnées
le 30 décembre, sans que l'ennemi ait contre-attaqué
et nous avons marqué, dans le bois Le-Prêtre, une
légère progression.
Dans les Vosges, nous avons repoussé une attaque
allemande à Bréménil (3 kilomètres nord-est de
Badonviller), et infligé à l'ennemi de fortes
pertes.
L'ennemi a fait également de grosses pertes à
Steinbach, où notre infanterie a enlevé, hier, trois
nouvelles lignes de maisons.
Paris, 3 janvier, 0 h. 52.
Communiqué officiel du 2 janvier, 23 heures : Pas
d'autres faits notables à signaler qu'une fusillade
nourrie, la nuit dernière, contre nos tranchées, à
l'est de Vermeilles, et dans la région nord de
Chaulnes, ainsi qu'une attaque allemande, sans
succès, à l'ouest du bois de Consenvoye.
LES BOMBARDEMENTS
Commercy, 3 janvier 1915.
On lit dans le Bulletin Meusien, organe des réfugiés
et des évacués meusiens : Le bombardement de
Commercy a commencé le 13 décembre, à à heures et
demie.
Le bombardement a duré environ une heure. La foule
très considérable qui était à l'église, a été saisie
d'une certaine panique.
Non loin de la gare, dans la rue, une bombe a tué
sur le coup une femme qui revenait des vêpres. Le
mari de cette femme, M. Posty, a été grièvement
blessé dans sa maison, non loin de sa femme.
Mais, à peine arrivée à l'hôpital, la victime
rendait le dernier soupir.
On estime à 80.000 francs les dégâts occasionnés par
ce bombardement.
Vendredi 18, vers 2 heures et demie, et dimanche 20,
à 11 heures, les bombes ont de nouveau fait leur
apparition : une est tombée le vendredi et deux le
dimanche.
Mais les canons allemands, repérés par les avions
français, ont été vite réduits au silence par notre
artillerie.
LA RECONSTRUCTION DES VILLAGES LORRAINS
Nancy, 3 janvier 1915.
IV
Le Comité des réfugiés de Meurthe-et-Moselle,
utilisant les moyens de fortune, proportionnés aux
faibles crédits mis à sa disposition, a réintégré
dans deux ou trois villages quelques ruraux en les
abritant en commun dans les habitations
partiellement réparables, dont on a réfectionné les.
toitures, calfeutré les brèches et remplacé les
carreaux cassés.
Ces réparations hâtives permettent-elles vraiment le
retour définitif à la terre ?
En réalité, on a ainsi logé des gardiens de ruines,
sans abriter les animaux et le, matériel nécessaires
à la reprise de la vie normale du cultivateur.
Les dépenses en résultant ne seront points
finalement profitables, car si l'on veut traiter
avec la même équité toutes les victimes de la
guerre, on ne pourra laisser subsister ces
réparations sommaires en face de maisons réédifiées
sur des plans étudiés, sans provoquer des
récriminations justifiées.
C'est pour éviter ces errements que nous avons
estimé qu'il y avait lieu, tout d'abord, de
construire des abris provisoires assez vastes pour
permettre le retour au village de tous les
habitants. Ces abris, pour être efficaces et ne
point causer une dépense onéreuse et finalement
inutile, doivent être étudiés avec la préoccupation
de procurer aux intéressés une vie en commun
supportable, d'abriter, dans d'autres, les animaux
et le matériel nécessaires, et de pouvoir ensuite
les utiliser collectivement pour y conserver les
récoltes, etc.
D'où la nécessité de camper ces abris sur des
emplacements non compris dans la zone de
reconstruction ou d'agrandissement du village, si
l'on veut procéder rationnellement à sa
réédification définitive. Il convient en outre de
procéder, dès que possible. à la construction de ces
abris pour permettre la réintégration totale des
réfugiés, dont l'oisiveté actuelle émousse les
qualités d'énergie et de prévoyance, et chez
lesquels ce séjour prolongé dans la ville peut
susciter des besoins factices qui les inciteront à
déserter la campagne.
Ces abris constitués, on aura le temps nécessaire
pour étudier le plan d'ensemble avec le souci de
conserver tous les vestiges dignes d'être restaurés.
Il est évident, par exemple, que l'on ne songera
point à déplacer l'église, mais on devra dégager et
assainir ses contours, transférer le cimetière, y
attenant, en dehors de la commune ; réserver une
place, plantée d'arbres, utilisable les jours de
fête et autour de laquelle devront être prévus les
nouveaux bâtiments communaux.
Dans l'étude particulière des maisons, on évitera
les inconvénients actuels ; on décongestionnera les
constructions enchevêtrées maladroitement, pour les
doter d'air, de lumière, en assurer l'hygiène, voire
même la propreté. Chacune d'elles devra être conçue
pour sa véritable destination ; la maison du petit
cultivateur est différente de celle du gros fermier.
Ce n'est point non plus faire acte de fantaisie que
de prévoir une disposition de locaux différente pour
le charron, le marchand détaillant, l'aubergiste,
etc.
Mais, à tous, on peut imposer qu'ils n'encombrent
plus la voie publique avec leurs voitures, leur
matériel et surtout leurs fumiers, en prévoyant, en
conséquence l'aménagement des habitations.
Ces modifications n'empêcheront pas de conserver la
tradition lorraine, de l'agrémenter même de ces
petits riens, inspirés par un sentiment d'art
sobrement traité, qui font le charme du logis. Mais
gardons-nous de dénaturer nos villages en
constituant de mornes corons et des damiers de
maisons ouvrières ou démontables.
Il n'est point prématuré de provoquer dès maintenant
le concours des bonnes volontés, pour élaborer un
plan mûri dont la réalisation permettra, avec une
dépense moindre, d'améliorer incontestablement les
conditions d'existence de nos populations rurales.
PAUL CHARBONNIER.
MAURICE GRUHIER.
LA DEMI-TRÊVE DU MAUVAIS TEMPS
Le canon maintient le contact
Bordeaux, 3 janvier, 15 h. 45.
Pendant la journée du 2, nous avons conservé, au
nord de la Lys, les positions gagnées les jours
précédents. L'ennemi n'a montré d'activité que dans
la région de Zonnebecke, qu'il a bombardée assez
violemment.
De la Lys à Arras, calme presque complet.
Combats d'artillerie dans la région d'Albert et de
Roye. Notre infanterie a progressé de 500 mètres
près de La Boisselle.
De l'Oise à la Meuse, sur le plateau de Touvent,
notre artillerie lourde a démoli divers ouvrages
d'où l'ennemi gênait nos travailleurs.
Vifs combats d'artillerie à l'ouest et à l'est de
Craonne.
Près de Perthes-les-Hurlus, nous avons progressé de
300 mètres.
Près de Beauséjour, combats d'infanterie où nous
avons infligé de fortes pertes à l'ennemi.
Les Allemands ont, dans le bois le La Grurie,
prononcé deux attaques sans succès.
Sur toute cette partie du front, l'artillerie a
montré, de part et d'autre, une grande activité.
Dans la région de Verdun et sur les Hauts-de-Meuse,
duel d'artillerie.
Nous avons gagné encore un peu de terrain dans le
bois Le Bouchot, au nord-est de Troyon, et dans le
bois Le-Prêtre, au nord-ouest de Pont-à-Mousson.
Dans les Vosges, nous avons occupé une tranchée
ennemie, près de Celles-surPlaine.
Combats d'artillerie dans le Ban-de-Sapt et dans la
vallée de la Fave.
En Haute-Alsace, nos gains antérieurs dans la région
de Thann ont été maintenus. Nous avons bombardé un
train allemand en gare de Altkirch et opéré des
destructions sur la voie ferrée, entre Carspach et
Dierspach, au sud-ouest d'Altkirch.
D'une manière générale, le ralentissement sensible
que l'on peut constater dans notre activité
offensive doit être attribué aux pluies incessantes
qui, détrempant le sol, rendent partout les
opérations à peu près impossibles.
Paris, 4 janvier, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 3 janvier, 23 heures
: Aux dernières nouvelles aucune modification n'est
signalée dans la situation.
Le temps continue à être très mauvais sur presque
tout le front.
NOTRE RAlD AÉRIEN
Sur SARREBOURG
On lit dans la Gazette de Lausanne:
« Au sujet du raid des aviateurs français à
Sarrebourg, on apprend que l'attaque a eu lieu au
milieu de la nuit. Deux aviateurs français ont lancé
douze bombes qui ont causé, des dégâts importants.
Trois personnes ont succombé à leurs blessures. Un
uhlan a été tué sur le coup par un éclat de bombe.
Les dégâts matériels sont considérables. Près de
l'église catholique, une bombe a fait voler en
éclats toutes les vitrines des magasins dans un
rayon de 50 mètres. D'autres bombes ont endommagé
divers édifices. La maison du commandant du 15e
uhlans a été également atteinte par un projectile
qui a démoli une chambre et un balcon. Les dommages
les plus considérables ont été causés près de la
place du Marché. »
SECOND TAUBE ABATTU
Nancy, 4 janvier 1915.
Le « Taube » qui, Jeudi à midi, fut salué de façon
si magistrale à Nancy, n'aurait pas pu regagner la
frontière. On annonce, en effet, de bonne source.
qu'il a été abattu du côté d'Amance.
LA PROTECTION DE NANCY
Nancy, 4 janvier 1915.
M. le Maire de Nancy a adressé, le 30 décembre, une
lettre à M. le Général commandant la ...e armée, qui
lui a répondu en ces termes :
« Monsieur le Maire, Je tiens à vous dire que je
n'ai pas attendu votre lettre du 31 décembre pour
prendre des mesures de nature à protéger la ville de
Nancy contre de nouvelles attaques des aéronefs
allemands.
« Peut-être avez-vous pu déjà vous rendre compte que
cette protection existait et même, en relisant les
communiqués officiels à la presse, notamment celui
du 27 décembre, que la riposte s'associait à la
parade.
« J'espère que ces mesures seront efficaces autant
qu'il est possible de protéger une ville ouverte
contre les engins modernes au service d'un
adversaire sans scrupules.
« Le Général commandant la ...e armée. »
LES NOUVELLES DU PAYS MEUSIEN
Voici les nouvelles que le « Bulletin Meusien »,
organe des réfugiés de la Meuse, donne du pays
meusien :
Koeur-la-Grande. - Cinq nouvelles maisons ont été
incendiées, depuis quelque temps déjà, dans la rue
du Four.
Mogeville. - Le 13 octobre dernier, vers onze heures
du matin, quelques cyclistes allemands arrosèrent
les maisons de matières inflammables, y mirent le
feu et, en un rien de temps, tout fut consumé. Ils
restèrent là jusqu'à quatre heures du soir, et de
temps en temps jetaient des grenades sur certaines
maisons pour en activer les flammes. La mairie,
l'école, le clocher de l'église, rien ne fut
épargné.
Une douzaine de personnes du village qui étaient
encore là à onze heures se sauvèrent éperdues. M.
Trisson et sa femme, seuls, restèrent au pays et,
dans l'après-midi, furent enlevés par les vandales
et dirigés d'abord sur la ferme de l'Epine.
Depuis, on ne sait ce qu'est devenu M. Trisson.
Quant à sa femme, elle est allée à
Vaux-devant-Damloup, car elle a été mise en liberté,
après avoir fait quelques centaines de mètres, nos
ennemis trouvant qu'elle ne marchait pas assez vite.
Maucourt. - Le même jour, la majeure partie du
village de Maucourt subit le même sort que
Mogeville. Tout est brûlé aussi, à l'exception d'une
dizaine de maisons. Une huitaine avant, entre dix et
onze heures du soir, les Allemands avaient enlevé
toutes les personnes qui y restaient et les avaient
emmenées en Saxe. Voici les noms : Mme et Mlle
Willemin, Mme Em. Couquaux, Mme Marchal et ses trois
enfants, Mme Bertrand, âgée de plus de 80 ans, Mlles
Marie et Mathilde Bertrand, M. et Mme Delavaux, Mme
Prot et ses enfants, Mme Trouslard, MM. Lelorrain,
Chenet, Colin, Févrot (ces deux derniers vieillards
de plus de 75 ans).
Mécrin et Lérouville. - ESPlONS. - Nous avons
signalé récemment l'exécution de deux habitants de
Mécrin, condamnés pour espionnage par le conseil de
guerre.
Deux autres condamnés attendent leur sort définitif
: le premier, aussi habitant Mécrin, qui a bénéficié
d'un recours en grâce, signé par le conseil, sera
sans doute l'objet d'une commutation de peine. Le
second, nommé E., sujet d'un pays neutre, quoique
habitant Lérouville depuis une trentaine d'années au
moins, semble devoir être amené un de ces jours
devant le peloton d'exécution.
Commercy. - Les Eparges. - VICTIMES DE LA GUERRE. -
Mme Philomène Roton, épouser Brizion, des Eparges, a
été atteinte mortellement, ainsi que ses trois
jeunes enfants, d'un obus à Mesnil-sous-les-Côtes.
Elle est morte le lendemain à l'hôpital de Verdun.
Haudiomont et Manheulles qui, jusquelà, n'avaient
pas trop souffert, sont bombardés fréquemment.
Buxières. - Buxières n'a que peu souffert du
bombardement du 20 septembre.
Les Allemands qui l'occupèrent le 20 au soir étaient
relativement corrects ; mais ils furent remplacés le
lendemain par de vrais Teutons. Ce jour, M. l'abbé
Ancel dut comparaître devant un officier major,
encadré entre deux soldats, baïonnette au canon ;
cela se passait dans la maison Hache. Il put rentrer
chez lui.
De ce qui se passa dans la suite, on ne sait pas
grand'chose. Comment les Allemands traitèrent-ils
les habitants restés au pays ? Quelques-uns ont-ils
été emmenés prisonniers ? On l'ignore.
Les Islettes. - En pleine Argonne, visée par les
attaques opiniâtres depuis plus de deux mois, la
petite bourgade est demeurée intacte. Pendant les
premiers jours de septembre, elle fut occupée par
les Allemands, qui la pillèrent consciencieusement,
mais leur occupation ne fut pas autrement
désastreuse. Aucune maison détruite ou incendiée ;
un seul habitant tué par eux, M. Pérotin; 78 ans. Le
8 septembre, jour de la fête patronale, l'ennemi
quittait le village. L'attitude énergique de M. du Granrut et le dévouement de Mme Robert du Granrut
contribuèrent certainement pour beaucoup à la
préservation du pays.
Parmi les décédés connus jusqu'alors, on cite deux
frères Gauvain, Gaston Felsch, Anatole Duchêne, E.
Emond, Raymond Huet, M. Pawlas. D'autres jeunes
soldats sont ou blessés ou prisonniers. Les écoles
sont transformées en ambulances, toujours remplies,
et l'ancien cimetière qui entoure l'église a déjà
reçu près de deux cents soldats. La population vit
au son du canon, et le soir elle suit les lueurs des
feux de salve ou d'artillerie qui sillonnent les
profondeurs de la forêt, vers le Four-de-Paris.
Laimont. - Une lettre particulière reçue ces
jours-ci à Bar-le-Duc renseigne les intéressés sur
le sort de quelques personnes enlevées de Laimont
comme otages civils : elles sont internées à la
prison de Sedan, avec M. Zem, ancien professeur au
lycée.
Toutefois, on n'a aucune nouvelle de M. l'abbé Jean
Louis, arrêté avec ses paroissiens et emmené comme
otage civil.
Les Eparges. - M. l'abbé Henri Tripier, curé des
Eparges et de Trésauvaux, canton de
Fresnes-en-Woëvre, émigré avec un certain nombre de
ses paroissiens et d'habitants des communes
voisines, pour le temps de la guerre, vicaire à
Annemasse (Haute-Savoie).
Une lettre de lui, datée du 15 décembre, vient de
parvenir à un de nos confrères. En voici quelques
extraits :
« Trésauvaux et les Eparges, mes deux paroisses
évacuées fin septembre, ont été totalement démolies
ou incendiées, comme, hélas ! tant d'autres de notre
malheureuse Woëvre.
« Il serait trop long de vous dire après quelles
périlleuses aventures je suis venu ici avec quatre
cents émigrés de ma région. Qu'il me suffise de vous
assurer que la Providence nous a été bonne. On ne
dira jamais trop la généreuse et toute cordiale
hospitalité que la Haute-Savoie a accordée à notre
détresse, ni comment, aidée par la ville de Genève,
sa voisine, la ville d'Annemasse a multiplié les
formes de sa charité selon la variété de nos
misères, car à tous elle a voulu trouver un
soulagement.
Témoin ces funérailles grandioses qu'elle a
accordées à deux de nos compatriotes rentrés de
captivité en France juste à temps pour y mourir.
Presque tous les jours, elle reçoit et case pour le
mieux des convois de rapatriés. C'est que si les
Boches étaient passés par la Suisse au lieu de
passer par la Belgique, ce qu'ils ont craint à un
moment, notre sort eût été le leur et sans doute ils
nous reçoivent comme ils auraient désiré être reçus.
« Mon frère, Louis Tripied, blessé le 25 septembre
au Camp-des-Romains, est prisonnier à Darmstadt.
« Environ deux cents Meusiens rapatriés sont arrivés
à Genève, d'où ils ont été dirigés sur Evian
(Haute-Savoie). Ils sortent d'Ulm et sont
originaires de Combres, Herbeuville, Saint-Remy,
Dommartin, Dompierre et Seuzey. »
Mécrin. - Quelques habitants hommes et femmes sont
restés. L'église a peu souffert.
Seuls les vitraux sont troués par les éclats d'obus
qui ont éclaté aux alentours.
Saint-Maurice-sous-les Côtes. - Des habitants de
Saint-Maurice-sous-les-Côtes on ne sait rien, si ce
n'est que Gustave Beausne est prisonnier civil à
Ehrenbrenstein, près de Coblentz.
Ménil-sous-les-Côtes. - Ménil est à moitié détruit.
Mme Burlureau-Roton a eu la jambe emportée par un
obus et ses trois enfants tués du même coup ; elle a
succombé le lendemain dans un hôpital de Verdun, où
elle avait été aussitôt transportée. Mme Roton
Auguste, effrayée par ces terribles et tragiques
visions, est morte aussi. Il y a une multitude de
blessés. Ménil se trouve entre Mouilly, les Eparges
et Saint-Rémy, récemment évacués par les Prussiens.
Etain. - Les Allemands auraient, d'après une lettre
reçue ces jours derniers, emmené les cloches et les
cuivres de l'église d'Etain.
LES FEMMES & LES ENFANTS DE MARCHÉVILLE EN CAPTIVITÉ
Un lecteur du « Temps » lui communique la lettre
qu'il a reçue d'un ami et dans laquelle celui-ci lui
donne des renseignements intéressants sur la razzia
de femmes et d'enfants que les Allemands ont faite à
Marchéville - petite commune de la Meuse, sise dans
les environs de Fresnes-en-Woëvre - et dans les
communes avoisinantes. Le « Temps » en reproduit les
passages suivants :
« Toutes les femmes et tous les enfants de
Marchéville et des communes voisines ont été faits
prisonniers le 20 octobre.
J'ai reçu dernièrement de deux d'entre elles trois
lettres qui, bien qu'écrites à huit iours
d'intervalle, me sont parvenues ensemble.
Mes correspondantes me disent qu'elles sont à Amberg
(Bavière), casernées dans une baraque, au nombre de
680 femmes et enfants. Elles ajoutent qu'elles ne
sont pas trop malheureuses, car elles sont toutes
ensemble et se connaissent de longtemps.
Elles se plaignent du froid. On ne leur a pas laissé
emporter de vêtements chauds. »
AU PAYS DE BRIEY
Le Bulletin de Meurthe-et-Moselle publie les
renseignements que voici :
VILLERUPT. - Une dame ayant quitté Villerupt le 7
décembre, nous a fait ce récit : Villerupt a peu
souffert matériellement. La ville, les usines
d'Auberives et les aciéries sont intactes.
En l'absence de M. Perruchot, M. Georges remplit les
fonctions de maire ; la police est assurée par une
vingtaine de gardes civiques, quatre gendarmes et
huit soldats qui sont logés chez M. Loy et chez Mme
Vercléau.
Les hommes de 17 à 45 ans sont tenus de se faire
inscrire à la mairie et doivent répondre aux appels
prescrits par la commandatur de Longwy. Il y aurait
eu, jusqu'à présent, trois appels. Presque tous les
habitants sont restés (tous les Italiens sont
partis), les usines donnent un travail intermittent
; pendant quelque temps les ouvriers trouvaient à
s'engager à Esch-sur-l'Alzette, mais depuis le
commencement du mois les Allemands ont fermé la
frontière du Luxembourg et ne laissent plus passer
personne. Les achats divers, de pain, de laine,
etc., qui s'opéraient à Esch assez facilement ne
sont plus possibles, et si le problème du
ravitaillement va bientôt se poser, nous recevons
sur sa solution immédiate les informations les plus
rassurantes.
LANDRES. - Nous sommes heureux de pouvoir annoncer
que M. Naudin, l'instituteur qui avait été porté
comme fusillé, est bien vivant et prisonnier en
Saxe.
TRIEUX. - Le Bulletin de Meurthe-et-Moselle est
heureux d'avoir à rectifier une de ses informations.
Il n'y eut, à Trieux, ni maisons dévastées, ni
personnes fusillées. La vie se poursuit normalement.
Les Allemands n'occupent que deux immeubles, celui
de M. Bringel, et celui du docteur. La pompe
d'épuisement du puits d'extraction fonctionne.
Les habitants ne manquent de rien et sont
ravitaillés régulièrement par la voie Thionville.
Le service des postes serait assuré par le facteur
de Fontoy.
En fait de troupes, il n'y aurait qu'un poste de
landwehr au pont de Sancy (entre Sancy et Trieux).
Les jeunes gens mobilisables ne sont pas emmenés en
captivité, mais sont tenus de répondre à certains
appels.
A LONGWY
De l' « Eclaireur » de Lunéville :
Les Allemands viennent d'inviter la population de
Longwy à se rendre à la mairie, pour y apporter tout
le numéraire français disponible, celui-ci devant
être converti en monnaie ou papier allemand qui,
seuls, auront cours. Tout contrevenant sera puni
d'emprisonnement dans une forteresse.
LE MAUVAIS TEMPS
LES DUELS D'ARTILLERIE
remplacent les attaques
Bordeaux, 4 janvier, 15 h. 50.
De la mer à l'Oise, journée presque complètement
calme. Temps pluvieux. Duel d'artillerie sur
quelques points du front.
En face de Noullette, notre artillerie lourde a
réduit au silence les batteries allemandes.
Sur l'Aisne et en Champagne, la canonnade a été
particulièrement violente. Nos batteries ont affirmé
leur supériorité et pris sous leur feu des réserves
ennemies.
Nous nous sommes emparés de plusieurs points d'appui
tenus par les Allemands dans la région de
Mesnil-les-Hurlus.
Entre Argonne et Meuse, ainsi que sur les
Hauts-de-Meuse, canonnade intermittente. Une
tentative faite hier matin par nos troupes, pour
enlever Boureuilles, n'a pas réussi.
Notre progression a continué dans le bois Le-Prêtre,
à l'ouest de Pont-à-Mousson.
En Haute-Alsace, nous avons enlevé une importante
hauteur, à l'ouest de Cernay.
Une contre-attaque ennemie a été repoussée.
A Steinbach, nous avons pris possession du quartier
de l'Eglise et du cimetière.
LA LUTTE EN ALSACE
Steinbach entier est à nous
Paris, 5 janvier, 1 h. 05.
Le communiqué du 4 janvier, 23 heures, dit : Les
seuls renseignements parvenus jusqu'à présent sont
relatifs à la Haute-Alsace, où les combats ont
continué, très violents, dans la région de Cernay.
La nuit dernière, nos troupes ont perdu, puis repris
le quartier de l'Eglise à Steinbach, mais, dans la
matinée, elles ont enlevé le village tout entier.
Les ouvrages des Allemands à l'ouest de Cernay et la
cote 425 ont été enlevés par nous, hier, puis ils
ont été perdus un instant la nuit dernière, à la
suite d'une violente contre-attaque. Mais les
Allemands n'ont pu s'y maintenir et cette position
reste entre nos mains.
EN ALSACE
L'ATTAQUE DE STEINBACH
Des actions importantes sont engagées depuis
quelques jours en Alsace, Des combats d'un
acharnement inouï ont été livrés dans la région de
Thann, autour de Cernay, du côté de Feldbach et
Wattwiller, devant Aspach-le-Bas, à Steinbach,
devant Dannemarie, autour d'Altkirch, au cours
desquels nos troupes ont montré un entrain et une
valeur magnifiques, se heurtant à une résistance
dont elles triomphent peu à peu.
Le « New-York Herald » donne les renseignements
suivants sur l'attaque de Steinbach :
« L'attaque de Steinbach fait grand honneur aux
chefs qui l'ont conduite. L'action des troupes
françaises infligea des pertes particulièrement
graves à l'ennemi. Par une feinte habile, les
Français donnèrent l'impression qu'ils ne pouvaient
soutenir le feu de leurs adversaires et battirent en
retraite, abandonnant une batterie comme « appât ».
La cavalerie allemande s'avança pour prendre
possession des trophées. Mais à ce moment, les
batteries françaises, dissimulées, ouvrirent un feu
terrible et précis qui coûta 1.600 morts aux
Allemands. Ceux-ci perdirent en outre 1.800
prisonniers. Les Français, au contraire, n'eurent
que 250 hommes hors de combat.
Le château qui domine Steinbach et d'où l'oeil
embrasse la plaine d'Alsace, est aux mains des
Français, ainsi que la presque totalité du village.
En prévision de l'avance française, les Allemands
ont fait évacuer Cernay par la population civile.
Les journaux d'outre-Rhin, pour compenser l'insuccès
allemand, prétendent avoir infligé des pertes
énormes aux Français. Cela est inexact Eux, par
contre, doivent reconnaître que leur défensive
acharnée est contenue. Au début de la semaine, de
nombreux convois ont circulé sur le tronçon
Mulhouse-Cernay, emportant continuellement des
blessés qui étaient ensuite dirigés sur Sierenz et
Neuenberg, pair tralins spéciaux. De Neuenberg, les
blessés étaient évacués en partie sur
Mulhein-Badenweiler, en partie sur Loerrach et
Fribourg-en-Brisgau.
Ces blessés racontent que les combats ont été très
violents de part et d'autre et qu'ils prennent un
caractère d'intensité extrême au moment où
l'infanterie passe à l'attaque des tranchées. Alors
les mitrailleuses se font entendre et le combat
dévient de plus en plus meurtrier.
Les Allemands se renforcent le plus qu'ils peuvent.
On prétend même qu'ils ont reçu des troupes ramenées
de Pologne ; le fait n'a pas encore été vérifié. »
A Strasbourg, les autorités ont pris des mesures
extraordinaires de défense. L'accès des tours de la
cathédrale est absolument interdit, les habitants
ont accumulé les provisions dans leurs caves bien
que les autorités aient déclaré cette précaution
superflue. Pourtant, le cours des denrées n'a pas
varié ; la viande se vend bon marché ; le pain a
subi à peine une faible augmentation ; mais les
légumes secs deviennent rares et sont hors de prix.
On ne supposerait jamais que la guerre existe en
considérant l'animation des brasseries. Les salles
de spectacles sont fermées, mais on assiste à des
représentations cinématographiques où les films
présentent Les événements sous un jour favorable aux
armées du kaiser.
LES CLASSES 1887 ET 1888
Le ministre de la Guerre vient de décider le renvoi
immédiat dans leurs foyers, à moins qu'ils ne
demandent leur maintien au corps, des réservistes de
l'armée territoriale, de toutes armes et de tous
services, appartenant aux classes de 1887 et 1888,
gradés ou non gradés, du service armé ou du service
auxiliaire.
Cette mesure s'applique seulement aux réservistes
territoriaux de la zone de l'intérieur. Elle n'est
pas étendue à ceux qui servent dans la zone des
armées.
Les réservistes territoriaux des deux classes 1887
et 1888, qui n'avaient été convoqués d'ailleurs
qu'en raison d'affectations individuelles, sont,
libérés jusqu'au jour où il serait nécessaire
d'appeler ces deux classes entièrement, y compris
l'infanterie. Il ne s'agit donc pas d'une libération
définitive.
Ajoutons toutefois que les hommes de ces deux
classes exerçant des spécialités utilisables pour
les besoins de l'armée (établissements d'artillerie,
boulangeries, etc.) ne seront renvoyés qu'au fur et
à mesure de leur remplacement.
PRISONNIERS DE LA MEUSE
Du Bulletin meusien : A Grafenwohr : Pierrard
Armand, Garré Benjamin, Garré François, Trivi,
Franzetti, Salin Dominique, Charbeau Lucien, Mater,
Fontenelle Jules, Beauzée Gustave, Thiery Eustache,
Véry Alexis, Balon Victor, Robert Eugène, Nockel
père, Nockel fils, Duchesne Charles, Domange Lucien,
Trichot Jules, Jourdain Louis, Grassard Edmond,
Lagrue Albert, Glaudin, tous prisonniers civils de
Liny-sur-Dun et Bréhévile ; Husson, de Consenvoye.
A Ingolstadt (Bavière) : Collignon Jules, maire de
Réchicourt ; Niclot Emile, Pierremont Auguste, Mme
Hourbourgère, habitants de Réchicourt, Duvernoy
Henri.
A Darmstadt : Louis Trepied, blessé le 25 septembre
au camp des Romains.
Dans la Croix Meusienne, l'abbé Fiedon, curé
d'Haudécourt, raconte qu'il fut arrêté dans sa
paroisse le 13 octobre par les Allemands et emmené
comme espion à Metz, par Thiaucourt et Onville ; le
curé d'Hattonchâtel l'y avait déjà précédé dans les
mêmes conditions. Il fut détenu quelque temps à la
forteresse en même temps que 120 hommes de Pillon
que les Allemands avaient d'abord placés devant eux
au combat du 10 août pour se protéger du feu des
Français, et qui restèrent 3 jours sans manger,
avant d'être conduits d'abord à Thionville, puis à
Metz où ils furent très mal traités et nourris.
Le docteur Grandjean, de Marville (Meuse), est
prisonnier de guerre à Manching, Fort VIII, près
d'Ingolstadt (Bavière).
Trois personnes de Banthéville qu'on avait signalées
comme fusillées à Charpentry, sont simplement
prisonnières à Grafenwohr (Bavière), depuis le 17
septembre ; Adam Jean-Baptiste, Albert Watrin, Adam
Théodule ; l'un d'eux écrit qu'il y a environ 2.000
prisonniers de Meuse et d'Ardennes. Bantheville
n'existait plus le 17 septembre, sauf les maisons
d'Adam Jean-Baptiste et d'Adam Théodule.
De Fresnes-en-Woëvre : Mme Jeanne Laroche et son
fils Robert, 7 ans ; de Herbeuville : Mme Rouyer,
Robert Zeppa, 10 ans, à Amberg (Bavière), Auguste
Rouyer, à Zwickau (Saxe) ; Théophile Rouyer, blessé,
Lazaret Sud, à Parchim (Mecklembourg).
Léon Rodrigues, capturé à
Saint-Maurice-sous-les-Côtes, âgé de 16 ans et demi,
est prisonnier à Zwickau (Saxe).
Mme Charles Person, femme du caissier de la caisse
d'épargne, dont le mari est actuellement sous les
drapeaux, est prisonnière des Allemands à Metz avec
ses deux enfants et M. Dauphin père, et a pu donner
à sa famille des nouvelles de sa santé qui sont
bonnes.
M. Jean Roger, de Consenvoye, est prisonnier au camp
de Grafenwohr (Bavière).
André Legéndre, de Montmédy ; Hiblot Jules, Mabillon
Ernest, Amelon, Wauthier, Jodin, Courtois Abel,
Person Alphonse, Hiblot. Albert, Hiblot Félicien,
Pérignon, Dupuis Alfred, Dupuis Anatole, Prétagut
Auguste, Zivilgefangenen Kompanie B 63 H Lager
Grafenwohr (Bayern), Allemagne.
M. Varlet, ancien chef de gare de Vilosnes, chef de
baraquements à la Compagnie des prisonniers civils
au camp de Grafenwohr (Bavière).
De Romagne-sous-les-Côtes : camp de Grafenwohr
(Bavière) : MM. Alfred Haussaire, Ernest Poupart,
Amant Ernest, Hennequin Eugène, Datry Auguste,
Charles Amable, Henry Vital,Chaffaux Elie, Gérard
Anatole, Pierre Ernest, Bertin Célestin, Hamlin
Justin, Démaret Théophile et son neveu Paul,
Bertrand Charles et ses deux fils Jean et Denis.
D'Haraumont : M. Girardeaux, garde-forestier en
retraite, incarcéré à Heilbronn-sur-Necker
(Wurtemberg).
De Varennes : Ch. Nicot, Fagnot, Louis Binet, Amédée
Corvisier, Archambeau et Bigorgne, 70 ans et plus ;
à Wursbourg.
Liste donnée par M. Evrard :
Soumillard, Habrant François, Godde Gustave, Jacob,
Corvisier Jules, Moulinet, Le Cousin (dit M.
Soumillard). Ce doit être M. Colet, retraité, âgé de
près de 70 ans, ces derniers à Zwickau.
René Nizet, 15 à 16 ans, à Grafenwohr, avec ceux de
Montblainville, Apremont (Ardennes), Chatel et les
environs.
Sont internés à Oberstimm, fort n° 9, à Ingolstadt
(Bavière) : M. le docteur Prévost, médecin-major de
1re classe, appartenant à l'hôpital de Montmédy ; M.
Vasseur, pharmacien, appartenant au même hôpital, et
M. Lassaux, officier d'administration du service de
santé, attaché aussi à l'hôpital de Montmédy.
Albert Lance, de Morley, blessé le 22 août à
Mercy-le-Haut, à l'hôpital de Regensburg (Bavière) ;
P. Macheret, Camille Lance, L. Léchaudel, A. Drahon,
A. Roussel, de Dammarie ; M. Bajolot, de Fouchères,
internés au camp de Grafenwohr (Bavière).
HANSI
chevalier de la Légion d'honneur
Paris, 5 janvier, 1 h. 55.
Le dessinateur Waeltz, dit Hansi, engagé volontaire
pour la durée de la guerre, est inscrit au tableau
de la Légion d'honneur pour le grade de chevalier,
en raison des grands services qu'il a rendus par son
exemple et par son courage inlassable.
NOTRE AVANCE CONTINUE
Le terrain détrempé n'arrête pas l'élan de nos
troupes. - Nous consolidons nos gains et en faisons
presque partout de nouveaux.
Paris, 5 janvier, 15 h. 45.
En Belgique, malgré l'état du terrain et les
difficultés qui en résultent, notre infanterie a
progressé dans les dunes, en face de Nieuport.
Dans la région de Saint-Georges elle a gagné,
suivant les points, 200, 300 et 500 mètres, enlevant
des maisons et des éléments de tranchées.
Sur plusieurs points, l'artillerie belge a réduit au
silence l'artillerie allemande.
De la Lys à l'Oise, dans la région de
Notre-Dame-de-Lorette (ouest de Lens), nous avons,
grâce à nos mortiers et à nos grenades, complètement
arrêté les travaux de sape de l'ennemi.
Dans le voisinage de la route de Lille, les
Allemands, ont fait sauter une de nos tranchées et
s'en sont emparés, mais une contre-attaque immédiate
nous en a rendu maîtres de nouveau.
De l'Oise aux Vosges, on ne signale pas d'actions
d'infanterie.
Dans la région de Craonne et de Reims, combats
d'artillerie.
Nos batteries ont efficacement bombardé les
positions ennemies dans la vallée de la Suippe,
ainsi que dans la région de Perthes et Beauséjour.
Il en a été de même en Argonne et sur les
Hauts-de-Meuse.
En Alsace, au sud-est du col du Bonhomme, nous
sommes entrés dans le hameau du Creux-d'Argent (2
kilomètres ouest d'Orbey) où nous nous organisons.
Les gains réalisés sur la route de Thann à Cernay
ont été maintenus à un kilomètre à l'est de
Vieux-Thann, et le tir de notre artillerie lourde à
deux kilomètres est de Burhaupt-le-Haut a fait taire
l'artillerie ennemie.
NOTRE POUSSÉE VERS SAINT-MIHIEL
Paris, 6 janvier, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 5 janvier, 23 heures
: La nuit dernière, nos troupes se sont emparées
d'une carrière située à l'embranchement de la route
de Rouvrois à Saint-Mihiel, et du chemin de Maizey à
Saint-Mihiel, ainsi que des tranchées voisines.
Aucune autre opération n'est signalée.
Le temps continue à être très mauvais, et la pluie
tombe sans discontinuer.
LE PREMIER TIREUR DE FRANCE
Du général Cherfils: dans l'Echo de Paris :
« Je trouve dans un récit que le commandant d'André
a recueilli d'un de ses compagnons d'ambulance à
Nantes, un trait à méditer comme un exemple. Il a
réjoui le coeur du commandant qui a rapporté de sa
mission du Pérou, empruntées aux pratiques des
chasseurs de cigognes des Cordillères, ses méthodes
de tir à tuer. Elles avaient fait de la brigade
Maud'huy la troupe classée numéro un pour le tir
parmi toutes les brigades de France :
« Le 26e d'infanterie de la division de fer possède
un adjudant qui est un tireur extraordinaire. Dans
le régiment on l'appelle « l'homme-affût ». Or, il y
a quelques jours, un Allemand vient à 600 mètres de
nous inspecter nos lignes, tranquillement, à la
jumelle. Mais le Boche, en guise d'assurance pour sa
vie, avait lâchement emmené avec lui deux femmes,
deux Françaises, qui l'encadraient.
« Bien sûr, pensait-il, aucun Français n'osera tirer
sur moi, dans la crainte de tuer ces femmes. »
Il s'est trompé. Guillaume Tell s'est dressé devant
lui. Les hommes vont appeler le fameux adjudant.
Celui-ci arrive, prend son temps, ses moyens, guidon
et hausse noircis, ainsi que toute la culasse. Il
met près de trente secondes à ajuster son coup.
Son coup est lâché. L'Allemand est tué raide. Les
deux femmes tombent aussi, mais sous le choc de leur
émotion, puis se relèvent aussitôt et s'enfuient,
aux applaudissements de tous nos hommes. »
POUR PRÉSERVER NOS MONUMENTS
Nancy, 5 janvier 1915.
Depuis deux jours, une équipe d'ouvriers est occupée
à la basilique Saint-Epvre pour préserver les
vitraux abîmés lors du bombardement par le zeppelin.
Les ouvertures sont bouchées avec des feuilles de
fort papier que l'on fait adhérer au plombage.
A l'extérieur, de grands panneaux de planches sont
apposés contre les baies donnant rue des Dames.
Devant le portail latéral un échafaudage a été
construit pour aveugler avec des planches la grande
rosace qui a eu fort à souffrir des projectiles.
Dans l'intérieur de l'église des Cordeliers, les
tombeaux ont été protégés par un épais matelas de
sacs remplis de laitier pulvérisé maintenu par de
solides échafaudages. De cette façon les projectiles
ne sauraient atteindre ces chefs-d'oeuvre de l'art
lorrain.
LE "CATASTROPHISME"
Il n'est pas un bien grand nombre d'hommes, ni de
femmes, qui puissent vivre sans « catastrophisme ».
Nous avons tous du goût pour le merveilleux, pour le
subit, pour l'irrésistible. Les paralytiques adorent
Jules Verne, les timides se passionnent pour les
Trois-Mousquetaires, les gens qui n'estiment pas
particulièrement la police raffolent de Sherlock
Holmes. Le fatal a pour nous un invincible attrait.
Le travail patient de chaque jour, nous avons
coutume de le regarder comme un effort banal et sans
poésie.
Ainsi les croyants admettent-ils volontiers
l'intervention de la Providence dans les affaires
humaines, tandis que les fatalistes attendent la
venue du destin, que les superstitieux appellent la
réalisation des prophéties, et les joueurs la sortie
du bon numéro.
Au début de la guerre nous avions une tendance très
marquée à considérer que quelque événement
prodigieux apporterait d'un seul coup une solution à
la crise actuelle, et naturellement la solution la
plus heureuse.
Tantôt c'était la turpinite, cette poudre effroyable
qui semait de mort des kilomètres carrés. Puis
c'était ce « facteur » que le gouvernement anglais
avait indiqué obscurément, si obscurément même que
nul n'avait compris, ni même le ministre à qui on
l'attribuait et qui, n'y ayant jamais songé, n'en
avait jamais parlé. Ensuite ce fut le fameux général
la Faim qui devait réduire subitement nos ennemis.
Nous avons cru à ces auxiliaires étranges et
tout-puissants, d'autant plus puissants qu'ils
n'existent pas, du moins à l'état réel.
Peu à peu on s'est aperçu que ces « facteurs », ces
« poudres », ces entités, tout cela entrait dans
cette tournure d'imagination que les scientifiques
du socialisme ont appelé d'un horrible néologisme, «
le catastrophisme ».
On a compris que les résultats des choses humaines
sont purement humains, et que les qualités humaines
et les efforts humains produisent ces effets, qu'il
est inutile d'attendre d'interventions extérieures.
Nous commençons à comprendre que la guerre est une
longue bataille composée elle-même de combats
incessants, que chaque combat apporte un résultat,
plus ou moins important, et que la somme de ces
résultats, jour par jour, semaine par semaine, mois
par mois, sera totalisée au moment où l'un ou
l'autre des adversaires sera épuisé.
Nous avons commencé à comprendre qu'une belle charge
à la baïonnette n'est pas tout, qu'une magnifique
charge de cavalerie n'est pas une victoire
définitive, que l'infanterie a besoin de
l'artillerie, et les artilleurs des troupiers, que
le génie est une arme précieuse, l'aviation une
invention qui rend des services, que les tranchées
sont parfois nécessaires, et les forts pas toujours
imprenables, que les travaux de campagne offrent des
avantages. Qu'avons-nous appris encore ? Bien des
choses.
Et nous avons surtout appris à compter sur chacune
de ces choses liées intelligemment les unes aux
autres, sur l'oeuvre quotidienne et patiente. Nous
avons appris à compter sur nous-mêmes, exclusivement
sur nous, éloignant de notre esprit avec un sourire
un peu ironique cette « catastrophe » sur laquelle
nous nous reposions pour terminer la guerre au plus
tôt.
Les Allemands d'ailleurs sont passés par le même
état d'esprit. Je ne sais pas s'ils ont eu
l'intelligence assez souple pour s'adapter aux
nouvelles formes de la pensée. Mais au début de la
guerre Guillaume II s'était attaché un « bon vieux
Dieu » qui lui assurait la victoire, et qu'il
traînait avec fracas comme un sabre sur le pavé de
l'Europe. Si bien que le fameux professeur Ostwald
pouvait dire : « Dieu le père est réservé chez nous
à l'usage personnel de l'empereur. Une fois on a
parlé de lui dans un rapport du grand état-major
général, mais, remarquez-le bien, il n'y a plus
reparu ».
C'est Dieu le père qui pour les Germains était le
meneur de catastrophes.
Quelque chose me dit qu'ils sont aujourd'hui un peu
désabusés de cette conception, et qu'ils comptent
davantage sur leur propre valeur, sur l'art des
tranchées, sur la tactique des généraux, sur
l'artillerie lourde, sur les moyens rapides de
transport, et sur d'autres menus détails qu'au
surplus ils n'avaient jamais trop négligés.
Certes ceux qui ont la foi religieuse, et qui y
trouvent un admirable réconfort, l'ont précieusement
conservée. Les fatalistes croient toujours à la
fatalité, les joueurs à la chance, les superstitieux
aux prophéties. Chacun garde dans son esprit un coin
discret pour le Mystérieux souverain. Mais le coin
est plus petit. On fait une part plus grande aux
vertus purement humaines, que l'on dédaignait un peu
comme trop banales, la prudence, la patience,
l'énergie, l'audace, la méthode, l'étude, la
décision, qui ne nous apportent pas tout de suite
une fin idéale, et qui, par un chemin très long,
très dur, très meurtrier, nous conduisent cependant
pas à pas, lentement, tranchée par tranchée, à la
victoire définitive, à la paix triomphale où se
reposera le monde libéré.
Nous ne rêvons plus d'inventions miraculeuses qui
détruisent l'ennemi comme dans un conte de fées. Et
même nous ne rêvons plus du tout.
Pour sauver la France nous agissons tous, soldats et
civils, avec la puissance formidable des vertus
humaines.
Nous agissons de toutes nos forces, et nous nous
appuyons sur l'amour de notre pays, et sur la
volonté de vivre libres, - ou de mourir.
RENÉ MERCIER.
UNE JOLIE AVANCE EN ARGONNE
Paris, 6 janvier, 15 h. 15.
En Belgique, l'ennemi a prononcé, sans succès, deux
attaques : dans la région des dunes et au sud-est de
Saint-Georges.
Sur le reste du front, au nord de la Lys et de la
Lys à l'Oise, il n'y a eu que des combats
d'artillerie.
Dans la vallée de l'Aisne et dans le secteur de
Reims, nos batteries ont pris l'avantage sur celles
de l'ennemi, qu'elles ont réduites au silence. On
signale d'autre part, une progression de nos troupes
d'une centaine de mètres au nord-ouest de Reims.
En Argonne, s'est déroulée une action très vive qui
nous a permis de reprendre 300 mètres de tranchées
dans le bois de la Grurie, au point où s'était
produit un léger fléchissement signalé précédemment.
De Bagatelle et de Fontaine-Madame sont parties deux
violentes attaques allemandes à l'effectif d'un
régiment chacune.
Elles ont été repoussées.
Près du ravin de Courtechausse, nous avons fait
sauter à la mine 800 mètres de tranchées allemandes
dont nous avons occupé la moitié.
De l'Argonne aux Vosges, le mauvais temps, la brume
et la boue ont persisté. Il y a eu, sur différents
points du front d'assez vifs combats d'artillerie.
Au bois Le Prêtre, près de Pont-à-Mousson, nous
avons continué à gagner du terrain.
Dans la région de Thann, malgré une violente
canonnade, nous avons maintenu nos gains de la
veille, tant à Steinbach même que dans les tranchées
au sud-ouest et au nord-ouest du village. L'ennemi a
réussi à réoccuper une de ses anciennes tranchées
sur le flanc est de la hauteur, cote 425, dont le
sommet demeure en notre possession.
NOUS AVANÇONS VERS ALTKIRCH
Paris, 7 janvier, 1 h. 15.
Voici le communiqué officiel du 6 janvier, 23 heures
: Les seuls incidents notables sont : Au nord assez
vive canonnade dans la région de Zillebecke ;
Maintien de nos positions en Argonne ; Et légère
progression de nos troupes dans le bois de
Schirtzbach auprès de Altkirch.
SUCCÈS
en Woëvre et en Alsace
Paris, 7 janvier, 16 h. 25.
De la mer à la Lys il n'y a eu, dans la journée du 6
janvier, que des combats d'artillerie où nous avons
eu presque constamment l'avantage.
Nos batteries ont mis en fuite des avions allemands
qui se dirigeaient sur Dunkerque et elles ont éteint
le feu des minenwerfer.
Dans la région de Zillebeke, l'ennemi a bombardé
violemment la tête de pont belge au sud de Dixmude.
Dans la région de Lille, nous avons repoussé avec
succès une violente attaque allemande sur une de nos
tranchées. Cette tranchée, d'abord perdue par nous,
a été brillamment reprise, et nous avons bouleversé,
par des explosions de mines, une partie des ouvrages
allemands.
Entre la Somme et l'Aisne, rien à signaler que des
combats d'artillerie.
A l'est de Reims, à la ferme d'Alger, l'explosion de
mines que nous avons provoquée hier soir, a arrêté
les travaux ennemis.
En Argonne, à l'ouest et au nord de Verdun, combats
d'artillerie où l'ennemi a montré peu d'activité.
En Woëvre, la progression réalisée au nord-ouest de
Flirey est plus importante qu'elle n'avait été
signalée. Nous nous sommes rendus maîtres d'une
fraction de la première ligne ennemie.
A Steinbach et à la cote 425, l'ennemi n'a pas
contre-attaqué. Une pluie persistante et l'état du
terrain rendaient d'ailleurs tout mouvement
difficile. Nous nous sommes maintenus sur toutes les
positions conquises les jours précédents.
Deux attaques ennemies se sont produites, l'une à
l'ouest de Watwiller, l'autre près de Kolschlag.
Elles ont été immédiatement repoussées.
Nous avons progressé dans la direction d'Altkirch en
occupant les bois situés à quatre kilomètres à
l'ouest de cette ville.
Notre artillerie lourde a réduit au silence celle de
l'ennemi. Celui-ci, pendant toute la journée, a
bombardé l'hôpital de Thann.
BLESSÉE PAR LE « ZEPPELIN »
« Du Gaulois :
« La vice-présidente du comité régional des Dames de
la Société de secours aux blessés militaires, à
Nancy, Mme Paul Lacroix, a été blessée, le samedi 26
décembre, alors qu'elle était couchée, par l'une des
bombes qu'un « Zeppelin » a lancées sur la capitale
lorraine.
« Il était 5 heures un quart du matin, lorsque ce
projectile, tombe dans la grande allée de la
Pépinière (jardin public nancéien), y brisa un
arbre, avant que ses éclats s'éparpillent sur les
corps de logis des maisons dont les façades sont
place Carrière. L'un de ces morceaux d'obus éventra
les persiennes, brisa les vitres, pénétra dans la
pièce où Mme Lacroix reposait et lui traversa la
cheville de part en part.
« La blessée dut être transportée d'urgence à
l'hôpital Bon-Secours, où les mêmes chirurgiens qui
l'ont vue à l'oeuvre, jour et nuit, au chevet des
blessés depuis cinq mois, lui ont prodigué les soins
que son état exige. La blessure est très
douloureuse, mais peu grave.
« Mme Paul Lacroix est la femme du
lieutenant-colonel d'artillerie breveté Lacroix, que
sa santé a contraint à prendre prématurément sa
retraite, et la nièce de l'éminent avocat Me Henri
Limbourg, ancien préfet, exécuteur testamentaire du
duc d'Aumale, dont il a publié l'intéressante
correspondance avec M. Cuvillier-Fleury. »
AUTOUR DE VERDUN
Un de nos amis, - lisons-nous dans le « Temps » -
maire d'une localité importante de l'Est, nous donne
quelques renseignements fort intéressants sur les
événements qui se sont produits autour de Verdun et
sur la vie que mènent nos soldats autour de la
grande forteresse. Le tableau est pittoresque et,
c'est le cas de le dire, vécu. Nos lecteurs le
liront avec plaisir :
« Durant cette campagne de 1914, la place de Verdun
a joué un rôle prépondérant. Elle a arrêté
l'offensive ennemie. Elle a aidé, en les flanquant
puissamment, la progression de nos armées lors de la
victoire de la Marne. L'artillerie de forteresse,
divisée en secteurs, soutenait tous les mouvements
de l'infanterie de ses lourds canons, et le génie,
multipliant les retranchements, les bastions,
parvenait en peu de temps à décupler la force de la
place par des fortifications improvisées et de
nombreux réseaux.
Un jour, cependant, le 8 septembre, l'armée
allemande resserre son étreinte ; les forts de
Bois-Bourru et de Marre sont bombardés. Quelque
temps après, le fort de Douaumont reçoit sa part
d'obus. Le fort de Genicourt, qui soutint
l'incomparable défense du fort de Troyon, est à son
tour couvert de mitraille.
Les aviateurs allemands, pendant ce temps,
multiplient leurs randonnées audessus de la place et
jettent de nombreuses bombes : l'une, un jour, tombe
au milieu de la ville, dans la Meuse, et tue trois
cents kilos de poisson, qui font la joie des malades
des hôpitaux ; l'autre traverse du grenier à la cave
la maison de M. Cloutier, quincaillier, dans un
faubourg. Mais jusqu'ici les fameuses bombes n'ont
tué personne. Je ne parle point des fléchettes et
des petits papiers semés à profusion par les
aviateurs boches ; je note simplement que le jour de
Noël nous assistâmes à une course fort jolie : un
avion allemand venait de jeter deux bombes sur
Verdun, et les canons de nos forts essayaient
d'atteindre ce provocateur, quand un grand silence
se fit. Pégoud, sur son monoplan, venait de s'élever
et tirait sur le Boche avec sa mitrailleuse ; alors,
ce fut une course éperdue, jusqu'à ce que l'avion
allemand disparût derrière Montfaucon, salué par une
dernière salve du fort de Bois-Bourru. Depuis, nous
n'avons plus vu d'avion boche.
On a tant critiqué notre artillerie de forteresse au
début de la guerre, qu'il faut bien dire ce qu'elle
a fait - notamment autour de Verdun - pour
réhabiliter - s'il en est besoin ! - cette arme
d'élite, où la science, le sang-froid des officiers
se mélangent au courage, à la force rare des hommes,
souvent astreints aux plus durs travaux et obligés,
par leurs petits joujous de. plusieurs milliers de
kilos, aux manoeuvres les plus pénibles.
Verdun a toujours été en communication avec le reste
de la France par ses voies ferrées.
La garnison a toujours reçu ses correspondances
régulièrement ; le personnel des postes et les
vaguemestres se sont montrés d'un dévouement et
d'une habileté extraordinaires. La gare a reçu des
quantités de colis, qui tous ont été très bien
distribués.
Comment sommes-nous installés ? Au petit bonheur.
Les uns sont à proximité d'un village et peuvent
trouver une grange hospitalière, les autres campent
en plein champ dans de vastes trous couverts de
troncs d'arbres ; nous, nous sommes au milieu d'un
bois, installés dans des huttes de charbonniers ; on
n'a pas froid ; on est très gai ; un seul ennemi :
des multitudes de souris envahissent nos campements,
ramassent nos miettes, et dansent un cake walk des
plus désagréables la nuit sur nos personnes
endormies.
La nourriture ? Abondante et bonne. Les cuisiniers
improvisent des menus variés, et en accommodant le
riz. perpétuel à des sauces multiples, parviennent à
ne pas fatiguer nos estomacs. On a presque tous les
jours de la viande fraîche, et le bouillon est
excellent.
Nos officiers s'intéressent beaucoup à la façon dont
nous sommes nourris. En résumé, la garnison a up.
moral excellent, et parmi les troupes règnent une
fraternité et une camaraderie extraordinaires. Je
suis voisin de lit d'un adjoint au maire d'une
petite ville industrielle du Nord, farouche
socialiste. dans le civil ! Ici, il n'y a pas parmi
nous de patriote plus enragé et plus convaincu ! »
QUELQUES NOUVELLES DE CIREY
L'Indépendant de Lunéville a eu connaissance d'une
lettre qui donne des nouvelles de Cirey - ce sont
des nouvelles qui datent d'un mois : elles n'en sont
pas moins intéressantes.
A la fin du mois de novembre, les dégâts subis par
Cirey étaient peu considérables, malgré le
bombardement des premières batailles.
Un habitant, M. Roze, a été tué par un obus ; c'est
alors la seule victime.
La population fut ravitaillée par l'ennemi. Les
incendies qui s'étaient déclarés ont pu être
éteints.
Les jeunes gens de la classe 1915 ont été emmenés
prisonniers par les Allemands qui les ont dirigés
sur Dieuze.
On sait que depuis un mois des incendies ont été
signalés à Cirey et que nos troupes se sont
approchées à 1.500 mètres de la commune. Que
s'est-il passé à Cirey depuis la fin de novembre ?
Nous l'ignorons.
UNE ÉVASION
Nous recevons le pittoresque récit que voici d'un
jeune Nancéien :
« J'étais parti à F..., huit jours environ avant le
conflit européen, ma famille m'y ayant envoyé pour
apprendre la langue allemande. A mon arrivée, la
population semblait très paisible et aucun indice ne
pouvait révéler que ce peuple, qui accueillait les
Français avec une joie d'apparence si cordiale,
devait une semaine après leur déclarer la guerre.
Cependant le nombre extraordinaire des troupes que
je rencontrais dans mes promenades journalières, me
faisait soupçonner qu'ainsi massées vers la
frontière suisse elles étaient là pour un autre but
que celui des grandes manoeuvres, comme me le
disaient tous les gens que je questionnais à ce
sujet.
Plusieurs jours, je n'ai su que penser de tout ce
que je voyais, et c'est seulement le mardi 4 août
que je fus fixé. Il était sept heures du matin.
J'allais sortir prendre l'air lorsqu'un soldat en
armes, qui se trouvait devant ma porte, me repoussa
brutalement dans ma chambre et me déclara qu'il me
tuerait sans pitié si je tentais de m'enfuir.
A neuf heures, un autre soldat vint me chercher pour
me mener dans une vieille maison que je connaissais
bien, y ayant déjà eu affaire : c'était un bureau
militaire.
Je trouvai là trente-sept de mes camarades. Tous les
jeunes gens du quartier qu'un tribunal, composé d'un
colonel et deux capitaines, interrogeait d'après
leur ordre d'arrivée. Quand vint mon tour, ils me
firent subir un interrogatoire très serré, à la fin
duquel ils m'annoncèrent que je ferais un très bon
terrassier.
Je commençai alors à comprendre que, la guerre étant
soudainement déclarée entre les deux pays, les
Boches, contrairement aux droits des gens, voulaient
conserver les jeunes Français au-dessus de seize ans
en qualité de prisonniers de guerre.
Après nous avoir tous examinés et avoir renvoyé les
trop jeunes ou trop faibles (neuf en tout), ils nous
mirent sous la garde d'une escouade et nous
placèrent par rang de taille. Nous dûmes défiler
dans les principales rues de la ville, en butte aux
huées de la populace.
Puis, ayant changé les hommes de notre garde, un
jeune sous-lieutenant nous emmena sur la route qui
mène à la Suisse. Il nous fit marcher jusqu'à deux
heures de l'après-midi et nous arrêta près d'un
chemin en construction, abandonné par les ouvriers,
sans doute mobilisés. La frontière suisse n'était
qu'à huit ou neuf kilomètres de là, mais il ne
fallait pas songer la franchir de sitôt.
Je dois faire remarquer que, n'ayant pas mangé
depuis la veille, nous mourions littéralement de
faim. C'est sans doute pour nous rassasier que le
sous-lieutenant nous fit distribuer à chacun un
morceau de pain noir dont le poids n'excédait pas
cinquante grammes.
Le lendemain, un capitaine venu pour nous inspecter,
nous fit enfin distribuer des vivres. Après un repas
assez substantiel, on nous donna à chacun une pioche
et l'on nous fit travailler à la route. Plusieurs
semaines se passèrent lentes et monotones. Si nous
ne souffrions pas physiquement, moralement c'était
terrible, et c'est ce qui me décida à m'évader.
J'allai trouver les uns après les autres mes
vingt-huit compagnons et je leur proposai de quitter
notre bagne à la première occasion. Quatre d'entre
eux acceptèrent les risques de cette aventure et
chaque soir dans la grange où nous couchions, à
l'abri des regards de la sentinelle postée à la
porte, nous nous exercions à tous les sports qui
pourraient nous être utiles dans notre fuite.
L'occasion propice à nos voeux se présenta une nuit
sans lune. Il était huit heures du soir. La
sentinelle qui prit la faction avait été brutalisée
quelques instants auparavant par le sous-lieutenant
et nous l'entendions marmonner entre ses dents. L'un
de nous, qui parlait parfaitement l'allemand, entama
les négociations, de telle sorte qu'une demi-heure
après, pour le prix convenu de deux cents mark, nous
pouvions reprendre tous les cinq notre liberté. Le
coup était admirablement combiné. Dès que nous fûmes
à cent mètres de la prison, notre vigilant gardien,
dont la conscience était plus qu'élastique, se mit à
pousser des gémissements comme si nous l'avions
assommé et tira un coup de feu. Le poste était
prévenu, mais nous avions déjà une certaine avance
et pendant au moins deux kilomètres, nous pûmes
courir à notre aise.
Enfin, nous arrivâmes dans un bois. A peine y
étions-nous entrés que nous entendîmes siffler
plusieurs balles. Nous nous jetons à plat ventre et
c'est ainsi que pendant huit heures de suite nous
arpentâmes un terrain couvert de boue, dans laquelle
s'enfonçaient des balles qui, nous le savions bien,
avaient une toute autre destination. Un de mes
camarades qui marchait en arrière fut le seul
atteint. Nous ralentîmes un peu notre marche, mais
malgré toute notre bonne volonté nous allions
bientôt l'abandonner, car il faiblissait
visiblement, si quelques mètres plus loin nous
n'étions pas entrés chez les Suisses, qui se
chargèrent de faire comprendre à nos poursuivants
qu'ils arrivaient trop tard et que notre évasion
avait été couronnée de succès.
L. M.
M. THIRIET
Maire de Saâles
est-il mort ou prisonnier ?
Au début des hostilités, on se souvient que les
autorités allemandes arrêtèrent et livrèrent sans
jugement, aux pelotons d exécution un certain nombre
de personnalités alsaciennes et lorraines, entre
autres, M. Thiriet, maire de Saâles. Du moins, ce
bruit s'en répandit alors.
La petite commune de Saâles est située sur le
versant annexé du col auquel elle donne son nom,
entre les vallées de la Fave et de la Bruche. M.
Thiriet y remplissait ses fonctions municipales avec
une grande dignité ; il entretenait dans la région
d'excellentes relations ; on le rencontrait
fréquemment à Saint-Dié, les jours de marché ; mais
les Allemands lui reprochèrent d'avoir annoncé dans
les villages où l'appelaient ses affaires, la
mobilisation des garnisons de Rothau, de Mutzig et
de Molsheim.
Or, voici que la mort de M. Thiriet serait démentie
par l'ancien maire d'une localité vosgienne.
D'après ce témoignage qui paraît fort peu suspect,
M. Thiriet serait enfermé dans une caserne ou une
prison de Strasbourg, sans qu'il ait jamais pu
correspondre avec la France.
Cette nouvelle se rapprocherait heureusement de
celle que nous rapportait l'autre jour M. Hottier,
maire d'Homécourt, d'après laquelle les frères
Samain sont prisonniers dans la forteresse
d'Ehrenbreistein.
L. C.
DE LA MER A L'ALSACE
Le Canon, la Mine, la Baïonnette
ONT DONNÉ AVEC SUCCÈS
Paris, 8 janvier, 15 h. 10.
L'artillerie ennemie a montré, hier, beaucoup
d'activité, en Belgique et dans la région d'Arras.
L'artillerie française a répondu vivement et
efficacement. Quant à notre infanterie, elle a
réalisé quelques progrès.
Près de Lombaertzyde, nous avons enlevé, à cinquante
mètres en avant de nos tranchées, un mamelon occupé
par l'ennemi.
A l'est de Saint-Georges, nous avons gagné du
terrain et endommagé sérieusement les tranchées
ennemies voisines de Steentraate.
Dans le secteur d'Arras, au bois Berthonal, nous
avons dû, sans être attaqués, évacuer certains
éléments d'une tranchée où les hommes étaient
enlisés jusqu'aux épaules.
A gauche de la Boisselle, notre ligne de tranchées a
été portée en avant. Nous occupons le chemin de la
Boisselle à Aveluy.
Dans la vallée de l'Aisne, le duel d'artillerie a
été assez vif. Notre artillerie lourde a obtenu de
bons résultats.
Près a Blancablon, un minenwerfer de l'ennemi nous a
infligé des pertes, mais, dans l'après-midi, nous
avons arrêté le feu des Allemands.
Dans le secteur de Reims, à l'ouest du lois des
Zouaves, nous avons fait sauter un blockhaus, à deux
cents mètres en avant de nos lignes.
Un combat d'infanterie a eu lieu entre Bétheny et
Prunay. Il a été d'une extrême âpreté. Les Allemands
ont laissé de nombreux morts sur le terrain. Nos
pertes sont minimes.
Entre Jonchery-sur-Suippe et Souain, nous avons
réduit, à plusieurs reprises, l'artillerie ennemie
au silence. Nous avons bouleversé ses tranchées et
détruit ses abris.
En Argonne, à l'ouest de Haute-Chevauchée, l'ennemi
a fait sauter à la mine quelques-unes de nos
tranchées de première ligne, qui ont été
complètement bouleversées. Une attaque violente
qu'il a prononcée aussitôt a été repoussée à la
baïonnette. Nous avons fait des prisonniers et nous
avons maintenu notre front, sauf sur une étendue de
80 mètres, où le bouleversement des tranchées nous a
obligés à établir notre ligne à vingt mètres en
arrière.
Sur les Hauts-de-Meuse et entre Meuse et Moselle,
rien à signaler. Le vent a soufflé en tempête toute
la journée.
Notre offensive a continué dans la région de Thann
et d'Altkirch. Nous avons obtenu des résultats
importants.
Nous avons repris des tranchées sur le flanc est de
la cote 425, où l'ennemi avait réussi à se
réinstaller avant-hier. Nous avons gagné ensuite du
terrain à l'est des tranchées.
Plus au sud, nous avons enlevé Burnhaupt-le-Haut, et
progressé en même temps dans la direction du pont
d'Aspach et de Kahlberg.
L'artillerie ennemie, qui avait essayé, sans succès,
d'atteindre nos batteries, a renoncé à tirer sur
elles, pour bombarder exclusivement l'hôpital de
Thann qui a été évacué.
DEUX VIOLENTS COMBATS
dans le Soissonnais et en Argonne
Paris, 9 janvier, 1 h. 44.
Voici le communique officiel du 8 janvier, 23 heures
: Au nord de Soissons, nous avons enlevé une redoute
allemande et conquis deux lignes successives de
tranchées. Nous avons atteint la troisième ligne.
Trois retours offensifs exécutés par les Allemands
ont échoué.
En Argonne, une très violente attaque allemande à la
hauteur de Haute-Chevauchée, nous a forcés d'abord à
nous replier sur un kilomètre du front, mais nous
avons contre-attaqué et réoccupé nos positions.
Un radiotélégramme à la presse allemande prétend que
nous avons perdu la cote 425 dominant Steinbach et
que nous n'avons pas pénétré dans Burnhaupt-leHaut.
Ces deux allégations sont fausses.
EN ALSACE
LE COMBAT DE STEINBACH
Voici de nouveaux détails sur la prise de Steinbach
:
Le 29 décembre, dans la nuit, un fort contingent
français avait réussi à traverser la Thur en amont
de Thann. Le 30, à l'aube, un violent duel
d'artillerie s'engageait entre nos batteries et les
pièces allemandes en position sur les hauteurs de
Wattweiler. L'ennemi tirait habilement parti de bois
de sapins pour dissimuler ses canons. L'épaisseur de
la forêt rendait presque impossible le repérage par
avion. Une lourde tâche allait échoir à nos
patrouilles.
Pénétrant dans les lignes allemandes, nos
éclaireurs, au risque de tomber à chaque pas dans
une embuscade, battaient les sapinières. L'audace de
nos chasseurs nous permettait bientôt de découvrir
l'emplacement des principales batteries adverses.
Avant la fin du jour, les trois quarts des 77
prussiens étaient démontés, le reste se taisait et
battait en retraite.
Au matin du 31, notre infanterie occupait la plupart
des crêtes dominant Steinbach. Ce village,
avant-poste de Cernay, était l'enjeu du combat que
nos troupes livraient sans trêve depuis
quarante-huit heures.
Un parlementaire, envoyé par notre état-major,
rentrait une heure plus tard dans nos lignes avec la
réponse allemande, à savoir que le commandant en
chef des forces adverses ne se considérait nullement
comme cerné, que la route de Sennheim restait libre
pour une retraite toujours possible et qu'en tout
cas les troupes de l'empereur se font tuer, mais ne
se rendent pas. Un otage, qui avait réussi à
s'enfuir de Steinbach affirmait que, la veille,
trente soldats du landsturm, dont l'attitude
semblait peu résolue, avaient été fusillés séance
tenante sur la place du village.
Les batteries échappées à nos coups avaient rallié,
pendant la nuit, le hameau. Nul doute qu'il ne nous
fallut conquérir celui-ci maison par maison. Mais
les bois de sapins, qui avaient permis à une partie
de nos 75, allaient servir, en revanche, à nos
fantassins, pour approcher à couvert de Steinbach.
A midi, nous dévalons en colonnes éparses vers le
village. Les 77 ouvrent le feu, mais le terrain
n'est point pour favoriser le tir de l'adversaire.
Nos tirailleurs parviennent à moins de deux cents
mètres des premières bâtisses. Là sont établis les
avant-postes prussiens. Une mitrailleuse placée dans
le clocher de l'église arrose la lisière des
sapinières d'où il nous faudra déboucher. Il nous
faut, à tout prix, enlever ce point d'appui.
Une petite ferme est là à laquelle conduit un chemin
creux. Mais la section ennemie, qui en a la défense,
a eu soin de mettre en avant une rangée de civils
parmi lesquels on distingue une femme, les cheveux
épars sur les épaules et les mains liées derrière le
dos. Cette nouvelle infamie enflamme le courage de
nos soldats. Une compagnie se lance en avant, à la
baïonnette. Le chemin de la ferme est balayé par le
feu ennemi, mais rien n'arrête les nôtres. Malgré
nos pertes, en un clin d'oeil, la section adverse est
cernée, la porte de la maison enfoncée. Il est une
heure, nous sommes maîtres de la ferme.
Le hasard veut que notre nouveau point d'appui soit
relié au centre de Steinbach par une série de
hangars. Nous grimpons sur l'un d'eux. Une
mitrailleuse domine une tranchée ennemie à l'entrée
de la rue principale. Comme un fait exprès, des
trous donnant sur la ligne allemande sont percés
dans les murs de la grange et destinés à donner de
l'air aux fourrages.. Ces ouvertures sont pour nous
des meurtrières parfaites.
Un de nos meilleurs tireurs est parvenu à
l'extrémité des hangars. Dissimulé avec soin, il
épaule dans la direction de la place du village.
Quelques canons sont rangés là, qui tirent toujours
vers les pentes, le long desquelles nos renforts et
nos munitions de réserve arrivent. Notre homme,
posément, à deux cents mètres, ajuste les servants
prussiens, les abat l'un après l'autre. Cet exploit,
qui prive la batterie ennemie de son personnel,
permet à notre ligne principale de faire à nouveau
un bond en avant. Des fantassins allemands veulent
prendre la place des artilleurs tombés, mais
ignorant le maniement des pièces, ils perdent un
temps précieux.
A la fin de l'après-midi, une de nos colonnes
parvient à glisser sur la droite ennemie, le long du
ruisseau de Steinbach. Nous prenons ainsi le village
à revers. A cinq heures, une contre-attaque
désespérée de l'ennemi, au nord du hameau, échoue
piteusement. Les cavaliers, qui contre-attaquaient à
pied, sont rejetés dans le lit du torrent, où les
plus atteints se noient.
Le combat se poursuit, farouche, jusqu'au soir.
Toute ruelle devient une embuscade, toute
maisonnette se transforme en citadelle. La
possession d'un mur, d'une porte, devient l'objet
d'un corps à corps sérieux. L'exaspération dans les
deux camps va croissant. La nuit n'arrête pas la
bataille.
A la faveur de l'ombre, un de nos volontaires se
dévoue et va mettre le feu à une grande remise
derrière laquelle s'abrite une force allemande.
Notre homme réussit sa mission et, à la lueur du
foyer, nous voyons bientôt s'enfuir une troupe
d'ennemis. Une de nos mitrailleuses ouvre le feu sur
les fuyards et non sans profit. Une heure plus tard,
l'adversaire, qui veut nous rendre la pareille,
réussit à jeter des grenades incendiaires sur une de
nos granges, mais les Prussiens ont mal calculé. Le
vent d'ouest souffle et rabat les flammes vers les
Allemands, obligeant ceux-ci à évacuer leur première
ligne de tranchées.
L'incendie, qui gagne, atteint une réserve de
munitions qui sautent avec un bruit effroyable.
Le canon n'a pas cessé de tonner sur la crête. Les
flammes projettent de grandes ombres sinistres sur
les pentes d'en face.
La fusillade crépite de toutes parts. Le combat est
tel qu'il est impossible de se rendre compte de ce
qui se passe à quelques mètres plus loin, le champ
de bataille se trouve limité pour chaque soldat à
une maison, à une cour, parfois à une chambre.
BOMBARDEMENT
Tilly-sur-Meuse. 9 janvier 1915.
Depuis mercredi, Tilly-sur-Meuse, situé sur la rive
gauche de la Meuse, à 20 kilomètres environ de
Verdun et 16 kilomètres de Saint-Mihiel, est
violemment bombarde. Cinquante-deux obus sont tombés
sur la petite ville dans la seule journée de jeudi.
La bonne du curé a été tuée. Plusieurs maisons ont
été détruites.
A Bouquemont, les maisons ont été incendiées.
APPEL ET AVERTISSEMENT
Je comprends pourquoi le gouvernement a si longtemps
hésité pour publier le rapport officiel sur les
atrocités allemandes en France. Il craignait de
jeter l'épouvante dans les coeurs français.
C'est que pour subir une pareille lecture jusqu'à la
fin il faut avoir le coeur solidement accroché. Il
vient à la gorge, quand on parcourt ces documents,
de, tels sursauts de dégoût et de honte que l'on
rougirait d'être homme si les Allemands n'avaient
pris eux-mêmes la précaution de se rayer de
l'humanité. Se prenant pour des surhommes, ils ont
montré qu'ils sont seulement des sous-hommes, des
bêtes féroces et monstrueuses.
Le gouvernement a bien fait de publier les documents
de la commission, de quelque horreur que pèse un
cauchemar aussi hideux.
La France a prouvé son énergie dans le malheur.
Jamais, à aucun moment, elle n'a laissé échapper une
plainte. Son âme est trempée définitivement. Rien ne
saura l'émouvoir jusqu'au moment où la victoire
finale lui permettra de relever ses ruines et de
glorifier ses enfants.
Elle a donc le droit de tout savoir, pour connaître
ce que font, ce que sont ses ennemis. La lumière
sanglante du rapport sur les atrocités allemandes ne
troublera pas la clarté de ses yeux.
La France serrera son épée d'une main plus nerveuse
parce qu'elle comprendra plus fort encore que la
culture allemande se développe par le parjure, le
vol, l'incendie, le pillage, le viol, l'assassinat,
la torture.
Elle ne voudra pas lâcher le glaive avant d'avoir
terrassé l'Allemagne, monstre qui souille la terre,
et elle emploiera à cette besogne tout son sang,
s'il le faut.
Mais tout ce sang, il ne le faudra pas.
Il est impossible que les peuples civilisés ne
soient pas émus. Justement parce que leur neutralité
s'inspire d'un égoïsme sacré, il.est impossible
qu'ils ne comprennent pas l'effroyable péril où les
conduit cet égoïsme.
Ils comprendront certainement que si les alliés un
jour fléchissaient, c'en serait fait de la
civilisation universelle. Et leurs populations
verraient à leur tour les horreurs qui ont ravagé la
Belgique, la France, la Pologne, la Serbie. A leur
tour leurs prêtres, leurs vieillards, leurs femmes,
leurs enfants seraient égorgés sans pitié, leurs
églises, leurs monuments, leurs villes incendiés et
rasés. Ils connaîtraient l'horreur de la culture
allemande. Et ils n'auraient plus qu'à gémir des
plaintes inarticulées, à pleurer des larmes de sang,
pour avoir entendu d'une oreille distraite les
plaintes de la Belgique et de la France, pour avoir
regardé d'un oeil sec la dévastation des pays
voisins. Et rien ne les sauverait puisqu'ils
auraient consenti à la destruction des forces
morales et matérielles qui s'étaient vouées à leur
sauvegarde.
L'héroïsme ne leur servirait plus de rien. Il ne
s'appuierait que sur des tronçons d'Europe.
Ce sort ne leur est pas destiné. Ils savent bien,
ils savent trop qu'ils peuvent compter sur la
ténacité anglaise, sur l'énorme masse russe, sur
l'infinie vaillance française.
Pourtant ils courent un risque formidable. Ils ont
en la Belgique un exemple terrible.
Leur devoir, ainsi que leur intérêt est sinon
d'agir, du moins de parler. Les pays neutres, s'ils
ne disent pas tout haut qu'il ne supporteront pas
éternellement le système des atrocités allemandes où
qu'il s'exerce, perdront le droit de protester le
jour où ils seront maltraités. Quelle force
aurions-nous pour voler à leur secours en cas de
malheur, s'ils ne se sentent même pas capables
d'élever leur timide voix contre la violation
constante, effroyable de toutes règles
internationales et humaines ?
Le rapport de la commission est un appel et un
avertissement. Que les neutres entendent cet appel !
Qu'ils écoutent cet avertissement.
Nous traversons une époque où il ne fait, pas bon
être aveugle et muet.
RENÉ MERCIER.
Ils RÉPONDENT à nos PROGRÈS
en bombardant Soissons
Paris, 9 janvier, 15 h. 35.
Au sud d'Ypres, nous avons endommagé les tranchées
de l'ennemi et réduit au silence ses minenwerfer.
Dans la région d'Arras et dans celle d'Amiens,
combats d'artillerie où nous avons eu un avantage
marqué.
Dans la région de Soupir, nous avons très
brillamment enlevé, hier matin, la cote 132. A trois
reprises, dans la journée, l'ennemi a contre-attaqué
violemment. Il a été chaque fois repoussé. Notre
gain représente trois lignes de tranchées allemandes
sur un front de 600 mètres. L'ennemi, n'ayant pu
reprendre ce qu'il avait perdu, a bombardé Soissons
et incendié le palais de justice.
Au sud de Laon et de Craonne, notre artillerie a
démoli un baraquement contenant des mitrailleuses,
réduit au silence l'artillerie ennemie et bouleversé
des tranchées.
Dans la région de Perthes, l'ennemi a prononcé une
attaque à laquelle nous avons immédiatement répondu
par une contre-attaque. Celle-ci nous a permis, non
seulement de conserver nos positions à la cote 200
(ouest de Perthes), mais encore de nous emparer de
400 mètres de tranchées ennemies, entre la cote 200
et le village de Perthes.
En outre, d'une attaque directe prononcée par nous
sur Perthes, nous avons contre-attaqué sur la cote
200 et nous nous sommes rendus maîtres du village.
Nous nous y sommes installés et nous avons progressé
au delà des lisières. Notre gain total de ce côté
est de plus de 500 mètres de profondeur.
Sur tout le front, entre Reims et l'Argonne, notre
artillerie a infligé des pertes sensibles attestées
par les prisonniers.
Dans l'Argonne, nous avons subi sur notre droite une
vive attaque ennemie à laquelle nous avons répondu
par une contre-attaque qui nous a ramené au point de
départ.
En Woëvre, au nord-ouest de Flirey, dans le bois
d'Ailly et dans le bois Le-Prêtre, légers progrès.
Dans la région de Cernay, nous avons maintenu nos
positions. Plus au sud, l'ennemi, très renforcé, a
réoccupé Burnhaupt-le-Haut au prix de fortes pertes.
CONTRE-ATTAQUES ALLEMANDES
Sanglant échec
Paris, 10 janvier. 5 h. 45.
Voici le communiqué officiel du 9 janvier, 23 heures
:
Au nord de Soissons, nos progrès d'hier ont été
maintenus ; un nouveau retour offensif allemand a
été repoussé dans la matinée.
Les tranchées conquises par nous entre
Perthes-les-Hurlus et la cote 200 ont été vivement
contre-attaquées. L'ennemi a été complètement
refoulé, après avoir subi de fortes pertes.
Sur le reste du front, rien à signaler.
Le Bombardement de Longwy
PENDANT L'OCCUPATION ALLEMANDE
A quiconque se plaint, en France, des formalités
nécessaires pour la délivrance des sauf-conduits,
nous conseillerons d'interroger Mme Cl... sur ses
tribulations, ses démarches à travers la
bureaucratie allemande.
Mme Cl... vient de rentrer à Nancy. Elle était
restée cinq mois à Longwy, en pleine occupation,
jusqu'au jour où elle entrevit comme une lueur
d'espoir le moyen de regagner la France, par le
chemin des écoliers. Elle franchit donc la frontière
au bois de la Sauvage, pénétra dans le Grand-Duché
et fit connaissance alors avec l'administration du
kaiser.
Pendant deux jours, elle erra dans Luxembourg, du
commissariat à la commandatur, de l'hôtel de ville à
l'ambassade ; elle versa un mark pour obtenir sur
ses passeports une première signature, trois mark
pour une seconde apostille, essuya les rebuffades
des plantons, les colères farouches des
sous-officiers.
Enfin, la malheureuse femme put prendre le train
pour la Suisse. Elle emmenait avec elle trois
enfants, ses neveu et nièces, parmi lesquels le
petit Pierre, un gamin espiègle et moqueur dont les
plaisanteries s'exerçaient parfois aux dépens des
Boches.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer hier Mme
Cl... dans son logement du faubourg Saint-Georges.
Elle est remise à peine de ses émotions, des
fatigues de son long voyage ; mais, pleine de
vaillance, elle a voulu dès son retour à Nancy,
visiter les personnes pour lesquelles on l'avait
chargée de commissions :
- Le bonjour pour celui-ci ; un souvenir à celui-là.
Bref, je vais dans tous les quartiers de la ville.
J'ai pu rassurer ainsi beaucoup de gens inquiets du
sort d'un parent ou d'un ami. Après ma tournée de
visites, je commencerai les lettres que j'ai promis
d'envoyer à d'autres personnes privées également de
nouvelles par la rupture des relations entre Longwy
et le reste de la France. »
Mme Cl... a dû apprendre par coeur et retenir les
adresses, car une perquisition minutieuse des
bagages empêcha les indiscrétions : ni un bout de
lettre, ni un fragment de journal ne peuvent être
introduits en France, sous des peines qui vont
jusqu'au châtiment suprême, comme s'il s'agissait du
crime d'espionnage. On sait que les Allemands ne
badinent jamais, qu'ils font plutôt bon marché de la
vie humaine, que l'assassinat des femmes ne leur
répugne pas et on se tient pour averti !
Sous les obus
Nous avons obtenu de Mme Cl. quelques renseignements
nouveaux sur la situation de Longwy pendant
l'occupation.
On se rappelle qu'un furieux bombardement déchaîna
sur la vieille citadelle une tempête d'acier. Il ne
reste de l'hôtel de ville qu'une façade squelettique
; l'église a servi de cible aux obus, et sa tour aux
trois quarts démantelée, laisse pendre un drapeau
tricolore en lambeaux que l'ennemi a vainement
essayé d'abattre le drapeau reste debout, comme un
héroïque blessé ; il attend devant le ciel, au
milieu des ruines, la certitude de la revanche qui
délivre ; il met son auguste symbole sur la cité qui
tôt ou tard chassera les Barbares.
- La porte de France, nous dit Mme Cl., a
relativement peu souffert, mais la porte de
Bourgogne a essuyé un feu d'enfer. C'est de ce côté
que furent dirigés les assauts ; c'est là que se
concentrèrent Les efforts des assiégeants. La
canonnade dura six jours et six nuits, sans trêve,
du 21 au 27 août. Quand l'orage cessa, la
population courut vers Longwy-Haut ; mais un
spectacle lamentable attrista les yeux. Le pillage
s'organisait, méthodique On chargeait des camions;
des chariots ; on vidait
les magasins, on déménageait les logements. Razzia
complète. Une bijouterie, surtout, fut dévalisée
jusqu'à sa dernière bague, sa dernière montre. »
Les batteries allemandes, d'énormes pièces de
marine, des dogues monstrueux, avaient été amenées
dans les bois d'Hallanzy et dans les maisons de
Rodange, au delà de la frontière luxembourgeoise.
De même qu'à Maubeuge et dans plusieurs villes du
Nord, les préparatifs de l'avant-guerre désignaient
à Rodange les emplacements des canons ; un immeuble
avait reçu un aménagement spécial pour les
formidables engins traînés par un attelage de seize
chevaux.
- Quand le premier obus siffla sur nos têtes,
déclare Mme Cl..., nous cherchâmes un refuge dans
les caves. Il était temps. Mon toit venait d'être en
partie démoli. Rien que dans ma cave, dix-neuf
personnes étaient réunies. Un drame effroyable se
déroula près de nous. Plusieurs femmes occupaient
une cave voisine, groupées dans l'escalier ; soudain
un fracas épouvantable. L'explosion frappe au
hasard. Une femme, ayant sa mère assise sur une
marche au-dessous d'elle, entre ses genoux,
s'aperçoit qu'elle presse sur son coeur un cadavre
dont la tête est broyée ; la malheureuse se lève,
sort affolée dans la rue, malgré la pluie de
mitraille, en criant :
- Ma mère est tuée. Ma mère est tuée. »
On crut d'abord que le tir s'acharnerait seulement
sur la citadelle ; mais le repérage par avions ou
quelques renseignements d'espionnage avertirent les
Allemands qu'à Longwy-Bas nos soldats se tenaient en
assez grand nombre: dans la rue de la Chiers. Les
rafales meurtrières s'abattirent alors sur ce
quartier. Pendant une semaine d'angoisse, les
habitants vécurent dans les caves, prêtant l'oreille
aux vacarmes du bombardement.
- Nous croyions à chaque instant reconnaître
l'intervention de l'artillerie française... L'espoir
nous réchauffait l'âme. Les illusions s'évanouirent,
hélas ! quand on nous offrit un asile plus sûr dans
le bâtiment des accumulateurs aux usines de
Saintignon. Les mauvaises nouvelles circulaient ; on
annonçait la fin d'une résistance inutilement
sublime ; on racontait qu'un régiment, trompé par la
similitude des noms, avait rencontré à Lexy, qu'on
avait pris pour Mexy, des forces ennemies dont la
supériorité avait écrasé la bravoure des nôtres ; on
parlait d'inévitable capitulation ; des fantassins,
qui n'avaient pas eu, dans notre quartier,
l'occasion de tirer un coup de fusil, pleuraient, de
rage et de douleur, voulaient quand même, avec une
magnifique obstination, marcher vers les Prussiens
qu'ils n'avaient, pas vus encore. »
Il fallait se rendre.
Malgré des pertes la garnison résista aux suprêmes
assauts lancés contre elle. C'est à
Mont-Saint-Martin que le signal de l'attaque fut
donné le 26 août, à quatre heures du matin, sur la
place des Aciéries. La musique jouait dans le
kiosque ; le son aigrelet des fifres, le roulement
des tambours, bientôt, se fondirent dans le tumulte
des charges, dans les crépitements de la fusillade,
tandis que, le canon grondait comme une base dans ce
concert effrayant.
Le kronprinz dirigeait le combat.
L'héroïque garnison se retira avec les honneurs de
la guerre ; elle avait fait sans défaillance son
devoir jusqu'au bout !
Les barbares s'installent
Les récits qui en ont été déjà publiés à mainte
reprise ont instruit nos lecteurs des débuts de
l'occupation.
On sait que la ville fut frappée d'une indemnité
d'un million. La contribution fut versée par MM. de
Saintignon et d'Huart, maîtres de forges ; Thomas,
ancien banquier ; Ferry, notaire, etc. Le maire, M.
Pérignon, déploya une admirable fermeté. Sa conduite
et celle des citoyens qui l'assistèrent dans ces
heures tragiques fut au-dessus de tout éloge.
On sait que les Allemands établirent la Commandatur
dans la maison de M. Thomas, qui dut à cette
circonstance d'être épargnée par le pillage ; mais
les villas, les châteaux, les hôtels, les propriétés
particulières fournirent un butin considérable.
On sait encore que le premier soin de l'ennemi fut
de convoquer les jeunes gens en âge de porter les
armes. Deux cents environ d'entre eux étaient partis
pour Mézières au premier jour de la mobilisation
pour s'engager volontaires ; ils revinrent à pied en
déclarant que le recrutement les priait de revenir
le 22 août. Hélas ! les événements les empêchèrent
de quitter leur ville :
- Leurs noms ont été inscrits sur une liste d'appel,
dit Mme Cl... Ils sont tenus de répondre chaque
semaine aux convocations allemandes et de se
rassembler sur la place de l'Industrie. Ils sont
ménagés ; mais, quand les Boches évacueront Longwy,
ils leur fourniront certainement un lot d'otages, à
moins qu'ils ne soient jetés en prison ou enrôlés
malgré eux sous les aigles du kaiser. »
La population longovicienne n'eut pas trop à
souffrir de l'occupation. Les vivres abondaient ; le
prix en était plutôt abordable : on payait le sucre
de sept à neuf sous le kilo ; le lard 2 fr. 40 ; la
douzaine d'oeufs 2 fr. 60 ; mais la farine devint
rare, le beurre faillit manquer ; les pommes de
terre, les légumes secs disparurent de la table et
furent remplacés par les pâtes alimentaires ; il
fallut renoncer à l'éclairage par le pétrole et se
munir de lampes à acétylène ; on fut privé de
saindoux ; le pain noir, où dominait la farine de
seigle, succéda au pain blanc.
Les Allemands raflaient dans toute la région les
trois quarts des récoltes et ne laissaient aux
habitants ainsi dépouillés que l'autre quart pour
subsister. Les ruches furent volées ; on emporta le
miel et l'on brûla les abeilles ; une des
principales richesses du pays fut ainsi supprimée.
Est-il besoin de dire que la plupart des caves,
sinon toutes, étaient complètement vides. Les
réquisitions et le pillage avaient passé là.
Pourtant une mesure exceptionnelle de faveur
autorisait les malades à posséder douze litres de
vin !
Ce fut un sous-officier de réserve allemand, nommé
Wilberger, qui se chargea du ravitaillement.
Wilberger habitait Longwy. Il semblait suspect - et
l'opinion publique ne se trompait guère sur son
compte. Au jour de la déclaration de guerre, il
annonça son engagement volontaire, feignit de partir
aussi pour Mézières d'où il revint le 16 août, par
la route d'Arlon. Dès lors, on fut absolument fixé
sur le patriotisme de cet individu en qui les Boches
mirent toute leur confiance. Le triste personnage
installa à la gare son magasin (?) de ravitaillement
et fournit au commerce local les marchandises « made
in Germany » nécessaires à la consommation.
Il y a d'autres surprises.
Une femme, que les officiers allemands couvraient de
bijoux, qu'ils promenaient dans leurs automobiles,
occupait, avant l'ouverture des hostilités, une
situation... mais à quoi bon révéler aujourd'hui les
fautes, les tristesses, les abandons, les scandales
sur lesquels la lumière sera faite au grand jour
d'une prochaine justice !
Les visites impériales
Pendant que son quartier général était à Luxembourg,
le kaiser vint en auto deux fois visiter Longwy d'où
son fils lançait ses extraordinaires et bouffonnes
proclamations.
Comme il recherche volontiers les formes tapageuses
de la popularité, Guillaume II s'avisa de répandre
son portrait en cartes postales. Il voulut un cliché
inédit. L'impérial histrion « posa » dans un décor
de ruines dans la citadelle que ses troupes avaient
ravagée.
Une idée plus originale traversa son esprit.
Il avisa certain jour une jeune fille et se plaça
auprès d'elle devant l'objectif, puis, en manière de
remerciement, il proposa à sa compagne :
- Voyons, mademoiselle, que désirez-vous de moi ? Je
suis prêt à satisfaire un de vos caprices. Parlez.
Je vous laisserai de moi le souvenir, la grâce qu'il
vous plaira de demander.
La jeune fille sembla hésiter. Elle fixa sur le
souverain son regard honnête et franc ; une parole
audacieuse jaillit de ses lèvres :
- Accordez-moi simplement la faveur de ne point
brûler mon pauvre village, dit-elle.
- Quel village ?
- Bazailles. une petite localité à vingt kilomètres
d'ici.
- Je le promets.
Et, séance tenante, sur un large papier, le kaiser
rédigea lui-même l'ordre de respecter Bazailles.
- Si nos soldats menacent le pays, prononça
Guillaume II, vous n'aurez qu'à montrer cet ordre
écrit de ma main. Les officiers obéiront.
L'histoire que nous raconte ainsi Mme Cl... nous fut
également rapportée hier par un autre témoin, Mlle
R..., venue de Longwy cette semaine, avec une légère
variante.
Ce serait le kronprinz, d'après Mlle R., qui aurait
exigé que la fillette de Bazailles fût photographiée
à son côté et, comme elle résistait, peu flattée
sans doute du voisinage :
- Placez-vous près de moi, aurait insisté le
kronprinz. sinon je fais immédiatement détruire
votre village.
Laquelle de ces deux versions est la vraie ? Ma foi,
je laisse aux historiens de l'avenir le soin
d'approfondir la question.
Mme Cl... aperçut deux fois Guillaume II dans les
rues de Longwy ; il descendait à la commandature,
dans la maison de M. Thomas :
- Je ne connaissais pas l'empereur, nous
déclare-t-elle ; mais il m'a laissé une étrange
impression. On dirait un vieillard. Ses rides se
creusaient profondément; ses épaules semblaient
courbées sous le poids d'un mystérieux fardeau
plutôt que par l'âge. »
Les Kamarades français
Depuis quelque temps, l'administration allemande
change d'attitude. Elle se fait sévère. Plus de
laissez-passer. Plus de ces petites libertés dont
s'accommodaient les débuts de l'occupation. Défense
de lire les journaux français ou suisses sous peine
de mort.
Les territoriaux de la landsturm, à l'effectif de
deux compagnies, gardent la ville. Ils semblent
animés d'un patriotisme sans enthousiasme, quoique
les victoires de Lodz (!?) aient été célébrées par
les cloches en volée à Virton et les beuveries dans
les débits de la région en liesse.
L'armée allemande est convaincue maintenant que son
chef n'a jamais voulu s'emparer de Verdun ni de
Paris - car, pour tout Allemand digne de ce nom, il
est hors de doute que nulle capitale ne résiste aux
volontés du kaiser.
Les soldats français sont au contraire des kamarades
avec qui s'échangent d'une tranchée à l'autre, les
cigarettes et les petits cadeaux destinés à
entretenir cette nouvelle amitié :
- Nous allons faire alliance, répètent les naïfs
territoriaux, afin de battre l'Angleterre ! La
France est une nation vaillante. Elle nous aidera.
Il faut prendre Londres !. »
Pourtant, quand le 112e saxons dut se battre sur les
Hauts-de-Meuse, la défiance régna et, à son retour,
un commandant disait qu'en moyenne les compagnies
étaient réduites à un effectif, de vingt hommes.
Décidément, les kamarades français leur offraient
autre chose que des cigarettes !
Un matin que les Boches traversaient la ville, un
ouvrier laissa échapper cette réflexion.
- En voilà qui s'en vont à Verdun pour se faire
encore casser la g... ».
L'ouvrier fut immédiatement arrêté et son
appréciation lui valut un an de prison devant le
conseil de guerre.
Mme Cl... énumère d'autres incidents : le supplice
auquel elle fut soumise notamment à Cosnes pour
s'être fourvoyée en chemin. Elle resta debout au
corps de garde, le visage tourné contre le mur,
condamnée à l'immobilité absolue, jusqu'au moment où
ses forces la trahirent.
Le maire de Ville-Houdlemont malgré ses 75 ans, fut
obligé, pieds nus, presque sans vêtements, de
suivre, sous une pluie battante, les officiers
d'intendance dans leurs réquisitions.
Aussi quelle joie, après tant d'amertume, quand Mme
Cl..., ses neveu et nièces, arrivèrent en Savoie,
avec une caravane de Français, arrachés comme elle
par miracle aux souffrances d'un long exil !
Mlle R... avait, entre autres, juré d'embrasser sur
le sol enfin retrouvé de la patrie, le premier
pioupiou qu'on rencontrerait. Ses compagnes
prêtèrent le même serment et ce fut, ma foi, un
brave homme de territorial qui profita de l'aubaine
:
- Il était content, fallait voir ! Il essuya sa
grosse moustache d'un revers de main, en releva
coquettement la pointe et nous dit en riant : «
Allez-y, mesdames... c'est pour la France... » Et je
vous jure bien que, s'il était content, j'ai mis
rarement dans un baiser autant de mon âme et de mon
coeur que dans ce baiser-là ! »
ACHILLE LIÉGEOIS.
(à
suivre) |