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Janvier 1915 - La Vie en Lorraine (1/3)

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La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915

La Grande Guerre
LA VIE EN LORRAINE
JANVIER 1915
L'Est Républicain NANCY


Au mois de janvier le mauvais temps gêne les opérations. Cependant les Allemands s'efforcent entre la Moselle et la Meuse, et persistent dans leur vaine tentative d'encerclement de Verdun. Ils réussissent à ramener de 1,800 mètres notre front du côté de Soissons. Là s'arrête définitivement leur souffle.
Pour nous, nous occupons Steinbach en Alsace. Nos avions bombardent Metz, et nous nous décidons à publier le premier rapport sur les atrocités allemandes.
Les Taubes viennent de temps en temps sur Nancy sans faire grand mal.
Les Zeppelins vont maintenant tuer des femmes et des enfants sur les côtes anglaises, pendant que nos amis Anglais, en un combat naval, mettent en fuite les navires allemands et coulent le Blücher.
Janvier 1915 est le mois où l'espérance s'ajoute à la foi. S'il n'est pas d'une activité décisive, il montre que notre résistance est à l'épreuve de la fureur germaine.
René MERCIER.

L'AN NOUVEAU

Voici l'an 1914 passé. Il emporte avec lui bien des deuils, bien des ruines, bien des désastres.
Mais on ne saurait rien lui reprocher. Avec la guerre il nous a donné l'union nationale, et a développé la conscience de notre valeur morale. Il a montré à nos ennemis étonnés, à l'univers surpris de quelle volonté sont formées les âmes françaises, d'apparence frivole, et quelle énergie enferment ces corps que l'on croyait frêles.
L'an 1914 nous a donné l'orgueil du nom français.
Qu'il soit loué.
L'an 1915 est là, qui nous apportera bien des douleurs nouvelles.
Qu'il soit béni quand même. Il nous délivrera de l'invasion allemande. Il portera à la vanité germaine exaspérée le coup mortel. Il offrira au monde entier la paix idéale dans la joie de la liberté reconquise.
L'an 1914 nous a donné une guerre qui nous a relevés à nos yeux et aux yeux de tous.
L'an 1915 nous donnera et donnera à nos enfants une paix à jamais glorieuse qui mettra la force au service du droit.
Aux amis soldats dans les tranchées, sur les voies, dans les bois et dans les villes, aux amis civils qui, sous la menace des obus et des bombes, dans les champs ou aux ateliers travaillent à l'éternel renouvellement de la vie nationale, l'Est républicain souhaite une année heureuse.
L'an 1915 ne sera point à son terme que notre souhait sera réalisé.
Vive l'an nouveau l
RENÉ MERCIER.

LA CORRESPONDANCE AVEC L'ALSACE

Liste des localités pour lesquelles la correspondance peut être acheminée via Dannemarie au tarif intérieur français : 0 fr. 10. Service organisé depuis le 6 octobre 1914 :
Altenach, Ballersdorff, Balschwiller, Bellemagny, Brechaumont, Bretten, Butwiller, Chavanne-sur-l'Etang, Dannemarie, Dieffmatten, Eglingen, Elbach, Eteimbes, Fackwiller, Friesen, Fulleren, Guildwiller, Commersdorff, Guevenatten, Hagenbach, Hecken, Hindlingen, Largitzen, Lutran, Magny, Manspach, Merzen, Montreux-Jeune, Montreux-Vieux, Pfetterhausen, Reitzwiller, Romagny, Saint-Cosme, Saint-Ulrich, Seppois-le-Bas, Seppois-leHaut, Sternenberg, Struh, Traubach-le-Bas. Traubach-le-Haut, Uberkummen, Uberstrass, Valdieu, Wolfersdorf.

UNE SEMAINE DE GUERRE
du 16 au 24 décembre

Cette période a précisé et accentué les résultats précédents. Nous avons réduit partout l'ennemi à la défensive. Ses échecs pour la reprise du terrain perdu confirment nos avantages, et sur plusieurs parties du front nous avons pris plusieurs points d'appui importants.

De la mer à la Lys. - Dans la boue.
Les opérations au nord de la Lys ont été très dures. La boue envahit les culasses et rend le tir impossible. Nos soldats sont des blocs de boue.
On a organisé pour eux, à la sortie des tranchées, des services de bains, de changement de linge.
Leur inaltérable bonne humeur supporte merveilleusement l'existence rude infligée par l'hiver.
Avant Nieuport, nous avons progressé sur les dunes. Le 15 décembre, nous avons débouché de Nieuport jusqu'à la lisière de Lombaërtzyde.
Le 16 décembre, nous avons poussé jusqu'à la mer, et occupé le phare. Nous avons fait plus de cent prisonniers. Les jours suivants, nous avons gagné près de 400 mètres, que nous avons conservés, malgré les contre-attaques de l'ennemi.
Au nord- d'Ypres, la lutte se concentre près de Steenstraete-Bixschoote, autour du cabaret Korteker. Nous avons pris plusieurs tranchées, quatre mitrailleuses, fait 150 prisonniers et gagné plus de 700 mètres.
Au sud d'Ypres, nous avons gagné 400 mètres le 16 décembre. Les jours suivants, nous avons pris deux mitrailleuses, des caissons et plusieurs groupes de maisons, malgré les difficultés du terrain, car il faut combattre dans l'eau.

De la Lys à l'Oise.
Au nord de Lens, dans la région de Vermelles-Notre-Dame de Consolation nous avons progressé de 950 mètres. Nous sommes arrivés à la bifurcation des chemins de Loos-Le Rutoire-Vermelles, le 20 décembre, aux premières lignes des tranchées de l'ennemi qui essaie inutilement de déboucher de Carency. Carency reste entre ses mains.
Aux portes d'Arras, nous avons attaqué et gagné du terrain à Saint-Laurent-de-Blanzy. Nous avons fait exploser un dépôt de munitions à Tholus, et plusieurs canons à l'est de Blanzy.
Entre Arras et Noyon, les principales actions ont eu lieu à Ovillers, La Boisselle, Mametz, Carnoy, Maricourt et Lihons.
Du 17 au 19 décembre, nous avons enlevé le cimetière de La Boisselle, les tranchées de première ligne de Maricourt.
Nous avions atteint la lisière sud de Mametz. Le 14 décembre, nous tenons toute la partie sud de La Boisselle, en prenant 80 prisonniers et une mitrailleuse.
Nous' repoussons, le 11 décembre, les contre-attaques allemandes près de Carnoy.
Notre artillerie détruit les tranchées allemandes au nord-est de Camoy. Elle démolit deux mitrailleuses. Le lendemain, elle démolit deux pièces allemandes qui étaient en batterie près de Hem.
Dans la région de Lihons, nous avons pris des tranchées que nous avons dû défendre contre de furieuses contre-attaques, notamment le 19 décembre, où nous avons fauché des colonnes allemandes par quatre.

Entre l'Oise et l'Aisne.
Entre l'Oise et l'Aisne, notre artillerie a détruit les mitrailleuses d'un observatoire, près de Tracy-le-Val, et une barricade dans la région de Vally. Elle a démoli plusieurs pièces, descendu des ballons captifs, et bouleversé les tranchées ennemies sur le plateau de Mouvion.
Notre infanterie a réalisé des progrès incessants dans la région de Nampcel-Puisaleine, en enlevant des tranchées ennemies, en prenant des mitrailleuses, en repoussant des contre-attaques à la baïonnette.
Au sud de Laon, à Craonne et dans la région de Reims, des combats d'artillerie marquent la dernière semaine. L'ennemi n'a pas réussi, malgré une dépense double de projectiles, à enlever son avantage à notre artillerie lourde.
Nous avons détruit des abris pour mitrailleuses et des redoutes, près de la sucrerie de Troyon et aux carrières de Beaulne, ainsi qu'un bastion sur le plateau de Vauclerc.
Nous avons dispersé des rassemblements ennemis dans la vallée de Suippes. Nous avons bouleversé les tranchées allemandes près de la ferme Boursant.
Nos pertes en infanterie ont diminué.

Entre Reims et Argonne.
Nos attaques n'ont pas permis à l'ennemi de reconquérir ses positions perdues du 15 au 24. Entre Saint-Hilaire-le-Grand et Beauséjour, nous avons gagné 1.000 mètres des tranchées et ce gain s'étendit à un kilomètre et demi dans la région de Perthes, où nous avons enlevé plusieurs blockhaus, une section de mitrailleuses avec son personnel, des caisses de munitions, des projecteurs, des canons sous coupole.
Nos gains à Mesnil-les-Hurlus complètent les progrès à Perthes.

De l'Argonne à la Frontière suisse.
De l'ouest de l'Argonne à la frontière suisse, nous avons ramené en arrière l'ennemi, qui avait réussi à faire exploser une de nos tranchées, le 17 décembre.
Au bois de la Grurie et au bois Bolante, à diverses reprises, nous avons fait exploser des mines allemandes.
Nous avons démoli des mitrailleuses, des abris blindés, et pris des pare-balles et du matériel.
De l'ouest de l'Argonne aux Hauts-de-Meuse, le succès a couronné souvent notre activité. Notre artillerie lourde a endommagé fortement l'artillerie ennemie, dont elle a détruit diverses batteries, au nord-est de Saint-Mihiel et près de Béthincourt.
Notre infanterie a attaqué surtout dans la région Boureuilles-Cuisy, Culey-Bois des Forges et bois de Consenvoye. Nous avons pris le village de Boureuilles. Nous avons dû l'abandonner et nous en avons repris les lisières. Ailleurs, nous avons progressé de 100 à 300 mètres.
Entre Meuse et Moselle, progression lente, mais continue, dans la forêt d'Apremont et au bois Le Prêtre.
Il convient d'enregistrer aussi plusieurs succès, de notre artillerie dans les Vosges. Nous avons gagné 250 mètres dans le Bande-Sapt. Nous avons maintenu partout les gains de la semaine précédente, et nous sommes arrivés à 1.500 mètres de Cirey.

La guerre aérienne.
Malgré l'extrême difficulté résultant du mauvais temps, nos avions et nos dirigeables ont lancé 15 obus, le 17 décembre, sur Sarrebourg, six sur la gare de Petit-Eich, cinq obus et mille fléchettes sur un train en gare de Herming.
Les Allemands reconnaissent des dégâts importants.
Nos avions, à diverses reprises, du 18 au 22 décembre, ont pourchassé les appareils allemands et les ont forcés à atterrir. Plusieurs avions ont lancé, avec succès, bombes et fléchettes sur des tranchées et des rassemblements, des gares et des trains.
Le 21 décembre, ils en ont lancé sur un ballon captif, le. 22 sur le port de Strasbourg et la gare de Dieuze.
Le prince de Teck a remercié vivement le chef de l'escadrille qui a opéré sur la côte allemande avec l'escadre anglaise.
L'escadrille a contribué à régler le tir des navires et elle a surveillé les sous-marins ennemis.

LA LUTTE DE TRANCHÉE A TRANCHÉE
Nous sommes à Steinbach

Bordeaux, 31 décembre, 15 h. 45.
De la mer jusqu'à l'Aisne, journée à peu près calme. Duel d'artillerie sur quelques points du front.
En Champagne, à l'ouest de la ferme d'Alger (nord de Sillery, secteur de Reims), l'ennemi a, dans la nuit, fait sauter deux de nos tranchées et a lancé contre elles une attaque qui a été repoussée.
Au nord de Mesnil-les-Hurlus, nous avons conquis des éléments de la seconde ligne de défense ennemie.
Dans la même région, au nord de la ferme de Beauséjour, nous avons également enlevé des tranchées. L'ennemi a contre-attaqué, mais il a été repoussé, et, reprenant à notre tour l'offensive, nous avons de nouveau gagné du terrain.
Dans la même zone et plus à l'est, des forces allemandes qui s'avançaient pour nous contre-attaquer ont été prises sous le feu de notre artillerie et dispersées.
En Argonne, vers Fontaine-Madame, nous avons, en faisant sauter une mine et en occupant l'excavation, réalisé un léger progrès.
Entre Meuse et Moselle, dans la région du bois de Mortmare, cent cinquante mètres environ de tranchées allemandes sont tombées entre nos mains.
En Haute-Alsace, nos troupes sont entrées dans Steinbach et ont enlevé la moitié du village, maison par maison.

SUCCÈS SUR LA MEUSE & A STEINBACH

Paris, 1er janvier, 0 h. 25.
Voici le communiqué officiel du 31 décembre, 23 heures :
Hier soir, une attaque de l'ennemi, qui essayait, après une vive fusillade, de déboucher du bois de Forges, sur la rive gauche de la Meuse, a été immédiatement refoulée.
Les positions conquises par nos troupes dans Steinbach ont été maintenues et nous continuons à y attaquer celles de l'ennemi.
Du reste du front, ne nous est parvenu aucun renseignement qui mérite d'être signalé.

LES DÉGATS DANS LE TOULOIS

Toul, 1er janvier 1915.
Les villages au nord de Toul, maintenant occupés par les soldats français, sont en partie détruits ; leur territoire, coupé en divers sens par des tranchées, recèle de nombreux obus non éclatés, ce qui en rendra la culture difficile et dangereuse : leurs habitants ont abandonné leurs maisons pillées par les Allemands ou par des gens qu'il faudra rechercher après les hostilités.
A Seicheprey, il ne reste qu'une maison et une partie de l'église ; à Flirey, des quartiers de maisons sont complètement détruits ; le clocher, fortement ébréché, menace ruine.
A Limey, dont une trentaine d'habitants, qui n'avaient pas fui, ont été emmenés prisonniers, les trois quarts des maisons sont brûlées ou renversées ; l'église est à peu près intacte.
A Lironville, la plupart des maisons qui restent menacent ruine.
A Mamey, beaucoup de maisons démolies ; église et clocher méconnaissables ; quelques habitants qui s'étaient enfuis, le 5 septembre, sont rentrés vers la fin d'octobre.
A Rogéville, plusieurs maisons démolies, d'autres brûlées ; l'église est endommagée.
A Beaumont, le beau clocher qui s'apercevait de si loin est par terre et une vingtaine de maisons démolies.
A Mandres, une quarantaine de maisons sont brûlées.

VIOLENTS COMBATS ENTRE MEUSE ET MOSELLE
Les gares de Metz et d'Arnaville bombardées par nos avions

Bordeaux, 1er janvier, 16 heures.
De la mer jusqu'à Reims, il n'y a eu presque exclusivement que des combats d'artillerie.
L'ennemi a bombardé, sans résultats, le village de Saint-Georges et la tête de pont organisée par les Belges au sud de Dixmude.
Vive canonnade, résolue à notre avantage, entre La Bassée et Carency ; entre Albert et Rove, dans la région de Verneuil e: de Blanc-Sablon (près de Craonnelle) Sur ces derniers points, nous avons en outre démoli des ouvrages allemands.
Dans la région de Perthes et de Beauséjour, nous avons maintenu nos gains du 11 décembre. L'activité des deux artilleries opposées a été ininterrompue pendant toute la journée du 31.
En Argonne, l'ennemi a très violemment attaqué dans le bois de la Grurie, sur presque tout le front. Il a gagné sur certains points une cinquantaine de mètres mais il a été aussitôt contre-attaqué.
Dans la région de Verdun, violents combats d'artillerie.
Entre Meuse et Moselle, au nord-ouest de Flirey, les Allemands ont exécuté, dans la nuit du 30 au 31 et dans la matinée du 31, six violentes contre-attaques pour reprendre les tranchées conquises par nous le 30. Toutes ces contre-attaques ont été brillamment repoussées.
Nos avions ont bombardé, de nuit, les gares de Metz et d'Arnaville.
Nous continuons à progresser pied à pied dans Steinbach.
L'artillerie ennemie a montré, dans la matinée du 31, une grande activité, mais dans l'après-midi, nos batteries ont pris nettement l'avantage.
Paris, 2 janvier, 1 h. 35.
Le communiqué du 1er janvier, 23 heures dit qu'on n'a pas encore de nouvelles des opérations de la journée.

UN TAUBE ABATTU

Nancy, 2 janvier 1915.
On assure de source sérieuse que nos aviateurs ont réussi, mercredi après midi, à abattre un «  taube » qui s'apprêtait à lancer des bombes sur Nancy.
Le «  taube » se serait abattu un peu avant d'atteindre la Seille.

UN PASSIONNANT ÉPISODE DE LA GUERRE AÉRIENNE

Nancy, 2 janvier 1915.
Les Nancéiens ont assisté, hier, au spectacle émouvant d'un «  taube » harcelé, traqué, poursuivi à la fois par la canonnade et par un avion de notre escadrille de couverture.
Il était exactement midi. Nos rues centrales présentaient une grande animation. Beaucoup de consommateurs dans les cafés. Foule aux stations de tramways. Les conversations s'échangeaient naturellement sur les visites possibles, les éventuelles randonnées des «  taube » et des «  zeppelin » à l'occasion du Nouvel-An.
On s'accordait généralement à pronostiquer qu'en guise d'étrennes les Boches nous enverraient leurs cadeaux sous la forme qu'ont prise leurs souvenirs d'un «  joyeux Noël », l'autre semaine.
Soudain la silhouette d'un biplan se dessina sur le ciel gris, là-haut, avec la netteté d'une image sur un écran.
Allemand ou français ? Les avis se partagèrent. Pas longtemps. En moins de deux minutes, tout le monde se mettait d'accord pour reconnaître qu'un appareil allemand piquait droit sur Nancy, se maintenant à une altitude d'environ quinze cents mètres, luttant contre une assez forte brise du sud-ouest.
Comme les gardes d'Hippolyte, les curieux, sans s'armer d'un courage inutile, dans les établissements voisins ou sous un store cherchent alors un asile. Des agents dispersent les rares attroupements, prodiguant leurs avis prudents.
Mais, soudain, voici qu'un léger flocon se forme non loin de l'oiseau de mauvais augure. Une fusée éclate. La foule applaudit. C'est le signal d'un combat dans les airs et un spectacle nouveau va s'offrir à tous les yeux.
Bientôt, huit, dix, douze petits nuages semblent «  encadrer » le taube. Celui-ci continue sa marche. A peine une très faible oscillation indique-t-elle que son pilote a senti passer le vent du boulet et qu'une inquiétude paralyse sa manoeuvre.
Le canon tonne toujours ; il salue convenablement notre hôte. Les coups se succèdent à de courts intervalles ; ils «  tapent » en arrière, assez près pour augmenter l'émotion qui s'est emparée du public et qui se manifeste en hurras, en exclamations où insiste le conseil de rectifier le tir, comme si nos artilleurs; là-bas, pouvaient l'entendre :
«  Plus à droite... Ah ! sapristi ! il s'en est fallu d'une dizaine de mètres. Vous allez voir, ils feront une «  mouche » au prochain coup... Braves artilleurs... Vlan, ils l'ont placé trop à gauche, maintenant... On le descendra à la frontière. Tenez, il vire dans la direction de Moncel... »
Les techniciens affirment que, pour abattre un avion, les canons ne peuvent compter que sur la veine. ; mais ce n'est pas l'opinion, parait-il, des aviateurs boches, dont la confiance en cette définition s'atténue par la crainte de nos pièces aux explosions rapides et sûres. On se croirait, ma foi, au tir aux pigeons sur la terrasse de Monte-Carlo.
La cible se déplace. Le taube évolue sur l'aile gauche. A ce moment, il domine le quartier des Trois-Maisons. Va-t-il lancer des bombes ? Non. Il gagne de la hauteur, prononce son virage vers l'est, dans le moment même où, à l'autre bout de l'horizon, s'élève un des avions de notre escadrille de couverture.
Les détonations de l'artillerie s'éloignent ; elles annoncent que, de Nancy jusqu'à la Seille, les postes ont fait à l'oiseau de mauvais augure un accueil si empressé qu'on lui enlèvera sans doute pour longtemps le désir de nous rendre une nouvelle visite.
Les témoins de cette scène émouvante retournent à leur apéritif, escaladent la plate-forme des cars, ou gagnent tranquillement à pied leur domicile, avec l'assurance, cette fois, que Nancy possède des moyens de défense immédiate et vigoureuse.

LES TAUBES
dans les Vosges

Paris, 2 janvier, 17 h. 05.
Remiremont. - Un taube a survolé Bruyères. Il a lancé quelques bombes qui n'ont causé aucun dégât.
Un autre taube, qui survolait Dounoux, a été canonné.

ÉTRENNES AU CANON
Notre BAIONNETTE à l'oeUVRE
en Lorraine et Alsace

Bordeaux, 2 janvier, 16 heures.
Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, l'ennemi a prononcé sur de nombreux points du front des attaques qui ont été facilement repoussées.
La région au nord de la Lys a été, dans la journée du 1er janvier, le théâtre d'un combat d'artillerie particulièrement vif, sur les dunes, à Nieuport et à Zonnebeke.
A Saint-Georges, l'ennemi n'a pas continué à contre-attaquer et tous nos gains ont été maintenus.
Dans toute la région d'Arras, d'Albert et de Roye, duel d'artillerie. L'ennemi nous a fait sauter deux caissons entre Beaumetz et Achicourt. Nous avons, en revanche, bouleversé ses tranchées de Parvillers et de La Boisselle, et éteint le feu des Minenwerfer (lance-mines), établis devant Fricourt.
Notre artillerie a obtenu également des résultats heureux dans la région de l'Aisne, où elle a fait taire l'artillerie ennemie et dispersé plusieurs rassemblements.
Nous nous sommes installés sur Le plateau de Nouvron, dans les excavations produites par des explosions de mines. Les Allemands n'ont pu nous y devancer ni nous en chasser. Toutes leurs contre-attaques ont été repoussées.
La région de Reims a été assez violemment bombardée par l'ennemi.
Dans la région de Perthes, nous avons enlevé et conservé un bois, à deux kilomètres au nord-est de Mesnil-les-Hurlus ; l'ennemi n'a pas contre-attaqué.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, le fléchissement local signalé hier n'a pas eu de suites ; nous avons regagné une partie du terrain perdu et nous tenons fortement nos positions.
Sur les Hauts-de-Meuse, combats d'artillerie sans grande intensité.
En Woëvre, nous avons conservé les positions gagnées le 30 décembre, sans que l'ennemi ait contre-attaqué et nous avons marqué, dans le bois Le-Prêtre, une légère progression.
Dans les Vosges, nous avons repoussé une attaque allemande à Bréménil (3 kilomètres nord-est de Badonviller), et infligé à l'ennemi de fortes pertes.
L'ennemi a fait également de grosses pertes à Steinbach, où notre infanterie a enlevé, hier, trois nouvelles lignes de maisons.

Paris, 3 janvier, 0 h. 52.
Communiqué officiel du 2 janvier, 23 heures : Pas d'autres faits notables à signaler qu'une fusillade nourrie, la nuit dernière, contre nos tranchées, à l'est de Vermeilles, et dans la région nord de Chaulnes, ainsi qu'une attaque allemande, sans succès, à l'ouest du bois de Consenvoye.

LES BOMBARDEMENTS

Commercy, 3 janvier 1915.
On lit dans le Bulletin Meusien, organe des réfugiés et des évacués meusiens : Le bombardement de Commercy a commencé le 13 décembre, à à heures et demie.
Le bombardement a duré environ une heure. La foule très considérable qui était à l'église, a été saisie d'une certaine panique.
Non loin de la gare, dans la rue, une bombe a tué sur le coup une femme qui revenait des vêpres. Le mari de cette femme, M. Posty, a été grièvement blessé dans sa maison, non loin de sa femme.
Mais, à peine arrivée à l'hôpital, la victime rendait le dernier soupir.
On estime à 80.000 francs les dégâts occasionnés par ce bombardement.

Vendredi 18, vers 2 heures et demie, et dimanche 20, à 11 heures, les bombes ont de nouveau fait leur apparition : une est tombée le vendredi et deux le dimanche.
Mais les canons allemands, repérés par les avions français, ont été vite réduits au silence par notre artillerie.

LA RECONSTRUCTION DES VILLAGES LORRAINS

Nancy, 3 janvier 1915.

IV
Le Comité des réfugiés de Meurthe-et-Moselle, utilisant les moyens de fortune, proportionnés aux faibles crédits mis à sa disposition, a réintégré dans deux ou trois villages quelques ruraux en les abritant en commun dans les habitations partiellement réparables, dont on a réfectionné les.
toitures, calfeutré les brèches et remplacé les carreaux cassés.
Ces réparations hâtives permettent-elles vraiment le retour définitif à la terre ?
En réalité, on a ainsi logé des gardiens de ruines, sans abriter les animaux et le, matériel nécessaires à la reprise de la vie normale du cultivateur.
Les dépenses en résultant ne seront points finalement profitables, car si l'on veut traiter avec la même équité toutes les victimes de la guerre, on ne pourra laisser subsister ces réparations sommaires en face de maisons réédifiées sur des plans étudiés, sans provoquer des récriminations justifiées.
C'est pour éviter ces errements que nous avons estimé qu'il y avait lieu, tout d'abord, de construire des abris provisoires assez vastes pour permettre le retour au village de tous les habitants. Ces abris, pour être efficaces et ne point causer une dépense onéreuse et finalement inutile, doivent être étudiés avec la préoccupation de procurer aux intéressés une vie en commun supportable, d'abriter, dans d'autres, les animaux et le matériel nécessaires, et de pouvoir ensuite les utiliser collectivement pour y conserver les récoltes, etc.
D'où la nécessité de camper ces abris sur des emplacements non compris dans la zone de reconstruction ou d'agrandissement du village, si l'on veut procéder rationnellement à sa réédification définitive. Il convient en outre de procéder, dès que possible. à la construction de ces abris pour permettre la réintégration totale des réfugiés, dont l'oisiveté actuelle émousse les qualités d'énergie et de prévoyance, et chez lesquels ce séjour prolongé dans la ville peut susciter des besoins factices qui les inciteront à déserter la campagne.
Ces abris constitués, on aura le temps nécessaire pour étudier le plan d'ensemble avec le souci de conserver tous les vestiges dignes d'être restaurés. Il est évident, par exemple, que l'on ne songera point à déplacer l'église, mais on devra dégager et assainir ses contours, transférer le cimetière, y attenant, en dehors de la commune ; réserver une place, plantée d'arbres, utilisable les jours de fête et autour de laquelle devront être prévus les nouveaux bâtiments communaux.
Dans l'étude particulière des maisons, on évitera les inconvénients actuels ; on décongestionnera les constructions enchevêtrées maladroitement, pour les doter d'air, de lumière, en assurer l'hygiène, voire même la propreté. Chacune d'elles devra être conçue pour sa véritable destination ; la maison du petit cultivateur est différente de celle du gros fermier. Ce n'est point non plus faire acte de fantaisie que de prévoir une disposition de locaux différente pour le charron, le marchand détaillant, l'aubergiste, etc.
Mais, à tous, on peut imposer qu'ils n'encombrent plus la voie publique avec leurs voitures, leur matériel et surtout leurs fumiers, en prévoyant, en conséquence l'aménagement des habitations.
Ces modifications n'empêcheront pas de conserver la tradition lorraine, de l'agrémenter même de ces petits riens, inspirés par un sentiment d'art sobrement traité, qui font le charme du logis. Mais gardons-nous de dénaturer nos villages en constituant de mornes corons et des damiers de maisons ouvrières ou démontables.
Il n'est point prématuré de provoquer dès maintenant le concours des bonnes volontés, pour élaborer un plan mûri dont la réalisation permettra, avec une dépense moindre, d'améliorer incontestablement les conditions d'existence de nos populations rurales.
PAUL CHARBONNIER.
MAURICE GRUHIER.

LA DEMI-TRÊVE DU MAUVAIS TEMPS
Le canon maintient le contact

Bordeaux, 3 janvier, 15 h. 45.
Pendant la journée du 2, nous avons conservé, au nord de la Lys, les positions gagnées les jours précédents. L'ennemi n'a montré d'activité que dans la région de Zonnebecke, qu'il a bombardée assez violemment.
De la Lys à Arras, calme presque complet.
Combats d'artillerie dans la région d'Albert et de Roye. Notre infanterie a progressé de 500 mètres près de La Boisselle.
De l'Oise à la Meuse, sur le plateau de Touvent, notre artillerie lourde a démoli divers ouvrages d'où l'ennemi gênait nos travailleurs.
Vifs combats d'artillerie à l'ouest et à l'est de Craonne.
Près de Perthes-les-Hurlus, nous avons progressé de 300 mètres.
Près de Beauséjour, combats d'infanterie où nous avons infligé de fortes pertes à l'ennemi.
Les Allemands ont, dans le bois le La Grurie, prononcé deux attaques sans succès.
Sur toute cette partie du front, l'artillerie a montré, de part et d'autre, une grande activité.
Dans la région de Verdun et sur les Hauts-de-Meuse, duel d'artillerie.
Nous avons gagné encore un peu de terrain dans le bois Le Bouchot, au nord-est de Troyon, et dans le bois Le-Prêtre, au nord-ouest de Pont-à-Mousson.
Dans les Vosges, nous avons occupé une tranchée ennemie, près de Celles-surPlaine.
Combats d'artillerie dans le Ban-de-Sapt et dans la vallée de la Fave.
En Haute-Alsace, nos gains antérieurs dans la région de Thann ont été maintenus. Nous avons bombardé un train allemand en gare de Altkirch et opéré des destructions sur la voie ferrée, entre Carspach et Dierspach, au sud-ouest d'Altkirch.
D'une manière générale, le ralentissement sensible que l'on peut constater dans notre activité offensive doit être attribué aux pluies incessantes qui, détrempant le sol, rendent partout les opérations à peu près impossibles.

Paris, 4 janvier, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 3 janvier, 23 heures : Aux dernières nouvelles aucune modification n'est signalée dans la situation.
Le temps continue à être très mauvais sur presque tout le front.

NOTRE RAlD AÉRIEN
Sur SARREBOURG

On lit dans la Gazette de Lausanne:
«  Au sujet du raid des aviateurs français à Sarrebourg, on apprend que l'attaque a eu lieu au milieu de la nuit. Deux aviateurs français ont lancé douze bombes qui ont causé, des dégâts importants. Trois personnes ont succombé à leurs blessures. Un uhlan a été tué sur le coup par un éclat de bombe. Les dégâts matériels sont considérables. Près de l'église catholique, une bombe a fait voler en éclats toutes les vitrines des magasins dans un rayon de 50 mètres. D'autres bombes ont endommagé divers édifices. La maison du commandant du 15e uhlans a été également atteinte par un projectile qui a démoli une chambre et un balcon. Les dommages les plus considérables ont été causés près de la place du Marché. »

SECOND TAUBE ABATTU

Nancy, 4 janvier 1915.
Le «  Taube » qui, Jeudi à midi, fut salué de façon si magistrale à Nancy, n'aurait pas pu regagner la frontière. On annonce, en effet, de bonne source. qu'il a été abattu du côté d'Amance.

LA PROTECTION DE NANCY

Nancy, 4 janvier 1915.
M. le Maire de Nancy a adressé, le 30 décembre, une lettre à M. le Général commandant la ...e armée, qui lui a répondu en ces termes :
«  Monsieur le Maire, Je tiens à vous dire que je n'ai pas attendu votre lettre du 31 décembre pour prendre des mesures de nature à protéger la ville de Nancy contre de nouvelles attaques des aéronefs allemands.
«  Peut-être avez-vous pu déjà vous rendre compte que cette protection existait et même, en relisant les communiqués officiels à la presse, notamment celui du 27 décembre, que la riposte s'associait à la parade.
«  J'espère que ces mesures seront efficaces autant qu'il est possible de protéger une ville ouverte contre les engins modernes au service d'un adversaire sans scrupules.
«  Le Général commandant la ...e armée. »

LES NOUVELLES DU PAYS MEUSIEN

Voici les nouvelles que le «  Bulletin Meusien », organe des réfugiés de la Meuse, donne du pays meusien :
Koeur-la-Grande. - Cinq nouvelles maisons ont été incendiées, depuis quelque temps déjà, dans la rue du Four.
Mogeville. - Le 13 octobre dernier, vers onze heures du matin, quelques cyclistes allemands arrosèrent les maisons de matières inflammables, y mirent le feu et, en un rien de temps, tout fut consumé. Ils restèrent là jusqu'à quatre heures du soir, et de temps en temps jetaient des grenades sur certaines maisons pour en activer les flammes. La mairie, l'école, le clocher de l'église, rien ne fut épargné.
Une douzaine de personnes du village qui étaient encore là à onze heures se sauvèrent éperdues. M. Trisson et sa femme, seuls, restèrent au pays et, dans l'après-midi, furent enlevés par les vandales et dirigés d'abord sur la ferme de l'Epine.
Depuis, on ne sait ce qu'est devenu M. Trisson. Quant à sa femme, elle est allée à Vaux-devant-Damloup, car elle a été mise en liberté, après avoir fait quelques centaines de mètres, nos ennemis trouvant qu'elle ne marchait pas assez vite.
Maucourt. - Le même jour, la majeure partie du village de Maucourt subit le même sort que Mogeville. Tout est brûlé aussi, à l'exception d'une dizaine de maisons. Une huitaine avant, entre dix et onze heures du soir, les Allemands avaient enlevé toutes les personnes qui y restaient et les avaient emmenées en Saxe. Voici les noms : Mme et Mlle Willemin, Mme Em. Couquaux, Mme Marchal et ses trois enfants, Mme Bertrand, âgée de plus de 80 ans, Mlles Marie et Mathilde Bertrand, M. et Mme Delavaux, Mme Prot et ses enfants, Mme Trouslard, MM. Lelorrain, Chenet, Colin, Févrot (ces deux derniers vieillards de plus de 75 ans).
Mécrin et Lérouville. - ESPlONS. - Nous avons signalé récemment l'exécution de deux habitants de Mécrin, condamnés pour espionnage par le conseil de guerre.
Deux autres condamnés attendent leur sort définitif : le premier, aussi habitant Mécrin, qui a bénéficié d'un recours en grâce, signé par le conseil, sera sans doute l'objet d'une commutation de peine. Le second, nommé E., sujet d'un pays neutre, quoique habitant Lérouville depuis une trentaine d'années au moins, semble devoir être amené un de ces jours devant le peloton d'exécution.
Commercy. - Les Eparges. - VICTIMES DE LA GUERRE. - Mme Philomène Roton, épouser Brizion, des Eparges, a été atteinte mortellement, ainsi que ses trois jeunes enfants, d'un obus à Mesnil-sous-les-Côtes.
Elle est morte le lendemain à l'hôpital de Verdun.
Haudiomont et Manheulles qui, jusquelà, n'avaient pas trop souffert, sont bombardés fréquemment.
Buxières. - Buxières n'a que peu souffert du bombardement du 20 septembre.
Les Allemands qui l'occupèrent le 20 au soir étaient relativement corrects ; mais ils furent remplacés le lendemain par de vrais Teutons. Ce jour, M. l'abbé Ancel dut comparaître devant un officier major, encadré entre deux soldats, baïonnette au canon ; cela se passait dans la maison Hache. Il put rentrer chez lui.
De ce qui se passa dans la suite, on ne sait pas grand'chose. Comment les Allemands traitèrent-ils les habitants restés au pays ? Quelques-uns ont-ils été emmenés prisonniers ? On l'ignore.
Les Islettes. - En pleine Argonne, visée par les attaques opiniâtres depuis plus de deux mois, la petite bourgade est demeurée intacte. Pendant les premiers jours de septembre, elle fut occupée par les Allemands, qui la pillèrent consciencieusement, mais leur occupation ne fut pas autrement désastreuse. Aucune maison détruite ou incendiée ; un seul habitant tué par eux, M. Pérotin; 78 ans. Le 8 septembre, jour de la fête patronale, l'ennemi quittait le village. L'attitude énergique de M. du Granrut et le dévouement de Mme Robert du Granrut contribuèrent certainement pour beaucoup à la préservation du pays.
Parmi les décédés connus jusqu'alors, on cite deux frères Gauvain, Gaston Felsch, Anatole Duchêne, E. Emond, Raymond Huet, M. Pawlas. D'autres jeunes soldats sont ou blessés ou prisonniers. Les écoles sont transformées en ambulances, toujours remplies, et l'ancien cimetière qui entoure l'église a déjà reçu près de deux cents soldats. La population vit au son du canon, et le soir elle suit les lueurs des feux de salve ou d'artillerie qui sillonnent les profondeurs de la forêt, vers le Four-de-Paris.
Laimont. - Une lettre particulière reçue ces jours-ci à Bar-le-Duc renseigne les intéressés sur le sort de quelques personnes enlevées de Laimont comme otages civils : elles sont internées à la prison de Sedan, avec M. Zem, ancien professeur au lycée.
Toutefois, on n'a aucune nouvelle de M. l'abbé Jean Louis, arrêté avec ses paroissiens et emmené comme otage civil.
Les Eparges. - M. l'abbé Henri Tripier, curé des Eparges et de Trésauvaux, canton de Fresnes-en-Woëvre, émigré avec un certain nombre de ses paroissiens et d'habitants des communes voisines, pour le temps de la guerre, vicaire à Annemasse (Haute-Savoie).
Une lettre de lui, datée du 15 décembre, vient de parvenir à un de nos confrères. En voici quelques extraits :
«  Trésauvaux et les Eparges, mes deux paroisses évacuées fin septembre, ont été totalement démolies ou incendiées, comme, hélas ! tant d'autres de notre malheureuse Woëvre.
«  Il serait trop long de vous dire après quelles périlleuses aventures je suis venu ici avec quatre cents émigrés de ma région. Qu'il me suffise de vous assurer que la Providence nous a été bonne. On ne dira jamais trop la généreuse et toute cordiale hospitalité que la Haute-Savoie a accordée à notre détresse, ni comment, aidée par la ville de Genève, sa voisine, la ville d'Annemasse a multiplié les formes de sa charité selon la variété de nos misères, car à tous elle a voulu trouver un soulagement.
Témoin ces funérailles grandioses qu'elle a accordées à deux de nos compatriotes rentrés de captivité en France juste à temps pour y mourir. Presque tous les jours, elle reçoit et case pour le mieux des convois de rapatriés. C'est que si les Boches étaient passés par la Suisse au lieu de passer par la Belgique, ce qu'ils ont craint à un moment, notre sort eût été le leur et sans doute ils nous reçoivent comme ils auraient désiré être reçus.
«  Mon frère, Louis Tripied, blessé le 25 septembre au Camp-des-Romains, est prisonnier à Darmstadt.
«  Environ deux cents Meusiens rapatriés sont arrivés à Genève, d'où ils ont été dirigés sur Evian (Haute-Savoie). Ils sortent d'Ulm et sont originaires de Combres, Herbeuville, Saint-Remy, Dommartin, Dompierre et Seuzey. »
Mécrin. - Quelques habitants hommes et femmes sont restés. L'église a peu souffert.
Seuls les vitraux sont troués par les éclats d'obus qui ont éclaté aux alentours.
Saint-Maurice-sous-les Côtes. - Des habitants de Saint-Maurice-sous-les-Côtes on ne sait rien, si ce n'est que Gustave Beausne est prisonnier civil à Ehrenbrenstein, près de Coblentz.
Ménil-sous-les-Côtes. - Ménil est à moitié détruit. Mme Burlureau-Roton a eu la jambe emportée par un obus et ses trois enfants tués du même coup ; elle a succombé le lendemain dans un hôpital de Verdun, où elle avait été aussitôt transportée. Mme Roton Auguste, effrayée par ces terribles et tragiques visions, est morte aussi. Il y a une multitude de blessés. Ménil se trouve entre Mouilly, les Eparges et Saint-Rémy, récemment évacués par les Prussiens.
Etain. - Les Allemands auraient, d'après une lettre reçue ces jours derniers, emmené les cloches et les cuivres de l'église d'Etain.

LES FEMMES & LES ENFANTS DE MARCHÉVILLE EN CAPTIVITÉ

Un lecteur du «  Temps » lui communique la lettre qu'il a reçue d'un ami et dans laquelle celui-ci lui donne des renseignements intéressants sur la razzia de femmes et d'enfants que les Allemands ont faite à Marchéville - petite commune de la Meuse, sise dans les environs de Fresnes-en-Woëvre - et dans les communes avoisinantes. Le «  Temps » en reproduit les passages suivants :
«  Toutes les femmes et tous les enfants de Marchéville et des communes voisines ont été faits prisonniers le 20 octobre.
J'ai reçu dernièrement de deux d'entre elles trois lettres qui, bien qu'écrites à huit iours d'intervalle, me sont parvenues ensemble.
Mes correspondantes me disent qu'elles sont à Amberg (Bavière), casernées dans une baraque, au nombre de 680 femmes et enfants. Elles ajoutent qu'elles ne sont pas trop malheureuses, car elles sont toutes ensemble et se connaissent de longtemps.
Elles se plaignent du froid. On ne leur a pas laissé emporter de vêtements chauds. »

AU PAYS DE BRIEY

Le Bulletin de Meurthe-et-Moselle publie les renseignements que voici :
VILLERUPT. - Une dame ayant quitté Villerupt le 7 décembre, nous a fait ce récit : Villerupt a peu souffert matériellement. La ville, les usines d'Auberives et les aciéries sont intactes.
En l'absence de M. Perruchot, M. Georges remplit les fonctions de maire ; la police est assurée par une vingtaine de gardes civiques, quatre gendarmes et huit soldats qui sont logés chez M. Loy et chez Mme Vercléau.
Les hommes de 17 à 45 ans sont tenus de se faire inscrire à la mairie et doivent répondre aux appels prescrits par la commandatur de Longwy. Il y aurait eu, jusqu'à présent, trois appels. Presque tous les habitants sont restés (tous les Italiens sont partis), les usines donnent un travail intermittent ; pendant quelque temps les ouvriers trouvaient à s'engager à Esch-sur-l'Alzette, mais depuis le commencement du mois les Allemands ont fermé la frontière du Luxembourg et ne laissent plus passer personne. Les achats divers, de pain, de laine, etc., qui s'opéraient à Esch assez facilement ne sont plus possibles, et si le problème du ravitaillement va bientôt se poser, nous recevons sur sa solution immédiate les informations les plus rassurantes.

LANDRES. - Nous sommes heureux de pouvoir annoncer que M. Naudin, l'instituteur qui avait été porté comme fusillé, est bien vivant et prisonnier en Saxe.

TRIEUX. - Le Bulletin de Meurthe-et-Moselle est heureux d'avoir à rectifier une de ses informations. Il n'y eut, à Trieux, ni maisons dévastées, ni personnes fusillées. La vie se poursuit normalement.
Les Allemands n'occupent que deux immeubles, celui de M. Bringel, et celui du docteur. La pompe d'épuisement du puits d'extraction fonctionne.
Les habitants ne manquent de rien et sont ravitaillés régulièrement par la voie Thionville.
Le service des postes serait assuré par le facteur de Fontoy.
En fait de troupes, il n'y aurait qu'un poste de landwehr au pont de Sancy (entre Sancy et Trieux).
Les jeunes gens mobilisables ne sont pas emmenés en captivité, mais sont tenus de répondre à certains appels.

A LONGWY

De l' «  Eclaireur » de Lunéville :
Les Allemands viennent d'inviter la population de Longwy à se rendre à la mairie, pour y apporter tout le numéraire français disponible, celui-ci devant être converti en monnaie ou papier allemand qui, seuls, auront cours. Tout contrevenant sera puni d'emprisonnement dans une forteresse.

LE MAUVAIS TEMPS
LES DUELS D'ARTILLERIE
remplacent les attaques

Bordeaux, 4 janvier, 15 h. 50.
De la mer à l'Oise, journée presque complètement calme. Temps pluvieux. Duel d'artillerie sur quelques points du front.
En face de Noullette, notre artillerie lourde a réduit au silence les batteries allemandes.
Sur l'Aisne et en Champagne, la canonnade a été particulièrement violente. Nos batteries ont affirmé leur supériorité et pris sous leur feu des réserves ennemies.
Nous nous sommes emparés de plusieurs points d'appui tenus par les Allemands dans la région de Mesnil-les-Hurlus.
Entre Argonne et Meuse, ainsi que sur les Hauts-de-Meuse, canonnade intermittente. Une tentative faite hier matin par nos troupes, pour enlever Boureuilles, n'a pas réussi.
Notre progression a continué dans le bois Le-Prêtre, à l'ouest de Pont-à-Mousson.
En Haute-Alsace, nous avons enlevé une importante hauteur, à l'ouest de Cernay.
Une contre-attaque ennemie a été repoussée.
A Steinbach, nous avons pris possession du quartier de l'Eglise et du cimetière.

LA LUTTE EN ALSACE
Steinbach entier est à nous

Paris, 5 janvier, 1 h. 05.
Le communiqué du 4 janvier, 23 heures, dit : Les seuls renseignements parvenus jusqu'à présent sont relatifs à la Haute-Alsace, où les combats ont continué, très violents, dans la région de Cernay.
La nuit dernière, nos troupes ont perdu, puis repris le quartier de l'Eglise à Steinbach, mais, dans la matinée, elles ont enlevé le village tout entier.
Les ouvrages des Allemands à l'ouest de Cernay et la cote 425 ont été enlevés par nous, hier, puis ils ont été perdus un instant la nuit dernière, à la suite d'une violente contre-attaque. Mais les Allemands n'ont pu s'y maintenir et cette position reste entre nos mains.

EN ALSACE
L'ATTAQUE DE STEINBACH

Des actions importantes sont engagées depuis quelques jours en Alsace, Des combats d'un acharnement inouï ont été livrés dans la région de Thann, autour de Cernay, du côté de Feldbach et Wattwiller, devant Aspach-le-Bas, à Steinbach, devant Dannemarie, autour d'Altkirch, au cours desquels nos troupes ont montré un entrain et une valeur magnifiques, se heurtant à une résistance dont elles triomphent peu à peu.
Le «  New-York Herald » donne les renseignements suivants sur l'attaque de Steinbach :
«  L'attaque de Steinbach fait grand honneur aux chefs qui l'ont conduite. L'action des troupes françaises infligea des pertes particulièrement graves à l'ennemi. Par une feinte habile, les Français donnèrent l'impression qu'ils ne pouvaient soutenir le feu de leurs adversaires et battirent en retraite, abandonnant une batterie comme «  appât ». La cavalerie allemande s'avança pour prendre possession des trophées. Mais à ce moment, les batteries françaises, dissimulées, ouvrirent un feu terrible et précis qui coûta 1.600 morts aux Allemands. Ceux-ci perdirent en outre 1.800 prisonniers. Les Français, au contraire, n'eurent que 250 hommes hors de combat.
Le château qui domine Steinbach et d'où l'oeil embrasse la plaine d'Alsace, est aux mains des Français, ainsi que la presque totalité du village. En prévision de l'avance française, les Allemands ont fait évacuer Cernay par la population civile.
Les journaux d'outre-Rhin, pour compenser l'insuccès allemand, prétendent avoir infligé des pertes énormes aux Français. Cela est inexact Eux, par contre, doivent reconnaître que leur défensive acharnée est contenue. Au début de la semaine, de nombreux convois ont circulé sur le tronçon Mulhouse-Cernay, emportant continuellement des blessés qui étaient ensuite dirigés sur Sierenz et Neuenberg, pair tralins spéciaux. De Neuenberg, les blessés étaient évacués en partie sur Mulhein-Badenweiler, en partie sur Loerrach et Fribourg-en-Brisgau.
Ces blessés racontent que les combats ont été très violents de part et d'autre et qu'ils prennent un caractère d'intensité extrême au moment où l'infanterie passe à l'attaque des tranchées. Alors les mitrailleuses se font entendre et le combat dévient de plus en plus meurtrier.
Les Allemands se renforcent le plus qu'ils peuvent. On prétend même qu'ils ont reçu des troupes ramenées de Pologne ; le fait n'a pas encore été vérifié. »
A Strasbourg, les autorités ont pris des mesures extraordinaires de défense. L'accès des tours de la cathédrale est absolument interdit, les habitants ont accumulé les provisions dans leurs caves bien que les autorités aient déclaré cette précaution superflue. Pourtant, le cours des denrées n'a pas varié ; la viande se vend bon marché ; le pain a subi à peine une faible augmentation ; mais les légumes secs deviennent rares et sont hors de prix.
On ne supposerait jamais que la guerre existe en considérant l'animation des brasseries. Les salles de spectacles sont fermées, mais on assiste à des représentations cinématographiques où les films présentent Les événements sous un jour favorable aux armées du kaiser.

LES CLASSES 1887 ET 1888

Le ministre de la Guerre vient de décider le renvoi immédiat dans leurs foyers, à moins qu'ils ne demandent leur maintien au corps, des réservistes de l'armée territoriale, de toutes armes et de tous services, appartenant aux classes de 1887 et 1888, gradés ou non gradés, du service armé ou du service auxiliaire.
Cette mesure s'applique seulement aux réservistes territoriaux de la zone de l'intérieur. Elle n'est pas étendue à ceux qui servent dans la zone des armées.
Les réservistes territoriaux des deux classes 1887 et 1888, qui n'avaient été convoqués d'ailleurs qu'en raison d'affectations individuelles, sont, libérés jusqu'au jour où il serait nécessaire d'appeler ces deux classes entièrement, y compris l'infanterie. Il ne s'agit donc pas d'une libération définitive.
Ajoutons toutefois que les hommes de ces deux classes exerçant des spécialités utilisables pour les besoins de l'armée (établissements d'artillerie, boulangeries, etc.) ne seront renvoyés qu'au fur et à mesure de leur remplacement.

PRISONNIERS DE LA MEUSE

Du Bulletin meusien : A Grafenwohr : Pierrard Armand, Garré Benjamin, Garré François, Trivi, Franzetti, Salin Dominique, Charbeau Lucien, Mater, Fontenelle Jules, Beauzée Gustave, Thiery Eustache, Véry Alexis, Balon Victor, Robert Eugène, Nockel père, Nockel fils, Duchesne Charles, Domange Lucien, Trichot Jules, Jourdain Louis, Grassard Edmond, Lagrue Albert, Glaudin, tous prisonniers civils de Liny-sur-Dun et Bréhévile ; Husson, de Consenvoye.
A Ingolstadt (Bavière) : Collignon Jules, maire de Réchicourt ; Niclot Emile, Pierremont Auguste, Mme Hourbourgère, habitants de Réchicourt, Duvernoy Henri.
A Darmstadt : Louis Trepied, blessé le 25 septembre au camp des Romains.
Dans la Croix Meusienne, l'abbé Fiedon, curé d'Haudécourt, raconte qu'il fut arrêté dans sa paroisse le 13 octobre par les Allemands et emmené comme espion à Metz, par Thiaucourt et Onville ; le curé d'Hattonchâtel l'y avait déjà précédé dans les mêmes conditions. Il fut détenu quelque temps à la forteresse en même temps que 120 hommes de Pillon que les Allemands avaient d'abord placés devant eux au combat du 10 août pour se protéger du feu des Français, et qui restèrent 3 jours sans manger, avant d'être conduits d'abord à Thionville, puis à Metz où ils furent très mal traités et nourris.
Le docteur Grandjean, de Marville (Meuse), est prisonnier de guerre à Manching, Fort VIII, près d'Ingolstadt (Bavière).
Trois personnes de Banthéville qu'on avait signalées comme fusillées à Charpentry, sont simplement prisonnières à Grafenwohr (Bavière), depuis le 17 septembre ; Adam Jean-Baptiste, Albert Watrin, Adam Théodule ; l'un d'eux écrit qu'il y a environ 2.000 prisonniers de Meuse et d'Ardennes. Bantheville n'existait plus le 17 septembre, sauf les maisons d'Adam Jean-Baptiste et d'Adam Théodule.
De Fresnes-en-Woëvre : Mme Jeanne Laroche et son fils Robert, 7 ans ; de Herbeuville : Mme Rouyer, Robert Zeppa, 10 ans, à Amberg (Bavière), Auguste Rouyer, à Zwickau (Saxe) ; Théophile Rouyer, blessé, Lazaret Sud, à Parchim (Mecklembourg).
Léon Rodrigues, capturé à Saint-Maurice-sous-les-Côtes, âgé de 16 ans et demi, est prisonnier à Zwickau (Saxe).
Mme Charles Person, femme du caissier de la caisse d'épargne, dont le mari est actuellement sous les drapeaux, est prisonnière des Allemands à Metz avec ses deux enfants et M. Dauphin père, et a pu donner à sa famille des nouvelles de sa santé qui sont bonnes.
M. Jean Roger, de Consenvoye, est prisonnier au camp de Grafenwohr (Bavière).
André Legéndre, de Montmédy ; Hiblot Jules, Mabillon Ernest, Amelon, Wauthier, Jodin, Courtois Abel, Person Alphonse, Hiblot. Albert, Hiblot Félicien, Pérignon, Dupuis Alfred, Dupuis Anatole, Prétagut Auguste, Zivilgefangenen Kompanie B 63 H Lager Grafenwohr (Bayern), Allemagne.
M. Varlet, ancien chef de gare de Vilosnes, chef de baraquements à la Compagnie des prisonniers civils au camp de Grafenwohr (Bavière).
De Romagne-sous-les-Côtes : camp de Grafenwohr (Bavière) : MM. Alfred Haussaire, Ernest Poupart, Amant Ernest, Hennequin Eugène, Datry Auguste, Charles Amable, Henry Vital,Chaffaux Elie, Gérard Anatole, Pierre Ernest, Bertin Célestin, Hamlin Justin, Démaret Théophile et son neveu Paul, Bertrand Charles et ses deux fils Jean et Denis.
D'Haraumont : M. Girardeaux, garde-forestier en retraite, incarcéré à Heilbronn-sur-Necker (Wurtemberg).
De Varennes : Ch. Nicot, Fagnot, Louis Binet, Amédée Corvisier, Archambeau et Bigorgne, 70 ans et plus ; à Wursbourg.
Liste donnée par M. Evrard :
Soumillard, Habrant François, Godde Gustave, Jacob, Corvisier Jules, Moulinet, Le Cousin (dit M. Soumillard). Ce doit être M. Colet, retraité, âgé de près de 70 ans, ces derniers à Zwickau.
René Nizet, 15 à 16 ans, à Grafenwohr, avec ceux de Montblainville, Apremont (Ardennes), Chatel et les environs.
Sont internés à Oberstimm, fort n° 9, à Ingolstadt (Bavière) : M. le docteur Prévost, médecin-major de 1re classe, appartenant à l'hôpital de Montmédy ; M. Vasseur, pharmacien, appartenant au même hôpital, et M. Lassaux, officier d'administration du service de santé, attaché aussi à l'hôpital de Montmédy.
Albert Lance, de Morley, blessé le 22 août à Mercy-le-Haut, à l'hôpital de Regensburg (Bavière) ; P. Macheret, Camille Lance, L. Léchaudel, A. Drahon, A. Roussel, de Dammarie ; M. Bajolot, de Fouchères, internés au camp de Grafenwohr (Bavière).

HANSI
chevalier de la Légion d'honneur

Paris, 5 janvier, 1 h. 55.
Le dessinateur Waeltz, dit Hansi, engagé volontaire pour la durée de la guerre, est inscrit au tableau de la Légion d'honneur pour le grade de chevalier, en raison des grands services qu'il a rendus par son exemple et par son courage inlassable.

NOTRE AVANCE CONTINUE
Le terrain détrempé n'arrête pas l'élan de nos troupes. - Nous consolidons nos gains et en faisons presque partout de nouveaux.

Paris, 5 janvier, 15 h. 45.
En Belgique, malgré l'état du terrain et les difficultés qui en résultent, notre infanterie a progressé dans les dunes, en face de Nieuport.
Dans la région de Saint-Georges elle a gagné, suivant les points, 200, 300 et 500 mètres, enlevant des maisons et des éléments de tranchées.
Sur plusieurs points, l'artillerie belge a réduit au silence l'artillerie allemande.
De la Lys à l'Oise, dans la région de Notre-Dame-de-Lorette (ouest de Lens), nous avons, grâce à nos mortiers et à nos grenades, complètement arrêté les travaux de sape de l'ennemi.
Dans le voisinage de la route de Lille, les Allemands, ont fait sauter une de nos tranchées et s'en sont emparés, mais une contre-attaque immédiate nous en a rendu maîtres de nouveau.
De l'Oise aux Vosges, on ne signale pas d'actions d'infanterie.
Dans la région de Craonne et de Reims, combats d'artillerie.
Nos batteries ont efficacement bombardé les positions ennemies dans la vallée de la Suippe, ainsi que dans la région de Perthes et Beauséjour. Il en a été de même en Argonne et sur les Hauts-de-Meuse.
En Alsace, au sud-est du col du Bonhomme, nous sommes entrés dans le hameau du Creux-d'Argent (2 kilomètres ouest d'Orbey) où nous nous organisons.
Les gains réalisés sur la route de Thann à Cernay ont été maintenus à un kilomètre à l'est de Vieux-Thann, et le tir de notre artillerie lourde à deux kilomètres est de Burhaupt-le-Haut a fait taire l'artillerie ennemie.

NOTRE POUSSÉE VERS SAINT-MIHIEL

Paris, 6 janvier, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 5 janvier, 23 heures : La nuit dernière, nos troupes se sont emparées d'une carrière située à l'embranchement de la route de Rouvrois à Saint-Mihiel, et du chemin de Maizey à Saint-Mihiel, ainsi que des tranchées voisines.
Aucune autre opération n'est signalée.
Le temps continue à être très mauvais, et la pluie tombe sans discontinuer.

LE PREMIER TIREUR DE FRANCE

Du général Cherfils: dans l'Echo de Paris :
«  Je trouve dans un récit que le commandant d'André a recueilli d'un de ses compagnons d'ambulance à Nantes, un trait à méditer comme un exemple. Il a réjoui le coeur du commandant qui a rapporté de sa mission du Pérou, empruntées aux pratiques des chasseurs de cigognes des Cordillères, ses méthodes de tir à tuer. Elles avaient fait de la brigade Maud'huy la troupe classée numéro un pour le tir parmi toutes les brigades de France :
«  Le 26e d'infanterie de la division de fer possède un adjudant qui est un tireur extraordinaire. Dans le régiment on l'appelle «  l'homme-affût ». Or, il y a quelques jours, un Allemand vient à 600 mètres de nous inspecter nos lignes, tranquillement, à la jumelle. Mais le Boche, en guise d'assurance pour sa vie, avait lâchement emmené avec lui deux femmes, deux Françaises, qui l'encadraient.
«  Bien sûr, pensait-il, aucun Français n'osera tirer sur moi, dans la crainte de tuer ces femmes. »
Il s'est trompé. Guillaume Tell s'est dressé devant lui. Les hommes vont appeler le fameux adjudant. Celui-ci arrive, prend son temps, ses moyens, guidon et hausse noircis, ainsi que toute la culasse. Il met près de trente secondes à ajuster son coup.
Son coup est lâché. L'Allemand est tué raide. Les deux femmes tombent aussi, mais sous le choc de leur émotion, puis se relèvent aussitôt et s'enfuient, aux applaudissements de tous nos hommes. »

POUR PRÉSERVER NOS MONUMENTS

Nancy, 5 janvier 1915.
Depuis deux jours, une équipe d'ouvriers est occupée à la basilique Saint-Epvre pour préserver les vitraux abîmés lors du bombardement par le zeppelin.
Les ouvertures sont bouchées avec des feuilles de fort papier que l'on fait adhérer au plombage.
A l'extérieur, de grands panneaux de planches sont apposés contre les baies donnant rue des Dames.
Devant le portail latéral un échafaudage a été construit pour aveugler avec des planches la grande rosace qui a eu fort à souffrir des projectiles.
Dans l'intérieur de l'église des Cordeliers, les tombeaux ont été protégés par un épais matelas de sacs remplis de laitier pulvérisé maintenu par de solides échafaudages. De cette façon les projectiles ne sauraient atteindre ces chefs-d'oeuvre de l'art lorrain.

LE "CATASTROPHISME"

Il n'est pas un bien grand nombre d'hommes, ni de femmes, qui puissent vivre sans «  catastrophisme ». Nous avons tous du goût pour le merveilleux, pour le subit, pour l'irrésistible. Les paralytiques adorent Jules Verne, les timides se passionnent pour les Trois-Mousquetaires, les gens qui n'estiment pas particulièrement la police raffolent de Sherlock Holmes. Le fatal a pour nous un invincible attrait.
Le travail patient de chaque jour, nous avons coutume de le regarder comme un effort banal et sans poésie.
Ainsi les croyants admettent-ils volontiers l'intervention de la Providence dans les affaires humaines, tandis que les fatalistes attendent la venue du destin, que les superstitieux appellent la réalisation des prophéties, et les joueurs la sortie du bon numéro.
Au début de la guerre nous avions une tendance très marquée à considérer que quelque événement prodigieux apporterait d'un seul coup une solution à la crise actuelle, et naturellement la solution la plus heureuse.
Tantôt c'était la turpinite, cette poudre effroyable qui semait de mort des kilomètres carrés. Puis c'était ce «  facteur » que le gouvernement anglais avait indiqué obscurément, si obscurément même que nul n'avait compris, ni même le ministre à qui on l'attribuait et qui, n'y ayant jamais songé, n'en avait jamais parlé. Ensuite ce fut le fameux général la Faim qui devait réduire subitement nos ennemis.
Nous avons cru à ces auxiliaires étranges et tout-puissants, d'autant plus puissants qu'ils n'existent pas, du moins à l'état réel.
Peu à peu on s'est aperçu que ces «  facteurs », ces «  poudres », ces entités, tout cela entrait dans cette tournure d'imagination que les scientifiques du socialisme ont appelé d'un horrible néologisme, «  le catastrophisme ».
On a compris que les résultats des choses humaines sont purement humains, et que les qualités humaines et les efforts humains produisent ces effets, qu'il est inutile d'attendre d'interventions extérieures.
Nous commençons à comprendre que la guerre est une longue bataille composée elle-même de combats incessants, que chaque combat apporte un résultat, plus ou moins important, et que la somme de ces résultats, jour par jour, semaine par semaine, mois par mois, sera totalisée au moment où l'un ou l'autre des adversaires sera épuisé.
Nous avons commencé à comprendre qu'une belle charge à la baïonnette n'est pas tout, qu'une magnifique charge de cavalerie n'est pas une victoire définitive, que l'infanterie a besoin de l'artillerie, et les artilleurs des troupiers, que le génie est une arme précieuse, l'aviation une invention qui rend des services, que les tranchées sont parfois nécessaires, et les forts pas toujours imprenables, que les travaux de campagne offrent des avantages. Qu'avons-nous appris encore ? Bien des choses.
Et nous avons surtout appris à compter sur chacune de ces choses liées intelligemment les unes aux autres, sur l'oeuvre quotidienne et patiente. Nous avons appris à compter sur nous-mêmes, exclusivement sur nous, éloignant de notre esprit avec un sourire un peu ironique cette «  catastrophe » sur laquelle nous nous reposions pour terminer la guerre au plus tôt.
Les Allemands d'ailleurs sont passés par le même état d'esprit. Je ne sais pas s'ils ont eu l'intelligence assez souple pour s'adapter aux nouvelles formes de la pensée. Mais au début de la guerre Guillaume II s'était attaché un «  bon vieux Dieu » qui lui assurait la victoire, et qu'il traînait avec fracas comme un sabre sur le pavé de l'Europe. Si bien que le fameux professeur Ostwald pouvait dire : «  Dieu le père est réservé chez nous à l'usage personnel de l'empereur. Une fois on a parlé de lui dans un rapport du grand état-major général, mais, remarquez-le bien, il n'y a plus reparu ».
C'est Dieu le père qui pour les Germains était le meneur de catastrophes.
Quelque chose me dit qu'ils sont aujourd'hui un peu désabusés de cette conception, et qu'ils comptent davantage sur leur propre valeur, sur l'art des tranchées, sur la tactique des généraux, sur l'artillerie lourde, sur les moyens rapides de transport, et sur d'autres menus détails qu'au surplus ils n'avaient jamais trop négligés.
Certes ceux qui ont la foi religieuse, et qui y trouvent un admirable réconfort, l'ont précieusement conservée. Les fatalistes croient toujours à la fatalité, les joueurs à la chance, les superstitieux aux prophéties. Chacun garde dans son esprit un coin discret pour le Mystérieux souverain. Mais le coin est plus petit. On fait une part plus grande aux vertus purement humaines, que l'on dédaignait un peu comme trop banales, la prudence, la patience, l'énergie, l'audace, la méthode, l'étude, la décision, qui ne nous apportent pas tout de suite une fin idéale, et qui, par un chemin très long, très dur, très meurtrier, nous conduisent cependant pas à pas, lentement, tranchée par tranchée, à la victoire définitive, à la paix triomphale où se reposera le monde libéré.
Nous ne rêvons plus d'inventions miraculeuses qui détruisent l'ennemi comme dans un conte de fées. Et même nous ne rêvons plus du tout.
Pour sauver la France nous agissons tous, soldats et civils, avec la puissance formidable des vertus humaines.
Nous agissons de toutes nos forces, et nous nous appuyons sur l'amour de notre pays, et sur la volonté de vivre libres, - ou de mourir.
RENÉ MERCIER.

UNE JOLIE AVANCE EN ARGONNE

Paris, 6 janvier, 15 h. 15.
En Belgique, l'ennemi a prononcé, sans succès, deux attaques : dans la région des dunes et au sud-est de Saint-Georges.
Sur le reste du front, au nord de la Lys et de la Lys à l'Oise, il n'y a eu que des combats d'artillerie.
Dans la vallée de l'Aisne et dans le secteur de Reims, nos batteries ont pris l'avantage sur celles de l'ennemi, qu'elles ont réduites au silence. On signale d'autre part, une progression de nos troupes d'une centaine de mètres au nord-ouest de Reims.
En Argonne, s'est déroulée une action très vive qui nous a permis de reprendre 300 mètres de tranchées dans le bois de la Grurie, au point où s'était produit un léger fléchissement signalé précédemment.
De Bagatelle et de Fontaine-Madame sont parties deux violentes attaques allemandes à l'effectif d'un régiment chacune.
Elles ont été repoussées.
Près du ravin de Courtechausse, nous avons fait sauter à la mine 800 mètres de tranchées allemandes dont nous avons occupé la moitié.
De l'Argonne aux Vosges, le mauvais temps, la brume et la boue ont persisté. Il y a eu, sur différents points du front d'assez vifs combats d'artillerie. Au bois Le Prêtre, près de Pont-à-Mousson, nous avons continué à gagner du terrain.
Dans la région de Thann, malgré une violente canonnade, nous avons maintenu nos gains de la veille, tant à Steinbach même que dans les tranchées au sud-ouest et au nord-ouest du village. L'ennemi a réussi à réoccuper une de ses anciennes tranchées sur le flanc est de la hauteur, cote 425, dont le sommet demeure en notre possession.

NOUS AVANÇONS VERS ALTKIRCH

Paris, 7 janvier, 1 h. 15.
Voici le communiqué officiel du 6 janvier, 23 heures : Les seuls incidents notables sont : Au nord assez vive canonnade dans la région de Zillebecke ; Maintien de nos positions en Argonne ; Et légère progression de nos troupes dans le bois de Schirtzbach auprès de Altkirch.

SUCCÈS
en Woëvre et en Alsace

Paris, 7 janvier, 16 h. 25.
De la mer à la Lys il n'y a eu, dans la journée du 6 janvier, que des combats d'artillerie où nous avons eu presque constamment l'avantage.
Nos batteries ont mis en fuite des avions allemands qui se dirigeaient sur Dunkerque et elles ont éteint le feu des minenwerfer.
Dans la région de Zillebeke, l'ennemi a bombardé violemment la tête de pont belge au sud de Dixmude.
Dans la région de Lille, nous avons repoussé avec succès une violente attaque allemande sur une de nos tranchées. Cette tranchée, d'abord perdue par nous, a été brillamment reprise, et nous avons bouleversé, par des explosions de mines, une partie des ouvrages allemands.
Entre la Somme et l'Aisne, rien à signaler que des combats d'artillerie.
A l'est de Reims, à la ferme d'Alger, l'explosion de mines que nous avons provoquée hier soir, a arrêté les travaux ennemis.
En Argonne, à l'ouest et au nord de Verdun, combats d'artillerie où l'ennemi a montré peu d'activité.
En Woëvre, la progression réalisée au nord-ouest de Flirey est plus importante qu'elle n'avait été signalée. Nous nous sommes rendus maîtres d'une fraction de la première ligne ennemie.
A Steinbach et à la cote 425, l'ennemi n'a pas contre-attaqué. Une pluie persistante et l'état du terrain rendaient d'ailleurs tout mouvement difficile. Nous nous sommes maintenus sur toutes les positions conquises les jours précédents.
Deux attaques ennemies se sont produites, l'une à l'ouest de Watwiller, l'autre près de Kolschlag. Elles ont été immédiatement repoussées.
Nous avons progressé dans la direction d'Altkirch en occupant les bois situés à quatre kilomètres à l'ouest de cette ville.
Notre artillerie lourde a réduit au silence celle de l'ennemi. Celui-ci, pendant toute la journée, a bombardé l'hôpital de Thann.

BLESSÉE PAR LE «  ZEPPELIN »

«  Du Gaulois :
«  La vice-présidente du comité régional des Dames de la Société de secours aux blessés militaires, à Nancy, Mme Paul Lacroix, a été blessée, le samedi 26 décembre, alors qu'elle était couchée, par l'une des bombes qu'un «  Zeppelin » a lancées sur la capitale lorraine.
«  Il était 5 heures un quart du matin, lorsque ce projectile, tombe dans la grande allée de la Pépinière (jardin public nancéien), y brisa un arbre, avant que ses éclats s'éparpillent sur les corps de logis des maisons dont les façades sont place Carrière. L'un de ces morceaux d'obus éventra les persiennes, brisa les vitres, pénétra dans la pièce où Mme Lacroix reposait et lui traversa la cheville de part en part.
«  La blessée dut être transportée d'urgence à l'hôpital Bon-Secours, où les mêmes chirurgiens qui l'ont vue à l'oeuvre, jour et nuit, au chevet des blessés depuis cinq mois, lui ont prodigué les soins que son état exige. La blessure est très douloureuse, mais peu grave.
«  Mme Paul Lacroix est la femme du lieutenant-colonel d'artillerie breveté Lacroix, que sa santé a contraint à prendre prématurément sa retraite, et la nièce de l'éminent avocat Me Henri Limbourg, ancien préfet, exécuteur testamentaire du duc d'Aumale, dont il a publié l'intéressante correspondance avec M. Cuvillier-Fleury. »

AUTOUR DE VERDUN

Un de nos amis, - lisons-nous dans le «  Temps » - maire d'une localité importante de l'Est, nous donne quelques renseignements fort intéressants sur les événements qui se sont produits autour de Verdun et sur la vie que mènent nos soldats autour de la grande forteresse. Le tableau est pittoresque et, c'est le cas de le dire, vécu. Nos lecteurs le liront avec plaisir :
«  Durant cette campagne de 1914, la place de Verdun a joué un rôle prépondérant. Elle a arrêté l'offensive ennemie. Elle a aidé, en les flanquant puissamment, la progression de nos armées lors de la victoire de la Marne. L'artillerie de forteresse, divisée en secteurs, soutenait tous les mouvements de l'infanterie de ses lourds canons, et le génie, multipliant les retranchements, les bastions, parvenait en peu de temps à décupler la force de la place par des fortifications improvisées et de nombreux réseaux.
Un jour, cependant, le 8 septembre, l'armée allemande resserre son étreinte ; les forts de Bois-Bourru et de Marre sont bombardés. Quelque temps après, le fort de Douaumont reçoit sa part d'obus. Le fort de Genicourt, qui soutint l'incomparable défense du fort de Troyon, est à son tour couvert de mitraille.
Les aviateurs allemands, pendant ce temps, multiplient leurs randonnées audessus de la place et jettent de nombreuses bombes : l'une, un jour, tombe au milieu de la ville, dans la Meuse, et tue trois cents kilos de poisson, qui font la joie des malades des hôpitaux ; l'autre traverse du grenier à la cave la maison de M. Cloutier, quincaillier, dans un faubourg. Mais jusqu'ici les fameuses bombes n'ont tué personne. Je ne parle point des fléchettes et des petits papiers semés à profusion par les aviateurs boches ; je note simplement que le jour de Noël nous assistâmes à une course fort jolie : un avion allemand venait de jeter deux bombes sur Verdun, et les canons de nos forts essayaient d'atteindre ce provocateur, quand un grand silence se fit. Pégoud, sur son monoplan, venait de s'élever et tirait sur le Boche avec sa mitrailleuse ; alors, ce fut une course éperdue, jusqu'à ce que l'avion allemand disparût derrière Montfaucon, salué par une dernière salve du fort de Bois-Bourru. Depuis, nous n'avons plus vu d'avion boche.
On a tant critiqué notre artillerie de forteresse au début de la guerre, qu'il faut bien dire ce qu'elle a fait - notamment autour de Verdun - pour réhabiliter - s'il en est besoin ! - cette arme d'élite, où la science, le sang-froid des officiers se mélangent au courage, à la force rare des hommes, souvent astreints aux plus durs travaux et obligés, par leurs petits joujous de. plusieurs milliers de kilos, aux manoeuvres les plus pénibles.
Verdun a toujours été en communication avec le reste de la France par ses voies ferrées.
La garnison a toujours reçu ses correspondances régulièrement ; le personnel des postes et les vaguemestres se sont montrés d'un dévouement et d'une habileté extraordinaires. La gare a reçu des quantités de colis, qui tous ont été très bien distribués.
Comment sommes-nous installés ? Au petit bonheur. Les uns sont à proximité d'un village et peuvent trouver une grange hospitalière, les autres campent en plein champ dans de vastes trous couverts de troncs d'arbres ; nous, nous sommes au milieu d'un bois, installés dans des huttes de charbonniers ; on n'a pas froid ; on est très gai ; un seul ennemi : des multitudes de souris envahissent nos campements, ramassent nos miettes, et dansent un cake walk des plus désagréables la nuit sur nos personnes endormies.
La nourriture ? Abondante et bonne. Les cuisiniers improvisent des menus variés, et en accommodant le riz. perpétuel à des sauces multiples, parviennent à ne pas fatiguer nos estomacs. On a presque tous les jours de la viande fraîche, et le bouillon est excellent.
Nos officiers s'intéressent beaucoup à la façon dont nous sommes nourris. En résumé, la garnison a up. moral excellent, et parmi les troupes règnent une fraternité et une camaraderie extraordinaires. Je suis voisin de lit d'un adjoint au maire d'une petite ville industrielle du Nord, farouche socialiste. dans le civil ! Ici, il n'y a pas parmi nous de patriote plus enragé et plus convaincu ! »

QUELQUES NOUVELLES DE CIREY

L'Indépendant de Lunéville a eu connaissance d'une lettre qui donne des nouvelles de Cirey - ce sont des nouvelles qui datent d'un mois : elles n'en sont pas moins intéressantes.
A la fin du mois de novembre, les dégâts subis par Cirey étaient peu considérables, malgré le bombardement des premières batailles.
Un habitant, M. Roze, a été tué par un obus ; c'est alors la seule victime.
La population fut ravitaillée par l'ennemi. Les incendies qui s'étaient déclarés ont pu être éteints.
Les jeunes gens de la classe 1915 ont été emmenés prisonniers par les Allemands qui les ont dirigés sur Dieuze.
On sait que depuis un mois des incendies ont été signalés à Cirey et que nos troupes se sont approchées à 1.500 mètres de la commune. Que s'est-il passé à Cirey depuis la fin de novembre ? Nous l'ignorons.

UNE ÉVASION

Nous recevons le pittoresque récit que voici d'un jeune Nancéien :
«  J'étais parti à F..., huit jours environ avant le conflit européen, ma famille m'y ayant envoyé pour apprendre la langue allemande. A mon arrivée, la population semblait très paisible et aucun indice ne pouvait révéler que ce peuple, qui accueillait les Français avec une joie d'apparence si cordiale, devait une semaine après leur déclarer la guerre.
Cependant le nombre extraordinaire des troupes que je rencontrais dans mes promenades journalières, me faisait soupçonner qu'ainsi massées vers la frontière suisse elles étaient là pour un autre but que celui des grandes manoeuvres, comme me le disaient tous les gens que je questionnais à ce sujet.
Plusieurs jours, je n'ai su que penser de tout ce que je voyais, et c'est seulement le mardi 4 août que je fus fixé. Il était sept heures du matin. J'allais sortir prendre l'air lorsqu'un soldat en armes, qui se trouvait devant ma porte, me repoussa brutalement dans ma chambre et me déclara qu'il me tuerait sans pitié si je tentais de m'enfuir.
A neuf heures, un autre soldat vint me chercher pour me mener dans une vieille maison que je connaissais bien, y ayant déjà eu affaire : c'était un bureau militaire.
Je trouvai là trente-sept de mes camarades. Tous les jeunes gens du quartier qu'un tribunal, composé d'un colonel et deux capitaines, interrogeait d'après leur ordre d'arrivée. Quand vint mon tour, ils me firent subir un interrogatoire très serré, à la fin duquel ils m'annoncèrent que je ferais un très bon terrassier.
Je commençai alors à comprendre que, la guerre étant soudainement déclarée entre les deux pays, les Boches, contrairement aux droits des gens, voulaient conserver les jeunes Français au-dessus de seize ans en qualité de prisonniers de guerre.
Après nous avoir tous examinés et avoir renvoyé les trop jeunes ou trop faibles (neuf en tout), ils nous mirent sous la garde d'une escouade et nous placèrent par rang de taille. Nous dûmes défiler dans les principales rues de la ville, en butte aux huées de la populace.
Puis, ayant changé les hommes de notre garde, un jeune sous-lieutenant nous emmena sur la route qui mène à la Suisse. Il nous fit marcher jusqu'à deux heures de l'après-midi et nous arrêta près d'un chemin en construction, abandonné par les ouvriers, sans doute mobilisés. La frontière suisse n'était qu'à huit ou neuf kilomètres de là, mais il ne fallait pas songer la franchir de sitôt.
Je dois faire remarquer que, n'ayant pas mangé depuis la veille, nous mourions littéralement de faim. C'est sans doute pour nous rassasier que le sous-lieutenant nous fit distribuer à chacun un morceau de pain noir dont le poids n'excédait pas cinquante grammes.
Le lendemain, un capitaine venu pour nous inspecter, nous fit enfin distribuer des vivres. Après un repas assez substantiel, on nous donna à chacun une pioche et l'on nous fit travailler à la route. Plusieurs semaines se passèrent lentes et monotones. Si nous ne souffrions pas physiquement, moralement c'était terrible, et c'est ce qui me décida à m'évader. J'allai trouver les uns après les autres mes vingt-huit compagnons et je leur proposai de quitter notre bagne à la première occasion. Quatre d'entre eux acceptèrent les risques de cette aventure et chaque soir dans la grange où nous couchions, à l'abri des regards de la sentinelle postée à la porte, nous nous exercions à tous les sports qui pourraient nous être utiles dans notre fuite.
L'occasion propice à nos voeux se présenta une nuit sans lune. Il était huit heures du soir. La sentinelle qui prit la faction avait été brutalisée quelques instants auparavant par le sous-lieutenant et nous l'entendions marmonner entre ses dents. L'un de nous, qui parlait parfaitement l'allemand, entama les négociations, de telle sorte qu'une demi-heure après, pour le prix convenu de deux cents mark, nous pouvions reprendre tous les cinq notre liberté. Le coup était admirablement combiné. Dès que nous fûmes à cent mètres de la prison, notre vigilant gardien, dont la conscience était plus qu'élastique, se mit à pousser des gémissements comme si nous l'avions assommé et tira un coup de feu. Le poste était prévenu, mais nous avions déjà une certaine avance et pendant au moins deux kilomètres, nous pûmes courir à notre aise.
Enfin, nous arrivâmes dans un bois. A peine y étions-nous entrés que nous entendîmes siffler plusieurs balles. Nous nous jetons à plat ventre et c'est ainsi que pendant huit heures de suite nous arpentâmes un terrain couvert de boue, dans laquelle s'enfonçaient des balles qui, nous le savions bien, avaient une toute autre destination. Un de mes camarades qui marchait en arrière fut le seul atteint. Nous ralentîmes un peu notre marche, mais malgré toute notre bonne volonté nous allions bientôt l'abandonner, car il faiblissait visiblement, si quelques mètres plus loin nous n'étions pas entrés chez les Suisses, qui se chargèrent de faire comprendre à nos poursuivants qu'ils arrivaient trop tard et que notre évasion avait été couronnée de succès.
L. M.

M. THIRIET
Maire de Saâles
est-il mort ou prisonnier ?

Au début des hostilités, on se souvient que les autorités allemandes arrêtèrent et livrèrent sans jugement, aux pelotons d exécution un certain nombre de personnalités alsaciennes et lorraines, entre autres, M. Thiriet, maire de Saâles. Du moins, ce bruit s'en répandit alors.
La petite commune de Saâles est située sur le versant annexé du col auquel elle donne son nom, entre les vallées de la Fave et de la Bruche. M. Thiriet y remplissait ses fonctions municipales avec une grande dignité ; il entretenait dans la région d'excellentes relations ; on le rencontrait fréquemment à Saint-Dié, les jours de marché ; mais les Allemands lui reprochèrent d'avoir annoncé dans les villages où l'appelaient ses affaires, la mobilisation des garnisons de Rothau, de Mutzig et de Molsheim.
Or, voici que la mort de M. Thiriet serait démentie par l'ancien maire d'une localité vosgienne.
D'après ce témoignage qui paraît fort peu suspect, M. Thiriet serait enfermé dans une caserne ou une prison de Strasbourg, sans qu'il ait jamais pu correspondre avec la France.
Cette nouvelle se rapprocherait heureusement de celle que nous rapportait l'autre jour M. Hottier, maire d'Homécourt, d'après laquelle les frères Samain sont prisonniers dans la forteresse d'Ehrenbreistein.
L. C.

DE LA MER A L'ALSACE
Le Canon, la Mine, la Baïonnette
ONT DONNÉ AVEC SUCCÈS

Paris, 8 janvier, 15 h. 10.
L'artillerie ennemie a montré, hier, beaucoup d'activité, en Belgique et dans la région d'Arras. L'artillerie française a répondu vivement et efficacement. Quant à notre infanterie, elle a réalisé quelques progrès.
Près de Lombaertzyde, nous avons enlevé, à cinquante mètres en avant de nos tranchées, un mamelon occupé par l'ennemi.
A l'est de Saint-Georges, nous avons gagné du terrain et endommagé sérieusement les tranchées ennemies voisines de Steentraate.
Dans le secteur d'Arras, au bois Berthonal, nous avons dû, sans être attaqués, évacuer certains éléments d'une tranchée où les hommes étaient enlisés jusqu'aux épaules.
A gauche de la Boisselle, notre ligne de tranchées a été portée en avant. Nous occupons le chemin de la Boisselle à Aveluy.
Dans la vallée de l'Aisne, le duel d'artillerie a été assez vif. Notre artillerie lourde a obtenu de bons résultats.
Près a Blancablon, un minenwerfer de l'ennemi nous a infligé des pertes, mais, dans l'après-midi, nous avons arrêté le feu des Allemands.
Dans le secteur de Reims, à l'ouest du lois des Zouaves, nous avons fait sauter un blockhaus, à deux cents mètres en avant de nos lignes.
Un combat d'infanterie a eu lieu entre Bétheny et Prunay. Il a été d'une extrême âpreté. Les Allemands ont laissé de nombreux morts sur le terrain. Nos pertes sont minimes.
Entre Jonchery-sur-Suippe et Souain, nous avons réduit, à plusieurs reprises, l'artillerie ennemie au silence. Nous avons bouleversé ses tranchées et détruit ses abris.
En Argonne, à l'ouest de Haute-Chevauchée, l'ennemi a fait sauter à la mine quelques-unes de nos tranchées de première ligne, qui ont été complètement bouleversées. Une attaque violente qu'il a prononcée aussitôt a été repoussée à la baïonnette. Nous avons fait des prisonniers et nous avons maintenu notre front, sauf sur une étendue de 80 mètres, où le bouleversement des tranchées nous a obligés à établir notre ligne à vingt mètres en arrière.
Sur les Hauts-de-Meuse et entre Meuse et Moselle, rien à signaler. Le vent a soufflé en tempête toute la journée.
Notre offensive a continué dans la région de Thann et d'Altkirch. Nous avons obtenu des résultats importants.
Nous avons repris des tranchées sur le flanc est de la cote 425, où l'ennemi avait réussi à se réinstaller avant-hier. Nous avons gagné ensuite du terrain à l'est des tranchées.
Plus au sud, nous avons enlevé Burnhaupt-le-Haut, et progressé en même temps dans la direction du pont d'Aspach et de Kahlberg.
L'artillerie ennemie, qui avait essayé, sans succès, d'atteindre nos batteries, a renoncé à tirer sur elles, pour bombarder exclusivement l'hôpital de Thann qui a été évacué.

DEUX VIOLENTS COMBATS
dans le Soissonnais et en Argonne

Paris, 9 janvier, 1 h. 44.
Voici le communique officiel du 8 janvier, 23 heures : Au nord de Soissons, nous avons enlevé une redoute allemande et conquis deux lignes successives de tranchées. Nous avons atteint la troisième ligne.
Trois retours offensifs exécutés par les Allemands ont échoué.
En Argonne, une très violente attaque allemande à la hauteur de Haute-Chevauchée, nous a forcés d'abord à nous replier sur un kilomètre du front, mais nous avons contre-attaqué et réoccupé nos positions.
Un radiotélégramme à la presse allemande prétend que nous avons perdu la cote 425 dominant Steinbach et que nous n'avons pas pénétré dans Burnhaupt-leHaut. Ces deux allégations sont fausses.

EN ALSACE
LE COMBAT DE STEINBACH

Voici de nouveaux détails sur la prise de Steinbach :
Le 29 décembre, dans la nuit, un fort contingent français avait réussi à traverser la Thur en amont de Thann. Le 30, à l'aube, un violent duel d'artillerie s'engageait entre nos batteries et les pièces allemandes en position sur les hauteurs de Wattweiler. L'ennemi tirait habilement parti de bois de sapins pour dissimuler ses canons. L'épaisseur de la forêt rendait presque impossible le repérage par avion. Une lourde tâche allait échoir à nos patrouilles.
Pénétrant dans les lignes allemandes, nos éclaireurs, au risque de tomber à chaque pas dans une embuscade, battaient les sapinières. L'audace de nos chasseurs nous permettait bientôt de découvrir l'emplacement des principales batteries adverses. Avant la fin du jour, les trois quarts des 77 prussiens étaient démontés, le reste se taisait et battait en retraite.
Au matin du 31, notre infanterie occupait la plupart des crêtes dominant Steinbach. Ce village, avant-poste de Cernay, était l'enjeu du combat que nos troupes livraient sans trêve depuis quarante-huit heures.
Un parlementaire, envoyé par notre état-major, rentrait une heure plus tard dans nos lignes avec la réponse allemande, à savoir que le commandant en chef des forces adverses ne se considérait nullement comme cerné, que la route de Sennheim restait libre pour une retraite toujours possible et qu'en tout cas les troupes de l'empereur se font tuer, mais ne se rendent pas. Un otage, qui avait réussi à s'enfuir de Steinbach affirmait que, la veille, trente soldats du landsturm, dont l'attitude semblait peu résolue, avaient été fusillés séance tenante sur la place du village.
Les batteries échappées à nos coups avaient rallié, pendant la nuit, le hameau. Nul doute qu'il ne nous fallut conquérir celui-ci maison par maison. Mais les bois de sapins, qui avaient permis à une partie de nos 75, allaient servir, en revanche, à nos fantassins, pour approcher à couvert de Steinbach.
A midi, nous dévalons en colonnes éparses vers le village. Les 77 ouvrent le feu, mais le terrain n'est point pour favoriser le tir de l'adversaire. Nos tirailleurs parviennent à moins de deux cents mètres des premières bâtisses. Là sont établis les avant-postes prussiens. Une mitrailleuse placée dans le clocher de l'église arrose la lisière des sapinières d'où il nous faudra déboucher. Il nous faut, à tout prix, enlever ce point d'appui.
Une petite ferme est là à laquelle conduit un chemin creux. Mais la section ennemie, qui en a la défense, a eu soin de mettre en avant une rangée de civils parmi lesquels on distingue une femme, les cheveux épars sur les épaules et les mains liées derrière le dos. Cette nouvelle infamie enflamme le courage de nos soldats. Une compagnie se lance en avant, à la baïonnette. Le chemin de la ferme est balayé par le feu ennemi, mais rien n'arrête les nôtres. Malgré nos pertes, en un clin d'oeil, la section adverse est cernée, la porte de la maison enfoncée. Il est une heure, nous sommes maîtres de la ferme.
Le hasard veut que notre nouveau point d'appui soit relié au centre de Steinbach par une série de hangars. Nous grimpons sur l'un d'eux. Une mitrailleuse domine une tranchée ennemie à l'entrée de la rue principale. Comme un fait exprès, des trous donnant sur la ligne allemande sont percés dans les murs de la grange et destinés à donner de l'air aux fourrages.. Ces ouvertures sont pour nous des meurtrières parfaites.
Un de nos meilleurs tireurs est parvenu à l'extrémité des hangars. Dissimulé avec soin, il épaule dans la direction de la place du village. Quelques canons sont rangés là, qui tirent toujours vers les pentes, le long desquelles nos renforts et nos munitions de réserve arrivent. Notre homme, posément, à deux cents mètres, ajuste les servants prussiens, les abat l'un après l'autre. Cet exploit, qui prive la batterie ennemie de son personnel, permet à notre ligne principale de faire à nouveau un bond en avant. Des fantassins allemands veulent prendre la place des artilleurs tombés, mais ignorant le maniement des pièces, ils perdent un temps précieux.
A la fin de l'après-midi, une de nos colonnes parvient à glisser sur la droite ennemie, le long du ruisseau de Steinbach. Nous prenons ainsi le village à revers. A cinq heures, une contre-attaque désespérée de l'ennemi, au nord du hameau, échoue piteusement. Les cavaliers, qui contre-attaquaient à pied, sont rejetés dans le lit du torrent, où les plus atteints se noient.
Le combat se poursuit, farouche, jusqu'au soir. Toute ruelle devient une embuscade, toute maisonnette se transforme en citadelle. La possession d'un mur, d'une porte, devient l'objet d'un corps à corps sérieux. L'exaspération dans les deux camps va croissant. La nuit n'arrête pas la bataille.
A la faveur de l'ombre, un de nos volontaires se dévoue et va mettre le feu à une grande remise derrière laquelle s'abrite une force allemande. Notre homme réussit sa mission et, à la lueur du foyer, nous voyons bientôt s'enfuir une troupe d'ennemis. Une de nos mitrailleuses ouvre le feu sur les fuyards et non sans profit. Une heure plus tard, l'adversaire, qui veut nous rendre la pareille, réussit à jeter des grenades incendiaires sur une de nos granges, mais les Prussiens ont mal calculé. Le vent d'ouest souffle et rabat les flammes vers les Allemands, obligeant ceux-ci à évacuer leur première ligne de tranchées.
L'incendie, qui gagne, atteint une réserve de munitions qui sautent avec un bruit effroyable.
Le canon n'a pas cessé de tonner sur la crête. Les flammes projettent de grandes ombres sinistres sur les pentes d'en face.
La fusillade crépite de toutes parts. Le combat est tel qu'il est impossible de se rendre compte de ce qui se passe à quelques mètres plus loin, le champ de bataille se trouve limité pour chaque soldat à une maison, à une cour, parfois à une chambre.

BOMBARDEMENT

Tilly-sur-Meuse. 9 janvier 1915.
Depuis mercredi, Tilly-sur-Meuse, situé sur la rive gauche de la Meuse, à 20 kilomètres environ de Verdun et 16 kilomètres de Saint-Mihiel, est violemment bombarde. Cinquante-deux obus sont tombés sur la petite ville dans la seule journée de jeudi. La bonne du curé a été tuée. Plusieurs maisons ont été détruites.
A Bouquemont, les maisons ont été incendiées.

APPEL ET AVERTISSEMENT

Je comprends pourquoi le gouvernement a si longtemps hésité pour publier le rapport officiel sur les atrocités allemandes en France. Il craignait de jeter l'épouvante dans les coeurs français.
C'est que pour subir une pareille lecture jusqu'à la fin il faut avoir le coeur solidement accroché. Il vient à la gorge, quand on parcourt ces documents, de, tels sursauts de dégoût et de honte que l'on rougirait d'être homme si les Allemands n'avaient pris eux-mêmes la précaution de se rayer de l'humanité. Se prenant pour des surhommes, ils ont montré qu'ils sont seulement des sous-hommes, des bêtes féroces et monstrueuses.
Le gouvernement a bien fait de publier les documents de la commission, de quelque horreur que pèse un cauchemar aussi hideux.
La France a prouvé son énergie dans le malheur. Jamais, à aucun moment, elle n'a laissé échapper une plainte. Son âme est trempée définitivement. Rien ne saura l'émouvoir jusqu'au moment où la victoire finale lui permettra de relever ses ruines et de glorifier ses enfants.
Elle a donc le droit de tout savoir, pour connaître ce que font, ce que sont ses ennemis. La lumière sanglante du rapport sur les atrocités allemandes ne troublera pas la clarté de ses yeux.
La France serrera son épée d'une main plus nerveuse parce qu'elle comprendra plus fort encore que la culture allemande se développe par le parjure, le vol, l'incendie, le pillage, le viol, l'assassinat, la torture.
Elle ne voudra pas lâcher le glaive avant d'avoir terrassé l'Allemagne, monstre qui souille la terre, et elle emploiera à cette besogne tout son sang, s'il le faut.
Mais tout ce sang, il ne le faudra pas.
Il est impossible que les peuples civilisés ne soient pas émus. Justement parce que leur neutralité s'inspire d'un égoïsme sacré, il.est impossible qu'ils ne comprennent pas l'effroyable péril où les conduit cet égoïsme.
Ils comprendront certainement que si les alliés un jour fléchissaient, c'en serait fait de la civilisation universelle. Et leurs populations verraient à leur tour les horreurs qui ont ravagé la Belgique, la France, la Pologne, la Serbie. A leur tour leurs prêtres, leurs vieillards, leurs femmes, leurs enfants seraient égorgés sans pitié, leurs églises, leurs monuments, leurs villes incendiés et rasés. Ils connaîtraient l'horreur de la culture allemande. Et ils n'auraient plus qu'à gémir des plaintes inarticulées, à pleurer des larmes de sang, pour avoir entendu d'une oreille distraite les plaintes de la Belgique et de la France, pour avoir regardé d'un oeil sec la dévastation des pays voisins. Et rien ne les sauverait puisqu'ils auraient consenti à la destruction des forces morales et matérielles qui s'étaient vouées à leur sauvegarde.
L'héroïsme ne leur servirait plus de rien. Il ne s'appuierait que sur des tronçons d'Europe.
Ce sort ne leur est pas destiné. Ils savent bien, ils savent trop qu'ils peuvent compter sur la ténacité anglaise, sur l'énorme masse russe, sur l'infinie vaillance française.
Pourtant ils courent un risque formidable. Ils ont en la Belgique un exemple terrible.
Leur devoir, ainsi que leur intérêt est sinon d'agir, du moins de parler. Les pays neutres, s'ils ne disent pas tout haut qu'il ne supporteront pas éternellement le système des atrocités allemandes où qu'il s'exerce, perdront le droit de protester le jour où ils seront maltraités. Quelle force aurions-nous pour voler à leur secours en cas de malheur, s'ils ne se sentent même pas capables d'élever leur timide voix contre la violation constante, effroyable de toutes règles internationales et humaines ?
Le rapport de la commission est un appel et un avertissement. Que les neutres entendent cet appel ! Qu'ils écoutent cet avertissement.
Nous traversons une époque où il ne fait, pas bon être aveugle et muet.
RENÉ MERCIER.

Ils RÉPONDENT à nos PROGRÈS
en bombardant Soissons

Paris, 9 janvier, 15 h. 35.
Au sud d'Ypres, nous avons endommagé les tranchées de l'ennemi et réduit au silence ses minenwerfer.
Dans la région d'Arras et dans celle d'Amiens, combats d'artillerie où nous avons eu un avantage marqué.
Dans la région de Soupir, nous avons très brillamment enlevé, hier matin, la cote 132. A trois reprises, dans la journée, l'ennemi a contre-attaqué violemment. Il a été chaque fois repoussé. Notre gain représente trois lignes de tranchées allemandes sur un front de 600 mètres. L'ennemi, n'ayant pu reprendre ce qu'il avait perdu, a bombardé Soissons et incendié le palais de justice.
Au sud de Laon et de Craonne, notre artillerie a démoli un baraquement contenant des mitrailleuses, réduit au silence l'artillerie ennemie et bouleversé des tranchées.
Dans la région de Perthes, l'ennemi a prononcé une attaque à laquelle nous avons immédiatement répondu par une contre-attaque. Celle-ci nous a permis, non seulement de conserver nos positions à la cote 200 (ouest de Perthes), mais encore de nous emparer de 400 mètres de tranchées ennemies, entre la cote 200 et le village de Perthes.
En outre, d'une attaque directe prononcée par nous sur Perthes, nous avons contre-attaqué sur la cote 200 et nous nous sommes rendus maîtres du village. Nous nous y sommes installés et nous avons progressé au delà des lisières. Notre gain total de ce côté est de plus de 500 mètres de profondeur.
Sur tout le front, entre Reims et l'Argonne, notre artillerie a infligé des pertes sensibles attestées par les prisonniers.
Dans l'Argonne, nous avons subi sur notre droite une vive attaque ennemie à laquelle nous avons répondu par une contre-attaque qui nous a ramené au point de départ.
En Woëvre, au nord-ouest de Flirey, dans le bois d'Ailly et dans le bois Le-Prêtre, légers progrès.
Dans la région de Cernay, nous avons maintenu nos positions. Plus au sud, l'ennemi, très renforcé, a réoccupé Burnhaupt-le-Haut au prix de fortes pertes.

CONTRE-ATTAQUES ALLEMANDES
Sanglant échec

Paris, 10 janvier. 5 h. 45.
Voici le communiqué officiel du 9 janvier, 23 heures :
Au nord de Soissons, nos progrès d'hier ont été maintenus ; un nouveau retour offensif allemand a été repoussé dans la matinée.
Les tranchées conquises par nous entre Perthes-les-Hurlus et la cote 200 ont été vivement contre-attaquées. L'ennemi a été complètement refoulé, après avoir subi de fortes pertes.
Sur le reste du front, rien à signaler.

Le Bombardement de Longwy
PENDANT L'OCCUPATION ALLEMANDE

A quiconque se plaint, en France, des formalités nécessaires pour la délivrance des sauf-conduits, nous conseillerons d'interroger Mme Cl... sur ses tribulations, ses démarches à travers la bureaucratie allemande.
Mme Cl... vient de rentrer à Nancy. Elle était restée cinq mois à Longwy, en pleine occupation, jusqu'au jour où elle entrevit comme une lueur d'espoir le moyen de regagner la France, par le chemin des écoliers. Elle franchit donc la frontière au bois de la Sauvage, pénétra dans le Grand-Duché et fit connaissance alors avec l'administration du kaiser.
Pendant deux jours, elle erra dans Luxembourg, du commissariat à la commandatur, de l'hôtel de ville à l'ambassade ; elle versa un mark pour obtenir sur ses passeports une première signature, trois mark pour une seconde apostille, essuya les rebuffades des plantons, les colères farouches des sous-officiers.
Enfin, la malheureuse femme put prendre le train pour la Suisse. Elle emmenait avec elle trois enfants, ses neveu et nièces, parmi lesquels le petit Pierre, un gamin espiègle et moqueur dont les plaisanteries s'exerçaient parfois aux dépens des Boches.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer hier Mme Cl... dans son logement du faubourg Saint-Georges. Elle est remise à peine de ses émotions, des fatigues de son long voyage ; mais, pleine de vaillance, elle a voulu dès son retour à Nancy, visiter les personnes pour lesquelles on l'avait chargée de commissions :
- Le bonjour pour celui-ci ; un souvenir à celui-là. Bref, je vais dans tous les quartiers de la ville. J'ai pu rassurer ainsi beaucoup de gens inquiets du sort d'un parent ou d'un ami. Après ma tournée de visites, je commencerai les lettres que j'ai promis d'envoyer à d'autres personnes privées également de nouvelles par la rupture des relations entre Longwy et le reste de la France. »
Mme Cl... a dû apprendre par coeur et retenir les adresses, car une perquisition minutieuse des bagages empêcha les indiscrétions : ni un bout de lettre, ni un fragment de journal ne peuvent être introduits en France, sous des peines qui vont jusqu'au châtiment suprême, comme s'il s'agissait du crime d'espionnage. On sait que les Allemands ne badinent jamais, qu'ils font plutôt bon marché de la vie humaine, que l'assassinat des femmes ne leur répugne pas et on se tient pour averti !

Sous les obus

Nous avons obtenu de Mme Cl. quelques renseignements nouveaux sur la situation de Longwy pendant l'occupation.
On se rappelle qu'un furieux bombardement déchaîna sur la vieille citadelle une tempête d'acier. Il ne reste de l'hôtel de ville qu'une façade squelettique ; l'église a servi de cible aux obus, et sa tour aux trois quarts démantelée, laisse pendre un drapeau tricolore en lambeaux que l'ennemi a vainement essayé d'abattre le drapeau reste debout, comme un héroïque blessé ; il attend devant le ciel, au milieu des ruines, la certitude de la revanche qui délivre ; il met son auguste symbole sur la cité qui tôt ou tard chassera les Barbares.
- La porte de France, nous dit Mme Cl., a relativement peu souffert, mais la porte de Bourgogne a essuyé un feu d'enfer. C'est de ce côté que furent dirigés les assauts ; c'est là que se concentrèrent Les efforts des assiégeants. La canonnade dura six jours et six nuits, sans trêve, du 21 au 27 août. Quand l'orage cessa, la population courut vers Longwy-Haut ; mais un spectacle lamentable attrista les yeux. Le pillage s'organisait, méthodique On chargeait des camions; des chariots ; on vidait
les magasins, on déménageait les logements. Razzia complète. Une bijouterie, surtout, fut dévalisée jusqu'à sa dernière bague, sa dernière montre. »
Les batteries allemandes, d'énormes pièces de marine, des dogues monstrueux, avaient été amenées dans les bois d'Hallanzy et dans les maisons de Rodange, au delà de la frontière luxembourgeoise.
De même qu'à Maubeuge et dans plusieurs villes du Nord, les préparatifs de l'avant-guerre désignaient à Rodange les emplacements des canons ; un immeuble avait reçu un aménagement spécial pour les formidables engins traînés par un attelage de seize chevaux.
- Quand le premier obus siffla sur nos têtes, déclare Mme Cl..., nous cherchâmes un refuge dans les caves. Il était temps. Mon toit venait d'être en partie démoli. Rien que dans ma cave, dix-neuf personnes étaient réunies. Un drame effroyable se déroula près de nous. Plusieurs femmes occupaient une cave voisine, groupées dans l'escalier ; soudain un fracas épouvantable. L'explosion frappe au hasard. Une femme, ayant sa mère assise sur une marche au-dessous d'elle, entre ses genoux, s'aperçoit qu'elle presse sur son coeur un cadavre dont la tête est broyée ; la malheureuse se lève, sort affolée dans la rue, malgré la pluie de mitraille, en criant :
- Ma mère est tuée. Ma mère est tuée. »
On crut d'abord que le tir s'acharnerait seulement sur la citadelle ; mais le repérage par avions ou quelques renseignements d'espionnage avertirent les Allemands qu'à Longwy-Bas nos soldats se tenaient en assez grand nombre: dans la rue de la Chiers. Les rafales meurtrières s'abattirent alors sur ce quartier. Pendant une semaine d'angoisse, les habitants vécurent dans les caves, prêtant l'oreille aux vacarmes du bombardement.
- Nous croyions à chaque instant reconnaître l'intervention de l'artillerie française... L'espoir nous réchauffait l'âme. Les illusions s'évanouirent, hélas ! quand on nous offrit un asile plus sûr dans le bâtiment des accumulateurs aux usines de Saintignon. Les mauvaises nouvelles circulaient ; on annonçait la fin d'une résistance inutilement sublime ; on racontait qu'un régiment, trompé par la similitude des noms, avait rencontré à Lexy, qu'on avait pris pour Mexy, des forces ennemies dont la supériorité avait écrasé la bravoure des nôtres ; on parlait d'inévitable capitulation ; des fantassins, qui n'avaient pas eu, dans notre quartier, l'occasion de tirer un coup de fusil, pleuraient, de rage et de douleur, voulaient quand même, avec une magnifique obstination, marcher vers les Prussiens qu'ils n'avaient, pas vus encore. »
Il fallait se rendre.
Malgré des pertes la garnison résista aux suprêmes assauts lancés contre elle. C'est à Mont-Saint-Martin que le signal de l'attaque fut donné le 26 août, à quatre heures du matin, sur la place des Aciéries. La musique jouait dans le kiosque ; le son aigrelet des fifres, le roulement des tambours, bientôt, se fondirent dans le tumulte des charges, dans les crépitements de la fusillade, tandis que, le canon grondait comme une base dans ce concert effrayant.
Le kronprinz dirigeait le combat.
L'héroïque garnison se retira avec les honneurs de la guerre ; elle avait fait sans défaillance son devoir jusqu'au bout !

Les barbares s'installent

Les récits qui en ont été déjà publiés à mainte reprise ont instruit nos lecteurs des débuts de l'occupation.
On sait que la ville fut frappée d'une indemnité d'un million. La contribution fut versée par MM. de Saintignon et d'Huart, maîtres de forges ; Thomas, ancien banquier ; Ferry, notaire, etc. Le maire, M. Pérignon, déploya une admirable fermeté. Sa conduite et celle des citoyens qui l'assistèrent dans ces heures tragiques fut au-dessus de tout éloge.
On sait que les Allemands établirent la Commandatur dans la maison de M. Thomas, qui dut à cette circonstance d'être épargnée par le pillage ; mais les villas, les châteaux, les hôtels, les propriétés particulières fournirent un butin considérable.
On sait encore que le premier soin de l'ennemi fut de convoquer les jeunes gens en âge de porter les armes. Deux cents environ d'entre eux étaient partis pour Mézières au premier jour de la mobilisation pour s'engager volontaires ; ils revinrent à pied en déclarant que le recrutement les priait de revenir le 22 août. Hélas ! les événements les empêchèrent de quitter leur ville :
- Leurs noms ont été inscrits sur une liste d'appel, dit Mme Cl... Ils sont tenus de répondre chaque semaine aux convocations allemandes et de se rassembler sur la place de l'Industrie. Ils sont ménagés ; mais, quand les Boches évacueront Longwy, ils leur fourniront certainement un lot d'otages, à moins qu'ils ne soient jetés en prison ou enrôlés malgré eux sous les aigles du kaiser. »
La population longovicienne n'eut pas trop à souffrir de l'occupation. Les vivres abondaient ; le prix en était plutôt abordable : on payait le sucre de sept à neuf sous le kilo ; le lard 2 fr. 40 ; la douzaine d'oeufs 2 fr. 60 ; mais la farine devint rare, le beurre faillit manquer ; les pommes de terre, les légumes secs disparurent de la table et furent remplacés par les pâtes alimentaires ; il fallut renoncer à l'éclairage par le pétrole et se munir de lampes à acétylène ; on fut privé de saindoux ; le pain noir, où dominait la farine de seigle, succéda au pain blanc.
Les Allemands raflaient dans toute la région les trois quarts des récoltes et ne laissaient aux habitants ainsi dépouillés que l'autre quart pour subsister. Les ruches furent volées ; on emporta le miel et l'on brûla les abeilles ; une des principales richesses du pays fut ainsi supprimée.
Est-il besoin de dire que la plupart des caves, sinon toutes, étaient complètement vides. Les réquisitions et le pillage avaient passé là. Pourtant une mesure exceptionnelle de faveur autorisait les malades à posséder douze litres de vin !
Ce fut un sous-officier de réserve allemand, nommé Wilberger, qui se chargea du ravitaillement.
Wilberger habitait Longwy. Il semblait suspect - et l'opinion publique ne se trompait guère sur son compte. Au jour de la déclaration de guerre, il annonça son engagement volontaire, feignit de partir aussi pour Mézières d'où il revint le 16 août, par la route d'Arlon. Dès lors, on fut absolument fixé sur le patriotisme de cet individu en qui les Boches mirent toute leur confiance. Le triste personnage installa à la gare son magasin (?) de ravitaillement et fournit au commerce local les marchandises «  made in Germany » nécessaires à la consommation.
Il y a d'autres surprises.
Une femme, que les officiers allemands couvraient de bijoux, qu'ils promenaient dans leurs automobiles, occupait, avant l'ouverture des hostilités, une situation... mais à quoi bon révéler aujourd'hui les fautes, les tristesses, les abandons, les scandales sur lesquels la lumière sera faite au grand jour d'une prochaine justice !

Les visites impériales

Pendant que son quartier général était à Luxembourg, le kaiser vint en auto deux fois visiter Longwy d'où son fils lançait ses extraordinaires et bouffonnes proclamations.
Comme il recherche volontiers les formes tapageuses de la popularité, Guillaume II s'avisa de répandre son portrait en cartes postales. Il voulut un cliché inédit. L'impérial histrion «  posa » dans un décor de ruines dans la citadelle que ses troupes avaient ravagée.
Une idée plus originale traversa son esprit.
Il avisa certain jour une jeune fille et se plaça auprès d'elle devant l'objectif, puis, en manière de remerciement, il proposa à sa compagne :
- Voyons, mademoiselle, que désirez-vous de moi ? Je suis prêt à satisfaire un de vos caprices. Parlez. Je vous laisserai de moi le souvenir, la grâce qu'il vous plaira de demander.
La jeune fille sembla hésiter. Elle fixa sur le souverain son regard honnête et franc ; une parole audacieuse jaillit de ses lèvres :
- Accordez-moi simplement la faveur de ne point brûler mon pauvre village, dit-elle.
- Quel village ?
- Bazailles. une petite localité à vingt kilomètres d'ici.
- Je le promets.
Et, séance tenante, sur un large papier, le kaiser rédigea lui-même l'ordre de respecter Bazailles.
- Si nos soldats menacent le pays, prononça Guillaume II, vous n'aurez qu'à montrer cet ordre écrit de ma main. Les officiers obéiront.
L'histoire que nous raconte ainsi Mme Cl... nous fut également rapportée hier par un autre témoin, Mlle R..., venue de Longwy cette semaine, avec une légère variante.
Ce serait le kronprinz, d'après Mlle R., qui aurait exigé que la fillette de Bazailles fût photographiée à son côté et, comme elle résistait, peu flattée sans doute du voisinage :
- Placez-vous près de moi, aurait insisté le kronprinz. sinon je fais immédiatement détruire votre village.
Laquelle de ces deux versions est la vraie ? Ma foi, je laisse aux historiens de l'avenir le soin d'approfondir la question.
Mme Cl... aperçut deux fois Guillaume II dans les rues de Longwy ; il descendait à la commandature, dans la maison de M. Thomas :
- Je ne connaissais pas l'empereur, nous déclare-t-elle ; mais il m'a laissé une étrange impression. On dirait un vieillard. Ses rides se creusaient profondément; ses épaules semblaient courbées sous le poids d'un mystérieux fardeau plutôt que par l'âge. »

Les Kamarades français

Depuis quelque temps, l'administration allemande change d'attitude. Elle se fait sévère. Plus de laissez-passer. Plus de ces petites libertés dont s'accommodaient les débuts de l'occupation. Défense de lire les journaux français ou suisses sous peine de mort.
Les territoriaux de la landsturm, à l'effectif de deux compagnies, gardent la ville. Ils semblent animés d'un patriotisme sans enthousiasme, quoique les victoires de Lodz (!?) aient été célébrées par les cloches en volée à Virton et les beuveries dans les débits de la région en liesse.
L'armée allemande est convaincue maintenant que son chef n'a jamais voulu s'emparer de Verdun ni de Paris - car, pour tout Allemand digne de ce nom, il est hors de doute que nulle capitale ne résiste aux volontés du kaiser.
Les soldats français sont au contraire des kamarades avec qui s'échangent d'une tranchée à l'autre, les cigarettes et les petits cadeaux destinés à entretenir cette nouvelle amitié :
- Nous allons faire alliance, répètent les naïfs territoriaux, afin de battre l'Angleterre ! La France est une nation vaillante. Elle nous aidera. Il faut prendre Londres !. »
Pourtant, quand le 112e saxons dut se battre sur les Hauts-de-Meuse, la défiance régna et, à son retour, un commandant disait qu'en moyenne les compagnies étaient réduites à un effectif, de vingt hommes. Décidément, les kamarades français leur offraient autre chose que des cigarettes !
Un matin que les Boches traversaient la ville, un ouvrier laissa échapper cette réflexion.
- En voilà qui s'en vont à Verdun pour se faire encore casser la g... ».
L'ouvrier fut immédiatement arrêté et son appréciation lui valut un an de prison devant le conseil de guerre.
Mme Cl... énumère d'autres incidents : le supplice auquel elle fut soumise notamment à Cosnes pour s'être fourvoyée en chemin. Elle resta debout au corps de garde, le visage tourné contre le mur, condamnée à l'immobilité absolue, jusqu'au moment où ses forces la trahirent.
Le maire de Ville-Houdlemont malgré ses 75 ans, fut obligé, pieds nus, presque sans vêtements, de suivre, sous une pluie battante, les officiers d'intendance dans leurs réquisitions.
Aussi quelle joie, après tant d'amertume, quand Mme Cl..., ses neveu et nièces, arrivèrent en Savoie, avec une caravane de Français, arrachés comme elle par miracle aux souffrances d'un long exil !
Mlle R... avait, entre autres, juré d'embrasser sur le sol enfin retrouvé de la patrie, le premier pioupiou qu'on rencontrerait. Ses compagnes prêtèrent le même serment et ce fut, ma foi, un brave homme de territorial qui profita de l'aubaine :
- Il était content, fallait voir ! Il essuya sa grosse moustache d'un revers de main, en releva coquettement la pointe et nous dit en riant : «  Allez-y, mesdames... c'est pour la France... » Et je vous jure bien que, s'il était content, j'ai mis rarement dans un baiser autant de mon âme et de mon coeur que dans ce baiser-là ! »
ACHILLE LIÉGEOIS.

(à suivre)

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