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Janvier 1915 - La Vie en Lorraine (2/3)

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LES ATROCITÉS ALLEMANDES
RAPPORT OFFICIEL
de la Commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi, en violation du droit des gens.

Il faut avoir le coeur bien accroché pour supporter la lecture du rapport que le «  Journal officiel » publie sur les atrocités allemandes. Nous publions quand même ce rapport, car il faut que chacun en France sache bien quelle effroyable bande d'assassins s'est abattue sur la terre française, et qu'il est nécessaire de balayer cette horreur pour que l'atmosphère de l'Europe devienne respirable.
Quand un honnête homme, serait-il neutre jusqu'à la folie, aura lu ce document, ajouté aux documents belges, il est impossible qu'il continue à partager sa sympathie entre les victimes et les bourreaux, entre la vertu crucifiée et le sadisme sanguinaire.
MM. Georges Payelle, premier président de la Cour des comptes ; Armand Mollard, ministre plénipotentiaire ; Georges Maringer, conseiller d'Etat, et Edmond Paillot, conseiller à la Cour de cassation, ont, en établissant ce procès-verbal d'épouvante, écrit une page d'histoire allemande qui est une oeuvre définitive de flétrissure allemande.
Nous extrayons de ce rapport, sans y ajouter, sans y retrancher un seul mot, les faits qui concernent les départements de la Meuse et de Meurthe-et-Moselle.
Le rapport de la commission explique d'abord que s'il apporte déjà une ample moisson de renseignements, «  il ne comprend, cependant, qu'une part assez restreinte des constatations que nous aurions pu faire, si nous n'avions soumis à une critique sévère et à un contrôle rigoureux chacun des éléments d'information qui se sont présentés à notre examen. Nous n'avons cru devoir, en effet, retenir que les faits qui, irréfragablement établis, constituaient d'une façon certaine des abus criminels nettement caractérisés, négligeant ceux dont les preuves étaient insuffisantes à nos yeux, ou qui, si dommageables ou si cruels qu'ils fussent, pouvaient avoir été la conséquence d'actes de guerre proprement dits, plutôt que d'excès volontaires, imputables à l'ennemi.
«  Dans ces conditions, nous avons la ferme assurance qu'aucun des incidents dont nous avons fait état ne saurait être discuté de bonne foi. La preuve de chacun d'eux, d'ailleurs, ne résulte pas seulement de nos observations personnelles ; elle se fonde principalement sur des documents photographiques et sur de nombreux témoignages reçus en la forme judiciaire, avec la garantie du serment. »
Le rapport de la commission au président du conseil ajoute :
«  Dans les régions que nous avons traversées, et notamment dans ce pays de Lorraine qui fut si fréquemment victime des fléaux de la guerre, nous n'avons entendu ni une sollicitation, ni une plainte ; et pourtant, les misères affreuses dont nous avons été les témoins dépassent en étendue et en horreur ce que l'imagination peut concevoir. De tous côtés, le regard se pose sur des décombres ; des villages entiers ont été détruits par la canonnade ou par le feu ; des villes autrefois pleines de vie ne sont plus que des déserts remplis de ruines ; et quand on visite les lieux désolés où la torche de l'envahisseur a fait son oeuvre, on a continuellement l'illusion de marcher parmi les vestiges d'une des cités antiques que les grands cataclysmes de la nature ont anéanties. »
«  Les attentats contre les femmes et les jeunes filles ont été d'une fréquence inouïe. Nous en avons établi un grand nombre, qui ne représente qu'une quantité infime auprès de ceux que nous aurions pu relever ; mais, par un sentiment très respectable, les victimes de ces actes odieux se refusent généralement à les révéler. Il en aurait été moins commis, sans doute, si les chefs d'une armée dont la discipline est des plus rigoureuses, s'étaient inquiétés de les prévenir ; on peut toutefois, à la rigueur, ne les considérer que comme des actes individuels et spontanés de brutes déchaînées ; mais il n'en est pas de même de l'incendie, du vol et de l'assassinat ; le commandement, jusque dans ses personnifications les plus hautes, en portera, devant l'humanité, la responsabilité écrasante.
«  Dans la plupart des endroits où nous avons fait notre enquête, nous avons pu nous rendre compte que l'armée allemande professe d'une façon constante le mépris le plus complet de la vie humaine, que ses soldats et même ses chefs ne se font pas faute d'achever les blessés, qu'ils tuent sans pitié les habitants inoffensifs des territoires qu'ils envahissent, et qu'ils n'épargnent dans leur rage homicide ni les femmes, ni les vieillards, ni les enfants. Les fusillades de Lunéville, de Gerbéviller, de, Nomeny et de Senlis en sont des exemples terrifiants ; et vous lirez, au cours de ce rapport, le récit des scènes de carnage auxquelles des officiers eux-mêmes n'ont, pas eu honte de prendre part.
«  L'esprit se refuse à croire que toutes ces tueries aient eu lieu sans raison. Il en est pourtant ainsi. Les Allemands, il est vrai, en ont toujours donné le même prétexte, en prétendant que des civils avaient commencé par tirer sur eux. Cette allégation est mensongère, et ceux qui l'ont produite ont été impuissants à la rendre vraisemblable, même en tirant des coups de fusil dans le voisinage des habitations, comme ils ont l'habitude de le faire pour pouvoir affirmer qu'ils ont été attaqués par les populations innocentes dont ils ont résolu la ruine ou le massacre. Nous en avons maintes fois recueilli les preuves ; en voici une, entre bien d'autres : Un soir, une détonation ayant retenti pendant que l'abbé Colin, curé de Croismare, se trouvait auprès d'un officier, celui-ci s'écria : «  Monsieur le curé, en voilà assez pour vous faire fusiller ainsi que le bourgmestre, et pour vous faire brûler une ferme. Tenez, en voici une qui brûle. - «  Monsieur l'officier, répondit le prêtre, vous êtes trop intelligent pour ne pas reconnaître le bruit sec de votre fusil. Pour moi, je le reconnais. » L'Allemand n'insista pas.
«  De même que la vie humaine, la liberté des gens est de la part de l'autorité militaire allemande l'objet d'un absolu dédain. Presque partout, des citoyens de tout âge ont été arrachés à leurs foyers et emmenés en captivité. Beaucoup sont morts ou ont été tués en route. »
La commission établit enfin sans peine que l'incendie est employé par les Allemands comme un procédé usuel, soit comme élément de dévastation systématique, soit comme moyen d'intimidation. Et elle laisse de côté la destruction des maisons occasionnée même partiellement par les obus, au cours de la bataille, comme à Villotte-devant-Louppy, Rembercourt, Mogneville, Amblaincourt, Pretz, Louppy-le-Château, etc.
Quant au vol, partout où une troupe ennemie a passé, elle s'est livrée, en présence de ses chefs et souvent même avec leur préméditation, à un pillage méthodiquement organisé.
Voici maintenant le bilan des exactions, de la dévastation et de toutes les atrocités dans la Meuse et Meurthe-et-Moselle :

MEUSE

Le département de la Meuse, dont les armées allemandes occupent encore une grande partie, a été cruellement éprouvé. Des communes importantes y ont été ravagées par des incendies allumés volontairement, en dehors de toute nécessité d'ordre militaire, et sans que les populations eussent aucunement provoqué par leur attitude de semblables atrocités. Tel est le cas, notamment, de Revigny, de Sommeilles, de Triaucourt, de Bulainville, de Clermont-en-Argonne et de Villers-aux-Vents.

A REVIGNY
Après avoir complètement pillé les maisons de Revigny et avoir enlevé leur butin sur des voitures, les Allemands ont incendie les deux tiers de la ville, pendant trois jours consécutifs, du 6 au 10 septembre, en arrosant de pétrole les murs, avec des pompes à main et en jetant dans les foyers des sachets remplis de poudre comprimée en tablettes. Il nous a été remis des spécimens de ces sachets et de ces tablettes, ainsi que des baguettes d'une matière inflammable et fusante, abandonnés sur les lieux par les incendiaires.
L'église, qui était classée au nombre des monuments historiques, et la mairie, avec toutes ses archives, ont été détruites.
Plusieurs habitants, au nombre desquels étaient des enfants, ont été emmenés comme otages. Ils ont été, d'ailleurs, rendus à la liberté le lendemain, à l'exception du sieur Wladimir Thomas.

A SOMMEILLES
Peu de localités, dans la Meuse, ont autant souffert que la commune de Sommeilles. Elle n'est plus qu'un amas de décombres. ayant été complètement incendiée, le 6 septembre, par un régiment d'infanterie allemande qui portait le n° 51. Le feu a été mis à l'aide d'engins ressemblant à des pompes à bicyclettes et dont beaucoup de soldats s'étaient munis.
Ce malheureux village a été le théâtre d'un drame affreux. Au début de l'incendie la dame X..., dont le mari est sous les drapeaux, s'était réfugiée dans la cave des époux Adnot, avec ces derniers et ses quatre enfants, respectivement âgés de onze ans, de cinq ans, de quatre ans et d'un an et demi. Quelques jours après, on y découvrit les cadavres de tous ces infortunés, au milieu d'une mare de sang. Adnot avait été fusillé, la dame X... avait le sein droit et le bras droit coupés, la fillette de onze ans avait un pied sectionné, le petit garçon de cinq ans avait la gorge tranchée.
La femme X... et la petite fille paraissaient avoir été violées.

A VILLERS-AUX-VENTS
A Villers-aux-Vents, le 8 septembre, des officiers allemands invitèrent les habitants qui n'avaient pas encore fui à quitter leurs demeures en les prévenant que le village allait être brûlé parce que, prétendaient-ils, trois soldats français s'étaient habillés en civil. D'autres donnèrent comme prétexte qu'on avait trouvé dans une maison une installation de télégraphie sans fil. La menace fut si rigoureusement exécutée qu'un seul bâtiment resta debout.

A VAUBÉCOURT
A Vaubécourt, où six immeubles ont été incendiés par les Wurtembergeois, le feu a été mis dans une grange avec de la paille amoncelée par les soldats.

A TRIAUCOURT
A Triaucourt, les Allemands, se sont livrés aux pires excès. Irrités sans doute des observations qu'un officier avait adressées à un soldat contre lequel une jeune fille de 19 ans, Mlle Hélène Procès, avait porté plainte, à raison d'entreprises inconvenantes dont elle avait été l'objet, ils incendièrent le village et organisèrent le massacre des habitants. Ils commencèrent par mettre le feu à la maison d'un paisible propriétaire, le sieur Jules Gand, et par fusiller ce malheureux, au moment où il sortait de chez lui pour échapper aux flammes ; puis ils se répandirent dans les habitations et dans les rues en tirant des coups de fusil de tous côtés. Un jeune homme de 17 ans, Georges Lecourtier, qui essayait de se sauver, fut tué. Le sieur Alfred Lallemant subit le même sort ; poursuivi jusque dans la cuisine de son concitoyen Tautelier, il y fut massacré, tandis que ce dernier recevait trois balles dans la main.
Craignant, non sans raison, pour leur vie, Mlle Procès, sa mère, sa grand'mère, âgée de 71 ans, et sa vieille tante de 81 ans, Mlle Laure Mennehand, tentèrent de franchir, à l'aide d'une échelle, le treillage qui sépare leur jardin d'une propriété voisine. La jeune fille seule parvint à passer de l'autre côté et put éviter la mort en se cachant au milieu des choux. Quant aux trois autres femmes, elles furent abattues à coups de fusil. Le curé du village, après avoir ramassé sur le sol, où elle s'était répandue, la cervelle de Mlle Mennehand, fit transporter les corps dans la maison Procès. Pendant la nuit qui suivit, les Allemands jouèrent du piano auprès des cadavres.
Tandis que le carnage sévissait, l'incendie se propageait rapidement et dévorait trente-cinq maisons. Un vieillard de 70 ans, Jean Lecourtier, et un enfant de deux mois trouvaient, la mort dans les flammes. Le sieur Igier, qui s'efforçait de sauver son bétail, était poursuivi sur un parcours de 300 mètres par les soldats qui ne cessaient de tirer sur lui. Cet homme eut, par miracle, la chance de n'être pas blessé ; mais cinq balles traversèrent son pantalon. Comme le curé Viller s'indignait auprès du duc de Wurtemberg, logé dans le village, du traitement infligé à sa paroisse : «  Que voulez-vous ? répondit celui-ci nous avons comme chez vous de mauvais soldats. »
Dans cette même commune, une tentative de viol, qui manqua son effet, grâce à la résistance opiniâtre et courageuse de la victime, fut commise par trois Allemands sur la personne de la dame D..., âgée de 47 ans ; enfin une vieille dame de 75 ans, Mme Mapoix, fut si violemment frappée à. coups de bottes qu'elle en mourut quelques jours après. Pendant que les soldats la maltraitaient, d'autress dévalisaient ses armoires.

A CLERMONT-EN-ARGONNE
La petite ville de Clermont-en-Argonne adossée à une colline pittoresque, au milieu d'un paysage agréable, recevait chaque année la visite de nombreux touristes. Le 4 septembre, pendant la nuit, les 121e et 122e régiments wurtembergeois y firent leur entrée, en brisant les portes des maisons et en se livrant à un pillage effréné, qui devait se continuer pendant, le cours de la journée suivante. Vers midi, un soldat alluma l'incendie dans l'habitation d'un horloger, en y répandant volontairement le contenu de la lampe à alcool qui lui avait servi à préparer son café. Un habitant, M. Monternacht, courut aussitôt chercher la pompe municipale, et demanda à un officier de lui fournir des hommes pour la mettre en action. Brutalement éconduit, et menacé d'un revolver, il renouvela sa demande auprès de plusieurs autres officiers sans plus de succès. Pendant ce temps, les Allemands continuaient à incendier la ville, en se servant de bâtons au bout desquels des torches étaient fixées. Tandis que les maisons flambaient, des soldats envahissaient l'église, qui est isolée sur la hauteur, y dansaient au son de l'orgue, puis, avant de se retirer, y mettaient le feu à l'aide de grenades, ainsi que de récipients garnis de mèches et remplis d'un liquide inflammable.
Après l'incendie de Clermont, on trouva deux cadavres, celui du maire de Vauquois, M. Poinsignon, complètement carbonisé, et celui d'un jeune garçon de onze ans, qui avait été fusillé à bout portant.
Quand le feu fut éteint, le pillage recommença dans les immeubles que la flamme avait épargnés. Des objets mobiliers, enlevés chez le sieur Desforges, et des étoffes, volées dans le magasin du sieur Nordmann, marchand de nouveautés, furent entassées dans des automobiles.
Un médecin-major s'empara de tous les objets de pansement de l'hospice ; et un officier supérieur, après avoir inscrit sur la porte de la maison d'entrée Lebondidier une mention interdisant de piller, fit emporter sur une voiture une grande partie des meubles qui garnissaient cette habitation, les destinant, comme il s'en vanta sans vergogne, à l'ornement de sa propre villa.
A l'époque où tous ces faits se sont passés, la ville de Clermont-en-Argonne était occupée par le treizième corps wurtembergeois, sous les ordres du général von Durach, et par une troupe de uhlans que commandait le prince de Wittenstein.

A LILLE-EN-BARROIS
Le, 7 septembre, une dizaine de cavaliers allemands pénétraient dans la ferme de Lamermont, commune de Lisle-en-Barrois, et après s'être, fait servir du lait, partirent en paraissant satisfaits. Après leur départ, on entendit au loin des coups de fusil. Un peu plus tard, une seconde troupe, composée d'environ trente hommes, se présentait à son tour, et accusait les gens de la ferme d'avoir tué un soldat allemand. Immédiatement saisis et emmenés dans les environs, le fermier Elly et un de ses hôtes, le sieur Javelot, étaient, malgré leurs protestations d'innocence, impitoyablement fusillés.

A LOUPPY-LE-CHATEAU
A Louppy-le-Château, les Allemands se sont livrés à des actes d'immoralité et de brutalité révoltante, pendant la nuit du 8 au 9 septembre, dans une cave où plusieurs femmes s'étaient réfugiées, pour se préserver du bombardement. Toutes ces malheureuses furent odieusement maltraitées ; la demoiselle X..., âgée de soixante-onze ans ; la femme Y..., âgée de quarante-quatre ans ; ses deux filles, l'une de treize ans, l'autre de huit ans, et la dame Z..., furent violées.

A LAIMONT ET NUBÉCOURT
Dans beaucoup de communes, des otages ont été emmenés. C'est ainsi qu'à Laimont huit personnes ont été contraintes de suivre les troupes allemandes, au commencement du mois de septembre. Le 27 octobre, aucune d'elles n'avait reparu. Le curé de Nubécourt, enlevé le 5 septembre, n'était pas non plus rentré dans sa paroisse.

A SAINT-ANDRÉ
A Saint-André, au nombre des personnes arrêtées, se trouvait le sieur Havette.
Il obtint d'un officier la permission d'aller veiller le corps de sa femme tuée d'un éclat d'obus le jour précédent. Dans la soirée, ordre fut donné à tous les habitants de se rassembler dans une grange. Havette ayant cru pouvoir échapper à cette obligation, en vertu de l'autorisation qu'il avait reçue, resta à son domicile jusqu'à onze heures du soir. Quand il sortit, il fut abattu d'un coup de fusil.

A VASSINCOURT ET BRABANT-LE-ROI
D'autres villages que ceux dont nous avons relaté, l'incendie, notamment Vassincourt et Brabant-le-Roi, ont été plus ou moins complètement brûlés. Il ne nous a pas été possible, jusqu'à ce jour, d'établir d'une façon complète les circonstances de leur destruction. Notre enquête, en ce qui les concerne, sera ultérieurement poursuivie.
Il a été enfin porté à notre connaissance que, dans le département de la Meuse, l'ennemi avait commis des actes de cruauté à l'égard de militaires français blessés et de prisonniers. Nous exposerons ce genre de faits à la fin du présent rapport.

MEURTHE-&-MOSELLE

Nous sommes arrivés le 26 octobre dans le département de Meurthe-et-Moselle, et nous avons visité un très grand nombre de communes des arrondissements de Nancy et de Lunéville.

A NANCY
Nancy, ville ouverte, dans laquelle l'armée allemande n'a pu pénétrer, a été bombardée, sans avertissement préalable, pendant la nuit du 9 au 10 septembre. Soixante obus environ sont tombés sur les quartiers du centre et dans le cimetière du Sud, c'est-à-dire en des endroits où il n'existe pas d'établissement militaire. Trois femmes, une jeune fille et une fillette ont été tuées ; treize personnes ont été blessées ; les dégâts matériels sont importants.
Des avions ennemis ont survolé la ville à deux reprises. Le 4 septembre, l'un d'eux a jeté deux bombes, dont l'une a tué, sur la place de la Cathédrale, un homme et une petite fille et a blessé six personnes.
Le 13 octobre, trois bombes ont été lancées sur la gare de marchandises. Quatre employés de la Compagnie des chemins de fer de l'Est ont été blessés.

A PONT-A-MOUSSON
Quand nous nous sommes rendus à Pont-à-Mousson, dans la matinée du 10 novembre, sept obus venaient d'y être envoyés par les batteries allemandes, quelques heures auparavant. C'était, depuis le 11 août, le vingt-quatrième jour de bombardement.
La veille, une jeune fille de 19 ans et un enfant de 4 ans avaient été tués dans leur lit par des éclats de projectiles. Le 14 août, les Allemands ont spécialement pris pour objectif l'hôpital sur les tours duquel flottaient des drapeaux de la Croix-Rouge, visibles de fort loin. Cet édifice n'a pas reçu moins de soixante-dix obus. Nous avons constaté les dégâts qu'ils ont causés.
Quatre-vingts maisons, environ, ont été endommagées par les différents bombardements, qui, tous, ont eu lieu sans avertissement. Quatorze personnes de la population civile, principalement des femmes et des enfants, ont été tuées. On compte à peu près le même nombre de blessés. Or, Pont-à-Mousson n'est pas fortifié. Seul, le pont sur la Moselle avait été mis en état de défense, au début des hostilités, par le 26e bataillon de chasseurs qui tenait garnison dans la ville.

A NOMENY
Nous avons éprouvé une véritable impression d'horreur, quand nous nous sommes trouvés en présence des ruines lamentables de Nomeny. A part quelques rares maisons qui subsistent encore, auprès de la gare, dans un emplacement séparé par ]a Seille de l'agglomération principale, il ne reste de cette petite ville qu'une succession de murs ébréchés et noircis, au milieu d'un amas de décombres dans lequel se voient, çà et là, quelques ossements d'animaux en partie calcinés, et des débris carbonisés de cadavres humains. La rage d'une soldatesque en furie s'est déchaînée là implacablement.
Nomeny, à raison de sa proximité de la frontière, avait, dès le début de la guerre, reçu de temps en temps la. visite de cavaliers allemands. Des escarmouches avaient eu lieu dans ses environs et, le 14 août, dans la cour de la ferme de la Borde, située à une faible distance, un soldat ennemi avait, sans autre motif, tué d'un coup de fusil le jeune domestique Nicolas Michel, âgé de 17 ans.
Le 20, alors que les habitants avaient cherché dans les caves un refuge contre le bombardement, les Allemands, après s'être par suite d'une méprise, mutuellement tiré les uns sur les autres, pénétrèrent vers midi dans la ville.
D'après ce que l'un d'eux a raconté, leurs chefs leur avaient affirmé que les Français torturaient les blessés, en leur arrachant les yeux et en leur coupant les membres ; aussi étaient-ils dans un état de surexcitation épouvantable. Jusque dans la journée du lendemain, ils se livrèrent aux plus abominables excès, pillant, incendiant, massacrant sur leur passage. Après avoir enlevé dans les habitations tout ce qui leur avait paru digne d'être emporté et avoir envoyé à Metz le produit de leurs vols, ils mirent le feu aux maisons, avec des torches, des pastilles de poudre comprimée et aussi avec du pétrole qu'ils transportaient dans des récipients placés sur un petit chariot. De tous côtés des coups de fusil éclataient ; les malheureux habitants, que la crainte de l'incendie chassait de leurs caves, étaient abattus comme un gibier, les uns dans leur demeure et les autres sur la voie publique.
Les sieurs Sanson, Pierson, Lallemand, Adam, Jeanpierre, Meunier, Schneider, Raymond, Duponcel, Hazotte père et fils sont assassinés à coups de fusil dans la rue. Le sieur Killian, se voyant menacé d'un coup de sabre, place ses mains sur son cou pour se protéger ; il a trois doigts tranchés et la gorge ouverte. Un vieillard de 86 ans, le sieur Petitjean, assis dans son fauteuil, est frappé d'une balle qui lui fracasse le crâne et un Allemand met en présence du cadavre la dame Bertrand, en lui disant : «  Vous avez vu ce cochon-là ! » M. Chardin, conseiller municipal faisant fonctions de maire, est requis de fournir un cheval et une voiture. A peine a-t-il promis de faire tout son possible pour obéir qu'il est tué d'un coup de feu. Le sieur Prévot, qui voit des Bavarois faire irruption dans la pharmacie dont il est le gardien, leur dit qu'il est le pharmacien et qu'il leur donnera tout ce qu'ils voudront ; mais trois détonations retentissent et il tombe en poussant un grand soupir. Deux femmes qui se trouvaient avec lui se sauvent, poursuivies à coups de crosse jusqu'aux abords de la gare, où elles voient, dans le jardin et sur la route, de nombreux cadavres amoncelés.
Entre trois et quatre heures de l'après-midi, les Allemands pénètrent dans la boucherie de la dame François. Celle-ci sort alors de sa cave avec son garçon, Stub, et un employé nommé Contal. Dès que Stub arrive sur le seuil de la porte d'entrée, il tombe grièvement blessé d'un coup de fusil ; puis Contal, qui se sauve dans la rue, est immédiatement assassiné. Cinq minutes après, comme Stub râle encore, un soldat se penche vers lui et l'achève d'un coup de hache dans le dos.
L'incident le plus tragique de ces horribles scènes s'est produit chez le sieur Vassé, qui avait recueilli dans sa cave, faubourg de Nancy, un certain nombre de personnes. Vers quatre heures, une cinquantaine de soldats envahissent la maison, en enfonçant la porte ainsi que les fenêtres, et y mettent aussitôt le feu. Les réfugiés s'efforcent alors de se sauver, mais ils sont abattus les uns après les autres à la sortie. Le sieur Mentré est assassiné le premier. Son fils Léon tombe ensuite avec sa petite soeur de huit ans dans les bras. Comme il n'est pas tué, on lui met l'extrémité du canon d'un fusil sur la tête et on lui fait sauter la cervelle. Puis c'est le tour de la famille Kieffer. La mère est blessée au bras et à l'épaule, ; le père, le petit garçon de 10 ans et la fillette, âgée de 3 ans, sont fusillés. Les bourreaux tirent encore sur eux quand ils sont à terre. Kieffer, étendu sur le sol, reçoit une nouvelle balle au front ; son fils a le crâne enlevé d'un coup de feu. Ensuite, c'est le sieur Striffert et un des fils Vassé qui sont massacrés, tandis que la dame Mentré reçoit trois balles, une à la jambe gauche, une autre au bras du même côté et la troisième au front, qui est seulement éraflé. Le sieur Guillaume, traîné dans la rue, y trouve la mort. La jeune Simonin, âgée de dix-sept ans, sort enfin de la cave avec sa soeur Jeanne, âgée de trois ans. Cette dernière a un coude presque emporté par une balle. L'aînée se jette à terre et feint d'être morte, restant pendant cinq minutes dans une angoisse affreuse. Un soldat lui porte un coup de pied, en criant : «  Capout ! »
Un officier survient à la fin de cette tuerie. Il ordonne aux femmes qui sont encore vivantes de se relever et leur crie : «  Allez en France. »
Tandis que tant de personnes étaient massacrées, d'autres, suivant l'expression d'un témoin, étaient emmenées «  en troupeau » dans les champs, sous la menace d'une exécution imminente. Le curé, notamment, n'a dû qu'à des circonstances extraordinaires de n'être pas fusillé.
D'après les dépositions que nous avons reçues, toutes ces abominations ont été commises surtout par les 2e et 4e régiments d'infanterie bavaroise. Pour les expliquer, les officiers ont prétendu que des civils avaient tiré sur leurs troupes. Ainsi que l'a formellement établi notre enquête, ce prétexte est mensonger ; car, au moment de l'arrivée des ennemis, toutes les armes avaient été déposées à la mairie et la partie de la population qui n'avait pas quitté le pays s'était cachée dans les caves, en proie à la plus grande terreur. D'ailleurs, la raison indiquée, fût-elle vraie, ne suffirait assurément pas pour excuser la destruction de toute une cité, le meurtre des femmes et le massacre des enfants.
Une liste des personnes qui ont trouvé la mort au cours de l'incendie et des fusillades a été dressée par M. Biévelot, conseiller d'arrondissement. Elle ne comprend pas moins de cinquante noms. Nous ne les avons pas cités tous. D'une part, en effet, parmi les personnes dont le décès a été constaté, quelques-unes sont mortes dans des conditions mal précisées ; d'autre part, la dispersion des habitants de la ville, aujourd'hui anéantie, a rendu notre information assez difficile. Nos recherches seront continuées. En tout cas, ce que nous avons déjà pu établir d'une manière incontestable suffit pour qu'on se rende compte de ce qu'a été, dans la journée du 20 août, Le martyre de Nomeny.

A LUNÉVILLE
Lunéville a été occupée par les Allemands du 21 août au 11 septembre. Pendant les premiers jours, ils se sont contentés de piller, sans molester autrement les habitants. C'est ainsi, notamment, que le 21 août, la maison de la dame Jeaumont a été dévalisée. Les objets volés ont été chargés sur une grande voiture, dans laquelle se tenaient trois femmes, l'une vêtue de noir, les deux autres portant des costumes militaires et, nous a-t-on dit, paraissant être des cantinières.
Le 25, l'attitude des envahisseurs changea subitement. Le maire, M. Keller, s'étant rendu à l'hôpital, vers trois heures et demie de l'après-midi, vit des soldats tirer des coups de fusil dans la direction du grenier d'une maison voisine et entendit siffler les balles qui lui parurent venir de l'arrière. Les Allemands lui déclarèrent que des habitants avaient tiré sur eux. Il leur offrit alors, en protestant, de faire avec eux le tour de la ville, pour leur démontrer l'inanité de cette allégation. Sa
proposition fut acceptée, et comme, au début de la tournée, on trouvait dans la rue le cadavre du sieur Crombez, l'officier qui commandait l'escorte dit à M. Keller : «  Vous voyez ce cadavre, c'est celui d'un citoyen qu'un autre civil a tué, en tirant sur nous, d'une maison voisine de la synagogue. Aussi, comme notre loi nous l'ordonne, nous avons brûlé la maison et nous en avons exécuté les habitants. » Il faisait allusion au meurtre d'un homme dont le caractère timide était connu de tous, le ministre officiant israélite Weill, qui venait d'être tué chez lui, avec sa fille, âgée de seize ans. Le même officier ajouta : «  On a également brûlé la maison qui fait l'angle de la rue Castara et de la rue Girardet, parce que des civils avaient tiré de là des coups de feu. » C'est de cet immeuble que, suivant les prétentions des Allemands, on aurait tiré sur la cour de l'hôpital ; or, la disposition des lieux ne permet pas d'admettre l'exactitude d'une telle affirmation.
Tandis que le maire et la troupe qui l'accompagnait poursuivaient leur reconnaissance, l'incendie éclatait de différents côtés ; l'hôtel de ville brûlait, ainsi que la synagogue et plusieurs maisons de la rue Castara et le faubourg d'Einville était en flammes. En même temps commençaient les massacres qui devaient se continuer jusque dans la journée du lendemain. Sans compter le sieur Crombez, le ministre officiant Weill et sa fille, dont nous avons déjà mentionné la mort, les victimes furent les sieurs Hamman, Binder, Balastre père et fils, Vernier, Dujon, le sieur Kahn et sa mère, le sieur Steiner et sa femme, le sieur Wingersmann et son petit-fils, enfin les sieurs Sibille, Monteil et Colin.
Les meurtres furent commis dans les circonstances suivantes. Le 25 août, après avoir tiré des coups de fusil à l'intérieur de la tannerie Worms pour faire croire qu'ils y étaient attaqués, des Allemands envahirent un atelier de cette usine, dans lequel travaillait l'ouvrier Goeury, en compagnie des sieurs Balastre père et fils, Goeury, traîné dans la rue, y fut dévalisé et brutalement maltraité, tandis que ses deux compagnons, découverts dans les cabinets d'aisances, où ils avaient cherché un refuge, étaient tués à coups de feu.
Le même jour, des soldats vinrent appeler le sieur Steiner qui était caché dans sa cave. Sa femme, redoutant un malheur, essaya de le retenir. Comme elle le pressait dans ses bras, elle reçut une balle au cou. Quelques instants après Steiner ayant obéi à l'injonction qui lui avait été adressée, tombait mortellement frappé dans son jardin. Le sieur Kahn fut, lui aussi, assassiné dans le jardin de sa maison. Sa mère, âgée de quatre-vingt-dix-huit ans, qui fut carbonisée dans l'incendie, avait été préalablement tuée dans son lit d'un coup de baïonnette, d'après ce qu'a raconté un individu qui servait d'interprète à l'ennemi.
Le sieur Binder, qui sortait pour échapper aux flammes, fut également abattu. L'Allemand par lequel il a été tué a reconnu avoir tiré sur lui sans motif, alors que le malheureux se tenait tranquillement devant une porte. Le sieur Vernier eut le même sort que Binder.
Vers trois heures, des Allemands firent irruption en brisant les fenêtres et en tirant des coups de fusil dans une maison où étaient la dame Dujon, sa fille âgée de trois ans, ses deux fils et un sieur Gaumier. La fillette faillit être tuée. Elle eut le visage brûlé par un coup de feu. A ce moment Mme Dujon ayant vu son plus jeune fils, Lucien, âgé de quatorze ans, étendu sur le sol, l'invita à se lever pour prendre la fuite avec elle. Elle s'aperçut alors qu'il tenait à pleines mains ses entrailles qui s'échappaient. La maison était en feu, le pauvre enfant fut carbonisé, ainsi que le sieur Gaumier qui n'avait pu se sauver.
Le sieur Wingerstmann et son petit-fils, âgé de douze ans, qui étaient allés arracher des pommes de terre à peu de distance de Lunéville, au lieu dit «  les Mossus », territoire de Chanteheux, eurent le malheur de rencontrer des Allemands. Ceux-ci les placèrent tous deux contre un mur et les fusillèrent.
Enfin, vers 5 heures du soir, des soldats étant entrés chez la femme Sibille, au même lieu, s'emparèrent sans raison de son fils, l'emmenèrent à deux cents mètres de la maison et le massacrèrent, ainsi qu'un sieur Vallon, au corps duquel ils l'avaient attaché. Un témoin qui avait aperçu les meurtriers au moment où ils entraînaient leur victime, les vit revenir sans elle et constata que leurs baïonnettes-scies étaient pleines de sang et de lambeaux de chair.
Ce même jour, un infirmier, nommé Monteils, qui soignait à l'hospice de Lunéville un officier ennemi blessé fut foudroyé d'une balle au front, pendant qu'il regardait par une fenêtre un soldat allemand tirant des coups de fusil.
Le lendemain 26, le sieur Hammann et son fils, âgé de vingt et un ans, furent arrêtés chez eux et traînés dehors par une bande qui était entrée en brisant la porte. Le père fut roué de coups ; quant au jeune homme, comme il essayait de se débattre, un sous-officier lui cassa la tête d'un coup de revolver.
A une heure de l'après-midi, M. Riklin, pharmacien, ayant été prévenu qu'un homme était tombé à une trentaine de mètres de son magasin, se rendit à l'endroit indiqué et reconnut dans la victime son beau-frère, le sieur Colin, âgé de soixante-huit ans, qui avait été frappé d'une balle au ventre. Les Allemands ont prétendu que ce vieillard avait tiré sur eux ; mais M. Riklin leur donne, à cet égard, un démenti formel. Colin, nous a-t-il dit, était un homme inoffensif, absolument incapable de se livrer à un acte d'agression et ignorant complètement le maniement d'une arme à feu.
Il nous a paru utile de relever aussi, à Lunéville, des actes moins graves, mais qui jettent un jour particulier sur la mentalité de l'envahisseur. Le 25 août, le sieur Lenoir, âgé de soixante sept ans, fut, ainsi que sa femme, emmené dans les champs, les mains liées derrière le dos. Après que tous deux eurent été cruellement maltraités, un sous-officier s'empara d'une somme de dix-huit cents francs en or que Lenoir portait sur lui. Le vol le plus impudent semble bien, d'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit, être entré dans les moeurs de l'armée allemande, qui le pratique publiquement. En voici un exemple intéressant : Pendant l'incendie d'une maison appartenant à la dame Leclerc, les coffres-forts de deux locataires avaient résisté aux flammes. L'un, appartenant à M. George, sous-inspecteur des eaux et forêts, était tombé dans les décombres ; l'autre, dont M. Goudchau, marchand de biens, était propriétaire, était resté scellé à un mur à la hauteur du second étage. Le sous-officier Weiss, qui connaissait admirablement la ville où il avait été maintes fois bien accueilli, quand il y venait avant la guerre pour son commerce de marchand de houblon, se rendit avec des soldats sur les lieux, ordonna qu'on fît sauter à la dynamite le pan de muraille resté debout et assura le transport des deux coffres à la gare, où on les. plaça sur un wagon à destination de l'Allemagne. Ce Weiss jouissait auprès du commandement d'une confiance et d'une considération particulières. C'était lui qui, installé à la kommandatur, était chargé d'administrer en quelque sorte la commune et de pourvoir aux réquisitions.
Après avoir commis de nombreux actes de pillage à Lunéville, y avoir fait brûler environ soixante-dix maisons avec des torches, du pétrole et divers engins incendiaires, après y avoir, enfin, massacré de paisibles habitants, l'autorité militaire allemande a jugé à propos d'y faire afficher la proclamation suivante, dans laquelle elle a formulé des accusations ridicules pour justifier l'extorsion, sous forme d'indemnité, d'une contribution énorme :
AVIS A LA POPULATION
Le 25 août 1914, des habitants de Lunéville ont fait une attaque par embuscade contre les colonnes et trains allemands. Le même jour, les habitants ont tiré sur des formations sanitaires marquées par la Croix-Rouge. De plus, on a tiré sur des blessés allemands et sur l'hôpital militaire, contenant une ambulance allemande. A cause de ces actes d'hostilité, une contribution de six cent cinquante mille francs est imposée à la commune de Lunéville. Ordre est donné à M. le maire de verser cette somme en or (et en argent jusqu'à 50.000 francs) le 6 septembre, à neuf heures du matin, entre les mains du représentant de l'autorité militaire allemande. Toute réclamation sera considérée comme nulle et non arrivée. On n'accordera pas de délai. Si la commune n'exécute pas ponctuellement l'ordre de payer la somme de 650.000 fr., on saisira tous les biens exigibles. En cas de non-paiement, des perquisitions domiciliaires auront lieu et tous les habitants seront fouillés. Quiconque aura dissimulé sciemment de l'argent, ou essayé de soustraire des biens à la saisie de l'autorité militaire, ou qui cherche à quitter la ville, sera fusillé. Le maire et les otages pris par l'autorité militaire seront rendus responsables d'exécuter exactement les ordres sus-indiqués.
Ordre est donné à la mairie de publier de suite ces dispositions à la commune.
Hénaménil, le 3 septembre 1914.
Le commandant en chef, VON FOSDENDER.

Quand on a lu cet inimaginable document, on a le droit de se demander si les incendies et les meurtres commis à Lunéville, les 25 et 26 août, par une armée qui n'agissait pas dans l'excitation du combat, et qui pendant les jours précédents s'était abstenue de tuer, n'ont pas été ordonnés pour rendre plus vraisemblable l'allégation qui devait servir de prétexte à l'exigence d'une indemnité.

A CHANTEHEUX
Situé tout à proximité de Lunéville, le village de Chanteheux ne fut pas plus épargné. Les Bavarois, qui l'occupèrent du 22 août au 12 septembre, y brûlèrent vingt maisons, par leurs procédés habituels et y massacrèrent, le 25 août, huit personnes : les sieurs Lavenne, Toussaint, Parmentier et Bacheler, qui furent tués, les trois premiers à coups de fusil, le quatrième de deux coups de feu et d'un coup de baïonnette ; le jeune Schneider, âgé de vingt-trois ans, qui fut assassiné dans une dépendance de la commune ; le sieur Wingerstmann et son petit-fils dont nous avons relaté plus haut la mort, en exposant les drames commis à Lunéville ; enfin, le sieur Reeb, âgé de soixante-deux ans, qui est certainement décédé à la suite des mauvais traitements qu'il a subis. Cet homme avait été emmené comme otage en même temps que quarante-deux de ses concitoyens, qui furent retenus pendant treize jours. Après avoir, d'abord, reçu de terribles coups de crosse au visage et un coup de baïonnette au flanc, il continuait à suivre la colonne, bien qu'il perdît beaucoup de sang et que sa face fût meurtrie an point de le rendre méconnaissable, quand un Bavarois, sans aucun motif, lui fit encore une large plaie, en lui lançant au front un seau de bois. Entre Hénaménil et Bures, ses compagnons s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Il est hors de doute qu'il a succombé.
Si ce malheureux a été le plus cruellement martyrisé, tous les otages que les ennemis ont pris dans la commune ont eu aussi à subir des violences et des outrages. Avant de mettre le feu au village, on les avait adossés au parapet d'un pont, tandis que les troupes passaient en les brutalisant. Comme un officier les accusait d'avoir tiré, sur les Allemands, l'instituteur lui donna sa parole d'honneur qu'il n'en était rien. «  Cochon de Français, répliqua l'officier, ne parlez pas d'honneur, vous n'en avez point. »
Au moment où l'incendie de sa maison commença, la dame Cherrier, qui sortait de sa cave, pour échapper à l'asphyxie, fut inondée d'un liquide inflammable, par des soldats qui en arrosaient les murs. L'un de ces hommes lui dit : «  C'est de la benzine. » Elle courut alors se cacher avec ses parents derrière un tas de fumier, mais les sentinelles les ramenèrent de force devant le brasier ; et elle dut assister à la destruction de son immeuble.

A GERBÉVILLER
De même qu'à Nomeny, la jolie ville de Gerbéviller, au bord de la Mortagne, a été, dans des conditions effroyables, victime de la fureur allemande. Le 24 août, les troupes ennemies s'y heurtèrent à la résistance héroïque d'une soixantaine de chasseurs à pied, qui leur infligèrent de grosses pertes. Elles s'en vengèrent durement sur la population civile. Dès leur entrée dans la ville, en effet, les Allemands se livrèrent aux pires excès, pénétrant dans les habitations en poussant des hurlements féroces, brûlant les édifices, tuant ou arrêtant les habitants, et n'épargnant ni les femmes, ni les vieillards. Sur quatre cent soixante-quinze maisons, vingt au plus sont encore habitables. Plus de cent personnes ont disparu, cinquante au moins ont été massacrées, les unes ont été conduites dans les champs pour y être fusillées, les autres ont été assassinées dans leurs demeures, ou abattues au passage dans les rues, quand elles essayaient de fuir l'incendie. Trente-six cadavres ont été, jusqu'à, présent, identifiés. Ce sont ceux de MM. Barthélémy, Blosse père, Robinet, Chrétien, Rémy, Bourguignon, Perrin, Wuillaume, Bernasconi, Gauthier, Menu,, Simon, Lingenheld père et fils, Benoît, Calais, Adam, Caille, Lhuillier, Regret, Plaid, âgé de 14 ans, Leroi, Bazzolo, Gentil, Dehan Victor, Dehan Charles, Dehan fils, Brenneval, Parisse, Yong, François, secrétaire de mairie ; de MMmes Perot, Courtois, Gauthier et Guillaume, et des demoiselles Perrin et Miquel.
Quinze de ces pauvres gens ont été exécutés au lieu dit «  la Prêle ». Ils ont été enterrés par leurs concitoyens le 12 ou le 15 septembre. Presque tous avaient les mains liées derrière le dos ; quelques-uns avaient les yeux bandés ; les pantalons de la plupart étaient déboutonnés et rabattus jusque sur les pieds. Cette dernière circonstance, ainsi que l'aspect des cadavres, ont fait penser à des témoins que les victimes avaient subi une mutilation. Nous ne croyons pas devoir nous approprier cette opinion, l'état de décomposition très avancée des corps ayant pu causer une erreur. Il est d'ailleurs possible que les meurtriers aient déboutonné les pantalons de leurs prisonniers pour mettre ceux-ci dans l'impossibilité de s'enfuir, en leur entravant les jambes.
Le 16 octobre, au lieu dit «  le Haut-de-Vormont », on a découvert, enfouis sous 15 ou 20 centimètres de terre, dix cadavres de civils portant des traces de balles et ayant tous les yeux bandés. On a trouvé sur l'un d'eux un laissez-passer au nom de Sever (Edouard), de Badonviller. Les neuf autres victimes sont inconnues. On croit que ce sont des habitants de Badonviller qui ont été amenés par les Allemands sur le territoire de Gerbéviller pour y être fusillés.
Dans les rues et dans les maisons, pendant la journée du carnage, Les scènes les plus tragiques se sont produites.
Dans la matinée, des ennemis, pénètrent chez les époux Lingenheld, se saisissent du fils, âgé de 36 ans, qui portait le brassard de la Croix-Rouge, lui lient les mains derrière le dos et le traînent dans la rue où ils le fusillent ; puis ils reviennent chercher le père, un vieillard de 70 ans. La dame Lingenheld prend alors la fuite. En se sauvant, elle voit son fils étendu sur le sol. Comme le malheureux remue encore, des Allemands l'arrosent de pétrole, auquel ils mettent le feu en présence de la mère, terrifiée. Pendant ce temps, on conduit Lingenheld père à «  la Prèle », où il est exécuté.
Au même moment, des soldats frappent à la porte d'une maison occupée par le sieur Dehan, sa femme et sa belle-mère, la veuve Guillaume, âgée de soixante-dix-huit ans. Celle-ci qui va leur ouvrir est fusillée à bout portant et tombe dans les bras de son gendre qui accourt derrière elle. «  Ils m'ont tuée, s'écrie-t-elle, portez-moi dans le jardin. » Ses enfants lui obéissent, l'installent au fond du jardin, avec un oreiller sous la tête et une couverture sur les jambes, puis vont eux-mêmes s'étendre le long du mur pour éviter les projectiles. Au bout d'une heure, quand la dame Guillaume est morte, sa fille l'enveloppe dans sa couverture et lui place un mouchoir sur le visage. Presque aussitôt les Allemands font irruption dans le jardin. Ils emmènent Dehan pour le fusiller à «  la Prèle » et conduisent sa femme sur la route de Fraimbois, où elle trouve une quarantaine de personnes, principalement des femmes et des enfants, entre les mains de l'ennemi, et où elle entend un officier d'un grade élevé crier: «  Il faut fusiller ces enfants et ces femmes. Tout cela doit disparaître. » La menace ne fut pourtant pas suivie d'effet. Rendue le lendemain à la liberté, Mme Dehan put rentrer à Gerbéviller vingt et un jours plus tard. Elle est convaincue, et tous ceux qui ont vu le cadavre partagent cette opinion, que le corps de sa mère a été profané. Elle l'a, en effet, retrouvé étendu sur le dos, les jupes relevées, les jambes écartées et le ventre ouvert.
A l'arrivée des Allemands, le sieur Perrin et ses deux filles, Louise et Eugénie, étaient allés se réfugier dans leur écurie. Des soldats y pénétrèrent, et l'un d'eux, apercevant la jeune Louise, lui tire à bout portant un coup de fusil à la tête. Eugénie parvient à s'échapper, mais son père est arrêté dans sa fuite, placé parmi les victimes qu'on conduit à «  la Prèle » et fusillé avec elles.
Le sieur Yong, qui sort pour mettre son cheval au manège, est abattu devant chez lui. Les Allemands, dans leur fureur, tuent le cheval après le maître et mettent le feu à la maison. D'autres soulèvent la trappe d'une cave dans laquelle sont cachées plusieurs personnes et tirent des coups de fusil dans la direction de celles-ci. La dame Denis Bernard et le jeune Parmentier, âgé de sept ans, sont blessés.
Vers cinq heures du soir, la dame Rozier a entendu une voix suppliante crier : «  Pitié ! pitié ! » Ces cris venaient de l'une des deux granges voisines, appartenant aux sieurs Poinsard et Barbier. Or, un individu qui servait d'interprète aux Allemands a déclaré à une dame Thiébaud que ceux-ci s'étaient vantés d'avoir brûlé vif, dans l'une de ces granges, un père de famille de cinq enfants, malgré ses supplications et ses appels à leur pitié. Cette déclaration est d'autant plus impressionnante qu'on a trouvé dans la grange Poinsard les débris d'un corps humain carbonisé.
A côté de ce carnage, d'innombrables actes de violence ont été commis. La femme d'un mobilisé, la dame K..., a été violée par un soldat, dans le corridor de ses parents, tandis que sa mère, sous la menace d'une baïonnette, était obligée de se sauver, Le 29 août, la supérieure de l'hospice, soeur Julie, dont le dévouement a été admirable, s'étant transportée a l'église paroissiale, pour se rendre compte, avec un prêtre mobilisé, de l'état intérieur de l'édifice, constata que la porte en acier du tabernacle avait été l'objet d'une tentative d'effraction. Les Allemands, pour parvenir à s'emparer d'un vase sacré, avaient tiré des coups de fusil autour de la serrure. La porte était traversée en plusieurs endroits, et le passage des balles y avait formé des trous presque symétriques, ce qui prouvait qu'on avait tiré à bout portant. Quand la religieuse l'ouvrit, elle trouva le ciboire perforé.
Les excès et les crimes qui ont été commis à Gerbéviller sont principalement l'oeuvre des Bavarois. Les troupes qui s'y sont livrées étaient sous le commandement du général Clauss, dont la brutalité nous a aussi été signalée ailleurs.

A CREVIC
Le 22 août, les Allemands incendièrent une partie du village de Crévic, à l'aide de torches et de fusées. Soixante-treize maisons furent brûlées, notamment celle de M. le général Lyautey, que. les incendiaires, sous la conduite d'un officier, avaient envahie, en réclamant à grands cris «  Madame et Mademoiselle Lyautey, pour leur couper le cou ». Un capitaine menaça le sieur Vogin, en lui mettant son revolver sur la gorge, de le fusiller et de le jeter dans Les flammes, avec un habitant auquel, disait-il, «  on avait déjà fait sauter la cervelle ». Il faisait ainsi allusion à la mort d'un vieux rentier, M. Liégey, âgé de 78 ans, qui fut retrouvé dans les décombres, avec une balle sous le menton. «  Venez voir, ajouta l'officier, la propriété du général Lyautey, qui est au Maroc, qui brûle. »
Pendant ce temps, un ouvrier, nommé Gérard, était contraint, baïonnette au dos, de monter dans son grenier. Là, les Allemands mettaient le feu à un tas de fourrage et obligeaient le sieur Gérard à rester auprès du brasier. Quand les soldats, chassés par la chaleur intolérable, se furent retirés, il put s'échapper par une petite ouverture, mais il avait déjà une joue fortement brûlée.

A DEUXVILLE
A Deuxville, où l'ennemi incendia volontairement quinze maisons, le maire Bajolet et le curé Thiriet furent arrêtés. L'abbé Marchal, curé de Crion, les ayant vus tous deux, dans sa paroisse, aux mains des Allemands, s'approcha de son confrère et lui demanda la raison de son arrestation. Celui-ci répondit : «  J'ai fait des signes. » Après lui avoir donné un peu de pain, l'abbé Marchal se retira ; mais à peine avait-il fait une trentaine de pas, qu'il entendait une fusillade. C'étaient les deux prisonniers qu'on venait d'exécuter. Le lendemain, un officier qui parlait parfaitement notre langue, et qui disait avoir été pendant huit ans attaché à l'ambassade d'Allemagne à Paris, déclara à l'abbé Marchal que le curé de Deuxville avait fait des signes et l'avait avoué. «  Quant au maire, ajouta-t-il, le pauvre diable, je crois bien qu'il n'avait rien fait. »

A MAIXE
A Maixe, les Allemands ont incendié trente-six maisons et ont massacré, toujours sous le prétexte qu'on avait tiré sur eux, les sieurs Gauçon, Demange, Jacques, Thomas, Marchal, Chaudre, Grand, Simonin, Vaconet et la dame Beurton. Gauçon, arraché de chez lui, fut précipité sur un tas de fumier, où un soldat le tua d'un coup de fusil au ventre. Demange, blessé aux deux genoux, dans sa cave, parvint à se traîner jusqu'à la cuisine. Les Allemands mirent le feu à la maison, empêchèrent la dame Demange de porter secours à son mari et laissèrent brûler leur victime dans l'immeuble incendié.
Mme Beurton était, elle aussi, dans sa cave avec sa famille, quand deux soldats, dont l'un portait une lanterne et l'autre un fusil, y descendirent. Le second tira au hasard sur le groupe et abattit la malheureuse femme. Vaconet fut frappé d'une balle au côté, au pied de l'escalier du sieur Rédiger ; quant à Simonin, il fut emmené dans la direction de Drouville. Quelques jours après, une note faisant connaître qu'il avait été fusillé et que ses dernières volontés étaient consignées dans un document placé entre les mains du commandant général de la 3e division bavaroise, fut remise par un officier allemand à M. Thouvenin, conseiller municipal de la commune. Cette note, dont une copie nous a été délivrée, porte la signature d'un officier du 3e régiment de chevau-légers. Les autres victimes de Maixe ont reçu la mort dans des circonstances qu'il ne nous a pas été possible de préciser.
Dans le même village, la demoiselle X..., âgée de 23 ans, a été violée par neuf Allemands, pendant la nuit du 23 au 24 août, sans qu'un officier qui couchait au-dessus de la chambre dans laquelle se passait cette ignoble scène, jugeât à propos d'intervenir, bien qu'il entendît certainement les cris de la jeune fille et le bruit fait par les soldats.

A BEAUZEMONT
Le château de Beauzemont a été envahi le 22 août. Vers le quinzième jour de l'occupation, sont arrivées des automobiles dans lesquelles étaient installées plusieurs femmes d'officiers de l'état-major allemand. On y a chargé tout ce qui avait été volé dans le château, notamment de l'argenterie, des chapeaux et des robes de soie. Le 21 octobre, le lieutenant-colonel, commandant le e régiment d'infanterie française a pris possession de cet édifice. Il l'a trouvé dans un état de désordre et de saleté repoussant. Les meubles étaient ouverts et fracturés, le plancher de la salle de billard était couvert de matière fécale. Dans la chambre à coucher, qui avait été habitée par le général allemand chef de la 7e division de réserve, régnait une odeur infecte. Le placard placé à la tête du lit contenait du linge de toilette et des rideaux de mousseline remplis d'excréments.

A BACCARAT
A Baccarat, l'armée ennemie n'a massacré personne, mais elle a effectué, le 25 août, un pillage général après avoir, pour pouvoir opérer plus tranquillement, donné l'ordre à la population de se rassembler à la gare. Ce pillage a été dirigé par les officiers. Des pendules, des meubles divers et des objets d'art furent enlevés ; puis, quand les habitants furent rentrés chez, eux, on Leur enjoignit de nouveau d'en sortir au bout d'une demi-heure, en les prévenant qu'on allait procéder à l'incendie de la ville. En effet, tout le centre de l'agglomération fut la proie des flammes. Le feu, qui fut mis à l'aide de torches et de pastilles, dévora cent douze immeubles. Quatre ou cinq seulement furent incendiés par les obus. Après le sinistre, des sentinelles empêchèrent les propriétaires d'approcher des ruines de leurs habitations et quand les décombres furent refroidis, les Allemands les fouillèrent eux-mêmes pour dégager les entrées de caves. Après cette opération, le général Fabricius, commandant l'artillerie du 14e corps badois, dit à M. Renaud, qui faisait fonctions de maire : «  Je ne, croyais pas qu'il y avait autant de vins fins à Baccarat. Nous en avons pris plus de 100.000 bouteilles. » Il est juste d'ajouter qu'à la cristallerie, nos ennemis ont bien voulu faire preuve d'une certaine probité relative, car ils se sont bornés, tout en jouant avec leurs revolvers, à exiger sur le prix des marchandises dont ils se sont rendus acquéreurs, des réductions de 50 à 75 %.

A JOLIVET
A Jolivet, le 22 août; le sieur Villemin sortait de la maison de M. Cohan, avec celui-ci et un sieur Richard, quand des soldats assaillirent ce dernier. Atteint d'un coup de crosse à la tête, Richard tomba, tandis que Cohan rentrait précipitamment chez lui. Après avoir suivi pendant un instant Richard, que ses agresseurs emmenaient, Villemin alla soigner son bétail. Vers cinq heures du soir, il sortit pour se rendre chez un voisin, mais il fut immédiatement arrêté et fusillé. Les assassins lancèrent son corps dans un jardin pardessus une palissade.
Le 25, dans la même commune, le logis de Mme Morin, rentière, a été pillé. Les Allemands y ont dérobé du lin £ re, de l'argenterie, des fourrures et des chapeaux. Le surlendemain, ils ont incendié la maison, en allumant des fragments de bois provenant de caisses d'emballage.

A BONVILLER
A Bonviller, les 21, 23 et 25 août, ils ont mis le feu à vingt-six immeubles, en se servant de pétards et de bougies.

A EINVILLE
A Einville, le 22 août, jour de leur arrivée, ils ont fusillé un conseiller municipal, M. Pierson, qu'ils accusaient mensongèrement d'avoir tiré sur eux. Ils ont également exécuté sais motif les sieurs Bouvier et Barbelin, qu'ils avaient emmenés à proximité de la commune. Ils ont aussi massacré un braconnier, nommé Pierrat, qu'ils avaient trouvé porteur d'un sac contenant un épervier et un fusil démonté. Après l'avoir traîné hors du village, ils l'ont ramené devant chez la dame Famôse.
Cette femme l'a vu passer au milieu d'eux. Il avait le nez presque détaché. Ses yeux étaient hagards, et, selon l'expression du témoin, il semblait avoir vieilli de dix ans en un quart d'heure. A ce moment, un officier a donné un ordre ; huit soldats sont partis avec le prisonnier, et quand ils sont revenus sans lui, dix minutes après, l'un d'eux a dit, en français : «  Il était mort avant. »
M. Dieudonné, maire, d'Einville, a été emmené comme otage, avec son adjoint et un autre de ses concitoyens, le 12 septembre, par les troupes ennemies, au moment où elles ont battu en retraite. Elles l'ont envoyé en Alsace, puis en Allemagne, où on l'a gardé jusqu'au 24 octobre, ainsi que ses compagnons. Avant son arrestation et pendant un combat qui avait lieu autour de sa commune, M. Dieudonné avait été obligé, malgré ses protestations, de requérir. plusieurs de ses administrés pour procéder à l'inhumation des morts. Trois des habitants d'Einville, employés de force à cette besogne, ont été blessés par des balles ; un autre, le sieur Noël, a été tué par un éclat d'obus.

A REMONVILLE
La ferme de Remonville, située sur le territoire du même village, a été incendiée. Les femmes ont pu se sauver. Quant aux quatre hommes qui travaillaient dans ce domaine, ils ont dû être tous assassinés. Les cadavres de deux d'entre eux, Victor, Chaudre et Thomas Prosper, ont été retrouvés, deux mois plus tard, enterrés ensemble à proximité des bâtiments brûlés. Tous deux étaient décapités et la tête de Thomas était broyée.

A SOMMERVILLER
A Sommerviller, le passage de l'ennemi, le 23 août, a été marqué par le pillage des cafés, des épiceries, ainsi que de plusieurs maisons particulières, et par le meurtre des sieurs Robert, âgé de 70 ans, et Harau, âgé de 65 ans, qui ont été tués à coups de fusil. Le second, au moment où il a reçu la mort, était tranquillement en train de manger un morceau de pain.

A REHAINVILLER
A Rehainviller, le 26 août, les Allemands ont empoigné dans la rue le curé Barbot ainsi que le sieur Noircler. Les cadavres de ces deux hommes ont été retrouvés longtemps après, enterrés dans les champs, à quelques centaines de mètres du village. Leurs corps étaient en pleine décomposition. On n'a pas pu, pour cette raison, relever les blessures que le curé avait reçues ; quant à Noircler, sa tête était placée dans la fosse à côté du reste de son corps, à la hauteur de la hanche.
Dans cette, commune, 27 maisons ont été brûlées. On n'a pas vu mettre le feu, mais on a ramassé, après le sinistre, un certain nombre de baguettes fusantes dont les Allemands se servent fréquemment pour allumer l'incendie, et que les paysans appellent des «  macaronis »

A LAMATH
A Lamath, le 24 août, les Bavarois ont fusillé un vieillard de 70 ans, le sieur Louis, qui était sorti devant sa porte pour satisfaite un besoin naturel. Le malheureux a reçu au moins dix balles dans la poitrine. Son gendre, qui est atteint d'une tuberculose avancée, a été pris et emmené. On n'a de lui aucune nouvelle. Deux autres habitants de la commune, qui ont été faits prisonniers en même temps que lui, sont actuellement retenus en Bavière.

A FRAIMBOIS
L'abbé Mathieu, curé de Fraimbois, a été arrêté, le 29 août, sous le prétexte faux qu'on avait tiré sur les Allemands dans sa paroisse. Au cours de sa captivité, qui a duré seize jours, il a assisté à l'assassinat de deux de nos compatriotes, M. Poissonnier, de Gerbéviller, et M. Victor Meyer, de Fraimbois. Le premier, un infirme qui se tenait à peine sur ses jambes, était accusé d'avoir suivi les armées pour se livrer à l'espionnage ; le second avait été arrêté parce que sa fillette avait ramassé un morceau de fil télégraphique brisé par des shrapnells. Un matin, vers 6 heures, les officiers bavarois procédèrent à un simulacre de jugement, en lisant un document rédigé en allemand et en faisant voter huit ou neuf jeunes lieutenants auxquels on avait remis des bulletins. Condamnés à l'unanimité, les deux hommes furent avertis qu'ils allaient mourir, et le prêtre fut invité à leur donner les secours de la religion. Ils protestèrent de leur innocence, en suppliant et en pleurant, mais on les contraignit à s'agenouiller contre un talus de la route, et un peloton de vingt-quatre soldats, placés sur deux rangs, fit feu sur eux, par deux fois.
Le village de Fraimbois a été pillé et les objets volés ont été chargés sur des voitures. L'abbé Mathieu s'étant plaint aux généraux Tanner et Clauss de l'incendie de son rucher, reçut du premier cette simple réponse : «  Que voulez-vous ? C'est la guerre ! » Le second ne lui répondit même pas.

A HENIMÉNIL
A Mont, trois maisons ont été brûlées avec du pétrole. A Hériménil, le 29 août, l'ennemi, qui y était arrivé le 24, s'est rendu coupable de faits monstrueux. Les habitants ont été invités à se rendre dans l'église et y ont été maintenus pendant quatre jours, tandis que leurs maisons étaient pillées et que les Français bombardaient le village. Vingt-quatre personnes ont été tuées par un obus, à l'intérieur de l'édifice. Comme une femme, qui avait pu, à grand'peine, sortir un instant, revenait avec un peu de lait pour les enfants, un capitaine furieux de voir qu'on avait laissé passer cette prisonnière, s'écria : «  Je ne voulais pas qu'on ouvrît la porte. Je voulais que les Français tirassent sur leur propre peuple. » Ce même capitaine venait d'ailleurs de commettre peu de temps auparavant, un acte de cruauté révoltant. Ayant assisté, le monocle à l'oeil, à la sortie jugée par lui trop lente de Mme Winger, jeune femme de 23 ans, qui, pour obéir à l'ordre général, se dirigeait vers l'église, avec ses domestiques, une fille et deux jeunes hommes, âgés tous trois de 18 ans, il avait, par un mot bref, commandé à ses soldats de faire feu, et les quatre victimes s'étaient abattues, mortellement frappées. Les Allemands laissèrent les cadavres dans la rue pendant deux jours.
Le lendemain, ils fusillèrent le sieur Bocquel, qui, ignorant les instructions données, était resté dans sa maison. Ils tuèrent également chez lui M. Florentin, âgé de 77 ans. Ce vieillard, qui reçut plusieurs. balles dans la poitrine, fut probablement massacré à cause de sa surdité qui l'empêcha de comprendre les exigences de l'ennemi.
Dans cette commune, vingt-deux maisons ont. été brûlées avec du pétrole. Avant de mettre le feu à celle de la dame Combeau, des soldats, en piochant le sol de la cave, ont déterré une somme de 600 francs qu'ils se sont appropriée.

A HUDIVILLER
Le 23 août, le jeune Simonin, âgé de quinze ans et demi, demeurant à Hudiviller, revenait de Dombasle, quand les Allemands, après l'avoir mis en joue, s'emparèrent de sa personne. Ils commencèrent par le rouer de coups, puis il fut emmené par un soldat, sur l'ordre d'un officier.
Chemin faisant, il aperçut à une cinquantaine de mètres de lui son père qui l'appelait. Son gardien l'attacha alors à un poteau télégraphique, et fit feu sur Simonin père, qui tomba en vomissant le sang, et expira presque sur-le-champ. Le jeune homme put, pendant ce temps, se dégager ; de ses liens, et parvint à prendre la fuite, non sans avoir essuyé plusieurs coups de .fusil, dont l'un lui déchira sa veste.

A MAGNIÈRES
A Magnières, où un immeuble seulement fut brûlé, un Allemand, armé de son fusil, pénétra vers la fin du mois d'août, dans la maison du sieur Laurent, et obligea la jeune..., âgée de douze ans, qui y était réfugiée, à l'accompagner dans une chambre. A deux reprises, il la viola, malgré les plaintes et les cris qu'elle ne cessait de faire entendre. La pauvre petite était absolument terrorisée. Le soldat, du reste, était si menaçant que le sieur Laurent n'osa pas intervenir.

A CROISMARE
A Croismare, le 25 août, quand les Allemands durent battre en retraite, furieux de leur échec, ils se mirent à tirer sur toutes les personnes qu'ils rencontrèrent. Un officier de uhlans, après avoir tué, d'un coup de revolver, dans les champs, le sieur Kriege, qui était allé arracher des pommes de terre, aperçut MM. Matton et Barbier, revenant de leur travail. S'étant approché d'eux, sur son cheval, il leur ordonna de s'arrêter et de se placer contre un talus. Les deux paysans pensèrent d'abord qu'il voulait les mettre à l'abri des coups de fusil qui éclataient de divers côtés, mais leur illusion se dissipa, quand ils le virent charger son revolver. Au cours de cette opération, trois cartouches tombèrent et le uhlan donna à Matton et à Barbier l'ordre de les ramasser. Ce dernier, en lui en remettant une, lui dit : «  Ne nous faites pas de mal, nous venons de travailler dans les champs. » - Nich pardon, cochon de franzose, répondit l'officier, capout », et il fit feu à deux reprises. Matton, qui s'était brusquement effacé, ne fut, grâce à ce mouvement, atteint qu'à l'épaule droite, au lieu l'être en pleine poitrine. Quant à Barbier, une balle lui traversa les deux pouces et lui laboura l'index gauche.

A REMEREVILLE
A Réméréville, le 7 septembre, l'ennemi, prétendant faussement que, du clocher les habitants avaient tiré sur lui, a mis le feu aux maisons à l'aide de fusées. Quelques immeubles seulement ont échappé aux flammes. Avant d'être incendié, le village a été bombardé par les Allemands, qui ont pris particulièrement pour objectif une ambulance dont ils voyaient parfaitement le drapeau.

A DROUVILLE
La commune de Drouville, occupée deux fois, a été fortement pillée. Le 5 septembre, l'envahisseur y a brûlé trente-cinq maisons à l'aide de torches et sans doute aussi avec du pétrole, car il a abandonné sur les lieux un bidon qui en contenait vingt-cinq ou trente litres.

A COURBESSEAUX
A Courbesseaux, il y eut également, le 5 septembre, incendie et pillage. Dix-neuf maisons ont été brûlées. M. Alix, qui s'efforçait d'éteindre le feu allumé chez lui, dans un amas de luzerne, essuya plusieurs coups de fusil et fut obligé de se sauver.

A ERBEVILLER
Enfin, le 23 août, à Erbéviller, lin capitaine saxon trouva un moyen très pratique de se procurer de l'argent. Ayant fait rassembler tous des hommes du village, il tenta vainement, d'abord en les menaçant de les faire fusiller, d'obtenir de quelqu'un d'entre eux la déclaration qu'on avait tiré sur ses sentinelles, bien qu'il sût pertinemment que le fait n'était pas exact ; puis il les enferma dans une grange. Dans la soirée, il fit venir la femme de M. Jacques, ancien instituteur, l'un des prisonniers, et lui dit : «  Je ne suis pas certain que ce soient ces hommes qui aient tiré. Ils seront libres demain, si vous pouvez me verser mille francs dans quelques instants. » Mme Jacques donna la somme.
Sur sa demande, il lui fut délivré un reçu, et les otages furent mis en liberté.
Le récépissé rédigé par l'officier est ainsi conçu : «  Erbéviller, 23 août 1914. Quittance.
Pour pénitence d'être suspect d'avoir tiré sur des sentinelles allemandes, dans la nuit du 22-23 août j'ai reçu de la commune, Erbéviller 1.000 fr. (mille francs). - Baron (illisible) haut, reit. régim. »

ACTE HONTEUX
Dans une commune du département de Meurthe-et-Moselle, deux religieuses ont été, pendant plusieurs heures, exposées sans défense à la lubricité d'un soldat, qui, en les terrorisant, les a obligées à se dévêtir et, après avoir contraint la plus âgée à lui enlever ses bottes, s'est livré sur la plus jeune à des pratiques obscènes. Les engagements que nous avons pris ne nous permettent pas de faire connaître les noms des victimes de cette scène abominable, ni celui du village dans lequel elle a eu lieu, mais les faits nous ont été révélés sous la foi du serment par des témoins dignes de la plus entière confiance, et nous prenons la responsabilité d'en certifier l'exactitude.
Pendant nos séjours à Nancy et à Lunéville, nous avons eu l'occasion de recevoir plusieurs témoignages relatifs à des crimes commis par les Allemands dans des localités que leurs troupes occupaient encore et que la plupart des habitants avaient dû évacuer.

LE CRIME D'EMBERMENIL
Les plus cruels de ces faits ont eu pour théâtre le village d'Emberménil. A la fin d'octobre ou au commencement de novembre, une patrouille ennemie ayant rencontré dans les environs de cette commune une jeune femme, Mme Masson, dont l'état de grossesse était très apparent, l'interrogea sur le point de savoir s'il n'y avait pas de soldats français à Emberménil. Elle répondit qu'elle l'ignorait, ce qui était vrai.
Les Allemands étant alors entrés dans le village, y furent reçus à coups de fusil par les nôtres. Le 5 novembre, un détachement du 4e régiment bavarois arriva et rassembla tous les habitants devant l'église, puis un officier demanda quelle était la personne qui avait trahi. Soupçonnant qu'il pouvait s'agir de la rencontre qu'elle avait faite quelques jours auparavant et se rendant compte du danger que couraient ses compatriotes, Mme Masson, très courageusement, s'avança, répéta ce qu'elle avait dit, et affirma qu'en le disant elle avait été de bonne foi. Immédiatement saisie, elle fut contrainte de s'asseoir sur un banc, à côté du jeune Dime, âgé de 24 ans, qui avait été pris au hasard comme seconde victime. Toute la population demandait grâce pour l'infortunée, mais les Allemands furent inflexibles. «  Un homme et une femme dirent-ils, doivent être fusillés. Tel est l'ordre du colonel. Que voulez-vous ? C'est la guerre. » Huit soldats, placés sur deux rangs, firent alors feu à trois reprises sur les deux martyrs, en présence de tout le village. La maison du beau-père de Mme Masson fut ensuite livrée aux flammes.
Celle de M. Blanchin avait été incendiée quelques instants auparavant.

A DOMEVRE-SUR VEZOUSE
La dame Millot, de Domèvre-sur-Vezouse, nous a fait le récit du meurtre qui a été commis sur la personne de son neveu, Maurice Claude, âgé de dix-sept ans, et dont elle a été le témoin oculaire. Le 24 août, au moment de l'arrivée des Allemands à Domèvre, ce jeune garçon se trouvait, avec sa famille, au bas d'un escalier, dans la maison de ses parents, quand il s'aperçut que des soldats le mettaient en joue, de la rue. Il fit quelques pas pour se garer, mais il ne put se mettre à l'abri et fut atteint de trois bailles. Blessé au ventre, à la fesse et à la cuisse, il succomba trois jours plus tard, après avoir fait preuve d'une admirable résignation. Quand il se sentit perdu, il dit à sa mère désolée «  Je puis bien mourir pour mon pays. »
Le même jour, MM. Auguste Claude et Adolphe Claude, ce dernier âgé de soixante-quinze ans, furent également tués, et cent trente-six maisons du village furent brûlées au moyen de cartouches incendiaires. Enfin, deux habitants, MM. Breton et Labart, furent pris comme otages. On ne sait ce qu'ils sont devenus depuis.

A AUDUN-LE-ROMAN
M. Véron, ancien instituteur à Audun-leRoman, arrondissement de Briey, a déposé devant nous, dans les termes suivants : «  Le 21 août, vers cinq heures du soir, les Allemands, qui occupaient depuis dix-sept jours le village d'Audun-le-Roman, se mirent, sans motif à tirer sur les maisons des coups de fusil et de mitrailleuse. Quatre femmes, Mlle Roux, Mlle Tréfel, Mme Zappoli et Mme Giglio, ont été blessées. Mlle Tréfel a été atteinte pendant qu'elle donnait à boire à un soldat allemand. Trois hommes ont été tués : M. Martin, cultivateur, âgé de soixante-dix-huit ans, dont la maison a été brûlée, a été emmené hors, de chez lui et fusillé dans la rue, en présence de sa femme et de ses enfants. M. Chary, âgé de cinquante-cinq ans, chef cantonnier, fuyait devant l'incendie, en tenant sa femme par la main, quand il a été tué à coups de fusil. J'ai vu son cadavre qui était criblé de blessures. M. Ernest Samen a reçu cinq balles de revolver au moment où il était en train de fermer la porte de sa remise. J'ai vu l'ennemi mettre le feu au café Matte, avec du pétrole. Mme Matte étant sortie, ayant à la main un petit sac qui contenait ses économies, environ 2.000 francs, a été dévalisée par un officier allemand, qui lui a arraché son sac. »
Le témoin a ajouté que le maire avait dû être enlevé par une patrouille, qu'en tout cas il avait disparu.

A ARRACOURT
A Arracourt, le sieur Maillard a été tué dans Les champs, par une balle qui l'a traversé de part en part, et cinq maisons ont été incendiées.

A BRIN
Le village de Brin-sur-Seille a été presque entièrement détruit par le feu, allumé avec des cartouches et des rondelles fusantes.

A RAUCOURT
Enfin la femme d'un mobilisé de Raucourt, la dame X..., nous a déclaré qu'elle avait été violée chez elle, en présence de son petit garçon, âgé de trois ans et demi, par un soldat qui lui avait mis la pointe de sa baïonnette sur la poitrine, pour vaincre la résistance qu'elle lui opposait.

FAITS D'ORDRE MILITAIRE

Les faits commis en violation des droits de la guerre à l'égard des combattants, meurtre des blessés ou des prisonniers, ruses interdites par les conventions internationales, attaques contre les médecins et les brancardiers, ont été innombrables dans tous les endroits où des combats ont été engagés. Il nous est impossible de constater la plupart d'entre eux, parce que les témoins en sont surtout des militaires, obligés à se déplacer continuellement. Ces actes ont été, du reste, relatés dans les rapports adressés par les chefs de corps à l'autorité militaire, qui pourra les joindre aux documents de notre enquête, si elle le juge à propos. Beaucoup sont aussi attestés par des témoignages que des magistrats ont recueillis dans les hôpitaux, et dont nous opérons en ce moment le dépouillement en vue de l'établissement d'un rapport complémentaire. Il nous en a été néanmoins révélé à nous-mêmes un certain nombre au cours de notre information.
A Bar-le-Duc, M. le médecin principal Ferry nous a, à cet égard, rapporté des déclarations recueillies par lui dans son service. Le sergent Lemerre, du e régiment d'infanterie, lui a déclaré que, blessé le 6 septembre à Rembercourt, d'un éclat d'obus à la jambe, il avait été laissé sur le terrain, pendant huit jours, par les ambulanciers allemands, qui le voyaient parfaitement. Le quatrième jour, sur l'ordre d'un officier qui parcourait le champ de bataille son revolver à la main, ce sous-officier a été blessé de nouveau d'un coup de fusil par un soldat. Il a d'ailleurs vu à plusieurs reprises, autour de lui, des brancardiers allemands tirer sur nos blessés.
Le soldat Dreyfus, du ...e régiment d'infanterie, a également raconté au docteur Ferry le fait suivant : atteint d'une blessure, à Somaine, le 10 septembre, il se retirait du champ de bataille, quand il rencontra trois Allemands. Il leur dit, dans leur langue, qu'il venait d'être blessé ; mais ces hommes lui répondirent que ce n'était pas une raison pour ne pas recevoir une nouvelle balle, et il en reçut une en effet, à bout portant, dans l'orbite.
A Vaubecourt, un sergent d'infanterie et deux soldats ont été fusillés par l'ennemi pour le motif qu'un de ces derniers avait été capturé dans le clocher du village, d'où il aurait pu échanger des signaux avec nos troupes.
Le 22 août, un détachement allemand se présenta sur le territoire de Bonvillers (Meurthe-et-Moselle), à la ferme de la Petite-Rochelle, où le propriétaire, M. Houillon, avait donné asile à des blessés français. L'officier qui le commandait ordonna à quatre de ses hommes d'aller achever neuf blessés qui étaient étendus dans la grange. Chacun de ceux-ci reçut une balle dans l'oreille. Comme la dame Houillon demandait grâce pour eux, l'officier lui enjoignit de se taire en lui mettant le canon de son revolver sur la poitrine.
Le 25 août, M. l'abbé Denis, curé de Réméréville, a soigné dans la soirée le lieutenant Toussaint, sorti le premier de l'Ecole forestière au mois de juillet dernier. Tombé blessé sur le champ de bataille, ce jeune officier avait été frappé à coups de baïonnette par tous les Allemands qui étaient passés auprès de lui. Son corps était criblé de plaies, des pieds à la tête.

A l'hôpital de Nancy, nous avons vu le soldat Voyer, du 6 régiment d'infanterie, qui portait encore les traces de la barbarie allemande. Grièvement blessé à la colonne vertébrale, en avant de la forêt de Champenoux, le 24 août, et paralysé des deux jambes, par suite de sa blessure, il était resté étendu sur le ventre, quand un soldat allemand l'avait brutalement retourné avec son fusil, et lui avait porté trois coups de crosse sur la tête. D'autres, en passant auprès de lui, l'avaient également frappé à coups de crosse et à coups de pied.
Enfin, l'un d'eux lui avait, d'un seul coup, fait une plaie au-dessous et à trois ou quatre centimètres de chaque oeil, à l'aide d'un instrument que la victime n'a pas pu distinguer, mais qui, d'après l'opinion du docteur Weiss, médecin principal et professeur à la Faculté de Nancy, devait être une paire de ciseaux.
Un hussard, qui a été soigné par ce même docteur, a raconté que, s'étant fracturé la jambe en tombant de cheval, et s'étant trouvé engagé sous sa monture, il avait été assailli par des uhlans qui lui avaient volé sa montre et sa chaîne, et dont l'un, lui ayant pris sa carabine, lui en avait déchargé un coup dans l'oeil.
Sept soldats français, auxquels M. Weiss a aussi donné ses soins, lui ont affirmé avoir vu les ennemis achever des blessés sur le champ de bataille. Comme ils avaient feint d'être morts pour échapper au massacre, des Allemands leur avaient porté des coups de crosse, afin de reconnaître s'ils étaient encore vivants.
Au même hôpital, un soldat allemand atteint d'une blessure au ventre, a confié à M. le docteur Rohmer qu'elle lui avait été faite d'un coup de revolver par son officier parce qu'il avait refusé d'acheter un blessé français. Enfin, un autre Allemand, porteur d'une plaie au dos, produite par un coup de feu tiré à bout portant, a déclaré au docteur Weiss que, pour obéir à l'ordre d'un officier, un soldat avait tiré sur lui, afin de le punir d'avoir transporté dans un village situé à proximité du champ de bataille plusieurs blessés de notre armée.
Le 25 août, à Einvaux, les Allemands ont ouvert le feu à trois cents mètres sur le docteur Millet, médecin-major au ...e régiment colonial, au moment où, aidé de deux brancardiers, il faisait un pansement à un homme couché sur une civière. Comme il leur présentait le côté gauche, ils voyaient parfaitement son brassard. Ils ne pouvaient d'ailleurs se méprendre sur la nature de la besogne à laquelle les trois hommes étaient occupés.
Le même jour, le capitaine Perraud, du même régiment, ayant remarqué que les soldats d'une section prise pour objectif par ses mitrailleuses portaient des pantalons rouges, a donné l'ordre de cesser le feu. Immédiatement, cette section a tiré sur lui et sur ses hommes. Elle était composée d'Allemands déguisés.
Paris, 17 décembre 1914.
G. PAYELLE, président.
ARMAND MOLLARD.
G. MARINGER.
PAILLOT, rapporteur.

ON LES DÉBUSQUE
Leurs ripostes sont vaines

Paris, 10 janvier, 15 h. 40.
De la mer jusqu'à l'Oise, duels d'artillerie.
Sur l'Aisne, dans la région de Soissons, l'ennemi n'a pu, malgré de nombreuses attaques, reprendre les tranchées qu'il avait perdues hier. A la fin de la journée, il a de nouveau bombardé Soissons.
En Champagne, de Reims à l'Argonne, notre artillerie a très efficacement tiré sur les tranchées allemandes, dispersant en plusieurs points des groupes de travailleurs.
Les positions que nous avons conquises à Perthes et autour du village ont été organisées. Une contre-attaque ennemie à l'ouest de Perthes a été repoussée.
Aux abords de la ferme de Beauséjour, nous avons réalisé un double progrès en gagnant du terrain à l'ouest et en nous emparant d'un fortin vers le nord.
En Argonne, l'ennemi a bombardé la région du Four-de-Paris. Nous avons riposté et détruit un blockhaus allemand. L'effort de l'ennemi s'est porté sur la cote 263, à l'ouest de Boureuilles. Toutes nos positions ont été maintenues.
Entre Argonne et Meuse, rien à signaler.
Sur les Hauts-de-Meuse, dans la forêt d'Apremont, une attaque ennemie a été arrêtée par le feu de notre artillerie.
Dans les Vosges, au nord-ouest de Wattwiller (région de Thann), nous avons également repoussé une attaque ennemie.

LES NOUVELLES DU PAYS MEUSIEN

Du Bulletin Meusien, organe des réfugiés et évacués meusiens :
Villers-devant-Dun. - D'après une lettre de M. Bernier, maire de cette commune, qu'on nous communique, cette localité aurait été fortement abîmée lors des combats qui eurent lieu à la fin d'août et qui durèrent deux jours, surtout à Montigny, où il y eut de violentes charges à la baïonnette dans les rues.
Muzeray-Nouillonpont. - Le docteur Didion, maire de Muzeray, conseiller général de Spincourt, est prisonnier à Ingolstadt, avec sa soeur.
Montmédy. - On nous dit que les Allemands auraient installé une ou plusieurs ambulances centrales dans cette ville, en utilisant à cet effet les vastes locaux publics qui s'y trouvent.
Montigny. - On nous écrit que cette commune a été brûlée presque entièrement et que les Allemands y ont mis le feu à la main. Tous les habitants restés se seraient réfugiés à Halles qui a moins souffert.
Gercourt. - Saint-Julien, le 30 décembre 1914. - Monsieur le Rédacteur, je vous envoie ces deux mots pour vous dire où est internée ma femme, Mme Postal, de Gercourt (Meuse).
Voici ce qu'elle nous dit :
Elles ont mis trois semaines pour aller de Gercourt à Saulnes, près Longwy, conduites par les Boches, comme on conduit des bêtes, et vivre on ne peut se rappeler de quoi ; de plus, coucher sur les fumiers etc., enfin, elle ne se plaint pas trop ; pour le moment, elle est chez M. Dahlem, négociant à Saulnes, près Longwy (Meurthe-et-Moselle).
De plus, mon fils, Clovis Postal, qui était aux cyclistes de chasseurs à pied, est prisonnier à Fedpost (poste aux armées), 48 compagnie de prisonniers français, camp d'Ammelburg, Bavière (Allemagne).
POSTAL.
Morgemoulin (lettre du maire de Morgemoulin). - Les habitants de Morgemoulin ont été emmenés prisonniers en Allemagne au nombre de 80, vers la fin d'octobre. Les Allemands avaient enlevé cinq grosses voitures de mobilier avant leur départ et ont enlevé le reste après.
Morgemoulin serait encore debout, M. Rodicq, ancien instituteur, est décédé le 1er décembre, à Zwickau (Saxe).
Vingt-quatre personnes de Morgemoulin et Gincrey sont à Les Abrets (Isère) : M. Lepezel, maire de Morgemoulin, et sa famille; Mme Lecourtier et ses enfants; M. Gody et sa famille ; Mme Mangin ; Mme Génin et sa famille ; M. Delandre, sa famille et sa soeur de Gincrey ; M. Lecourtois, adjoint, et sa fille.
Bar-le-Duc. - Nécrologie. - M. Chuqet, propriétaire-gérant de l' «  Echo de l'Est », vient de mourir à l'âge de 86 ans.
Vaudoncourt. - Le 23 août, le village fut incendié par les Allemands sans que les habitants aient rien pu sauver. M. Janin a été fait prisonnier par l'ennemi et on est sans nouvelles de sa plus jeune fille disparue et sans doute prisonnière aussi Fréméville. - La semaine dernière, des obus de 210 tuèrent trois personnes, M. et Mme Bourcier et un enfant dans la même maison. Cinq maisons détruites.
Marville. - Une personne de Marville, réfugiée à Paris, a reçu des nouvelles de a mère qui habite Longuyon. Celle-ci dit cpie M. Leroy, jardinier à Marville, vient à Longuyon toutes les semaines, faire les commissions des Boches. Et par lui, elle sait qu'il reste à Marville 200 habitants qui ne souffrent nullement de l'occupation allemande. Ils sont ravitaillés régulièrement.
Mouilly. - Au début de la guerre au 1 septembre, ce village de 400 habitants fut occupé par les Français. Le. 8, à 7 heures du matin, arrivée de quelques uhlans, puis d'une colonne entière à 10 heures.
L'infanterie s'installe dans le bois voisin.
L artillerie sur le côté, dominant les églises et des avant-postes à chaque entrée du village.
Après-midi, un soldat français resté en arrière ou revenu blessa dans le bois d'un c. up de fusil un soldat allemand : résul tat : fusillade, émotion des Allemands : le maire était parti ; un détachement vint chercher le curé, l'abbé Alnot (71 ans), qui était resté et on voulut le convaincre ou 1 ii faire croire que le coup de feu avait été tiré par des habitants de la commune, il fut condamné à être fusillé et l'incendie <iu village ordonné.
Le curé put se faire conduire chez le commandant d'armes qui écouta ses explications et celles de l'officier qui l'avait fait arrêter. Le commandant, apprenant que l'abbé Alnot avait soigné les blessés allemands en 1870, rapporta les deux ordres ci-dessus et consentit même à laisser la liberté à une pauvre femme retenue par les Allemands à Mouilly, parce qu'elle voulait retourner chez elle à Rupt-en-Woëvre (Mme Jaspard).
Malheureusement, on trouva après le départ des Allemands, le 14 septembre, trois cadavres de civils alignés contre le mur du cimetière. L'un était celui d'un pauvre homme qui, revenant avec un peu de pain et d'argent destinés à sa famille, avait voulu forcer une consigne et avait été immédiatement passé par les armes. Les deux autres étaient ceux d'un jeune homme et de son oncle. Celui-ci ayant eu une altercation avec un soldat allemand, avait été arrêté : son neveu, qui l'aimait beaucoup, n'avait pas voulu le quitter et avait partagé son triste sort.
Dans la nuit du 12 au 13 septembre, une alerte fit partir précipitamment les Allemands et délivra la population. Le lendemain, les soldats français arrivèrent du fort de Genicourt et un cycliste qui devançait la compagnie, vit, à trois kilomètres de Mouilly, deux officiers prussiens occupés à réparer leur automobile ; il les blessa et les mit en fuite tous les deux. Le soir, quand nos troupes vinrent pour s'emparer de l'auto, elles constatèrent avec indignation qu'elle contenait trois tonneaux de pétrole et une canule : le tout fut conduit à Verdun.
C'était sans doute le matériel destiné à incendier Mouilly.
Mouilly ne fut pas brûlé, mais il fut bombardé par les Français pendant que les Allemands l'occupaient et ensuite par les Allemands quand ils l'eurent quitté ; il fut en outre pillé sérieusement.
Sébastien Colson fut tué, plusieurs habitants furent blessés ; des maisons furent détruites, d'autres fort endommagées. Aussi le village fut-il évacué ; environ 50 habitants sont dans la Haute-Savoie ; les autres n'ont pas quitté la région ou le département.
Ornes. - Un de nos concitoyens. appartenant à la garnison de Verdun, nous écrit:
«  Le 13 décembre, on s'est battu à Ornes, pour la prise de la côte sud d'Ornes donnant du côté de Maucourt. Le génie s'avance le soir jusqu'aux fils de fer des Allemands en rampant et se retire après les avoir coupés sans donner l'éveil aux Allemands terrés dans leurs tranchées. Au petit jour, l'attaque commence avec une impétuosité ; après une canonnade d'une heure de nos 75 et mitrailleuses, le ...e enlève la tranchée allemande en moins d'une heure et en organise solidement la défense.
En même temps, une attaque est poussée sur la côte nord, mais elle est si fortement retranchée qu'on ne peut l'emporter. En outre, les Boches agitent un drapeau français, font placer nos blessés en avant de leurs rangs et cessent leur feu, afin de faire croire à nos occupants de la côte sud que la côte nord est occupée par nous.
Les nôtres, abusés par ce stratagème, avancent avec confiance et en arrivant sur les tranchées sont accueillis par un feu d'enfer, mettant hors de combat beaucoup de notre effectif. En fin de compte, nous emportons l'ouvrage en infligeant à l'ennemi des pertes considérables. De temps en temps, on voit passer des prisonniers : hier deux officiers et quinze hommes pris du côté d'Ornes. Du côté d'Etain, les ennemis sont formidablement retranchés dans la carrière de Rouvres, où on peut circuler en auto dans leurs tranchées, tant elles sont bien organisées. »

PRISONNIERS MEUSIENS

Du «  Bulletin Meusien » : MM. Fulbert, Paul Fauquenot, Antoine et Louis Alzain, Aimé Goeuriot, Klein-Saguez, de Bouligny ; Erard Proth, Léon François, Victor Lavigne, de Spincourt, sont prisonniers à Koenigsbrück. - André de Foug, de Ligny, prisonnier à Grafenvoerh (Bavière). - Pol Déchanne et Edmond Nicolas, tous deux de Villers-le-Sec.
Dans la liste des prisonniers internés en Allemagne, nous avons fait figurer MM. Nocpal, père et fils, de Bréhévile, qui sont vivants et en France, alors qu'il s'agit de M. Nochel, cantonnier à Livry-devant-Dun.
Parmi les prisonniers civils de Bréhéville, on nous cite Emile Lepage, Drouet Thomas, Laminette Léon, internés à Darmstadt.
Guillaume-Jean Henry, de Foameix, prisonnier de guerre au camp d'Altengrabor, par Magdebourg (Alemagne), 1er bat., 2eCie, baraquement n° 9, demande nouvelles de sa famille.
Les frères Saint-Mard Jean-Baptiste et Gustave, de Petit-Verneuil, sont prisonniers au fort Hartmann, n° 13, à Ingolstadt (Bavière).
Collignon Eugène, de Thonne-le-Thil, prisonnier à Darmstadt.
Perignon Numa, de Thonne-le-Thil, est prisonnier en Allemagne, ainsi qu'Adolphe Paulot, de Breux.
Lepaule René, de Thonne-la-Long, et Défay Ernest sont prisonniers de guerre, le premier à Stuttgart, le deuxième ailleurs.
Goffinet Adolphe, d'Avioh, est prisonnier à Stuttgart.
Cresson H., de Stenay, prisonnier à Ingolstadt, demande adresse de sa femme. S'adresser Vesseron, 4, rue Lavoisier, Pantin.
M. Hémard, adjoint de Romagne-sous-les-Côtes, est prisonnier civil à Zwickau.
Emile Fagnot, habitant à Varennes-enArgonne (Meuse), âgé de 58 ans, fait prisonnier civil à la fin du mois de septembre et conduit à Wurzburg (Bavière).
Alfred Maquet, de Han-les-Juvigny ou Murvaux, prisonnier de guerre à Stuttgart, dépôt 11, 26e escouade.
Gérard Eugène, de Jametz, prisonnier de guerre à Stuttgart, dépôt n° 2, 27e escouade.
Michel Emile, de Bouligny, au camp de Grafenvoehr, à Orhdruf. Thuringen (Saxe) ; Arsène Sergent, de Montigny ; Léon Thomassin, Albert Mirmont, de Montmédy, prisonniers à Regensbrug (Bavière).
Miaurice Leclerc, de Bantheville, prisonnier à Ingolstadt (Bavière).
Borre, de Beauclair, Gerangenen Kom pagnie Lager, Grafenvoehr (Bayern).

ENCORE
quelques Tranchées conquises
LEURS ATTAQUES REPOUSSÉES

Paris, 11 janvier, 15 h. 30.
De la mer à la Lys, canonnades intermittentes et peu intenses. Dans la région d'Ypres, notre artillerie a contrebattu efficacement celle de l'ennemi et a réussi des tirs bien réglés sur les tranchées allemandes.
De la Lys à l'Oise, dans la tranchée de la Boisselle, nos troupes se sont emparées d'une tranchée, après un violent combat.
Au nord-est de Soissons, sur l'éperon 132, elles ont repoussé hier une contre-attaque allemande, puis ont attaqué à leur tour et ont enlevé deux lignes de tranchées ennemies, sur un front d' environ cinq cents mètres, prolongeant vers l'est les tranchées conquises le 3 janvier, et assurant la possession entière de l'éperon 132.
Sur l'Aisne et en Champagne, jusqu'à Reims, duel d'artillerie.
De Reims à l'Argonne, notre artillerie a bombardé les tranchées ennemies de première ligne et les abris des réserves.
Au nord de Perthes, après avoir refoulé des contre-attaques signalées hier soir, nous avons progressé en gagnant une ligne de deux cents mètres de tranchées.
Au nord de Beauséjour, l'ennemi s'est acharné à reprendre le fortin qu'il avait perdu. Ses contre-attaques étaient fortes chacune de deux bataillons, la seconde en formations serrées. Elles ont été toutes deux repoussées après avoir été très fortement éprouvées.
En Argonne, quelques petits engagements. Notre front a été maintenu.
Entre Meuse et Moselle, journée calme.
Dans les Vosges, chute abondante de neige. Quelques obus sont tombés sur Vieux-Thann, à la cote 425.

Paris, 12 janvier, 1 h. 02.
Communiqué officiel du 11 janvier, 23 heures : Aucune modification n'est signalée dans la situation.

MORT TRAGIQUE D'UN RÉFUGIÉ DE BATILLY

Paris, 12 janvier, 2 h. 20.
GENÈVE. - M. Dupent, contrôleur des douanes à Batilly, qui faisait partie d'un convoi de réfugiés français rapatriés d'Allemagne par la Suisse, est tombé sur la voie ferrée, près de Rolle, en voulant passer d'une voiture à l'autre, pendant la marche du train.
Il a été tué sur le coup et son corps à, été ramené à Genève, chez un cousin.

LES ALLEMANDS EN LORRAINE
A LONGWY ET A REHON
Ils ont peur de Jeanne-d'Arc

D'une double interview auprès de Mme Cl..., pour Longwy, et de Mlle R..., pour Rehon, nous avons rapporté avant-hier des renseignements qui ont édifié nos lecteurs sur la domination allemande dans le pays qu'elle courbe momentanément sous un joug inique.
Notre bloc-notes a enregistré une série de faits présentant une importance ou un intérêt plus ou moins grands.
Citons-les au hasard :
Les territoriaux de la landsturm étaient occupés, en ces derniers temps, à arracher les fils de cuivre des installations électriques dans les usines, sur le réseau des tramways et jusque dans les maisons particulières.
Le cuivre devient une marchandise rare en Allemagne pour la fabrication des douilles d'obus, Afin de remédier à cette pénurie, l'autorité militaire ordonne qu'on ramasse avec soin dorénavant toutes les boîtes de conserves dont le métal servira pour confectionner d'excellentes cartouches.
Ils en sont là, les Boches.
Si l'introduction des lettres et journaux motive des mesures exceptionnelles de rigueur, c'est que la vérité sur la guerre jetterait une trop vive lumière sur les informations du Wolfbureau.
Les soldats du kaiser ne se font toutefois aucune illusion sur la sincérité des proclamations officielles, ni sur la valeur des articles célébrant les victoires impériales, ni sur la signification des carillons triomphants de Virton ou d'ailleurs.
- Rien que des mensonges, disent-ils, avec un haussement d'épaules. »
Les territoriaux de la landsturm déclaraient que la mobilisation, en Alsace-Lorraine, avait laissé dans leurs foyers les hommes âgés de plus de 45 ans, dans le but de leur prouver qu'on avait pour eux les mêmes égards que la France pour les militaires de leurs classes, ou pour tromper les populations annexées sur la triste situation de l'armée allemande. Moyen politique d'écraser dans l'oeuf tout germe de révolté, de séparatisme ou d'espoir d'un retour possible à l'ancienne patrie !

Les feux des usines de Longwy-Bas, de Gouraincourt, de Mont-Saint-Martin, ont été «  couverts » pour six mois ; la plupart sont maintenant éteints.
En septembre, les brasiers dont les lueurs incendient l'horizon d'une perpétuelle aurore ont été convertis en fours crématoires. Des compagnies, des régiments entiers ont été incinérés après les batailles en Argonne ; aucune statistique ne proclamera jamais les quantités de cadavres dont les aciéries ont englouti les hécatombes, caché la disparition.
Les trains de blessés se succédaient sans interruption. Mme Cl... nous en a décrit la parfaite installation, salles d'opérations, chambres soigneusement aménagées infirmeries, wagons où se réunissaient les médecins-majors après les consultations Partout la lumière et la chaleur, partout les meilleures dispositions en vue d'un long et fatigant voyage :
- «  Un jour, je vis arriver à la gare un convoi d'environ trente voitures, indique Mme Cl... Elles étaient disloquées, à demi-broyées ; des portes manquaient ; les toitures étaient crevées. On distinguait les effets désastreux d'une catastrophe. Le train avait dû s'aventurer imprudemment dans la zone battue par notre artillerie ; mais je crois plutôt qu'une mauvaise manoeuvre avait provoqué un terrible tamponnement. Les. pauvres blessés, pour cette fois, apprécièrent mal le mérite des formations sanitaires... »
En revanche, le respect pour les hôpitaux et les établissements que protège la Croix-Rouge, n'arrêta point le furieux bombardement de l'usine Margaine, où de nombreux blessés se trouvaient en traitement.

A Rehon, une vingtaine d'obus seulement s'abattirent sur la ville, sans causer de sérieux dégâts.
Les nouvelles des villages voisins ont appris à Mlle R... la mort du vaillant curé de Cutry.
- La fosse creusée pour l'inhumation de cette, victime des barbares était trop courte, dit-elle, pour la haute taille du prêtre. Les monstres l'enterrèrent sans cercueil, comme un chien. Ils eurent l'affreux courage de piétiner la poitrine de celui qu'ils venaient d'assassiner pour que son cadavre descendît dans la fosse où il gît ainsi replié sur lui-même.
Le réveillon fut annoncé gaiement. Les officiers allemands se réjouissaient de célébrer à leur manière la naissance du Christ: un Noël arrosé de Champagne, avec des chansons, des éclats de rire, des femmes avec un bal à la préparation duquel on apporta des soins particuliers :
- On abattit les cloisons d'un établissement ouvert ordinairement à leurs réunions, déclara Mlle R..., afin qu'il y eut assez de place pour la réception des invités. Mais, soit que les filles de Longwy aient refusé de venir à Rehon pour ce bal dont on leur vantait pourtant les merveilles, soit qu'un échec de leurs troupes ait refroidi l'enthousiasme des Boches, on renvoya les violons, on mit de côté le champagne, on ajourna la fête et le programme de ces agapes attend encore que des circonstances plus heureuses en favorisent l'exécution.... »
Ah ! c'est que les Allemands n'ont pas eu tous les jours l'occasion de rire et de s'amuser. De fâcheux symptômes leur annonçaient une débâcle ; leur rage impie s'efforçait de conjurer les menaces d'un destin où ils sentaient obscurément une sorte d'intervention de ce vieux bon Dieu décidément coupable de lèse-Majesté envers Guillaume II :
- Ce qu'ils craignaient surtout, c'est le culte de Jeanne-d'Arc. Une statue de la vierge lorraine fut mutilée dans l'église de Rehon ; on lui cassa un bras à coups de marteau. On interdit formellement dans toutes les paroisses du pays les prières, les invocations à la bergère de Domremy. »
Jeanne-d'Arc fait trembler le kaiser !
Mlle R... réussit à quitter Rehon ; elle atteignit Saulnes sans être aperçue des sentinelles, puis, gagnant les bois de la Sauvage, elle eut la chance de rencontrer dans sa fuite Mme Cl... et les enfants qu'elle désirait ramener en France par le Luxembourg, l'Alsace et la Suisse.
- Malgré la sévérité des peines qui aurait certainement suivi l'échec de mes projets, raconte la jeune fille, je cachais dans la semelle de mes chaussures un papier où étaient inscrits les noms et adresses des personnes de Nancy pour qui j'acceptai en partant diverses commissions. »
De son pénible voyage, Mlle R. se rappelle les émotions qu'elle connut dans ses démarches pour obtenir les sauf-conduits, les humiliations, les menaces, les grossièretés d'une soldatesque sans vergogne : - Nous avons obtenu les derniers laissez-passer. Maintenant personne ne peut revenir par le chemin que nous avons pris. Dans la gare de Strasbourg, les sentinelles, baïonnette au canon, empêchaient les voyageurs de se pencher par les portières. et il faut voir sur quel ton ils parlaient aux gens! »
Quelle sublime flamme d'énergie, jaillit des foyers de patriotisme où se trempent comme un acier pur la vaillance et la foi de ces femmes parties pour un saint pèlerinage, sans regarder à la fatigue ni aux éprouves des étapes qui les séparaient de la France.
ACHILLE LIEGEOIS.

REGAIN D'ACTIVITÉ
POSITIONS MAINTENUES
ou
TRANCHÉES CONQUISES

Paris, 12 janvier 15 heures.
De la mer à l'Oise, canonnade intermittente, assez violente sur quelques points.
Sur l'Aisne, au nord de Soissons, des combats très mouvementés ont été livrés autour des tranchées conquises par nous le 8 et le 10 janvier. L'ennemi a prononcé au cours de la journée d'hier plusieurs retours offensifs, que nous avons repoussés, et nous avons gagné de nouveaux éléments de tranchées.
De Soissons à Reims duels d'artillerie. Nos pièces lourdes ont contre-battu efficacement les batteries et les minenwerfer (lance-mines) des Allemands.
En Champagne, dans la région de Souain, tir très précis de notre artillerie sur les positions adverses.
Près de Perthes, le fortin situé au nord de la ferme de Beauséjour a été le théâtre d'une lutte acharnée. L'ennemi est parvenu à établir une tranchée à l'intérieur de l'ouvrage, dont nous conservons le saillant. La lutte continue.
(La ferme de Beauséjour est située sur la route qui va de Souain à VilleurTourbe, en paissant par Perthes-les-Hurlus, Hurlus, le Mesnil-les-Hurlus, etc. Elle se trouve à 3 kilomètres à l'est de cette dernière localité et à 11 kilomètres et demi à l'est de Souain.) En Argonne et jusqu'à la Meuse rien à signaler.
Sur les Hauts-de-Meuse deux attaques allemandes l'une au bois de Consenvoye, l'autre au bois Le Bouchot, ont été repoussées.
Au sud-est de Cirey-sur-Vezouze, un de nos détachements a surpris et mis en fuite une compagnie allemande, qui pillait le village de Saint-Sauveur.
Dans les Vosges et en Alsace journée calme ; le mauvais temps et la tempête continuent.

L'OFFENSIVE ENNEMIE
dans le Soissonnais

Paris, 13 janvier, 0 h. 45.
Communiqué officiel du 12 janvier, 23 heures : Au nord-est de Soissons l'ennemi a bombardé violemment, toute la nuit, nos positions sur le plateau de Perrières et sur l'éperon 132. II a prononcé aujourd'hui, pour reprendre ce dernier point, une attaque importante dont le résultat n'est pas encore connu.
Aucun autre fait notable n'est signalé.

LA LUTTE AUTOUR DE L'ÉPERON 132
Canonnades et mauvais temps

Paris, 13 janvier, 15 h. 23.
Le mauvais temps persistant a gêné, sur presque tout le front, les opérations.
En Belgique tempête de sable dans les dunes du bord de la mer.
Dans la région Nieuport-Ypres notre artillerie a tiré efficacement sur les ouvrages ennemis.
Sur l'Aisne, au nord-est de Soissons, le combat autour de l'éperon 132 a été, toute la journée, très dur. Les Allemands y ont engagé des forces très importantes.
Nous nous sommes maintenus sur le haut des pentes, à l'ouest de l'éperon. Vers l'est, nous avons dû céder du terrain. La lutte continue.
(L'éperon qui porte la cote 132 est au-dessus du village de Soupir. C'est une sorte de bastion boisé.
Ajoutons que cet éperon domine la route de Coucy-le-Châtaeu et la vallée où court le chemin de fer de Laon.)
Entre Soissons et Berry-au-Bac, le tir de notre artillerie a déterminé, sur plusieurs points, des explosions au milieu des batteries ennemies.
En Champagne, de Reims à l'Argonne, duels d'artillerie très violents dans la région de Souain.
Le saillant du fortin, au nord de la ferme de Beauséjour, est toujours entre nos mains. Nous y avons établi une tranchée, à 60 mètres de la tranchée allemande.
En Argonne, pluie et vent. Aucune action de l'infanterie.
De l'Argonne à la Moselle, canonnade intermittente.
Dans, les Vosges, brouillard et chute abondante de neige.

Paris 14 janvier, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 13 janvier, 23 heures : Au nord-est de Soissons, notre contre-attaque a progressé légèrement entre Cuffies et Crouy, mais elle n'a pas pu déboucher de Crouy.
Violemment attaquées, à l'est de cette localité, nos troupes ont fléchi légèrement aux abords du village de Moncel, qu'elles occupent.
Elles tiennent Sainte-Marguerite et Missy-sur-Aisne.
Aucun autre fait notable n'est signalé.

LES JOUETS DES ETATS-UNIS
AUX
Enfants de Pont-à-Mousson

Nancy, 13 janvier.
On sait que les enfants des Etats-Unis se sont cotisés pour envoyer à leurs petits frères et soeurs de France, d'Angleterre et de Belgique, vêtements et jouets. Il y a quelque temps, un navire, spécialement affrété à cet effet, apportait à Marseille la jolie cargaison. La répartition entre les départements fut faite à Marseille même, de concert avec les autorités américaines et françaises ; un certain nombre de caisses furent destinées au département de Meurthe-et-Moselle et dirigées vers Nancy.
Au lieu de répartir ces dons entre les diverses communes éprouvées du département, M. le préfet a estimé qu'il se conformerait plus fidèlement à l'intention des jeunes donateurs en les réservant entièrement aux braves petits enfants de Pont-à-Mousson - de Pont-à-Mousson qui, bien que ville ouverte, a souffert déjà de soixante bombardements et qui a subi en outre plusieurs semaines d'occupation allemande. La population y est restée nombreuse et vaillante ; elle compte encore environ 1.300 enfants.
A ces dons des Etats-Unis avaient été joints 200 poupées et 150 jouets de garçon provenant de l'Arbre de Noël organisé par Mme L. Mirman, et de nombreuses caisses de mandarines adressées à M. Mirman pour les petits Lorrains par de généreux donateurs français d'Algérie.
M. le préfet s'est rendu hier à Pont-à-Mousson pour présider la distribution ; deux cérémonies avaient été organisées par le Conseil des notables, l'une sur la rive droite, dans la belle salle d'honneur de la mairie, l'autre sur la rive gauche, dans la salle des écoles. Dans ces deux salles, les enfants les plus grands avaient été réunis. Assistaient à cette petite fête MM. les colonels commandants d'armes de l'une et l'autre rives, M. le conseiller général Bonnette, M. le maire Bertrand avec tout le Conseil des notables, MM. les curés de Pont-à-Mousson et diverses notabilités. M. le préfet avait à sa droite M. Pecker, citoyen américain en résidence dans la ville.
M. Linge, doyen du conseil, prononça une allocution chaleureuse dans laquelle il exprima la confiance des habitants de Pont-à-Mousson dans les destinées de la Patrie, confiance que n'ont pu ébranler à aucun moment les dures épreuves subies par la coquette cité lorraine si proche de la frontière provisoire qui, pour peu de temps encore, sépare la France des pays annexés.
M. le préfet, rappelant les événements survenus depuis le commencement de la campagne et les longues souffrances si vaillamment supportées par la population, remercia le Conseil des notables de toute l'activité dépensée par lui au cours de cette crise ; il expliqua aux enfants les souffrances morales et les humiliations éprouvées pendant quarante ans par leurs aînés, il les félicita de l'ère meilleure d'indépendance et de fierté nationale qui bientôt allait s'ouvrir et dans laquelle ils seraient appelés, eux, à vivre et à grandir ; et, serrant la main de M. Pecker, il lui exprima la gratitude profonde des petits Lorrains envers leurs frères et soeurs des Etats-Unis. Au nom de la population tout entière, M. L. Mirman salua avec émotion MM. les colonels commandants d'armes, leur dit l'admiration et l'affectueux respect que nous éprouvons tous à l'égard de nos vaillants officiers et soldats, aussi bons que braves, qui, dans les tranchées, supportent et dominent l'assaut répété d'un puissant ennemi, et qui préparent une victoire aujourd'hui certaine.
Accompagné de M. le Maire, de MM. les commandants d'armes et de plusieurs notabilités, M. le Préfet visita ensuite tous les soldats malades ou blessés en traitement à l'hôpital civil de la rive droite et à l'ambulance de la Croix-Rouge rive gauche.
Ajoutons que, pendant ces deux distributions, les Allemands envoyèrent sur cette ville ouverte, sans aucun espoir d'obtenir un résultat d'ordre militaire et conformément à leur méthode ordinaire, un nombre copieux d'obus : et ce fut le 61e bombardement de Pont-à-Mousson.

ENCORE UNE VICTIME DES OBUS

Lunéville, 14 janvier 1915.
Un de nos confrères annonce qu'un domestique de Mme veuve J... a été victime d'un accident dans les circonstances suivantes :
Rentrant pour se coucher dans une petite pièce attenant à l'écurie, il heurta avec son pied un obus qui avait été apporté là et qui fit explosion aussitôt, le blessant aux deux jambes. Il fut aussitôt transporté à l'hôpital de Lunéville, où il a été admis d'urgence. Son état n'est pas grave.

LE GÉNÉRAL ET LE CALICE

Pont-à-Mousson, 14 janvier.
M. Houssard, brigadier des douanes en retraite à Pont-à-Mousson, écrit à un de nos confrères cette anecdote qui montre bien que les généraux allemands valent leurs soldats, comme pillards :
«  Le 7 septembre, je causais devant le cimetière avec une personne de Pont-à-Mousson, lorsqu'une automobile venant de Nomeny et dans laquelle se trouvait un officier général allemand, stoppa à notre hauteur. Nous interpellant, le général nous demanda où il pourrait bien trouver de la luciline pour alimenter son moteur, et il m'invita à prendre place à côté du chauffeur pour le piloter dans la ville. Mais au diable ! à peine étais-je assis à côté du chauffeur, que le général, l'air courroucé, me cria : «  Levez-vous et descendez ! » Tout surpris, je descendis de l'auto. Le général commanda au chauffeur de lever le coussin sur lequel je m'étais appesanti. 0 stupéfaction ! j'avais écrasé un beau calice en cristal doré, enveloppé dans un bel écrin, qui avait été volé à Nomeny. Impossible de décrire la colère du général. Il me traita de «  sâle tête de Français » et il talocha le chauffeur d'importance avec accompagnement d'imprécations véhémentes. De colère, le général, au lieu de me faire remonter dans l'auto, ferma lui-même la portière et donna l'ordre au chauffeur de filer sur Champey.
Comme celaa j'étais quitte d'une désagréable corvée ! »

LE CAS DU DÉPUTÉ WEILL
Allemand malgré lui

Selon une information de la «  Gazette de Cologne », le citoyen Georges Weill, député de Metz au Reichstag et soldat dans l'armée française, est déclaré déchu de sa nationalité par le ministère d'Alsace-Lorraine, conformément à l'article 27 de la loi sur les nationalités. Il a donc perdu son droit d'éligibilité au Reichstag.
L' «  Humanité » publie les félicitations que le citoyen Vliegen, député d'Amsterdam et le militant bien connu du parti socialiste hollandais, a adressées à M. Weill.
«  Amsterdam, 25 décembre.
Cher camarade, Laissez-moi vous féliciter de tout coeur de votre attitude et souhaiter que vous pourrez rester le «  Abgeordnete » (député) de Metz, mais dans la Chambre française l Saluez de ma part les amis français.
W.-H. VLIEGEN, député hollandais. »
M. Vliegen est le président du comité directeur du parti socialiste hollandais, qui l'a choisi comme un de ses délégués à la conférence socialiste des pays neutres, qui s'ouvrira, le 15 janvier à Copenhague.

CHASSE AUX TAUBES

Nancy, 14 janvier 1915.
Nous avons eu, hier matin, entre huit heures et demie et neuf heures la visite de Taubes.
Les vilains oiseaux, qui volaient à une grande hauteur, s'apprêtaient évidemment à lancer leurs cadeaux, quand nos vigilants canonniers leur envoyèrent un salut à leur façon.
Un des avions allemands en passant au-dessus de Nancy a laissé tomber une bombe, faubourg Stanislas, sur le bâtiment de la chaufferie en bordure de la rue. Elle a fait un simple trou dans la toiture. Pas d'accident.
Et les Taubes décampèrent, l'un d'eux en battant de l'aile.
Mais les badauds, au lieu de s'assembler dans la rue, ne pourraient-ils pas plutôt se mettre à l'abri ?

AVIS DE MONSIEUR LE MAIRE DE NANCY

Nancy, 14 janvier 1915.
Deux Taubes ont survolé Nancy le 13 janvier.
Notre artillerie a accompli son devoir, canonnant dans les airs les avions qui tentaient de jeter sur notre ville quelques bombes.
Curieusement, nos concitoyens ont suivi les péripéties de cette lutte aérienne, saluant par des applaudissements les petits «  nuages » qui entouraient les Taubes et indiquaient dans le ciel, les éclatements de nos obus de 75.
C'est très bien... mais, par mesure de prudence, je ne saurais trop recommander aux habitants de ne pas rester ainsi les yeux en l'air, quand explosent nos 75, des éclats d'obus français pouvant tout aussi bien les blesser qu'un éclat de bombe des avions allemands.
Dans ces conditions, dès que vous entendrez les coups de canon de notre artillerie, garez-vous sous une porte cochère ou rentrez chez vous afin d'éviter tout accident.
SIMON.

LE BON BAVAROIS ET LA PETITE FILLE FRANÇAISE

L' «  Humanité » reproduit une lettre d'un correspondant de la «  Gazette de Francfort » où se peint au naturel la sensibilité niaise de l'Allemand entre deux actes de sauvagerie.
La scène se passe à Saint-Mihiel. L'Allemand à plume s'attendrit ainsi :
«  La circulation de la ville a pris son plus haut développement quand les marchandises des cantiniers arrivèrent de Metz. Une partie de ces marchandises est fournie également à la population française, surtout les vivres, nécessaires à la nourriture des «  petits Français ». Ce sont bien ces petits, somme toute, qui, avec leurs jeux innocents, font oublier toutes les misères de la guerre. On voit ces enfants, dont les pères sont sous le feu des shrapnells allemands et dont les grands-parents et les mères se lamentent sur la malheureuse France, meurtrie à coups de canon, jouer à cache-cache dans les coins et recoins des rues, entre les soldats allemands. La petite Jacqueline, là-bas, apprend à courir, aidée par son frère André. La sentinelle bavaroise barbue arrête le pas et lui lance un sourire, derrière sa baïonnette plantée au canon. »
Le «  Temps » fait suivre ce récit des fort justes réflexions suivantes :
«  L'Allemand à fusil sourit et l'Allemand à plume s'émeut. Mais que ce petit croquis sympathique ne nous fasse pas oublier le rapport d'hier... Car aussi bien, à un autre moment, la sentinelle bavaroise barbue lancerait avec le même sourire sa baïonnette dans le corps de la petite Jacqueline et de son frère André. «  Que voulez-vous ! C'est la guerre ! » Et puis c'est aussi dans la nature - dans leur nature...
Il était aussi très bien disposé à sa manière et dans une certaine limite l'officier qui disait à une jeune mère se présentant pour le recevoir, avec sa fillette qu'elle tenait à la main.
- Madame, cachez cette enfant, qu'on ne la voie pas,, qu'on ne l'entende pas, que nous puissions ignorer qu'il y a un enfant chez vous. C'est plus prudent...
C'était louable, mais il ne répondait de rien. Et vraiment aucun Allemand ne devrait plus parler ou d'enfants ou d'honneur.
Par pitié pour ceux qui sont morts jusque dans les bras de leurs mères n'oublions pas les petits cadavres qui ont jonché les rues et les routes de la Belgique et de la France envahies ! Le rapport des atrocités allemandes doit être le livre de chevet de tout Français. Que les enfants y apprennent à lire et que les pères se souviennent. »

LA CRUE DE L'AISNE
a entravé notre riposte

Paris, 15 janvier, 0 h. 48.
Voici le communiqué officiel du 14 janvier, 23 heures : La nuit dernière, nos troupes ont réussi, dans un coup de main, à bouleverser les tranchées récemment construites par les Allemands au nord-ouest de Fouquescourt et au nord de Roye.
Les attaques ennemies dans la région nord de Soissons sont enrayées.
Comme il a été dit dans le communiqué de la matinée, la crue de l'Aisne, en détruisant plusieurs de nos ponts ou passerelles, avait rendu précaires les communications avec nos troupes qui opéraient sur les premières pentes de la rive droite, et nous empêchait de leur envoyer des renforts.
Telle fut la cause essentielle du repli de ces troupes qui luttaient dans des conditions difficiles et furent obligées d'abandonner quelques canons, par suite de la rupture d'une partie d'un pont. Nous avons rendu tous ces canons inutilisables.
Des prisonniers ont été faits par les Allemands, notamment des blessés qui, dans le mouvement de repli, n'ont pas pu être tous évacués.
De notre côté, nous avons fait un nombre important de prisonniers, non blessés, appartenant à des bataillons de sept régiments différents.
Il s'agit, en résumé, d'un succès partiel de nos adversaires, qui ne saurait pas avoir d'influence sur l'ensemble des opérations.
En effet, en raison de l'obstacle de l'Aisne et des dispositions que nous avons prises, l'ennemi est dans l'impossibilité d'exploiter sur la rivière un succès qui a un caractère purement local.
Sur le reste du front, rien à signaler.

A NOTRE TOUR
Notre infanterie les bouscule. - Notre canon les fait taire ou démolit leurs batteries.

Paris, 15 janvier, 15 h. 15.
De la mer à la Lys, combats d'artillerie, quelquefois assez vifs. Nous avons progressé près de Lombaërtzide et près de Bocelaere.
Au nord d'Arras, une brillante attaque des zouaves a enlevé à la baïonnette les positions ennemies voisines de la route Arras-Lille.
Dans la même région à la Targette et à Saint-Laurent, ainsi qu'au nord d'Andéchy, dans la région de: Roye, notre artillerie a pris l'avantage sur celle de l'ennemi, dont les batteries ont été réduites au silence ; deux pièces ennemies ont été démolies ; nous avons fait exploser un dépôt de munitions et détruit des ouvrages en construction.
A deux kilomètres au nord-est de Soissons, les Allemands ont attaqué Saint-Paul. Ils y sont entrés, mais nous l'avons repris aussitôt.
Dans la région de Craonne et de Reims, combats d'artillerie violents au cours desquels les batteries ennemies ont été fréquemment réduites au silence Dans la région de Perthes, dans l'Argonne et sur les Hauts-de-Meuse, rien d'important à signaler. Nous avons détruit les passerelles établies par les Allemands sur la Meuse, à Saint-Mihiel, et repoussé, dans le bois d'Ailly, une attaque dirigée contre les tranchées prises par nous le 8 janvier.
Dans les Vosges, au sud de Senones, nous avons, dans un vif combat d'infanterie, bousculé les Allemands, coupé leurs réseaux de fils de fer et comblé leurs tranchées.
Sur le reste du front, rien à signaler.

GUERRE DANS LES AIRS
Tirs contre Avions

Quand les tauben ont survolé Nancy, des mesures de police invitèrent les badauds à suivre le tir de l'artillerie contre ces visiteurs boches en assistant au spectacle derrière leurs fenêtres On ne saurait trop encourager les agents, qui dispersaient jadis avec énergie d'inoffensifs rassemblements, à prodiguer les mêmes conseils si, par hasard, les aviateurs d'outre-Rhin veulent encore goûter les charmes de notre réception.
Il faut, en effet, dans ce genre de feu d'artifice, craindre la chute des baguettes - sous la forme de culots pesant trois à quatre kilos.
Un de nos amis mobilisés adresse au journal une lettre sur ce sujet ; nous pensons qu'il est utile et prudent de la reproduire :
«  Monsieur le Rédacteur, J'ai eu le plaisir de lire un article qui rassure les Nancéiens sur l'effet que peuvent produire les obus tirés sur les avions qui survolent notre ville.
Je suis un fidèle lecteur de votre journal et aussi un vieil artilleur. Je me permets de vous faire remarquer qu'il y a un certain danger à regarder canonner un avion quand il se trouve à peu près au-dessus de l'endroit qu'il occupe.
Généralement, les canons employés à ce tir sont nos 75, soit pièce habituelle de campagne, soit auto-canon.
Le projectile qui détermine le petit nuage blanc est un obus à balles qui, au moment où il éclate, projette en avant, quelques centaines de balles, l'ogive et la fusée.
Le corps de l'obus (ou culot) est sensiblement arrêté dans sa course par l'explosion ; il fait «  canon » et tombe aux environs de l'endroit au-dessus duquel il a éclaté.
L'ogive avec la fusée pèse plus d'un kilo, le corps de l'obus de trois à quatre kilos.
Inutile de vous dire qu'en tombant d'une hauteur de quinze cents à deux mille mètres, chacun de ces morceaux blesserait mortellement la personne sur laquelle ils tomberaient, l'un ou l'autre.
Je crois qu'il serait urgent de dire à nos compatriotes qu'il est dangereux de mettre le nez en l'air sous un taube ou un avion boche quelconque : il ne peut leur tomber dessus que des choses désagréables.
D'autre part, il ne faut pas exagérer le danger qui existe ; je suis resté sur le front pendant plus de quatre mois et j'ai vu des centaines de tirs sur avions, soit par le canon français sur les tauben, soit par le canon allemand sur nos avions et je n'ai pas entendu signaler un seul accident causé par la chute de ces projectiles éclatant en l'air, à des gens, civils ou militaires, dans la région où nous nous trouvions.
J'ajoute que nous étions en rase campagne, mais que, dans une agglomération comme Nancy, les chances d'accidents sont plus grandes. - A. N.
Les observations et les sages recommandations de notre correspondant méritent d'autant mieux d'être aujourd'hui prises en considération que l'on a ramassé, sur divers points de Nancy, les éclats de shrapnells et les culots de plusieurs obus tirés sur les deux tauben de mercredi matin.
Les avions boches n'ont fait de nombreuses victimes à Dunkerque, l'autre jour, qu'en raison de l'affluence des curieux massés dans les rues.
Que les badauds restent donc chez eux !

Les Projecteurs
Le mieux serait-il vraiment pour certains esprits l'ennemi du bien ?
On voulait des canons, des projecteurs, que sais-je ? afin que la défense de Nancy inspirât partout un sentiment profond de sécurité.
Après la magnifique résistance des ouvrages du Grand-Couronné aucune transe, aucune émotion ne devrait percer dans les conversations, où revient encore cette question :
«  Croyez-vous qu'ils viendront ? »
Un de nos confrères parisiens proposa jadis avec beaucoup d'esprit un impôt sur les phrases inutiles ayant trait à la durée de la guerre, aux rigueurs de la saison, aux résultats de la dernière escarmouche en Pologne, etc...
Eh non ! ils ne viendront pas à Nancy.
Le jour et l'occasion ont passé. Plus d'alarmes vaines. Alors que la capitale lorraine s'offrait comme une proie relativement facile à leurs premiers appétits de conquête, les Boches ont dû se retirer sur la Seille. Ils y sont toujours. Quand ils quitteront leurs tranchées ce sera pour ramener en arrière des troupes harcelées, talonnées, poussées la baïonnette aux reins.
Toutefois les auteurs de, phrases inutiles répètent qu'abondance de précautions finit par nuire, qu'en multipliant, les projecteurs on évite Charybde pour échouer dans Scylla, que le mieux devient, en somme, l'ennemi du bien !
Ecoutez-les :
- Les projecteurs, en croisant leurs feux, servent à repérer de loin Nancy. Les projecteurs n'éclairent point au delà de l'écran des nuages. Les projecteurs n'empêchent point un zeppelin de se cacher dans la brume et de naviguer en s'orientant d'après les postes lumineux qui guideront leur marche. Et patati, et patata. »
La conclusion, vous la devinez : on préconiserait volontiers un retour à l'ancien état de choses, à cette confiance dont Nancy se plaignit si amèrement.
Or, un officier d'artillerie, que nous avons consulté à ce sujet, nous répond en ces termes qui dissiperont toutes les inquiétudes :
«  - Au début de la guerre, nous employions rarement les projecteurs. Au contraire, les Allemands, notamment en Woëvre, en faisaient un très fréquent usage. Nous nous sommes très vite rendu compte que, s'ils aident à distinguer le but et à régler le tir presque sans tâtonnements, l'adversaire, aveuglé, peut braquer ses pièces dans la direction des projecteurs, mais sans que les chefs de batteries puissent évaluer la distance : les coups sont invariablement trop longs ou trop courts.
Quant à craindre que le croisement des faisceaux lumineux sur Nancy désigne de loin la ville aux zeppelins, favorise l'orientation de leur marche, indique plus sûrement les quartiers où ils jetteront leurs bombes, ah ! pour le coup, je suis à bout d'arguments sérieux. »
En résumé, il faut s'abstenir pendant le jour de fréquenter les endroits où il n'y a rien de bon à recevoir sur la tête et il faut se convaincre pendant la nuit que la vigilance des projecteurs préserve notre ville d'une fâcheuse entrée en scène des zeppelins sur le théâtre de la guerre aérienne.
Le traitement est pratique, efficace, économique, commode à suivre - même à domicile !
ACHILLE LIÉGEOIS.

LES TAUBEN

Lunéville, 16 janvier 1915.
Mercredi, comme Nancy, Lunéville a reçu la visite des Tauben. Trois ont survolé la ville à une très grande hauteur.
Deux sont venus vers 8 heures du matin, et le troisième à 2 h. 30 de l'après-midi.
Le dernier venait du nord-ouest. Seul, il lança deux bombes qui tombèrent au Champ-de-Mars sans causer ni dégâts ni victimes. L'oiseau noir s'éleva aussitôt et disparut dans le ciel, poursuivi par nos obus.

RECONNAISSANCE D'AVIONS

Bâle, 16 janvier.
Du «  Journal de Genève » :
N'ayant guère de faits d'armes à raconter pour vendredi, les dépêches allemandes s'attachent aux reconnaissances d'aéroplanes.
Des avions allemands ont survolé Belfort sans tenter le bombardement, et, grâce à la hauteur où ils se sont tenus, ils ont échappé à la fusillade dirigée contre eux.
D'autre part, huit avions français ont exploré le pays. L'escadrille s'est séparée près d'Altkirch. Les uns sont partis du côté d'Istein sans franchir la ligne du Rhin ; les autres sont allés vers le nord jusqu'à Colmar et ont survolé le Wesserlingerthal.
Vers 4 heures, deux avions planaient sur Mulhouse. Au bruit de la fusillade, croyant à l'approche des Français, toute la population se rassembla sur les places, en dépit des ordres du commandant de place et du chef de police.
La violente canonnade de vendredi après-midi, très distincte à Bâle, est attribuée à une attaque française contre les positions allemandes dans les environs de Seppois, où des fermes ont été incendiées.
Les fugitifs de Cernay, ne pouvant tous être hospitalisés à Mulhouse, sont dirigés sur la Basse-Alsace et sur le grand-duché de Bade, notamment à Fribourg et Neustadt, dans la Forêt-Noire. A Colmar, on a mis à la disposition des réfugiés l'école de Sainte-Catherine.
Comme exemple de misère et de dévouement, on cite le cas d'un jeune garçon orphelin de père et de mère qui a emporté à pied, dans son sac de montagne, de Cernay à Mulhouse, sa petite soeur âgé de trois mois.

EN LORRAINS

Nancy, 16 janvier.
- Mais enfin, éternel mécontent, que réclamez-vous encore ?
Mon ami, sans s'impatienter, répliqua :
- Peu de chose. Et beaucoup. Nous sommes majeurs. Nous demandons à être traités autrement que des enfants en bas âge.
Nous sommes les êtres les plus disciplinés qui soient sur la terre. Il est bien inutile qu'on nous commande la discipline quand nous l'acceptons librement et de plein coeur.
Nous avons le patriotisme le plus ardent et le plus éclairé qu'on puisse imaginer. Tout le monde est d'accord là-dessus. Cela résulte assez naturellement de notre situation ethnique, d'un caractère formé par des siècles de fortes traditions, par les nécessités matérielles et morales de notre vie, de la menace constante de l'invasion aujourd'hui arrêtée comme elle le fut si souvent dans le passé, de notre position de combat aux confins de la race latine et de la race germaine. Alors nous n'avons pas de leçons de patriotisme à recevoir. Nous n'en recevons de personne. Personne n'a pouvoir de nous en donner.
Notre race lorraine est robuste. Elle est en parfait équilibre. Elle a subi les pires tourments, les épreuves les plus cruelles. Elle accomplit son destin à travers les pillages, qui ne l'ont pas ruinée, les meurtres, qui ne l'ont pas épuisée, les incendies, qui ne l'ont pas calcinée.
Elle renaît de ses cendres. Pratique, elle a mis au bilan de son existence l'obligation de reconstruire de temps en temps sa maison rasée par l'ennemi. Elle ne s'étonne pas plus du désastre qu'elle ne s'émerveille de la renaissance.
Pourquoi nous plaint-on avec des paroles abondantes au lieu de nous apporter une aide efficace ? Le verbiage n'est pas de l'éloquence, pi l'agitation de l'action.
Les villageois sont restés dans leurs villages jusqu'à la dernière minute, quelques-uns, hélas ! pour y subir un sort lamentable. Leur conseiller de retourner dans leurs communes où leurs maisons sont brûlées, les bêtes dispersées ou tuées, les récoltes ravagées, les meubles détruits, et où d'ailleurs l'autorité militaire refuse avec raison de les accepter, c'est les traiter en enfants qui ont déserté l'école. Etait-ce le moment ? Ils savent bien, que diable, ce qu'ils ont à faire.
A Nancy qui, dans les plus tragiques circonstances, a conservé le sourire, on a recommandé la bonne humeur. Les Nancéiens ont regardé partir un certain nombre d'administrations vers la seconde décade d'août. Ils n'ignoraient pas que les Allemands étaient tout proches, et que d'une bataille dont personne ne pouvait escompter avec certitude un résultat heureux dépendait le sort de leur ville. Ils ont laissé partir les administrations, ont admiré les belles automobiles sous pression, ont renvoyé quelques femmes et quelques jeunes filles, - mesure très sage, - et ont attendu.
Nos soldats ont retenu l'ennemi sur le Grand Couronné, et nous ont prouvé que nous avions bien fait. Est-ce que nous n'avons pas là commencé à prouver à ceux qui ne nous connaissent pas que nous sommes à l'épreuve du fer et du feu ?
Un Taube déposait une bombe sur la place de la Cathédrale, et tuait deux personnes. Pourquoi nous le cacher, comme si nous n'étions pas capables de résister à de pareilles émotions ?
Une nuit d'orage nous recevons une soixantaine d'obus. A peine le sinistre vrombissement des explosifs s'était-il apaisé que la foule était dehors pour porter secours aux sinistrés si cela était nécessaire. Le lendemain on supprimait à la première heure les journaux lorrains qui parlaient de cela.
Est-ce que, ayant assez de courage pour supporter gaillardement un bombardement, nous n'en avons plus assez pour lire dans les gazettes ce que nous avons vu, entendu et subi sans défaillance ? Nous sommes donc de petits nerveux qui résistent aux terreurs de l'obscurité, et s'épouvantent des jeux de la lumière !
Depuis nous avons eu des Taubes, un Zeppelin, des bombes, des fléchettes. Ils ont commis des dégâts, tué des innocents. On aurait dû le crier très haut puisque ces crimes soulèvent contre l'atroce ennemi la conscience du monde civilisé et nous attache davantage la sympathie universelle.
On a eu peur que nous ayons peur. On ne veut pas comprendre que la façon la plus propre à maintenir notre tranquille courage est encore de dire la vérité.
Et comme de pauvres enfants dolents on nous a bercés dans un balancement de phrases pittoresques qui devait nous procurer un repos exempt de cauchemars.
Je trouve qu'on exagère. J'estime que nous valons mieux que cela. Je suis agacé qu'on me fasse la leçon une fois la semaine au moins, par le silence quelquefois, et plus souvent, trop souvent par la parole.
- Bref on entoure votre coeur des soins les plus délicats, et vous en êtes froissé ?
- Vous l'avez dit. Trop de soins. Trop de soins. Nous sommes accoutumés à moins de sollicitude.
- Qu'est-ce que vous désirez en somme ?
- Qu'on nous connaisse. Nos yeux ont l'habitude de découvrir la vérité, et de la fixer sans chavirer. Je demande qu'on nous traite en hommes, en Lorrains.
RENÉ MERCIER

LEUR ÉCHEC DANS LA
Région de Flirey
UN AUTRE AU NORD DE CLEMERY

Paris, 16 janvier, 15 h. 20.
En Belgique, combats d'artillerie dans la région de Nieuport et d'Ypres.
De la Lys à la Somme, à Notre-Damede Lorette, près de Carency, l'ennemi a réoccupé une partie des tranchées qu'il avait perdues le 14 janvier.
A Blangy, près d'Arras, nos progrès ont continué. L'ennemi a prononcé une attaque énergique, précédée d'un violent bombardement sur nos positions à l'ouest de La Boisselle. Nous avons repoussé cette attaque.
Sur tout le front, de la Somme à la Meuse, aucune action d'infanterie.
Dans les secteurs Soissons-Reims, notre artillerie a obtenus des résultats appréciables sur plusieurs points (dispersion d'un régiment en voie de rassemblement ; explosion dans une batterie ennemie ; démolition d'un ouvrage).
En Argonne, action assez intense de l'artillerie ennemie sur Fontaine-Madame.
De l'Argonne aux Vosges, échec complet d'une attaque assez vive dirigée contre nos tranchées, à Flirey, et évacuation par les Allemands, en raison du tir de notre artillerie, d'une crête au nord de Clémery (à l'est de Pont-à-Mousson).
Dans le secteur des Vosges, combat d'artillerie sur tout le front, avec quelques fusillades, notamment à la Tète-de-Faux.
Aucun changement en Haute-Alsace.

PETIT A PETIT

Paris, 17 janvier, 0 h. 32.
Voici le communiqué officiel du 16 janvier, 23 heures : Rien d'important n'a été signalé si ce n'est que nos troupes se sont emparées d'une nouvelle tranchée aux abords de Perthes et d'un bois à deux ou trois mètres en avant de nos lignes, au nord de Beauséjour.

L'ODYSSÉE D'UN MAGISTRAT NANCÉIEN
Interview de M. Limon

Nancy, 17 janvier.
Vacances interrompues
La guerre a jeté le trouble dans les Vacances de M. Limon, magistrat honoraire, dont une note brève annonçait, hier, en trois lignes le retour à Nancy.
Tous les ans, après la revue des troupes de notre garnison, M. Limon bouclait ses malles et partait pour Alberstroff. Un château qui se souvient des Suédois, un vaste domaine, des bois magnifiques, des étangs où abonde le gibier aquatique, tous les charmes d'une heureuse villégiature l'attendaient. On retrouvait bientôt la société de l'autre saison ; de fidèles amis revenaient ; entre autres M. M..., professeur cens un lycée parisien ; M. l'abbé Cl..., de l'école Fénelon, des fonctionnaires, des voisins, des amis personnels.
Mais cette année, quelques défections se produisirent. Une vague inquiétude se dégageait des événements. La tension franco-allemande s'aggravait. Plusieurs invités de M. Limon restèrent chez eux.
- Mes amis n'avaient que trop raison, déclare M. Limon, que nous avons interviewé pour obtenir des renseignements sur son séjour au milieu des Boches. Moi, je lisais les journaux. Un certain optimisme régnait encore. On espérait une solution qui garantirait la paix pour quelque temps. La diplomatie arrangerait les choses... Chaque soir, à la table de famille, j'agitais ces questions avec ma femme et ma fille. Hélas ! je reconnais que mes amis eurent raison de bouder les pays annexés ; leurs pressentiments ne les trompaient pas... Ah ! si j'avais su... »
Bientôt il fut trop tard pour prendre une décision. On surveillait étroitement les étrangers. Tout visage nouveau devenait suspect. Les routes s'encombraient de police et les gares de gendarmerie. Quoiqu'il fut dans son canton un des plus gros propriétaires, M. Limon sentait autour de lui une sourde hostilité ; peu à peu l'opinion s'ameutait autour de lui.
A quel parti s'arrêter ? Partir ou rester ? Pour sortir de ses perplexités, le magistrat adressa au Kreisdirektor une dépêche exposant sa situation. La réponse vint. Elle conseillait de rester et annonçait que l'administration statuerait ultérieurement sur le cas qu'on lui soumettait.

Nous sommes civilisés
Huit jours plus tard, le Kreisdirektor quittait sa bonne ville de Château-Salins pour faire dans la région une tournée de visites officielles et constater de près sans doute les premiers résultats de la mobilisation.
A Alberstroff, il descendit chez le maire où il consentit à recevoir M. Limon, soucieux de regagner la frontière sans trop d'embarras.
Le haut fonctionnaire montra une arrogance inflexible
- Restez ici, Monsieur... Que craignez-vous ? N'êtes-vous pas aussi bien que dans votre pays ? Je tiens personnellement à vous prouver que notre peuple vaut mieux que le vôtre. Oui, Paris a chassé les Allemands, les a expulsés à coups de pied au derrière. Eh bien, loin d'user de représailles, je vous prouverai, Monsieur, que nous ne sommes pas des gens de sac et de corde, ni des barbares, ni des sauvages, comme on le prétend en France... Nous sommes civilisés, Monsieur. Restez ici... Je vous enverrai les autorisations nécessaires. »
M. Limon était condamné aux vacances forcées. L'espace lui manquait. Des restrictions limitèrent bientôt sa liberté. Comme l'Aiglon à Schoenbrunn, il n'était pas un prisonnier, mais...
Mais on lui défendit de pousser ses promenades jusqu'aux localités voisines de Léning, de Réning, d'Insming et de Nesling ; mais on fixa à un kilomètre environ ses sorties sur les cinq routes qui s'éloignent d'Alberstroff ; mais on lui défendit de regarder le mouvement des troupes.
Bref, l'honorable magistrat n'était pas prisonnier, mais il eut tout juste le droit de rêver entre les quatre murs de son jardin et d'y conduire dans les allées un brave petit poney que les règlements boches rendaient presque aussi malheureux que la chèvre de M. Seguin.
D'une santé chancelante, très éprouvé par les crises d'une affection cardiaque exigeant les plus grands ménagements, M. Limon devait s'épargner les émotions trop vives, les spectacles trop impressionnants, les mouvements d humeur. On avouera que le contact avec les fonctionnaires du kaiser n'était guère fait pour hâter sa convalescence.
Un charitable avis du garde champêtre aurait détruit leurs suprêmes illusions, si, par hasard, M. Limon et sa famille avaient pu supposer qu'ils jouiraient d'un traitement de faveur.
- Ne bougez pas, leur disait-il. Malgré la signature du Kreisdirektor, malgré les sceaux officiels sur les plus beaux papiers du monde, on vous arrêtera un matin sous un prétexte quelconque. et vous serez tous fusillés. »

La bataille de Morhange
Autour d'eux le réseau des surveillances so resserrait étroitement. Le château était gardé à vue. Quand une visite se présentait, elle réservait quelque humiliation nouvelle. M. le percepteur raillait avec urne légèreté d'esprit adorable en fournissant par exemple mille détails sur le remarquable fonctionnement des services d'espionnage.
- Nous connaissions ici la marche de vos troupes sur Morhange... Nous étions prévenus exactement de leur entrée dans Château-Salins, deux heures avant leur arrivée dans cette ville... »
M. Limon assista aux tristes événements du 20 août ; il vit notre armée établir ses avant-postes dans la région ; il écouta pendant toute la nuit l'incessant roulement des trains qui amenaient en masses compactes les renforts de Metz ; il suivit les premières escarmouches vers les hauteurs de Marimont :
- Un officier français passe auprès de nous, dit-il, tandis que nous observions sur la lisière des bois les effets de la fusillade et des charges : «  Attention, mesdames et messieurs, cria-t-il gaiement. Le bal va commencer !... Comme si ses paroles en donnaient le signal, une effroyable volée d'obus s'abattit dans notre direction et l'on n'eut que le temps de se réfugier précipitamment dans les caves...
Hélas ! le bal dura peu.
M. Limon pensait que nous occuperions solidement Montdidier. Notre artillerie eût exercé une action efficace sur les gares de Lening, au nord, de Nébing, au sud, de Neufvillage et surtout de Benestroff, à l'ouest, gardant les positions d'où, à son avis, les Allemands ne nous auraient délogés qu'au prix de pertes énormes
- Les régiments venus de Metz, dit il, donnaient à l'ennemi un avantage écrasant. Nous n'avions qu'à battre en retraite, qu'à nous replier devant eux jusqu'à la frontière... »
Parfois des convois de blessés, de prisonniers passaient, épuisés de fatigue.
Un médecin-major de l'hôpital de Dieuze eut la cruauté, malgré un soleil brûlant, malgré la poussière qui leur desséchait la gorge, malgré leur souffrances, de refuser à nos malades une goutte d'eau. Il ricanait, il se réjouissait de voir «  crever les sales Français » ; il montrait dans la haine une telle fureur, une telle exaspération qu'il effrayait M. Limon :
- J'ai eu l'impression qu'un tel bandit était capable des pires atrocités et qu'il a dû semer son chemin de victimes sans nombre. »
Parfois l'administration molestait ceux qui gardaient pieusement au fond du coeur une affection fidèle, un culte vivace et profond pour l'ancienne patrie ; on les obligeait à quitter le pays.
Pourtant un digne Lorrain, âgé de 92 ans, trouva grâce aux yeux des tortionnaires.
- Je n'ai plus que peu de jours à vivre. Ma place est marquée dans notre petit cimetière... Accordez-moi la faveur de m'y reposer... »
Les Allemands s'inclinèrent devant le voeu du vénérable vieillard.

En route pour Baden-Baden
Dès lors, les vacances d'Alberstroff perdirent l'espoir d'une joie, l'illusion d'un retour triomphant des Français Mme Limon connut l'inquiétude, l'appréhension d'une guerre qui durerait longtemps, un an, deux ans peut-être, privant le pays de denrées, de pétrole, de nouille, de provisions ; elle conseilla le départ.
- «  Tâchons de gagner Baden-Baden... Le régime et le climat du pays, dit-elle à son mari, te rendront des forces. Tu y vivras dans le calme. Il faut quitter la Lorraine... »
Ce que fut un tel voyage, le distingué magistrat en fait le récit avec un frisson. Insultes, menaces l'accueillirent à chaque arrêt. On se ruait sur sa famille et sur lui ; on proférait d'ignobles outrages ; on crachait au visage des femmes sans défense ; une effervescence, un déchaînement des plus basses passions marqua leur passage dans les gares de Sarrebourg et de Strasbourg.
Enfin, on atteignit Baden-Baden. Mêmes rumeurs. Même hostilité. Les agents feignaient de protéger les touristes : - Parlez-nous en allemand... On ne parle qu'allemand ici... Montrez vos papiers. Ouvrez vos malles, afin que nous voyions si vous me cachez pas de revolver dans votre linge. »
Les formalités de la douane, les investigations de la police s'accompagnaient de bourrades, de nouvelles injures contre les «  cochons de Franzozes ».
Le séjour dans cette station hospitalière fut une forme imprévue de la captivité pendant un mois, jusqu'au jour où un de nos aviateurs ayant lancé des bombes, près de là, sur un hangar de zeppelins, à Poss, un ordre fut aussitôt donné d'évacuer les baigneurs français
- Nous eûmes le temps de faire connaissance. raconte M. Limon, avec un négociant de Sarrebourg, un patriote qui n'a jamais caché sa sympathie pour la France. Son nom a été souvent prononcé. Il s'appelle Gérard. Un matin, on le convoqua au commissariat et, sans lui fournir aucune explication, M. Gérard fut enfermé dans la geôle, traîné ensuite dans les prisons de Bitche et de Strasbourg, envoyé à Baden, par mesure de clémence... »
Surveillés de près, M. Gérard et les annexés d'Alsace-Lorraine vécurent des jours tristes. Quand l'ordre d'évacuation leur fut signifié, on leur laissa le choix entre fois villes où ils pourraient se réfugier soit en Saxe, soit en Hanovre.

La délivrance
En raison de a gravité de son. état, M. Limon obtint la faveur de se rapprocher de la frontière suisse. Il exprima le désir de continuer sa cure à Triber, en pleine Forêt-Noire, quoique l'humidité et les rigueurs du climat fussent plutôt pernicieuses - et c'est là qu'il attendit impatiemment sa délivrance.
Elle vint, cette délivrance.
Malgré les certificats médicaux ; malgré de pressantes démarches auprès de nos représentants, le malade ne dut son «  exeat » qu'à la rivalité qui dressait l'une contre l'autre la police de Triber et la sous-préfecture de Mannheim.
Ce que l'intervention du consulat d'Espagne n'avait pu obtenir, la sous-préfecture de Mannheim l'accorda pour le malin plaisir de jouer un tour à la police locale :
- Cette chicane politique nous, sauva. conclut M. Limon... Munis de nos passeports bien en règle, nous franchissions la frontière suisse à Schaffouse ; puis nous rentrions à Nancy, par Bâle et Delle, non sans avoir fait connaissance, dès notre arrivée sur le territoire français, avec la
maussade humeur de certains fonctionnaires. On nous traita en suspects ; un pénible interrogatoire, l'exhibition, de nos pièces d'identité, les références les plus convaincantes parvinrent difficilement à dissiper les doutes de ces fonctionnaires sans délicatesse pour les exilés si heureux de fouler le sol natal... »
Mais ces misères sont oubliées et la sereine philosophie du magistrat envisage seulement a cette heure un glorieux retour vers le bois, les étangs d'Alberstroff, où il fait si bon chasser avec des amis, pendant les vacances.
ACHILLE LIEGEOIS.

UNE BONNE JOURNÉE
Toutes leurs attaques repoussées notamment au bois Le Prêtre

Paris, 17 janvier, 15 h. 30.
Nous avons continué à progresser dans la région de Nieuport et de Lombaertzide, sur une profondeur de deux cents mètres environ.
Notre artillerie a obligé les Allemands à évacuer leurs tranchées de la Grande-Dune. Elle a détruit le redan qui se trouve au nord de celle-ci, et bombardé les ouvrages ennemis sur cette partie du front et au sud de Saint-Georges.
Dans la région d'Ypres comme dans celle de La Bassée et de Lens, combats d'artillerie.
A Blangy, près d'Arras, action assez vive. Les Allemands s'étaient emparés de la fonderie de Blangy, nous la leur avons reprise aussitôt par une énergique contre-attaque et nous nous y sommes maintenus.
Notre artillerie a continué à démolir les tranchées ennemies près de La Boisselle.
Dans le secteur de Soissons, rien à signaler.
Entre Vailly-sur-Aisne et Craonne, l'ennemi a prononcé, sans succès, une attaque près de la sucrerie de Troyon. Une autre attaque contre nos tranchées de Beaulne a été repoussée.
Dans la région de Perthes et de Beauséjour, notre progression a continué, malgré une violente tempête.
Dans l'Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre, rien de nouveau.
Au bois Le Prêtre, près de Pont-à-Mousson, une attaque allemande a été repoussée.
Dans les Vosges, nous avons gagné du terrain à l'ouest d'Orbey. La neige est tombée en abondance toute la journée.

Paris, 18 janvier, 0 h. 45.
Communiqué du 17 janvier, 23 heures : Rien à signaler. De l'Argonne aux Vosges, chute de neige.

LA GUERRE ET L'INDUSTRIE DE LA RÉGION DE BRIEY

De l' «  Information » :
L'armée ennemie occupe encore aujourd'hui tout le bassin minier de Briey et la région de Villerupt, qu'elle envahit, on s'en souvient, aux premières journées du mois d'août. On s'est demandé ce qu'il était advenu des exploitations et usines de cette région, dans lesquelles de considérables capitaux français ont été engagés, et qui, pour un bon nombre, sont la propriété de grandes firmes métallurgiques. Nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos lecteurs quelques informations à leur sujet.
Tout d'abord, il convient d'observer que notre plan militaire ne comportait pas la défense du bassin de Briey. Aucun combat n'a donc été livré à l'est de la ligne de Conflans-Jarny à Longuyon (section de la ligne de Nancy à Charleville), et au sud de la ligne de Longuyon à Audun--leRoman.
Nos exploitations n'ont donc pas eu à souffrir de bombardements effectués par l'une ou l'autre armée.
D'autre part, on sait que les Allemands avaient dans la région de Briey d'importants intérêts, et qu'ils tiraient de nos gisements des ressources en fer assez élevées. On n'ignore même pas qu'ils regardaient le bassin avec une certaine convoitise. Leur premier soin, en arrivant dans le pays, a donc été non de détruire, mais d'organiser. L'esprit qui a présidé à cette «  organisation » se manifeste dans le choix de l'homme chargé de poursuivre l'activité industrielle du bassin. La direction générale des mines et usines a été confiée à M. le professeur von Kolhmann, directeur de l'école des mines de Thionville, et l'auteur de plusieurs travaux sur les minettes lorraines. M. Kolhmann est un savant minéralogiste et un administrateur réputé en Alsace-Lorraine. On peut admettre qu'il aura pris toutes mesures pour maintenir les mines en bon état.
D'ailleurs, nous savons que les hauts-fourneaux de Micheville sont intacts ; les puissantes usines de Joeuf (de Wendel) et d'Homécourt (Aciéries de la Marine) ont été placées sous séquestre. On les entretient mais aucun travail du fer n'y est pratiqué.
L'usine d'Aubrives-Vililerupt, à Villerupt, n'a pas été davantage endommagée. Les mines de fer sont également en bonne position. A Saint-Pierremont et à La Mourière, l'exploitation, quoique réduite, a été maintenue. Le courant électrique est fourni à Saint-Pierremont par les mines de charbon de la Houve. La mine de La Mourière, d'un autre côté, fait l'épuisement à Pienne (Nord et Est), à Joudreville (Mokta-el-Hadid) et à Amermont. Nous n'avons pas de données précises sur les autres mines, mais nous devons conserver toute tranquillité à leur sujet. On sait que les aciéries de Longwy ont été épargnées. Les mines de Tucquegnieux doivent être également intactes. Les mines de Vailleroy n'ont pas dû être endommagées.

SORT DE PARUX
[NDLR : les dates sont fausses ; c'est le 10 août 1914 et non le 3 que les Bavarois saccagent Parux]

Une réfugiée adresse au «  Bulletin de Meurthe-et-Moselle » la relation ci-dessous du pillage et l'incendie de Parux, village de 200 habitants, situé à 5 kilomètres de Cirey-sur-Vezouze (arrondissement de Lunéville) :
«  Dès le mercredi 29 juillet, dans l'après-midi, des patrouilles de uhlans avaient franchi le territoire français et leur présence était signalée dans les bois des communes de Parux et de Petitmont.
«  Le lundi 3 août, à 8 heures du matin, 200 à 300 fantassins bavarois pénètrent dans Parux, font évacuer les maisons et rassembler les habitants dans l'église, après avoir fusillé, sans jugement et sous le faux prétexte que des coups de feu avaient été tirés sur eux : MM. Victor Petit fils (40 ans), son beau-frère, Jean Zan Zotera, sujet italien (40 ans), J-B. Petit fils (58 ans) et Joseph Martin (35 ans).
«  A 9 heures, après avoir méthodiquement déménagé les meubles et autres objets de quelque valeur, les soldats procèdent à l'aide de pastilles incendiaires lancées sur les toits à la destruction des maisons, sans en évacuer le bétail, puis font sortir les prisonniers de l'église. Les femmes et les enfants sont conduits sous escorte dans un pré, d'où ils ont la douleur de contempler le spectacle des flammes dévorant l'église, leurs maisons et leurs récoltes, sans autre nourriture que quelques morceaux de pain et de biscuits, que, pris de pitié, les soldats leur donnent en cachette de leurs chefs ; de l'artillerie passe dans le village et se dirige sur Badonviller.
«  Vers 6 heures du soir, le R. P. Camille Perrin, eudiste, desservant la commune, pendant Les vacances, en remplacement du curé s'informe du sort réservé à ses paroissiens ; un officier lui répond qu'il «  ne sera pas fait de mal aux femmes », et offre de les diriger à leur choix sur Cirey ou Petitmont. A l'unanimité, les malheureuses demandent à aller à Cirey.
«  Les femmes et les enfants, l'abbé Perrin, en tête, entourés de soldats en armes, sont conduits à Cirey où, arrivés à huit heures, ils sont parqués dans les différentes salles de l'hôtel de ville ; de la paille et quelques matelas sont fournis par les habitants qui distribuent du lait aux enfants ; à 11 heures, les Allemands apportent de la soupe (viande concentrée et légumes) et engagent les prisonniers à en manger après l'avoir goûtée au préalable.
«  Le lendemain 4 août, les malheureux se voient octroyer la permission de sortir jusqu'à 4 heures du soir ; les habitants de Cirey leur procurent de la nourriture. Le 5, la surveillance des Allemands se relâchant, plusieurs prisonniers ne réintègrent pas l'hôtel de ville ; les uns restent à Cirey chez des parents, les autres regagnent Parux et ont la douleur atroce de constater que l'incendie a dévoré en totalité, avec l'église dont les cloches sont fondues, 45 maisons sur 55.
«  Un certain nombre ne sachant où aller ne quittent pas Cirey et les habitants pourvoient à leur entretien.
«  Si les femmes et les enfants n'ont subi aucun mauvais traitement, on le doit dire, les hommes furent moins favorisés ; après avoir été menés par quatre, les mains liées, dans un pré, ils y séjournèrent, sans aucune nourriture, toute la journée du 3 août et la nuit suivante. A la suite des démarches de l'abbé Perrin, dont la dignité et la fermeté furent au-dessus de tout éloge, le 4, dans la matinée, ils furent conduits sous escorte à Cirey où ils purent circuler librement. Pour eux aussi, la charité des habitants de Cirey, suivant l'exemple du maire, le comte de Guichen, adoucit quelque peu leur infortune.
«  Le maire de Parux, Léon Laquemaire, fait prisonnier le lundi matin, fut emmené par les Allemands et retenu pendant trois jours ; l'adjoint, Alexandre Maire, blessé à la tête par un cheval bavarois, ne reçut aucun soin. »
Ajoutons que l'abbé Perrin fut molesté par les Allemands dans des circonstances et des conditions inconnues de notre correspondante ; son décès a été signalé par l' «  Echo de Paris », dans son numéro du 7 décembre (Rubrique : «  Morts au champ d'honneur »), dans les termes suivants :
«  Le R. P. Perrin eudiste, mort dans la région de Cirey des suites des mauvais traitements que lui infligèrent les Allemands pendant l'occupation, le pillage et l'incendie du village de Parux. »
A noter enfin que les quelques maisons de Parux qui avaient échappé à l'incendie du 3 août furent plus tard dévastées, pillées et incendiées par les Vandales ; le village n'existe plus.

DE LA BELGIQUE A L'ALSACE
Tempête en Belgique et neige en Vosges. Nous leur enlevons des ouvrages au bois Le Prêtre et ils bombardent Thann.

Paris, 18 janvier, 15 h. 10.
De la mer à l'Oise, tempête violente, surtout en Belgique. Combats d'artillerie sur certains points.
Près d'Autrèche (nord-est de Vic-sur-Aisne), deux attaques allemandes ont été repoussées.
Dans les secteurs de Soissons et de Reims aucun changement.
Dans la région de Perthes, tir très efficace de notre artillerie sur les positions ennemies.
En Argonne, les attaques allemandes sur la cote 263 (ouest de Boureuilles) sont restées sans résultat.
Nous nous sommes emparés de plusieurs ouvrages allemands au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dans la seule partie du bois Le-Prêtre qui soit encore aux mains de l'ennemi. Nous avons ensuite repoussé une contre-attaque et maintenu tous nos gains.
Dans les Vosges, abondante chute de neige.
L'ennemi a bombardé Thann, sans résultat sérieux.

CHEZ LES RÉFUGIÉS DU PAYS DE BRIEY

Nancy, 18 janvier 1915.
Une importante réunion des réfugiés du pays de Briey a eu lieu dimanche, à quinze heures, dans la salle principale de la Brasserie Saint-Jean.
Environ deux cents personnes ont répondu à la convocation qui leur était adressée.
Heureux de se retrouver momentanément dans une atmosphère où s'épanouit une fraternelle solidarité, le besoin d'associer leurs espoirs, d'échanger le récit des épreuves et des misères qui ont frappé leurs loyers désolés - tous ces braves gens ont dans les yeux la même expression de tristesse.
Tout ce qu'ils ont vu, tout ce qu'ils ont appris par de rares lettres, tous les renseignements que leur apporta parfois le hasard des circonstances, nouvelle fausse ou information vraie, alimentent les conversations.
L'un annonce que nos troupes se sont rapprochées de Conflans, au point d'en bombarder la gare ; l'autre a reçu les confidences du curé de M., resté au pays malgré les dangers de l'invasion ; celui-ci raconte la mort de commerçants réservistes ayant péri dans les premiers combats ; celui-là précise le pillage des caves de l'hôtel du Balcon, en face de la gare d'Homécourt, d'autres énumèrent les vexations, les atrocités, les attentats contre les personnes ou les propriétés.
Certaines contradictions entre les nouvelles d'origine différente motivent un long débat. On s'accorde à réclamer un traitement égal pour tous les citoyens et leurs familles ayant les mêmes droits aux allocations et aux secours de l'Etat ; on commente généralement certaines décisions administratives qui doivent s'inspirer d'un sentiment nécessaire d'équité et de justice.

M. Gervais, auteur de la convocation par voie de la presse, prend la parole. Il expose le but de la séance. Il montre que l'association des efforts, l'union des voeux prêteront une autorité plus grande à l'oeuvre qu'il s'agit d'accomplir et qu'il résume ainsi :
«  - Rendre service à tous les réfugiés en même temps qu'aux habitants de Meurthe-et-Moselle restés dans la région envahie ; se communiquer des nouvelles ; apprendre à se mieux connaître ; adopter les résolutions ayant pour objet une amélioration de la crise actuelle. »
Lecture est donnée ensuite d'une lettre parue dans la presse et qui trace un émouvant tableau des cambriolages commis par les Boches dans la région industrielle de Briey et de Joeuf.
«  - Nous avons décidé de tenter une démarche, ajoute M Gervais, qui appellera sur nous la sollicitude du Comité des départements envahis que M. Léon Bourgeois préside avec tant de distinction et de patriotique fermeté. L'intervention des puissances neutres, notamment de la République des Etats-Unis, pourrait s'exercer utilement.
Est-il exact que les évacuations aient commencé à Olley, à Jarny, à Friauville, dans plusieurs autres localités des environs de Conflans ? Faut-il croire que les fonctionnaires locaux et diverses notabilités aient fourni aux Allemands des otages qu'ils ont enfermés dans une citadelle lointaine ?
Quelqu'un annonce que six cents personnes ont été conduites en Suisse et qu'elles ont réussi à rejoindre la France. Tel est le cas de nombreux habitants d'Olley, réfugiés en ce moment à La Roche-sur-Fo ron, dans la Haute-Savoie, où ils reçoivent une généreuse hospitalité.
«  - Ces évacuations, en apparence humanitaires, demande M. Gervais, ne sont-elles pas destinées plutôt à favoriser les criminelles opérations des bandits d'outre-Rhin, dont les hordes s'accompagnent de convois de charrettes et de camions pour transporter chez eux le produit de leurs rapines ?... »
*
Un ouvrier italien a fourni sur Joeuf des renseignements qui sembleraient prouver que le calme y règne, que la domination allemande n'a point commis de regrettables excès ; mais, par contre, d'autres correspondances, non moins dignes de foi, représentent comme un danger les relations que l'on serait tenté naturellement d'entretenir avec les communes écrasées sous le joug des Boches.
Mieux vaut, en conséquence, s'abstenir ; mieux vaut priver l'ennemi de lettres sur lesquelles il met l'embargo et qui sont susceptibles de lui fournir par de fâcheuses indiscrétions, un moyen de se renseigner exactement sur la population et sur les intérêts du pays qu'il occupe.
Les rapports entre Sancy-Haut et SancyBas sont presque impossibles ; des fusillades ont exécuté lâchement des vieillards inoffensifs. Un régime de terreur sévit.
Malheur à quiconque détourne une volaille ou laisse imprudemment disparaître un objet mentionnés avec soin sur les inventaires des basses-cours, des logements et des caves où les réquisitions de l'ennemi ont jeté leur dévolu !
Après un examen attentif de cette situation, diverses propositions étudient le remède qu'il est indispensable d'y apporter. En premier lieu, il faut, par l'énergique et prompte intervention des puissances neutres, obtenir de l'Allemagne le respect de la vie humaine et de la propriété.
M. Crevoisier s'élève éloquemment contre les barbares qui, au mépris des conventions qu'ils ont signées, foulent aux pieds comme un chiffon de papier les lois de la guerre et le droit des gens.
Une commission est désignée. Elle se compose de MM. Crevoisier, Poirot, Lavallée et Brichon ; elle rédigera et transmettra à l'ambassade des Etats-Unis une supplique, une pétition revêtue de la signature de ses quatre membres, pour réclamer d'urgence, au nom des pays envahis, l'évacuation sans retard de la population, sur la demande qu'en feront les intéressés ; elle reçoit enfin le mandat le plus large pour traiter toutes les questions se rattachant plus ou moins étroitement à l'oeuvre dont la commission vient de prendre la patriotique initiative.
«  - La campagne est loin de toucher à sa fin, dit le président. Il faut ravitailler nos foyers alimentés de pain noir par les Allemands ; il faut empêcher que l'on emmène comme otages en captivité de paisibles et honnêtes citoyens. C'est une belle et grande tâche. Il n'y a pas à perdre un seul instant. Créons dès maintenant un comité provisoire, où seront défendus les intérêts de nos familles et, s'il y a lieu, pour hâter et simplifier le travail, autant de sections ou de bureaux qu'il y aura parmi nous de cantons représentés. »
Avant de lever la séance, un vote unanime de remerciements et de félicitations approuve sans réserve M. Gervais, qui renouvellera ses convocations toutes les fois que le besoin s'en fera sentir.

Une discussion est enfin ouverte au sujet des allocations destinées aux réfugiés dont la misère appelle d'une manière pressante la sollicitude officielle.
On signale, à cette occasion, que les évacués de Meurthe-et-Moselle ne touchent, aucune indemnité ; mais, en revanche, une somme de 1 franc ou de 1 fr. 25 est versée en d'autres départements. On cite notamment la Meuse, la Côte-d'Or, la Marne, etc.
La commission désignée au cours de la séance fera une démarche collective en ce sens à la préfecture. On a dit (mais c'est une information aussitôt démentie) que certains cantons avaient touché dans notre région.
La séance est levée à seize heures.

(à suivre)

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