| LA 
							RECONSTRUCTION DES VILLAGES LORRAINS Nancy, 12 décembre. II Le groupe parlementaire des régions envahies, 
							adoptant la proposition de M. le député Marin, vient 
							de demander au gouvernement de faire supporter par 
							la Nation entière le remboursement des dégâts de la 
							guerre, et d'ouvrir aux sinistrés un droit à la 
							répartition intégrale de leurs pertes.Il n'est point douteux que le gouvernement proposera 
							au Parlement la discussion du budget des voies et 
							moyens permettant d'appliquer le plus vite cette 
							mesure dans les régions débarrassées de l'Allemand.
 Etant ainsi admis que ces dommages ont bien été 
							supportés dans l'intérêt commun, leur réparation 
							doit s'inspirer du même principe, et l'Etat ne 
							saurait intervenir seulement comme une compagnie 
							d'assurances dont l'unique obligation serait 
							d'indemniser des clients bien assurés, il doit 
							encore agir au mieux des intérêts généraux.
 Très judicieusement, M. Marin a fait une distinction 
							entre le mobilier et l'immobilier des sinistrés. 
							L'indemnité relative aux meubles, linge, animaux, 
							récoltes, etc., détruits, ne peut être accordée, à 
							dire d'experts, qu'en espèces, dont le bénéficiaire 
							sera seul juge du réemploi. Mais des restrictions 
							s'imposent pour l'affectation des indemnités 
							nécessaires à la reconstruction des immeubles, car 
							l'Etat doit veiller à leur emploi efficace, et 
							exiger l'application des mesures sanitaires 
							indispensables pour sauvegarder la santé publique.
 L'observation des règles d'hygiène ne comporte point 
							de demi-mesures.
 Or, on ne peut oublier l'état d'insalubrité de la 
							plupart de nos villages, et l'impuissance des 
							commissions cantonales pour y porter remède, parce 
							qu'il eût fallu imposer trop de sacrifices à la 
							propriété privée.
 La guerre de destruction systématique des barbares 
							incendiaires nous obligeant à reconstruire dans leur 
							intégralité nos villages, va-t-on laisser échapper 
							cette occasion d'appliquer ces mesures sanitaires ?
 D'autre part, les subventions à accorder, juste 
							réparation des dommages causés, doivent surtout, 
							pour produire tout leur effet utile, assurer le 
							retour à la terre de milliers de réfugiés, et ne 
							point susciter chez eux la tentation d'abandonner 
							leur village après avoir simplement encaissé le 
							montant de leur indemnité, ou de n'en consacrer 
							qu'une insuffisante partie à la reconstitution de 
							leur foyer. On laisserait ainsi subsister, ou l'on 
							préparerait, pour l'avenir, des ruines, odieuses par 
							leur souvenir, dangereuses et malsaines pour les 
							voisins plus fidèles à la petite patrie.
 D'où la nécessité de ne point laisser le soin de 
							reconstruire à la libre initiative des intéressés.
 La plupart, en effet, ne voudront point se plier aux 
							exigences d'utilité publique :
 alignements, élargissements de voies ou passages, 
							aménagement de plates-formes pour les fumiers, 
							caniveaux, etc. D'autres, par économie mal entendue, 
							conserveront des murs fissurés, pendants ou 
							corrompus, remettront en oeuvre des matériaux 
							calcinés, et se soucieront beaucoup plus des rabais 
							à obtenir que de l'application rationnelle des 
							locaux et, sans le vouloir peut-être, ils 
							dénatureront par avance l'harmonie d'ensemble du 
							village.
 Après avoir songé à installer tout d'abord des abris 
							provisoires, permettant le rapatriement des 
							réfugiés, il conviendra donc de procéder dans chaque 
							commune à une étude spéciale, et de veiller à ce que 
							toute restauration partielle n'entrave point 
							l'aménagement d'ensemble du village et son 
							assainissement.
 La commission chargée de cette étude aurait le souci 
							d'accorder la plus grande attention aux besoins et 
							aux désirs des intéressés. Loin de faire table rase 
							de tout ce qui a résisté au bombardement ou à.
 l'incendie, elle songerait à utiliser tous les 
							éléments susceptibles d'être conservés ou réemployés 
							d'une façon judicieuse, pittoresque et artistique : 
							pierre de taille des chambranles et couvertes, 
							manteaux de vieilles cheminées, poutrages apparents, 
							etc.
 Elle prescrirait l'emploi, par préférence, des 
							matériaux éprouvés dans chaque pays : les moellons 
							avec crépis en Meurthe-et-Moselle ; le grès dans les 
							Vosges ; les pierres appareillées et leurs 
							jointoiements apparents dans la Meuse.
 Elle s'opposerait aux errements condamnables et 
							respecterait la tradition du passé.
 La réalisation de ce programme implique l'unité de 
							direction, mais son élaboration nécessite le 
							concours de collaborateurs nombreux et dévoués.
 MAURICE GRUHIER.
 PAUL CHARBONNIER
 A LA CASERNE MOLITORCHEZ LES RÉFUGIÉS
 L'OCCUPATION DE BRIN-SUR-SEILLE
 Nancy, 12 décembre.- On n'a rien, Monsieur... plus rien ! »
 Telle est la phrase lamentable qui retentit comme un 
							leit motiv de regret, de morne désespoir chez les 
							réfugiés au milieu de qui nous avons passé hier 
							matin quelques heures à la caserne Molitor.
 - Plus rien ! »
 Ces pauvres gens échoués dans les chambrées vides, 
							couchés sur des paillasses plates, vivaient 
							modestement dans leurs villages aujourd'hui évacués. 
							De vieilles habitudes réglaient leur vie. Ils 
							s'enorgueillissaient du volumineux fumier, 
							proclamant l'importance du bas de laine et la 
							rondeur d'une dot ; ils travaillaient hiver comme 
							été, de l'aube au soir, sans ménager leurs efforts.
 Maintenant, ils souffrent d'un incurable ennui ; ils 
							errent dans la cour immense, âmes en peine, bras 
							inutiles, attendant l'heure des repas qu'ils ont 
							presque honte d'avoir gagné, non à la sueur de leur 
							front, mais par l'abandon de ce qui leur assurait 
							jusqu'alors le bien-être et la sécurité.
 Des sabots dégringolent les escaliers sonores ; les 
							enfants courent et jouent, privés de l'école, d'où 
							les a chassés une épidémie récente d'oreillons. Un 
							fracas de portes qui battent sous la poussée de 
							cette marmaille emplit encore les bâtiments rendus à 
							leur animation de jadis.
 Aux murs sont suspendus des tableaux où figurent les 
							uniformes de l'armée allemande en campagne, des 
							croquis ; puis, çà et là, les recommandations, les 
							défenses de boire l'eau «  dangereuse » de Moselle.
 Plusieurs centaines de réfugiés sont là.
 Les noms des villages sont inscrits à l'entrée des 
							chambres : Champenoux, Brin, Val-et-Châtillon, 
							etc... Les hommes logent dans le pavillon de droite 
							; les femmes occupent le pavillon de gauche. Des 
							ménagères s'empressent au lavoir Une appétissante 
							odeur s'exhale des cuisines, mais il paraît que le 
							repas est surtout satisfaisant aux jours de visites 
							officielles. Toujours comme à la caserne, quoi !
 - Le peu d'argent qui nous restait en poche a servi 
							pour la nourriture, déclare un vieux cultivateur. On 
							se procurait à manger dans un restaurant du 
							voisinage ; mais il y a des jours où le quartier 
							était consigné. Ça rendait la gamelle obligatoire et 
							c'est loin de valoir, hélas ! ce que nous avions au 
							pays.
 
 En poursuivant à travers les corridors nos visites, 
							le hasard nous amène chez des fermiers de Brin. La 
							femme fabrique des fleurs en perles de Venise ; les 
							fillettes tricotent des gants. Salaire insignifiant. 
							Il faut vivre...
 Tout d'une traite, un de ceux qui attendent à 
							Molitor l'heure du retour possible au foyer communal 
							raconte avec volubilité les événements dont son 
							village a été le théâtre et nous les notons en 
							quelque sorte sous sa dictée :
 «  Les Allemands, dit-il, se massaient depuis 
							quelques jours sur la rive annexée de la Seille. Ils 
							n'attendaient qu'une occasion de violer notre 
							territoire, ils convoitaient nos hameaux comme une 
							proie. Vers fin juillet, avant la déclaration de 
							guerre, une patrouille ennemie tira sur des hussards 
							qui se promenaient le plus tranquillement du monde. 
							Un cavalier fut tué.
 «  Les uhlans sont entrés les premiers dans Brin. Ils 
							ont franchi le pont de Bioncourt, précédant des 
							fantassins bavarois. Les soldats parlaient 
							difficilement et très mal notre langue. C'est même à 
							grand'peine que nous réussîmes à lier conversation 
							avec les officiers qui cherchaient auprès de nous 
							des renseignements.
 «  Dès leur installation dans la commune, ils se sont 
							emparés de quatre otages qu'ils ont constamment 
							gardés auprès d'eux. Les habitants étaient tenus de 
							rester dans leurs maisons, sous peine des plus 
							sévères sanctions.
 «  Pendant ce temps, les Prussiens faisaient 
							eux-mêmes la moisson, récoltaient nos pommes de 
							terre qu'ils ont expédiées en Allemagne. Pour se 
							distraire, ils pillaient. L'incendie suivait parfois 
							les vols. La propriété de M. Racadot, l'ancien 
							maire, fut livrée au feu une des premières. Bientôt 
							le haut du village ne fut plus que ruines. Seul, le 
							côté gauche de la rue principale fut à peu près 
							épargné.
 «  Un beau jour, j'entends quelque bruit du côté de 
							ma cave ; je descends. Au pied de l'escalier, un 
							grand diable me barre le passage et me braque sous 
							le nez son revolver. J'ai tout juste le temps 
							d'apercevoir ses camarades en train de vider mon 
							tonneau et de boire goulûment mes vieilles 
							bouteilles. Un autre pillard brandit son sabre et 
							décrit dans l'espace de furieux moulinets. Vous 
							pensez que je n'en menais pas large.
 - C'est bien, leur dis-je. Continuez. Que je ne vous 
							dérange pas ! »
 «  Ils continuèrent d'ailleurs jusqu'à ce qu'il n'y 
							eût plus rien à emporter ni à boire.
 «  Les Boches avaient-ils l'intention de nous rôtir ? 
							C'est possible. On nous avait déjà détruit devant 
							nous les pauvres fermes, les humbles bicoques où 
							nous avions réuni au bout de tant de travaux et de 
							privations, les meubles, les hardes, toutes ces 
							choses qui crépitaient dans les gerbes d'étincelles 
							et qui s'évanouissaient en tourbillons de fumée.
 «  On nous tint enfermés dans l'église pleine de 
							paille pendant des heures que je n'oublierai jamais. 
							La paille était imbibée de pétrole. Nous avions la 
							crainte, la terreur de rôtir tout vifs. Quelle nuit 
							épouvantable nous avons passée ! Au matin, un 
							commandant prussien vint donner un ordre aux 
							sentinelles qui nous gardaient à vue ; les Prussiens 
							prirent aussitôt leurs sacs et, à cinq heures du 
							matin, ils évacuèrent Brin.
 «  Nous avons quitté très vite le pays. Nous avions 
							des parents à Bioncourt. On alla chez eux d'abord. 
							On jeta en passant un regard sur le désastre. La 
							maison d'école de garçons était brûlée ; celle des 
							filles restait intacte, ainsi que le presbytère et 
							l'église. La moitié de Brin était détruite.
 «  Mais on ne séjourna pas plus de deux jours à 
							Bioncourt. Les Français bombardaient et les Boches, 
							de leur côté, s'ils avaient découvert notre 
							retraite, auraient pu nous traiter en espions. Des 
							amis nous avertirent discrètement du danger, et ils 
							nous conseillèrent de retourner en France.
 «  On traversa sans trop de peine les lignes 
							françaises. Les jambes nous refusaient le service. 
							On tombait de fatigue, de faim, d'émotion. Un 
							colonel mit à notre disposition une voiture de 
							subsistances qui nous conduisit à 
							Laître-sous-Amance, d'où, après quatre ou cinq jours 
							de repos, nous avons enfin rejoint Nancy.
 «  Ah ! mon Dieu, qu'il faut donc passer dans ce 
							monde par de rudes épreuves ! »
 
 La population de Brin, logée à Molitor, se compose 
							d'environ cent personnes.
 Nous apprenons par elles que M. Mailly, directeur 
							des fours à chaux, n'a pu supporter les horreurs de 
							la guerre. Le chagrin a ruiné promptement sa santé. 
							Le malheureux est mort et sa mère l'a, peu de temps 
							après, suivi dans la tombe.
 Pendant toute l'occupation allemande, M. Bréjard a 
							rempli ses fonctions de maire avec une remarquable 
							fermeté.
 La question des indemnités préoccupe légitimement 
							les braves gens dont l'espoir adoucit les 
							souffrances et qui se demandent sur quelles bases 
							s'établira l'évaluation des dommages, des préjudices 
							qu'ils ont subis :
 - Les Allemands nous ont défendu de prendre quoi que 
							ce soit avant de partir. Les papiers de famille, les 
							titres de propriété, nos livrets militaires, tout a 
							disparu, tout est réduit en cendres. »
 Nous expliquons le rôle des commissions désignées 
							par le Gouvernement ; nous leur promettons la 
							réparation complète de ce qu'ils ont perdu. Mais ils 
							secouent doucement la tête avec résignation ; un 
							indulgent scepticisme attriste leur sourire :
 - Pensez-vous que nous retrouverons ce qu'on nous a 
							volé, ce qu'on a détruit... On nous en remboursera 
							le quart, et encore ! Est-ce que nous aurons les obj 
							ets, les petites choses auxquelles on tenait tant ? 
							Je sacrifierais bien mes armoires et mon lit pour 
							avoir les portraits que les Boches ont jetés au feu. 
							Le Gouvernement, voyez-vous, ne rendra jamais ça. »
 Et, cette fois, le scepticisme du sourire s'efface 
							sous la coulée lente, silencieuse, des larmes.
 Longtemps, j'entendrai résonner l'accent douloureux 
							des réfugiés de la caserne Molitor, l'adieu à tout 
							ce qu'ils avaient de cher, le gémissement qui 
							répétait :
 - On n'a rien, Monsieur. plus rien ! »
 LUDOVIC CHAVE.
 UNE BONNE JOURNÉE DE PLUSTandis que les Allemands doivent évacuer les rives 
							de l'Yser, notre artillerie leur démolit plusieurs 
							batteries et notre infanterie leur enlève des 
							tranchées.
 Bordeaux, 12 décembre, 15 h. 35.L'ennemi a achevé d'évacuer la rive ouest du canal 
							de l'Yser au nord de la maison du passeur. Nous 
							occupons cette rive.
 Dans la région d'Arras, combats d'artillerie.
 Dans la région de Nampcel, nos batteries ont réduit 
							au silence les batteries ennemies.
 Dans la région de l'Aisne, notre artillerie lourde a 
							fait taire les batteries de campagne des Allemands ; 
							une de leurs batteries d'obusiers a été complètement 
							détruite, au nord-est de Vailly.
 Dans la région de Perthes et dans celle du bois de 
							la Grurie, combats d'artillerie et quelques 
							engagements d'infanterie, qui ont tourné à notre 
							avantage.
 Sur les Hauts-de-Meuse, l'artillerie ennemie a été 
							peu active. Au contraire, la nôtre a démoli, à 
							Deuxnouds (ouest de Vigneulles-les-Hattonchatel) 
							deux batteries ennemies, l'une de gros calibre, 
							l'autre destinée au tir contre les avions.
 Dans la même région nous avons fait sauter un 
							blockhaus et détruit plusieurs tranchées.
 Entre Meuse et Moselle, rien à signaler.
 Dans les Vosges, combat d'artillerie.
 Dans la région de Senones, nous avons consolidé les 
							positions occupées la veille.
 DANS L'ARRONDISSEMENT DE TOUL Nancy, le 12 décembre.M. le Préfet s'est rendu hier, accompagné de M. 
							Mage, sous-préfet de Toul, dans un certain nombre de 
							communes de cet arrondissement qui se sont trouvées 
							récemment ou se trouvent encore dans la zone des 
							opérations militaires ; il à visité successivement 
							Ménil-la-Tour, où un dépôt de farine a été organisé 
							sous la surveillance du dévoué maire, M. Demange, 
							Ansauville et Hamonville dont plus d'une maison est 
							détruite et où il est resté fort peu d'habitants ; à 
							Bernécourt, qui est encore chaque jour l'objet d'une 
							vive canonnade, M. L. Mirman a été serrer la main 
							des quelques cultivateurs tenaces qui ne veulent pas 
							abandonner leur village en dépit du danger ; il a 
							salué ces robustes Vieillards avec un profond 
							respect, leur a donné de bonnes nouvelles du pays et 
							a fortifié leur espérance de voir bientôt la fin de 
							leurs épreuves.
 M. le Préfet a terminé ses visites par Minorville et 
							Manonville, hors de danger depuis un temps notable 
							déjà, l'ennemi ayant été repoussé méthodiquement sur 
							tout le front ; il a remercié les municipalités de 
							leur concours ; à Minorville, M. le Préfet, après 
							avoir félicité M. Lucard, maire et conseiller 
							d'arrondissement, de son activité, s'est rendu avec 
							M. le Sous-Préfet de Toul et lui chez Mlle 
							Paturlanne, institutrice, dont le dévouement, 
							l'initiative et le courage ont été signalés naguère 
							dans une lettre très touchante par M. le vicaire 
							général d'Albi, aumônier des armées en campagne.
 Mlle Paturlanne est une femme jeune encore, robuste, 
							originaire du pays basque et depuis de longues 
							années devenue Lorraine. Comme les Lorrains, les 
							Basques sont une race vaillante. En voyant Mlle 
							Paturlanne, son visage aux traits fermes éclairé 
							d'un bon sourire, ses yeux profonds, on comprend 
							l'action de confiance, de réconfort, qu'elle a 
							exercée d'abord sur ses anciennes élèves, devenues 
							ses collaboratrices et à qui elle a insufflé sa foi, 
							puis sur tous les blessés qu'elle a soignés et 
							soigne encore aujourd'hui, action dont M. le vicaire 
							général Birot a fait un si magnifique éloge.
 M. le Préfet a été très fier d'embrasser cette 
							vaillante femme au coeur à la fois intrépide et 
							charitable ; il lui a renouvelé ses bien vives 
							félicitations, ainsi qu'à sa vieille maman, fière de 
							sa fille et qui l'aide de toutes ses forcés dans sa 
							tâche bienfaisante.
 MARCHÉ DE NANCY Nancy, 13 décembre.Malgré le mauvais temps, le marché était 
							approvisionné de façon satisfaisante - en légumes. 
							Les prix étaient relativement peu élevés. Sous les 
							halles, la volaille, le beurre étaient en grande 
							quantité.
 Voici les prix fixés par la mercuriale :
 Boeuf, 1 fr. 80 à 2 fr. 30 le kilo ; veau, 2 fr. 80 à 
							3 fr. 20 le kilo ; mouton, 2 fr. à 2 fr. 60 le kilo 
							; lard frais, 2 fr. à 2 fr. 20 le kilo ; lard sec, 2 
							fr. 80 à 3 fr. le kilo ; grillade, 1 fr. 60 à 2 fr. 
							40 le kilo ; beurre, 2 fr. 60 à 4 fr. le kilo ; 
							oeufs, 1 fr. 60 à 2 fr. 40 la douzaine ; pommes de 
							terre, 9 fr. à 25 fr.
 UN TÉMOIGNAGE ALLEMAND On écrit au «  Journal de Genève » :Une accusation terrible entre toutes a été portée 
							contre certains détachements allemands, celle de 
							s'abriter parfois derrière des civils pour faire 
							hésiter l'adversaire et obtenir ainsi un avantage 
							déloyal dans le combat. Nombreux sont les 
							témoignages belges et français relatant des faits de 
							ce genre. Du côté allemand, on a répondu avec le 
							plus grand calme qu'il s'agissait simplement de 
							fuyards qui s'étaient mis entre les troupes 
							ennemies.
 Et cependant la terrible accusation est fondée. En 
							voici une preuve irréfutable portant sur deux cas 
							semblables, survenus le même jour au même endroit 
							mais imputables à des officiers différents, agissant 
							séparément, ce qui tendrait à démontrer qu'il s'agit 
							d'un procédé couramment employé.
 Rien ne peut excuser cette façon de faire la guerre, 
							car même dans le cas où des prisonniers civils 
							avaient eu des torts aux yeux des Allemands, ceux-ci 
							auraient eu tout au plus le droit de les fusiller, 
							mais n'auraient pas dû s'abriter lâchement derrière 
							eux.
 Dans le n° 513 des «  Münchner neueste Nachrien » du 
							7 octobre («  Vorabend Blatt » page 2) un officier 
							allemand, le premier lieutenant A. Eberlein, raconte 
							l'occupation de Saint-Dié, fin août. Cet officier 
							était entré dans la ville à la tête d'une colonne et 
							fut obligé de se barricader dans une maison en 
							attendant des renforts.
 Voici la traduction absolument fidèle de ce passage 
							intéressant :
 - Mais nous avons arrêté trois autres civils et 
							alors me vient une bonne idée. Ils sont installés sur 
							des chaises et on leur signifie d'avoir à aller 
							s'asseoir au milieu de la rue. Supplications d'une 
							part, quelques crosses de fusil d'autre part. On 
							devient peu à peu terriblement dur. Enfin, ils sont 
							assis dehors dans la rue. Combien des prières 
							angoissées ont-ils dites, je l'ignore, mais leurs 
							mains sont continuellement jointes comme dans une 
							crampe.
 Je les plains, mais le moyen est d'une efficacité 
							immédiate.
 Le tir dirigé des maisons sur nos flancs diminue 
							aussitôt, et nous pouvons maintenant occuper la 
							maison en face et sommes ainsi les maîtres de la rue 
							principale. Tout ce qui se montre encore dans la rue 
							est fusillé. L'artillerie elle aussi a travaillé 
							vigoureusement pendant ce temps et lorsque vers 7 
							heures du soir, la brigade s'avance à l'assaut pour 
							nous délivrer, je puis faire le rapport : «  
							Saint-Dié est vide d'ennemis ».
 Comme je l'ai appris plus tard, le régiment de 
							réserve... qui est entré à Saint-Dié plus au nord a 
							fait des expériences tout à fait semblables aux 
							nôtres. Les quatre civils qu'ils avaient également 
							fait asseoir dans la rue ont été tués par les balles 
							françaises. Je les ai vus moi-même étendus au milieu 
							de la rue près de l'hôpital. »
 Comment un grand journal allemand peut-il imprimer 
							un pareil récit sans protester et sans demander que 
							ces officiers passent en conseil de guerre ?
 Quiconque porte dans un combat un coup déloyal 
							n'est-il pas disqualifié ?
 Les témoins de cette guerre peuvent-ils; différer 
							d'opinion ?
 MATÉS PARTOUTLeurs attaques vers Ypres et dans les Vosges sont 
							repoussées
 Paris, 13 décembre, 15 h. 16.La journée d'hier, 12 décembre, a été 
							particulièrement calme.
 L'activité de l'ennemi s'est manifestée surtout par 
							une canonnade intermittente sur différents points du 
							front.
 Les Allemands ont tenté, toutefois, dans la région 
							au sud-est d'Ypres, trois violentes attaques 
							d'infanterie qui ont été repoussées.
 Dans le Bois-le-Prêtre, nous avons fait des progrès 
							sérieux.
 Dans les Vosges, l'ennemi a attaqué à diverses 
							reprises, le signal de lu Mère-Henry, au nord-ouest 
							de Senones, mais il a été repoussé.
 NOUVELLES ATTAQUES NOUVEAUX INSUCCÈS Paris, 14 décembre, 0 h. 13.Le communiqué officiel du 13 décembre, 23 heures, 
							signale, aux deux extrémités du front, l'échec de 
							deux attaques allemandes, l'une prononcée au 
							nord-est d'Ypres, l'autre, en Alsace, dirigée contre 
							Aspach.
 LES DERNIERS JOURSDE
							GERBÉVILLER
 SUR LE PLATEAU
 Septembre 1914.Quand ce ne sera plus la guerre ni l'hiver,
 Ma mère, vous viendrez où le gazon plus vert
 Commande au voyageur une halte pensive.
 C'est là que les bergers commencent leur détour.
 Et que le laboureur, dans le sillon plus court,
 Redresse plus souvent sa charrue attentive.
 Au hasard du chemin un enfant rencontré
 Aura compris vos yeux, et, de la main, montré
 Vers le coteau des croix le long sentier qui monte.
 La victoire naguère avec moi l'a gravi.
 Ma mère, et c'est pourquoi votre fils aujourd'hui
 Dort sous la terre libre et douce aux fronts sans 
							honte.
 George VILLE.
 
 Nancy, 14 décembre.
 On attend le Président de la République.
 Quelqu'un est venu, le matin, annoncer que M. 
							Poincaré visite les troupes sur la ligne de feu, que 
							son automobile a été aperçue la veille du côté de 
							Nancy, qu'il a dû passer alors la nuit à la 
							préfecture, qu'il emploiera son dimanche à une 
							tournée probable dans les villages plus ou moins 
							saccagés, incendiés, détruits par la sauvagerie 
							implacable des Barbares.
 La nouvelle ne cause apparemment dans Gerbéviller 
							que peu d'émotion. A vrai dire, personne n'y croit. 
							Les sentinelles s'abritent. dans leur guérite contre 
							les rafales humides et froides, sans consignes 
							spéciales ; les officiers, en petite tenue, se 
							promenent dans les rues désertes ; les équipas 
							goûtent au cantonnement le repos dominical et, d'une 
							porte à l'autre, s'échangent les invitations pour 
							une manille au café de la Gare, miraculeusement 
							épargné.
 - L'état-major prussien logeait ici, nous déclare la 
							jeune patronne du café. Les officiers ont déguerpi 
							si vite qu'ils n'ont pas eu le temps de brûler la 
							maison ; on a jeté pêle-mêle, à côté du billard, 
							quelques chaises, des débris du mobilier, 
							copieusement arrosés de pétrole. Par une chance 
							inouie, le feu n'a pas pris. Une ruelle nous sépare 
							d'immeubles entièrement dévorés par le brasier. Un 
							miracle, vous dis-je... »
 Par contre, les vitres, les glaces, les 
							tableaux-réclames des distilleries ont volé en 
							éclats sous une grêle de balles.
 Dès femmes en toilettes aux couleurs sans éclat se 
							tiennent sur le seuil de l'hospice, car depuis la 
							destruction de l'église, un prêtre de la paroisse 
							voisine célèbre la messe dans la chapelle de 
							l'hospice.
 Les ouailles s'impatientent. Elles forment un groupe 
							où apparaît par instant la cornette de soeur Julie, 
							qui palpite comme une grande aile blanche. Elle 
							s'étonne que M. le curé soit en retard, lui 
							d'habitude si exact, si empressé pour ses chers 
							habitants de Gerbéviller.
 L'envie nous pousse secrètement d'interroger soeur 
							Julie. Peut-être un avis de l'administration ou une 
							note de l'autorité militaire lui auront-ils 
							officiellement appris la visite du chef de l'Etat. A 
							quoi bon ! La curiosité des personnes qui 
							l'entourent d'une affectueuse gratitude nous 
							accablerait de questions auxquelles nous serions 
							incapables de répondre et nous procurerions à ces 
							braves gens peut-être une fausse joie.
 Dix heures.
 Si, comme on le présumait, M. Poincaré, pourtant, 
							doit se rendre à Lunéville, où il s'entretiendra 
							avec le sous-préfet, M. Minier, avec le maire, M. 
							Keller, avec les citoyens dont l'héroïsme a 
							vaillamment tenu tête à l'invasion, aura-t-il le 
							temps de venir ici ?
 Nous passons la revue des ruines. Spectacle lugubre 
							! Le volcan a tout ravagé. Des 650 maisons, occupées 
							par une population de 1.600 âmes une vingtaine 
							seulement restent debout pour 350 à 400 personnes :
 - Ils l'ont proprement arrangé, n'est-ce pas, notre 
							malheureux pays ? »
 Une ménagère interrompt ainsi notre méditation 
							devant l'oeuvre abominable, devant ce crime qui tient 
							du prodige, tant il fut accompli avec une sorte de 
							fureur systématique, une hâte qui n'oublie rien, un 
							sadisme assouvi jusque sur les plus minces objets, 
							avec la folie du sacrilège, qui se rue vers les 
							tabernacles.
 - Vous êtes restée à Gerbéviller, madame ?
 - Oui. nous étions une dizaine de réfugiés dans 
							cette cave, tenez, à votre droite, monsieur. Les 
							Prussiens tiraient sur nous par le soupirail. Une 
							voisine eut la cuisse traversée ; une fillette reçut 
							aux pieds une balle qui lui brisa les deux 
							chevilles. On entendait au dehors le crépitement 
							sans fin des fusillades, les vociférations. Tout le 
							monde croyait bien, allez ! que notre dernière heure 
							avait sonné : on priait ; on se recommandait à 
							Dieu... »
 La brave femme n'a pas voulu ensuite quitter 
							Gerbéviller. Sa bicoque reste intacte. Quelques 
							éraflures dans le plâtre de la façade, les volets 
							percés à plusieurs endroits, rien de sérieux en 
							somme :
 - Par exemple, je garde des Prussiens un souvenir 
							utile, ajoute-t-elle en soulevant un coin de la 
							robe. Mon homme a rapporté un manteau où je me suis 
							taillé un jupon, c'est solide, monsieur, et ça tient 
							chaud. Autant de pris sur l'ennemi, comme on dit ! »
 Elle relate les incidents de l'occupation, les 
							galanteries des Boches offrant aux dames, et de 
							préférence aux demoiselles les confiseries, les 
							gâteaux qu'ils avaient volés dans les pâtisseries, 
							le champagne, les liqueurs qu'ils avaient pillés 
							dans les caves :
 - Vous devinez le but de ces gentillesses... Les 
							scélérats... Ce qu'ils ont osé faire... Leurs chefs 
							encourageaient les pires horreurs. On m'a raconté 
							qu'à Fraimbois les monstres s'étaient conduits d'une 
							manière plus ignoble encore, qu'ils ont odieusement 
							brutalisé les femmes...
 Nous suivons la rue Saint-Pierre, une de celles où 
							s'organisa la résistance des chasseurs à pied :
 - Les Alpins ? interrogeons-nous.
 - Non, monsieur, nos chasseurs... Ils ont fait 
							merveille. A soixante-dix hommes, iis ont lutté 
							contre au moins deux ou trois régiments, depuis 2 
							heures du matin jusqu'à 5 heures du soir. C'était 
							dimanche 23 août. Ils se cachaient dans les maisons 
							et. par les fenêtres qui regardent la Mortagne, ils 
							canardaient les Boches. Fallait voir ! Presque tous 
							les coups portaient jusle. Il y en avait à peu près 
							une dizaine, pas davantage, pour défendre le pont.. 
							Ah ! ce qu'ils ont démoli... Mais avec si peu de 
							monde on ne pouvait tenir bien longtemps. Je suppose 
							que nos chasseurs ont perdu sept ou huit des 
							leurs... Comme les Allemands ont laissé sur le 
							carreau un tas de cadavres et qu'ils n'apercevaient 
							nulle part d'uniformes, ils ont déclaré que les 
							civils avaient tiré sur eux et ils ont inauguré 
							l'occupation du village par l'incendie du faubourg 
							de la rive droite, entre les deux routes de 
							Lunéville à Rambervillers.»
 C'est de ce témoin que nous tenons le récit des 
							atrocités si souvent racontées : soixante otages 
							saisis au hasard et exécutes sans jugement dans le 
							bois de la Presles, le lundi matin ; quarante-neuf 
							citoyens de tout âge, de toutes conditions, emmenés 
							par la route de Sérouville et qui durent leur salut 
							à l'intervention d'un commandant bavarois :
 - Ils allaient être fusillés. Vainement notre 
							adjoint protestait, jurait ses grands dieux que 
							personne n'avait tiré et que les Allemands se 
							souillaient de sang innocent.
 Le chef de peloton ne voulait rien entendre. Il 
							attendait un ordre. Le commandant bavarois accourut 
							à cheval ; il avait ouvert une enquête et il 
							reconnaissait que les chasseurs avaient seuls 
							défendu le pays :
 - «  C'est bien, dit-il... vous êtes libres. On vous 
							fait grâce. mais à la condition que vous aiderez mes 
							soldats à enterrer les morts. Et je vous prie de 
							croire qu'il y avait de la besogne ! Ils ont 
							travaillé (sic) trois jours sans boire ni manger. »
 En contre-bas du faubourg Saint-Pierre, une étroite 
							ruelle se faufile entre les clôtures des jardins. 
							Partout les traces de la bataille y sont fraîches 
							encore : les projectiles ont percé les chambranles 
							faits d'une poutre et les lattes des portes à 
							claire-voie : une volée de mitraille a cassé les 
							branches qui pendent tristement, retenues par un 
							lambeau d'écorce. Sur l'autre berge de la Mortagne, 
							la brasserie dresse ses bâtiments à peu près 
							intacts. Un boulet a démoli en partie la corniche 
							d'une des cheminées de briques atteinte en outre à 
							mi-hauteur par un deuxième obus qui la perce d'une 
							lucarne ronde.
 Le canon a légèrement endommagé un pignon ; le feu a 
							détruit le garage des camions automobiles ; on 
							aperçoit parmi des ferrailles un coffre-fort ouvert 
							par des pinces expertes de cambrioleurs :
 - Comme le directeur de la brasserie s'appelle 
							Schmidt, indique notre interlocutrice, les Boches 
							ont supposé qu'il était leur compatriote. M. Schmidt 
							sert dans l'armée française avec les galons de 
							lieutenant. Seulement un des pavillons était occupé 
							par quelques ouvriers allemands qui ont gagné la 
							frontière avant la mobilisation. C'est là ce qui a 
							sauvé sans doute la brasserie. »
 Quand ils ont quitté les caves où ils se 
							préservaient de nos obus, les Allemands fuyaient en 
							désordre :
 - Je logeais un capitaine, nous dit Mme X... Il se 
							disposait à déjeuner : «  Faitesmoi cuire seulement 
							deux oeufs à la coque... Vite, le temps presse... » 
							Une minute après il rentra affolé dans la cuisine :
 «  Je ne puis attendre. Les Français tombent sur 
							nous. J'emporterai les oeufs tels qu'ils sont. » Et, 
							d'un saut il fut dehors sans même boutonner son 
							dolman. »
 Les Allemands ont occupé Gerbéviller pendant le 
							reste de la semaine. C'est le dimanche 30 août 
							qu'eut lieu ce duel dont tant de sépultures 
							attestent l'implacable acharnement.
 Entre Gerbéviller et Moyen, l'ancienne route soulève 
							et laisse retomber mollement son ruban grisâtre. Des 
							talus, ici, la surplombent, non loin de la brasserie 
							Noël ; là deux pépinières de bouleaux la bordent de 
							chaque côté ; plus loin, à gauche, un hagis précède 
							les bois du Haut de la Paxe dont la lisière s'étend 
							parallèlement sur une distance d'environ un 
							kilomètre.
 Vers la droite, les souples ondulations du terrain 
							s'arrondissent en trois croupes successives qui 
							descendent vers la Mortagne et sont sillonnées par 
							les caprices de la nouvelle route.
 Le paysage annonce déjà les Vosges toutes proches. A 
							l'ouest, les crêtes couronnées de forêts découpent 
							leurs lignes sèches sur l'horizon. Une buée estompe 
							la vallée, adoucit les reliefs, lave d'une teinte 
							d'aquarelle le décor empli maintenant de clameurs et 
							de râles, de triomphe et d'agonies, d'un immense 
							tumulte d'uniformes où frémit le vol des drapeaux.
 Là-bas, Gerbéviller apparaît dans la lumière dorée à 
							travers l'exaltation des enthousiasmes comme le but 
							de tant de sacrifices. Le clocher déchiquette sa 
							dentelle de granit rougeâtre ; la chapelle rapproche 
							davantage ses deux tours trapues ; la note écarlate 
							des toits s'est effacée. Une fumée âcre monte vers 
							le ciel sans nuages. Le village achève de se 
							consumer - et c'est pour venger l'exécrable attentat 
							que tant de héros gravissent le plateau fatal.
 L'aspect de cette partie du champ de bataille 
							dispenserait presque des explications d'un guide ; 
							on reconstitue aisément les phases de la terrible 
							lutte ; on distingue l'acheminement par bonds des 
							masses d'infanterie qui escaladent ce plateau, les 
							officiers à vingt pas en avant, A mesure qu'ils 
							surgissent, les mitrailleuses boches moissonnent les 
							képis, en couvrent le sol comme d'une jonchée de 
							coquelicots. Derrière les rangs abattus, d'autres 
							débouchent, auxquels, sans répit, un tragique coup 
							de faulx réserve le même destin. Nos fantassins 
							s'écroulent la face centre terre, gardant leur 
							alignement dans la mort tombés sur leurs flingots 
							dont l'inutile baïonnette étincelle dans l'herbe.
 Un radieux soleil illumine le carnage. La bataille 
							précipite l'un après l'autre le 30e, le 222e et le 
							299e de ligne, plusieurs compagnies d'infanterie 
							coloniale, livrées en pâture à l'insatiable fringale 
							des canons. Mais personne ne dépasse la suprême 
							limite tracée par la route, malgré l'appui de notre 
							artillerie qui fracasse, à cinquante mètres en 
							avant, les tranchées ennemies.
 Le souvenir des manoeuvres d'automne en septembre 
							1909 hante notre esprit. Les partis se heurtèrent 
							dans le même cadre. On avait quitté au jour 
							Domèvre-sur-Vezouze et d'une traite on avait 
							poursuivi, traqué l'adversaire sur la Meurthe 
							traversée à Ménil-Flin, puis sur la Mortagne, malgré 
							la rage d'une incessante canonnade.
 Aujourd'hui, une progression de 60 à 200 mètres en 
							une semaine, c'est la victoire !
 Que d'officiers depuis lors disparus ! Le 
							divisionnaire Houdaille, le colonel Sibille, le 
							colonel Duchêne, d'autres encore qui groupaient une 
							élite autour de leur chef le général Pau.
 Trois semaines après l'entrée en campagne, nous 
							devions faire sur ce point le cruel apprentissage de 
							la guerre telle qu'elle se déroule aujourd'hui en 
							favorisant notre activité prudente : nos charges, 
							notre audace impétueuse se brisaient comme les flots 
							sur un roc à l'assaut des terriers dont la 
							construction et l'aménagement ont de quoi stupéfier.
 La trahison des feuillages épais, des remblais où 
							s'appuyaient solidement la stabilité des 
							mitrailleuses, guettait et frappait avec une 
							précision mathématique l'élan de nos troupes : la 
							machine à tuer imposait lâchement sa supériorité, la 
							honte sournoise de sa victoire sur les vaillances de 
							notre race.
 En face de ces admirables travaux de fortifications. 
							je reverrai toujours la toute petite place où un 
							lignard, à plat ventre dans le gazon de 
							l'accotement, avait arrangé ses cartouches pour 
							tirailler à l'aise, posément, comme dans un stand.
 Les cartouches sont restées ; mais où donc repose 
							maintenant le brave gars ? Dans un de ces tombeaux, 
							peut-être, qui hérissent de croix le vaste espace où 
							des compagnies entières garderaient un glorieux 
							anonymat, sans l'hommage de leurs frères d'armes, 
							sans les couronnes apportées là, sans les débris 
							d'uniformes, vestes et képis où apparaît le numéro 
							des régiments !
 - Tandis que Gerbéviller attendait la visite 
							présidentielle, des soldats recherchaient le corps 
							d'un capitaine. Lugubre cérémonie. Un vieux essayait 
							de fixer ses souvenirs :
 - Il me semble que nous l'avons mis au bout de la 
							fosse. Mais il y en avait tant... Pensez donc ! Nous 
							ensevelissions à part les officiers... Comment se 
							rappeler l'endroit exact où se confondent pour ainsi 
							dire leurs grades ?... »
 La bataille du 30 août fut aussi farouche dans le 
							ravin où coule le ruisseau de Falenzey, dominé par 
							les bois des Rappes, du Four et du Fey, où serpente 
							la route de Fraimbois. Les tranchées étaient 
							littéralement jonchées de bidons creves, de lambeaux 
							d'uniformes, de boîtes vides de conserves, 
							d'ustensiles de campement ; les cadavres calcinés 
							des chevaux montrent encore deux jambes roides parmi 
							les cendres.
 Les territoriaux ont fait en quelque sorte la 
							toilette de ce lieu sinistre. La pluie a rempli les 
							abris. De rares vestiges attestent chez les lignards 
							du 81e une longue opiniâtreté ; des tombes, là 
							encore, jalonnent la prairie. Les défenseurs de la 
							Mortagne tinrent bon ; ils ont empêché 
							définitivement le retour des barbares.
 Tel est le tableau qu'évoquent les témoignages des 
							personnes avec qui nous lions conversation.
 Un gaillard robuste, de haute taille, aux yeux 
							luisants de claire énergie et de franchise, s'est 
							joint à nous. La moustache à la gauloise, semée de 
							poils gris, accentue les traits profondément creusés 
							du visage, l'expression de la physionomie qu'animent 
							les codères soudain ressuscitées par nos questions :
 - Ah ! je les ai vus de près ; j'ai senti pour ainsi 
							dire leur haleine de bêtes fauves dans le cimetière 
							où je m'étais blotti au milieu des orties, sous un 
							tas de couronnes. Si les bandits m'avaient 
							découvert, ils me massacraient comme un lapin. »
 L'homme remplit les fonctions de maire. Il ignore la 
							présence en Lorraine de M. Poincaré. On ne l'a point 
							prévenu, contrairement à ce qui se passait lors des 
							premiers voyages du préfet de Meurthe-et-Moselle. Il 
							en éprouve une déception pleine de mélancolie : 
							toute sa confiance se tourne vers Maurice Barrès 
							dont la sympathie, la superbe éloquence, le 
							patriotisme, la promesse de faire au plus tôt 
							réparer l'église, les appels dans la presse 
							réchauffent son âme :
 - Nous avons touché pour tout potage un secours 
							officiel de 500 francs. Que faire avec si peu 
							d'argent ? L'achat et la pose des vitres aux 
							fenêtres des écoles communales nous a coûté déjà 600 
							francs. Tout est ici hors de prix... Mais M. Barrés 
							s'occupe de nous. Il ne nous abandonnera point. Ah ! 
							Monsieur, quel beau discours il a prononcé sur les 
							victimes de la guerre ! Nous pleurions et nous 
							renaissions quand même à l'espoir que tant de 
							malheurs seraient vite réparés... »
 Les habitants sont revenus en assez grand nombre ; 
							mais ils ont fui de nouveau quand le désastre eut 
							frappé d'épouvante ces commerçants, ces petits 
							bourgeois, ces fermiers chassés par l'affreux 
							cauchemar de l'incendie, du bombardement, des 
							assassinats et de la dévastation.
 Quelqu'un cite le cas d'une vieille parente n'ayant 
							pour logis qu'une espèce de «  gloriette » au fond de 
							son jardin.
 - Elle est tellement attachée à ce coin de terre où 
							s'est écoulée sa vie entière que, malgré la pluie, 
							le froid, elle refuse de s'en aller. Est-ce que les 
							indemnités la consoleront jamais ! Elle mourra avant 
							la fin de cette guerre atroce. Les plus à plaindre, 
							Monsieur, ne sont pas ceux qui partiront comme elle. 
							Dans les premiers temps, on venait nous voir ; on 
							vient chez nous en touristes ; on ne parle plus 
							guère de secours ; on oublie nos misères, sans que 
							nous ayons mérité cette ingratitude. »
 Comme elles rendent, en effet, un son creux, quand 
							on y ette une pièce d'argent, les boîtes accrochées 
							dans les carrefours en ruines pour recevoir une 
							obole !
 - Une image très douce resplendit à Gerbéviller 
							comme celle des missels. La soeur Julie met une sorte 
							de grâce auguste dans le désastre. L'unanime 
							reconnaissance du pays monte vers elle :
 - C'est elle, voyez-vous, qui a sauvé l'hospice et 
							les maisons d'en face. Sa pieuse intervention a 
							arrêté les incendiaires. »
 Discrètement, avec des réticences, car la nouvelle 
							n'est pas sûre, nous annonçons l'arrivée du 
							Président de la République :
 - Il apportera aujourd'hui à soeur Julie la croix 
							qu'elle a si noblement gagnée.
 - Ah ! que nous serons heureux de voir le ruban 
							rouge sur sa robe noire. Si l'on nous oublie un peu, 
							que la France au moins récompense les services 
							rendus par la vénérable religieuse ! Nous aurons 
							plus de courage pour atteindre des jours meilleurs ! 
							»
 Deux heures après, M. Poincaré payait la dette 
							sacrée.
 ACHILLE LIEGEOIS.
 LA MAITRISE DE NOTRE ARTILLERIEEncore quelques tranchées gagnées dans l'Aisne, en 
							Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et en Alsace.
 Bordeaux, 14 décembre, 15 h. 55.Rien d'important à signaler entre la mer et l'Oise.
 Dans la région de l'Aisne, au nord-ouest de Soupir, 
							l'ennemi a bombardé violemment nos tranchées. Nous 
							avons riposté et bouleversé les siennes.
 Il n'y a pas eu d'attaques d'infanterie ni d'une 
							part, ni de l'autre. Notre artillerie a détruit un 
							ouvrage important aux abords d'Ailles.
 En Argonne, dans le bois de la Grurie, nous avons 
							progressé légèrement à la mine ; aucune attaque 
							ennemie.
 Sur les Hauts-de-Meuse, canonnade violente. Les 
							batteries ennemies semblent avoir dû se déplacer 
							vers le nord.
 En Woëvre, après avoir enlevé une ligne de tranchées 
							sur un front de 500 mètres (bois de Mortmare), nos 
							troupes ont repoussé deux violentes contre-attaques.
 En Alsace, nos progrès ont amené notre front jusqu'à 
							la ligne de la cote 425, au nord de Steinbach, Pont 
							d'Aspach, Pont de Brininghoffen (1.500 mètres à 
							l'est d'Eglingen).
 NOUVEAUX PROGRÈS VERS YPRES ET EN ALSACEIls ont bombardé la gare de Commercy
 Paris, 15 décembre, 0 h. 53.Le communiqué officiel du 14 décembre, 23 heures, 
							dit :
 En Belgique, quelques attaques françaises nous ont 
							permis de progresser le long du canal d'Ypres et à 
							l'ouest d'Hollebecke.
 Plusieurs violentes contre-attaques ont été toutes 
							repoussées par nos troupes.
 En Alsace, une offensive de l'ennemi, au nord-ouest 
							de Cernay, a été repoussée.
 La gare de Commercy a été bombardée, hier, par des 
							batteries tirant d'une très grande distance. Les 
							dégâts sont insignifiants.
 Sur le reste du front, rien à signaler.
 TRAIN ALLEMANDincendié
 EN GARE DE PAGNY-SUR-MOSELLE
 Paris, 15 décembre, 1 h. 10.BORDEAUX. - Un aviateur français a incendié un train 
							allemand en gare de Pagny-sur-Moselle.
 LES ESSAIS A LA GARE DE LUNÉVILLE Une machine d'essai a circulé toute la journée du 
							mardi 15 décembre sur les ponts rétablis en 
							constructions provisoires : un poids de 120 tonnes a 
							pu stationner sur les ponts. Les aiguillages ont été 
							de nouveau éprouvés. Le personnel a fait une 
							véritable répétition avant de livrer la gare et la 
							voie au public. Nous sommes donc assurés que toutes 
							les précautions sont prises en vue du rétablissement 
							de la circulation entre la gare de Lunéville et 
							Nancy.Nous en félicitons la Compagnie et le personnel, qui 
							a eu seulement depuis quelques jours l'autorisation 
							de rétablir le service.
 LE BOMBARDEMENT DE VARENNESRÉCIT D'UNE HABITANTE
 d'après le Bulletin Meusien
 Bar-le-Duc, le 6 décembre 1914.Si vous saviez quel désastre à Varennes et partout 
							quelle ruine ! Tout ce que je puis vous dire, c'est 
							que nous sommes bien malheureux. Vous êtes parties 
							le mercredi et les Prussiens sont arrivés le jeudi, 
							à huit heures du soir. Quelle journée déjà ! Ils ont 
							bombardé Varennes ce même jour, de midi à 7 heures 
							du soir, sans arrêt. Dans les maisons où il y avait 
							quelqu'un, ils venaient deux par deux, avec une 
							bougie à la main, demander du pain, du vin, du tabac 
							; ils étaient bien polis Pendant cinq ou six jours 
							il est passé nuit et jour des Prussiens.
 Ce même jour, ils ont bombardé, le feu a détruit 
							votre rue jusqu'à notre maison ; ce sont eux qui 
							l'ont éteint à notre toiture ; le feu a pris chez 
							Mme Chanzy à 3 heures de l'après-midi, par un obus 
							incendiaire des Prussiens. Ils étaient contents de 
							voir le feu, ils sont arrivés en chantant, hurlant 
							dans les rues au son du tambour et du clairon. Ce 
							que c'était triste !
 Votre maison a brûlé après celle de Mme Chanzy. 
							Jusque chez nous il ne reste rien ; ensuite ils ont 
							logé huit jours à Varennes. Dans les maisons où il 
							n'y a personne, avec une hache, couteau ou autre 
							outil à la main, ils brisaient les carreaux et les 
							portes fermées. Nous étions mortes de frayeur.
 A minuit, il a fallu déménager chez nous Marteaux 
							sur un brancard porté par deux soldats français qui 
							étaient à l'ambulance. Toute la nuit, maman a 
							déménagé notre mobilier, on aurait cru qu'elle 
							allait mourir ; si vous aviez vu dans quel état 
							étaient tous ceux qui étaient restés dans les caves 
							! Ça flambait avec une telle violence qu'il n'y 
							avait rien à faire. Chez n'importe qui, on n'a rien 
							pu sauver. D'abord il valait mieux que notre rue 
							soit brûlée la première, au moins les Prussiens ne 
							se sont pas emparés et enrichis de vos belles 
							affaires. Ils n'ont rien emporté, tandis que partout 
							ailleurs ils ont mis tout à sac sans laisser un clou 
							à la maison et y ont mis le feu.
 Les Prussiens avaient à leur dos de belles chemises 
							à empiècement en dentelles. Il ne restait absolument 
							rien dans les maisons, chez le pauvre comme chez le 
							riche ; ce qu'ils ne pouvaient pas emporter, ils le 
							brisaient pour le plaisir de faire du mal. Ils se 
							nourrissaient de poules, canards, pintades et de 
							veaux, tout cela volé, bien entendu. Ils faisaient 
							enterrer les bêtes mortes dans les champs de pommes 
							de terre ; ils ont cassé les pompes et les 
							concessions d'eau, mais nous n'avons pas eu à nous 
							en plaindre, ils étaient polis avec nous. Ils ont 
							dévalisé toutes les caves des maisons pillées.
 Chez Mme Chanzy, ils ont trouvé un sac rempli de 
							pièces d'or et de valeurs au nom de Marthe Misset, 
							la mère de Mme Chanzy. C'est un officier qui a 
							trouvé cela et il a promis de le rapporter après la 
							guerre, moyennant récompense, mais j'en doute.
 Le prince (kronprinz) a logé chez Mme Faillette tout 
							le temps ; la maison Larcher a été également pillée. 
							Tous les jours on avait de la musique sur la place 
							de l'Eglise, et quand les soldats rentraient le soir 
							de la bataille, ils chantaient. C'était triste à 
							mourir d'entendre cela ! Pendant que nous étions 
							chez nous, le père Marteaux a été blessé par un 
							éclat d'obus sur sa porte où il était assis ; il est 
							resté chez lui et a succombé quelques heures après.
 Puis il n'y eut plus de Prussiens au pays ; ils 
							avaient été repoussés jusqu'à Apremont, Baulny et 
							Montfaucon, où ils sont restés depuis un mois. Ils 
							ont bombardé Varennes pendant trois semaines ; nous 
							sommes restées dix jours sous le bombardement nuit 
							et jour sans arrêt. Si vous saviez quel supplice, 
							surtout quand on ne peut bouger.
 L'obus qui a tué M. Marteaux a démoli les fenêtres 
							et plafonds chez lui, chez Mme Georges Brandebourg, 
							Mlle Mauchauffé, les portes et les fenêtres de la 
							mairie, tandis que les soldats français me 
							transportaient dans la cave et nous y gardaient 
							jusqu'à six heures du soir.
 Pour la nuit, maman et d'autres personnes se 
							trouvaient toujours sur le haut de Varennes dans la 
							salle à manger ; nous avions deux soldats du génie 
							afin de pouvoir me transporter si le feu prenait. 
							Comme les obus tombaient toujours sur le haut de 
							Varennes, dans la nuit on m'a descendue dans le bas 
							de Varennes, vers trois heures. A cinq heures, les 
							soldats français brancardiers me remontaient chez M. 
							Marteaux, parce que la maison où j'étais se trouvait 
							ébranlée. Enfin, je ne peux pas tout vous raconter.
 M. Soumillard, dans la Grand Rue, a été blessé dans 
							son lit par un éclat d'obus, sa toiture défoncée et 
							la devanture arrachée, enfin c'est terrible. La 
							maison de Mme Faillette est effondrée par un obus 
							ainsi que celle de Mme Potron. Ceux-ci sont depuis 
							trois semaines dans les caves des maisons brûlées, 
							la leur l'étant aussi par une bombe. Depuis chez M. 
							Dannequin jusque chez M. Denis (ancien facteur), la 
							Basse-Cour, juqu'avant la maison de Mlle Mauchauffé 
							(là le feu a été encore arrêté par les Prussiens), 
							depuis chez Mme Oudet jusqu'à chez M. René Person, 
							il ne reste plus rien du tout. C'était d'abord 
							décapité par les obus, ensuite par le feu. Il n'y a 
							plus d'hôpital, d'église, de presbytère ; la rue de 
							M. Biot jusqu'à l'hôtel Lecoeur (à côté de l'hôpital) 
							tout est rasé complètement, la rue de Tabur et la 
							Grand'Rue. Depuis quinze jours, nous avons quitté 
							Varennes, il y a encore du nouveau. Beaucoup 
							d'émigrés de Varennes sont à Bar-le-Duc et aux 
							environs, mais le doyen et M. Evrard sont aussi à 
							Bar. M. le doyen qui vient me voir m'a encore bien 
							assuré aujourd'hui qu'il y avait eu un combat à la 
							baïonnette dans la Grand'Rue. Nous sommes arrivés à 
							Bar il y a douze jours ; comme il y avait dix jours 
							que nous étions sous le bombardement, nous étions 
							folles de terreur ; à n'importe quel prix j'ai voulu 
							partir. Mes enfants poussaient des cris terribles. 
							M. Denis est allé à Neuvilly et y a trouvé Paul, mon 
							beau-frère. Il est venu aussitôt me chercher au 
							risque de sa vie sous les obus et les balles. Nous 
							sommes arrivés à Aubréville, de là à Verdun et Bar, 
							après bien des heures dans les gares. J'étais 
							toujours étendue sur un brancard prêté par les 
							soldats, il me fallait toujours deux hommes pour me 
							monter et me descendre.
 Nous n'étions pas coiffées, à moitié habillées. Mme 
							Denis était comme nous, nous sommes parties sans 
							rien, nous avons dû acheter une chemise à Bar. Nous 
							sommes installées, maman, moi, et les enfants dans 
							une chambre qui nous coûte un franc par jour. Maman 
							avec Madeleine couchent par terre, moi dans un lit 
							avec les trois petits. Quand je suis arrivée à Bar 
							on aurait dit que j'allais mourir, mais aujourd'hui 
							je vais beaucoup mieux. Nous avons toujours peur que 
							les Prussiens viennent à Bar. La municipalité de 
							cette ville ne veut plus d'émigrés, le maire a dit 
							deux fois à maman qu'il fallait partir bien loin 
							vers l'Italie avec les autres émigrés. C'est tout de 
							même malheureux, mais tant qu'il n'y aura pas de 
							danger à Bar nous ne partirons pas. Maman est 
							inconsolable de la perte de la maison et pleure tout 
							le temps.
 Recevez, Madame, etc...
 AUX PAYS OCCUPÉSMONT-SAINT- MARTIN - LONGWY LONGLAVILLE - JARNY 
							REHON - BLAMONT
 Le «  Bulletin de Meurthe-et-Moselle » publie les 
							renseignements très intéressants que voici : MONT-SAINT-MARTIN A Mont-Saint-Martin, Longlaville, Longwy-Bas, les 
							violences des Allemands se sont traduites par des 
							incendies, mais peu d'habitants ont été molestés.Les aciéries de Mont-Saint-Martin, les usines de la 
							Chiers et de Senelle, les hauts fourneaux de 
							Longwy-Bas sont intacts.
 L'usine de Mont-Saint-Martin est fermée.
 Quelques ouvriers seulement y travaillent, à des 
							travaux d'entretien. Les Allemands ont puisé 
							largement dans les stocks, notamment dans les stocks 
							de ronds pour ciment armé, de tôles, de combustibles 
							et de minerais.
 La station électrique est en marche. Les Allemands 
							ont exigé, en effet, que Mont-Saint-Martin continue à 
							être éclairé à l'électricité.
 A aucun moment, M. Dreux, administrateur-directeur 
							des aciéries de Longwy, n'a été ni otage, ni 
							prisonnier. Il continue à habiter son château avec 
							Mme Dreux, mais il n'a à sa disposition qu'un très 
							petit nombre de pièces, car l'état-major allemand 
							s'est installé dans son château.
 Les Allemands ont brûlé une centaine de maisons du 
							plateau derrière le groupe scolaire, la cité 
							Mille-Briques, et quelques autres immeubles dans le 
							centre.
 Pendant le bombardement, ils ont tiré des coups de 
							fusil dans les fenêtres des maisons qui se trouvent 
							dans le quartier du cimetière.
 Une fillette de M. Schneider, l'ancien adjoint, a 
							été tuée d'une baille dans son lit.
 Le pays est bien alimente, grâce aux provisions 
							qu'on amène de Luxembourg.
 Trois dames ont pu quitter Mont-Saint-Martin grâce à 
							des passeports qu'elles ont pu obtenir dans le 
							Luxembourg.
 Seuls les hommes ayant notoirement plus de 60 ans 
							pourraient risquer le voyage.
 Il est interdit aux autres de quitter le pays.
 Tout le personnel des aciéries, demeuré à 
							Mont-Saint-Martin, est en bonne santé, ainsi que 
							leurs familles: M. et Mme Dreux, M. et Mme Reuter, 
							M. et Mme Frilley, M.
 Deligny, M. Maire, M. et Mme Sabas, Mme Voisin, etc. 
							M. Friche a été fait prisonnier à la reddition de 
							Longwy.
 On peut parfaitement correspondre avec 
							Mont-Saint-Martin par la Suisse, en faisant mettre 
							les lettres à la poste restante, à Rodange 
							(Grand-Duché de Luxembourg).
 On croit même que, prochainement, les lettres 
							pourront être adressées à MontSaint-Martin.
 A Mont-Saint-Martin et dans le Grand-Duché, on est 
							complètement ignorant de la situation générale, et 
							les nouvelles que l'on reçoit sont les nouvelles 
							communiquées par les communiqués allemands.
 Le pays est calme ; il n'y a pas eu de pillage.
 Le pays est maintenant occupé par de la landsturm, 
							c'est-à-dire par des gens paisibles, qui ne 
							molestent personne.
 Puisse-t-il en être de même jusqu'au bout, et la 
							seule crainte que l'on éprouve dans le pays, c'est 
							de savoir ce qui se passera lorsque les troupes 
							allemandes seront refoulées, et contraintes 
							d'évacuer la région.
 M. Marc Raty est à Saulnes.
 M. et Mme Emile Thomas sont en bonne santé à Gorcy, 
							ainsi que Mme Paul Labbé.
 
 Une autre dame complète comme suit, à la date du 27 
							novembre, les renseignements publiés ci-dessus
 Un certain nombre de personnes ont été mises à mort 
							par les Allemands à Mont-Saint-Martin.
 Il y aurait 21 victimes. Les seuls noms que nous 
							possédions sont les suivants :
 Lambert, cafetier près de la gare.
 Surbac, propriétaire du café de l'Aérorplane.
 Une famille de la route d'Aubange dont on n'a pu 
							nous citer le nom.
 Un Espagnol, auquel les Allemands ont ouvert le 
							ventre et qu'ils ont laissé exposé, dans cet état, 
							pendant trois jours, dans une brouette.
 Une fils du pharmacien Beckrich, tué à Longwy.
 William Pug, d'Halanzy, fusillé sous les yeux de sa 
							mère et de sa soeur, ainsi que le beau-père de sa 
							soeur. Ils s'étaient offerts comme otages ; les 
							Allemands les ont fusillés et n'ont pas, pour cela, 
							épargné le village.
 On nous dit qu'un certain nombre de membres de la 
							Société des Vétérans, et le président de cette 
							société, le commandant Lefèvre, avaient été 
							fusillés. C'est inexact.
 On affirme qu'il y a seulement une cinquantaine de 
							maisons brûlées à Mont-Saint-Martin. On nous a cité 
							quelques-uns des immeubles incendiés :
 La cité Mille-Briques, la ferme de Bellevue, sur le 
							plateau, démolie par les obus français lorsqu'elle 
							abritait les assaillants.
 La maison de direction de la Société des Aciéries de 
							Longwy a été un peu détériorée par quelques obus. 
							L'un a détruit la véranda ; un autre est tombé dans 
							une chambre à coucher.
 Toutes les maisons de Mont-Saint-Martin, depuis le 
							square situé près du groupe scolaire jusqu'à la 
							porte de Bourgogne ont été complètement détruites. 
							Il en est de même, sur la route d'Aubange des fermes 
							Dorion, Fournel et d'un certain nombre d'autres 
							maisons.
 Un groupe de maisons descendant sur les nouveaux 
							laminoirs de la Société des Aciéries ont été 
							également incendiées.
 M. Deligny, maire de Mont-Saint-Martin, a été pris 
							comme otage à plusieurs reprises. Il a beaucoup de 
							peine pour pouvoir donner satisfaction aux exigences 
							des chefs de cantonnements dans leurs demandes de 
							réquisitions concernant : couvertures, fourrage, 
							pétrole, peaux de boeufs pouvant être exportées en 
							Allemagne pour la confection du cuir pour 
							chaussures.
 M. Reuter, secrétaire général des Aciéries de 
							Longwy, adjoint au maire de Mont-Saint-Martin, a été 
							mis en joue place de l'Eglise et menacé d'être 
							exécuté, alors qu'il se rendait à la mairie pour 
							organiser des distributions de pain aux habitants. 
							Il a été néanmoins épargné.
 LONGWY Le docteur Sypiorski. médecin en chef de 
							l'Hôtel-Dieu des Aciéries de Longwy, a conduit 
							merveilleusement son hôpital. A eu un très beau rôle 
							; ayant vu un entant de six mois tué d'une balle, 
							est allé le porter au commandant allemand et lui en 
							a reproché la mort, en s'offrant, poitrine 
							découverte, comme victime s'il en fallait une à la 
							fureur teutonne.M. Friche, chef du service des HautsFourneaux de la 
							Société des Aciéries de Longwy, a été fait 
							prisonnier à la reddition de Longwy et se trouve 
							actuellement à Koenigsbrük (Saxe).
 M. de Saintignon n'habite pas sa maison qui, étant 
							dans la ligne de tir, a reçu quelques obus et qui, à 
							l'heure actuelle, est en assez mauvais état : elle 
							est, du reste, occupée par les Allemands.
 Les Allemands occupent également le château de M. 
							Emile Thomas, où ils ont installé la kommandatur de 
							Longwy.
 L'habitation de M. Henri Thomas est aussi occupée 
							par les Allemands pour des bureaux. Les Allemands y 
							ont planté, à l'entrée, une allée de sapins, ornée 
							de guirlandes et de drapeaux allemands.
 M. Maire, gérant de l'hôtel Saint-Martin, a été 
							également menacé par les Allemands qui lui ont 
							déclaré qu'ils le feraient sauter avec l'hôtel. 
							Heureusement, ces menaces ont été vaines 
							jusqu'alors.
 
 Enfin, une personne qui a pu quitter Longwy le 13 
							novembre nous communique à son tour les 
							renseignements suivants :
 Longwy-Haut est entièrement rasé, y compris les 
							portes des fortifications, les remparts, etc.
 A LONGWY-BAS Parmi les maisons détruites, on signale :l'immeuble de la Société Nancéienne, le Parc des 
							Récollets, la scierie Imbert.
 A la liste déjà publiée des victimes, il y a lieu 
							d'ajouter les noms suivants : M. Bray et M. Ponsard, 
							attaché à la Société des Produits réfractaires.
 La vie à Longwy est maintenant à peu près normale. 
							Le pillage est interdit aux soldats allemands et il 
							est infligé une punition aux délinquants.
 Il y a marché tous les jours et la population est 
							bien alimentée. Les cours des denrées ordinaires 
							sont normaux. Le sucre coûte 0 fr. 70 le kilo ; le 
							beurre 1 fr. 25 la livre ; les pâtes alimentaires, 
							les mêmes prix qu'avant la guerre.
 Les Longoviciens peuvent aller et venir et même se 
							rendre à la gare, au passage des convois de 
							prisonniers, auxquels ils portent quelques douceurs.
 Il y a 500 soldats à Longwy ; ils sont tous de la 
							landsturm.
 Le maire allemand est installé à l'école de 
							Longwy-Bas.
 Les cafés et magasins sont ouverts.
 Tous les lainages ont été réquisitionnés par les 
							autorités allemandes.
 Il est formellement interdit à la population de 
							parler de Verdun, de Toul et de Nancy. Toute 
							personne contrevenant à cette défense est punie de 
							10 ans de forteresse.
 Après la prise de Longwy, un grand nombre de 
							Luxembourgeois sont venus visiter les ruines de la 
							ville. On se serait cru à un jour de foire de 
							Pâques.
 Le kaiser est venu deux fois à Longwy et s'est fait 
							photographier sur les ruines de la ville. Il a du 
							reste annoncé la prise de Longwy comme s'il 
							s'agissait de la prise d'une place forte de 
							l'importance de Verdun, protégée par des forts bien 
							équipés.
 Dans une de ses proclamations, il dit : «  Nous avons 
							pris les forts Romain, Cosne, Gorcy, Maragole, 
							Piedmont, Bois-de-Chat, et fait 85.000 prisonniers. 
							»
 LONGLAVILLE A Longlaville, les dégâts sont moindres; quelques 
							maisons seulement ont souffert.Le village de Romain est entièrement détruit.
 M. Frilley a eu, comme maire de Longlaville, une 
							alerte.
 On avait brûlé un convoi de fourrage appartenant aux 
							Allemands, et ceux-ci ont imposé à la commune de 
							Longlaville une contribution de guerre de 40.000 
							francs, indépendante d'une autre contribution, 
							beaucoup plus importante, dont les usines du Bassin 
							auraient été frappées dès le début de l'occupation.
 M. Frilley a pu réunir la somme et éviter d'être 
							fusillé comme on l'en avait menacé.
 JARNY Quelques renseignements tirés d'une lettre d'un 
							habitant de Jarny :«  Le feu a été mis chez M. Bérard, jusqu'aux 
							Magasins Réunis, tout fut brûlé, sauf la boucherie 
							Bilote et la maison Bèche ; de l'église à la place, 
							tout a été brûlé, la boulangerie Genot, le 
							cordonnier, le café du Commerce, tout est brûlé.
 «  Ont été tués : M. le maire Genot, le curé, M. 
							Collignon, rentier ; M. Pérignon, charron, sa femme, 
							son fils et sa fille, qui a le bras droit coupé. 
							D'autres encore, plus une vingtaine d'Italiens. »
 REHON A l'occasion de la fête de la Toussaint, une 
							cérémonie a eu lieu à Rehon.Un lieutenant-colonel allemand a prononcé un 
							discours dans lequel il adresse un souvenir ému aux 
							soldats qui ont succombé : «  A vous, héros français, 
							morts pour votre Patrie ; à vous, héros 
							allemands.... »
 Les Longoviciens ont déposé sur les tombes des 
							soldats français des bouquets tricolores.
 BLAMONT Une personne revenue de Blâmont depuis Le 1er 
							décembre, affirme que cette ville fut brûlée en 
							partie et entièrement pillée, même au milieu de la 
							nuit. La chocolaterie Burrus est détruite ; les 
							uhlans ont fusillé une jeune fille de 17 ans, Mlle 
							Marguerite Cuny ; un vieillard de 70 ans, M. 
							Barthélémy ; M. Fouel, qui tenait le café du 
							Commerce.Des patrouilles allemandes ont été signalées aux 
							environs de la ville avant la déclaration de guerre.
 NOS AVANTAGESpartout consolidés
 Bordeaux, 15 décembre, 15 h. 50.De la mer à la Lys, les Anglais ont enlevé un petit 
							bois à l'ouest de Wytschaete.
 Le terrain gagné hier par nos troupes le long du 
							canal d'Ypres et à l'ouest d'Hollebecke a été 
							conservé, malgré une contre attaque vigoureuse de 
							l'ennemi.
 De la frontière belge à la Somme, rien à signaler.
 De la Somme à l'Argonne, canonnade intermittente et 
							peu intense, sauf dans la région de Crouy.
 En Argonne, nous avons fait quelques progrès et 
							consolidé notre avance des jours précédents.
 Dans les Vosges, la gare de Saint-Léonard (sud de 
							Saint-Dié) a été violemment bombardée à grande 
							distance par les Allemands.
 En Alsace, grande activité de l'artillerie ennemie.
 Sauf à Steinbach, où une attaque d'infanterie 
							allemande, partie d'Uffholtz, a pu prendre pied, 
							nous avons partout maintenu nos progrès antérieurs.
 OFFENSIVE HEUREUSE EN BELGIQUE Communiqué officiel du 15 décembre, 23 heures :En Belgique, les troupes franco-belges ont débouché 
							de Nieuport et occupé la ligne lisière, à l'ouest de 
							Lombaertzyde, et la ferme Saint-Georges.
 Au sud d'Ypres, nous avons attaqué, dans la 
							direction de Klainzilldeke et nous avons gagné 500 
							mètres.
 En Alsace, nous continuons à tenir les hauteurs de 
							Steinbach.
 Sur le reste du front, rien à signaler.
 LE SIGNAL DE LA MÈRE-HENRY Le communiqué officiel du 13 décembre nous a dit que 
							quelques attaques de l'ennemi dirigées contre le 
							signal de la Mère-Henry, au nord-ouest de Senones, 
							ont été repoussées. Ce signal est un sommet boisé 
							qui fait partie d'une crête montagneuse courant du 
							nord-est au sud-ouest et formant le versant droit de 
							la vallée du Rabodeau affluent de la Meurthe qui 
							passe à Senones. C'est un point qui, par de fortes 
							pentes et des escarpements, domine Senones de 300 
							mètres, à courte distance.La crête est étroite, et du côté opposé elle 
							commande le vallon des Ravines, où coule également 
							un ruisseau. Il est probable que le signal en 
							question nous est acquis depuis le combat dont nous 
							avons connu le résultat il y a quelques jours.
 LA DESTRUCTION DE ROUVRESSes habitants sont massacrés
 M. Emile Julien, instituteur à Rouvres (Meuse), 
							réfugié à Bossey (Haute-Savoie), vient de publier le 
							rapport qui lui avait été demandé sur l'agonie de la 
							commune où il enseignait. Nous lui cédons la parole, 
							et résumons les pages les plus palpitantes de son 
							travail.Rappelons toutefois, en commençant, que Rouvres 
							était un joli village meusien comptant 493 
							habitants, répartis en 141 ménages, situé au nord 
							d'Etain, sur la route de Verdun à Briey, à 
							vingt-cinq kilomètres de Metz :
 Des coups de feu tirés des bois voisins par quelques 
							chasseurs français ayant tué plusieurs uhlans, le 
							colonel allemand qui occupait le village donna 
							l'ordre d'incendier, après avoir pillé, et de 
							massacrer les habitants. Des grenades furent 
							aussitôt lancées sur les extrémités du village qui 
							prirent feu.
 
 LE PILLAGE
 Guidés par des bergers naguère employés au village, 
							quelques uhlans fouillent tout et se ruent sur les 
							maisons des familles les plus aisées. Vingt 
							automobiles, aménagées spécialement dans ce but, 
							recueillent les objets pillés, argenterie, objets 
							d'art, lingerie, victuailles, vins fins et 
							eau-de-vie. Au presbytère, laissé vide par le curé, 
							parti pour remplir son devoir militaire, après avoir 
							profané les vases sacrés, ils remplissent le calice 
							de viande de porc.
 Les automobiles chargées filent ensuite à toute 
							vitesse sur Metz.
 
 L'INCENDIE
 Après le pillage, une grêle de grenades et d'obus 
							est lancée sur le village, incendiant les maisons, 
							dont des toits volent en éclats. Les premières 
							maisons de chaque rue sont brûlées à l'aide de 
							torches que les soldats lancent dans les granges et 
							les fenils. Voyant que le désastre ne se propage pas 
							assez vite, les soldats, munis de bidons de pétrole, 
							en arrosent les récoltes dans les granges et y 
							mettent le feu. Deux heures plus tard, le village 
							n'est plus qu'un monceau de ruines fumantes.
 
 HORRIBLE CARNAGE
 Tandis que le feu dévore les récoltes, les uhlans 
							pénètrent dans les habitations et en font sortir les 
							personnes à coups de crosse de fusil. Ceux qui 
							résistent sont abattus à coups de revolver ; ceux 
							qui sortent, femmes, enfants et vieillards, sont 
							accueillis dans la rue par la fusillade. 
							Cinquante-sept personnes du village, sans compter 
							trente étrangers de la commune d'Affléville 
							(Meurthe-et-Moselle), incendiée quatre jours 
							auparavant et qui avaient cherché un refuge à 
							Rouvres, trouvent la mort dans ce massacre ; 
							quarante autres ont disparu. Devant la maison de M 
							Leloup, située à l'extrémité d'une rue, quatorze 
							cadavres étaient rangés près de la grille. L'une des 
							victimes, M. Nicolas Périe, adjoint, eut la tête 
							tranchée d'un coup de sabre, la tête roula sur la 
							route, le corps fut jeté dans un jardin. Les 
							cadavres jonchaient le sol Nombreux encore sont ceux 
							qui périrent dans les champs en se sauvant.
 Mme M.-A. Mangeot, 79 ans, fut la première victime. 
							Une balle tirée du dehors la tua près de son foyer. 
							Son mari, V. Mangeot, la prit dans ses bras et la 
							porta dans la cave ; il resta près d'elle environ 
							une heure. Forcé de s'enfuir pour ne pas rester 
							enseveli sous les décombres de sa maison en feu, il 
							courut, à travers la fusillade, se réfugier dans la 
							cave voûtée d'un voisin. Un tas de bois qui brûlait 
							et menaçait d'obstruer la sortie l'obligea à quitter 
							cette nouvelle retraite. Dans la rue, il trouva une 
							vieille infirme, Mme M. Petitier, abandonnée sur sa 
							chaise. Aidé de deux autres vieillards, MM. A. 
							Giland et Th. Simon, il la transporta, au prix de 
							mille difficultés, au village de Lanhères, distant 
							de deux kilomètres. Ce trajet pénible et émouvant 
							dura plus de deux heures.
 Mme Brouet-Morin vit tomber près d'elle son père âgé 
							de 62 ans ; sa fille Alice, âgée de 17 ans, et son 
							fils René, 14 ans. Sa dernière fille, Colombe, 12 
							ans, eut le bras fracassé par une balle. Quant à 
							elle, elle reçut deux balles dans ses habits.
 Mme Bertin-Nicot s'enfuyait avec son mari et ses 
							trois enfants, âgés de quatre, trois et un ans. Elle 
							donnait île bras à son mari. Un Allemand la saisit, 
							la dégagea de vive force et la jeta à terre. Puis il 
							tira un coup de revolver sur M. Bertin, qui tomba. 
							Celui-ci voulut se relever, une deuxième balle 
							l'abattit de nouveau ; une seconde tentative qu'il 
							fit pour se relever lui valut une troisième balle 
							qui l'étendit raide mort. La pauvre femme resta plus 
							d'une heure à genoux, auprès du cadavre de son mari.
 M. A. Bourgaux, 60 ans, épicier, s'enfuyait, tenant 
							par la main ses deux petits-enfants, Léonce et 
							André, âgés de six et quatre ans, quand une balle 
							l'abattit dans la rue. Les deux pauvres petits, 
							affolés, rôdèrent longtemps autour de la maison 
							embrasée et finirent par se coucher près du cadavre 
							de leur grand-père. C'est dans cette navrante 
							position que nos soldats les retrouvèrent 
							vingt-quatre heures après.
 Leur mère, partie s'approvisionner à Etain, dut à 
							cette heureuse circonstance d'échapper à la mort. La 
							petite Léontine, 10 ans, soeur aînée de Léonce et 
							d'André, sortait du magasin de sa grand'mère, quand 
							elle reçut une balle qui l'atteignit au nez et tua 
							près d'elle une fillette de douze ans, originaire 
							d'Affléville.
 M. Bouché, infirme, père de sept enfants en bas âge, 
							fut massacré sur le seuil de sa porte.
 M. A. Gérard, paralytique, fut brûlé vif dans son 
							lit, sa femme n'ayant pu l'emporter.
 M. Simon Touchot, père de trois garçons, dont deux 
							sont soldats, eut le ventre horriblement ouvert d'un 
							coup de lance. Sa femme eut la cuisse traversée d'un 
							coup de lance. Leur dernier fils, 18 ans, a disparu.
 Pendant l'incendie, douze ou quinze femmes et jeunes 
							filles furent saisies par les uhlans et emmenées 
							dans un parc au milieu des bois, sur la route de 
							Briey. On n'a jamais su ce qu'elles étaient 
							devenues.
 Parmi ce malheureux groupe se trouvaient la femme et 
							la fille de l'instituteur.
 Ce dernier échappa, comme par miracle, à dix coups 
							de feu tirés sur lui. Arrêté et sur le point d'être 
							fusillé, il fut sauvé par un soldat qui intercéda 
							pour lui. Mais il dut faire trois kilomètres à pied, 
							sous les coups de crosse et de poing, jusqu'à 
							l'ambulance allemande, où il fut contraint de 
							soigner les blessés, M. Wuillaume, maire, sur le 
							point d'être fusillé, fut sauvé par un colonel qui 
							avait bu du Champagne chez lui, et qui cependant eut 
							le cynisme de lui dire : «  Je vous donne la vie pour 
							que vous puissiez avoir toujours l'horreur du crime 
							qu'on vient de commettre. Vous êtes seul 
							responsable. »
 
 ORGIE
 Deux maisons, à dessein préservées de l'incendie, 
							celles de MM. E. Léonard et C. Robinet, furent 
							ensuite le théâtre d'une orgie de pourceaux. Tout le 
							bétail, moutons et porcs, abattu à coups de fusil, 
							plusieurs tonneaux de vin et des centaines de litres 
							d'eau-de-vie, abreuvèrent et remplirent ces brutes. 
							L'orgie terminée, au matin, ces deux maisons furent 
							incendiées. Le reste des viandes et du liquide fut 
							expédié à Metz.
 
 LE CHATIMENT
 Réfugié à Buzy, au milieu de l'armée française, avec 
							d'autres malheureux habitants de Rouvres, 
							l'instituteur reconnut, parmi des prisonniers 
							allemands, le colonel qui avait ordonné le pillage, 
							l'incendie et le massacre. C'était un homme de haute 
							stature, aux traits caractéristiques bien marqués, à 
							l'air féroce et au regard méchant. Il le signala au 
							colonel français, qui en prit bonne note et promit 
							de le traduire en conseil de guerre. Ce soudard a dû 
							recevoir sans tarder la juste récompense de ses 
							exploits.
 Et maintenant les ruines accumulées le long des rues 
							donnent à ce village l'aspect d'un vaste cimetière. 
							L'église, encore debout et intacte, ressemble, dans 
							cette solitude, à un mausolée érigé en souvenir d'un 
							désastre national. Le clocher, qui domine la plaine, 
							verra des maisons se reconstruire et se grouper à 
							son ombre protectrice.
 Rouvres renaîtra de ses cendres C'est le désir des 
							survivants et le voeu qu'espèrent voir réaliser tous 
							ceux qui comptaient des amis dans ce charmant 
							village, tous les Meusiens et tous les Français.
 La paix qui vient, la victoire qui accourt opéreront 
							des résurrections, à Rouvres comme dans tous les 
							villages de l'Est et du Nord.
 VERDUN PLUS FORT QUE JAMAIS Londres, 15 décembre.L'envoyé spécial du «  Times » à Verdun dit que la 
							défense de Verdun a été pour l'Allemagne l'un des 
							plus grands désappointements. Car à l'heure 
							actuelle, cette place est plus forte qu'elle n'a 
							jamais été, d'autant que l'armée qui combat devant 
							elle est intacte, aguerrie, entraînée et 
							enthousiasmée par la cruelle expérience que 
							l'Allemagne a faite depuis ces quatre mois de 
							campagne.
 Son artillerie, qui peut avantageusement subir la 
							comparaison avec toutes celles du monde, n'a rien à 
							craindre des plus grosses pièces ennemies.
 En dépit de ses efforts réitérés, l'armée du 
							kronprinz n'a jamais pu en approcher plus près que 
							la ligne Montfaucon, Forges, Ornes, Etain, 
							Fresnes-en-Woëvre, Combres et un point sur la Meuse 
							un peu au nord de Saint-Mihiel, soit à moins de 15 
							kilomètres du centre de la forteresse.
 Les chances de l'ennemi de s'en venir plus près de 
							Verdun ne font que diminuer.
 A LA GARE A partir du 16 décembre 1914 les trains 
							Nancy-Frouard et retour auront leur parcours 
							prolongé jusqu'à Liverdun et suivront les horaires 
							ci-après :Nancy, départ. 5 h. 54 18 h. 54
 Liverdun, arrivée. 6 h. 27 18 h. 47
 Liverdun, départ. 6 h. 32 18 h. 52
 Nancy, arrivée. 7 h. 08 19 :1. 28
 NOTRE PROGRESSIONcontinue
 DEPUIS LA BELGIQUE JUSQU'A L'ALSACE
 Bordeaux, 16 décembre, 15 h 45.En Belgique, Westende (nord-est de Lombaertzyde) a 
							été violemment bombardé par l'escadre anglaise.
 L'armée belge a repoussé une contre-attaque sur 
							Saint-Georges, et occupé les fermes de la rive 
							gauche de l'Yser.
 Nos troupes, qui avaient déjà gagné du terrain vers 
							Kleinzillébêhe, ont aussi progressé, mais moins 
							sensiblement, dans la région de Saint-Eloi.
 Dans la région d'Arras, dans celle de l'Aisne et en 
							Champagne, combats d'artillerie où nous avons, sur 
							divers points, pris nettement l'avantage.
 En Argonne, rien à signaler.
 En Woëvre, nous avons repoussé toutes les attaques 
							allemandes dans le bois de Mortmare et conservé 
							toutes les tranchées enlevées par nous le 13 
							décembre.
 En Alsace, nous avons repoussé une attaque à l'ouest 
							de Cernay.
 Paris, 17 décembre, 10 h. 05.
 Communiqué officiel du 16 décembre, 23 heures :
 Légère progression jusqu'à la mer, au nord-est de 
							Nieuport, au sud-est d'Ypres, le long de la voie 
							ferrée, dans la direction de la Bassée.
 Aucun incident notable sur le reste du front.
 LES SPORTIFS LORRAINSCeux qui font la campagne
 Une information parue dans nos colonnes a eu pour 
							résultat une volumineuse correspondance de tous les 
							sportifs qui s'empressent d'envoyer à «  l'Est 
							Républicain » un souvenir ou un souhait amical.Nos sportifs en campagne sont tous remplis 
							d'enthousiasme et d'entrain, depuis le vétéran 
							jusqu'au comingman, soit qu'il ait en main le volant 
							d'une 60 HP, soit qu'il monte une marque obscure ou 
							célèbre de cycle, soit qu'il se soit illustré dans 
							le rugby, soit que les épreuves pédestres l'aient 
							jadis couronné de lauriers.
 M. Eugène Beaudouin, chef délégué sportif de l'U.V 
							F., complète nos renseignements personnels.
 Les sociétés nous ont fait, d'autre part, tenir la 
							liste de leurs membres actuellement sous les 
							drapeaux.
 C'est ainsi que nous sommes en mesure d'annoncer à 
							leurs amis que la plupart de nos sportifs ont été 
							généralement épargnés par les Boches. Un seul, 
							Charles Belliéni, motocycliste, a été ravi en pleine 
							jeunesse à l'affection des siens, au lendemain de 
							Morhange.
 Stoquert a été blessé dans la Somme, ainsi que 
							Georges Beaudouin ; le premier est en traitement 
							dans un hôpital normand ; le second est retourné à 
							sa batterie, sur le front.
 Le cycliste Grandgeorges a été blessé devant 
							Morhange.
 Lucien Barthélémy, de la J.C.N. a été atteint à la 
							poitrine par un éclat d'obus.
 Comme il sautait en selle pour traverser ensuite le 
							champ de bataille, un obus, cette fois, brisa la 
							roue avant de sa bicyclette :
 - Jamais de ma vie, raconte Barthélémy, je n'ai fait 
							sur ma machine un aussi beau soleil ! »
 Pertusot et Serrière sont cyclistes d'une division, 
							où sert lui-même M. Maigret, en qualité de 
							motocycliste, et M. Bechmann, directeur de la 
							succursale Chenard-Walcker, comme automobiliste.
 Excellentes nouvelles d'Ernest Peugeot sympathique 
							automobiliste, qui a vu souvent de près le feu des 
							Boches, en Argonne.
 A l'autre division du même corps d'armée, figure Paul Voisset, de Toul, motocycliste. A l'état-major 
							d'un corps d'armée, nous notons la présence des 
							motocyclistes Alphonse Ferry et Georges Henry, des 
							automobilistes Louis Bertrand, sergent, et Abel 
							Beugnot, du sergent-secrétaire Knecht.
 Les régiments de la garnison de Nancy comptent dans 
							leurs effectifs Longa, cycliste du colonel, Victor 
							Ferry et Hanrion, Laprévotte, maréchal-des-logis de 
							liaison avec le colonel ; Cuny, cycliste des trains 
							régimentaires : Ernest Roussel, Charles Kippert, 
							Krempf, tous trois cyclistes d'escorte à la armée.
 Noirtin et Vincent ont les galons d'adjudants 
							d'artillerie : Chairygnes, le redoutable champion de 
							rugby est dans la même arme, comme Fernand Jacquiau 
							et Leloup, de la J. C. N., et comme Gastiger, de 
							Levallois.
 Les frères Simon, Eugène et Paul, sont dans la ligne 
							; Lhermitte, Robert Beyler, Louis Thiverny, 
							également. Le sergent Viriot est un excellent «  
							vitrier » ; Pierre Weiss a le grade de lieutenant 
							aux chasseurs à cheval.
 André Renaud, complètement rétabli, a repris le 
							volant d'une foudroyante torpedo ; les chauffeurs de 
							Peugeot justifient la confiance des officiers qu'ils 
							pilotent et, quoique privés de leurs nouvelles, nous 
							avons lieu de penser que Chèvre, Perron, Coffre et 
							leurs camarades sont toujours en aussi bonne santé 
							qu'aux débuts de la campagne.
 La J.C.N. est encore représentée par son trésorier. 
							Charles Heywang et Georges Muel, parmi les vaillants 
							qu'iront rejoindre incessamment leurs camarades 
							Esohbach et Lacroix, réunis par le dernier appel des 
							classes à Albert Renaud et Georges Caquant.
 René Altmeyer, rédacteur à la «  Lorraine Sportive », 
							s'est engagé volontaire dans le génie ; un autre 
							confrère, Bardin, rédacteur à «  Nancy-Sport », 
							arbore modestement le képi de garde civique dans nos 
							rues M. Charmoille, directeur de l'Institut 
							d'éducation physique, est automobiliste en 
							Champagne.
 Tels sont les «  tuyaux » que nous avons pu obtenir 
							sur nos sportifs mobilisés ; un seul d'entre eux, le 
							sergent Schurrer, est disparu, sans qu'on sache 
							encore s'il a été fait prisonnier et dirigé sur 
							l'Allemagne.
 Nous souhaitons sincèrement à ces braves qui ont si 
							heureusement défendu leur chance - comme ils disent 
							- de revenir sains et saufs pour les épreuves en vue 
							lesquelles la guerre aura si parfaitement entraîné 
							nos athlètes lorrains.
 LES OTAGES GENÈVE. - Passage d'internés. - Samedi soir, à 9 
							heures 15, sont arrivés une quarantaine de Français, 
							parmi lesquels se trouvait le comte de Guichen, qui 
							avait été amené comme otage à Saverne, et y fut 
							interné jusqu'à ces jours derniers. LES OTAGES D'ARRACOURT Mme Adry, réfugiée à Lons-le-Saunier (Jura), rue des 
							Roohettes, nous donne le nom des otages emmenés 
							d'Arracourt. Les voici :MM. Pernet, conseiller d'arrondissement; Adry, juge 
							de paix ; Gauçon, greffier ; Pastel, horloger : Eve, 
							rentier ; Lacour, curé ; Jespirier, instituteur ; 
							Simonin, aubergiste ; Jacquot, boulanger ; S. 
							Simonin, Gougelin, Louis, cultivateurs ; Becker.
 Ces otages ont été emmenés depuis le 11 septembre, 
							et sont actuellement au fort von der Tann, à 
							Ingolstadt (Bavière).
 Mme Adry reçoit quelques cartes de son mari, mais 
							lui n'a pas encore reçu une seule lettre de France.
 NOUVEAUX PROGRÈSen Belgique et dans le Nord
 ACCALMIE PARTOUT AILLEURS
 Bordeaux, 17 décembre, 15 h. 15.De la mer à la Lys, nous avons enlevé plusieurs 
							tranchées à la baïonnette.
 Nous avons consolidé nos positions à Lombaertzyde et 
							Saint-Georges et organisé le terrain conquis à 
							l'ouest de Gheluvelt.
 Nous avons progressé sur quelques points dans la 
							région de Vermelles.
 Pas d'action d'infanterie sur le reste du front, 
							mais tir très efficace de notre artillerie lourde.
 Aux environs de Tracy-le-Val, sur l'Aisne et en 
							Champagne, ainsi que dans l'Argonne et dans la 
							région de Verdun, en Lorraine et en Alsace, rien à 
							signaler.
 Paris, 18 décembre, 0 h. 55.
 Communiqué officiel du 17 décembre, 23 heures :
 En Belgique, nos troupes ont gagné du terrain au 
							nord de la route d'Ypres à Menin, ainsi qu'au sud et 
							au sud-est de Bixschoote. Nous avons débouché au 
							nord-est d'Arras et nous sommes arrivés aux 
							premières maisons de Saint-Laurent-Blanzy.
 Sensibles progrès à Ovillers-LaboisselleMametz et 
							Maricourt, dans la région de Bapaume-Péronne.
 De la Somme aux Vosges, rien à signaler..
 NOS RAIDS SUR FRIBOURG-EN-BRISGAU Paris, 18 décembre, 1 heure.BELFORT. - Le 4 décembre, les aviateurs de Belfort 
							ont lancé six bombes efficaces sur 
							Fribourg-en-Brisgau.
 Les aviateurs avaient fait une grande boucle sur la 
							Forêt-Noire pour gagner Fribourg, afin de dépister 
							les Allemands.
 Le 9 décembre, l'escadrille, malgré une canonnade 
							furieuse, lança quatorze bombes, qui furent 
							efficaces et causèrent d'énormes dégâts.
 Dans ce raid, le chef de l'escadrille reçut un éclat 
							d'obus dans l'aile. Plusieurs balles frôlèrent le 
							réservoir et brisèrent les tendeurs.
 Cependant, l'appareil resta stable et, après une 
							dernière canonnade, près d'Altkirch, les avions 
							rentrèrent à Belfort, sans autre incident.
 NOS MORTS GLORIEUSESM. NOEL
 Nancy, 18 décembre.C'est avec le plus grand regret que nous apprenons 
							la mort de M. Noël, directeur des Usines de 
							Marchéville-Daguin, décédé à l'hôpital militaire de 
							Nancy, à la suite de ses blessures.
 Le défunt était le fils de l'ancien directeur du 
							service des eaux de la ville de Nancy. Il fut un des 
							premiers élèves de l'Institut chimique, où il acquit 
							de grandes connaissances.
 Il entrait bientôt aux soudières de la Madeleine où, 
							grâce à son travail, son activité incessante et ses 
							grandes qualités d'administrateur, il fut nommé 
							directeur des établissements Daguin et Cie, qui 
							comprennent les Soudières et les Salines de 
							Varangéville.
 Appelé par la mobilisation, il se rendit à son poste 
							avec le modeste grade de caporal et sut se faire 
							aimer de tous.
 L'autorité militaire fit appel à sa science de 
							chimiste pour connaître la composition d'un explosif 
							contenu dans un obus ennemi. Hélas ! malgré toute la 
							prudence avec laquelle il manipulait le terrible 
							engin, celui-ci fit explosion, le blessant 
							cruellement.
 M. Noël fut transporté à l'hôpital militaire, où 
							bientôt la médaille militaire lui était décernée 
							pour son dévouement. Malgré la science des docteurs 
							et le dévouement de son épouse, le blessé 
							succombait.
 Nous adressons à sa veuve et à toute la famille 
							l'expression de notre douloureuse sympathie.
 UN
							HÉROS DE SEIZE ANS D'une correspondance adressée à sa famille par un de 
							nos concitoyens, soldat dans un régiment de l'Est, 
							nous détachons ce passage qui relate un épisode 
							émouvant et inédit de la guerre en Lorraine :«  Je suis encore sous le coup de l'émotion que vient 
							de nous causer, à mes camarades et à moi, 
							l'apparition au milieu de notre bivouac d'un gamin 
							de seize ans, tout frêle encore, mais qui est animé 
							d'une extraordinaire énergie, ainsi que l'a prouvé 
							le touchant récit que voici :
 «  Je suis né, m'a-t-il dit - sur mes questions - à 
							Spincourt, au-dessus d'Etain. J'ai 16 ans depuis le 
							15 juillet. Je m'appelle Robert Lorette ; j'étais 
							garçon boucher à Etain, chez M. Beuvrier. Lorsque la 
							guerre fut déclarée, mon patron ferma sa boutique et 
							je suis retourné chez mes parents. Trois jours 
							après, les Boches s'emparaient d'Etain et marchaient 
							sur Spincourt, mais ils se heurtèrent aux ...e et ... 
							d'infanterie qui les repoussèrent.
 «  Ah ! si vous aviez vu ça ! Les Boches s'avançaient 
							en levant la crosse jusqu'aux tranchées du ...e, 
							comme pour se rendre, et, lorsqu'ils arrivaient à 
							cent mètres, les nôtres sortirent pour les faire 
							prisonniers. Hélas ! leurs rangs s'ouvrirent et 
							leurs mitrailleuses, dissimulées derrière les 
							premiers rangs, se mirent à cracher, fauchant les 
							nôtres.
 «  C'est là que j'ai vu le drapeau pris par les 
							Boches, mais pas pour longtemps ! Cinquante Français 
							- pas davantage ! de ceux qui n'étaient pas blessés, 
							s'élancèrent à la baïonnette et reprirent leur 
							drapeau ; mais, devant le nombre toujours croissant 
							des ennemis, ils durent se replier.
 «  Comme j'aurais voulu être avec eux ! Mon père ne 
							voulut pas les suivre ; il eut tort. Une pluie 
							d'obus arrivant sur le village mit le feu à la 
							plupart des fermes et ma petite soeur fut tuée par un 
							éclat. Mon père et ma mère étaient affolés et les 
							Prussiens arrivaient toujours. Lorqu'ils entrèrent 
							dans le pays, j'étais caché dans une écurie ayant 
							une porte sur les jardins.
 «  C'est là que je vis fusiller mon père et ma mère. 
							Alors, je me suis sauvé en jurant de les venger.
 «  C'est fait, allez, depuis longtemps ! J'ai rejoint 
							les soldats et je leur ai dit tout ce que j'avais 
							vu. Ils m'adoptèrent avec eux, m'ayant habillé avec 
							des effets de rechange et m'ayant donné un fusil 
							chargé, pris à un blessé. Le soir, nous rentrions en 
							vainqueurs à Spincourt. Tout était brûlé. Depuis je 
							sais charger mon fusil tout seul et je suis sûr 
							d'avoir tué plus d'un Boche ! »
 En terminant ce récit le soldat s'adressant à son 
							fils, qui a justement l'âge de notre jeune héros 
							lorrain, ajoute :
 «  Comme tu vois, nombre de ces enfants, aujourd'hui 
							sans biens et sans famille, errent à la suite des 
							combattants avec la haine au coeur.
 «  Tu dois l'avoir aussi, toi cette haine du Germain, 
							de ce barbare qui ne respecte même pas les femmes et 
							les enfants. »
 EN TIRAILLEUREn Haute-Alsace - Le bon vin de France - Une carte 
							postale émouvante
 Nous recevons de temps en temps des nouvelles des «  
							nôtres », combattant sur différentes parties du 
							vaste front qui, peu à peu, repousse l'envahisseur 
							du sol français et qui reconquiert, pied à pied, 
							notre chère Alsace. Publions, avec la prudence qui 
							convient, les «  notes » que nous recevons de 
							quelques concitoyens.
 L'un d'eux tient, depuis le mois de septembre, 
							garnison à Dannemarie, la jolie petite ville 
							d'Alsace, d'où, en montant en haut du clocher de 
							l'église, on peut apercevoir Mulhouse...
 - Je suis ici, nous écrit-il, depuis bientôt trois 
							mois : c'est vous dire que je connais maintenant 
							tout le monde, depuis les éclusiers du canal 
							jusqu'au brave curé du patelin. Au début, les 
							habitants étaient très hésitants. Songez donc : 
							c'était la troisième fois qu'on y venait, et ils 
							craignaient de nous voir repartir encore et de 
							renouer connaissance avec les Boches. Mais 
							maintenant, c'est bien changé. Ils nous savent ici 
							pour toujours. Toute méfiance, toute crainte a 
							disparu. Si vous savïez l'impression de calme et de 
							sécurité qui règne. Aussi nos soldats sont gâtés ; 
							autant du moins que cela est possible à une 
							population qui manquait de bien des choses, mais 
							qui, grâce à nous, commence à revivre la vie 
							normale. Réorganisation des transports, 
							ravitaillement de la population, travail pour les 
							malheureux, réouverture des écoles, nous avons tout 
							organisé. Mais une des choses qui a fait le plus 
							pour nous, c'est le vin. Notre bon vin rouge du 
							Midi, si vous saviez l'effet qu'il fait. La 
							population se paye avec délices des litres à huit 
							sous. Et les lettres que les gens du pays reçoivent 
							!... Car il faut vous dire qu'on a évacué d'ici, sur 
							le Midi et sur l'Algérie, tous les suspects et tous 
							les hommes qui étaient encore soumis à la loi 
							militaire allemande. Tous écrivent qu'ils sont dans 
							un pays merveilleux. L'autre jour, une femme, 
							recevant une lettre de son mari, qui est en Algérie, 
							s'est mise à pleurer parce qu'il lui racontait que, 
							là-bas, il payait le vin trois sous le litre. «  Il 
							ne reviendra jamais, larmoyait-elle, je le connais. 
							Jamais il ne voudra quitter un tel pays ! » Et c'est 
							vrai : il y en a beaucoup qui resteront. Hier, nous 
							avons eu un déserteur allemand pas banal. 
							Figurez-vous que ce type ressemble comme deux 
							gouttes d'eau à Napoléon III. Aussi ses supérieurs 
							passaient leur temps à lui reprocher son air 
							français : on le brimait. A tel point qu'il a fichu 
							le camp en disant à ses camarades : «  Eh bien ! 
							puisque j'ai l'air français et que ça vous embête, 
							je vais rejoindre ceux à qui je ressemble !. » Mais 
							assez bavardé ! Je vous envoie, pour la salle de 
							dépêches de l'Est un souvenir du pays...
 Ce souvenir est charmant. C'est une carte postale 
							illustrée. Elle représente la place de Dannemarie. 
							Aux fenêtres des maisons flotte le drapeau 
							tricolore. Devant la fontaine, un soldat français, 
							beau gars, l'air martial, tient par la main deux 
							délicieuses fillettes, en costume alsacien, avec le 
							joli tablier brodé, le corselet de velours et le 
							grand noeud de faille abritant les longues boucles 
							blondes. Le cliché a été pris par un de nos 
							officiers et la carte postale a eu immédiatement un 
							succès fou dans le pays.
 Le fait est qu'on ne peut se défendre d'une douce 
							émotion, à voir, sur cette place reconquise, joyeuse 
							de nos couleurs nationales, un troupier français 
							qu'encadrent deux mignonnes alsaciennes...
 UN BEAU SUCCÈS DANS LA RÉGION D'ARRASNous leur enlevons plus d'un kilomètre de tranchées 
							de première ligne
 Bordeaux, 18 décembre, 16 h, 30.La journée du 17 décembre a été marquée, comme nous 
							l'avons annoncé hier, par une progression de notre 
							part, en Belgique, où toutes les contre-attaques de 
							l'ennemi ont échoué.
 Dans la région d'Arras, une offensive vigoureuse 
							nous a rendus maîtres de plusieurs tranchées devant 
							Auchy-les-Labassée, Loos, Saint-Laurent et Blangy. 
							Sur ce dernier point, nous avons enlevé, sur un 
							front de plus d'un kilomètre, presque toutes les 
							tranchées de première ligne de l'ennemi.
 Dans la région de Tracy-le-Val, sur l'Aisne et en 
							Champagne, notre artillerie lourde a pris nettement 
							l'avantage.
 Dans l'Argonne, les Allemands ont fait sauter une de 
							nos tranchées, au nord de Four-de-Paris, et ont 
							essayé d'en déboucher avec trois bataillons. Cette 
							attaque d'infanterie et celle qu'ils ont prononcée à 
							Saint-Hubert, ont été repoussées.
 A l'est de la Meuse et dans les Vosges, rien à 
							signaler.
 DE LA CONTEMPLATION A L'ACTION Nancy, 18 décembre.J'adore recevoir des lettres de mauvaise humeur. 
							Plus j'en reçois, plus je me réjouis. Il n'est rien 
							qui actuellement me soit plus agréable.
 Ce n'est d'ailleurs pas une perversion. Cette joie 
							est le résultat d'un raisonnement simple Pour 
							l'instant mon plaisir est sans limites. Je ne reçois 
							guère que des lettres délicieusement grognonnes. Un 
							lecteur assidu se plaint de l'administration, - de 
							toutes les administrations. Un vieil abonné est 
							suffoqué à l'idée qu'on pourrait bien organiser des 
							soirées, et même des concerts au bénéfice des 
							blessés. Des anonymes protestent avec indignation 
							contre la façon dont on distribue les soupes, les 
							indemnités, les jouets, les vêtements chauds, et 
							généralement tout ce qui est distribué.
 La poste a sa part d'invectives. Et je n'ose pas 
							dire que bien d'autres personnes, et des plus haut 
							placées, sont également sur la sellette.
 On demande pourquoi ceci et comment cela.
 J'ai même cru remarquer que les petites animosités 
							de quartier ne sont pas toujours étrangères à ces 
							récriminations.
 On ne peut pas imaginer à quel point je suis 
							satisfait d'un courrier aussi désagréable pour mes 
							contemporains.
 Voilà déjà longtemps que je n'étais plus habitué à 
							cela. Au mois d'août, vers la fin surtout, je 
							n'avais pas une seule lettre de protestataire.
 C'est peut-être parce que la direction des postes 
							avait changé de séjour. Mais en septembre, alors que 
							le service des lettres avait repris anormalement, 
							j'avais à lire peu d'épîtres sans indulgence.
 On était sans doute préoccupé d'autres soucis. On 
							écoutait le canon, on plaignait les réfugiés avec la 
							crainte d'être soi-même un réfugié le lendemain, on 
							s'apitoyait sur les blessés le long des rues.
 Bref la journée était remplie de telles angoisses 
							qu'il n'y avait plus de place pour d'autres 
							sentiments.
 Mais peu à peu on s'est habitué au bruit de la 
							canonnade lointaine, à l'aspect des réfugiés dont la 
							situation est réglée administrativement, à tout ce 
							qui constitue le présent et le futur de la guerre. 
							Et on s'est aperçu qu'au-dessus de tout cela, 
							au-dessus des batailles et des craintes et de tous 
							ces épouvantables chocs, il y avait quelque chose 
							qui dominait tout : le sentiment de la vie.
 On a vu des paysans, qui avaient fui devant 
							l'invasion prochaine, retourner à leurs champs 
							pendant le combat, et ramasser les pommes de terre 
							dans le sifflement et l'explosion des obus, et on a 
							trouvé cela très bien.
 On s'habitue au danger comme à toutes choses. Ainsi 
							que le disait le président de la Chambre après la 
							bombe de Vaillant, la séance continue.
 Oui, toujours la séance continue.
 On s'est aperçu que l'héroïsme guerrier pour les 
							non-combattants, ce n'était que paroles vaines, et 
							qu'il valait mieux, au lieu de discourir en l'air, 
							déployer ces belles vertus civiques qui s'appellent 
							l'ordre, la méthode le travail.
 Avec la réalité de ces vertus la partie de la nation 
							qui n'a pas les aimes à la main nourrit la partie de 
							la nation qui lutte pour la défense de la patrie.
 Et on s'est décidé à regarder autre chose que les 
							incendies, les pillages, les carnages, les 
							épouvantes de la guerre où les yeux s'étaient 
							d'abord hypnotisés.
 On s'est tourné vers l'atelier, vers le magasin, 
							vers le foyer, et on a enfin recommencé à 
							travailler. D'abord d'une façon un peu inquiète, 
							puis avec l'étonnement de retrouver quelque chose de 
							cher, puis avec la certitude qu'on défendait mieux 
							soi-même ce que nos soldats aimés s'efforcent de 
							sauver.
 Dès lors la vie a repris. La vie a repris avec ce 
							qu'elle a de bon et de mauvais, avec ses douceurs, 
							avec ses récriminations.
 Comme il y a, par ces temps, des gènes 
							supplémentaires, il y a aussi des récriminations 
							supplémentaires.
 Mais plus je reçois d'amères protestations, et plus 
							je me réjouis, car je vois dans ces plaintes le 
							désir mal exprimé de travailler à nouveau, et le 
							tourment de ne point accomplir de toute une ardeur 
							régénérée l'oeuvre de création et de reconstitution 
							qu'on avait un peu délaissée aux premières heures de 
							la formidable tragédie qui bouleverse le monde.
 De la contemplation à l'action, il paraît qu'il est 
							indispensable de passer par la critique.
 Amis, ne protestez pas davantage. Allez tout de 
							suite à l'action. Travaillez. Vivez.
 RENE MERCIER.
 DEUXBatteries lourdes allemandes
 DÉTRUITES
 Paris, 19 décembre, 0 h. 25.Voici le communiqué officiel du 18 décembre, 23 
							heures :
 Nous avons gagné un peu de terrain le long des 
							dunes, au nord-est de Nieuport.
 Deux fortes contre-attaques ennemies, au nord de la 
							route d'Ypres à Menin ont été repoussées.
 Légère avance des troupes britanniques dans la 
							région d'Armentières.
 Notre artillerie a détruit deux batteries lourdes 
							ennemies dans la région de Verdun.
 Sur le reste du front, rien à signaler.
 LA VIE A METZ Nancy, 19 décembre.Une Nancéienne, rentrée cette semaine en notre ville 
							après une absence de quatre mois qu'elle a passés à 
							Metz, nous a relaté hier ce qu'elle a pu observer 
							chez nos voisins pendant cette intéressante période.
 Mme X... avait l'habitude de se reposer chaque été 
							chez ses parents messins. Ceuxci durent, 
							naturellement, faire à la police la «  déclaration » 
							que la loi exige de tout Allemand dont le domicile 
							abrite un étranger.
 - «  Très régulièrement, dit Mme X..., un agent 
							venait chaque semaine s'informer, prendre bonne note 
							de ma présence. Cela aura jusqu'au jour où l'on 
							m'annonça que, pour des raisons très graves, mon 
							évacuation sur Wiesbaden était ordonnée. Je pris 
							alors le parti de tomber malade. Un médecin fort 
							complaisant, délivra l'attestation nécessaire, 
							reconnut que mes soixante-douze ans, mes crises 
							cardiaques, ma faiblesse générale, l'impossibilité 
							où je suis de supporter une fatigue ni une émotion 
							rendraient pour moi très dangereux le voyage de Metz 
							à Wiesbaden. J'eus la chance que cette consultation 
							ne fût suivie d'aucune contre-visite. Je réussis 
							ainsi à prolonger mon séjour au milieu de ma 
							famille.»
 
 La guerre est déclarée
 A la veille même de la mobilisation, Metz ne 
							présentait aucun signe d'agitation. Personne ne 
							prononçait le mot de guerre. On voyait à peine 
							quelques rares mouvements de troupes. Des manoeuvres 
							n'auraient pas produit dans les casernes plus de 
							préparatifs.
 Mais les événements se précipitèrent. Soudain, on 
							apprit l'arrestation des frères Samain, du chanoine 
							Colin et de M. Houpert, directeur du «  Lorrain » ; 
							l'interdiction de paraître aux journaux de langue 
							française, la dissolution des sociétés de Vétérans, 
							l'incarcération de leurs chefs, les exécutions qui 
							ont été si fréquemment rappelées :
 - Une sorte de terreur, ajoute Mme X..., régna sur 
							Metz. Les relations entre immigrés et indigènes 
							revêtirent une forme plus agressive ; on sentait 
							partout la délation ; on échangeait alors des 
							regards de méfiance et de colère. Les officiers 
							allemands méprisaient les civils qu'ils toisaient du 
							haut de leur morgue insolente et je vous certifie 
							qu'il ne faisait pas bon se trouver par hasard sur 
							leur chemin. »
 Mme X... cite plusieurs exemples d'arrogance de 
							méchanceté iniques.
 Tel est le cas d'un honorable commerçant jeté en 
							prison parce qn'en livrant plusieurs barriques de 
							vin, il avait posé à l'octroii cette simple question 
							: «  Est-ce que vos bureaux seront fermés à mon 
							retour en ville, vers six heures ? »
 Crime abominable ! On avait essayé de surprendre 
							l'établissement et l'organisation des postes 
							destinés à la protection de Metz !
 L'innocence du malheureux négociant ne fut reconnue 
							devant les juges du conseil de guerre qu'au bout de 
							huit jours.
 
 Un officier galant
 Tel est encore le cas d'une jeune fille qui répond 
							par un «  bonsoir, madame ! » au salut d'une voisine 
							sur l'Esplanade.
 Un officier s'approche de la jeune fille et, à toute 
							volée, lui applique sur la joue un formidable 
							soufflet. Puis il explique son geste :
 - Sachez, mademoiselle, qu'en Allemagne tout le 
							monde aujourd'hui est tenu de parler allemand.,.
 - Et moi, répond crânement la délinquante, je 
							parlerai français avec mes amis.
 L'officier bondit sous l'injurieux défi. Il empoigne 
							rudement cette réfractaire, cette soeur de Colette 
							Baudoche insensible aux galanteries de la kulture 
							germanique et il la conduit vers la caserne toute 
							proche.
 Mais, tandis qu'il parlemente à l'intérieur du 
							poste, sa prisonnière ramasse vivement ses jupes et 
							gagne à toutes jambes un endroit où elle pourra 
							impunément raconter en français l'excellent tour 
							qu'elle vient de jouer au lieutenant déconfit.
 Les Messins restaient d'abord plongés dans une 
							totale ignorance. On leur apprit avec force 
							ménagements que l'Allemagne avait déclaré la guerre 
							à la France, en inventant des prétextes plus ou 
							moins puérils.
 
 Pas de nouvelles
 La privation de nos journaux fut particulièrement 
							pénible. Metz manquait de nouvelles. On eut bientôt 
							soif de vérité. Le population devinait que les 
							agences officielles trompaient l'opinion. Dans les 
							brasseries où fréquente ordinairement la clientèle 
							indigène, on tâchait de se communiquer rapidement, à 
							voix basse, ce qu'on avait pu connaître par la 
							lecture d'un bout de journal parisien, par 
							l'indiscrétion d'une lettre échappée aux «  caviars » 
							de la censure, par l'interrogatoire d'un blessé ou 
							d'un prisonnier amenés à la gare :
 - Nous avons vécu des journées bien tristes, dit Mme 
							X... L'annonce des plus extravagantes victoires 
							remplissait d'enthousiasme les Boches et surtout les 
							femmes des fonctionnaires qui nous insultaient au 
							passage et nous bravaient. »
 C'était la Mutte, le bourdon de la cathédrale, qui 
							retentissait gravement, solennellement, pour appeler 
							la foule sur la place de l'Hôtel-de-Ville où une 
							proclamation des autorités célébrait les succès 
							allemands en Belgique ou en Pologne.
 Les prêtres devaient publier en chaire les mêmes 
							informations, mais le sort infligé aux curés 
							lorrains, incarcérés ou fusillés sans pitié par les 
							bandits d'outreRhin, provoqua dans toutes les 
							églises une stupeur, une réprobation, une fureur qui 
							prenaient rarement la précaution de se dissimuler.
 Plusieurs prêtres se contentèrent de cette formule 
							inaugurée par le curé de Saint-Martin :
 - Je suis obligé, mes chers paroissiens de vous 
							apprendre la prise de Liège... »
 
 La «  Mutte » se tait
 La Mutte garda le silence durant de longues 
							semaines, après la chute d'Anvers. Que se passait-il 
							donc ? Les officiers cessaient de colporter 
							orgueilleusement que leurs troupes campaient sous 
							les murs de Paris, que Verdun était à deux doigts de 
							la capitulation.
 - Enfin, le 26 ou le 28 novembre, déclare Mme X..., 
							sa grande voix se fit entendre.
 On courait, on se bousculait dans les rues. Le coeur 
							me battait plus fort que jamais. Quelle nouvelle, 
							joyeuse ou lugubre, allions-nous connaître ? Dans 
							quelle bataille décisive le sort de la France 
							s'était-il joué ? On lisait sur tous les visages la 
							même anxiété ; mais les sentiments qui animaient les 
							femmes des fonctionnaires ne ressemblaient pas aux 
							nôtres. Une victoire des Boches allait-elle 
							violemment exalter leurs passions contre nous, les 
							malheureuses exposées sans défense à leurs 
							sarcasmes, à leurs menaces ?. La proclamation 
							annonça que l'armée allemande avait fait à Lodz 
							80.000 prisonniers. Je poussai un soupir de 
							soulagement ; mais il était visible que les immigrés 
							éprouvaient une cruelle déception. Eh non ! ce 
							n'était pas encore l'entrée triomphale à Paris, ni 
							même le bombardement de Verdun. »
 Paris, surtout, obsédait les officiers d'une 
							perpétuelle hantise. Ah ! quand ils iraient à 
							Paris... Quand ils feraient la fête à Paris. Quand 
							ils assisteraient aux réceptions de Paris.
 C'était chez eux une idée fixe - à telle enseigne 
							qu'un lieutenant, ne pouvant obtenir chez un 
							cordonnier en renom les lacets qu'il désirait pour 
							ses chaussures, s'écria :
 - Bah ! j'attendrai quelques jours. Le temps d'aller 
							à Paris. J'achèterai là-bas tout ce qui manque dans 
							les magasins de Metz. »
 
 Prisonniers et blessés
 Quand défilait un convoi de prisonniers, on tâchait 
							d'éviter la surveillance étroite des sentinelles ; 
							on glissait quelques mark dans les doigts des 
							troupiers dont l'attitude avait je ne sais quoi de 
							crâne, malgré la tristesse du sourire qui 
							remerciait.
 Pour montrer mieux les prisonniers, on prolongeait 
							leur promenade en ville et bien des larmes coulèrent 
							devant le spectacle de cette humiliation.
 Mais un mot, parfois, s'échappait de leurs lèvres : 
							«  Ça va bien... chuchotaient-ils. Ayez confiance... 
							»
 Quant aux blessés, on a le droit, maintenant, de les 
							visiter dans les hôpitaux, à la condition que l'on 
							répartisse sans distinction les friandises entre les 
							Boches et les Français.
 Ah ! point n'est besoin de recommander aux annexés 
							la confiance. Depuis le premier jour, ils gardent 
							une inébranlable conviction. Rien n'a pu les 
							détourner de cet espoir que les couleurs françaises 
							flotteront tôt ou tard sur l'Alsace-Lorraine, que 
							les vieilles casernes de Metz s'éveilleront au chant 
							de la Marseillaise, que le maréchal Ney passera 
							encore la revue des Pantalons rouges au beau milieu 
							de l'Esplanade.
 - Aussi, comme nous prêtions l'oreille au canon, 
							ajoute Mme X..., on se demandait si, de la 
							frontière, nos forts recevraient les obus français. 
							Le passage des aéroplanes nous comblait de joie. »
 La bataille de Morhange coûta cher aux Allemands. 
							Elle laissa chez les soldats l'impression d'un 
							épouvantable charnier :
 - J'ai rencontré un des médecins que l'on vint en 
							hâte chercher à Metz pour donner leurs soins dans 
							les ambulances. L'un d'eux, pénétré d'horreur, 
							disait qu'il n'avait jamais vu d'hécatombes 
							pareilles. »
 
 Visites d'avions
 Quand les avions français lancèrent des bombes sur 
							les hangars de Frescati, on ordonna le silence sur 
							les résultats de cette expédition. Un autre jour, 
							l'apparition d'un Farman fut saluée, au-dessus des 
							forts, par une fusillade intense et par l'envoi 
							d'une volée de shrapnells :
 - L'appareil volait très bas, raconte Mme X... Nous 
							admirions son audace.
 Tout le monde suivait ses évolutions avec une 
							ardente curiosité. Tout à coup, il sembla qu'une 
							flamme jaillissait de l'aéroplane et qu'une fumée 
							épaisse l'enveloppait. Autour de nous, on battait 
							des mains, on hurlait : «  Capout ! Capout !. » 
							J'avais l'angoisse dans l'âme. Mais voici que, sans 
							perdre sa grâce légère, l'oiseau sort du nuage de 
							feu et qu'il continue sa route vers Pont-à-Mousson. 
							Les applaudissements se changèrent aussitôt en 
							vociférations ; les Boches étaient congestionnés de 
							fureur. »
 En prévision d'un siège, l'autorité militaire a 
							prescrit certaines mesures, telles que 
							l'approvisionnement en conserves, vin, légumes secs, 
							etc., pour un laps de plusieurs semaines...
 - Les instructions du gouverneur de la place sont 
							rigoureusement appliquées. On exerce un contrôle 
							permanent sur les marchandises que tout ménage est 
							tenu de remplacer au fur et à mesure qu'on distrait 
							une quantité, si faible qu'elle soit, de ces 
							subsistances. »
 
 La perfide Albion
 Tant de prévoyance contraste singulièrement avec le 
							peu d'empressement dont témoigne le recrutement des 
							jeunes classes :
 - A quel mobile obéit-on ? Veut-on cacher dans 
							certaines provinces l'épuisement des effectifs ? 
							demande Mme X... Nous avons présumé qu'en maintenant 
							dans leurs foyers les hommes de vingt ans, on 
							essayait de retarder les mouvements d'opinion, les 
							protestations, les troubles inévitables qui 
							éclateront quand on sera fixé sur l'effroyable 
							consommation de vies humaines faite depuis le mois 
							de juillet. »
 On sait en effet que, dans le Brandebourg et plus 
							spécialement à Berlin, on s'est jusqu'à présent 
							abstenu de convoquer les éléments valides du 
							landsturm pour les raisons dont Mme X... nous a 
							précisément apporté l'écho des pays annexés.
 Il semble également qu'on s'évertue à créer de 
							l'autre côté de la frontière le revirement en faveur 
							de la France que les agences d'information ont 
							signalé en ces derniers temps.
 L'Angleterre est devenue la seule ennemie. Elle 
							accapare les haines de l'Empire. C'est elle qu'il 
							faut abattre, c'est sa marine qu'il importe de 
							couler ; c'est son commerce, son industrie qu'il 
							s'agit de ruiner entièrement ; ce sont enfin ses 
							colonies qui forment le butin, la proie guettée par 
							les convoitises teutonnes.
 Quant à la France, elle trouve grâce devant la 
							politique de Guillaume II. On daigne nous pardonner. 
							On nous excusera d'avoir eu des villages détruits, 
							des otages, des enfants et des femmes massacrés en 
							masse ; on oubliera le bombardement de Reims, à la 
							condition de lâcher nos alliés pour tomber avec un 
							sublime élan de gratitude dans l'étreinte d'une 
							Allemagne qui nous a prouvé son immense amour !
 Cette proposition honnête, ce vertueux marché est 
							devenu dans les brasseries l'objet des conversations 
							entre diplomates prompts à reviser la carte du monde 
							en y logeant largement la civilisation enseignée par 
							les baïonnettes à scie et les pastilles incendiaires 
							!
 
 Le couple impérial
 Le kaiser s'est rendu plusieurs fois à Metz ; il 
							descendait presque toujours à l'hôtel de l'Europe.
 Au cours d'une de ses visites, un incident se 
							produisit dans les jardins mêmes de l'hôtel :
 Une dame de la haute société s'était retirée à 
							l'écart. Elle venait de recevoir une dépêche lui 
							annonçant la mort de son mari, tué au feu. Son 
							chagrin fuyait les salons encombrés d'uniformes, 
							pleins d'un tumulte heureux.
 Instruite de son deuil, l'impératrice alla droit à 
							elle et versa sur cette douleur des consolations. à 
							la prussienne :
 - Votre mari est mort... Vous vous lamentez pour si 
							peu !... Mon mari est à la guerre ; mes cinq fils y 
							sont avec lui. Me voyez-vous verser des larmes, 
							madame ?...» Il serait superflu d'indiquer de quels 
							commentaires les Messins accompagnent le récit de 
							cette scène où la pitié de la souveraine donnait aux 
							veuves une aussi étrange leçon de stoïcisme.
 Une circonstance fortuite empêcha la capture de 
							Guillaume II. Des témoins dignes de foi rapportent 
							qu'il dut son salut à la vitesse - en quatrième - 
							d'une ambulance automobile où les officiers le 
							jetèrent précipitamment.
 
 "Nous sommes des barbares"
 La vie économique est exempte de troubles. Le prix 
							des denrées a peu varié. Nulle part à Metz on 
							n'éprouve la sensation d'inquiétude qui fait songer 
							aux événements dont le théâtre est si rapproché de 
							la ville.
 Pourtant, le 20 novembre, un suprême délai de dix 
							jours fut accordé aux étrangers dans la même 
							situation que Mme X...
 - Je dus partir, nous dit-elle. En deux jours, j'ai 
							parcouru sans incidents notables la distance qui me 
							séparait de la Suisse, par Strasbourg, 
							Fribourg-en-Brisgau et Schaffouse. A la gare 
							frontière, un général allemand s'approcha du groupe 
							que formaient avec moi, une dizaine de voyageuses et 
							interrogea l'une d'elles :
 «  On répand partout le bruit que nous agissons comme 
							des Barbares, n'est-ce pas ? »
 «  Escomptait-il un démenti, une protestation ? Notre 
							compagne se mit un boeuf sur la langue : «  Oh ! c'est 
							la guerre, général, fit-elle... En ce qui nous 
							concerne, on n'a pas eu à se plaindre... » 
							L'officier s'inclina ; il parut satisfait de la 
							réponse.
 L'impression que rapporte de Metz notre concitoyenne 
							se résume en une confiance sans bornes dans le 
							succès final de la France, en un insatiable désir de 
							connaître exactement la tournure des événements, en 
							une joie profonde au souvenir des manifestations 
							dont nos soldats prisonniers ou blessés sont 
							l'objet, en un voeu que son patriotisme exprime avec 
							force :
 - Quand je retournerai là-bas, il n'y aura plus de 
							Boches ! »
 ACHILLE LIEGEOIS.
 LE SOUS-PRÉFET D'ALTKIRCH M. Pailhé, procureur de la République à Besançon, 
							est nommé sous-préfet d'Altkirch, avec résidence à 
							Dannemarie. LES RÉPARATIONS AUX MAISONS DE HARAUCOURT Haraucourt, 19 décembre.Les travaux de réparation des maisons de Haraucourt 
							sont à peu près terminés et une grande partie des 
							habitants du village ont pu réintégrer leur 
							domicile. En leur nom, la commission municipale, 
							composée de MM. Briat, Perroten, Colette et 
							Gellenoncourt, exprime ses sentiments de profonde 
							gratitude à M. le préfet de Meurthe-et-Moselle et au 
							comité des réfugiés qui ont entrepris cette oeuvre de 
							rapatriement.
 Elle remercie spécialement M. Midavaine, qui, chargé 
							de la direction des travaux, s'est acquitté de sa 
							mission sans jamais se laisser rebuter par les 
							réclamations et le mauvais vouloir de quelques-uns.
 La commission a le devoir de rappeler les noms des 
							généreux donateurs qui, durant ces derniers mois, 
							sont venus en aide à cette commune éprouvée.
 M. Payelle, administrateur des salines 
							Rosières-Varangéville ; Bouivain, directeur de 
							l'usine Solvay, de Dombasle; Mme Finance et M. 
							Midavaine, de Nancy ; M. Hutin, sous-chef de bureau 
							de l'administration de l'octroi du 12e 
							arrondissement de Paris, à l'occasion de son fils, 
							mort au champ d'honneur sur le territoire de ladite 
							commune.
 Elle leur adresse à tous ses bien sincères 
							remerciements.
 Le maire, BRIAT.
 LES ALLEMANDS A LONGWY Le 15 novembre dernier, je me trouvais à la gare de 
							Bourg (Ain), immobilisé dans la salle d'attente par 
							un arrêt de huit heures. Tandis que la plupart des 
							voyageurs sommeillaient sur des banquettes, dans un 
							coin de la salle, deux dames causaient.L'une, la plus âgée, montrait à l'autre des cartes 
							postales de la guerre qu'elle allait vendre, le 
							lendemain, dans un gros marché campagnard des 
							environs. Tout à coup, la plus jeune des deux femmes 
							poussa une exclamation en regardant une carte qui 
							représentait, dans une pose théâtrale, le grand chef 
							des Boches, le kaiser Guillaume. Et la jeune dame de 
							s'écrier : «  Le kaiser ?... Je l'ai vu autrement que 
							sur du papier, je l'ai vu en chair et en os, il n'y 
							a pas bien longtemps. - Où ça ? - A Longwy...
 En entendant prononcer le nom de son pays, le vieux 
							Longovicien que je suis quitta la banquette où il 
							essayait en vain de s'assoupir quelque peu. Je me 
							dirigeai vers les deux dames avec lesquelles 
							j'engageai conversation.
 Je me fis connaître, la jeune dame aussi ; c'était 
							une employée du bureau de postes de Longwy-Bas, 
							X..., de Saône-et-Loire. Elle avait quitté Longwy 
							deux jours auparavant, en compagnie de trois autres 
							dames, employées des postes comme elle.
 Par quels moyens, par quels subterfuges 
							avaient-elles réussi à quitter une ville en pleine 
							domination allemande, pour se rendre à Metz et 
							Strasbourg, traverser l'Allemagne et gagner ensuite 
							la Suisse ? Je n'ai pas à le dire ici, pour ne pas 
							entraver les tentatives faites par d'autres 
							Longoviciennes qui devaient aussi, paraît-il, user 
							du même procédé pour quitter Longwy.
 J'ajouterai que le stratagème employé fut bien près 
							d'échouer et que les quatre Françaises, malgré leurs 
							passeports bien en règle, faillirent faire 
							demi-tour, à la dernière gare allemande de la 
							frontière suisse. Mais toutes les difficultés 
							s'aplanirent, et l'officier prussien qui faisait 
							tant de «  rouspétance » en lisant les passeports de 
							nos Longoviciennes, donna enfin le signal du départ 
							du train qui se dirigeait vers la Suisse. Aussi, 
							avec quel soupir de soulagement fut accueilli le 
							coup de sifflet libérateur !
 J'ai pu recueillir, de la bouche de mon 
							interlocutrice, qui vécut avec les Allemands depuis 
							le 26 août, date de la reddition de la place, 
							jusqu'au 13 novembre, des renseignements 
							intéressants sur la situation actuelle des 
							habitants.
 Je crois rendre service aux nombreuses personnes qui 
							ont laissé à Longwy des amis et des parents en leur 
							faisant savoir, par l'«  Est républicain », que la 
							population, du moins jusqu'à fin novembre, était en 
							pleine tranquillité, qu'aucun otage n'avait été pris 
							par les envahisseurs et que la vie avait repris 
							quelque peu son cours normal.
 
 Les ravages du bombardement
 Longwy-Haut eut à souffrir, pendant six jours et six 
							nuits, un bombardement terrible ; les obusiers de 
							220 décimèrent tellement la vieille forteresse qu'il 
							ne reste plus aujourd'hui de la coquette cité qu'un 
							amas de ruines et des tas de pierres informes !
 Nous avons pu voir, sur des cartes postales éditées 
							par MM. les Boches, les ravages causés dans la ville 
							haute par les obus et les boulets : pas une maison 
							n'a été épargnée, pas une ne reste debout, et 
							Longwy-Haut n'a plus rien à envier à Revigny ou à 
							Sermaize-les-Bains, le spectacle est aussi terrible 
							ici que là.
 Du bel hôtel de ville dont les Longoviciens étaient 
							si fiers, et dans lequel le maire, M Pérignon, avait 
							installé une organisation municipale modèle, il ne 
							reste plus que la façade. Toutes les murailles sont 
							effondrées. Quant à l'église, elle dresse encore 
							vers le ciel un pan de sa haute tour. Les obus ont 
							démoli le reste.
 On se croirait au milieu des ruines de Pompéi. La 
							ville est déserte, et les Allemands ne permettent 
							pas aux habitants d'y rentrer. Toutefois, pendant 
							les deux premiers jours qui suivirent la reddition, 
							la kommandatur autorisa exceptionnellement les 
							Longoviciens à contempler les ravages de leurs «  
							marmites », et beaucoup d'entre eux, qui s'étaient 
							réfugiés dans les environs, s'en vinrent avec 
							tristesse voir ce qui restait de leurs maisons.
 En gens qui n'aiment pas de «  laisser traîner les 
							restes », les Allemands firent charger sur des 
							camions les meubles et autres objets qu'ils purent 
							trouver dans les immeublles écroulés, et tous ces 
							colis suivirent le chemin que prirent déjà nos 
							pendules de 1870.
 A Longwy-Bas, le bombardement ne fit pas beaucoup de 
							dégâts ; un projectile éventra les bureaux de la 
							Société Générale, et la partie de l'avenue Margaine, 
							située entre la Société Nancéienne de Crédit et 
							l'asile Margaine fut complètement détruite par les 
							obus. On dut évacuer l'ambulance installée à l'asile 
							Margaine, et la supérieure fut tuée d'un éclat 
							d'obus en faisant effectuer le transfert des 
							blessés.
 Cinq autres personnes furent tuées à la ville basse 
							; elles s'étaient, je crois, réfugiées dans une cave 
							qui s'effondra.
 Les remparts de la place ont été sérieusement 
							détériorés par les projectiles ennemis, et on nous 
							a rapporté que l'effondrement des casemates causa la 
							mort de plusieurs centaines de soldats.
 
 L'administration allemande
 Un des premiers soins des envahisseurs fut d'imposer 
							la ville d'une contribution de guerre d'un million 
							qui fut, paraît-il, versée par les maîtres de forges 
							restés au pays, notamment MM. de Saintignon et 
							Dreux.
 De pillage, point ou presque pas. Quelques soudards 
							avinés qui avaient dévalisé une cave à la ville 
							basse, furent, paraît-il, punis par le commandant de 
							place, et depuis ce moment aucun autre acte de 
							pillage ne fut commis.
 Dernièrement, les officiers teutons 
							réquisitionnèrent les lainages et couvertures qui se 
							trouvaient encore dans les magasins de confection, 
							et ils payèrent avec. des bons de réquisitions !
 L'administration municipale continue à fonctionner ; 
							tous nos édiles sont restés là, sauf ceux que la 
							mobilisation appela à leur régiment. L'état civil 
							fonctionne à l'école des garçons, un autre bureau à 
							l'hôtel du Commerce, et le dévoué secrétaire, M. 
							Maîtrehut continue l'exercice de ses fonctions.
 Les bureaux de la «  kommandatur » sont installés 
							dans les locaux de l'ancienne banque Thomas, 
							Grande-Rue. Les officiers logent en ville et les 
							soldats de la landsturm qui, au nombre de cinq cents, 
							attestent l'occupation germanique à Longwy, sont 
							répartis seulement dans quelques maisons, 
							particulièrement dans les alentours de la gare.
 Dans les localités environnant la ville, les postes 
							de surveillance ont été réduits à leur plus simple 
							expression, et quelques soldats seulement font la 
							police.
 Au commencement de septembre, de nombreux trains de 
							recrues passèrent à Longwy, venant de Luxembourg et 
							se dirigeant vers Longuyon, mais il faut croire que 
							les réserves allemandes sont épuisées, car ce trafic 
							ne dura qu'une quinzaine de jours, et il ne passe 
							plus dans la gare longovicienne que des trains de 
							blessés et parfois de prisonniers français.
 Un matin de novembre, les habitants furent quelque 
							peu surpris de voir débarquer quatre cents 
							personnes, hommes, femmes et enfants, que les 
							Prussiens évacuaient de Consenvoye (Meuse). Pour 
							quels motifs ?'Raisons stratégiques, sans doute.
 Quoi qu'il en soit, les quatre cents Meusiens furent 
							répartis chez les habitants, qui se montrèrent 
							empressés à recueillir leurs compatriotes.
 
 La vie à Longwy
 Au début de l'occupation, les mesures militaires 
							furent assez sérieuses ; les portes des corridors 
							devaient être ouvertes toutes les nuits, et la 
							circulation était interdite à partir de sept heures 
							du soir. Maintenant, la surveillance s'est un peu 
							relâchée ; seuls, quelques jeunes gens noctambules 
							furent arrêtés et transférés en Allemagne pour avoir 
							désobéi aux règlements du commandant de place.
 On permet même aux habitants d'aller à la gare voir 
							les blessés français et de leur porter de l'argent 
							ou des vivres, chose qui était rigoureusement 
							interdite dans les premiers temps.
 Aujourd'hui tous les magasins de la ville basse sont 
							ouverts, tous les cafés «  fonctionnent » comme en 
							période normale, et les brasseries travaillent dur.
 La vie, chose incroyable, est meilleur marché qu'en 
							temps de paix ; au 15 novembre, le beurre se vendait 
							1 fr. 60 la livre, le sucre 0 fr. 70 le kilo, le 
							café 2 fr. 10 la livre.
 Les magasins regorgeaient de vivres (amenés 
							d'Allemagne) et la plupart des pâtes alimentaires se 
							vendaient le même prix qu'avant la guerre. Alors 
							qu'il n'y avait autrefois qu'un marché par semaine, 
							on a trouvé le moyen d'en faire un tous les jours.
 La société coopérative l'Epargne, où se trouve 
							municipalisé le service général de 
							l'approvisionnement de la commune, a fort à faire 
							pour assurer le ravitaillement de toute la 
							population.
 Tout le monde, même les personnes et les familles 
							sans argent, trouve à se nourrir, grâce à une 
							intelligente initiative de la municipalité. Chaque 
							famille est, en effet, munie d'un livret 
							particulier, avec lequel elle peut se faire délivrer 
							des vivres à l'Epargne ; tous les quinze jours, les 
							comptes sont établis et relevés, ceux qui peuvent 
							payer s'acquittent de ce qu'ils doivent ; ceux qui 
							sont sans argent paieront après la guerre.
 La ville fait donc, pour ainsi dire, une avance 
							d'argent aux familles nécessiteuses, avance qui sera 
							réclamée et remboursée après la guerre.
 Ajoutons que plusieurs familles pauvres trouvent 
							auprès des soldats allemands la soupe dont elles ont 
							besoin quotidiennement.
 L'autorité militaire a chargé du service de 
							ravitaillement de la population un homme que la 
							police spéciale avait arrêté pendant la période de 
							mobilisation, comme espion prussien, et qui put se 
							sauver de son cachot pendant le bombardement de la 
							place : M. Wiltberger, entrepreneur.
 Installé dans les locaux de la grande vitesse, M. 
							Wiltberger fournit aux épiciers de la ville les 
							produits alimentaires dont ils ont besoin. Seul, le 
							pétrole manque. Aussi de nombreux Longoviciens 
							ont-ils fait installer l'électricité dans leurs 
							logements. Il est superflu d'ajouter que toute 
							l'épicerie vient d'Allemagne, et que la guerre a, 
							par conséquent, fourni un excellent débouché à la 
							camelote des Boches.
 Dans les premiers jours de novembre, le commandant 
							fit afficher qu'il octroyait dix ans de forteresse à 
							tous ceux qui seraient surpris, causant, dans les 
							rues, de Metz ou de Verdun ; la même peine était 
							également dévolue à ceux qui seraient trouvés 
							porteurs des prédictions de Mme de Thèbes.
 Quant aux soldats du kaiser, ils ne causaient, dans 
							les premiers temps de l'occupation que de Pariss.; 
							aujourd'hui, c'est de Verdunn qu'ils parlent, en 
							ajoutant mélancoliquement : «  Si nous aller à 
							Verdunn, nous capout !... »
 Dernièrement, le commandant d'armes demanda à un 
							vieux Longovicien, M. Beckerich, pharmacien, ce que 
							les habitants pensaient de ses soldats ; M. 
							Beckerich lui déclara que la population en était 
							plus satisfaite que de ceux qui vinrent après la 
							capitulation. De son côté, le commandant ne cacha 
							pas qu'il était content de l'attitude de la 
							population longovicienne.
 Le jour de la Toussaint, une grande messe militaire 
							fut dite à Rehon pour les soldats français et 
							allemands tués dans la région. La garnison y assista 
							et le commandant y alla d'un speech qu'il prononça 
							en français, mais avec un accent spécial et en 
							écorchant affreusement notre langue nationale.
 Ce jour-là, le canon s'entendit d'une façon 
							particulièrement nette à Longwy, et les habitants ne 
							cachaient pas la joie que leur causait la musique de 
							nos 75, du côté d'Etain ou de Thiaucourt. Elle leur 
							signifiait en effet que nos troupes étaient encore 
							dans les alentours et cette pensée certainement 
							devait quelque peu atténuer l'amertume de 
							l'occupation allemande, en leur faisant entrevoir 
							une prochaine libération.
 Avec leur vantardise habituelle, les Allemands 
							firent grand bruit, chez eux, de la prise de Longwy, 
							et la stupéfaction des Longoviciens fut grande en 
							lisant dans les journaux boches que les «  troupes du 
							kronprinz s'étaient emparées de la forteresse de 
							Longwy, après avoir au préalable pris les forts de 
							Piedmont, des Maragolles, de Romain, etc. » A la 
							lecture de cet article, les bonnes poires des 
							boulevards de la Sprée s'imaginèrent que leur 
							vaillante armée s'était emparée d'une place forte 
							aussi redoutable que Verdun ou Metz, alors qu'en 
							vérité 85.000 Allemands mirent plusieurs semaines 
							pour s'emparer d'une bicoque construite par Vauban 
							et défendue seulement par 3 ou 4.000 hommes.
 Les Longoviciens, eux, haussaient les épaules ; mais 
							la façon d'opérer des Boches leur ouvrit les yeux 
							sur le peu de foi qu'ils devaient accorder désormais 
							aux autres cancans répandus par les soldats du 
							kaiser, sur leurs prétendues victoires.
 L'autorité militaire a fait le recensement de tous 
							les hommes valides de 18 à 45 ans, restés dans la 
							ville. La liste, certainement, doit comprendre 
							plusieurs milliers de noms, car personne ne put fuir 
							l'envahisseur, l'investissement ayant commencé dans 
							les premiers jours du mois d'août.
 Pourquoi les Allemands ont-ils fait ce recensement ? 
							Sans doute pour envoyer en captivité les infortunés 
							auxquels il ne fut pas possible de mettre quelques 
							kilomètres entre eux et les troupes ennemies.
 Quoi qu'il en soit, pour le 13 novembre, aucun 
							Longovieien n'avait été emmené en Prusse ; il n'en 
							était pas de même, paraîtil, dans les villages 
							environnants, où de nombreux vides existent 
							aujourd'hui dans la population masculine envoyée 
							dans des camps de concentration de prisonniers 
							civils.
 Les dégâts commis dans toute la région 
							longovicienine sont incalculables : Hussigny a plus 
							de cinquante maisons incendiées ; 
							Villers-la-Montagne, vingt-six ; Morfontaine et les 
							communes voisines sont presque complètement 
							détruites. A Morfontaine les propagateurs de la 
							kultur germanique fusillèrent onze paysans 
							inoffensifs qui venaient de porter leurs armes à la 
							mairie; deux femmes furent brûlées dans leur maison 
							et deux jeunes gens de ce village également 
							fusillés.
 Quand la victoire aura enfin permis à nos soldats de 
							l'Est de déblayer le territoire et qu'on pourra 
							dresser le bilan des méfaits et des atrocités commis 
							dans l'arrondissement de Briey par les Bavarois de 
							Guillaume, on verra qu'en général, dans nos 
							campagnes, les Boches se sont montrés ce qu'ils 
							furent ailleurs : féroces, barbares et criminels.
 Nous avons été heureux de constater qu'à Longwy du 
							moins la population n'était pas malmenée et que pour 
							le moment elle ne souffre pas trop matériellement. 
							Pourvu qu'à l'heure de la débâcle les soldats du 
							kaiser ne changent pas de conduite ! C'est la seule 
							chose que redoute la population.
 LE COMBAT D'ÉTAIN On nous communique une lettre d'un soldat du pays 
							stainois racontant sans prétention les engagements 
							auxquels il prit part à Etain. Nous résumons ces 
							renseignements (8 novembre).Le premier combat a eu lieu à Joppécourt, près 
							d'Arrancy, le deuxième à Nouillonpont, après à 
							Deuxnouds et la forêt d'Argonne ; nous avons eu 
							ensuite un terrible combat à Montfaucon où nous 
							avons perdu bien des hommes. De là nous sommes allés 
							à Ornes, dans les bois, où nous avons séjourné six 
							jours et nous sommes passés deux fois à Beaumont. 
							Ensuite nous avons pris part au combat de Lamorville 
							qui dura trois jours et depuis nous sommes dans les 
							tranchées, où il ne fait pas chaud, sur les 
							Hauts-de-Meuse.
 Je vous raconte la bataille d'Etain. Les Boches sont 
							arrivés un soir, à 5 heures et demie à Etain. Nous 
							avons occupé la ferme de l'Hôpital, d'où nous avons 
							gagné le bois Fabry ; à 2 heures du matin, nous 
							avons déniché les Boches de dedans les casernes où 
							il y en a des percés parce que pendant la nuit on 
							avait enlevé Etain à la baïonnette. Mon escouade a 
							établi un petit poste derrière le mur des sapins de 
							la Fontaine-au-Rupt ; à mesure que les Boches 
							passaient le mur pour se sauver sur Warcy, on les 
							descendait ; notre escouade en a tué 32 et blessé 
							11. Au moment où je voulais relever de terre un des 
							blessés, il y en a un qui me flanqua un coup de pied 
							au genou. Vous savez, je n'ai pas perdu de temps, je 
							l'ai tué à bout portant ; si le sergent m'avait 
							laissé faire je les gousillais tous comme des lapins 
							l'un après l'autre. De là nous avons gagné le quai 
							de la gare où ils étaient réfugiés et dans l'usine à 
							gaz; c'était un vrai massacre et nous avons fait 18 
							prisonniers dans la cour de chez Humbert, 
							vétérinaire ; à 8 heures du matin, il n'y avait plus 
							un Boche à Etain.
 Nouvelles du pays meusien Extraits du «  Bulletin Meusier », organe du 
							groupement fraternel des réfugiés et évacués 
							meusiens :
 Koeur-la~Grande. - Le village a été très éprouvé par 
							le bombardement. Trois maisons sont, incendiées. Une 
							multitude d'autres sont à moitié démolies par les 
							obus. Trois victimes parmi la population civile : M. 
							Jean Berteloni, tué par la commotion causée par 
							l'explosion d'une bombe; - M. Albert Berthier, 
							adjoint au maire, atteint en pleine poitrine par un 
							éclat d'obus et tue sur le coup ; - M. Ernest 
							Aubriot, atteint de plusieurs blessures, en 
							particulier à la jambe. Transporté à l'hôpital de 
							Commercy avec plusieurs officiers gravement blessés, 
							M. Aubriot a subi l'amputation de la jambe.
 
 Bannoncourt, Woimbey, Bouquemont. - Bannoncourt a 
							quatre ou cinq maisons détruites, et la gare a été 
							fortement bombardée.
 Woimbey a reçu des bombes aussi à plusieurs reprises 
							; mais les dégâts se bornent.
 à quelques vitres cassées. Une des bombes est tombée 
							dans le cimetière A Bouquemont, une maison détruite, 
							celle de M. Heddebaut Laviron, dont le beau-fils, 
							Henri Lallement, capitaine aux chasseurs à pied, 
							était blessé exactement un mois auparavant, le 13 
							octobre, et mourait quelques jours plus tard à 
							l'hôpital de Doullens.
 
 Rouvrois-sur-Meuse, Lacroix et Dompcevrin. - Le 
							village n'a pas souffert du bombardement depuis le 
							jour de la Toussaint. Mais c'est surtout du 23 au 27 
							septembre, le 4 octobre et la dernière semaine 
							d'octobre, qu'il a eu le plus à souffrir. On compte 
							14 maisons incendiées ; environ 50 ont été plus ou 
							moins démolies. L'église est fortement endommagée, 
							surtout le choeur et le clocher.
 L'église de Lacroix et son clocher restent debout, 
							non sans brèches et sérieux dommages.
 Par contre, il ne reste guère de celle de Dompcevrin 
							que le clocher.
 
 Hannonville. - Le 22 septembre, Les Allemands 
							avaient emmené 47 habitants prisonniers en Prusse. 
							Quelques jours après, en effet, ils ont pris tout ce 
							qui restait d'hommes valides à Hannonville et les 
							ont envoyés sur les frontières de la Bohême.
 
 Ornes. - Ornes se trouve entre le fort très 
							important de Douaumont et les crètes très élevées 
							qui se trouvent derrière le village de 
							Romagne-sous-les-Côtes. Les Allemands occupent ces 
							côtes depuis environ trcis mods. Ne pouvant arriver 
							à démolir le fort susindiqué, ils bombardent «  
							systématiquement » tous les villages qui se trouvent 
							entre eux et les Français, mais c'est surtout le 
							village d'Ornes qui paraît être leur point de mire. 
							Dès le début, ils ont visé la maison du docteur 
							Simonin. Avec leurs bombes incendiaires, ils ont mis 
							le feu à plusieurs endroits du village, sans compter 
							l'église qui a déjà terriblement souffert. Ils sont 
							même venus de nuit mettre en certains endroits le 
							feu à la main.
 Dans la nuit du 10 au 11 octobre, ils sont venus 
							nuitamment au village et, au mépris de tout droit 
							international, ont emmené 74 prisonniers civils, 
							hommes, femmes, enfants, vieillards ; on en cite un 
							de 91 ans. Ils ont été conduits, ces pauvres gens, 
							du côté de Mangiennes,dans les régions évacuées, et 
							là, pendant un certain temps, les ont occupés à 
							rentrer les pommes de terre et autres légumes ; ils 
							les ont ensuite conduits en Allemagne.
 
 Mouilly. - En ces derniers jours, Mouilly, déjà bien 
							accablé, a subi un nouveau, bombardement.
 RÉPUBLIQUE FRANÇAISEPRÉFECTURE DE MEURTHE-ET-MOSELLE
 Nous soussigné, L. Mirman, préfet de 
							Meurthe-et-Moselle,Vu la loi du 5 avril 1884 ;
 Vu la loi du 3 juillet 1877 sur les réquisitions 
							militaires et celle du 5 août 1914 relative à l'état 
							de siège ;
 u le décret du 2 août 1914 établissant l'état de 
							siège sur le territoire français ;
 Considérant que, d'une part, la mobilisation d'une 
							grande partie des cultivateurs et, d'autre part, la 
							réquisition d'un nombre considérable de chevaux 
							rendent particulièrement difficiles les travaux 
							agricoles, notamment les labours et semailles 
							d'automne ;
 Considérant que, dans les circonstances actuelles, 
							toutes les forces d'action encore présentes dans la 
							commune doivent être mises en jeu pour assurer la 
							préparation des futures récoltes indispensables au 
							salut de la Nation ;
 Considérant que, dans le département de 
							Meurthe-et-Moselle, s'est produit dès le premier 
							jour, dans l'immense majorité des communes un double 
							et magnifique mouvement de solidarité ; chaque 
							agriculteur valide regardant comme un devoir 
							impérieux de prêter la main pour la mise en valeur 
							des terres appartenant à un voisin mobilisé, et 
							chaque agriculteur auquel il reste des chevaux non 
							réquisitionnés regardant aussi comme un devoir 
							impérieux de mettre ceux-ci à la disposition des 
							voisins plus malheureux que lui ;
 Mais, considérant que ce ne sera pas diminuer le 
							mérite de si louables initiatives que de les 
							généraliser et de les étendre, et que d'imposer une 
							telle participation aux quelques cultivateurs 
							égoïstes qui n'ont pas compris en cette circonstance 
							leur devoir de solidarité et de patriotisme.
 ARRÊTONS :
 Article premier. - Les travaux de labourage et les 
							semailles d'automne seront effectués dans chaque 
							commune sous la direction et la surveillance du 
							maire, assisté de deux cultivateurs de la commune 
							choisis par lui, de telle façon que, si la commune 
							était, avant la guerre, politiquement divisée, ces 
							deux cultivateurs représentent respectivement l'un 
							et l'autre partis Sauf cas de force majeure, l'un 
							des deux cultivateurs susvisés devra être conseiller 
							municipal, l'autre pourra toujours ne point l'être.
 Article 2. - Le maire et ses deux assistants 
							examineront avec soin la situation des champs où les 
							travaux de labourage et les semailles d'automne 
							risquent de ne pouvoir être effectués sans 
							l'assistance communale, pour l'une ou l'autre des 
							raisons suivantes :
 1° Soit parce que la mobilisation a appelé sous les 
							drapeaux l'exploitant lui-même, ou ses fils qui 
							l'aidaient dans son labeur, et que la femme ou les 
							parents des mobilisés, en dépit de toute leur bonne 
							volonté, n'ont ni les forces nécessaires pour 
							effectuer seuls ces travaux, ni la possibilité de 
							trouver ou les moyens de rémunérer actuellement des 
							ouvriers ;
 2° Soit parce que l'exploitant a vu ses chevaux 
							réquisitionnés et qu'il lui a manqué ou l'occasion 
							ou les moyens de s'en procurer d'autres.
 Le maire et ses deux assistants, à la suite de cet 
							examen, dressent la liste des exploitations où, pour 
							assurer l'exécution des travaux envisagés, 
							l'assistance communale prévue aux articles suivants 
							dudit arrêté est nécessaire ; ils déterminent 
							l'ordre dans lequel cette assistance devra se 
							produire en faveur des divers intéressés.
 Article 3. - Tout agriculteur ayant effectué les 
							deux tiers de ses travaux personnels, ainsi que tout 
							autre citoyen valide ne travaillant pas à une tâche 
							indispensable à l'intérêt général, peut être requis 
							par le maire de participer, aux jours et heures qui 
							lui seront indiqués, aux travaux d'automne incombant 
							aux agriculteurs définis au 1° de l'article 
							ci-dessus.
 Tout agriculteur ayant effectué les deux tiers de 
							ses travaux personnels et propriétaire d'attelages 
							non réquisitionnés, peut être requis de mettre tout 
							ou partie de ceux-ci, aux jours et heures qui lui 
							seront indiqués, à la disposition du maire pour 
							venir en aide aux agriculteurs définis au 2° de 
							l'article ci-dessus. La même réquisition peut être 
							adressée à tout propriétaire d'attelages non 
							agriculteur lorsque l'emploi fait par lui desdits 
							attelages n'est pas indispensable à l'intérêt 
							général.
 Article 4. - Les réquisitions susvisées ne peuvent 
							être prises par le maire que sur avis conforme de 
							ses deux assistants.
 Article 5. - Les personnes ci-dessus visées et qui 
							refuseraient d'obéir aux réquisitions formulées en 
							vertu du présent arrêté seront traduites devant les 
							tribunaux compétents conformément à la loi.
 Article 6. - Les travaux effectués sur réquisition 
							dans les conditions ci-dessus indiquées seront payés 
							aux ayants-droit par les bénéficiaires d'après un 
							tarif et à une date fixée par la commission à 
							l'article 2 Nancy, le 18 décembre 1914.
 Le Préfet :
 L. MIRMAN.
 Approuvé :
 Pour le Général commandant en chef, l'Aide-Major 
							général,
 Signé : (Illisible).
 REGAIN D'ACTIVITÉIL NOUS VAUT UNE AVANCE PRESQUE GÉNÉRALE
 Bordeaux, 19 décembre, 16 heures.En Belgique, nous avons, dans la journée du 18, 
							organisé le terrain gagné la veille au sud de 
							Dixmude et poussé notre front au sud du Cabaret 
							Korteker.
 Notre avance au sud d'Ypres s'est poursuivie dans un 
							terrain marécageux et très difficile.
 De la Lys à l'Oise, nous avons progressé dans la 
							région de Notre-Dame-de-Consolation (sud de La 
							Bassée) de plus d'un kilomètre. Au cours des deux 
							dernières journées, nous avons fait également des 
							progrès dans la direction de Garancy, à Saint-Laurent 
							et Blangy. Malgré des très vives contre-attaques, 
							les positions conquises le 17 ont été maintenues.
 Dans la région d'Albert, nous avons, dans la nuit du 
							17 au 18 et dans la journée du 18, avancé sous un 
							feu très violent et atteint les réseaux de fil de 
							fer de la seconde ligne de tranchées ennemies.
 Au nord de Maricourt, nous avons dû abandonner une 
							tranchée prise la veille et incendiée par l'ennemi 
							au moyen de grenades à main.
 Plusieurs tranchées allemandes ont été enlevées dans 
							la région de Mametz et dans celle de Lihons.
 Trois violentes contre-attaques allemandes ont été 
							repoussées dans la région de l'Aisne.
 Combats d'artillerie en Champagne. L'artillerie 
							ennemie a montré plus d'activité que le jour 
							précédent.
 En Argonne, dans le bois de la Grurie, nous avons 
							fait sauter une sape allemande près de Saint-Hubert. 
							L'ennemi, par une attaque très vive, a réussi à 
							progresser légèrement.
 Il est confirmé que sur les Hauts-de-Meuse notre tir 
							réglé par avions a démoli.
 deux batteries lourdes ennemies et endommagé une 
							troisième batterie.
 De la Meuse aux Vosges, rien à signaler.
 Dans les Vosges, vives fusillades allemandes, mais 
							pas d'attaques.
 UNE TROUPE ENNEMIE SURPRISE & FAUCHÉE Communiqué officiel du 19 décembre, 21 heures :En Belgique, dans la région de Stfenstasceste, une 
							attaque ennemie a été refoulée, et nous avons fait 
							de sensibles progrès aux abords du Cabaret Korteker.
 Les troupes britanniques ont perdu, à la côte de 
							Neuvechâtel, quelques-unes des tranchées conquises 
							hier, tandis que le corps indien progressait de 
							quelques centaines de mètres vers Richebourg-Lavoye.
 L'ennemi a montré de l'activité vers Thiepval et 
							Lihons. Sur ce dernier point, une troupe ennemie a 
							été surprise en colonne et littéralement fauchée.
 De l'Oise aux Vosges, aucun incident à.noter.
 
							(à 
							suivre) |