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Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance (5/9)
Abbé Alphonse Dedenon (1865-1940)
1931

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L'Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance est tombée dans le domaine public en 2010. Cette version numérique intégrale permet de faciliter les recherches, y compris dans l'édition papier publiée en 1998 par Le livre d'histoire.
Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.
Par ailleurs, les notes de bas de page ont été ici renumérotées et placées en fin de chaque document.

NDLR :
L'abbé Dedenon a laissé dans ses carnets des notes manuscrites indiquant diverses corrections à apporter à ce texte.


II
Développement rapide de la Maison de Blâmont avec Henri Ier

1° Les exploits du chevalier :

Jeunesse et formation de Henri Ier

Nous avons dans Henri Ier, surnommé le Grand, le plus brillant rejeton de la dynastie de Blâmont. «  Son histoire, écrit M. Ambroise dans «  Les vieux châteaux de la Vesouze », résume à souhait l'existence d'un seigneur féodal aux XIIIe et XIVe siècles : long règne, mariage avantageux, lignée nombreuse, politique avisée, grands coups d'épée, tout s'y trouve réuni; comme il le fallait au Moyen-Age, pour édifier la fortune et ménager un brillant avenir.» Cet éloge est juste; nous ferons cependant quelques réserves : des violences, des calculs trop intéressés gâtèrent une activité et des succès surprenants; un brin de ruse ternit la bravoure que l'honneur chevaleresque voulait sans tache.
Henri grandit loin de Blâmont. Mais, près de sa mère, dans les milieux illustrés par Thibaut de Champagne, le sire de Joinville et bien d'autres croisés fameux, le jeune damoiseau était à même d'apprendre vite le métier des armes et les traditions de chevalerie. Bien lui en prit, car, à seize ans, la mort de son frère Geoffroy le mit en devoir de prendre en mains sa succession (1264) : Les conseils de sa mère, restée dans son château, aidèrent grandement ses débuts et l'on comprend ainsi que Jeanne de Chiny ait gardé si longtemps le titre aimé de «  Dame de Blâmont ».
Il fallait songer au mariage. Le jeune comte tourna ses vues vers la noble famille de Linange et obtint une fille d'Emich, nommée Cunégonde (1). Cette alliance fut conclue en 1266. Dans la dot de la riche épousée se trouvaient de petits alleux situés à Gogney, Ibigny, Foulcrey, une partie de la seigneurie de Marimont (Morsberg) et différentes terres sur Sarreguemines, Bidersdorff, Rohrbach, Hellimer.

Débuts regrettables

La carrière de Henri commence par des maladresses injustes. Mais le duc Ferry de Lorraine fait des remontrances et notre jeune comte consent à réparer non seulement les dommages qu'il a faits, mais encore ceux qu'a faits son père. C'est ainsi que l'abbaye de Senones, plus malmenée, reçoit le moulin de Vaxainville, une corvée de terres à Chènevières, divers avantages à Domptail, Buriville, Hablainville, Pettonville, Mignéville; Ancerviller, Remoncourt et Leintrey. Comme le jeune seigneur n'a pas vingt-et-un ans et qu'il est incapable de contracter, il versera comme gage cent quarante Provenisiens, qui lui seront rendus quand il sera chevalier et aura son scel. Lecomte de Chiny, agissant au nom de sa femme, qui avait ses droits sur plusieurs de ces fonds, ratifia la convention.
Dès lors, Henri n'eut plus de torts à l'égard des monastères. Au contraire, il leur fut bientôt si favorable et inspira une telle confiance que l'évêque de Toul n'hésita pas à placer sous sa sauvegarde l'abbaye de Saint-Sauveur «  avec la ville et la court de Domèvre» (1274). Ainsi commencée, l'amitié des sires de Blâmont pour le cloître vosgien se poursuivit sans défaillance jusqu'à l'extinction de leur race.

 Expéditions et luttes sans fin

Les temps étaient affreux. Les conflits succédaient aux conflits; des accords uniquement basés sur la violence ne duraient qu'un jour, et trois champions : le duc de Lorraine, l'évêque de Metz, le comte de Bar, étaient sans cesse en présence, armés l'un contre l'autre pour des démêlés mesquins et complexes. Le jeune comte de Blâmont était au milieu de ces belligérants, vassal de Metz, parent de Bar et protégé de Lorraine et son appui allait être sollicité dans les trois camps à la fois, à cause de sa bravoure. Comment échapper à une humeur belliqueuse, inspirée déjà par la nature? Comment surtout incliner son choix entre des partis si opposés ? Nous hésitons à le dire : Henri écouta plutôt la voix de l'intérêt, en un temps où l'honneur parlait si haut. Sa tactique fut d'entrer toujours dans le camp qui avait plus de chances de succès. Comme la suzeraineté de Metz lui pesait, il prit à tâche de lui échapper sans lui être infidèle et fut presque toujours avec le duc, parce qu'il avait plus à y gagner. Du reste, sans jamais s'engager à fond, il chercha plutôt à se faire payer ses services et à trouver quelque profit dans tous les arrangements. L'énumération qui va suivre paraîtra sèche, sans doute, mais décrira bien le chemin de sa fortune.
En 1270, Lorraine et Bar font campagne contre l'évêque de Metz. Laurent de Leistemberg et les troupes des deux alliés envahissent les territoires qui dépendent du prélat. Henri de Blâmont fournit à l'évêque les quarante hommes qu'il lui doit, mais va se joindre à ses adversaires et marque son alliance avec Ferry de Lorraine par un traité (1271). Il aide à la prise d'Epinal (1272) et participe, peu après, aux deux batailles de Hattigny et de Marsal (2), qui sont, pour le prélat, une défaite telle qu'il reste prisonnier avec ses deux neveux.
La détention de l'évêque à Epinal durera dix-huit mois et sa liberté ne sera obtenue que par l'entremise du pape Grégoire X, après citation des deux oppresseurs au concile de Lyon.
Entre temps, les Lorrains assiègent Deneuvre (1273). C'est une forteresse de l'évêque, confiée à la protection du comte de Blâmont. Celui-ci figure parmi les assaillants et la place est bientôt prise. La paix est conclue, le 6 aout 1274, et l'évêque retrouve sa liberté, mais à de dures conditions. Pour prix de ses services, Henri de Blâmont reçoit de Ferry une vigne à Amance (3). L'occasion est bonne de pousser plus loin ses prétentions sur le château de Deneuvre.
Dix ans s'écoulent dans une tranquillité relative, puis la guerre se rallume. Voici d'abord, en 1283 et près de Blâmont, une légère escarmouche où le sang a coulé. Les derniers héritiers des comtes de Lunéville, Hugues III de la Petite-Pierre et ses enfants, Simon, Suzanne et Jeannette font exploiter à Amenoncourt les terres qui leur viennent de leurs ancêtres, mais ils habitent tous le château de la Petite-Pierre (Lutzelstein). Tout, voisin de leurs domaines, sur l'agréable versant de la côte d'Igney, le comte de Blâmont vient d'acheter le fonds de Vautrin, son écuyer, fils de Raoul de Liverdun. Les limites indécises occasionnent des contestations. Les gens des deux partis se rassemblent, prennent les armes, se battent et laissent des morts sur le terrain. Finalement Blâmont a le dessus. Un accord est signé, le lendemain de Noël : Hugues verse une indemnité de deux cents livres tournois et abandonne une bonne partie de son avoir en ce lieu. Les cautions sont les deux fières Henri et Burnique de Ristes, seigneurs de Gerbéviller. Ce litige montre en petit ce qui se passe dans les contestations plus graves qui ensanglantent alors la contrée.
Dix ans plus tard, les seigneurs de la Petite-Pierre se décident à vendre ce qui. leur reste sur ce ban. Henri de. Blâmont l'achète pour cent soixante-dix livres et se fait ainsi un petit fief, qu'il fera exploiter
par quelque écuyer. En 1323, c'est Gérardin que nous voyons se déclarer homme-lige et prêter hommage pour ce qu'il tient au lieu d'Amenoncourt (4). Quelques gens de. même qualité se succèderont dans cet emploi pendant un temps limité (5). On aperçoit, au rez-de-chaussée de la tour actuelle de l'église, des arcades ogivales qui semblent révéler. une chapelle latérale, construite à leur usage.
Les hostilités, reprises en 1284, sur un plus vaste théâtre, entre Lorraine, Bar et Metz, eurent de tout autres conséquences. L'abbaye de Haut.-Seille fut tellement ravagée que les religieux la quittèrent. Les alentours furent également affligés. Le pape dut signaler aux évêques de Toul et de Metz l'étendue des. désastres et intervint pour la conclusion de la paix. Comme dédommagement de ses pertes, l'abbaye dévastée reçut les cures de Giroville, Parux et Lafrimbole. C'est alors qu'eut lieu le célèbre tournoi de Chauvency (1285), où Henri de Blâmont se montra aussi habile dans les joutes simulées que redoutable dans les combats réels.
La guerre est-elle finie avec l'évêque de Metz qu'elle recommence avec l'évêque de Strasbourg. Ferry de Lorraine ne s'y engage qu'avec répugnance, mais il y est forcé. Il réclame l'aide de son allié, le comte de Blâmont. Après de longues et pénibles chevauchées, en Alsace, la paix est enfin conclue, en 1287. Pour prix de ses démarches, Henri se voit attribuer le château d'Eschery avec le val de Liepvre, qui sont du duché de Lorraine. Mais les seigneurs d'Alsace s'y opposent. et le comte n'est pas fâché d'obtenir autre chose. Il reçoit, à la place, des terres considérables à Magnières et à Saint-Pierremont, dont il tirera meilleur parti (6).
De 1287 à 1291, c'est de nouveau la guerre, engagée contre l'évêque de Metz, Bouchard d'Avesnes. Thiébaut de Bar la commence; Ferry de Lorraine la continue, à partir de 1289; le comte de Blâmont, Ferry de Linange, son beau-frère, et nombre de chevaliers allemands y sont mêlés. Les phases de la lutte sont très diverses. Ferry est battu et plusieurs de ses partisans, entre autres le comte de Linange, sont faits prisonniers. Liébaut de Haut-Pierre (Moyenmoutier) se jette sur Deneuvre et s'en empare, avec la complicité du sire de Blâmont. On finit par s'arranger, en 1291.
Comme toujours, Henri de Blâmont sait tirer un large profit des négociations. Il obtient, du comte de Bar, 1.500 livres tournois pour la solde de ses hommes, plus le fief de la Folie près de Spincourt, le moulin et l'étang d'Etain, à charge de foi et hommage; du duc Ferry, des terres à Fontenoy-le-Château et à Darney (7). Avec l'évêque de Metz il se montre plus exigeant et. croit le moment venu de se libérer de sa suzeraineté. Mais le prélat s'irrite et refuse tout accord. De hautes influences interviennent : le duc, le comte de Salm, les abbés de Gorze, de Salival et de Haute-Seille. Henri s'entête à réclamer la vouerie de Vic et l'abrogation du pacte signé par son père Ferry. Enfin l'accord se fait, le mercredi après les bures (février 1291), sur les bases suivantes : I° maintien de la suzeraineté épiscopale précédente sur les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre, sauf sur le domaine de. Magnières; 2° jouissance de la vouerie de Vic pour le comte et sa mère; 3° pour l'évêque, droits de sauvegarde sur Haute-Seille et ses dépendances, droit de prélever dix-sept hommes sur Azerailles; 4° pareils droits pour le comte sur les granges du Chesnois (Emberménil), de Buriville, de Pettonville, de MignévilIe et d'Ogéviller, qui sont de Senones, droits de seigneurie sur le faubourg de Laître (Deneuvre), à l'exception du Moniet et sur la place en dessous du château qui doit rester à l'usage de l'évêque et du comte ; concession aux bourgeois de Blâmont et de Deneuvre du droit de pêche dans la Meurthe et la Vesouze, excepté le dimanche et le lundi; 6° concession au comte du droit de marché à Deneuvre, de la part de tous, sauf des habitants de Vacqueville; 7° suppression de l'Entrecours entre les bourgs de Deneuvre et de Baccarat; 8° abandon réciproque des indemnités exigibles à la suite des hostilités précédentes. Ce traité fut confirmé par le métropolitain de Trèves, en mai 1291 (8).
Il en résulta deux conséquences importantes. Le comté de Henri Ier eut, dès lors, deux petites capitales et engloba les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre ; Baccarat; d'autre part, encore assez restreint, se vit séparé de son antique voisin, en devenant le centre du Temporel évêchois.

Chevauchées dans le nord de la France

Le Blâmontois connut le calme jusqu'en 1305. Au lieu d'utiliser ce repos pour le bien de ses sujet, le comte Henri est désireux d'aventures

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ERRATUM
Sceaux de 1332 et 1336, lire : Henry III de Blâmont et non de Salm.

nouvelles et va chercher au loin des profits que la paix lui refuse. On le voit encore à Blâmont, en 1295, pour faire reprise de Gogney et d'Amenoncourt, en son nom et en celui de sa femme, mais, quelque temps après, on le trouve dans le pays de Bar, contractant une alliance offensive et défensive avec son cousin Henri III de Bar. Celui.-ci l'entraîne à faire campagne contre le roi de France. Les opérations sont malheureuses et son cousin est fait prisonnier. Mais Henri de Blâmont sait se dégager, obtient 2000 livres pour ses services et repart en Flandre continuer la lutte contre le roi. Sa vaillance est telle que ses alliés le gardent jusque vers 1300, et ne le laissent repartir que chargé de présents (9).
Il rentre dans ses Etats, vers 1300, et apprend qu'un hobereau d'Alsace, Henri de Vadengenheim, a fait incursion sur ses domaines pendant son absente. Il va l'attaquer sans retard et le ramène dans son donjon jusqu'à ce qu'il se libère de sa rançon, sous la caution de Ferrion de Marsal (10). Il traite avec1a même vigueur Jean de Salm, son parent, qui l'a offensé. Une rencontre a lieu, en 1301, à Neuviller, près de Badonviller. Henri a l'avantage. Pour accorder sa réconciliation, il exige que son adversaire lui cède ce qu'il possède à Sainte-Pôle et, de plus. six hommes, sa vie durant, pour remplacer ceux qu'il a perdus dans la bataille (11).

Une revanche messine

Henri de Blâmont était arrivé au faîte de la puissance. Il passa six années en bonne harmonie avec ses voisins, mais une telle éclaircie pouvait-elle durer ? L'évêque de Metz, Gérard de Relange, mort en 1302, eut pour successeur Renaud de Bar. Cet ecclésiastique, très apprécié comme Princier; retrouva bientôt toute la fierté de sa race et ralluma la guerre, afin de récupérer des droits que ses prédécesseurs avaient trop facilement abandonnés. Il s'allia avec les princes de sa famille et avec le comte de Salm pour recommencer avec Thiébaut de Lorraine des discussions interminables. Le comte de Blâmont se rangea sous la bannière ducale, bien qu'il fût parent et vassal de l'évêque de Metz.
Une première contestation à propos des limites indécises de Turquestein s'arrange assez facilement. Les intéressés nomment quatre commissaires : Gérard, de Wamersberg et Jean de Weneis pour l'évêque, André de Parroy et Liétard de Brouville pour le comte, et s'engagent à accepter leur arbitrage. Ceux-ci commencent leurs opérations en 1307 et les terminent, huit ans plus tard, sans. rencontrer trop de difficultés,
L'affaire de la vouerie de Vic est plus épineuse. Cette vouerie appartient au comte de Blâmont mais elle gêne l'évêque. Celui-ci obtient, en 1306, que le comte s'en dessaisisse pour tout le temps de son épiscopat; moyennant une rente annuelle de 300 livres. Le comte y consent et s'engage même à secourir le prélat en temps de guerre, moyennant une autre rente de 100 livres, garantie sur les salines de Moyenvic et de Marsal (12). Le traité est observé quelque temps, mais que se passe-t-il ? Voici qu'une inclusion brutale, déchaînée par l'évêque, vient tout à coup troubler les Etats que gouverne le sire de Blâmont. Cette attaque caractérise bien les procédés et les tristesses des guerres a cette époque et, pour cette. fois, les documents ne sont pas avares de détails (13).
Nous sommes en 1308. L'évêque a grossi ses troupes de renforts prêtés par ses parents de Bar et les fait partir de Vic en deux colonnes. La plus nombreuse arrive par Emberménil et commence ses ravages en traversant Domjevin et les environs (14). Après le passage de la Vesouze, cette colonne se divise. Une bande gagne Marainviller, où trente-cinq maisons sont brûlées avec les meubles et les animaux, «  le curé devesti tout nu, l'église brisiex, les ornements et les calices enlevés », le toit estimé 2.200 livres. Elle se porte ensuite sur Magnières; où les incendies et les pillages recommencent; sur Saint-Pierremont, où l'église est saccagée avec les meubles et le bétail qu'on y avait réfugiés, où deux hommes sont tués, des femmes maltraitées et où les dégâts s'élèvent à 1.500 livres. Puis elle se rend à Deneuvre, pour en faire le siège. L'autre bande se dirige vers Deneuvre; et, avant d'y arriver, ravage tous les environs. A Gélacourt, l'église est brûlée, les cloches brisées, plusieurs maisons saccagées. A Badménil, le bétail est pris et plusieurs maisons incendiées. A Glonville, trois maisons sont brûlées et les bestiaux enlevés. A Flin, l'église est détruite, il y a plus de 1.000 livres de dégâts. A Azerailles, huit maisons sont brûlées. Le moustier de Mazelure est incendié; la cense de Voivre, celle d'Olzey, près d'Azerailles, sont pillées. Après ces hauts-faits, le siège de Deneuvre commence et se poursuit quelques jours, mais ne peut aboutir à aucun résultat De pareilles troupes ne sont aptes qu'au pillage, Elles s'en retournent bientôt, en reprenant le chemin de Hablainville, de Domjevin et de Vého, où la terreur recommence et où ne restent «  ni bestes, ni mobles, ni bleif, ni vin ».On devine l'animosité du pays et du comte de Blâmont après de tels forfaits. Si les Templiers furent mêlés, même faiblement, à ces désordres, on s'explique qu'ils aient été, aussitôt après, traités avec la rigueur que nous savons.
A peu près au même temps, une autre colonne, partant également de Vic, se dirigeait vers Bertrambois, Laforêt, Lafrimbole et y commettait des brigandages pareils, détruisant des églises et des maisons, rançonnant les habitants et faisant des dégâts pour plus de 4.000 livres..
Il est frappant que tout ce monde ait évité de s'approcher de Blâmont, dont le château défiait, sans doute, toute attaque. Toujours est-il qu'une juste indignation va plus que jamais affermir le comte, ses fils et ses hommes dans l'alliance avec le duc de Lorraine contre la coalition de Bar (15).
En 1310, Henri de Blâmont ne craint pas de citer l'évêque Renaud de Bar au tribunal du doyen de Verdun, revêtu de la dignité de légat du pape, pour qu'il soit forcé de remplir ses engagements. Peu après, une guerre sanglante est engagée entre Lorraine et Bar; plusieurs actions se déroulent en divers lieux. Le sire de Blâmont est à son poste, aux côtés de son duc. En 1313, une grande bataille se livre à Frouard.
La journée sera décisive. On dit qu'Henri de Blâmont y fit merveille par sa bravoure, malgré son âge avancé, et qu'en pleine mêlée il courut sus au chef de l'armée adverse, Edouard de Bar, et le fit prisonnier.
La paix ne fut conclue que le 20 mai 1314. Comme toujours, le comte de Blâmont ménage ses intérêts au milieu des arrangements arrêtés.
Le duc donna sa parole, à la Saint-Martin d'hiver, qu'il soutiendrait son féal chevalier de Blâmont, en toute occasion, contre Renaud de Bar, et qu'il ne traiterait avec son prisonnier qu'aux conditions agréées par lui. La libération du comte de Bar fut retardée pendant un an. L'évêque de Metz dut rendre au sire de Blâmont tous ses droits sur les fiefs de son temporel, annuler l'accord de Vic, payer 4.000 livres de dédommagement et confirmer les possessions venant de Jeanne de Bar à Etain.
Le roi de France intervint même pour hâter ces négociations et il témoigna une telle estime au sire de Blâmont, en raison de sa valeur, que, pour se l'attacher, il lui accorda une rente de 300 livres tournois (16).
Rentré dans ses domaines, le sire de Blâmont pouvait s'enorgueillir et jouer au grand seigneur, dans une Cour où affluaient de brillants chevaliers et écuyers, tels que Mathelet de Hattigny, Liétard de Brouville, Ferry de Couvay, Renaud de Barbas, Henry d'Herbéviller, tous heureux de lui faire escorte.

Derniers agissements du comte

La guerre cessa; mais un autre fléau, la famine, vint désoler le pays jusqu'en 1316. Ce fut l'année où mourut l'évêque Renaud de Bar, remplacé seulement deux ans après, par Henry Dauphin. L'occasion parut excellente au sire de Blâmont pour élargir encore ses libertés vis-à-vis de son suzerain. Il en obtint, tout au moins, des sommes importantes, comme réparation des dégâts causés par Henri de Fénétrange ou pour l'abandon de la vouerie de Vic (1324).
Comment tenir l'équilibre entre des forces depuis si longtemps rivales ? Le rapprochement du comte avec l'évêque de Metz mécontenta le duc de Lorraine qui multiplia ses réclamations inquiètes et même ses attaques dans la région de Deneuvre. Pour en finir, Henri de Blâmont accepta, en septembre 1324, les conditions suivantes : il reprendra du duc les fiefs de Lafrimbole, Domjevin, Saint-Clément, Marainviller, Azerailles, Mazerule, Magnières et la ville d'Amance; il obligera son fils cadet à se tenir au service de Lorraine; mais il recevra, en retour, comme gages des sommes dues par le duc, les revenus d'Azerailles, de Flin, de Gelacourt, de Badménil et de Glonville pouvant rapporter 1.000 livres et une rente de 100 livres à prendre sur les salines de Rosières (17).
Le comte atteignait une vieillesse avancée, plus de quatre-vingts ans. Son désir était, sans doute, de goûter un peu de paix, mais il était destiné à mourir les armes à la main. En 1328, les luttes féodales reprenaient leur intensité. Le duc de Lorraine succomba à Cassel, au mois d'août. Les deux fils du comte de Blâmont n'étaient plus. Un nouvel évêque de Metz, Adhémar de Monteil, se croyait tenu, comme ses devanciers, de rétablir l'intégrité de ses droits épiscopaux. Comme Henri. de Blâmont avait négligé de lui rendre hommage, il se vît rappeler à l'ordre, puis, après quelque retard, reçut une déclaration de guerre. Il fut entendu qu'on mettrait hors de cause Igney et Amenoncourt, d'une part, et Languimberg et Albing, de l'autre (18). Mais, pendant deux ans, les belligérants ne cessèrent de s'infliger des représailles très dommageables à la région. Saint-Benoît (Vosges) eut son église détruite au cours de ces hostilités (1331). La lutte était implacable, quand une mort imprévue frappa le comte de Blâmont, en 1331. Le 10 novembre, il attribuait encore à Henri d'Herbéviller cent livres pour un cheval qu'il avait perdu à son service. Le lendemain, fête de saint Martin, il était emporté par un mal dont nous ignorons la nature. Son petit-fds, Henri III, ne prolongea pas la querelle.
Ainsi, la carrière de Henri de Blâmont, longue de quatre-vingt-sept ans, dont soixante-sept de règne, s'était écoulée, pour la plus grande partie, à porter les armes. Loin d'y perdre, comme certains, il y avait trouvé d'incomparables profits, avec le surnom de Grand.

2° Les créations du comte :

Châteaux et collégiale

Jusqu'ici nous avons vu dans Henri Ier la bravoure du chevalier et l'habileté du diplomate; examinons maintenant son génie d'organisation tout aussi remarquable. Sans aucun doute, notre comte aimait à bâtir.
Dans ses chevauchées de jeunesse, il avait eu souvent l'occasion d'admirer les belles oeuvres architecturales du Barrois et de la Champagne, et il en revint l'oeil charmé par le ber aspect des châteaux et l'esprit tout rempli des splendeurs qui s'y déployaient Mais sa résidence de Blâmont était bien incapable de lui fournir de pareils avantages; il fallait la transformer sans retard.
Nous ne savons, au juste; l'année où il entreprit cet ouvrage, mais nous pouvons penser que ce fut au début de sa carrière, dans le dernier tiers du XIIIe siècle : Ce qui en reste rappelle assez le genre et les procédés de ce temps. On ne peut prétendre avec des éléments si imparfaits faire une reconstitution exacte de ce monument; du moins est-il permis d'en essayer une description approximative.
Le vieux donjon, avec sa masse trapue, resta et fut affecté, non plus à l'habitation, mais à la défense. Un 1ogis vaste et plus confortable fut érigé tout à côté, au centre d'un terre-plein surélevé, dont la surface peut s'évaluer à un hectare. Une enceinte de murailles entoura cette plateforme irrégulière, en décrivant un pentagone terminé à chaque angle par une tour ronde (19). L'entrée, défendue par deux tours, fut aménagée du côté de l'ouest et, en avant, à un niveau inférieur de six ou sept mètres, se trouva un espace, enfermé lui aussi, qui fut, comme à Pierre-Percée, une sorte de cour d'accès, appelée la basse-cour. Tout autour furent creusés des fossés d'autant plus larges qu'ils ne pouvaient être remplis d'eau (20). A tous ces bâtiments s'ajoutaient les dépendances nécessaires aux maisons seigneuriales et la chapelle castrale, dont on croit retrouver un faible vestige dans la petite fenêtre géminée qui s'aperçoit encore dans une muraille. Elle était placée au levant, en dehors de la première enceinte, et elle avait une tour propre qui abritait peut-être la ban-cloche.
Tout cet ensemble accroissait le monticule et dressait dans le ciel bleu une silhouette charmante en son blanc relief. Car les matériaux, pris sur place, étaient simplement la pierre blanche du pays et.la chaux vive, cuite dans les chauffours d'Autrepierre et d'Amenoncourt. Leur liaison brave toutes les injures du temps, Point de corniches crénelées, ni d'échauguettes gracieuses comme dans les châteaux de France, mais des formes sobres et pures, convenant mieux à nos manoirs modestes. Les cintres en ogives et les jambages n'avaient pas de pierres taillées mais présentaient - les ruines en font foi - un appareillage semblable à celui des ponts. Enfin, les ouvertures des murs épais, étroites. en dehors, comme des balafres, s'évasaient au-dedans en larges embrasures. Comme ces vieilles choses font rêver ! Leurs ruines ont encore la majesté des antiques champions du temps qui, blessés à la tête et à la poitrine, restent néanmoins debout sur le champ de bataille des siècles.
Le château de Blâmont était sans doute achevé quand, par le traité de 1291, le comte fit entrer dans son apanage toute la seigneurie de Deneuvre. Alors s'ouvrit un nouvel horizon à ses initiatives. Il dut remettre sur pied ce petit domaine saccagé, réparer les dégâts faits au château, remplacer la vieille église Saint-Rémy, située au faubourg de Laître, par une autre, érigée au milieu du bourg, sous le patronage de saint Georges (1296). L'occasion était bonne de faire une multitude d'acquisitions utiles près de personnes qui entrèrent volontiers dans ses vues. Il revint des Flandres, l'escarcelle bien garnie. Aussitôt on le vit convertir l'église Saint-Georges en Collégiale (1301); en la dotant, d'accord avec sa femme et ses deux fils, de revenus suffisants pour l'entretien de sept chanoines (21). Cinq ans après (1305), pour protéger des sujets qui demeuraient en avant du château, au-delà du Rupt, il entreprit une tour carrée, qui existe encore, la Tour des Voués, et près de laquelle fut érigée une petite chapelle en l'honneur de saint Martin. Cette forteresse ne resta pas longtemps en sa puissance. Les évêques de Metz l'acquirent plus tard et en firent le centre de leur vouerie de Baccarat.
Tout ce travail d'aménagement n'empêchait pas l'infatigable comte de poursuivre sur d'autres points l'installation de colonies qui agrandissaient singulièrement son avoir.
L'une eut pour centre Moyen et servit d'origine à une châtellenie qui retourna plus tard aux évêques de Metz. Elle fut formée d'acquisitions diverses, faites en 1272, près des religieux de Belchamp, sur Marainviller et Thiébauménil; en 1290, près de Simon de Parroy, qui céda ce qu'il tenait du duc à Moyen, Vihuviller (Jolivet) et le fief de Saint-Evre, près de Lunéville; et encore, à Saint-Clément, Laronxe, Martincroix et Chenevières (22).
L'autre fut créée autour de Magnières, avec des éléments que le comte rassembla patiemment dans le pays d'entre Meurthe et Mortagne, avec le dessein d'en faire l'apanage de son second fils. Mais l'avenir ne répondit pas à ses prévisions, et la seigneurie, échue en partage à une de ses filles, Jeanne, mariée à, Burnique de Rystes, vint grossir, en 1322, l'avoir des comtes de Gerbéviller.
Le détail des marchés faits dans ce but serait fastidieux. Disons seulement que les terres, prés, fours, moulins et autres acquêts étaient répartis sur Magnières, Saint-Pierremont, Glonville, Azerailles, Mazelure, Flin (23).
Un château s'imposait alors pour compléter une seigneurie. En père prévoyant, Henri entreprit l'édifice qui manquait. Son oeuvre était achevée en 1314. L'ensemble des bâtiments existe toujours au milieu, du village de Magnières; mais, d'après ce qu'il en reste, on sent que cet imposant manoir fut moins une forteresse qu'une demeure de plaisance. C'était moins facile qu'on ne pense d'aboutir à une telle fin. Tout château portait ombrage. En 1312, le duc de Lorraine voulut en empêcher l'achèvement, sous prétexte qu'il relevait de son duché. Tout au moins exigea-t-il l'hommage pour ce fief, avec promesse que le fils du comte se déclarerait son homme-lige, quand il entrerait en possession du château. La famille de Blâmont était jalouse de son indépendance; on ne voit pas que cette clause ait été remplie; le second fils mourut, du reste, avant d'avoir joui du domaine qui lui était préparé.
Tout en construisant le château de Magnières, Henri de Blâmont songeait à protéger l'entrée de ses Etats, en établissant, en pleine Vôge, en face de Turquestein, une forteresse qu'il appela Châtillon. L'entreprise est de 1312. Le site est pittoresque; au pied coule une des sources de la Vesouze. Sitôt l'ouvrage terminé, arrive une protestation de l'évêque de Metz, prétendant que le terrain sur lequel le comte a bâti n'est pas le sien. Le comte s'en indigne et songe à prendre les armes. Mais, après vérification des limites déterminées peu de temps auparavant, l'évêque est dans son droit. Comme arrangement, le comte accepte de se reconnaître «  homme-lige » de l'évêque pour cette forteresse. Mais c'est une situation fausse qui ne peut durer. Sur un rapport de Jean de Salm, nommé expert, l'évêque, Henri Dauphin, propose de racheter Châtillon pour 1.200 livres, qui seront gagées sur les salines de Moyenvic et de Marsal et le Comte accepte avec empressement. Le château, ainsi sorti de l'apanage de Blâmont, est bientôt revendu audit Jean de Salm, qui le laissera à ses héritiers.

Accroissement de la Seigneurie

En arrivant à Blâmont, Henri 1er trouvait une seigneurie modeste : à sa mort, elle était presque équivalente aux Etats de Lorraine à cette époque. Nous savons les procédés qui lui réussirent; ajoutons que le temps - et il en eut une bonne mesure - fut son meilleur auxiliaire.
Il débute avec l'alleu, du plateau de Hey et la Conservation de Domèvre. Les villages voisins viennent se mettre sous sa garde et lui laissent les droits féodaux ordinaires sur les cours d'eaux, les étangs, les terrains en friche, les forêts. Les coutumes de Blâmont s'établissent sous le contrôle du maître. Reillon et Domjevin sont seuls régis par la loi de Beaumont et se donnent un maire et des jurés ou échevins. Partout ailleurs, le comte impose un doyen chargé de percevoir les impôts, un banward chargé de la police; il dicte ses règlements et rend la justice aux Plaids annaux.
Ses Etats finissent par s'étendre au loin après l'annexion de Deneuvre, de Moyen et de Magnières et, pour un peu, on le croirait souverain sur la Vesouze, sur la Meurthe à partir de Saint-Stail, sur la Mortagne même à partir de Rambervillers, Les gens qui, dans ces pays, échappent à son autorité accourent réclamer sa «  salve garde» et lui offrent un tribut. Ainsi le peuple de Vic, voulant échapper à la tyrannie des bourgeois, en 1326; ainsi encore, en 1327, les gens du ban de la Rivière et, en 1329,
ceux du ban le Moine et de la communauté de Domjevin, Les termes de leur requête sont identiques; ils se mettent «  en la salve garde, protection et deffence de noble Home et Saige Hanry, seigneur de Blancmont et de Hanry, lou jeune, son fils, sous l'offre de payer en une fois 100 livres tournois et 40 quartes d'avoine plus une rente de 12 messins par feu, avec promesse de ne commettre aucun délit sur les terres du dit seigneur »,
Rien ne donne une idée aussi exacte du comté de Blâmont et de son étendue que le partage établi par Henri 1er lui-même, en 1311, alors qu'il se croyait menacé de mort. Il y énonce, en détail, toutes ses possessions et en fait l'attribution à chacun de ses fils. M. de Martimprey a transcrit en entier ce long document, auquel nous renvoyons. Ce partage ne fut pas exécuté, mais il servit de modèle à celui qui eut lieu dans la suite et où se trouvent énoncés les mêmes biens encore accrus.

La petite Cour de Henri Ier

L'exemple de Henri Ier était bien fait pour encourager les petits seigneurs, chevaliers, écuyers, prévôts et autres, que nous avons vu s'agiter autour de Blâmont et de Deneuvre. Flatter leur ambition et solliciter leurs services fut un bon moyen pour le comte de les attacher à sa personne et de s'en faire une petite Cour, à l'instar de la Cour ducale. II y réussit pleinement. On vit ainsi graviter, autour de Blâmont, les seigneurs d'Herbéviller, Ogéviller, Barbas, Couvay, Montigny, Parux,; autour de Deneuvre les seigneurs de Brouville, Brouvelotte, Provenchères, Romont; autour de Magnières, les voués de Saint-Pierremont. Epinal, Destord et Fontenoy-le-Château.
Il convient de signaler avec les précédents le grand nombre de petits écuyers que le comte sut lier à son service par des conventions particulières dont le détail ne peut figurer ici. Ainsi : Pierre d'Azoudange (1276), Henri de Dombasle (1273), Jean de Rosières et Jean de Marsal, pour une maison qu'ils reçurent à Blâmont (1291), Jean de Clayeures pour Frémifontaine (1300), Conrad Werner de Hadstadt, pour le château de Sultzbach (1306), André de Parroy, pour Velle-sur-Moselle (1307), Ferry, dit le truand, de Hénaménil, pour une maison à Blâmont et une rente à Remoncourt (1314), Huguenin de Port, à cause de l'alleu de Bruyères et de Belmont (1316), Simon de Villers (1316), Thirion de Rombas, pour un alleu de Sainte-Marie-aux-Mines (1317), Gérardin de Lunéville, à cause de Saint-Evre (1320) (24).
Il n'en fallait pas tant pour procurer au bourg de Blâmont un accroissement rapide, et, à son château, une animation et un lustre incomparable.

3° L'intérieur familial au château de Henri Ier

Le comte et la comtesse

Que de souvenirs poétiques évoquent les manoirs féodaux et les gestes des paladins! La sévère histoire ne les dédaigne pas, tout en préférant les documents authentiques aux contes savoureux qu'embellit une chaude imagination. Aussi nous plaît-il de trouver dans la curieuse relation du tournoi de Chauvency un ingénieux portrait de Henri Ier, que nous aillons transcrire (25). On sait que Henri Ier fut invité à cette fête fameuse par le héraut Jacques Bretex, envoyé jusqu'à l'Ober-Salm. Il s'y rendit avec joie et prit part aux joutes des chevaliers, devant sa mère qui siégeait aux premiers rangs de l'assemblée.
Il arrive devant les dames en caracolant avec grâce, couvert d'une armure vermeille décorée de deux saumons d'argent. A son appel, les hérauts français et allemands font retentir leur trompette et crient : «  Blancmont - Blanckenberg ». Chacun loue ses manières. On apprête son heaume et sa lance. Les dames, émerveillées de sa prestance et de sa beauté, disent : «  C'est un royaume que Dieu devrait lui donner, car il en est digne ; il réunit dans sa personne bon sens, honneur, libéralité, loyauté et courage.» L'éloge est magnifique. Cependant le poète, en certains vers, lui donne un surnom moins flatteur :
.....Vi d'autre
Autre si fier comme un lieupart
Maucervel au vermeil écu
A deux samons d'argent battu..... (vers 3159).
Il bien du Henri de Blâmont, appelé ailleurs : Maxcerviaus (vers 2652) Mauscerviaux (vers 2828). Comment expliquer ce terme ? Mauvaise tête pour un si grand coeur ! Ce dut être une boutade
joyeuse ou une vengeance galante, comme savait en inventer la verve endiablée des trouvères.
De Cunégonde de Linange nous n'avons encore dit que sa noble naissance. Elle fut en tout point la digne compagne du comte, en se confinant dans ses attributions domestiques. On ne lui connait d'autre acte public que sa participation à la fondation de la Collégiale de Deneuvre. Son testament dépeint mieux l'intimité de sa vie de châtelaine. Elle l'écrivit en 1302, se croyant, sans doute, proche de sa fin, mais elle ne mourut qu'en 1311. Il faudrait lire cette pièce, que cite textuellement M. de Martimprey, pour saisir en ses expressions naïves toute la piété, la bonté, les attentions de cette grande dame, comme aussi toute sa tendresse d'épouse et de mère. Qu'on en juge par ces quelques lignes :

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«  Je fais mes exécutors de cest testament et vueil que par Dieu le facent et facent faire et accomplir totes ces choses dessus devisées, mon très chier signor et mary, Hanry, Signor de Blanmont, portant que plus me fie en lui que homme dou monde et ma très chière fille, Marguerite, dame de Montagu et panront conseil à dame Gertru de Provenchières et à signor Garsile, mon chapelain..... ».
La dame choisit d'abord pour sa sépulture «  la chapelle de Sainct Salvour con dit en Vôge ». Puis elle énonce ses volontés pieuses et les dons qui les accompagnent : quatre livres tournois à Saint-Sauveur et autant à Haute-Seille, pour un anniversaire perpétuel; quarante sous aux églises de Blâmont et de Deneuvre et vingt sous à ses prêtres; quarante sous aux «  prescheurs de Toul et de Metz », autant aux «  cordelliers de Sallerborch et de Nuefchatel, aux dames de Viviers et de Vy, à Moyenmoutier, à la pitance de Senones et d'Etival, aux hospitaux de Remerimont, Sallerborch, Marsau », etc. Elle donne spécialement au signor Garsile, son chapelain, «  cent solz et deus vaiches »; à frère Hue de Boinville, chanoine de Saint-Sauveur, son confesseur,«  soixante solz» «  et c'il défault de lui, je vueil con les daigne à celuy que serai mes confesseurs à jor que Dex ferat son commandemant de moy » ; à son nepveu, Fedri, «  pour alleir aux escoilles, sa couppe valant douze livres, que li comtesse de Bair me donnat et une chape de Pers fotrée de cendal » ; à son clerc, Ferry, une autre coupe de même valeur.
Elle songe ensuite à ses filles, surtout à Marguerite de Montaigu, et à leurs damoiselles : «  dame Gertru, dame Mahaut, les filles de Monsignour Jacques d'Herbéviller qui fut ». Pour elles sont ses robes et le contenu de ses coffres et de ses bahuts. Enfin voici la part des serviteurs et des servantes : cent sous et une vache à Guyot, son valet; même don à Connigate et à Connigate de. Bagnerrot, ses fidèles suivantes : vingt sols à ses quatre femmes de chambre; des legs plus précieux à Gertru de Provenchières et à sa nièce Agnelz, à Mahault, si elles viennent à se marier, etc, Ainsi l'avenir des personnes l'inquiète autant que leur présent.
Par ces données, il est facile d'entrevoir la composition intérieure des foyers seigneuriaux. On doit y ajouter les gens dont le service était plus extérieur : pages, valets, palefreniers et les animaux indispensables : chevaux, vaches, moutons, surtout la meute turbulente dressée pour la chasse.
Nous ne dirons rien du mobilier ni des salles ornées de panoplies faisant escorte au gonfanon de guerre (26). L'arsenal renfermant les armes nous est tout aussi inconnu. Cependant il n'était pas inférieur à celui du château de Magnières, dont Humique de Rystes à dressé l'inventaire suivant : seize arbalètes à deux pieds; une arbalète à tour; deux autres arbalètes; trente espingoles; une douzaine de dards, six mille carrelets pour arbalètes à pied; deux cents pour arbalètes à tour; trois fers de prison; soixante-trois écuelles d'étain; deux plats à barbe; dix tapis de poils de chien, etc... Qu'on y ajoute-les instruments servant à la défense ou à l'assaut : échelles, cordes, pioches, torches, etc. Tout cet ensemble d'un château-fort formait un petit monde dont le gouvernement devait inspirer une légitime fierté.

Les enfants de Henri Ier

Le foyer de Henri Ier, où prenaient leurs ébats deux damoiseaux et six jouvencelles, ne pouvait être, triste. Toute cette belle jeunesse, en parvenant à l'âge mûr, se fit un devoir de former, autour des parents, une glorieuse couronne.
Voici, du moins, les noms de ces enfants avec les alliances qu'ils contractèrent. Ne sachant pas l'ordre de leur naissance, nous mettons les garçons en dernier lieu, afin de leur consacrer plus de détails :
Marguerite, mariée, avant 1300, à Ferry, fils du duc de Lorraine et seigneur de Brémoncourt et de Plombières.
Isabelle, mariée, en 1296, à Eudes de Grancey, en Bourgogne.
Adélaïde, mariée à Simon d'Erstein, landgrave d'Alsace.
Clémence, mariée, en 1311, à François d'Herbéviller-Lannoy.
Jeanne, mariée, vers 1322, à Burnique de Rystes, sire de Gerbéviller.
Marguerite, mariée à Jean de Bourgogne, qui porta aussi les titres de dame de Ferrette et de Montaigu.
Henri II, le jeune, épousa, avant 1311, Marguerite de Montfaucori, soeur de Jean de Montbéliard, du duché de Bourgogne. Sa dot comportait la terre de Bouligny, la vouerie de Neufchâteau et trois mille livres de tournois. Comme garantie, le comte assurait à sa bru cent cinquante livres de rente sur Herbéviller, Blémerey, Autrepierre, Barbézieux et Verdenal. Henri II combattit vaillamment à Frouard, près de son père, et y fut armé chevalier, mais il mourut en 1320, avant son père, en laissant trois enfants que nous rencontrerons plus loin.
Eymequin (Eyme, quand il fut fait chevalier) était destiné par son père à devenir seigneur de Magnières. Nous avons vu sa répugnance à se faire homme-lige du duc et les embarras qu'il suscita, pour ce motif, jusqu'en 1324. La mort, en cette année même, ne lui permit pas de recueillir les effets de sa soumission tardive. Il avait épousé, vers 1311, Isabelle de Saint-Dizier, en Champagne; dont la dot comportait les terres d'Orville et de Humbescourt, près de Varry, de Rouvre, près de Bar-sur-Aube, de Montenot-sur-Salins avec la saulnerie. Trois enfants naquirent de ce mariage : Eymequin II, qui mourut en 1346, tué à Crécy, aux côtés du duc Raoul, sans laisser de postérité; Jeanne, qui épousa : 1° Hermann d'Ogéviller; 2° Henri de Faucogney, et 3° Brun de Ribeaupierre; Marguerite, qui s'allia à Jean de Salm; dit le jeune, garda longtemps des intérêts à Blâmont et accorda, en 1347, l'exemption de la morte-main aux sujets qu'elle avait encore sur la place du Vieux-Marché.
Nous avons dit qu'en père prévoyant et soucieux «  d'osteir toute matière de bestans entre ses enfants », Henri Ier avait déterminé, lui-même, la part d'héritage qui devait revenir à chacun d'eux. Cette mesure ne reçut pas d'exécution : elle est cependant curieuse à examiner. Le testateur invoque les coutumes de Lorraine et plus encore son droit paternel, qu'il veut exercer par conseil de prud'hommes et par le consentement de ses enfants. Aux filles, il attribue des rentes en argent; aux garçons, des fiefs en part presque égale. Le droit d'aînesse était donc à peu près nul.
Ce partage, non exécuté, aurait du être annulé dans la suite, car, en 1318, les deux fils présentèrent à leur père un autre projet qui modifiait sensiblement ses vues. Ils stipulaient, en particulier, que le comté resterait indivisément leur propriété commune et que le droit d'aînesse comporterait une majoration de cinq cents livres dans les revenus. Ici perce un mode successoral qui était venu de France avec les nouvelles épousées. Ici encore débute le système de l'indivision en matière de partage, qui s'implantera dans le pays de Blâmont, au grand détriment des héritages.
La longue existence de Henri Ier faite pour déconcerter toutes les combinaisons, empêcha encore cet arrangement. Les deux fils moururent avant leur père, et, quand celui-ci disparut à son tour, il fallut pour les petits-fils, placés sous la tutelle de leur mère, des dispositions tout à fait imprévues.
Une volonté commune des deux époux fut au moins respectée : celle de reposer, côte à côte, dans le cloître de Saint-Sauveur. Ils y eurent leur mausolée qui fut retrouvé en 1854 et transporté au Musée Lorrain (27).
Le comte et la comtesse sont représentés en grandeur naturelle, couchés côte à côte. L'un est revêtu de la cotte de mailles, coiffé d'un haubert, ayant un écu chargé des deux saumons adossés; un lion repose à ses pieds. L'autre est en robe longue, un voile retombant sur ses épaules : la levrette, symbole de la fidélité, est également couchée à ses pieds.


Monnaie d'Adhémar de Monteil.



Cliché du «  Pays Lorrain»
Tombeau d'un comté de Blâmont dans le cloitre de Saint-Sauveur, aujourd'hui déposé au Musée Lorrain.

(A suivre)


(1) Le prénom Emich, Eyme ou Aimé est fréquent dans la famille de Linange. Le père de Cunégonde, dit aussi Linange-Landeck, fonda la ville de Landau. Il était frère de Ferry et de Simon II qui épousa Gertrude de Dabo. Il recueillit avec Ferry l'héritage de Simon et de Gertrude, morts sans enfant. Lui-même n'eut que des. filles et son nom s'éteignit avec lui en 1289. - LEHR : La noblesse d'Alsace, I, p. 340. CHATELAIN : Yahrbuch G.L.G., 1901; famille d'Apremont.
(2) M de Martimprey et plusieurs auteurs écrivent Hadigny, près de Châtel. Cette version n'est pas impossible. Mais, avec M. Grosdidier de Matous, nous préférons Hattigny, qui est moins éloigné de Marsal où eut lieu, le lendemain, la seconde déroute.
(3) Archives départementales, B 580, n° 7.
(4) B. 580 n° 44.
(5) Hugues Ier. comte de Lunéville, avait donné l'église d'Amenoncourt à la Commanderie de Saint-Georges en 1206. Son fils, Hugues II, marié à Elisabeth de Sarraponte, Se retira au château de La Petite-Pierre, en 1221, que lui recéda son frère, Conrad de Riste, évêque de Strasbourg. Il y eut sept enfants : Suzanne, mariée à Guillaume Bossel de la Roche; Jutta ou Jeannette, marié à Eberhard d'Estendorf; Cunégonde, mariée. à Henri de Plave; Hugo III, comte de la Petite-Pierre; Simon; Emich; Mathilde, mariée à Henri de Fleckenstein.
(6) B 524, nos 41, 42.
(7) B. 522, n° 12, et 574, n° 18.
(8) B. 574, nos 22 et 24.
(9) Cette alliance avec les comtes de Hainaut et de Flandre s'explique par la parenté qui les unissait avec les deux évêques de Metz : Bouchard d'Avesnes et Gérard de Relange.
Le comte de Blâmont reçut, en 1296, une rente de 200 livres de Jean de Brabant; en 1297, une rente de 100 livres, rachetable pour 1.000, de Guy de Flandre et de Namur; en 1302, après son retour, une rente double de la précédente de Jean, fils de Guy, (B. 574, 33, 38, 71, 95.)
(10) B. 574, 34.
(11) B. 574. 36.
(12) B. 574.
(13) B. 660, 11.
(14) Frisonviller, petit hameau que l'on place à l'endroit de la Bonne-Fontaine, ne se releva jamais de ses ruines. On peut croire que l'image de Notre-Dame-sous-la-Croix, longtemps honorée en ce lieu, a été érigée en : souvenir de ce désastre.
(15) Le duc conféra. en 1309. à Henri de Blâmont la dignité de sénéchal de Lorraine. Mais. comme cette fonction obligeait à de longs séjours à la Cour, notre comte s'en démit, quelque temps après.
(16) B. 574. 68. 70. - DE MARTIMPREY : op. cit.; Document III.
(17) M. DE. MARTIMPREY : op. cit., V, Document V.
(18) B. 580, 18.
(19) Un plan de Blâmont inséré dans notre ouvrage : «  Le Blâmontois dans les temps modernes » démontre bien cette disposition. La tradition a conservé le nom de plusieurs de ces tours : Tour du Sénéchal, certainement. en souvenir de Henri Ier, puisque lui seul de la famille fut revêtu de cette dignité; Tour de la Vénerie; Tour du Rologe (Horloge); Tour Rouge; Tour Renaud, mais sans en désigner la place, sauf pour la tour de la Vénerie; qui paraît avoir été celle qui est actuellement la plus rapprochée de la gare.
(20) Une partie encore visible de ces fossés mesure environ quatre ou cinq mètres de profondeur et huit de largeur à la surface du sol.
(21) La charte constitutive, reproduite par D. Calmet, est conservée aux archives d'Epinal. G. 61.
(22) B. 664, 574, n° 7.70, 580, n° 15.
(23) B. 574, nos 11, 15. 16, 19, 39, 41, 42, 57, 65; 580, n° 9.
(24) B. 580, 646, 576, 739, 574. H. 1374
(25) T. DUVERNOY et R. HARMAND : Etude sur le tournoi de Chauvency, en 1285
(26) M. Bernhardt décrit le château de Deneuvre; op. cit. p. 71.
(27) Digot le décrit dans J.S.A.L., 1854, p. 108, et de Martimprey l'identifie dans le même journal, 1889, p. 20.
 

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