| LE TOURNOI DE 
				CHAUVENCY EN 1285Etude sur la société et les mœurs chevaleresques au XIIIe siècle
 par
 
 EMILE DUVERNOY
 Archiviste de Meurthe-et-Moselle
 Docteur ès lettres
 
 RENE HARMAND
 Professeur au Lycée de Nancy
 Chargé de cours à la Faculté
 Docteur ès lettres
 
 Ed. BERGER-LEVRAULT & Cie
 1905
 LE TOURNOI DE CHAUVENCY EN 
				1285 Le poème de la fin du 
				treizième siècle qui a pour titre Le Tournoi de Chauvency est 
				peu connu et peu consulté, bien qu'il ait eu déjà deux éditions, 
				honneur rarement accordé à un texte de cette époque : la 
				première fut donnée à Valenciennes par Delmotte, en 1835, 
				d'après le manuscrit conservé dans la bibliothèque de Mons (1) ; 
				la seconde a été publiée à Mons en 1898, d'après le même 
				manuscrit, et par les soins de M. Gaëtan Hecq. Imprimée avec 
				élégance, et même avec luxe, cette dernière est le trente et 
				unième volume des Publications de la Société des bibliophiles 
				belges séant à Mons (2) ; par un scrupule d'exactitude vraiment 
				excessif, l'éditeur a reproduit le manuscrit textuellement, sans 
				se permettre d'y ajouter ponctuation, accents et apostrophes, 
				sans différencier les u et les v, les i et les j; reproche plus 
				grave, il n'a employé que le manuscrit qui avait déjà servi en 
				1835, bien que, depuis, deux autres aient été signalés à 
				l'attention des érudits par M. Paul Mejer (3). Aussi fut-il 
				amené, trois ans plus tard, à donner un supplément contenant les 
				variantes et certains morceaux du poème qui manquent dans le 
				manuscrit de Mons, mais figurent dans les autres (4). En 
				joignant ce supplément à la publication antérieure, on a, pour 
				la première fois, sinon une édition satisfaisante, du moins une 
				édition complète du Tournoi de Chauvency, avec ses quatre mille 
				sept cent trente vers de huit syllabes.Le Tournoi de Chauvency a été analysé et apprécié brièvement par 
				Victor Leclerc dans l'Histoire littéraire de la France (5); Léon 
				Gautier s'en est beaucoup servi dans sa Chevalerie (6) pour 
				décrire un tournoi, quoique ce poème soit d'un siècle postérieur 
				à l'époque qu'il retrace et où il prend d'habitude tous ses 
				documents. En Lorraine, le Tournoi a suscité un seul travail 
				(7), où Emmanuel Michel, un magistrat messin, auteur d'études 
				méritoires, mais toutes relatives à une époque plus récente, 
				s'est attaché principalement à identifier les personnages, 
				surtout les personnages lorrains qui vinrent à Chauvency; dans 
				ces recherches, il a laissé échapper nombre d'erreurs qu'il 
				serait injuste de lui reprocher amèrement, car à l'époque où il 
				écrivait, le Moyen Age lorrain était encore bien mal connu. En 
				outre, ce poème a été cité, toujours très brièvement, par P. 
				Landau et H. Lepage dans leurs études sur les tournois (8), par 
				le président Jeanlin dans son Manuel de la Meuse (9), par l'abbé 
				Clouet dans l'Histoire de Verdun et du pays verdunois (10), par 
				Ed. de Martimprey dans son étude sur Les sires et comtes de 
				Blâmont (11), par M. Jules Baudot dans son livre sur Les 
				Princesses Yolande et les ducs de Bar de la famille des Valois 
				(12). La Belgique, aussi intéressée que la Lorraine à ce poème, 
				paraît s'en être encore moins servie : du moins n'en est-il 
				question, ni dans Les comtes de Chiny (13) du père Goffinet, ni 
				dans les Publications de la section historique de l'Institut 
				grand-ducal de Luxembourg, ni dans les Annales de l'Institut 
				archéologique du Luxembourg, à Arlon.
 Au contraire de tant d'oeuvres littéraires du Moyen Age, Le 
				Tournoi de Chauvency n'est pas anonyme, son auteur ayant eu la 
				précaution de se nommer plusieurs fois au cours du poème : il 
				s'appelait Jacques Bretex ou Bretel (14), nom très militaire et 
				fort convenable au chantre de combats chevaleresques, puisque 
				bretex, qui est plus tard devenu bretesche, signifie créneau. 
				D'après M. Hecq (15), Bretex serait peut-être l'auteur d'un 
				autre poème, Li roumans dou chastelain de Coucy et de la dame du 
				Faiel, édité à Paris en 1829. Son poème est écrit dans une 
				langue plutôt composite, mais où dominent les formes usitées en 
				Picardie, en Artois et en Hainaut, ce qui montre en lui un homme 
				du nord de la France, sans nous apprendre au juste de quelle 
				province il était originaire. L'analogie du nom ne suffit pas à 
				le rattacher à la famille de trouvères qui a produit au douzième 
				siècle Nicolas Bretel, et au treizième deux Jean Bretel, dont le 
				plus connu, un chansonnier fort goûté en son temps, né à Arras 
				vers 1200 ou 1210, mourut en 1272 ou 1273 (16); mais il n'est 
				nullement impossible qu'il ait été leur parent, ni que, de l'un 
				ou de l'autre de tous ces Bretel, descende ce Jacques Bretel de 
				Grémonville qui fut ambassadeur de France à Vienne de 1666 à 
				1668.
 Le sujet qu'a choisi notre Jacques Bretex pour donner carrière à 
				son talent n'avait rien d'exceptionnel : bien au contraire, les 
				trouvères de l'Age féodal l'affectionnaient, de même que les 
				poètes de la Grèce antique se plaisaient à chanter les jeux 
				olympiques ou pythiques. Des vingt mille vers que compte le 
				poème de Guillaume le Maréchal, retrouvé et publié récemment, un 
				bon quart a pour objet les tournois. Les joutes qui eurent lieu 
				à Hem-sur-Somme, quelques années avant celles de Chauvency, et 
				sans doute en 1278, sont racontées par le trouvère Sarrasin dans 
				un poème un peu plus court que celui de Bretex, - il n'a que 
				quatre mille cinq cents vers, - mais d'une allure plus originale 
				et libre (17). Et un peu après, au déclin du Moyen Age, les 
				écrits sur les tournois deviendront un véritable genre 
				littéraire où brilleront des écrivains en renom et de noble 
				race, Olivier de la Marche, Anthoine de la Salle, Villiers de 
				l'Isle-Adam, Hardouin de la Jaille, un Lorrain, enfin le roi 
				René d'Anjou, qui, vers 1451, quand il était encore duc de 
				Lorraine, écrivit un remarquable Traictié de la forme et devis 
				d'ung tournoy (18).
 C'est que les tournois, si chers à cette société féodale 
				débordante de vie et de jeunesse, étaient particulièrement en 
				honneur dans le nord-est de l'ancienne Gaule, dans toute la 
				région entre la Seine et le Rhin, au centre de laquelle se 
				trouve Chauvency. Là on tournoyait constamment : le duc Jean 1er 
				de Brabant, tout en faisant de longues et importantes 
				expéditions, trouva le moyen de prendre part à soixante-dix 
				tournois; s'il ne dépassa pas ce chiffre, c'est parce qu'il fut 
				blessé mortellement au soixante-dixième (19). Les tournois sont 
				des événements si considérables qu'ils concourent, avec les 
				fêtes de l'Eglise et les saints du calendrier, à dater les 
				chartes (20). Sans sortir du treizième et du quatorzième 
				siècles, nous voyons que des tournois assez retentissants pour 
				être mentionnés dans les écrits du temps ont été donnés en 1223 
				à Corbie, en 1238 à Compiègne, en 1272 à Sissonne près de Laon, 
				en 1273 à Compiègne, en 1274 à Saint-Herme et à Séclin, en 1278 
				sans doute à Hem-sur-Somme, en 1279 à Creil, à Senlis et à 
				Compiègne, en 1281 à Creil, en 1285 à Chauvency près de Montmédy 
				(c'est le tournoi qui nous occupe), en 1294 à Bar-le-Duc, en 
				1310 à Mons, en 1331 à Tournay, en 1337 à Ingelheim près de 
				Mayence et en Frise, en 1361 à Saint-Dizier, en 1376 à Lille, en 
				1392 à Bruges, en 1396 en Frise, et tout cela en un temps où, la 
				guerre étant presque continuelle, les occasions ne manquaient 
				pas de rompre des lances «  pour de bon ».
 Pourtant, l'Eglise avait fait des efforts persévérants contre 
				les tournois : les conciles de Clermont en 1130, de Latran en 
				1139 et 1179 privent de la sépulture chrétienne ceux qui y 
				succombent. Le concile œcuménique de Latran en 1215 les interdit 
				pour trois ans, dans l'intérêt de la croisade; en 1279, le pape 
				Nicolas III déclare excommuniés les délinquants, et attribue au 
				légat seul le droit de les absoudre; mais en 1281, son 
				successeur, Martin V, est obligé de révoquer ces anathèmes, tout 
				en maintenant la prohibition en principe (21). Rien n'y faisait, 
				tant la passion était forte, mais comme les preux chevaliers, 
				tout en se moquant des défenses ecclésiastiques, n'en restaient 
				pas moins très croyants et très dévots, ils ne manquaient jamais 
				d'ouïr la messe avant d'entrer en lice, inconséquence qui nous 
				déconcerte, mais ne troublait nullement les consciences de nos 
				aïeux. A Chauvency, on «  accorde le tournoi », c'est-à-dire 
				qu'on le fixe au lendemain, et qu'on en détermine les 
				conditions,
 (V. 2787.) Mercredi à la matinée
 Si tost com messe fut chantée.
 
 Et le jeudi matin, nous dit Bretex,
 (V. 3070.) ... li prestes en son latin
 Chanta la messe disgnement ;
 Là vi je moult bénignement
 Mainte dame et maint chevalier
 A Jhésus-Christ merci proier.
 
 Dans le Roman de Hem également, les combattants entendent la 
				messe avant de jouter. Mais, un peu plus tard, un chevalier 
				messin, nommé Thiébaut de Vic, fera mieux encore : par testament 
				du 9 août 1427, il léguera son armure de tournoi au prieuré 
				Notre-Dame aux Champs, près de Metz, pour être suspendue dans 
				l'église (22), et on ne nous dit pas que les moines aient refusé 
				cet ex-voto au moins singulier.
 Si les papes et les conciles accusaient les tournois de mettre 
				en danger les corps et les âmes des chrétiens, si les rois de 
				France, Philippe III et Philippe IV, leur faisaient le reproche 
				plus positif de coûter beaucoup trop de chevaux de prix, les 
				amateurs de tournois et les écrivains qui les célébraient ne 
				manquaient pas de leur répondre et de vanter ce passe-temps 
				chevaleresque. Bretex, dans une trentaine de vers (3441 et 
				suivants), ne présente que des considérations assez banales sur 
				la beauté des tournois ; mais son émule, Sarrasin, l'auteur du 
				Roman de Hem, recourt aux arguments économiques : les tournois, 
				dit-il, font aller le commerce (c'était vrai, car, outre les 
				chevaux tués et les armures brisées à remplacer, les dames 
				revêtaient d'aussi éclatantes toilettes pour les tournois 
				qu'aujourd'hui pour les courses) et le royaume perd beaucoup 
				depuis que les défenses du roi obligent à aller tournoyer sur 
				les terres d'Empire (23). L'illustre jurisconsulte Philippe de 
				Beaumanoir, qui a dû connaître le tournoi de Chauvency, 
				puisqu'il ne mourra qu'en 1296, parle avec faveur de ces luttes 
				en champ clos dans son roman en vers, La Manekine, où le roi 
				d'Ecosse, poussé par l'amour de la gloire, vient en France 
				prendre part au tournoi de Ressons, près de Compiègne (24). Et 
				un homme de la génération suivante, ce Pierre du Bois qu'on a pu 
				appeler «  le plus grand idéologue et le plus grand journaliste 
				du Moyen Age », composera, en 1313, tout un mémoire. De 
				torneamentis et justis, pour faire valoir que les tournois 
				préparent merveilleusement à la guerre, et obtenir du pape la 
				levée de ses prohibitions (25). Ces apologistes auraient pu 
				ajouter que les tournois contribuaient efficacement aux 
				relations sociales, en rassemblant et en faisant vivre plusieurs 
				jours ensemble des hommes et des femmes qui habitaient à trente 
				ou quarante lieues de distance, et qui n'avaient aucune autre 
				occasion de se voir; ils créaient même des relations 
				internationales, et tenaient vraiment, au Moyen Age, la place de 
				nos congrès d'aujourd'hui ; par eux, bien des préventions et des 
				malentendus étaient dissipés, en sorte que ces réunions 
				belliqueuses pouvaient, si paradoxal que cela semble, servir la 
				cause de la paix.
 Il faut du reste se rendre compte que les tournois n'étaient pas 
				très meurtriers : lorsque le concile de Clermont de 1130 
				reproche aux tournois de coûter trop souvent la vie à des 
				hommes, il montre bien que ces jeux n'avaient pas habituellement 
				un pareil résultat. Orderic Vital nous apprend qu'à la bataille 
				de Brémule en 1119, sur neuf cents chevaliers engagés, il n'y en 
				eut que trois tués ; or on se tuait encore bien moins dans les 
				tournois où les lances et les épées étaient émoussées, d'où les 
				haches et les dagues étaient exclues, où il était interdit de 
				porter avec l'épée des coups de pointe. De plus, on endossait 
				des armures spéciales, renforcées et rembourrées; à la guerre, 
				où il fallait rester armé tout le jour, quelquefois toute la 
				nuit, où l'homme d'armes était souvent obligé de combattre à 
				pied, on n'aurait pu en supporter d'aussi lourdes ; il est vrai 
				que ce poids même de l'armure de joute devenait un péril, comme 
				il advint à Neuss, près de Cologne, à la Pentecôte de 1240, où 
				succombèrent soixante chevaliers et écuyers, presque tous 
				étouffés par la chaleur et la poussière. Mais c'était au mois de 
				juin, et la saison n'était pas favorable à de tels exercices.
 Le tournoi de Chauvency, comme auparavant celui de Hem, s'étant 
				donné en octobre, quand les pluies d'équinoxe ont déjà eu raison 
				de la poussière et des grandes chaleurs, on n'avait pas à y 
				craindre une si terrible aventure. Bretex ne mentionne pas un 
				seul mort, soit qu'en effet il n'y en ait pas eu, soit qu'il ne 
				veuille pas attrister le lecteur. Il ne signale même pas de 
				blessure grave : tout au plus le sire de Chardoigne, un 
				chevalier barrois, a-t-il eu un bras cassé, non d'un coup de 
				lance ou d'épée, mais pour avoir été foulé aux pieds des 
				chevaux; il peut en résulter autant ou même pis d'une simple 
				chute de cheval. Henri de Briey a été désarçonné et jeté à terre 
				si rudement qu'on l'a cru mort ; le surlendemain, il est assez 
				bien remis de sa chute pour paraître à la brillante soirée qui 
				termine les fêtes, et c'est à sa prière que Bretex débitera une 
				longue dissertation de plus de cent vers, sur l'amour, - tel 
				Bellac conférenciant, mais en prose, dans le salon de Mme de 
				Céran, sur le même sujet qui, du treizième siècle au 
				dix-neuvième, n'a pas cessé, paraît-il, d'être neuf, actuel et 
				vivant. Ailleurs encore (vers 4287), on voit des chevaliers 
				blessés revenir du tournoi en chantant des vers galants, ce qui 
				donne à penser que leurs blessures sont légères. Ainsi, rien ne 
				vient troubler le parti pris résolument optimiste du poète, ni 
				le faire sortir du programme qu'il s'est tracé lui-même tout au 
				début de son œuvre :
 D'amors et d'armes et de joie
 Est ma matière (26).
 
 Et pourtant, ce tournoi qu'on nous dépeint si peu sanglant avait 
				comporté trois jours de luttes véhémentes sur six jours de 
				réunion dont voici le détail : nous sommes, comme il a été dit, 
				en 1285; le dimanche 30 septembre, tous les barons et les dames 
				sont réunis et font connaissance, dans une fête générale. Le 
				lundi 1er octobre et le mardi 2 sont consacrés à des joutes, 
				c'est-à-dire à des luttes individuelles où deux chevaliers 
				foncent l'un sur l'autre, au galop de leurs chevaux et la lance 
				en arrêt; Bretex ne nous dit pas combien de ces couples furent 
				engagés, il ne décrit que les principales passes d'armes; mais 
				nous savons que, presque à la même époque et dans la même 
				région, à Hem-sur-Somme, où les joutes durent également deux 
				jours, on en fait cent quatre-vingts. Il a pu, sinon dû, y en 
				avoir autant à Chauvency. Le mercredi 3, les joutes sont finies, 
				on se repose, et comme les plus ardents batailleurs ne sont pas 
				encore satisfaits, ils décident de donner le lendemain un 
				tournoi proprement dit, c'est-à-dire une mêlée à laquelle 
				prendront part tous les combattants, divisés en deux partis; on 
				fait tous les préparatifs et les camps se forment. Le jeudi 4, 
				le tournoi a lieu, non pas dès le matin, on a soin au contraire 
				de l'engager assez tard dans l'après-midi, de façon que la nuit 
				y mette fin; sans cette précaution, il eût été trop difficile de 
				séparer les combattants. Remarquons en passant qu'il n'y a pas 
				eu de tournoi à Hem, mais seulement des joutes deux par deux. 
				Enfin, le vendredi 5, se font les adieux et le départ, et, 
				coïncidence curieuse, ce même jour, le roi de France Philippe le 
				Hardi meurt bien loin de là, à Perpignan, au retour de son 
				infructueuse expédition d'Aragon.
 Et la distribution des prix aux lutteurs les plus braves, qui, 
				dans nos idées modernes, doit clore tout tournoi digne de ce nom 
				? Bretex n'en touche mot, et nous pourrions supposer qu'en poète 
				un peu courtisan, qu'il était à coup sur, il préfère n'en pas 
				parler, de peur d'affliger ceux qui n'ont rien gagné, mais il 
				est reconnu que cette cérémonie était en honneur surtout aux 
				quatorzième et quinzième siècles, et que les premiers siècles de 
				la chevalerie ne la pratiquaient guère; c'est donc à tort que 
				les auteurs de romans historiques lui ont donné une importance 
				majeure, par exemple Walter Scott dans son lvanhoe, dont 
				l'action se passe à la fin du douzième siècle, et où le 
				vainqueur du tournoi est couronné solennellement de la main 
				d'une dame. Reconnaissons du reste qu'à part ce détail, Scott 
				nous donne l'image vraiment exacte et fidèle d'un tournoi, et il 
				y avait d'autant plus de mérite que, pour cette restitution, il 
				ne pouvait utiliser l'œuvre de Bretex, publiée seulement en 
				1835, alors que la première édition d'lvanhoe est de 1820.
 Les invitations au tournoi de Chauvency avaient dû être lancées 
				de bonne heure pour en assurer le succès, car, trois semaines 
				avant, Bretex, qui est alors à Salm, en Alsace, peut énumérer 
				les principaux barons et les plus nobles dames qui seront de la 
				fête. Dans le récit de la mêlée finale du jeudi, il indique en 
				chiffres ronds le nombre des combattants :
 (V. 4259.) De toz costez et de touz sens
 Acoururent plus de cinq cents.
 
 A ces cinq cents tournoyeurs et plus, ajoutons les chevaliers 
				qui ont été blessés les jours précédents et ne peuvent monter à 
				cheval dans cette dernière journée, les dames et damoiselles 
				avec leurs chambrières, les très nombreux écuyers, varlets, 
				palefreniers, pages, hérauts, ménestrels, et nous pourrons 
				affirmer qu'un tournoi comme celui de Chauvency mobilisait et 
				rassemblait plusieurs milliers de personnes des deux sexes. Tout 
				ce monde était logé, soit dans le château de Chauvency, soit à 
				la ville toute voisine de Montmédy, soit sous des tentes. Bretex 
				ne les nomme pas tous, à beaucoup près : environ soixante-dix 
				chevaliers qui ont jouté, une quinzaine de dames ou damoiselles 
				et autant de hérauts d'armes sont désignés par leurs noms dans 
				son poème. Beaucoup de ces personnages sont connus par des 
				chartes ou des chroniques dont les indications s'accordent sans 
				peine avec celles du Tournoi de Chauvency, et on a ainsi la 
				preuve de l'exactitude et de l'historicité de ce dernier. 
				Quelques-uns des chevaliers qui combattirent à Chauvency sont 
				aussi nommés par Sarrasin dans son Roman de Hem, ce qui n'est 
				pas surprenant, puisque ce dernier n'est que de sept ans 
				antérieur à l'autre; du reste, ce roman, qui mérite bien son 
				titre, est autant une œuvre d'imagination qu'une œuvre 
				historique : pour ennoblir son sujet et flatter davantage les 
				jouteurs de Hem, Sarrasin a eu l'idée bizarre de mêler aux 
				personnages réels des personnages de la fiction, par exemple la 
				reine Genièvre, femme du roi Artus, qui préside les fêtes, le 
				Chevalier au Lion, un des paladins de la Table ronde, qui vient 
				jouter, sans parler de dame Courtoisie, qui a fait les 
				invitations. Rien de pareil chez Bretex; il nous présente bien 
				un moment (vers 419 et suivants) Prouesse et Hardement son fils, 
				mais, cette légère concession faite au goût pour l'allégorie de 
				tous ces lecteurs assidus du Roman de la Rose, il ne sort plus 
				de la réalité, voire du réalisme, et serre de très près le 
				détail familier, trivial même : un chevalier s'avance dans la 
				lice comme si
 (V. 484.) ... cuidoit toutes voies
 Que li rois li gardat sez oies,
 Tant estoit de fier contenant (27).
 
 Un autre est si gros
 (V. 1391.) Qu'il a le ventre et le crépon
 Droit de la taille à un bouton.
 
 Rien ne lui répugne de ce qui peut caractériser un personnage, 
				donner de la vie à une silhouette, montrer l'homme en chair et 
				en os sous son armure d'acier et sous son blason.
 La plupart des preux qui luttèrent à Chauvency étaient Lorrains, 
				Barrois et Luxembourgeois, mais il en était venu aussi de pays 
				plus éloignés, de Flandre, du Hainaut, du Brabant, du Limbourg, 
				du pays de Trêves et des bords du Rhin, d'Alsace, de 
				Franche-Comté et de Bourgogne, de Champagne, du Berry, de 
				l'Ile-de-France et du Vexin, même d'Angleterre, où les tournois 
				faisaient fureur autant que dans le nord de la Gaule. La 
				majorité de ces barons parlaient français, quelques-uns 
				cependant étaient de langue allemande, et avaient amené avec eux 
				des «  hyraut tyois » (vers 1731). Bretex, qui tient à amuser ses 
				lecteurs, nous montre à trois reprises un de ces chevaliers, 
				l'Alsacien Conrad Warnier de Hattstatt (28), écorchant le 
				français d'une façon risible, disant la cors pour le corps, la 
				jor pour le Jour (vers 3590-91), et avec cela affirmant que
 (V. 89) La bon fransoise trestout sai.
 
 C'était l'habitude de nos trouvères de faire baragouiner les 
				étrangers qui s'essayaient à leur langue : dans le roman en vers 
				de Blonde d'Oxford, un comte de Glocester l'estropie aussi 
				plaisamment que l'Anglais typique des pièces du Palais-Royal 
				(29). Au reste, l'esprit de nationalité ou de race ne se traduit 
				pas autrement que par ces innocentes et déjà classiques 
				plaisanteries dans cette réunion d'hommes nombreux et aux 
				origines diverses. Quand les chevaliers se répartissent en deux 
				camps pour la mêlée qui couronnera le tournoi, cette répartition 
				ne correspond à aucune réalité politique ou linguistique : dans 
				chaque camp, il y a des vassaux de la France et des vassaux de 
				l'Empire, du parler roman et du parler tudesque, et peut-être, 
				après tout, les a-t-on intentionnellement mêlés.
 Le tournoi était présidé par le comte de Chiny : il se donnait 
				en effet sur ses terres, et Bretex nous indique assez clairement 
				qu'il en avait soutenu la dépense :
 (V. 808.) ... le gentil conte
 De Chini, Loeys de Los,
 Qui doit avoir et pris et los
 De ceste feste et grant honor.
 
 Louis V, onzième comte de Chiny, a régné de 1268 à 1299; il ne 
				devait plus être très jeune en 1285, aussi ne le voit-on pas 
				prendre part aux joutes. Il appartenait à une puissante maison 
				du Limbourg, celle de Looz, à qui un mariage avait apporté le 
				comté de Chiny, au commencement du treizième siècle; lui-même 
				mourra sans enfants en laissant le comté à son neveu. Bretex 
				vante à maintes reprises sa courtoisie et sa largesse, et un 
				historien moderne (30) nous assure qu'il était très pieux et 
				charitable. Louis V était particulièrement en situation de 
				donner une fête comme celle de Chauvency, et d'y attirer de 
				nombreux et illustres hôtes, car par son mariage il se trouvait 
				en étroites relations avec trois puissantes maisons de ces pays 
				de l'est: il avait en effet épousé, vers 1267, Jeanne, fille 
				d'Henri II, qui fut comte de Bar de 1214 à 1239 ; Jeanne avait 
				été mariée en premières noces à Ferry Ier, comte de Blâmont 
				(31), et en avait eu un fils, Henri Ier de Blamont; une sœur de 
				Jeanne, Marguerite, ayant de son côté épousé le comte de 
				Luxembourg, Henri II le Blond, la comtesse de Chiny se trouvait 
				être la mère d'Henri Ier de Blamont, qui vint au tournoi de 
				Chauvency, la tante d'Henri III, comte de Luxembourg, qui y vint 
				aussi, la sœur du comte régnant de Bar, Thibaut II (1239-1294), 
				qui n'y vint pas, à cause soit de son âge, soit de sa dignité de 
				suzerain (32), mais qui était représenté aux fêtes par une de 
				ses sœurs. La comtesse Jeanne mourra à peu .près en même temps 
				que son mari, peut-être en 1299 (33) ; déjà mûre, peut-être 
				vieille au moment du tournoi (34), elle ne peut y avoir obtenu 
				que de l'estime et du respect, et Bretex, réservant son 
				admiration expansive pour de plus jeunes femmes, parle d'elle 
				assez brièvement, et se contente de louer sa bonté et sa 
				courtoisie.
 A côté de Louis V figure son frère cadet, Gérard de Looz, qui 
				portail le titre de sire de Chauvency et avait donc prêté le 
				château à son aîné pour le tournoi (35). C'est ici le cas de 
				dire quelques mots du lieu où se sont déroulées les belles fêtes 
				de i285 : Chauvency-le-Château (36) est situé sur la Chiers, 
				près de la voie romaine de Reims à Trêves, en aval et à une 
				lieue au plus de Montmédy, où, depuis une quarantaine d'années, 
				les comtes de Chiny résidaient habituellement ; au centre d'un 
				ancien domaine carolingien nommé Calvinciacum, un château fut 
				élevé par le second comte de Chiny, Otton 1er (982-1013); les 
				habitants furent affranchis en août 1242 par le comte Arnould 
				III, le même qui fonda Montmédy. Tous ces comtes de Chiny, 
				remarquons-le en passant, étaient très libéraux, dans les deux 
				sens du mot : non seulement ils dotèrent d'amples libertés les 
				villages du comté, mais ils leur accordèrent de précieux droits 
				d'usage dans leurs forets domaniales; aussi leur mémoire 
				est-elle restée en vénération dans le pays, jusqu'à nos jours, 
				et des légendes expressives affirment que l'on vivait heureux 
				sous la protection de leurs pittoresques armoiries, un écu de 
				gueules chargé de deux truites d'argent adossées, posées en pal, 
				et semé de croisettes d'argent (37).
 Tout à côté du comte et de la comtesse de Chiny doivent être 
				placés le comte et la comtesse de Luxembourg : plus jeunes, plus 
				brillants, ils sont cités plus fréquemment par Bretex. La maison 
				qui gouvernait alors le Luxembourg n'était pas plus autochtone 
				que celle de Chiny : au commencement du siècle, un comte de 
				Luxembourg n'avait laissé qu'une fille, Ermesinde, qui avait 
				épousé Waleran III, duc de Limbourg ; le Luxembourg était échu 
				au fils né de ce mariage, tandis que le Limbourg restait au fils 
				d'une première union de Waleran. Aussi, le comte de Luxembourg 
				avait-il conservé le cri d'armes de sa famille paternelle : «  
				Limbourg ! », qui résonne plus d'une fois dans les vers du 
				Tournoi de Chauvency, et il avait gardé les armes de ce duché : 
				d'argent à un lion rampant de gueules, armé, lampassé et 
				couronné d'or, en y ajoutant pour brisure cinq burelles d'azur. 
				Le comte de Luxembourg était alors, et depuis 1281 (38), Henri 
				III, prince dans la force de l'âge, puisqu'il était né sans 
				doute en 1241, et renommé pour une bravoure et un caractère 
				chevaleresque qu'il devait à sa mère, Marguerite de Bar, autant 
				peut-être qu'à son père, Henri II le Blond : en 1266, Marguerite 
				avait défendu intrépidement Ligny contre les ennemis de son 
				époux, et celui-ci ayant été blessé et fait prisonnier sur une 
				autre partie du théâtre de la guerre, elle était venue partager 
				volontairement sa captivité pour pouvoir le soigner, aussi 
				capable de dévouement que d'héroïsme, à la fois femme et 
				chevalier (39). Digne fils de tels parents, Henri III sera en 
				guerre pendant tout son règne, bien court du reste : moins de 
				trois ans après le tournoi de Chauvency, le 5 juin 1288, il sera 
				tué d'un coup de lance à la terrible bataille de Wœringen, près 
				de Cologne.
 Ce brillant batailleur avait épousé, nous ne savons pas à quelle 
				date, une femme qui paraît avoir été non moins brillante : elle 
				était fille de Baudoin d'Avesnes, seigneur de Beaumont, et de 
				Félicité de Coucy, et portait le nom poétique de Béatrix, alors 
				aussi répandu en France qu'en Italie. Si la comtesse de Chiny 
				présidait officiellement aux fêtes de Chauvency, la comtesse de 
				Luxembourg en fut la reine effective, par sa beauté, par son 
				âge, qui lui laissait encore la fraîcheur de la jeunesse, tout 
				en lui conférant déjà l'assurance et l'initiative de l'âge mûr, 
				et surtout par sa gaîté et son entrain. Bretex la loue d'un bout 
				à l'autre de son poème avec enthousiasme, et nous ne sommes pas 
				bien sûr qu'il n'ait point éprouvé pour la belle Béatrix une 
				passion respectueuse et muette, comme certain troubadour du 
				douzième siècle pour sa « princesse lointaine ». Il était, du 
				reste, peut-être son «  pays », puisque son dialecte permet de 
				voir en lui un habitant du Hainaut, et que la comtesse sortait 
				d'une maison de cette province. Il fait un bien bel éloge de 
				cette dame «  qui tant est bone » (vers 1247), et dont le cœur ne 
				pense qu'à répandre la joie (vers 4376). Il nous la montre 
				chantant en se rendant au tournoi, exécutant la danse gracieuse 
				du chapelet, dont il sera question plus loin. Cette femme du 
				monde accomplie, si l'expression peut se transporter au 
				treizième siècle, n'en était pas moins une mère de famille fort 
				occupée : elle donna à son mari trois fils et trois filles; un 
				des fils, Henri, devint empereur sous le nom d'Henri VII ; un 
				autre, Baudoin, fut archevêque de Trêves. Après la mort 
				sanglante et glorieuse d'Henri III, Béatrix se retira à 
				Valenciennes où elle mourut le 1er mars 1320. Elle y avait fondé 
				un monastère de religieuses dominicaines, dans la maison même où 
				elle était née, et où elle avait mis au monde plusieurs de ses 
				enfants, et elle fut inhumée dans ce monastère (40). Pendant ce 
				long veuvage .de trente-deux ans, elle dut plus d'une fois 
				penser aux fêtes splendides de 1285; peut-être se souvint-elle 
				de l'humble poète qui la suivait des yeux, et qui sait si elle 
				n'a pas eu entre les mains et lu ces vers de Bretex où elle 
				tient une place d'honneur ?
 Comme le comte de Chiny, le comte de Luxembourg avait auprès de 
				lui à Chauvency un frère cadet, Waleran, qu'on appelle 
				indifféremment Waleran de Limbourg, de Luxembourg, de Ligny. Il 
				devait tomber à côté d'Henri Ill, avec deux autres de leurs 
				frères, sur le champ de bataille de Wœringen. Bretex nous le 
				dépeint bonne lance et, surtout, très élégant sous les armes. 
				Sarrasin le fait figurer aux joutes de Hem-sur-Somme, au milieu 
				des barons du royaume, ce qui ne doit pas surprendre, car bien 
				qu'originaire d'un pays de langue allemande, le Limbourg, cette 
				maison de Luxembourg avait une culture toute française : quand 
				il deviendra empereur, le fils aîné du comte Henri III sera dans 
				ce cas étrange d'avoir à gouverner l'Allemagne en ne sachant que 
				le français ; il avait été élevé à la cour de Philippe le Bel, 
				et en avait si bien pris les usages que les comptes de sa maison 
				sont tenus en monnaie de France (41).
 Tels sont, en laissant de côté la foule des barons de second 
				ordre et des simples chevaliers, les principaux personnages qui 
				vinrent au tournoi de Chauvency. Nous avons expliqué plus haut 
				pourquoi le comte de Bar n'y parut pas. Des raisons différentes 
				en écartèrent le duc de Brabant, Jean Ier: il était parti pour 
				l'expédition d'Aragon avec Philippe III, son beau-frère, et 
				c'est même son absence qui permit au tournoi d'avoir lieu, car 
				soit avant, soit après ce voyage, ce prince très belliqueux fut 
				en guerre continuelle avec ses voisins, entre autres avec le 
				comte de Luxembourg, qui succombera sous ses coups à Wœringen, 
				et il ne leur laissa guère le temps de songer à des tournois. 
				Lui-même était très avide de ces passe-temps, puisqu'il luttera 
				dans soixante-dix tournois et sera tué au dernier, comme nous 
				l'avons dit plus haut. Enfin, le duc de Lorraine, Ferry III, 
				s'abstint pour des raisons qui nous échappent, car il n'avait 
				pas alors plus de quarante-cinq ans (42), à peu près l'âge du 
				comte de Luxembourg; il a passé l'année 1285 en Lorraine, et le 
				pays semble avoir été en paix pendant cette période de son règne 
				(43).
 Bien que Ferry III ne soit pas venu à Chauvency, Bretex ne 
				laisse pas d'écrire son nom dans un de ses vers: un chevalier 
				s'avance, ayant pour blason
 (v. 1400) L'escu d'or à la crois de sable.
 
 A la vue de ces armoiries, les hérauts ne se trompent pas sur 
				l'identité du personnage :
 (V. 1403.) Ains escrient : Priny ! Priny !
 L'ensaigne au riche duc Ferri,
 Marchis entre les trois roiaumes.
 
 Ces trois vers, plus ou moins exactement reproduits, ont été 
				pendant longtemps, très longtemps, tout ce qu'on connaissait du 
				Tournoi de Chauvency, avant que Delmotte donnât son édition, et 
				on eût mieux fait de les ignorer, car ils ont été l'origine 
				d'une affirmation erronée, qui est consignée par dom Calmet, 
				dans sa Notice de la Lorraine (44), et répétée après lui par 
				nombre d'auteurs: Prény, nom d'un château très important voisin 
				de Pagny-sur-Moselle, aurait été le cri de guerre, l' «  ensaigne 
				» des ducs de Lorraine du Moyen Age; les vers en question (ceci 
				n'est pas dans Calmet, mais dans les écrivains plus récents) 
				auraient été gravés sur le bronze de la cloche d'alarme de la 
				forteresse. Si cette vue était exacte, le chevalier dont parle 
				ici Bretex ne serait autre que le duc lui-même, car on n'aurait 
				pas poussé son cri de guerre devant un autre que lui, mais il 
				n'est pas vraisemblable que le trouvère ne nomme ainsi qu'une 
				seule fois, et comme à la dérobée, sans lui accorder le moindre 
				éloge, un aussi important dynaste, el d'autre part, que vient 
				faire ici l'écu à d'or la croix de sable, qui n'a jamais été le 
				blason de la maison ducale de Lorraine ? La solution de cette 
				difficulté a été donnée par M. Léon Germain, dans un travail lu 
				récemment à la Société d'archéologie lorraine, et qu'elle 
				publiera prochainement : Prény n'a jamais été le cri de guerre 
				des ducs de Lorraine, c'est là une légende moderne; le 
				personnage dont il est ici question est un seigneur de Prény, 
				porte-enseigne du duc Ferry III, et, très naturellement, les 
				hérauts, le reconnaissant à ses armoiries, crient son nom de 
				famille et sa fonction. Remarquons en passant que ce seigneur 
				n'est pas le seul Lorrain à qui s'attache ce cri : les hérauts 
				crient «  Prigni ! » pour Robinet de Watronville (vers 1099); 
				dans la mêlée qui termine le tournoi. Renier de Trive pousse son 
				cri d'armes «  Prini ! » (vers 4071 et 4097) (45). Les vers de 
				Bretex qui ont donné lieu à ce malentendu sont du reste précieux 
				et bons à retenir : s'ils ne servent pas à annoncer l'entrée en 
				lice du duc de Lorraine, Ferry III, du moins ils parlent de lui; 
				ils nous rappellent qu'à son titre de duc, il joignait celui de 
				«  marchis », qui marque la position frontière de la Lorraine 
				(46). Les trois royaumes entre lesquels Ferry est marchis sont 
				le royaume de France, le royaume de Germanie et le royaume de 
				Bourgogne ou d'Arles, sorti du démembrement de l'empire 
				carolingien, et réuni au Saint-Empire, en 1033 par Conrad II, 
				mais sans s'y fondre, car l'empereur eut toujours un chancelier 
				spécial pour le royaume de Bourgogne comme pour le royaume 
				d'Italie. Il appert donc que les hérauts de 1280 savaient leur 
				géographie politique. On ne doit pas s'étonner de voir le duc de 
				Lorraine qualifié «  le riche duc Ferry » : plus pratiques que 
				nous ne croyons, les gens de l'époque féodale estimaient la 
				richesse presque à l'égal de la valeur. Dans ce même treizième 
				siècle, le cri de guerre du duc de Brabant était : «  Louvain au 
				riche duc ! » Ce qui valait à Ferry III cette réputation de 
				richesse et ce compliment, c'était sans doute la possession des 
				mines d'argent de la chaîne des Vosges, autour de Saint-Dié et 
				de Sainte-Marie-aux-Mines, déjà très productives, nos aïeux 
				appréciant d'autant plus les métaux précieux qu'ils en avaient 
				une moindre quantité.
 Le petit problème que nous venons d'examiner laisse voir combien 
				les armoiries sont utiles pour identifier les personnages 
				nommés, parfois un peu brièvement, dans le Tournoi de Chauvency. 
				Ces emblèmes n'avaient commencé à être en usage qu'à la fin du 
				douzième siècle, et quelque temps encore étaient restés 
				flottants et variables, mais à la fin du treizième, ils sont 
				devenus stables, les règles principales de l'art héraldique ont 
				été fixées, chaque noble a son blason, en Allemagne et en 
				Belgique comme en France et en Angleterre. Et cette science 
				n'est pas seulement intéressante ou flatteuse pour la vanité ; 
				elle est indispensable : les heaumes de la fin du treizième 
				siècle sont des manières de boîtes de fer recouvrant 
				complètement le visage, et percées de fentes étroites qui 
				permettent seulement au chevalier de voir et de respirer - 
				plutôt mal que bien, comme le démontre l'issue du tournoi de 
				Neuss - mais ne laissent pas reconnaître sa figure. De là, la 
				nécessité des armoiries dans les batailles, et plus encore dans 
				les tournois, pour apprendre à qui on a affaire : à Chauvency, 
				dès qu'un combattant s'avance, les hérauts proclament son nom, 
				et souvent aussi son cri d'armes, et Bretex, qui se mêle à eux 
				pour mieux les entendre, qui peut-être s'est muni de tablettes, 
				est en mesure de nommer exactement les combattants dans ses 
				vers. Souvent, il ne note pas seulement les noms, mais aussi les 
				emblèmes qui ont permis de découvrir ces noms : il décrit ainsi 
				vingt-trois blasons ou «  ensaignes », comme il les appelle (47), 
				et ses descriptions sont exactes et conformes aux règles ; il 
				emploie les termes consacrés, sauf à faire quelques changements 
				exigés par la rime: ainsi, au lieu de gueules ou rouge, il 
				écrira vermeille, et fera rimer ce mot avec merveille ou avec 
				pareille. Le terme habituel, gueules, ne lui est du reste pas 
				inconnu, et il l'emploie au vers 2028, parce que là, il n'est 
				pas à la rime. Un détail fera voir combien son héraldique est 
				précise et sûre : en se détachant de la maison de Salm, les 
				Blamont avaient gardé l'écu de celle-ci: de gueules à deux 
				saumons adossés d'argent, en supprimant, pour se distinguer de 
				la branche aînée, les croisettes semées sur le champ de l'écu. 
				C'est ainsi que Bretex, aux vers 1729 et 3161, décrit les 
				armoiries du comte de Blamont, et Emm. Michel, mal informé de la 
				date où les croisettes avaient disparu, lui reproche de les 
				avoir omises (48); mais, depuis, M. de Martimprey a retrouvé des 
				sceaux (49), - document d'une valeur indéniable, - dont l'examen 
				établit que les croisettes des Salm avaient été abandonnées par 
				Henri Ier, le même seigneur de Blamont qui vint au tournoi de 
				1285, et que par conséquent Bretex a eu raison de n'en pas 
				mettre sur son écu- Notre poète était donc très informé de tout 
				ce qui concerne le blason, et un de ces hérauts dont il dit 
				volontiers du mal, peut-être parce qu'il a conscience d'en 
				savoir autant qu'eux, pourra lui demander avec colère si c'est 
				le diable qui l'a fait si «  soutil », c'est-à-dire si entendu en 
				héraldique (vers 469)- Bon rimeur, expert en armoiries, 
				enthousiaste des beaux coups de lance, grand admirateur des 
				dames, très curieux de propos galants et de sentiments raffinés, 
				il avait toutes les aptitudes requises pour décrire dans un long 
				poème des fêtes comme celles de Chauvency.
 Ce poème ne nous donne pas seulement de curieux détails sur les 
				tournois et les chevaliers qui y prennent part ; on y trouve 
				encore Ie tableau fidèle, à peine idéalisé, de la vie «  
				courtoise ». Tout d'abord la personnalité même de l'auteur s'en 
				dégage avec quelque précision. Sans doute il ne se pique point 
				de raconter sa vie - et sur ce point, nous lui saurions gré 
				d'être plus communicatif - mais il ne laisse pas de nous révéler 
				quelques traits de sa nature. Dès le début de son livre, il fait 
				entendre qu'il décrit les choses à mesure qu'il les observe.
 (V. 28.) ... A la sainte Nativité
 La Virge mère au roi puissant,
 Huict jours après aoust entrant,
 Mon livre à faire commançai,
 Tout droit à Saumes en Ausai.
 
 A ce procédé, la composition perd un peu, le style également - 
				et aussi bien, Bretex ne nous a donné qu'un récit rimé avec 
				assez d'aisance - mais l'exactitude y gagne, et son œuvre 
				recouvre en valeur historiques ce qui lui manque en valeur 
				littéraire; de plus, nous avons la date exacte de la rédaction 
				de ce récit, et l'on sait que, dans notre littérature du Moyen 
				Age, les œuvres datées sont encore plus rares que les œuvres 
				signées. Nous voyons aussi que Bretex est instruit, qu'il 
				connaît, outre Lancelot et Tristan, ces grands amoureux du cycle 
				de la Table ronde, les héros et les héroïnes des légendes 
				antiques, Priam, Hélène, Paris, Didon, Vénus; mais il a le bon 
				goût de ne pas étaler son érudition; il est plus simple que 
				beaucoup de ses contemporains. Il est aussi fort discret, et 
				quand, séduit par l'élégance des termes et l'élévation des 
				sentiments, il rapporte tout au long la conversation amoureuse 
				d'une dame et d'un chevalier, il a soin d'avertir qu'il ne les 
				nommera pas.
 (V.2956) Je vos vomi un peu conter
 D'une dame et d'un chevalier
 Saige, cortois et bel parlier,
 Et des paroles qu'il disoient,
 Mais ne saurez qui il estoient.
 
 Enfin, il est très impartial dans les éloges qu'il distribue aux 
				combattants; il évite de louer les uns plus que les autres, de 
				laisser voir une prédilection pour les chevaliers de telle ou 
				telle province; cette qualité est d'ailleurs regrettable, en un 
				sens, car ses préférences nous dévoileraient son pays natal. De 
				même Froissard, au siècle suivant, célébrera tous les beaux 
				coups de lance, que ce soient des Français ou des Anglais qui 
				les donnent. Une mêlée terrible s'engage et, dit Bretex :
 (V. 3732.) ... Je ne sai qui i perdi
 Ne qui conquist ne gaaigna.
 
 Cet homme, si maître de lui-même, d'un esprit si pondéré, ne 
				s'exalte que quand il parle des dames ; alors son enthousiasme, 
				vrai ou feint, ne connaît plus de limites : dix dames reviennent 
				de la joute, sur un chariot; celui qui donnerait l'Allemagne 
				entière pour la moins jolie, celui-là aurait fait un gentil 
				marché (50). Mais faut-il voir seulement dans cette hyperbole 
				une marque de l'extrême admiration que la femme lui inspire, ou 
				bien aussi l'indice d'un certain mépris pour l'Allemagne, pays 
				moins raffiné que la France ?
 Il nous apparaît comme un de ces poètes dont la fonction 
				principale était de charmer les seigneurs. Dès les premiers 
				vers, nous le voyons, à Salm, en Alsace, chez le comte Henri, 
				dont il admire les exploits, et qui lui témoigne tant de 
				généreuse bienveillance. Sa table est voisine de celle du comte 
				(51), qui le traite avec beaucoup de déférence. Il amuse le 
				seigneur de ses gais récits, et lui raconte tout au long son 
				entretien avec le chevalier alsacien Conrad Warnier, qui mêle si 
				curieusement, dans son jargon, le thyois au roman. A son départ, 
				il reçoit divers cadeaux, entre autres une cotte, un corset, 
				sorte de pourpoint, des moufles et un chapeau fourré de vair 
				(52). Mais c'est à Chauvency, où il se rend ensuite, que nous le 
				voyons paré de tout son prestige. D'abord le héraut Bruiant lui 
				fait visiter en détail le château. S'il manquait de tact, il 
				pourrait se mêler familièrement à cette foule brillante; il s'en 
				garde bien, et préfère, pour le moment du moins, voir les choses 
				à quelque distance; il sait que l'occasion ne lui manquera pas 
				d'intervenir dans ces fêtes. Mais le tournoi a commencé : 
				aussitôt, soucieux de bien s'informer, de n'omettre aucun des 
				beaux faits d'armes, aucun des combattants, il se fait nommer 
				les chevaliers, s'enquiert de leur origine ; il assiste aux 
				joutes, il les contemple de près, applaudit aux rudes coups que 
				se portent les combattants, s'unit d'ardeur avec eux, 
				s'enthousiasme des victoires : tous ces exploits passeront dans 
				son poème. Parfois une dame, placée sur les «  eschafaus », lui 
				adresse la parole et lui demande quelque renseignement, ce qui 
				le comble de joie, car c'était plutôt la fonction propre du 
				héraut. Il intervient même discrètement, quand les dames et les 
				seigneurs improvisent des chants et échangent, en dansant, des 
				propos amoureux. Enfin, le moment vient, pour lui, de présider 
				aux réjouissances et de charmer ce public de choix par son 
				élégante parole. Henri de Briey s'approche du poète :
 (V. 4473) Jaquest, fait-il, foi que devez
 Au vin d'Erbois que vos bevez,
 Car nos contez un sermon d'armes,
 Mellé d'amor et de ses charmes,
 De sa force et de sa vertu.
 Cil chevalier qui sont batu,
 Pour deservir son guerredon,
 Sont dignes d'avoir le pardon,
 Quant vos avérez sermoné (53).
 
 Les poètes de cour sont d'ailleurs un peu jaloux de leur 
				situation privilégiée. Ils trouvent dans les hérauts des rivaux 
				redoutables. Aussi le poème de Bretex reflète-t-il fidèlement 
				ses préventions contre des personnages dont les fonctions, 
				modestes à l'origine, étaient devenues si importantes. Chargés 
				de régler les joutes, les tournois, d'ordonner les repas et les 
				fêtes pendant la paix, de porter les messages et souvent même de 
				noter les principaux événements au cours des expéditions, ils 
				jouissaient d'une grande faveur dans cette société féodale. 
				Aussi les poètes et les ménestrels leur témoignaient-ils peu de 
				bienveillance et, sans doute, ils étaient payés de retour. Nous 
				ne sommes donc pas étonnés de l'aspect sous lequel Bretex les 
				fait paraître dans son poème. Il les peint sans cesse «  brayant, 
				huiant à pleine gueule », prenant parti chacun pour un seigneur, 
				et célébrant sa valeur par des exclamations confuses, 
				entrecroisées (54).
 (V. 852.) Hyraus resont enlalenté
 A parler d'armes, et disoit
 Chascuns qui son ami prisoit :
 Cil doit bien faire par nature.
 ... Cis est biaus et bons assés.
 
 Ils sont avides et gonflés de leur importance, surtout les plus 
				jeunes. L'ardent intérêt qu'ils témoignent aux divers 
				combattants les rend plus d'une fois violents et grossiers. L'un 
				d'eux adresse une vive observation au poète, qui s'était trompé 
				sur le nom d'un chevalier; Bretex lui riposte vivement, et le 
				traite de lépreux «  mesiax » (v. 471), ce qui redouble sa 
				colère. Il y a d'ailleurs quelque rudesse dans le langage des 
				hérauts. L'un d'eux (v. 534), apostrophant les dames et les 
				damoiselles, leur reproche les blessures que les chevaliers 
				gagnent à leur service.
 (v. 540.) Trop est achatez li reviaux
 De vostre amor qui tant est chière (55).
 
 Il est vrai qu'un autre loue, en des termes plus aimables, la 
				beauté des dames, et Bretex a soin d'en faire la remarque ; son 
				discours est une glorification de l'amour et de la supériorité 
				de la femme :
 (V. 968.) Qu'ains Diex ne fit clerc si saichant
 Qui tant peust bien ensaignier
 En soixante ans un chevalier,
 Comme une dame en quinze jors.
 
 Tel est aussi le ton que prend un héraut, déjà vieux et «  pelé 
				», du nom de Champenois.
 Quelques-uns manquent de délicatesse et, pendant les combats, 
				osent, sans être Blâmés, faire main basse sur les débris de 
				l'équipement qui tombent à leurs pieds, tandis que Robinet de 
				Watronville joute contre un chevalier anglais et que les lances 
				se rompent.
 (V. 1434.) Hyraus ne sont mie en wargie :
 Chascuns saisi une trompière ;
 La male passions les fière !
 Qu'adès prenent et rien ne donent,
 Et adès mentent et sermonent (56).
 
 Leur naïve admiration pour le seigneur qui les fait vivre rend 
				leur louange emphatique et vaine. Le héraut Baptisié acclame le 
				seigneur d'Aixe :
 (V. 4212.) ... Aixe à nostre père !
 Aixe à celui qui est donnère
 De tous biaus dons, plein de franchise,
 Sans nul regart, sans convoitise.
 C'est li refus as menestreus,
 Li hospitaus, li droit hostex
 De toutes bonnes gens resoivre ;
 Celui doit-on bien ramentoivre,
 Qu'on trêve as chans et à l'ostel,
 Vassal, preudome, vif chastel,
 De grant consoil, de nette vie.
 Et de très bone compaignie (57).
 
 Et comme Bretex, un peu surpris de cet enthousiasme, émet un 
				doute ironique :
 Est-ce acertes ce que tu dis (58) ?
 
 Le héraut répond avec la même chaleur :
 (V. 4229.) ... Deshonorez soie et laidis,
 Fait-il, si ce n'est acertes.
 De cors li vaigne male pertes.
 Ne jai n'ait main dont il se paisse,
 Qui vouroit mal au signor d'Aixe (59).
 
 Tout le monde d'ailleurs se met à rire, et le poète s'assied 
				auprès du héraut: les voilà désormais bons amis.
 Un curieux portrait est celui de Mauparlier, agréable 
				discoureur, si nous en croyons le poète lui-même, qui, cette 
				fois du moins, montre une bienveillance sans réserve. Ce héraut 
				«  vieil et de poil ferrant » s'exprime avec une élégance qui, 
				aux yeux de Bretex, est de «  bonne école ».
 
 (V. 2239.) Loz, loz, loz, fait-il, à Gérard,
 Qui frit de hardement et art
 Et de proësce la hardie,
 Et puis se baigne en cortoisie, En loïauté et en largesce (60).
 
 Mauparlier, on le voit, aime le jeu de mots, et le rapprochement 
				qu'il fait entre le nom du seigneur (Looz) et la louange (loz) 
				de ses vertus marque ce discours au coin de la préciosité.
 Bretex est encore plus favorable aux chefs des hérauts, à ceux 
				qui portent le titre de roi. Il en est un surtout, Maignien, 
				dont l'autorité est grande dans cette société choisie. Les 
				spectatrices l'appellent pour lui demander le nom des chevaliers 
				qui échangent de grands coups, et il leur répond avec une 
				élégante brièveté. Il lui arrive même de prononcer un discours 
				sur le martyre qu'endurent les combattants en l'honneur et pour 
				l'amour des dames.
 (V. 946.) O ! resgardez à quel escil,
 Dames, cis chevalier se metent.
 Terres et cors pour vos endetent,
 Et or sont en péril de mort.
 Si m'aït Diex ! vos avez tort.
 Tout est por vos amors conquerre.
 Or déussiez descendre à terre,
 Et à vos belles mains polies.
 Oui sont blanches et délaies
 Santir les frons et les tampliaus.
 Et essuer de vos cressiaux (61).
 
 Dans ce long sermon (62), il exalte l'amour, et trace un tableau 
				idéal des vertus que doivent posséder les preux chevaliers pour 
				être dignes de leurs amies. Hardiesse, courtoisie, amour, voilà 
				les traits qui leur conviennent. Là est la vraie gloire, au prix 
				de laquelle les épreuves endurées ne sont rien.
 Et s'il avient c'uns homs se dueille
 Et bone amours en gré l'accueille,
 Par un seul bien cent mans apaie.
 Ainsiment fait amors sa paie (63).
 
 On retrouve les mêmes sentiments dans le discours que Maignien 
				prononce à Montmédy, où Louis de Looz, comte de Chiny, l'a 
				envoyé pour annoncer le tournoi. Tous ces hérauts, qui 
				éveillaient la jalouse susceptibilité des poètes, étaient, pour 
				la plupart, de beaux parleurs, ou du moins s'efforçaient de 
				l'être.
 Les ménestrels sont jugés avec une évidente sympathie ; il est 
				vrai que leurs fonctions les rapprochaient davantage des 
				trouvères comme Bretex. Celui-ci ne tarit pas d'éloges sur le «  
				gentil ménestrel » Henriet de Laon, et se déclare charmé par son 
				«  françois bel et joli (64) ». Le petit discours qui lui est 
				attribué ne manque pas de mérite, et peut-être est-il, ou peu 
				s'en faut, authentique; on y remarque un mélange d'enthousiasme 
				et d'ironie sceptique. Après avoir vanté l'héroïsme des 
				combattants,
 (V. 1069.) Molt tant a valoir et désir
 Cil qui se livre à cel martir.
 Molt aime lionor, et si crient honte
 Cuers, qui le cors en tel point doute ...
 Dieu aime, et croit, et crient, et doute...
 
 il termine par cette réflexion :
 (V. 1080.) Qui tel mestier loë ne prise,
 Je l'en aquist toute ma part ;
 Ma chevance gist d'autre part (65).
 
 Les ménestrels, si habiles au «  bien parler » (66) se 
				contentent, le plus souvent, de charmer les dames et les 
				seigneurs par les accords de la vielle ou de la harpe. Ils 
				forment un groupe nombreux (67) dans la chambre où reposent les 
				chevaliers blessés ; d'accord avec les dames, ils cherchent à 
				les distraire. C'est aussi un ménestrel qui préside l'aimable 
				danse du chapelet; nous dirions aujourd'hui qu'il conduit le 
				cotillon.
 Mais tous ces personnages qui s'agitent comme des comparses dans 
				l'œuvre, si vivante, de Bretex n'en forment pas le principal 
				intérêt. Ce poème courtois, aristocratique, donne la première 
				place, comme il convient, aux chevaliers et aux châtelaines. 
				Bien que l'auteur nous montre surtout des joutes, un tournoi 
				général, des fêtes, des réjouissances, et qu'il soit plus 
				curieux de descriptions matérielles que d'analyses 
				psychologiques, nous trouvons cependant chez lui d'intéressantes 
				indications sur l'état des esprits et des mœurs.
 Ce qui domine dans cette société féodale, c'est, avec le goût 
				des exercices violents, un profond sentiment de l'honneur. 
				Partout sont réunis ces deux mots qui forment une sorte de 
				devise : «  Onor et proësce. » C'est même, si nous en croyons le 
				poète, pour illustrer ces sentiments qu'il écrit des vers.
 (V. 3123.) Et toute voie, ce me semble-il,
 Qui voit le chevalier gentil
 Entalenté de biau cop faire,
 Qu'on n'en puet trop de bien retraire,
 Ne on n'en puet à droit mentir ;
 Puisque cuers se vient asentir.
 Et corps se met en aventure.
 Et il a volonté seure
 De lui defîendre et d'assallir.
 On le doit en gré recueillir ... (68).
 
 Les trois vertus que doit posséder tout chevalier digne de ce 
				nom sont «  largesse, prouesse, honestez » (69). Ailleurs, dans 
				un passage très subtil, Bretex montre que la noblesse d'origine 
				doit se marquer dans l'esprit et même dans l'attitude du 
				seigneur; car l'excellence des qualités du cœur produit la 
				gentillesse, la race donne la noblesse, et la hauteur des 
				sentiments (nous dirions : l'élan vers l'idéal) se lègue de père 
				en fils. Ces vertus se complètent l'une l'autre, tiennent 
				intimement l'une à l'autre, forment un tout indissoluble (70). 
				Ce n'est pas seulement dans ces commentaires, d'une préciosité 
				pédantesque, que le poète expose les principes moraux de cette 
				société où il vit; il n'y a pas un épisode de son œuvre qui ne 
				les mette en action. Le langage est partout le même, celui des 
				protagonistes comme celui des personnages moins importants; tous 
				d'ailleurs y conforment leur conduite. Conrad Warnier, dont le 
				rôle est plutôt burlesque, adresse, dans son jargon thyois-roman, 
				ces fières paroles à son fils qui va combattre :
 (V. 900.) Va devant, biau fix ; ves-le-ci
 Le chevalier qui jouste à toi.
 Por le cors Monsignor Douroi
 Ne par Saint Pierre de Coloigne,
 Se tu ne fais bien la besoigne,
 Ne vindre vos mie en maison.
 Je chascier fors à grant tison,
 Que vos n'entrés dedens le mois (71).
 
 Tous ces hommes ont au coeur un idéal très élevé ; prompts à 
				l'action, parfois violents, ils mettent le courage à très haut 
				prix; ils considèrent comme un devoir de maintenir intact le 
				patrimoine de vertu que leur ont légué leurs ancêtres; croyant à 
				la vie éternelle, ils se persuadent qu'ils auront à rendre un 
				compte exact de leur conduite. Ces idées entraînent d'ailleurs 
				quelques défauts : jaloux de leur gloire, ils poussent à l'excès 
				l'émulation et le désir de se distinguer; ils ont l'orgueil 
				d'être de bons preux, et le dédain des mauvais.
 (V. 3446.) En tel lieu n'est li mauvais preus;
 Va s'en aillors k'où il s'en vont ;
 Ne poroit souffrir ce qu'il font,
 Le grant travail ne le martire
 Que bons a à bon desconfire (72).
 
 Même quand la chaleur de l'action ne les emporte pas, ils ont 
				des vivacités qui nous surprennent. Ainsi, pendant que les 
				seigneurs s'occupent à arrêter les conditions du tournoi 
				général, leur bonne humeur, qui s'échappe en plaisanteries 
				faciles, fait souvent place à une certaine aigreur, s'ils 
				viennent à surprendre quelque jactance dans le langage d'un de 
				leurs interlocuteurs, qui sera le lendemain parmi leurs 
				adversaires. Cette rudesse éclate plus encore dans les joutes. 
				Les guerriers se portent des coups redoutables et les reçoivent 
				avec constance. Il fallait une rare endurance pour affronter 
				gaiement de si terribles assauts, sans autre récompense que la 
				gloire, les éloges des dames et des trouvères, parfois la 
				possession d'un cheval ou de quelque pièce d'armure, acquise 
				dans la lutte.
 (V. 3921.) Et se donent mervillous cous
 Sour bras, sour testes et sour cous,
 ... Si près se vont que des poumiaus
 Se fièrent parmi lé nassiaux
 ... Là véissiez estour ferir.
 Les uns aus autres escremir,
 Couper visaiges, resnes routes,
 Chascier, fuir parmi les routes,
 Chevaus tollir et chevaus perdre (73).
 
 Outre leur vigueur corporelle, assurée par un long exercice, les 
				chevaliers avaient encore, pour les soutenir, une forte volonté. 
				Ce trait est bien dégagé par Bretex, qui, après avoir décrit un 
				coup, asséné dans la mâchoire d'un chevalier, nous donne aussi 
				le commentaire qui en est fait, non par des seigneurs, mais par 
				des hérauts, gens raisonnables. Ils raillent ces coups que l'on 
				reçoit «  comme pains » entre les dents ; ce sont des denrées qui 
				se vendent et qu'il faut payer «  de poing en paume ». L'un d'eux 
				ajoute :
 (V. 2076.) ... Festes de bras
 De cuer vient et de volonté.
 
 Cela est si vrai que les blessés mêmes prennent part aux 
				réjouissances (74).
 Mais ce désir de la supériorité ne produit pas chez les Français 
				du treizième siècle un farouche individualisme. Ils ont au 
				contraire une pleine conscience des rapports qui les unissent à 
				leurs pairs; ils recherchent toutes les circonstances qui 
				peuvent resserrer ces liens ; leur goût ne les entraîne pas 
				seulement vers les fêtes militaires, mais aussi vers des 
				réjouissances plus paisibles et plus délicates; ici se fait 
				sentir la douce influence de la femme, de la dame, qui préside 
				en reine aux festins, aux danses et aux chants. Seigneurs et 
				dames aiment le faste, n'épargnent pas la dépense; c'est là un 
				des traits caractéristiques de la vie de cour.
 (V. 2619.) Savoir devez tuit que largesce
 Est un des paremens proesce,
 Et cortoisie est li second (75).
 
 Les fêtes sont célébrées avec une rare magnificence. Bretex nous 
				a joliment décrit cette animation des valets, des pages et des 
				sergents qui courent de tous côtés. Partout on parle, on rit, on 
				s'empresse, tandis que la nuit tombe et que, dans les salles du 
				château de Chauvency, les premiers flambeaux s'allument (76). 
				Cette société, que nous jugeons, à distance, animée d'un sombre 
				mysticisme, sait fort bien concilier une gaieté expansive avec 
				ses croyances chrétiennes.
 (V. 1361.) Tel feste et tel desduit faisoient
 Qu'à Dieu et à sez sains plaisoient.
 
 Sur l'ordonnance des dîners, le poète n'insiste pas, 
				probablement parce que ce thème était devenu banal ; il se borne 
				à nous dire qu' «  assez i ot vin et viande », et qu'il ne se 
				produisit ni bestanciet ni riot (77). On voit que, le soir du 
				grand tournoi, les chevaliers quittèrent leurs armures pour 
				revêtir la «  robe », le costume de cérémonie; ils se réunirent 
				avant d'aller chercher dans leurs appartements les dames et les 
				demoiselles, et revinrent avec elles prendre place aux tables 
				(78). Après le festin, commencèrent les danses, très appréciées 
				dans cette société élégante. Bretex mentionne avec éloge la 
				carole, sorte de ronde, mais il y a deux genres qu'il décrit 
				plus soigneusement, le robardel et le chapelet. Ce sont des 
				danses de caractère, et il est regrettable que notre snobisme 
				contemporain ne cherche pas à les remettre en faveur, car elles 
				paraissent avoir été d'une fantaisie gracieuse. Le robardel (79) 
				ou petit voleur se montre, aux accents de la viole, sous les 
				traits d'un de ces bergers popularisés par les chansons et en 
				particulier par les pastourelles de ce temps; lui aussi, il joue 
				de la viole, il porte le costume des pastoureaux, avec des «  
				gants à son dos trossés » et, sur la tête, un petit chaperon 
				qu'il a plié en forme de «  bicornet ». Il saute et chante, et 
				donne tous les signes d'un violent amour, il tourne autour de la 
				bergère, qui l'attend, douce et modeste, jusqu'à ce qu'elle se 
				laisse dérober quelques baisers et réponde à l'amour du jeune 
				homme. Ce qui rend plus curieuse encore la scène décrite par 
				Bretex, c'est que le berger, qui porte si hardiment le costume 
				d'homme, est une jeune fille «  travestie », Jehannette, de 
				Boinville. Ce travestissement même a quelque chose de piquant et 
				d'un peu scandaleux, car l'Eglise interdisait cet usage, et l'on 
				sait l'interprétation que les persécuteurs de Jeanne d'Arc 
				donnèrent à son changement d'habit. Cette société du treizième 
				siècle était-elle donc plus raffinée et plus libre que nous ne 
				le pensons généralement? La danse du chapelet réclamait une rare 
				présence d'esprit, jointe à beaucoup d'imagination, des 
				attitudes élégantes sans affectation, du naturel et de la grâce 
				(80). Elle fait honneur à nos ancêtres, mais l'intérêt devait en 
				être très variable, suivant l'habileté plus ou moins grande de 
				ceux qui y prenaient part. Bretex en décrit longuement les 
				diverses figures, peut-être parce qu'elle était particulièrement 
				estimée dans nos pays de Test. Tout d'abord quatre chevaliers 
				prient en termes cérémonieux Mme de Luxembourg de faire le 
				chapelet et d'élire à son gré celui qu'elle jugera digne de son 
				choix. Ils font tous les cinq le tour de la société, puis les 
				chevaliers se retirent. La dame reste seule, tenant une couronne 
				de fleurs (chapelet) à la main
 (V. 4378.) Le vis lievé, les iex en bas ;
 
 elle chante doucement sur une mélodie, qu'elle improvise sans 
				doute :
 (V. 4380.) Si na plus joliete de mi.
 
 Alors survient un nouveau personnage, un ménestrel, qui lui 
				demande pourquoi elle reste ainsi seulette, et la coquette lui 
				répond en minaudant :
 (V. 4395.) Sire, qu'en afîert-il à vous ?
 Ne vou voi pas bien sage.
 J'ai fait mon chapelet jolif
 La jus en cel boscage (81).
 
 Puis elle fait deux pas en avant; au troisième, elle tourne sur 
				elle-même, mettant sa couronne sur sa tète et l'en retirant tour 
				à tour, pendant que le bon ménestrel lui propose divers partis 
				avantageux, et prononce quelques noms de seigneurs. Mais la dame 
				répond avec malice :
 (V. 4413.) J'ain miex mon chapelet
 De flors que malvais mariaige.
 
 Enfin, sur l'assurance que le fiancé est vraiment digne d'elle, 
				elle accepte une présentation.
 (V. 4417) Biaus sire, car me l'amenez
 Là jus en cel herbaige (82).
 Je m'en vois ; vos m'y troverez
 Séante sor l'erbaige.
 
 La dame, les mains sur les côtés, court le petit pas et danse; 
				elle achève de se parer, elle est songeuse, mélancolique, «  
				comme d'amor éprise ». Cependant le ménestrel cherche un 
				prétendant qui soit digne d'elle; la coquette s'impatiente, 
				jusqu'à ce qu'enfin la présentation se fasse et que soit agréé 
				le jeune homme choisi avec tant de soin : dans le poème de 
				Bretex, c'est André d'Amance qui obtient ce grand honneur de Mme 
				de Luxembourg. On ne peut nier que cette danse figurée ne soit 
				aimable. La préciosité du Moyen Age eut un sentiment plus vif de 
				l'art et de la grâce plastique que celle du dix-septième siècle.
 Ce qui n'est pas moins remarquable, c'est le goût de cette 
				société pour la musique et surtout pour le chant. Nous ne 
				pouvons vérifier s'ils étaient bons exécutants, mais il n'est 
				pas douteux que l'éducation de la voix fut très répandue dans 
				l'ancienne France. Nous venons de constater que l'improvisation 
				était nécessaire dans la danse du chapelet; toutes les pages du 
				poème nous montrent les seigneurs et les dames chantant sans 
				cesse, à la promenade, dans les salles de réception, à la fin 
				des banquets, pendant le- tournoi même. Le nombre des romances 
				ainsi chantées est considérable. Bretex a pris soin d'en 
				indiquer les premiers vers, et le dernier éditeur du Tournoi de 
				Chauvency en a dressé le catalogue ; il trouve une trentaine de 
				pièces, ce qui atteste la richesse du répertoire courant. Bien 
				plus, l'usage de la musique est si répandu qu'il arrive aux 
				hommes et aux femmes d'improviser et d'exprimer ainsi leurs 
				propres sentiments; sans doute, ils se contentaient, le plus 
				souvent, de remanier des airs connus ; mais cette faculté même 
				atteste d'heureuses dispositions. Qui donc aujourd'hui, parmi 
				nous, à moins d'être un professionnel ou un amateur très 
				distingué, serait capable d'une pareille prouesse ?
 Quand Renaut de Trie prend par un doigt Jehanne d'Auviller, il 
				chante, sans se faire prier :
 (V. 2449.) Hé ! très douce Jehannette,
 Vous m'avez mon cuer emblé,
 
 et Jehanne d'Auviller lui répond, «  sans délai » :
 (V. 2458.) Onques mais n'amai.
 Hé Diex ! Bonne estrainne.
 Encommencié l'ai (83).
 
 C'est alors un assaut de phrases musicales, qui ont le charme de 
				l'improvisation et qui témoignent non seulement de naïveté, mais 
				d'esprit. Bretex lui-même prend part à ce tournoi d'un nouveau 
				genre, moins rude que l'autre. Aélis de Louppy prélude :
 (V. 2476.) Clerc blondete sui, ami ;
 Lassette ! et si n'ai point d'amis,
 
 et le poète, galamment, réplique :
 ... C'est grand damaiges,
 Quand si biaus cors, si biaus visaiges
 Est sans amor ; forment m'en poise,
 Car trop par estes franche et cortoise ...
 
 Aux chants délicats s'opposent ceux des guerriers, se rendant au 
				tournoi sur leurs chevaux de guerre. Renaud de Trie commence :
 (V. 3486.) Hareu ! comment m'y mainterai ?
 Amors ne m'y laissent durer (84).
 
 Et les dames, placées sur les «  échafauds », répondent par une 
				chanson amoureuse (85). Quand les fêtes sont achevées, laissant 
				tant de souvenirs aux chevaliers et aux dames, quand ceux-ci ont 
				pris congé les uns des autres, ce sont encore les airs des 
				chansons qui, dominant le tumulte, les suivent au loin sur les 
				routes, et éveillent dans leurs cœurs l'écho de leurs gloires et 
				de leurs amours.
 L'amour est, en effet, un des traits essentiels de la société 
				courtoise ; il est, d'après les idées de ce temps, l'auxiliaire, 
				l'inspirateur même des sentiments héroïques. Mais il s'agit d'un 
				amour épuré, idéal, d'un véritable culte rendu à la femme, qui 
				devient une divinité. Toutes les nobles actions des hommes 
				s'accomplissent en son honneur. L'aveu d'amour, accordé par la 
				femme, doit être la plus belle récompense du guerrier. C'est 
				donc la «  dame » qui redouble chez le chevalier la recherche de 
				la gloire.
 (V. 4048.) ... En grant paine et en grant defois
 Se metent sovent les millor,
 Qui aiment armes et honor ;
 Si les devez moult honorer,
 Et cuer de bien faire doner
 Par amours et par cortoisie ...
 Par prier et par commander
 Puet-on ami moult amender (86).
 
 Telles sont les idées sur lesquelles Bretex revient souvent ; il 
				les a, de son aveu même, exprimées plus d'une fois aux dames.
 L'amour a donc la valeur d'un véritable enseignement, d'une 
				doctrine. Le héraut Champenois prononce le mot «  endoctriner » 
				dans sa curieuse harangue :
 (V. 1619.) Voire en nom Dieu, dames, pucelles,
 Or dirai-je bones novelles ;
 Si fait sont cop de bacheler;
 Dex-ci devez-vos apeler...
 Les savoreus baisiers prometre,
 Par fine amor d'amer jor mettre,
 Et qui se fait des bons clamer,
 Bien lez devez de cuer amer.
 En joie et en déduit esbatre,
 Et les mauvais fuster et batre,
 S'il ne welent bon devenir.
 Laissiez les en lors convenir,
 Dames, et se uns jones hons vient,
 A cui li siècles bien n'avient.
 Qu'il soit à bien faire tailliez,
 Por Dieu vos pri que vos ailliez
 A lui endotriner trestoutes.
 Ne soyez foles, ne estoutes,
 Mais dites-li cortoisement :
 Dous amis, faites ansiment,
 Se vos volez notre repaire,
 Et vos li verés tantost faire;
 Car dous chastois et savoreux
 Est de dames as amoreus.
 Quand iex et cuer prent le paage
 De regarder un dous visaige,
 Adons n'est riens qu'il ne feist,
 Que bone dame li déist.
 Et se sez cuers s'ajoint a une,
 Ainsi comme amors est commune,
 N'en devez faire nul samblant,
 Mais geter les mos en emblant
 De cortoisie et de valour,
 Pour en lui metre la chalour
 D'amer de cuer sans vilonnie.
 Ensi ferez cortois le nice... (87).
 
 Voilà donc, habilement résumé par un contemporain, le code de la 
				société courtoise. L'enthousiasme guerrier s'unit à l'ardeur 
				amoureuse. Un même idéal anime l'homme et la femme, mais les 
				deux éléments qui le composent se développent à des degrés 
				différents dans les deux cœurs, l'homme est un «  fort », un «  
				glorieux », la femme une souveraine, une «  institutrice » de 
				sentiments généreux ; n'enseigne-t-elle pas en quinze jours un 
				chevalier, mieux que ne le ferait un clerc en soixante ans (88) 
				?
 Une délicate question se pose ici : on voudrait savoir de quel 
				amour nous parle le poète. Est-ce un amour tout à fait pur, 
				entièrement dégagé des sens? Mais alors, pourquoi les baisers 
				savoureux sont-ils si fréquemment rappelés? Nulle part, du 
				reste, on ne voit que cet amour courtois inquiète les pères, les 
				frères ou les maris des dames. Les coquetteries de Mme de 
				Luxembourg, dansant le chapelet, n'éveillent point la jalousie 
				du comte Henri, son époux.
 Agnès de Commercy, Jehannette de Boinville nous paraissent un 
				peu libres d'allure, bien que notre flirt moderne doive nous 
				rendre plus indulgents aux imprudences de nos 
				arrière-grand'mères. Il est vraisemblable que cette brillante 
				conception d'un amour idéal, précisé tout au plus par quelques 
				baisers à demi innocents, a reçu de la réalité quelques fâcheux 
				démentis. Du moins pouvons-nous prétendre que les mœurs des 
				chevaliers et des dames qui parurent aux tournois étaient 
				empreintes d'une assez grande délicatesse. Les phrases peuvent 
				être ardentes, les gestes sont très réservés. Il est vrai que le 
				poète met sous nos yeux, au premier plan, des personnages de 
				haute noblesse, «  officiels » en quelque sorte. Il ne nous dit 
				rien des varlets, des pages, des chambrières, presque rien des 
				écuyers et des suivantes. Du moins y a-t-il un passage qui 
				semble témoigner de la délicatesse des chevaliers amoureux et de 
				la modestie des femmes ; c'est celui où Bretex nous rapporte la 
				conversation
 (V. 2957.) D'une dame et d'un chevalier
 Saige, cortois et bel parlier.
 
 Le poète n'a fait, suivant toute apparence, que reproduire une 
				scène qui avait frappé ses yeux ; il l'atteste dans les premiers 
				vers, en ajoutant qu'il taira les noms des personnages, et l'on 
				peut croire que ce n'est pas une simple formule, destinée à 
				rendre son invention plus vraisemblable ; notre littérature du 
				Moyen Age n'a pas connu ces procédés, chers à Stendhal. La dame 
				est assise - ce qui ne doit pas nous étonner, vu la simplicité 
				du mobilier au treizième siècle
 (V. 2970.) Sur un lit richement covert
 De dras de soie jaune et vert.
 
 Le chevalier, qui s'entretient avec elle, reste assis à l'autre 
				extrémité.
 Non pas trop près, un pou arière,
 Simples et de gentil manière.
 
 Leur attitude, à tous deux, indique celle humilité de l'amant, 
				cette fierté de la maîtresse, que nous retrouverons au seizième 
				et au dix-septième siècle, dans les pastorales italiennes ou 
				espagnoles, et dans le roman de d'Urfé. Chez Bretex aussi, 
				l'amant ne demande autre chose, à celle qui l'aime, que la 
				faveur de la servir.
 (V. 2986.) Mais pour Dieu ! douce dame franche,
 N'entendez pas que ma proière,
 Soit tex que votre amour requière,
 Ne que je vos proie autrement,
 Fors que trestouz entièrement
 M'otroie à faire vos plaisir.
 ... Et par amor ne vous griet mie
 Se je complaing ma maladie
 A vous qui estes ma santez (89) !
 
 Il veut être autorisé à n'accomplir aucune action dont il ne lui 
				fasse honneur.
 (V. 3010.) Ne ce ne me poez deffendre
 A vos amer de bon coraige.
 Si en pris moult cest avantaige,
 Que de par vos me naist et vient
 Tant d'onor com à moi avient.
 Et se li cors fait rien qui vaille,
 Pour l'amor de vos se travaille,
 Si vos proi de cuer en secré,
 Que ce soit par le vostre gré (90) !
 
 La jeune dame, qui est peut-être mariée (l'auteur ne précise 
				pas), répond avec une franchise qui ne laisse aucun doute. Elle 
				s'étonne d'abord que son «  amant » ne lui ait pas fait plus tôt 
				cette confidence.
 (V. 3038.) Or ne vos faille riens que j'aie !
 Confortez-vos, et soiez preus ;
 Liée en serai, et siert vos preus.
 Et si vos proi vostre merci :
 Celez l'avez jusques à ci,
 Efforciez-vous de l'amender ;
 Prier le weil et commander :
 Je voil à cest acointement,
 Et prière et commandemant
 Avoir sour vous et vos sor mi,
 Si come de loïal ami,
 Qui viet avoir loïal amie.
 Et bien amer sans vilonnie,
 Et sans mauvais acointement ...(91)
 
 Ces derniers vers sont particulièrement importants, car ils 
				démontrent que, dans ce cas du moins, il s'agit d'un amour idéal 
				et de la seule union des cœurs et des intelligences. Conception 
				raffinée, délicate s'il en fut, séduisante pour des esprits 
				subtils, mais dangereuse pour des vertus communes. On peut donc 
				conclure que cette société féodale du treizième siècle, malgré 
				ses violences et ses brusqueries, ne dédaignait pas la douceur 
				et la grâce, et qu'elle fut platonicienne et précieuse, à sa 
				façon, longtemps avant les Italiens de la Renaissance. Ces 
				hommes d'action, ces femmes, que leurs maris associèrent plus 
				d'une fois au gouvernement, à la conduite des affaires, aimaient 
				à rêver. Nous retrouvons les mêmes aspirations, les mêmes 
				préceptes d'amour idéal dans le sermon que Bretex adresse à 
				cette brillante assemblée, avant qu'elle ne se sépare; il ajoute 
				à ce thème la broderie un peu lourde des souvenirs mythologiques 
				et légendaires : Didon et Enée, Lancelot el la reine Genièvre, «  
				Pallamides lou Sarrazin » et «  cil Tristan que bien saveis (92) 
				». Quoique ce dernier discours offre beaucoup de traits 
				médiocres, il a le mérite de compléter la physionomie de ce 
				monde chevaleresque, épris de gloire, d'amour pur, de foi et de 
				rêverie naïve ; c'était là du moins Ja fin où il tendait. Ne lui 
				soyons pas trop rigoureux, s'il n'a pas toujours accordé sa 
				conduite avec ses principes !
 Tel est le tableau que Bretex en a tracé ; il a mis sous nos 
				yeux l'ordonnance des fêtes, les mœurs et les caractères des 
				nobles hommes el des nobles dames, des hérauts el des poètes qui 
				font partie de leur suite habituelle; les détails qu'il donne 
				paraissent exacts, bien que ce chantre attitré, presque 
				officiel, des réjouissances courtoises ait dû avoir quelque 
				tendance, quelque intérêt même à nous les montrer sous un jour 
				avantageux. Ce qui ajoute à l'intérêt de cette œuvre, c'est 
				l'art du poète. Sans doute, ces longues séries de joutes 
				finissent par lasser le lecteur, el l'on peut reprocher quelque 
				monotonie à ces descriptions ; mais les contemporains de Bretex 
				ont dû être moins sensibles que nous-mêmes à ce défaut; il s'est 
				efforcé, d'ailleurs, d'y remédier et de varier sa matière; il 
				peint diversement les péripéties des engagements, les attitudes 
				des combattants ; il a soin de faire alterner les scènes 
				violentes et les descriptions de festins, de danses et de 
				réjouissances mondaines. Parfois, il se met en scène, d'une 
				manière assez agréable, sans affectation comme sans modestie 
				excessive. On chercherait en vain dans les autres œuvres de ce 
				genre des épisodes comparables à ceux où paraissent Conrad 
				Warnier, brave et chevaleresque, mais un peu ridicule par son 
				accent et son jargon, la charmante Johannette de Boinville, 
				d'une grâce si mutine sous son déguisement, et le poète 
				lui-même, aimable et spirituel avec une pointe de vanité, de 
				malice et de pédantisme. Son vers octosyllabique a de la 
				plénitude et de la souplesse; la coupe en est très variée, la 
				rime généralement exacte. Il a même su, dans l'épisode du 
				chapelet, et dans quelques passages où il introduit des 
				chansons, modifier le rythme, insérer dans son récit quelques 
				vers de six syllabes et disposer librement ses rimes (93). Le 
				style est précis, d'une concision souvent sèche et obscure, 
				souvent aussi énergique et colorée, parfois pittoresque grâce à 
				un rejet habile, à un mot bien situé, mis en valeur.
 (V. 454.) ... Garçons glatir, huier ribaus,
 Chevaus bannir, tabour soner...
 (V. 493.) ... Et vint i si hardiement
 Esperonnant, qui me sambloit
 Que toute la terre trambloit.
 (V. 1040.) ... Et j'alai veoir le martir
 D'armes...
 (V. 1237.) Li solaus qui ot pris son cors.
 Des montagnes et de la tors
 Estoit covers, si faisoit umbre.
 (V. 3571.) ... A main sénestre, vers le bois,
 Entre quatre buissons de bois.
 Vers et foillis, par terre espars,
 Autresi fier comme un leupart,
 Estoit Walerans li gentis.
 
 Il aime aussi les phrases sentencieuses, et c'est là un trait 
				commun à de nombreux écrivains de ce temps; on les trouve 
				surtout dans les passages de métaphysique amoureuse, dont nous 
				avons donné de nombreux extraits; mais il y en a aussi plus d'un 
				exemple dans la narration même.
 (V. 1.) .. Amors est biaus commancemans :
 (V.213.) ... Et qui a paour, si se gart !
 Qu'à mon sens, il i aura tel
 Qui voroit estre en son ostel.
 Pour ses espaules espargnier
 (V. 731.) ... C'on ne s'en doit taisir
 De bien dire à cex qui bien font.
 (V. 2076.) ... festes de bras
 De cuer vient et de volenté.
 (V. 2732.) Chascuns doit faire son devoir
 Devant celles por qui on fait
 Et maint honor et maint meffait.
 
 L'art de Bretex n'est donc point médiocre; peut-être 
				manque-t-il, jusqu'à un certain point, de simplicité, de clarté; 
				il est du reste original. L'œuvre elle-même a l'avantage de nous 
				présenter un fidèle tableau des mœurs courtoises dans le nord et 
				l'est de la France, à la fin du treizième siècle ; elle n'a pas 
				dû se répandre beaucoup au delà de la région où elle s'est 
				formée, ni étendre bien loin la réputation de l'auteur, 
				peut-être parce que les événements et les personnages qui y 
				paraissent n'exercèrent dans le monde qu'une action restreinte. 
				Mais tous deux, le trouvère et le poème, ne méritaient-ils pas 
				de revivre ?
 
 
 (1) In-8°, 165 pages de texte et 28 pages de 
				notes et de tables. Cette édition, préparée par Philibert 
				Delmotte, bibliothécaire de la ville de Mons, a été publiée par 
				son fils, Henri Delmotte, conservateur des archives de l'État à 
				Mons. - Le manuscrit de Mons provient de la bibliothèque de la 
				cathédrale de Tournai.
 (2) In-8° de LII-200 pages. Les pages d'introduction comprennent 
				un résumé étendu du poème ; les cinquante dernières pages sont 
				occupées par des glossaires et index fort utiles.
 (3). Le manuscrit d'Oxford, Douce 308, et le fragment de Reims. 
				Voir les Archives des missions scientifiques et littéraires, 2e 
				série, t. V, 1868, p. 154-156, et la Romania, t. X, 1881, p. 
				593-598.
 (4). Mons, 1901, in-8° de XIII-90 pages. - Le volume de 1898 
				donne le fac-similé d'une page du manuscrit de Mons, le 
				supplément celui d'une page du manuscrit d'Oxford, bien plus 
				correct et plus beau. M. Meyer a noté que ce manuscrit d'Oxford 
				a du être exécuté en Lorraine, car il offre tous les caractères 
				du dialecte lorrain, et qu'il a appartenu au quinzième siècle à 
				une célèbre famille messine, celle des Gournay.
 (5). T. XXIII (1856), p. 479-483. - Signalons aussi un compte 
				rendu de l'édition Delmotte qui a été donné par Raynouard, le 
				fondateur des études romanes en France, au Journal des Savants 
				de 1835, p. 622-629.
 (6). 3e édition (1895), p. 677-702.
 (7). «  Les Tournois de Chauvency-sur-Chiers, poème du treizième 
				siècle », dans les Mémoires de l'Académie de Mets, 1863-1864, p. 
				553-650 ; l'auteur se sert de l'édition Delmotte à laquelle il 
				propose diverses corrections.
 (8). L'Austrasie, 1841, t. I, p. 81-83 ; Annuaire de la Meurthe, 
				1855, p. 13-14.
 (9). T. I (1861), p. 349-353.
 (10). T. II (1868), p. 510.
 (11). Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1890, p. 
				99-100.
 (12). Paru en 1900, p. 110-115.
 (13). Arlon, 1880, in-8°. - Bertholet ne parle pas, bien 
				entendu, du Tournoi dans son Histoire ecclésiastique et civile 
				du duché de Luxembourg et comté de Chiny, publiée en 1742 et 
				1743, quand ce texte était encore inédit.
 (14). Bretex est le cas sujet, Bretel le cas régime dans la 
				déclinaison du treizième siècle; dans le premier cas, on 
				prononçait Breteux, comme le prouve la rime avec entreus des 
				vers 21-22. On trouve encore les formes Bretiaus et Bertiaz, 
				celle-ci spéciale au manuscrit d'Oxford, qui ne rendent sans 
				doute que des différences de prononciation ; de même l'un des 
				hérauts du tournoi est appelé Bruiandel et Bruiandiaus.
 (15). Le Tournoi de Chauvency, p IX.
 (16). Gaston Raynaud, dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 
				1880, p. 195-204, et Henri Guy, Essai sur Adan de le Hale, p. 
				38-44
 (17). Hist. littér. de la France, t. XXIII, p. 469-478. - Comme 
				Bretex, Sarrasin a soin de se nommer dans son poème, et pour 
				être mieux garanti de l'oubli, il le fait jusqu'à quatre fois.
 (18). Imprimé au tome II des œuvres de René, édition du comte de 
				Quatrebarbes, et au tome XIII de la collection Leber ; les 
				écrits des autres auteurs ont été publiés en 1878 par M. Bernard 
				Prost,
 (19).Hist. littér. de la France, t. XXIII, p. 478.
 (20). Une charte des échevins de Calais en 1282 est datée du 
				mardi après le tournoi (Invent. des Arch. du Pas-de-Calais, A. 
				28).
 (21). L. Gautier, La Chevalerie, p. 681 ; Raynaldi, Annales 
				ecclesiastici, t. XXII, p. 489; Fleury, Hist. ecclésiast., t. V, 
				p. 130. - En latin ecclésiastique, un tournoi s'appelle 
				torneamentum, hastiludium, tyrocinium ou tirocinium.
 (22). Hist. de Metz, t. Il, p. 236.
 (23). De 1278 à 1281, Philippe III prit, au sujet des tournois, 
				diverses mesures contradictoires, tantôt les autorisant trois 
				fois par an, ou tout à fait, tantôt les défendant absolument 
				(Ch.-V. Langlois, Le Règne de Philippe III le Hardi, p. 
				197-199).
 (24). Hist. littér. de la France, t. XXII, p. 865.
 (25). Mémoire publié par Ch.-V. Langlois dans la Revue 
				historique de septembre 1889, p. 84-91.
 (26). Vers 6. Remarquer aussi qu'amors est le premier et le 
				dernier mot du poème, si on laisse de côté les cinq derniers 
				vers contenant l'invocation pieuse alors de rigueur. Aussi bien, 
				dans ces fêtes, on soupire plus encore qu'on ne se bat, et on 
				soupire même en se battant.
 (27). «  Il paraissait croire que le roi lui gardait ses oies, 
				tant il avait fière contenance. »
 (28). Warnier doit être une forme française du nom allemand 
				Wernher. Lehr, dans son Alsace noble, t. II, p. 162, cite un 
				Conrad Wernher de Hattstatt qui vivait au quatorzième siècle.
 (29). Hist. littér. de la France, t. XXII, p. 780.
 (30). Goffinet, Les Comtes de Chiny, Arlon, 1880, grand in-8° de 
				551 pages; le règne de Louis V y occupe les pages 335-399.
 (31). Et non à Henri, comte de Salm, comme le dit à tort 
				Goffinet, ibid., p. 325. On confond trop souvent la maison de 
				Salm et la maison de Blâmont, parce que cette dernière a pour 
				tige un cadet de Salm, ce même Ferry Ier dont il s'agit ici. 
				Voir l'étude du comte de Martimprey sur Les Sires et comtes de 
				Blâmont, dans les Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 
				1890, p. 91. Delmotte, dans son édition du Tournoi, et Victor 
				Leclerc, dans l'Histoire littéraire de la France, ont fait la 
				même confusion que Goffinet.
 (32). Une charte du 23 juillet 1240 nous apprend en effet que le 
				comte de Chiny était homme lige du comte de Bar avant tous 
				autres (de Morière, CataL des actes de Mathieu II, n° 284).
 (33). Et non en 1290, comme l'avance Goffinet, ibid., p. 377. Il 
				est certain qu'elle vivait encore en 1295. Cf. Martimprey, 
				ibid., p. 91.
 (34). Elle était déjà mariée en 1242 au comte de Blâmont (Martimprey, 
				ibid., p. 91). A supposer qu'elle n'eût alors que quinze ans, - 
				les filles de grande maison se mariaient très jeunes, au 
				douzième et au treizième siècle, - elle aurait compté cinquante 
				huit ans en 1286, l'année du tournoi.
 (35). Du reste, Gérard n'était pas entièrement maître de 
				Chauvency, car, en 1271, Louis V cédait à l'abbaye de 
				Saint-Hubert divers droits qu'il s'était réservés dans celle 
				localité (Goffinet, ibid., p. 361).
 (36). Ainsi nommé pour le distinguer de Chauvency-Saint-Hubert, 
				autre commune du canton de Montmédy.
 (37). Sur cette popularité des comtes de Chiny, outre l'ouvrage 
				cité de Goffinet, voir une curieuse légende rapportée par M. 
				Léon Germain dans le Journal de la Société d'archéologie 
				lorraine, 1896, p. 221-227.
 (38). Cette date a été établie par M. Van Werveke dans les 
				Publications de la section historique de l'Institut grand-ducal 
				de Luxembourg, 1903, p. 10; Bertholet, dans son Hist. du 
				Luxembourg, t. V, p. 185, recule jusqu'à 1274, et même 1272, 
				l'avènement d'Henri III.
 (39). Ces faits sont rapportés dans L'Austrasie, 1840, t. II, p. 
				413-434.
 (40). Cf. Werth-Paquet, dans les Publications de la section 
				historique de l'Institut grand-ducal de Luxembourg, 1859, p. 51; 
				1860, p. 42.
 (41). Bibliothèque de L'École des Chartes, 1884, p. 180-181.
 (42). Selon De Morière (Catalogue des actes de Mathieu II, p. 
				78), il serait né sans doute en 1240.
 (43). Voir le catalogue de ses actes par Lepage dans les 
				Mémoires de la Société d'archéologie lorraine de 1876, et Jean 
				de Pange, Introduction au catalogue des actes de Ferry III 
				(Paris, 1905, in-80).
 (44). Publiée en 1706, t. II, col. 243. Calmet cite ici les 
				trois vers de Bretex sans connaître leur contexte, de qui ils 
				sont, à quel propos ils ont été écrits.
 (45). Emm. Michel, dans son mémoire de 1863, p. 600-602, voit 
				bien qu'il ne s'agit pas de Ferry III aux vers 1403-1405 ; il 
				identifie le chevalier indiqué dans ces vers avec Renier de 
				Trive nommé ici, ce qui paraît contestable.
 (46). Sur ce titre, voir les Mémoires de la Société 
				d'archéologie lorraine, 1885, p. 311-313, et une dissertation de 
				dom Calmet dans son Hist. de Lorraine, 1re édit., t. III, 
				prélimin,, col. 1.
 (47). M. Hecq en donne la liste aux pages 165-168 de l'édition 
				primitive, et 81-82 du supplément, et les reproduit dans une 
				planche.
 (48). Mémoires de l'Académie de Metz, 1863-1864, p. 593.
 (49). Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1890, p. 
				96, 99; cf. la planche à la page 146 du volume de 1891.
 (50). (V. 2349).) J'en vi tex . X. en une route:
 Qui donroit Alemaigne toute
 Pour la piour, sans nul mesrhief,
 S'auroit-il l'ait gentil marchier
 Et en achast et en despens.
 (51). (V. 242.) Ja fu li mangiez atornez.
 Les tables mises ; li proudons
 Sist au mangier qui moult est bons.
 Ma table fu jouste lui mise,
 Et la maisnie bien aprinse
 Me menerent tostantost seoir.
 (52). (V. 261.) Cote, corset et houce verde,
 Mouffles el chasperon forrei
 De bon fin vair m'a endossei.
 (53). (V . 4473.) «  Jacquet, fait-il, par la foi que vous devez 
				au vin d'Arbois que vous buvez, déclamez-nous donc un discours 
				d'armes, où vous mêlerez l'Amour, ses charmes, sa force et sa 
				vertu. Ces chevaliers qui se sont fait battre pour mériter la 
				récompense d'Amour sont dignes d'obtenir leur pardon, une fois 
				que vous aurez discouru. » - Nous avons corrigé le manuscrit de 
				Mons et suivi les indications de celui d'Oxford (ces charmes, 
				qu'on peut changer en ses; - sa force omis dans M.; - O. porte 
				encore lou guerredon, dépourvu de sens. Lor qui pourrait en être 
				facilement tiré ne nous semble pas préférable à son).
 (54). Vers 805..., 852..., 1144 et suiv., 1760.
 (55). (V. 540.) «  On achète trop cher la joie de votre amour 
				qu'on met à si haut prix, n
 (56). (V. 1434.) «  Les hérauts ne restent pas en tutelle ; 
				chacun saisit une trompe. Puisse la mauvaise douleur les frapper 
				! Car toujours ils prennent et ne donnent rien; toujours ils 
				mentent et pérorent .»
 (57). (V. 4212.) «  Aixe à notre père! Aixe au donateur de tous 
				les beaux présents, plein de générosité, sans calcul, sans 
				convoitise. Il est l'asile des ménestrels, la maison 
				hospitalière, la loyale maison qui reçoit tous les honnêtes gens 
				; on doit certes évoquer le souvenir de celui qu'on trouve au 
				champ de lutte et à la maison, chevalier, sage homme, forteresse 
				vivante, de grand conseil, de vie pure et de très bonne 
				compagnie. »
 (58). (V. 4227.) Le texte des manuscrits donne un vers faux. Ce 
				est omis.
 (59). (V. 4330) «  Que je sois déshonoré et outragé, fait-il, si 
				cela n'est pas vrai. Puisse-t-il perdre cruellement la vie on se 
				voir privé de la main qui lui procure sa nourriture, celui qui 
				voudrait du mal au seigneur d'Aixe. » Telle est la leçon des 
				manuscrits. Nous adopterions volontiers la correction pain pour 
				main.
 (60). (V. 2239.) «  Looz! Looz! Looz! fait-il, à Gérard qui brûle 
				de hardiesse, et d'art et de hardie prouesse, et puis se baigne 
				en courtoisie, en loyauté et en générosité. »
 (61). (V. 946.) «  Oh ! regardez, dames, à quelles épreuves 
				s'exposent ces chevaliers. C'est pour vous qu'ils mettent en 
				gage leurs terres, qu'ils s'endettent eux-mêmes ; et maintenant 
				les voici en péril de mort. Que Dieu m'assiste ! mais vous avez 
				tort. Tout cela, c'est pour conquérir votre amour. Vous devriez 
				descendre sur le terrain, et de vos belles mains polies, 
				blanches et délicates, toucher les fronts et les tempes, les 
				essuyer de vos tissus. » (Le cresseau doit être analogue au 
				créseau cité par Littré, et qui est un tissu de laine à deux 
				envers.)
 (62). Il s'étend du vers 946 au vers 997.
 (63). «  Et s'il arrive à un homme de se plaindre et qu'un bon 
				amour lui fasse un bienveillant accueil, celui-ci, d'un seul 
				bien, compense cent maux. C'est ainsi qu'Amour fait sa paye ! »
 (64). V. 1053.
 (65). (V. 1080.) «  Celui qui vante ou apprécie un pareil office, 
				je lui en abandonne toute ma part; mon bien se trouve ailleurs. 
				»
 (66). V. 2370.
 (67). V. 4337.
 (68). (V. 2123.) «  Et toutefois, il me semble qu'en voyant le 
				noble chevalier ardent à porter de beaux coups, on ne peut dire 
				trop de bien de lui, on ne peut non plus, en bonne conscience, 
				mentir sur un tel homme. Puisque son cœur vient s'éprouver, 
				qu'il met son corps en péril, et qu'il a ferme volonté de se 
				défendre et d'attaquer, on doit l'accueillir avec faveur. »
 (69). V. 2610 et suiv.
 (70). (V. 1690.) L'un de nous (R. Harmand) a étudie ce passage, 
				au point, de vue critique dans Revue de philologie française 
				(XVIII, 3-4 ; déc. 1904). Nous recopions la traduction proposée 
				: «  Car chez qui a le cœur franc et gentil, le corps laisse 
				paraître la noblesse. S'il est vrai que le bon cœur produise la 
				gentillesse, que la noblesse remonte à la race, que la hauteur 
				des sentiments vienne d'héritage, un gentil cœur, en son propre 
				fonds, garde, suivant toute raison, ces trois qualités ; car 
				toutes trois perdent leur valeur, si l'une d'elles vient à 
				manquer, et alors elles diminuent et déchoient ; car la hauteur 
				se réduirait à bien peu de chose, si elle n'était dirigée par la 
				noblesse, et la noblesse ne vaudrait rien, si elle n'était de 
				gentille substance ; ainsi ma conclusion sur cela est que gentil 
				cœur fait gentil corps. » - L'auteur de cet article paru dans la 
				Revue de philologie française saisit cette occasion de se 
				corriger. Le sens qu'il avait proposé pour les deux vers 
				2870-2871 : «  Or soit Diex garde de Morel. - Que bon signor li 
				voille eslire » est mauvais, et il faudrait corriger li en le 
				pour justifier sa traduction (R. ph. fr., p. 181). Signor ne lui 
				paraît plus signifier : vainqueur, comme au vers 2834, mais 
				garder sa signification ordinaire ; il voit là une allusion aux 
				droits du vainqueur sur le cheval du vaincu, et traduit 
				définitivement : «  Que Dieu garde Morel ! Qu'il veuille bien lui 
				choisir pour maître un bon seigneur ! » L'idée se rattache ainsi 
				à tout ce qui précède ; Florent dit ironiquement à ceux qui vont 
				être ses adversaires : «  Quand vous aurez été vaincus, que ce 
				soit au moins de bons seigneurs qui prennent vos chevaux ! »
 (71). (V. 900.) «  En avant, beau fils! Le voici, le chevalier, 
				qui joute contre toi. Par le corps de Msr saint Douroi ou par 
				saint Pierre de Cologne, si tu ne fais bien la besogne, ne plus 
				venir jamais à la maison. Moi vous chasser dehors avec un grand 
				bâton ; et vous ne plus rentrer de tout un mois. »
 II n'y a pas de saint Douroi. On peut songer à une altération 
				dialectale du nom de Theodoricus (saint Thierry); mais nous 
				supposons que ce nom est une graphie incorrecte pour saint Ouroi, 
				en latin sanctus Udalricus ou Ulricus, évêque d'Augsbourg, mort 
				en 973, canonise en 993. Il fut enterré dans l'église Sainte-Afre, 
				à Augsbourg, et on attribue à son tombeau de nombreux miracles. 
				La translation de son corps qui se fit solennellement en 1183 le 
				rappela au souvenir des peuples. On l'invoquait contre la fièvre 
				et la morsure des chiens enragés. Il était connu et honoré en 
				Alsace où son nom est porté par diverses églises paroissiales, 
				par un des trois châteaux de Ribeauvillé, enfin par un village 
				et un prieuré d'augustins des environs d'Altkirch, avec la forme 
				saint Oury dans un acte de 1266. (Cf. Stoffel, Dictionn. 
				topograph. du Haut-Rhin.)
 (72). (V. 3446.) En un «  pareil lieu ne se trouve pas le mauvais 
				preux. Il va ailleurs que là où se rendent les bons. Il ne 
				pourrait souffrir ce qu'ils font, le grand effort ni le martyre 
				que le bon preux éprouve à vaincre le bon. » - Ke ou que est une 
				conjecture; cf. l'article de la Revue de philologie française.
 (73). (V. 3921.) «  Et ils se donnent de merveilleux coups sur 
				les bras, sur la tête et le cou... Ils s'approchent si près les 
				uns des autres que des pommeaux des épées ils se frappent dans 
				les nasels... Là vous pouviez voir donner l'assaut, les uns et 
				les autres s'escrimer, couper les visages, briser les rênes, 
				poursuivre, fuir sur les routes, enlever ou perdre des chevaux. 
				»
 (74). V. 4281 et suiv.
 (75). (V. 2619.) «  Vous devez savoir tous que Largesse est un 
				des ornements de Prouesse, et que Courtoisie est le second. »
 (76). V. 2940.
 (77). V. 2365.
 (78). V. 4323 et suiv.
 (79). V. 2534 et suiv.
 (80). V. 4350 et suiv.
 (81). Ici les vers de six et de huit syllabes alternent. Le 
				système des rimes est très libre dans tout ce passage improvisé.
 (82). Rivaige, dans le manuscrit d'Oxford. - Hecq lit herbaige, 
				mais on trouve bocaige dans la vieille édition de Delmotte. Tous 
				deux ont cependant eu sous les yeux le même texte (celui de 
				Mons).
 (83). (V. 2449.) «  Ah! très douce Jehannette, vous m'avez ravi 
				mon cœur. » - (V. 2458.) «  Jamais encore je n'ai aimé. Ah Dieu! 
				La bonne étrenne ! (le bon présent ! formule usitée au Moyen Age 
				dans une heureuse conjoncture}. Voici que j'ai commencé. »
 (84). (V. 3486.) «  Hélas ! comment vais-je m'y comporter? Les 
				amours ne m'y laissent pas de répit. »
 (85). (V. 3499.)
 (86). (V. 4048.) «  Les meilleurs, qui aiment les armes et 
				l'honneur, se mettent souvent en grande peine et en grande 
				difficulté ; vous devez donc les honorer beaucoup et leur 
				inspirer le courage de bien faire par vos sentiments amoureux et 
				par votre courtoisie... Par prières et vives recommandations, on 
				peut améliorer fortement son ami. »
 (87). (V. 1619) et suiv. «  Il est bien vrai, au nom de Dieu, 
				dames, demoiselles, que je vais vous dire de bonnes paroles. 
				Voilà des coups de bacheliers ! Ceux-ci vous devez les appeler, 
				leur promettre les délicieux baisers; ... vous devez trouver 
				jour à aimer d'un délicat amour; celui qui se fait acclamer par 
				les bons, vous devez l'aimer du fond du cœur, le divertir par la 
				joie et le plaisir ; les mauvais, il vous faut les maltraiter et 
				les battre, s'ils ne veulent devenir bons. Laissez-les donc 
				s'assembler, et s'il vient un jeune homme, à qui le monde ne 
				réussit pas bien, et qu'il soit cependant capable de bien faire, 
				je vous prie, au nom de Dieu, d'aller toutes l'endoctriner. Ne 
				soyez pas folles ni hardies! Mais dites-lui avec courtoisie : «  
				Doux ami, faites de telle façon, si vous désirez notre séjour. » 
				Et vous le verrez aussitôt agir; car doux, savoureux est 
				l'avertissement des dames à ceux qui aiment. Quand le page se 
				sent pris aux yeux et au cœur du désir de regarder un doux 
				visage, il n'y a rien qu'il ne fasse, si une honnête dame le lui 
				dit. Et si son cœur s'attache à l'une d'elles, quand l'amour est 
				également partagé, vous n'en devez pas avoir l'air ; mais il 
				vous faut jeter à la dérobée les mots de courtoisie et de 
				valeur, pour lui inspirer l'ardent désir d'aimer de cœur sans 
				bassesse. C'est ainsi que vous rendrez courtois l'inexpérimenté. 
				»
 (88). V. 968 et suiv.
 (89). (V. 2986.) «  Mais, pour Dieu ! douce et noble dame, ne 
				croyez pas que ma prière aille jusqu'à réclamer votre amour, ni 
				que je vous prie dans une autre intention que de me donner tout 
				entier à faire votre volonté... Que cela ne vous chagrine point 
				d'amour, si je déplore ma maladie, auprès de vous qui êtes ma 
				santé ! »
 (90). (V. 3010.) «  Vous ne pouvez pas non plus me défendre de 
				vous aimer avec de bons sentiments. Aussi j'apprécie beaucoup 
				cet avantage, que par vous se forme et apparaît en moi tout 
				l'honneur que j'obtiens. Et si mon corps accomplit quelque 
				action de valeur, s'il fait effort pour l'amour de vous, je vous 
				prie en secret, du fond du cœur, que ce soit avec votre agrément 
				! » - Nous avons corrigé la leçon de M : Et vos proi en : si vos 
				proi (O.)
 (91). (V. 3038.) « ...Donc, que tout ce que je possède ne vous 
				fasse pas défaut ! Prenez courage, et soyez preux ! J'en serai 
				heureuse, ainsi vous y trouverez profit. Mais je vous demande 
				une grâce : vous m'avez jusqu'ici dissimulé votre amour; 
				efforcez-vous de m'en dédommager ! Je veux vous en prier, vous 
				le commander. Je veux, dans nos relations, avoir sur vous et 
				vous laisser à vous-même sur moi le droit de la prière et du 
				commandement, comme il convient à un loyal ami qui veut avoir 
				une amie loyale, et bien aimer, sans bassesse, sans mauvais 
				commerce. »
 (92). V. 4510-4609. Le sermon ne se trouve que dans le manuscrit 
				d'Oxford.
 (93). L'un de nous, R. Harmand, a déjà signalé ces 
				particularités dans l'article de la Revue de philologie 
				française mentionné précédemment. Cf. vers 4393, 4409, 4415, 
				etc.
 
 
                  
                  
					 Henri Ier de Blâmont au tournoi de Chauvency - Manuscrit 
					Bodleian library-ms douce 308 - fol.117r
 
 
  Henri Ier de Blâmont au tournoi de Chauvency - Manuscrit 
					Bodleian library-ms douce 308 - fol.131r
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