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						Panorama de la guerre de 1914 en 
						Lorraine
 
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					| Le Panorama de 
					la guerre de 191428 janvier 1915
 EN LORRAINEDu 2 août au 9 septembre.
 Dès le 2 août, comme il a été dit dans la première partie de 
					cet ouvrage consacrée aux faits politiques et diplomatiques 
					du mois d'août, l'Allemagne, avant toute déclaration de 
					guerre, avait engagé contre nous les hostilités en violant 
					sur sept points différents, tant en Lorraine qu'en Alsace, 
					la frontière française.
 |  |  
					| Du côté lorrain, les 
					agressions qui s'étaient produites ce jour-là se peuvent 
					énumérer et résumer ainsi : Une colonne venant du Luxembourg avait pénétré sur notre 
					territoire au sud de Longwy, et y avait fait quatre ou cinq 
					kilomètres. Canonnée par les batteries de la place de 
					Longwy, elle avait rebroussé chemin.
 A Cirey-sur-Vezouze (39 kilomètres de Lunéville), un 
					détachement de cavalerie allemande avait également franchi 
					la frontière, et occupé un instant Bertrambois. Mais elle 
					avait été repoussée.
 Le 3 août, un aéroplane allemand survolait Lunéville, un peu 
					avant 6 heures du soir, à une hauteur de 1500 mètres 
					environ, et lançait sur la ville trois bombes. L'une tombait 
					dans une rue centrale et n'endommageait que la chaussée de 
					cette rue. La seconde explosait à 10 mètres de la 
					sous-préfecture, détruisant en partie le toit d'un vaste 
					hangar. Quant à la troisième, elle ne causait aucun dégât. 
					La population, d'abord quelque peu inquiète de ce 
					bombardement s'abattant sur elle à l'heure même - ce que 
					forcément elle ignorait - où M. de Schoen réclamait ses 
					passeports, n'avait pas tardé à retrouver son calme.
 Le 4 août, à Joeuf Homécourt, près de Briey, une compagnie 
					d'infanterie allemande saccage le bureau de douane et le 
					bureau du télégraphe. Un escadron se porte sur 
					Villers-la-Montagne. Il est refoulé par un détachement de 
					chasseurs à pied, qui fait prisonnier un sous-officier. Deux 
					escadrons viennent jusqu'à Mercy-le-Bas, et un régiment de 
					cavalerie jusqu'à Morfontaine, qui, de même que Mercy et 
					Villers, est dans la région de Briey. Les deux escadrons se 
					retirent sans avoir été inquiétés, et le régiment se replie, 
					sous la menace d'une compagnie d'infanterie française.
 Le 5, toujours dans la région de Briey, un demi-peloton de 
					cavalerie allemande et un peloton d'infanterie font une 
					incursion à Trieux. A Norroy-le-Sec, des dragons prussiens 
					sont surpris par des cavaliers français et laissent sur le 
					terrain cinq tués et deux blessés, alors que de notre côté 
					on n'enregistre aucune perte.
 A Morfontaine et à Longwy, deux Français de quinze ans sont 
					fusillés par les ennemis, pour avoir prévenu les gendarmes 
					de leur arrivée.
 A Blamont, un sous-officier blessé est achevé par les 
					Allemands.
 Le 6, nos troupes qui, jusque-là, s'étaient attachées à 
					maintenir, en vertu de la consigne reçue, une zone de 8 
					kilomètres en deçà de la frontière, pénètrent en territoire 
					annexé. Ils occupent Vic et Moyen-Vic, respectivement à 6 et 
					à 8 kilomètres de Château-Salins.
 Le 9, dans la région de Longuyon-Spincourt, à proximité de 
					la frontière franco-luxembourgeoise, des forces nombreuses 
					de cavalerie allemande, appuyées par de l'infanterie, 
					contraignent un bataillon de chasseurs à pied à céder un peu 
					de terrain.
 Le 10, on signale de nombreux mouvements de troupes vers 
					Morhange, qui se trouve à peu près à mi-chemin de Metz et de 
					Sarrebourg, à 25 kilomètres environ de la frontière 
					française.
 Dans la région de Blamont, c'est-à-dire à 4 kilomètres en 
					deçà de la frontière, une tentative est faite sur 
					Rogervillers et Hablainville, mais, grâce à l'appui du canon 
					de Manonvillers, elle n'aboutit
 
						
							|  COL DE BUSSANG. - LE TUNNEL (CÔTÉ FRANCAIS).
 |  COL DE BUSSANG. - LE TUNNEL (CÔTÉ DE L'ALSACE).
 |  qu'à un échec. Il en est de même dans les environs de 
					Spincourt, où les forces de cavalerie et d'artillerie 
					allemandes sont contraintes à reculer.Sur les faits importants de cette journée du 10 et celle du 
					11, le ministère communiquait en outre les informations 
					suivantes :
 Nos troupes sont presque sur tout le front en contact avec 
					l'ennemi.
 Voici les faits les plus saillants qui se sont déroulés aux 
					avant-postes.
 Comme on va le voir, ils sont tout à l'honneur de nos 
					soldats qui font preuve partout d'un courage et d'une ardeur 
					irrésistibles.
 Dans la région de Château-Salins, vers Moncel, une batterie 
					et un bataillon allemands, venant de Vic, ont tenté 
					d'attaquer nos avant-postes. Ils ont été vigoureusement 
					refoulés avec grosses pertes.
 Dans cette même région, c'est-à-dire entre Château-Salins et 
					Avricourt, le village de la Garde, situé en territoire 
					annexé, a été enlevé à la baïonnette avec un élan admirable. 
					Les Allemands ne résistent décidément pas à l'arme blanche.
 A Mangiennes, région de Spincourt, au nord-est de Verdun, 
					les forces allemandes ont attaqué, dans la soirée du 10, les 
					avant-postes français; ceux-ci ont décidé de se replier 
					devant l'effort ennemi, mais bientôt, grâce à l'intervention 
					de notre réserve qui se tenait à proximité, l'offensive a 
					été reprise. L'ennemi a été refoulé, subissant des pertes 
					considérables.
 Une batterie allemande a été détruite par le feu de notre 
					artillerie, et nos troupes se sont emparées de trois canons, 
					de trois mitrailleuses et de deux caissons de munitions.
 On signale qu'un régiment de cavalerie allemande a été très 
					fortement éprouvé.
 Les Allemands se sont présentés devant Longwy, qu'ils ont 
					sommé de se rendre. Le commandant de la place a refusé 
					fièrement.
 Longwy n'est pas à proprement une parler place forte, car 
					elle n'a pas d'ouvrages détachés et ne possède qu'une simple 
					enceinte à la Vauban. Elle date de la deuxième moitié du 
					dix-septième siècle.
 LE PREMIER Du Figaro:L'autre jour eut lieu, à Pont-à-Mousson, un enterrement bien 
					humble, en apparence, et pourtant grandiose: celui du 
					premier soldat français tué par les Allemands.
 C'était un petit chasseur à cheval. Il s'appelait Pouget. Il 
					partait confiant, heureux de vivre cette guerre, - et cette 
					victoire. Il appartenait au service des reconnaissances, et 
					n'aurait pas cédé sa place pour un boulet de canon. 
					N'allait-il pas être le premier à les voir, à savoir comment 
					ils attaquent et comment ils s'enfuient ? C'était une belle 
					aventure. Et voilà que, traîtreusement guetté, il tombe, au 
					coin d'un bois, dans une embuscade, la tête percée d'une 
					balle.
 On l'a enterré l'autre matin, le petit chasseur Pouget, dans 
					la modeste église de Pont-à-Mousson qui arborait les armes 
					fameuses de la petite cité jadis illustre, «  de gueules au 
					pont d'argent de trois arches flanqué de deux tours du même, 
					sur une rivière de sinople, à l'écusson mouvant du duché de 
					Bar ».
 Les cloches ont sonné. A la place de la famille qui ne 
					savait peut-être pas encore qu'elle devait pleurer, tous les 
					officiers du régiment ont pris place. Tous l'ont salué de 
					l'épée unanimement, respectueusement, tandis que des femmes 
					apportaient au cercueil du petit soldat, tressées en 
					couronnes, les fleurs sur lesquelles peut-être il était 
					tombé.
 Alors le commandant du 1er escadron, son commandant, 
					s'approcha et il parla au chasseur Pouget, fièrement, 
					tristement, doucement - non plus pour lui donner un ordre ou 
					un avis comme il le faisait hier - mais pour lui dire dans 
					un dernier adieu, son respect, son admiration, peut-être sa 
					jalousie - et pour le remercier au nom de la France. Le curé 
					prononça des paroles latines. Une dernière fois, tous les 
					hommes du 12erégiment étendirent leur sabre, puis 
					l'abaissèrent.
 Après quoi, ils allèrent se battre en jurant de venger leur 
					camarade, tombé le premier de l'armée française. Ils ont 
					peut-être déjà tenu parole.
 R. DE F.
 
 Sur des faits qui s'étaient produits dans le village de 
					Pillon, le curé de cette localité avait fait une déposition 
					qui doit figurer au dossier de l'armée de Guillaume II. Ne 
					fût-ce qu'à ce titre, elle doit être reproduite ici.
 «  Le 10 août, quinze Allemands sont entrés au presbytère et 
					ont mis le curé en joue. On l'a tiré dans la rue, toujours 
					sous les fusils braqués, puis ordre a été donné de le 
					conduire au général. Pour l'y mener, on l'a poussé à coups 
					de crosse. Quand il s'arrêtait, on le frappait. A un moment 
					il a tiré son mouchoir, on le lui a confisqué. Il s'est 
					écrié: «  Vous êtes des brutes, amenez-moi à un de vos chefs 
					qui parle français. » Un officier a répondu en français: «  
					Votre compte est bon. » Un boulet français éclate non loin 
					de la troupe emmenant le curé. Les Allemands se couchent, 
					mais ils obligent le prêtre à rester debout.
 «  On arrive devant le général, qui dit en substance: «  Je 
					sais bien que vous n'avez pas tiré, mais vous êtes l'âme de 
					la résistance; je vais brûler le village. » Le feu est mis 
					d'abord à quinze maisons, puis aux autres. Pendant ce temps, 
					le curé est maintenu deux heures debout sous le soleil. 
					Soldats et officiers l'insultent en français et en allemand. 
					Dès qu'il proteste, on le couche en joue. Les officiers lui 
					disent: «  Regardez comme ça brûle. C'est bien fait. Les 
					Français sont des sauvages. »Et ils ajoutent de temps en 
					temps: «  D'ailleurs, on va vous fusiller.» Sous ses yeux, 
					les soldats dévorent ce qu'ils ont volé dans le village. On 
					ne donne au curé rien à manger, rien à boire.
 «  Enfin voici le dernier acte, un officier dit au curé: «  
					Nous vous emmenons avec nous ». Effectivement, pendant tout 
					le combat on le tint dans les rangs allemands, sous la 
					mitraille française, avec une sentinelle pour le garder. A 6 
					heures du soir, les Allemands, battus, s'enfuient.
 Le curé réussit à s'échapper, non sans avoir vu un soldat 
					allemand tuer d'un coup de fusil un habitant de Pillon caché 
					derrière une haie. »
 
 D'autre part, on relevait dans le carnet de notes d'un 
					lieutenant allemand tué, un aveu intéressant.
 Il racontait que l'église de Villerupt avait été incendiée 
					et les habitants fusillés; il ajoutait que la raison donnée, 
					c'était que des observateurs s'étaient réfugiés dans la tour 
					de l'église et que des coups de fusil avaient été tirés des 
					maisons sur les Allemands. Mais cela dit, il notait sur son 
					carnet que ce n'était pas vrai et que ceux qui avaient tiré 
					étaient non des habitants, mais des douaniers et des 
					forestiers.
 Bombardement de Pont-à-Mousson Le 12 août, le ministère de la Guerre faisait le communiqué 
					suivant :Dans les pronostics sur les premières opérations de l'armée 
					allemande, le bombardement de Pont-à-Mousson, situé à notre 
					extrême frontière, et l'envahissement de la région de Nancy 
					étaient escomptés pour le premier ou le second jour au plus 
					tard de notre mobilisation.
 Constatons que le seul de ces événements qui se soit 
					réalisé, arrive le onzième jour et n'aura pas l'influence 
					démoralisante qu'on lui attribuait de l'autre côté du Rhin.
 Pont-à-Mousson a été, en effet, bombardé ce matin, à 10 
					heures, par une artillerie lourde mise en batterie à une 
					assez longue distance.
 Une centaine d'obus de gros calibre sont tombés sur la 
					ville, tuant ou blessant quelques habitants et démolissant 
					plusieurs maisons.
 Aucune action simultanée d'infanterie n'a accompagné cette 
					canonnade. L'effet produit sur la patriotique population de 
					Pont-à-Mousson est nul.
 
 Un second communiqué complétait le lendemain cette première 
					information. Il était ainsi conçu: Nous savons aujourd'hui 
					que plus de cent projectiles de gros calibre sont tombés 
					avant-hier, à partir de 10 heures du matin, sur la vaillante 
					petite ville.
 Ces projectiles provenaient évidemment d'une batterie de 
					mortiers de 21 centimètres établie à 9 ou 10 kilomètres, à 
					l'est de Pont-à-Mousson. Ils ne pèsent pas moins de 100 
					kilogrammes et renferment une énorme charge de picrile.
 Or nous connaissons maintenant l'effet matériel produit par 
					cette avalanche de fer et d'explosifs.
 Les renseignements sûrs qui nous parviennent indiquent que 
					les pertes de la population se chiffrent par 4 tués et 12 
					blessés.
 
                CARTE PANORAMIQUE DE LA LORRAINE - C'est en 1766 que la 
					Lorraine avait été constituée en division administrative. 
					Elle se composait du duché de Lorraine, du duché de Bar, des 
					trois évêchés de Metz, Toul, Verdun et du pays de la Sarre, 
					cédé à la France par le traité d'Utrecht, et du duché de 
					Bouillon. Lorsque l'Assemblée constituante eut décrété la 
					division du territoire français en départements, la Lorraine 
					se trouva former, pur sa part, ceux de la Moselle, de la 
					Meurthe, de la Meuse et des Vosges, dont la révision du 
					traité de Francfort assurera la reconstitution.
 Deux jours plus tard, Pont-à-Mousson, ville ouverte, 
					subissait un second bombardement. Au sujet de l'un et de 
					l'autre, le Journal de la Meurthe donnait les détails qu'on 
					va lire :«  Mercredi matin, 12 août, vers 9 heures 30, des pièces de 
					fort calibre, qui avaient été amenées sur les hauteurs d'Arry 
					et de Bouxières-sous-Froidmond, à la cote 400 mètres, et 
					appuyées en arrière par l'artillerie du fort Saint-Biaise, 
					ouvrirent un feu violent sur la ville de Pont-à-Mousson, et 
					principalement sur le quartier Saint-Martin, situé sur la 
					rive droite de la Moselle et où se trouvent le nouvel 
					hôpital et le collège.
 «  Successivement, 60 projectiles furent tirés, éclatant sur 
					la ville, éventrant les maisons, défonçant les toitures, 
					tuant jusque dans leurs habitations de paisibles habitants.
 «  Un obus a tué une femme et trois enfants qui se trouvaient 
					dans le corridor d'une maison: une fillette de onze ans et 
					deux garçons, dont l'aîné était âgé de neuf ans.
 «  Un obus éclata place du Paradis; on signale plusieurs 
					maisons détruites; des projectiles atteignirent aussi le 
					quartier Saint-Laurent.
 «  La population de Pont-à-Mousson s'est montrée 
					admirablement courageuse.
 «  Pont-à-Mousson a été de nouveau bombardé, vendredi 14 
					août. Le feu a commencé à 4 heures du matin et s'est 
					prolongé jusqu'à 6 heures 10. Plus de 200 obus de 150, de 
					180 et même de 220, sont tombés sur divers points de la 
					ville, dont une quarantaine sur l'ancien petit séminaire, 
					devenu hôpital, que les barbares paraissaient 
					particulièrement viser.
 «  Une pauvre fillette de dix ans, qui se trouvait dans les 
					jardins, a été tuée. C'est heureusement la seule victime. 
					Mais la magnifique abbaye des Prémontrés est fort abîmée par 
					les obus.
 «  Aucun blessé. Une dizaine de maisons ont été endommagées.
 «  A l'hôpital, un des obus a éclaté près du lit où est 
					soigné un officier saxon blessé. Personne n'a été atteint 
					par les éclats.
 «  Les Allemands rectifiaient le tir au moyen d'un ballon 
					captif, qu'on pouvait apercevoir à la lorgnette, planant 
					au-dessus de leurs batteries et faisant des signaux aux 
					artilleurs. »
 Atrocités allemandes Nomény, village français situé à l'est de Pont à-Mousson, à 
					environ 5 kilomètres de la frontière, était détruit peu de 
					temps après. Ceux des habitants qui avaient pu échapper au 
					pillage s'étaient réfugiés à Nancy. Une jeune fille, Mlle 
					Jacquemot, originaire de la Lorraine annexée, fit à un 
					rédacteur de l'Est républicain le récit des effroyables 
					événements auxquels elle avait assisté. Le jeudi matin, vers 
					dix heures, entendant crier dans la rue, elle sort: «  Les 
					Prussiens! Les Prussiens! Sauvez-vous dans les caves! »«  Craignant un nouveau bombardement, raconte-t-elle, je 
					rentre pour ouvrir les fenêtres et fermer les persiennes, 
					ainsi qu'il avait été ordonné... Des cavaliers, des 
					fantassins prussiens, hurlant, sabre au clair, revolver au 
					poing, arrivent de tous les côtés. «  Capout! Capout! Tous 
					les Français capout!» criaient-ils. Je passe par la grange, 
					et par le derrière des habitations j'arrive enfin chez ma 
					voisine.
 D'autres personnes y sont déjà venues. Nous sommes quatorze. 
					Nous descendons aux caves. »
 Un peu plus tard, les Prussiens y descendent aussi mais 
					n'aperçoivent point les pauvres femmes.
 «  Ils sont remontés, reprend Mlle Jacquemot, mais c'est pour 
					nous arroser de pétrole, par le soupirail. Ils mettent le 
					feu. On étouffe. On va mourir, brûlées ou asphyxiées. Il 
					faut sortir à tout prix. Mourir pour mourir, mieux vaut 
					mourir d'une balle ou d'un coup de baïonnette. Quelqu'un de 
					nous a une montre. Il regarde. Il est cinq heures. Il y 
					avait sept heures que nous étions là! Une «  paire» de jeunes 
					filles - car avec les femmes, il n'y avait que quelques 
					enfants et des vieillards - une «  paire» de jeunes filles se 
					dévouent... Mais nous sommes sorties trois, les deux 
					demoiselles Nicolas et moi. Nous sortons du côté de la 
					remise... Tout brûle dans Nomény. Toute la rue est en 
					flammes. Il ne faut pas songer à sortir du côté de la rue... 
					Nous n'avons plus qu'un espoir, c'est d'essayer de gagner 
					les champs. Nous entrons dans le premier jardin venu. 
					Soudain, nous entendons parler allemand derrière notre mur. 
					Des soldats prussiens l'escaladent. Cette fois, nous croyons 
					bien que pour de bon notre dernière heure est venue. Or le 
					premier Prussien qui apparaît nous crie : «  Fourt! Fourt! 
					Allez-vous-en! Sauvez-vous!. » Enfin les Prussiens nous 
					rassemblent et nous emmènent. En route, d'autres viennent 
					nous rejoindre. Nous revenons à Nomény, vers le pont. Nous 
					supplions de nous laisser passer. «  Nous sommes des femmes! 
					Ayez pitié de nous. » On refuse de nous laisser passer. Mais 
					enfin, après bien des supplications, on nous emmène à 
					l'infirmerie installée chez M. Zambeau. Là, les soldats sont 
					gentils. Ils nous consolent. Ils nous disent que ce sont 
					leurs officiers qui les forcent à incendier et à fusiller. 
					L'un d'eux nous parle en français.
 «  - Je suis Lorrain, moi aussi, dit-il. Je suis de Novéant. 
					J'ai une mère... » «  Il pleurait.
 «  En traversant les rues en flammes, nous avons vu des morts 
					et des morts. Il y en avait qui avaient la tête fendue. Une 
					vieille femme, qui allait avoir ses cent ans au mois de 
					novembre, est tombée d'épuisement pendant le trajet. Bien 
					sûr qu'elle est morte. A l'infirmerie Zambeau, on nous a 
					donné du pain et un peu de charcuterie. Nous avons couché 
					par terre, et ce matin, vendredi, vers 6 heures, on nous a 
					fait déguerpir.
 «  Nous voici dans la rue. Un officier nous demande où nous 
					voulons aller. Comme personne ne savait trop que répondre, 
					on nous emmène du côté de Mailly, c'est-à-dire vers la 
					frontière. Nous marchons environ deux kilomètres, escortés 
					par des soldats, et nous constatons que Mailly n'est pas 
					brûlé. Puis, l'on nous fait rebrousser chemin. Nous voici de 
					nouveau à Nomény. Nouvel ordre. On repart. On nous fait 
					faire cinq fois cette navette... Nous n'en pouvons plus. 
					Enfin, la sixième fois, lorsque nous arrivons au moulin de 
					Brionne, les soldats allemands nous abandonnent. «  Allez où 
					vous pourrez, nous dit l'un d'eux, en français. Vous êtes 
					libres. » Nous avons suivi la route... De temps en temps, 
					nous nous retournions pour regarder une dernière fois notre 
					pauvre Nomény. Ma maison n'existait plus, et l'une des 
					seules maisons qui restaient, la pharmacie, ne formait plus 
					qu'un brasier énorme. » Des ambulances françaises 
					recueillirent enfin les malheureuses fugitives.
 - Étiez-vous nombreux ? demande-t-on à Mlle Jacquemot.
 «  - Oh! un cent, cent vingt peut être. Peut-être cent 
					cinquante, répond-elle. Avec une autre colonne qu'on m'a dit 
					être partie d'un autre côté, c'est tout ce qui restait de 
					vivant à Nomény. »
 On demande à Mlle Jacquemot si les Allemands ont emmené des 
					otages.
 «  - Je ne sais pas si c'est pour les garder comme otages ou 
					pour les fusiller, mais ils ont ramassé tous les hommes, 
					depuis les vieillards jusqu'aux gamins de quinze ans. Ceux 
					là, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. J'ai entendu dire 
					qu'ils en avaient fusillé beaucoup sur la place, mais je ne 
					l'ai pas vu... »
 
 Revenant, le 15 août, sur le combat qui s'était livré, le 
					11, à Mangiennes, région de Spincourt, le ministère 
					annonçait que, le lendemain, s'était poursuivi notre 
					avantage.
 Une batterie française surprenait le 21e régiment de dragons 
					allemand, pied à terre. Nos pièces ouvraient aussitôt le 
					feu, et le régiment était anéanti.
 Le résultat de ce double succès remporté dans les deux 
					journées était immédiatement sensible. Non seulement le 
					mouvement en avant des forces allemandes s'était arrêté dans 
					cette région, mais elles se repliaient suivies de près par 
					les nôtres.
 Au cours de cette poursuite, nos soldats trouvaient dans 
					plusieurs villages voisins, Pillon et autres, de nombreux 
					blessés allemands atteints dans le combat de la veille.
 Neuf officiers et un millier d'hommes, blessés et 
					prisonniers, restaient entre nos mains.
 Ils déclaraient que la lutte avait été des plus chaudes. Le 
					tir précis et nourri de nos soldats les avaient démoralisés. 
					Il y avait eu dans leur 5e chasseurs une véritable panique. 
					Ce régiment allemand était soutenu par les 7e,8e et 21e 
					dragons, un groupe d'artillerie et six compagnies de 
					mitrailleuses. Malgré l'importance de ces forces, le succès 
					français avait été complet.
 
 Avec autant de sincérité qu'il faisait connaître au public 
					les succès remportés par nos troupes, le ministère se 
					faisait un devoir d'enregistrer les échecs qu'elles avaient 
					pu subir. C'est ainsi qu'il communiquait cette nouvelle 
					qu'après s'être emparés du village de la Garde, deux de nos 
					bataillons s'en étaient vu chasser par une contre-attaque 
					des Allemands. Ceux-ci, d'ailleurs bien supérieurs en 
					nombre, les avaient finalement rejetés sur Xures.
 Le 13, il ne s'était produit aucun fait saillant. On ne 
					trouvait à relever que quelques escarmouches de patrouilles 
					et des engagements d'avant-garde.
 Toutefois, à Chambrey, la première station en Lorraine 
					annexée de la ligne de Nancy à Château-Salins, deux 
					compagnies du 18e régiment d'infanterie bavaroise avaient 
					été surprises par nos troupes et refoulées vigoureusement en 
					laissant un assez grand nombre de morts et de blessés.
 Le 14 août au soir, une affaire importante était engagée 
					dans la région de Blamont-Cirey-Avricourt, en avant de la 
					frontière.
 Une de nos divisions avait commencé l'attaque. L'ennemi 
					était fortement retranché par des ouvrages de campagne, en 
					avant de Blamont. Ses avant-postes refoulés, le combat 
					s'arrêtait jusqu'à la pointe du jour. A l'aube, nous 
					reprenions l'offensive, et dans la matinée une action 
					d'infanterie, soutenue par l'artillerie, enlevait Blamont et 
					Cirey.
 Les forces allemandes, évaluées à un corps d'armée bavarois, 
					occupaient alors les hauteurs qui dominent au nord ces deux 
					dernières localités. Mais les forces françaises dessinaient 
					un double mouvement débordant, qui déterminait le corps 
					bavarois à ramener ses colonnes en arrière, dans la 
					direction de Sarrebourg.
 L'affaire avait été chaude et bien conduite. Les Allemands 
					subissaient des pertes sérieuses, aussi bien dans la défense 
					de Blamont et de Cirey que dans celle des hauteurs où ils 
					avaient pris position.
 
                PONT-A-MOUSSON - LA. MOSELLE, L'ÉGLISE SAINT-MARTIN.
 Le lendemain, par un nouveau bond en avant, nos troupes 
					contraignaient le corps d'armée bavarois à reculer encore, 
					et se portaient sur Lorquin, en Lorraine annexée, à 10 
					kilomètres de Sarrebourg, où elles enlevaient le convoi 
					d'une division allemande de cavalerie, comprenant dix-neuf 
					camions automobiles.Dans Blamont, les Allemands avaient tenu à marquer leur 
					passage par plusieurs de leurs atrocités coutumières.
 Sans aucune raison, sans provocation d'aucune sorte, ils 
					avaient mis à mort trois personnes, dont une jeune fille et 
					un vieillard de quatre-vingt-dix ans, M. Barthélémy, ancien 
					maire de cette commune...
 Des procès-verbaux dressés par le préfet de 
					Meurthe-et-Moselle donnaient d'ailleurs sur les actes de 
					sauvagerie commis par les troupes allemandes, lors de leur 
					incursion dans la région de Blamont-Cirey, les détails 
					suivants :
 A Blamont, les soldats ont assassiné plusieurs personnes, 
					pillé et saccagé de nombreuses maisons, entre autres une 
					grande chocolaterie appartenant à M. Burrus, citoyen suisse.
 Quand ils durent quitter Blâmont et se replier, ils 
					emmenèrent douze otages, dont le curé et le buraliste. Ils 
					les conduisirent auparavant à la place où un habitant, M. 
					Louis Foëll, venait d'être fusillé, et leur montrant la 
					cervelle épandue sur les pavés sanglants, les menacèrent du 
					même sort.
 L'un des otages, M. Colin, professeur de sciences au lycée 
					Louis-le-Grand à Paris, qui se trouvait en villégiature dans 
					la localité avec sa famille, fut emmené en chemise, pieds 
					nus.
 Indigné par les brutalités qu'il voyait commettre sur des 
					enfants - sa propre fille reçut un coup de crosse en pleine 
					figure -M. Colin, s'adressant à un jeune lieutenant, lui 
					cria: «  Mais vous n'avez donc pas de mère ! » Et l'émule de 
					Forstner de répondre textuellement ces paroles 
					caractéristiques de la mentalité d'une race: «  Ma mère n'a 
					pas fait de cochons comme toi. »
 Les otages emmenés jusqu'à Cogney, enfermés dans l'église de 
					cette commune de 6 heures du soir à 7 heures du matin, ont 
					pu retourner à Blamont.
 Chez toutes ces populations lorraines, si tragiquement 
					éprouvées, aucun abattement, aucune défaillance. Un 
					sentiment domine les chagrins les plus cruels : «  La France 
					va vaincre ! » Ceux-ci ont perdu leurs récoltes; ceux-là ont 
					vu leur maison saccagée; les uns ont vu les barbares 
					incendier leur demeure; d'autres ont vu fusiller. Beaucoup 
					ont été menacés, insultés, frappés, blessés. Quelques-uns 
					ont connu en même temps toutes ces épreuves. Aucun ne baisse 
					la tête. Les yeux ont des flammes, non des larmes.
 Au-dessus de Metz Le vendredi 14 août, à 5 heures et demie de l'après-midi, le 
					lieutenant Cesari et le caporal Prudhommeau s'envolaient 
					tous deux, chacun à bord d'un aéroplane, avec mission de 
					reconnaître et de détruire si possible le hangar à 
					dirigeables de la station aéronautique militaire de Metz, 
					Frescaty.Les deux aviateurs sont arrivés au-dessus de la ligne des 
					forts de Metz, le lieutenant à une altitude de 2700 mètres, 
					le caporal à 2200 mètres.
 
                FAC-SIMILÉ D'UNE AFFICHE PLACARDÉE SUR LES MURS DE LUNÉVILLE 
					PENDANT L'OCCUPATION PRUSSIENNE.
 Des qu'ils furent aperçus, les forts ouvrirent sur eux une 
					canonnade ininterrompue.Entourés d'une nuée d'éclatements de projectiles, le 
					lieutenant et le caporal maintinrent leur direction et 
					poursuivirent leur vol vers l'aérodrome qu'ils avaient 
					découvert. Un peu avant d'arriver au-dessus du parc à 
					dirigeables, le moteur du lieutenant Cesari cessa 
					brusquement de fonctionner et son appareil commença à 
					descendre. L'officier était perdu.
 Quel moment! Alors il n'hésita pas, et ne voulant pas tomber 
					entre les mains de l'ennemi sans avoir rempli sa mission, il 
					régla son vol plané de façon à conduire son aéroplane 
					au-dessus du hangar à dirigeables.
 Attentif, glissant vers la terre sur ses ailes que son 
					moteur ne tirait plus, le lieutenant visa avec soin, et avec 
					un merveilleux sang-froid lança son projectile. Et il 
					attendit, résolu, satisfait du devoir accompli... quand 
					soudain son moteur reprit et lui rendit les airs.
 Le caporal avait, lui aussi, exécuté la mission qui lui 
					avait été donnée. Comme le lieutenant, il avait lancé son 
					projectile, mais, pas plus que l'officier, il n'avait pu, 
					parmi la fumée des projectiles ennemis, observer exactement 
					le point de chute. Il croit pourtant avoir atteint le but.
 Les deux aviateurs reprirent alors la direction de Verdun, 
					poursuivis pendant dix kilomètres par l'artillerie allemande 
					qui continuait à faire rage.
 Le lieutenant et le caporal, échappant aux centaines de 
					projectiles tirés sur eux, sont rentrés sains et saufs.
 Ils ont été cités à l'ordre du jour de l'armée.
 Bombardement de Mars-la-Tour Du Journal de la Meurthe et des Vosges :Nous l'avions prévu. Les misérables Allemands, qui ne 
					respectent ni foi ni loi, devaient bombarder - le 16 août, 
					anniversaire de la bataille de 1870 - le village de 
					Mars-la-Tour, l'église commémorative, le musée patriotique 
					du vénérable abbé Faller et jusqu'à l'admirable monument de 
					Bogino.
 Dimanche, à 2 heures et demie de l'après- midi, la 
					population tout entière du village était aux vêpres, car 
					elle avait tenu à célébrer quand même l'anniversaire du 16 
					août 1870.
 Soudain un coup de canon retentit. Un obus passe en sifflant 
					et tombe sur le village.
 Les habitants sortent aussitôt de l'église et courent se 
					réfugier dans les caves.
 Pendant ce temps, le bombardement continue. Avec une 
					régularité mathématique, les obus tombent, par séries de 
					cinq, de cinq en cinq minutes.
 On peut apercevoir la fumée des canons. La batterie est 
					installée près de Vionville, non loin du fameux Lion qui se 
					dresse à l'intersection des routes de Tronville et de 
					Vionville, soit à environ trois kilomètres et demi de 
					Mars-la-Tour.
 Deux personnes sont frappées à mort, pendant qu'elles se 
					sauvent de l'église dans les caves: c'est d'abord M. Thomas, 
					ancien mécanicien, qui est tué non loin de la gendarmerie; 
					puis Mme Bastien, tuée en arrivant chez elle, vers le 
					monument.
 
 |  
					| Le Panorama de 
					la guerre de 19144 février 1915
 Le bombardement se termina vers trois 
					heures et demie.Plusieurs maisons sont touchées, mais une seule l'est 
					sérieusement, celle du percepteur.
 Une heure plus tard, quatre uhlans, ayant à leur tète un 
					sous-officier, se présentaient, revolver au, au poing, 
					village, et criaient à tue-tête : «  Victoire ! Les Français capout ! » Ils se rendirent après au passage à niveau près 
					du monument et obligèrent la garde-barrière à leur remettre 
					ses papiers. Ils revinrent ensuite à la mairie où se 
					trouvait M. Seners, maire, qu'ils obligèrent à leur remettre 
					le drapeau de la commune et le sommèrent de leur fournir 16 
					chevaux et 4 voitures à fourrage.
 |  |  
					| M. Seners leur ayant fait 
					comprendre que tous les chevaux avaient été réquisitionnés, 
					ils voulurent s'en rendre compte en visitant quelques 
					écuries. Ils disparurent alors sans commettre leurs 
					atrocités habituelles. 
					Assassinats et incendies Le 17 août, M. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle, 
					adressait au ministre de l'Intérieur un rapport extrêmement 
					précis sur des actes révoltants de sauvagerie commis par les 
					soldats allemands.Dans les cantons de Badonviller, Cirey et Blamont, des 
					femmes, jeunes filles, vieillards, avaient été assassinés 
					sans aucune raison, sans le moindre prétexte, des maisons 
					incendiées systématiquement par les troupes allemandes; ici, 
					dès l'arrivée, là, au moment de la retraite; en plusieurs 
					endroits, ces sauvages n'avaient pas seulement saccagé, ils 
					avaient volé, emportant argent et bijoux.
 A Badonviller, onze personnes assassinées, dont la femme du 
					maire, soixante-dix- huit maisons incendiées, avec du 
					pétrole ou des cartouches spéciales.
 Après le pillage de la ville, l'église était canonnée et 
					démolie; quinze otages, dont le juge de paix, étaient 
					emmenés le 15 août.
 A Bréménil, cinq personnes étaient assassinées dont un 
					vieillard de soixante-quatorze ans; un homme, blessé 
					quelques jours plus tôt et alité, était brûlé dans sa maison 
					avec sa mère âgée de soixante-quatorze ans. Le maire avait 
					eu l'épaule traversée d'une balle.
 Parux n'était plus qu'un monceau de ruines; presque toutes 
					les maisons étaient incendiées, non par des boulets pendant 
					un combat, mais par des soldats dès leur arrivée, avec des 
					cartouches spéciales.
 A Oslamont, plusieurs victimes, dont une jeune fille. La 
					chocolaterie saccagée et pillée.
 En présence de ces actes d'une odieuse 
					[NDLR : il s'agit ici des évènements de Blâmont]
 
                FAC-SIMILÉ D'UNE SECONDE AFFICHE PLACARDÉE SUR LES MURS DE 
					LUNÉVILLE PENDANT L'OCCUPATION PRUSSIENNE.
 sauvagerie, les maires lorrains témoignaient d'un sang-froid 
					et d'une fermeté admirables. L'un d'eux, M. Benoît, maire de 
					Badonviller, avait connu en une journée tragique toutes les 
					douleurs; sa maison de commerce avait été brûlée, sa femme 
					assassinée; avec un courage admirable, il n'avait cessé de 
					veiller à la protection des intérêts de sa commune sans un 
					instant de repos, sans une minute de défaillance, en 
					soutenant les forces morales de tous.Et le lendemain de ces malheurs, les Allemands ayant évacué 
					Badonviller, un prisonnier allemand fut amené au village. La 
					population, frémissante des atrocités subies, entourait et 
					menaçait le prisonnier. Le maire Benoît s'interposa, rappela 
					le respect dû à tout prisonnier ennemi et lui sauva la vie.
 Le gouvernement décida de donner la croix de la Légion 
					d'honneur au maire de Badonviller.
 Accusés par eux-mêmes Tout un courrier écrit par des soldats allemands à leurs 
					familles avait été saisi au cours des opérations heureuses 
					qui nous avaient conduits en Lorraine.Ce courrier contenait, entre autres choses, quelques phrases 
					fort significatives sur leur état d'esprit et sur leur 
					horrible façon de concevoir la guerre.
 Tous les civils français sont fusillés s'ils ont seulement 
					la mine suspecte ou malveillante. «  On fusille tout, les 
					hommes et même les jeunes garçons non encore adultes. »
 Une autre note: «  J'ai vu passer trois convois de paysans 
					français prisonniers; tous seront fusillés. »
 Autre lettre: «  Nous avons fusillé des habitants de quatorze 
					à soixante ans. On en a abattu trente pièces. »
 Dans vingt autres lettres revenaient constamment les phrases 
					«  tout a été fusillé », «  on tue tout », «  on n'a pas laissé 
					un habitant vivant, sauf les femmes ».
 Cette fureur était, dans presque toutes ces lettres, motivée 
					par l'accusation que les habitants civils avaient tiré sur 
					les troupes allemandes et que le gouvernement français leur 
					avait fait distribuer des armes et des munitions. Tout le 
					monde sait - même en Allemagne - que cela est faux.
 On a pu d'ailleurs lire plus haut l'extrait du carnet de 
					notes d'un officier allemand écrivant : «  Nous disons que ce 
					sont les habitants qui ont tiré, mais ce sont des douaniers 
					et des forestiers. »
 
 Le 18 août, le ministre de la Guerre recevait du général 
					Joffre la dépêche suivante:
 Grand quartier général des armées de l'Est, 18 août, 9 
					heures 15.
 «  Pendant toute la journée d'hier, 17 août, nous n'avons 
					cessé de progresser en Haute-Alsace. La retraite de l'ennemi 
					s'effectue de ce côté en désordre. Il abandonne partout des 
					blessés et du matériel.
 «  Nous avons conquis la majeure partit des vallées des 
					Vosges sur le versan d'Alsace, d'où nous atteindrons bientôt 
					la plaine.
 «  Au sud de Sarrebourg, l'ennemi avait organisé devant nous 
					une position fortifiée solidement tenue avec artillerie 
					lourde.
 «  Les Allemands se sont repliés précipitamment dans 
					l'après-midi d'hier. Actuellement, notre cavalerie les 
					poursuit ; nous avons, d'autre part, occupé toute la région 
					des étangs jusque vers l'ouest de Fenestrange.
 «  Nos troupes débouchent de la Seille dont une partie des 
					passages ont été évacués par les Allemands. Notre cavalerie 
					est à Château-Salins.
 «  Dans toutes les actions engagées au cours de ces dernières 
					journées, en Lorraine et en Alsace, les Allemands ont subi 
					des pertes importantes.
 «  Notre artillerie a des effets démoralisants et foudroyants 
					pour l'adversaire.
 «  D'une façon générale, nous avons donc obtenu, au cours des 
					journées précédentes, des succès importants et qui font le 
					plus grand honneur à la troupe; dont l'ardeur est 
					incomparable, et aux chefs qui la conduisent au combat.
 «  JOFFRE.»
 
 Le 19, les nouvelles de Lorraine continuaient d'être bonnes. 
					Il était confirmé que notre armée occupait Château-Salins, 
					et aussi Dieuze, qu'elle avait rapidement progressé au delà 
					de la Seille. Notre ligne s'étendait de la région au nord de 
					Sarrebourg jusqu'à Delme, en passant par Morhange.
 Malheureusement, la journée du lendemain était moins 
					heureuse. Nos avant-gardes, se heurtant à des positions très 
					fortes, devaient être ramenées vers notre gros, établi 
					solidement sur la Seille et sur le canal de la Marne au 
					Rhin.
 Cette retraite était expliquée, le 21 août, par le 
					communiqué suivant:
 On sait qu'après avoir reconquis la frontière, nos troupes 
					s'étaient avancées en Lorraine sur tout le front, du Donon 
					jusqu'à Château-Salins.
 Elles avaient refoulé dans la vallée de la Seille et la 
					région des étangs les troupes allemandes, et nos avaient 
					avant-gardes atteint Delme, Dieuze et Morhange.
 Dans la journée d'hier, plusieurs corps d'armée allemands 
					ont engagé sur tout le front une vigoureuse contre-attaque.
 Nos avant-gardes s'étant repliées sur le gros, le combat a 
					commencé, extrêmement vif de part et d'autre. En raison de 
					la supériorité numérique de l'ennemi, nos troupes, qui se 
					battaient depuis six jours sans interruption, ont été 
					ramenées en arrière.
 Notre gauche couvre les ouvrages avancés de Nancy. Notre 
					droite est solidement installée dans le massif du Donon.
 L'importance des forces ennemies ne nous eut permis de nous 
					maintenir en Lorraine qu'au prix d'une imprudence inutile.
 Donc, après six jours de combats ininterrompus, nos troupes 
					se repliaient. Les Allemands ne manquèrent pas de 
					transformer en grande victoire ce résultat de leur 
					offensive. Notre gouvernement dut leur opposer, par une note 
					communiquée le 22 août à la presse, le démenti suivant:
 Les télégrammes officiels allemands et ceux de l'agence 
					Wolff ont annoncé que l'échec subi par nous en Lorraine le 
					20 août s'était transformé le 21 en une déroute au cours de 
					laquelle nous aurions perdu 10000 prisonniers et 50 canons. 
					Ce sont là des exagérations ridicules. Le succès des 
					Allemands en Lorraine ne dépasse pas celui remporté par nous 
					en Alsace; d'ores et déjà même, le nombre des canons laissés 
					par nous entre leurs mains est certainement inférieur à 
					celui que nous leur avons pris en Alsace, et le total des 
					morts, blessés, prisonniers, disparus n'atteindra pas, de 
					beaucoup, 10000, chiffre donné comme nombre de prisonniers 
					seuls. Aucun élément n'a, au cours de la retraite, franchi 
					la Meurthe. Nos forces sont restées au nord de Nancy.
 Ce recul momentané, consécutif à un vigoureux mouvement en 
					avant, n'est qu'un épisode d'une lutte qui entraînera 
					nécessairement de nombreuses alternatives de flux et de 
					reflux.
 Nos troupes de Lorraine restent pleines d'ardeur, de volonté 
					de vaincre, et n'aspirent qu'à venger leurs morts.
 
 Le lendemain, une mauvaise nouvelle arrivait à Paris: les 
					Allemands avaient occupé Lunéville.
 Le 24, nos armées prenaient une offensive combinée, l'une 
					partant du Couronné de Nancy, l'autre du sud de Lunéville. 
					Les combats qui se livraient sur ce point, et dont on 
					connaît à présent les phases successives, compteront parmi 
					les plus glorieux de ceux auxquels nos belles et vaillantes 
					troupes de couverture prirent part en cette région. Il en 
					sera donné tout à l'heure un exposé des plus démonstratifs.
 Le communiqué du 26 disait :
 D'une façon générale notre offensive progresse entre Nancy 
					et les Vosges. Toutefois notre droite a dû légèrement se 
					replier dans la région de Saint-Dié.
 L'ennemi paraît avoir subi des pertes considérables. On a 
					trouvé plus de 1500 cadavres dans un espace très restreint. 
					Dans une tranchée, une section tout entière avait été 
					fauchée par nos obus. Les morts étaient cloués sur place, 
					encore dans la position de mise en joue. Il se livre dans 
					cette région depuis trois jours des combats acharnés qui 
					paraissent, dans l'ensemble, tourner à notre avantage.
 
 Le communiqué du 27 ajoutait : Notre offensive est 
					ininterrompue depuis cinq jours. Les pertes allemandes sont 
					considérables. On a trouvé au sud-est de Nancy, sur un front 
					de 3 kilomètres, 2500 morts allemands; dans la région de 
					Vitrimont, sur un front de 4 kilomètres, 4500 morts.
 Dans la même note, on annonçait la reddition d'une vaillante 
					place forte, qui, par son héroïque résistance, avait du 
					moins sauvé l'honneur.
 Le communiqué s'exprimait ainsi:
 Longwy, très vieille forteresse, dont la garnison ne 
					comportait qu'un bataillon, bombardée depuis le3 août, a 
					capitulé aujourd'hui, après avoir tenu vingt-quatre jours. 
					Plus de la moitié de l'effectif est tué ou blessé. Le 
					lieutenant-colonel Darche, gouverneur de la place, est nommé 
					officier de la Légion d'honneur pour «  conduite héroïque 
					dans la défense de Longwy ».
 
 Pendant que notre armée du nord se repliait de la frontière 
					belge sur Paris, la progression de nos forces s'accentuait 
					en Lorraine.
 Pour donner, en dehors des communiqués officiels, une 
					première idée des opérations qui s'y déroulèrent, non 
					seulement jusqu'au 8 septembre, mais rétrospectivement, à 
					partir du 4 août, et dont le résultat fut l'échec des 
					efforts tentés par les Allemands pour s'emparer de Nancy, on 
					ne peut mieux faire que de reproduire, d'après la traduction 
					qu'en publiait le Temps, le récit chronologique qu'un 
					correspondant de guerre du Times en a ultérieurement tracé, 
					et dont voici le texte :
 COMMENT FUT SAUVÉ NANCY Les Allemands s'avancèrent sur Nancy par deux routes, à 
					savoir Pont-à-Mousson au nord, Château-Salins au nord-est; 
					en même temps, ils marchaient sur Cirey, à l'est, et 
					Saint-Dié au sud-est.Les deux premiers corps d'armée qui participèrent à 
					l'invasion de la Lorraine étaient tous deux composés de 
					troupes bavaroises.
 Une partie de l'armée de Metz, qui avait commencé à 
					s'avancer dans la direction de l'ouest, sur Verdun, effectua 
					un mouvement de conversion au sud, sa droite s'appuyant à 
					Saint-Mihiel, sur la Meuse, et sa gauche à Pont-à-Mousson, 
					sur la Moselle, et se joignit à l'attaque contre Nancy.
 D'autre part, les deux premiers corps allemands partis de 
					Strasbourg pénétrèrent en France par les défilés supérieurs 
					des Vosges, et, entre Cirey et Baccarat, s'avancèrent sur 
					Lunéville et le groupe de villages qui entourent cette ville 
					par les trois vallées de la Meuse, de la Mortagne et de la 
					Vezouze.
 Le troisième corps d'armée, qui était également composé de 
					Bavarois, possédait une artillerie nombreuse, notamment de 
					pièces de gros calibres. Ce corps, qui comprenait quelques 
					régiments de cavalerie prussienne: uhlans et cuirassiers 
					blancs de la garde, était parti de Sarrebourg; pénétrant en 
					France par Château- Salins, il eut une série de violents 
					engagements avec les Français aux environs de la forêt de 
					Champenoux.
 Le 4 août, les troupes françaises, qui avaient été 
					maintenues à plusieurs kilomètres de la frontière, 
					commencèrent leur mouvement en avant, marchant sur 
					Sarrebourg, en occupant un front qui s'étendait de 
					Château-Salins à Cirey. Pendant ce temps, les Allemands 
					bombardaient Badonviller et Baccarat, puis Cirey, qu'ils 
					occupèrent pendant cinq ou six jours.
 Mais la marche générale des troupes françaises se 
					poursuivait avec succès sur toute la ligne frontière de 
					Pagny-sur- Moselle, près de Metz, jusqu'à Belfort au sud. A 
					l'extrémité septentrionale de cette ligne, les Allemands 
					prenaient l'offensive, et Pagny et Pont-à-Mousson étaient 
					bombardés les 13, 14 et 15 août par les canons. Au sud de 
					Cirey, les Français, après de violents combats, occupaient 
					le 10 août les cols du Bonhomme et de 
					Sainte-Marie-aux-Mines, et un peu plus bas franchissaient la 
					chaîne des Vosges et pénétraient en Alsace.
 Donc, huit ou dix jours après la déclaration de guerre, les 
					Français étaient en train d'exécuter deux mouvements 
					offensifs en territoire allemand: l'un par le nord, l'autre 
					par le sud, et tenaient le centre des Vosges entre les deux 
					points d'attaque, tandis que les Allemands occupaient la 
					partie supérieure des Vosges et se livraient, de leur côté, 
					à deux mouvements offensifs de moindre envergure sur chacune 
					des ailes de l'armée française d'invasion, à Pont-à-Mousson 
					et à Cirey respectivement.
 Lorsqu'on examine la carte de cette région, on s'explique 
					parfaitement la raison d'être des mouvements parallèles 
					auxquels se livraient les deux adversaires.
 Dans chaque cas, en effet, l'offensive était couverte par 
					une forteresse. Les attaques des Allemands sur 
					Pont-à-Mousson et dans la région de Cirey, et leur prise de 
					possession de l'extrémité septentrionale des Vosges étaient 
					appuyées par Metz et Strasbourg.
 De même, l'invasion par les Français de la Lorraine 
					allemande, entre Metz et Strasbourg, et de l'Alsace, et leur 
					installation sur la crête des Vosges étaient protégées en 
					arrière par Toul, Belfort et Épinal.
 La première modification dans la disposition des armées en 
					présence se produisit à Cirey, où les forces allemandes qui 
					avaient occupé Cirey, Baccarat et Badonviller, durent se 
					replier sur Strasbourg.
 Mais jusqu'au 20 août, la situation ne subit aucun 
					changement notable. Ce jour-là, l'offensive victorieuse des 
					Français sur Sarrebourg fut enrayée devant le grand camp 
					militaire de Morhange où les troupes françaises se 
					trouvèrent en présence de forces bien supérieures en nombre.
 L'armée du général de Castelnau, se retirant en bon ordre, 
					se replia d'abord sur un front indiqué par la Meurthe, 
					passant au sud de Lunéville, et le canal de la Marne au Rhin 
					et la Seille; puis plus à l'ouest sur la vallée de la 
					Mortagne, pour occuper un front s'étendant vers le nord dans 
					la même direction, jusqu'à Champenoux.
 Au delà de cette ligne, qui coïncide presque avec le 
					Grand-Couronné, les Allemands, malgré tous leurs efforts, 
					n'ont jamais pu pénétrer.
 De Morhange à Champenoux, soit une distance de 32 
					kilomètres, leur marche fut rapide. Trois jours après la 
					victoire allemande de Morhange, la première armée allemande 
					avait réoccupé Cirey et Badonviller, bombardé et occupé 
					Blamont, complètement détruit le fort de Manonviller, et 
					enfin occupé Lunéville.
 Presque simultanément, la seconde armée, celle qui avait 
					franchi les Vosges plus au sud, occupait Saint-Dié et 
					Raon-l'Étape, sur la Meurthe, Ramberviller et Gerbéviller, 
					sur la Mortagne, et rejoignait la première armée à 
					Lunéville, tandis que la troisième armée commençait l'assaut 
					de Champenoux et des villages environnants, le 22 août, avec 
					la coopération de l'armée de Metz qui essayait d'atteindre 
					Amance.
 L'attaque principale allemande s'effectuait désormais des 
					deux seules directions de Lunéville et de Champenoux. Toutes 
					les pièces de l'échiquier allemand se trouvaient rassemblées 
					dans un coin.
 Lunéville avait été sacrifiée par les Français comme on 
					sacrifie une tour pour sauver une reine, et Nancy, la reine 
					de la Lorraine, était serrée de près.
 Mais pendant tout le cours des opérations les généraux Pau 
					et de Castelnau avaient continuellement eu la situation bien 
					en main et à l'issue de cette première phase de la lutte 
					11000 cadavres allemands gisaient dans les champs et les 
					forêts situés autour de Lunéville, et 20000 entre Nancy et 
					Champenoux.
 Les positions occupées par les troupes françaises, après 
					leur retraite de Morhange, avaient été habilement choisies. 
					Partant du mont Toulon, au nord, elles suivaient les 
					hauteurs du mont Saint- Jean, de la Pochette et d'Amance, 
					contournaient les forêts de Champenoux, de Saint-Paul et de 
					Crévic, longeaient enfin la forêt de Vitrimont et le cours 
					de la Mortagne sur une faible distance.
 
 Vient ensuite le récit des combats dont le Grand-Couronné 
					fut le théâtre pendant quinze jours, combats dont certains 
					furent extrêmement sanglants et qui furent marqués par des 
					alternatives d'avance et de recul: Haraucourt, Rosières, 
					Dombasle, etc. Enfin vint l'assaut dirigé par les Allemands 
					contre le plateau d'Amance. Cette position fut l'objet de 
					deux tentatives de la part des Allemands: la première venant 
					de la direction du sud, la seconde du nord. Pendant une 
					semaine entière le plateau fut soumis, jour et nuit, à une 
					canonnade incessante.
 Le 30 et le 31 se produisit une accalmie, qui cependant fut 
					plus pénible pour les troupes que la canonnade elle-même. 
					Pendant ces deux jours, un brouillard épais enveloppa le 
					plateau, et bien qu'on fût conscient de la présence de 
					l'ennemi dans le voisinage immédiat, on ne pouvait rien 
					distinguer à quelques mètres. Les artilleurs durent se 
					borner à faire pleuvoir de temps à autre une grêle de 
					shrapnells sur les routes par lesquelles l'ennemi aurait pu 
					déboucher.
 Pendant ce temps, comme le pensaient les Français, les 
					Allemands avaient mis de l'artillerie lourde en position. Le 
					4 septembre, les aviateurs allemands ayant repéré les 
					positions de nos batteries, celles-ci furent soumises par 
					les batteries lourdes allemandes à une canonnade si 
					violente, qu'à un moment donné les troupes furent obligées 
					d'abandonner leurs tranchées et de se réfugier dans le 
					village. Mais les avions allemands les ayant découvertes 
					immédiatement, le village fut canonné à son tour.
 Au bout de quelque temps le feu diminua d'intensité; les 
					troupes réintégrèrent leurs tranchées, et les canonniers se 
					mirent en devoir de bombarder vigoureusement l'ennemi à leur 
					tour.
 Le 8 septembre, le kaiser, voulant briser définitivement la 
					résistance des Français, donna l'ordre à ses troupes, et 
					notamment aux cuirassiers blancs de la Garde, d'enlever la 
					position d'assaut.
 Sortant des bois environnants, les troupes allemandes, 
					précédées de leurs musiques, comme si elles étaient à la 
					parade, escaladèrent les pentes du plateau et s'avancèrent 
					contre nos positions.
 Notre artillerie gardant le silence, les Allemands crurent 
					avoir démoli nos pièces. De son côté, l'infanterie laissa 
					arriver l'ennemi jusqu'à 200 mètres de ses lignes. A ce 
					moment, nos troupes s'élancèrent hors des tranchées et se 
					précipitèrent à la baïonnette contre les l'ennemi, 
					complètement surpris, lâcha pied. Nos 75, entrant alors en 
					jeu, achevèrent la déroute, et, tirant à une faible portée, 
					firent dans les rangs ennemis un épouvantable carnage. Les 
					assaillants prirent la fuite, mais d'autres troupes les 
					remplacèrent. A nouveau, les Allemands s'élancèrent à 
					l'assaut de nos lignes et à six reprises ils furent 
					repoussés. Les cuirassiers blancs chargèrent avec furie, 
					mais nos shrapnells firent de tels ravages dans leurs rangs 
					que bientôt le sol du plateau était jonché de leurs cadavres 
					aux cuirasses étincelantes. Les pertes allemandes furent 
					épouvantables. Des milliers et des milliers de cadavres 
					couvraient le sol, et dans la soirée du 9, l'ennemi demanda 
					un armistice de quatre heures pour pouvoir enterrer ses 
					morts. On dit qu'il profita de cet armistice pour mettre en 
					position, à la faveur d'un violent orage, de grosses pièces 
					avec lesquelles il bombarda ensuite Nancy.
 Le jour suivant, les troupes françaises prenaient 
					définitivement l'offensive et bombardaient les bois de 
					Champenoux dans lesquels l'ennemi s'était réfugié. A onze 
					heures du matin, il n'y restait plus que les cadavres et les 
					blessés qu'il n'avait pu enlever.
 
 De son côté l'armée de Metz, qui avait quitté Pont-à-Mousson 
					le 22 août pour attaquer le plateau d'Amance de la direction 
					de l'est, s'était dirigée sur Sainte- Geneviève dont 
					l'occupation était indispensable au succès de l'opération. 
					Elle comptait s'emparer du village sans coup férir, mais, 
					gênés dans leur marche par les réseaux de fils de fer 
					barbelés disposés par les Français autour du village, les 
					Allemands jugèrent prudent de préparer leur attaque au moyen 
					de leur artillerie lourde et de campagne. Dans un espace de 
					75 heures, ils lancèrent 4000 obus sur Sainte-Geneviève. Le 
					village était occupé par un seul régiment d'infanterie de 
					5000 hommes qui, bien retranchés, ne perdirent que trois 
					tués et une vingtaine de blessés pendant le bombardement. 
					Les batteries françaises s'étaient si bien dissimulées que 
					les avions ennemis ne purent les découvrir. Elles laissèrent 
					les Allemands gaspiller leurs munitions sans répondre.
 Le 24 au soir, le général allemand, trompé par ce silence et 
					croyant que l'infanterie française était anéantie, fil 
					avancer ses troupes en colonnes compactes sur 
					Sainte-Geneviève.
 Quand nos 75 jugèrent la distance convenable, ils ouvrirent 
					le feu.
 Pendant trois heures leurs obus s'abattirent sur les masses 
					d'infanterie allemande.
 L'infanterie française avait reçu l'ordre de laisser avancer 
					l'ennemi jusqu'à 300 mètres des tranchées. A ce moment, le 
					commandement si redouté des Allemands de : «  Baïonnette au 
					canon! » retentit.
 Mais nos hommes avaient préalablement reçu le mot d'ordre. 
					Au lieu de charger, ils restèrent dans leurs tranchées. 
					Cependant, entendant sonner la charge, les Allemands, qui 
					s'étaient couchés à terre avant le dernier bond contre les 
					tranchées françaises, se levèrent pour recevoir le choc de 
					nos troupes. Celles-ci dirigèrent alors contre les rangs 
					ennemis une succession de salves meurtrières.
 Le subterfuge avait réussi, et dès lors les lebels ne 
					s'arrêtèrent plus de tirer.
 En quelques instants 4000 cadavres allemands se trouvaient 
					amoncelés devant les tranchées françaises.
 A la chute du jour, l'ennemi abandonnait sa tentative et se 
					repliait, complètement démoralisé, sur le village d'Atton.
 Les survivants, en arrivant à Atton, baptisèrent 
					Sainte-Geneviève du nom de «  Trou de la Mort ».
 
 Le récit qu'on vient de lire apportait déjà de premières 
					précisions sur des faits de guerre, glorieux pour notre 
					armée, dont l'importance avait échappé en partie au public, 
					l'attention de celui-ci se trouvant accaparée par les 
					événements militaires qui se déroulaient avec une 
					foudroyante rapidité de la Sambre à la Marne.
 A ce titre il méritait grandement d'être
 
                M.MIRMAN, PRÉFET DE MEURTHE-ET-MOSELLE.
 conservé, à ce titre nous l'avons reproduit.Mais, à la fin de novembre, un très distingué rédacteur du 
					Temps, M. Émile Henriot, avait visité les champs de bataille 
					de la Lorraine. Il en rapportait non seulement des 
					impressions directes, mais encore des données techniques, 
					dont la divulgation ne présentait plus aucun inconvénient, 
					par lesquelles s'éclairaient certains points restés 
					jusqu'alors ignorés. Et l'exposé qu'il publiait dans son 
					journal, en l'étendant aux combats qui s'étaient livrés du 8 
					au 12 septembre autour de Nancy, complétait de la façon la 
					plus heureuse le récit donné par le Times.
 En raison de la portée des faits auxquels il a trait, nous 
					publions donc également l'article de M. Émile Henriot, qui 
					constitue un véritable document d'histoire.
 LES BATAILLES DEVANT NANCY Nancy, 1er décembre. - Hier, nous avons parcouru les champs 
					des batailles qui se sont livrées devant Nancy, au début de 
					septembre. C'est, entre les hauteurs de Sainte-Geneviève, 
					près de la Moselle, sous Pont-à-Mousson et Dombasle, sur la 
					rive droite de la Meurthe, un front d'une cinquantaine de 
					kilomètres, orienté du nord nord-ouest au sud-est, et que 
					traverse, à angle droit, la grande route de Nancy à 
					Château-Salins. Paris, et je crois que l'on peut dire la 
					France, ne se sont pas très bien rendu compte (tout occupés 
					que nous étions de l'issue des combats plus proches de la 
					Marne et de l'Aisne) de l'importance et de la violence de 
					cette longue suite de batailles qui, du 22 août au 12 
					septembre, ont ensanglanté cette région, et à l'ensemble 
					desquelles le Grand-Couronné de Nancy a donné son nom, sous 
					quoi l'Histoire les connaîtra. De ces semaines de batailles 
					acharnées est sortie une grande victoire, qui d'abord a 
					sauvé Nancy, et ensuite a couvert de gloire le général de 
					Castelnau. L'opinion publique n'a pas été injuste envers 
					lui; n'est-ce pas ce chef éminent que le populaire a déjà 
					décoré de ce sobriquet glorieux, emprunté à la géographie du 
					sol qu'il a su conserver français: le grand couronné de 
					Nancy ?...Son armée, en liaison à l'ouest avec l'armée du général 
					Sarrail, établie autour de Verdun, et à l'est avec celle du 
					général Dubail, alignée dans la région de Baccarat aux 
					Vosges, comprenait, outre quelques unités et des renforts 
					envoyés de Toul au cours de la bataille, trois divisions de 
					réserve, la 59e, la 68e et la 70e, réparties dans cet ordre 
					sur les trois secteurs suivants: à gauche, un premier front 
					allant de la Moselle (à la hauteur de Loisy) jusqu'au 
					village de Sainte-Geneviève, perché sur les premières pentes 
					du Grand-Couronné que l'on rencontre en venant du nord; au 
					centre, une ligne dirigée presque du nord au sud, et faisant 
					face à l'est, de la Rochette à Velaine, par le grand mont d'Amance, 
					à l'ouest de la forêt de Champenoux; la région de Lunéville 
					enfin marquait le point le plus extrême de notre droite. La 
					liaison y était établie entre les armées Castelnau et Dubail 
					par une division de cavalerie. Notre ligne s'étendait donc 
					(pour l'armée de Castelnau) au pied du Grand-Couronné, 
					espèce de fer à cheval de hauteurs et de plateaux escarpés 
					dont les deux extrémités s'appuient l'une sur la Moselle, 
					l'autre sur la Meurthe, à la hauteur de Loisy et de 
					Dombasle.
 Bien que les actions engagées sur ce front par l'armée du 
					général de Castelnau se soient produites dans un même temps, 
					l'extrême enchevêtrement des lignes françaises et allemandes 
					ne permet pas d'en faire un récit unique et d'ensemble.
 Aussi bien, sur chaque point du front, la bataille eut lieu, 
					locale, presque isolée de la voisine. Commençant donc notre 
					visite à ces théâtres héroïques par la gauche, l'officier de 
					l'état-major qui nous accompagne nous a d'abord conduits de 
					Nancy à Loisy, petit village situé dans la vallée de la 
					Moselle, sur la rive droite de la rivière. Delà, tandis qu'à 
					notre gauche la Moselle d'argent forme de sinueux et 
					gracieux méandres, au milieu d'une large vallée, on aperçoit 
					en face de soi, quand on regarde le nord, un piton élevé, 
					que couronne le village de Mousson. Pont-à- Mousson s'étale 
					derrière ce pic. Au pied sud de Mousson, le village d'Atton, 
					et sur notre droite, la colline abrupte de Sainte-Geneviève.
 C'est sur ce front Loisy-Sainte-Geneviève que, dès le 20 
					août, une partie de notre 59e division était disposée, avec 
					la mission de défendre la vallée de la Moselle et la route 
					de Nancy. A cette date du 20 août, nous étions cruellement 
					battus à Morhange, en territoire annexé; Nomény était 
					attaqué et pris; Pont-à- Mousson, violemment bombardé les 
					deux premiers jours de septembre, était abandonné par nous 
					et occupé par les Allemands. Le 4 septembre, tandis que 
					d'autres forces allemandes descendaient de Château-Salins 
					vers notre centre, de fortes colonnes ennemies, venues du 
					nord, commençaient à déboucher sur les deux rives de la 
					Moselle. Sur la rive droite, qui seule nous occupe 
					aujourd'hui, les Allemands entreprenaient avec une extrême 
					activité le bombardement du piton de Mousson, qu'ils 
					pensaient très solidement défendu, puis ils y donnèrent 
					l'assaut. Ils y firent leur entrée d'ailleurs sans coup 
					férir: nous n'y étions plus. Pendant la nuit du 5 au 6, ils 
					reprenaient leur canonnade, dirigée cette fois sur nos 
					positions de Sainte- Geneviève et de Loisy, et le 6 au soir, 
					on voyait les premiers fantassins allemands déborder du 
					village d'Atton et de la forêt de Facq, qui est au-devant de 
					Sainte-Geneviève, et, à cheval sur la route d'Atton à Loisy, 
					se diriger contre nos positions établies derrière des
 
                FAC-SIMILÉ D'UNE AFFICHE PASSE-PARTOUT PLACARDÉE SUR LES MURS 
					DE LUNÉVILLE PENDANT L'OCCUPATION PRUSSIENNE.
 retranchements sur Loisy, son cimetière et les pentes ouest 
					et nord de Sainte- Geneviève, où nous nous étions fortifiés. 
					Notre artillerie appuyait Sainte-Geneviève, mais nous 
					n'avions à Loisy qu'une seule compagnie du 314e. Elle était 
					si bien à l'abri, toutefois, dans le cimetière et sous les 
					réseaux de fil de fer qui devançaient nos tranchées, qu'à 
					elle seule elle put arrêter et soutenir à la fin de la 
					journée du 6 et pendant une partie de la soirée, à la faveur 
					d'un combat de nuit, entre six heures et dix heures du soir, 
					l'effort de toute une division ennemie. Celle-ci, ayant 
					perdu beaucoup de monde dans cette offensive, renonça à 
					attaquer Loisy de front et, tournant vers l'est, s'élança 
					contre les flancs nord du plateau de Sainte-Geneviève. Nos 
					ennemis y tombèrent dans les houblonnières et les vignes qui 
					couvrent une partie de ces pentes, et se heurtèrent là à 
					quelques troupes françaises de renfort envoyées exprès pour 
					boucher un trou, entre Sainte-Geneviève et Loisy. Mais les 
					défenseurs de Loisy se croyaient sur le point d'être tournés 
					par leur droite et menacés.d'être rejetés sur la rivière, cependant que ceux de 
					Sainte-Geneviève pensaient être pris à revers par leur 
					gauche; d'autant que les troupes allemandes sorties de la 
					forêt de Facq attaquaient avec la dernière vigueur la 17e 
					compagnie du 314e, établie dans des tranchées sur la crête 
					de Sainte-Geneviève, qu'elle était également seule à 
					défendre. La défense fut aussi belle que l'attaque était 
					énergique, comme on en put juger le lendemain, quand le jour 
					fut venu, au nombre de cadavres allemands étendus, les 
					cisailles dans une main, le fusil dans l'autre, au milieu de 
					nos fils de fer barbelés. Cependant, les nôtres, attaqués 
					par d'innombrables Allemands, tambours et fifres en tête, 
					tinrent bon, et les assauts de l'ennemi furent aussi souvent 
					rejetés que tentés. Quelques hommes qui fuyaient vers 
					Sainte-Geneviève furent vigoureusement ramenés en avant, 
					revolver au poing, par le commandant de Montlebert. qui fut 
					blessé dans cette affaire et promu depuis 
					lieutenant-colonel, tandis que le capitaine Delmas, 
					commandant la 17e compagnie, était tué.
 Malheureusement, sur la rive gauche de la Moselle, l'ennemi 
					avait pu progresser, de telle sorte qu'il établissait, le 
					7au matin, son artillerie sur les hauteurs de Cuittes, d'où 
					il lui devenait possible de canonner à revers Loisy et 
					Sainte-Geneviève. La position n'étant plus tenable pour 
					nous, l'ordre fut donné de nous reporter sur une seconde 
					ligne en arrière. Le commandant de Montlebert ne voulait 
					point s'y résoudre : il ne se crut obligé de s'incliner 
					qu'après seulement qu'on lui en eut envoyé l'ordre par 
					écrit.
 L'effort des Allemands s'était limité dans cette région à 
					notre seule position de Sainte-Geneviève. Ils escomptaient 
					l'emporter le 7, et le 8 être à Nancy. De fait, le 7, nous 
					devions évacuer Sainte- Geneviève, nos hommes persuadés que 
					c'était une défaite, alors qu'en réalité c'était une affaire 
					des plus favorables pour nous. Alors en effet que nous 
					avions volontairement abandonné cette position de Sainte 
					Geneviève, les Allemands ne purent s'y maintenir. Délogés de 
					Cuittes, ils durent également lâcher Sainte-Geneviève, où 
					nous revenions, ce même jour du 7, au soir, avec deux 
					compagnies.
 Nous ne l'avons pas quitté depuis.
 Cette affaire, qui ne nous coûta que 83 hommes mis hors de 
					combat, tués ou blessés, fut douloureuse pour les Allemands; 
					ils y perdirent plus d'un millier d'hommes. On en a enterré 
					703 près d'Atton, et 230, dont le lieutenant-colonel von 
					Rostock, un peu plus loin. Beaucoup de leurs morts étaient 
					blessés par derrière, à la nuque, et cela donne à penser 
					qu'ils furent tués par leurs propres officiers, alors qu'ils 
					reculaient, ou par leurs mitrailleuses, à la suite d'une 
					fausse manoeuvre. Mais le résultat moral dépassait de 
					beaucoup pour nous les pertes matérielles subies par 
					l'ennemi: l'effort allemand était brisé sur notre gauche; 
					quatre régiments s'étaient heurtés à un seul bataillon et 
					n'avaient pu passer. Le cimetière de Loisy, les pentes de 
					Sainte- Geneviève, son petit village tout ravagé par les 
					obus portent encore les marques de ce vigoureux combat: des 
					tombes, des ruines, couronnent ce plateau, d'où l'on voit 
					Metz au loin par un temps clair. Ainsi ceux des nôtres qui 
					sont tombés là, en se battant, les yeux tournés vers la 
					terre annexée, n'avaient qu'à regarder l'horizon pour savoir 
					ce pourquoi ils se battaient et ils tombaient...
 
 De Sainte-Geneviève, nous sommes allés au mont d'Amance, 
					dans la région nord-est de Nancy, au centre du Grand- 
					Couronné: un plateau élevé, dominant la forêt de Champenoux 
					étalée dans la plaine. D'innombrables trous d'obus le 
					criblent, attestant la fureur - inutile d'ailleurs - de 
					l'attaque; mais dès maintenant, il faut dire que jamais les 
					Allemands n'y ont mis le pied, et jeter ainsi tout de suite 
					à bas cette fable ridicule des cuirassiers blancs du kaiser 
					enlevant par une charge irrésistible ce pic escarpé, au 
					sommet duquel on a déjà des difficultés à parvenir à pied. 
					Dans toute cette région, d'ailleurs, nous nous sommes battus 
					en avant du Grand-Couronné, attaquant toujours, et si, au 
					cours de ces trois semaines de combats, il nous est arrivé 
					de reculer, ce ne fut jamais que dans la zone du terrain que 
					nous avions gagné, sans qu'à aucun moment notre ligne vînt 
					dépasser le front de défense établi par nous, en cas de 
					recul, sur le Couronné.
 Après nos échecs de Morhange et de Sarrebourg (20 août), nos 
					corps avaient été reportés en arrière, sur les hauteurs du 
					Grand-Couronné et sur la Meurthe, couvrant de la sorte 
					Nancy, Lunéville et Saint-Dié. L'ennemi nous suivait de si 
					près, dans ce mouvement de recul, que dès le 2t avaient lieu 
					les premiers engagements, et que le 22, la bataille 
					commençait au nord de Lunéville d'abord, gagnant de là tout 
					le reste du front. Le 24, elle était engagée en plein, et, 
					fidèles à notre tactique de toujours, nous reprenions 
					aussitôt l'offensive.
 Le centre des combats qui commencèrent dès lors à se livrer 
					à l'est d'Amance, autour de la forêt et du village de 
					Champenoux, et qui devaient durer près de trois semaines, du 
					23 août au 12 septembre, occupait, ainsi que nous l'avons 
					rapporté, le secteur compris, du nord au sud, entre la 
					Rochette et Velaine, dont Amance occupe le centre. De 
					solides défenses avaient été organisées sur cette ligne, en 
					prolongement du secteur occupé à l'ouest par la 59e 
					division: c'était la 68e qui devait fournir l'effort sur ces 
					points, et c'est grâce à ses valeureuses offensives que la 
					ligne la Rochette-Amance-Velaine dut de n'être jamais 
					atteinte par l'ennemi.
 Le 23 août, donc, nous avions pris contact avec lui sur 
					presque tout le front, et le 24, son mouvement offensif, 
					consécutif à ses succès de Morhange et de Sarrebourg, se 
					trouvait arrêté. Devant son inaction, nous l'attaquions à 
					notre tour dès le lendemain 25, à l'est et au nord est, par 
					un mouvement combiné des deux armées de Castelnau et de 
					Dubail, le premier sur le Grand-Couronné, le second au sud 
					de Lunéville et dans les Vosges françaises. On vient de voir 
					quel fut le rôle de la gauche du général de Castelnau, sur 
					le plateau de Sainte- Geneviève: défendre la vallée de la 
					Moselle. Voici, d'une manière générale, quelle fut la nature 
					des opérations où se vit engagé son centre, tandis que sa 
					droite retenait autour de Lunéville l'effort adverse. Mais 
					n'ayant point visité cette dernière région, c'est du seul 
					centre de Castelnau que je puis parler aujourd'hui.
 Le 26 août, à la droite du centre, la 36e brigade de la 68e 
					division, commandée par le général de Morderelle, 
					s'engageait dans une attaque violente vers le village de 
					Champenoux, le bois Morel et la ferme de Saint-Jean. Mais le 
					27 au soir, notre droite se trouvant engagée trop en avant, 
					nous dûmes reculer, sans toutefois abandonner Champenoux. 
					Une nouvelle offensive eut lieu le lendemain, ainsi que le 
					30, sur ce même côté: vers Amance, on n'en était encore 
					qu'aux escarmouches. Le 1er septembre, l'ennemi arrive en 
					force, alors que nous poussons une nouvelle attaque contre 
					lui. Mais tout ceci n'était que les sanglants préliminaires 
					de la formidable action qui allait se livrer et que nos 
					soldats sentaient proche. Elle commença, décisive et 
					générale, dans la nuit du 4 au 5, par un violent 
					bombardement. Les Allemands avaient placé leur grosse 
					artillerie sur, les rives de la Seille, en dehors de 
					l'atteinte de nos canons, et de ce moment, du 4 au 12, la 
					canonnade ne cessa pas, terrible, impressionnante et souvent 
					efficace. Pour le moment, elle précédait le premier gros 
					effort allemand sur les villages de Champenoux et d'Erbéviller, 
					à notre centre et vers notre droite, tandis que, sur notre 
					gauche, à Sainte-Geneviève, l'ennemi tentait une diversion 
					propre à nous immobiliser sur cette position, suivant le 
					détail qu'on a lu plus haut. Nous dûmes alors abandonner 
					Erbéviller et nous reporter de ce côté sur la lisière de la 
					partie méridionale de la forêt; mais nous y tenions encore 
					le Rond-des-Dames et Champenoux, ainsi qu'Amance, bien que 
					nos positions y fussent affreusement canonnées, au point 
					d'obliger nos batteries au silence.
 Le 6 au soir, l'ennemi porta son effort vers Amance et nos 
					lignes situées en avant et au pied du mont; les fermes de la 
					Fourasse et de Fleuri-Fontaine furent alors perdues pour 
					nous, puis reprises.
 En fin de compte, l'ennemi se voyait rejeté, en partie, dans 
					les bois, à l'est. Sur plusieurs autres points, nous avions 
					subi des échecs assez durs que l'ordre vint de réparer le 
					lendemain 7, en reprenant à tout prix tous les points que 
					nous avions abandonnés. Un régiment de renfort, le 206e, 
					appuyait cet ordre. Il attaqua, après préparation du combat 
					par l'artillerie, la forêt de Champenoux; mais les Allemands 
					s'y étaient puissamment établis et retranchés, de telle 
					sorte que le 206e, en un clin d'oeil privé de chefs et 
					s'étant rudement fait étriller dans le bois, dut bientôt se 
					replier, découvrant ainsi le 212e sur la lisière de la 
					forêt; le 344e seul tenait toujours ses positions, mais le 
					212e, extrêmement réduit lui aussi, devait abandonner à son 
					tour ce que ses débris conservaient encore de la forêt. La 
					division tout entière était extrêmement fatiguée, éprouvée 
					par ces longs efforts; ses pertes étaient considérables. 
					Toutefois, revivifiée par des renforts prélevés sur des 
					divisions voisines, elle recevait l'ordre, le 8, de 
					reprendre l'offensive sur la forêt et le village de 
					Champenoux - dont elle ne parvint pas d'ailleurs à 
					s'emparer. Après tant d'efforts, la journée du 9 fut calme 
					et employée de part et d'autre à se retrancher sur les 
					positions occupées. C'est dans la nuit qui suivit que les 
					Allemands réussirent à pousser deux de leurs gros canons le 
					plus possible en avant de leur ligne, et c'est de là qu'ils 
					purent, pendant deux heures, envoyer une cinquantaine d'obus 
					sur Nancy, qui en fut fort effrayé. Le lendemain, de 
					nouveaux renforts étant arrivés de Toul, l'attaque reprit 
					encore.
 Elle fut rejetée. Nos hommes étaient épuisés, fourbus, 
					hagards; ils avaient à peine le temps de manger - et quoi 
					d'ailleurs ? -pendant cette bataille incessante. On leur 
					demanda de nouveaux efforts. Un officier me dit que parfois 
					or rencontrait des troupes qui marchaient au hasard devant 
					elles, ne sachant où elles allaient, et tournant le dos à la 
					bataille. On les retournait, on les lançait contre l'ennemi, 
					et elles y allaient, sans un mot, sans une plainte, avec une 
					sorte d'ivresse furieuse. Le 11, nous parvenions au milieu 
					de la forêt, vers la maison forestière de l'étang de Brin - 
					et là encore le combat fut acharné. Mais le régiment envoyé 
					de Toul se faisait massacrer et devait être, lui aussi, 
					remplacé le lendemain par le 143e. Ainsi à bout d'efforts, 
					ayant affaire à des ennemis terriblement supérieurs en 
					nombre - nous avions à peu près la valeur de deux corps 
					d'armée engagés contre des forces doubles -nous continuions 
					de nous agripper à l'adversaire, à l'attaquer avec une 
					violence désespérée, et par des prodiges de volonté, à le 
					réattaquer encore dans le moment même où il venait de nous 
					repousser. Ainsi encore une fois on put contrôler la vérité 
					de cet axiome militaire qui donne la victoire à celui des 
					combattants qui est capable de souffrir un quart d'heure de 
					plus que l'autre. Le 12 septembre, en effet, les Allemands, 
					épuisés par nos attaques incessantes depuis quinze jours, se 
					voyaient obligés de battre en retraite, en longues colonnes 
					profondes, et l'empereur qui, des hauteurs voisines de la 
					Seille, dans la région d'Éply, avait assisté à ces combats, 
					devait remettre sine die son entrée à Nancy, attendue, 
					espérée depuis si longtemps. Aux mêmes dates ses troupes 
					étaient écrasées sur la Marne.
 Depuis ce jour, nous n'avons pas cessé de progresser dans la 
					région qui s'étend à l'est et au nord de Nancy, et dès lors 
					si victorieusement, que, le 13 septembre, on pouvait lire 
					dans les communiqués officiels que les forces allemandes qui 
					se trouvaient sur la Meurthe battaient toutes en retraite, 
					et que nous avions réoccupé, outre Saint-Dié et Lunéville, 
					Raon-l'Etape, Baccarat, Réméréville et Pont-à-Mousson. Le 13 
					au soir le territoire français compris entre les Vosges et 
					Nancy était totalement évacué par l'ennemi.
 Ainsi l'admirable ténacité de nos soldats, la volonté de nos 
					chefs, au cours de ces trois semaines des plus durs combats, 
					avaient donné ce magnifique résultat de dégager notre 
					frontière, en même temps qu'accrochant à l'est de 
					considérables forces allemandes, elles permettaient au 
					général Joffre d'opérer en toute liberté sur la Marne et d'y 
					effectuer cette belle série de manoeuvres qui devaient le 
					conduire à la victoire.
 Emile HENRIOT.
 GERBÉVILLER On m'a dit: «  Allez voir Gerbéviller, en Lorraine. Il faut, 
					si l'on veut se faire une idée exacte et complète de la 
					kultur germanique et apprécier le genre de travail auquel le 
					grand état-major allemand astreint ses gens de guerre, il 
					faut avoir vu les ruines de cette pauvre ville inoffensive, 
					bombardée avec un acharnement fou, ravagée, incendiée, 
					ensanglantée avec une fureur méthodique, par des bourreaux 
					qui n'eurent même pas l'excuse de l'emportement ni le 
					prétexte d'une vengeance, et qui s'appliquèrent à faire 
					souffrir, après la bataille, une population désarmée. 
					Pourquoi cet effroyable luxe d'inutile férocité ? Pourquoi 
					ces attentats absurdes, ces meurtres stupides ? Allez voir 
					Gerbéviller. Et tâchez de trouver sur place l'explication de 
					cette criminelle folie... »... La route, quittant Saint-Dié, suit en pente douce cette 
					vallée de la Meurthe que naguère encore j'ai vue si riante 
					et si paisible, entre les hautes et profondes sapinières de 
					la Madeleine, du bois de Jumelles, et les prairies ondulées 
					où la vive couleur des toits de la Pêcherie et de la Voivre 
					mettait une claire note rouge parmi la verdure des herbes et 
					des feuillages.
 A présent, les toits de tuiles sont défoncés, les charpentes 
					ont été arrachées, les murailles sont criblées de trous 
					béants. On dirait qu'une rafale de fer et de feu a passé sur 
					toute la contrée, cassant les arbres çà et là, décoiffant 
					les maisons, tuant bêtes et gens au hasard de la rencontre.
 Ces dégâts, ce sont les traces que laissent les Allemands 
					lorsqu'ils sont en fuite. Chassés de Saint-Michel, de la 
					Bourgonce, de Nompatelize, de Saint- Rémy, d'Étival, de 
					Saint-Jean-d'Ormont, du Ban-de-Sapt, forcés de reculer aux 
					premières étapes d'un chemin par où sans doute ils 
					espéraient rejoindre à Nancy l'état-major chargé d'organiser 
					l'entrée solennelle et théâtrale du kaiser dans la capitale 
					de la Lorraine, les bombardiers du général von Knoerzer ont 
					épuisé sur des paysans, sur des logis rustiques, sur des 
					troupeaux, leur provision de «  marmites» explosives. Tout le 
					long des bois de Moyenmoutier, non loin de l'ancienne abbaye 
					de Senones, où Voltaire, s'étant fait ermite, eut quelques 
					démêlés avec le prince régnant de Salm-Salm,on ne voit que 
					maisons canonnées, décombres accumulés, «  entonnoirs » 
					creusés dans le sol par l'éclatement des énormes obus... Du 
					reste, toute cette mitraille fut impuissante à détruire le 
					charme de ce paysage vosgien, où les cinq abbayes de 
					Saint-Dié, de Bonmoutier, de Moyenmoutier, d'Étival et de 
					Senones formaient jadis par leur position, dans la haute 
					vallée de la Meurthe, le dessin d'une croix mystique. Cette 
					contrée fut autrefois, en des siècles sombres, une «  terre 
					d'immunité» à l'abri de toute emprise féodale. Cette 
					tradition, que les professeurs des universités allemandes 
					doivent bien connaître, puisqu'ils sont, à ce que l'on dit, 
					terriblement savants, n'a pas préservé des effets de la 
					kultur germanique, unie à la féodalité prussienne, ce coin 
					de Lorraine française.
 En passant à Raon-l'Étape, un de mes compagnons de voyage me 
					dit:
 «  Voilà du travail allemand au pétrole.»
 En effet, nous voyons les tristes preuves d'un incendie 
					prémédité, voulu, propagé par ordre, selon les principes 
					qu'a posés dans un manuel pratique de barbarie pédante le 
					célèbre baron von der Goltz pacha.
 On songe à ce vers des Orientales :
 Les Turcs ont passé là, tout est ruine et deuil.
 Guillaume II, le glorieux allié des Barbares d'Orient, n'a 
					rien à envier aux bachi-bouzoucks. Plus de cent maisons, à 
					Raon-l'Étape, ont été brûlées. La halle aux blés, la poste, 
					les écoles ne sont plus que des monceaux de ruines 
					calcinées. Aux alentours de Raon, sur la route de 
					Strasbourg, à Celles, à Allarmont, à Vexaincourt, à Luvigny, 
					dans tous les villages qu'a repérés le docteur Julius Euting, 
					l'inquiétant «  président » du Vosgesenclub, on voit les 
					tombes des pauvres curés et maires, fusillés sous les yeux 
					du général von Deimling. Ces martyrs ont été vengés par nos 
					bataillons de chasseurs alpins et d'infanterie coloniale, 
					par nos artilleurs et par ces infatigables combattants que 
					les Anglais appellent nos «  splendides pioupious ». Hélas ! 
					combien de nos soldats reposent, tout près d'ici, dans les 
					cimetières de Bréhimont, de Neuf-Étang, de Saint- Benoît, et 
					sous les sapins de la forêt de Sainte-Barbe ?
 Baccarat, que j'ai vu si alerte à l'ouvrage, si gaiement 
					industrieux, offre aux regards des voyageurs le déplorable 
					spectacle de ses cristalleries incendiées, de son église à 
					moitié démolie, de ses boutiques pillées. J'interroge un 
					passant :
 «  Combien ont-ils brûlé de maisons, ici? - Cent deux. »
 A Domptail, les Prussiens du régiment d'infanterie n° 70, 
					venu de Sarrebrück, n'ont pas eu le temps de faire beaucoup 
					de mal. Ils ont dû évacuer précipitamment les tranchées 
					qu'on voit encore dans le village. Cette fuite les mena 
					d'une traite jusqu'à Dieuze...
 
                CARTE DE LA LORRAINE COMPLETANT LA VUE PERSPECTIVE DONNEE A 
					LA PAGE 425 - Lorsque, au moi de mai 1871, la France fut 
					contrainte de céder à l'Allemagne, par le traité de 
					Francfort, l'Alsace et une partie de la Lorraine, la 
					cession, en ce qui concernait cette dernière, respectait la 
					Meuse et les Vosges, mais nous enlevait, du département de 
					la Moselle, les arrondissements de Metz, de Thionville et de 
					Sarreguemines, ne nous laissant que l'arrondissement de 
					Briey, et, du département de la Meurthe, les arrondissements 
					de Sarrebourg et de Château-Salins, ceux de Nancy, Toul et 
					Lunéville restant français. Le 7 septembre 1871, l'Assemblée 
					nationale décida que l'arrondissement de Briey serait réuni 
					aux trois autres, et que, de ces quatre arrondissements, on 
					formerait le département de Meurthe-et-Moselle, dont le 
					chef-lieu serait Nancy. Mais on peut avoir aujourd'hui le 
					ferme espoir de voir bientôt se reconstituer ces beaux 
					départements - en même temps que ceux d'Alsace.
 
 |  
					| Le Panorama de 
					la guerre de 191411 février 1915
 Mais à Saint-Pierremont, où je vois 
					des enfants cueillir des fleurs dans les ruines, leurs 
					pompes à pétrole ont arrosé des logis villageois, couverts 
					de paille, qui ont flambé comme des allumettes. A Magnières. 
					petite commune de cinq cents âmes, ils ont fusillé deux 
					personnes et brûlé vingt-six maisons. Le squelette de 
					l'église bombardée a maintenant l'apparence d'un spectre sur 
					le fond noir du ciel d'hiver. Un peu plus loin, dans la 
					vallée de la Mortagne, voici Vallois, où deux personnes ont 
					été fusillées, quarante maisons brûlées. La commune de 
					Moyen, où cantonnait leur 137e régiment d'infanterie, venu 
					de Haguenau, par étapes, en passant à Geistkirch, à 
					Bergaville et à Sérauviller, fut douloureusement éprouvée. 
					Ils fusillèrent deux habitants de cette commune et forcèrent 
					les autres à creuser dans le bois du Haut une fosse où les 
					jeunes filles de Moyen furent obligées d'enterrer une 
					centaine de cadavres allemands. Et c'était comme un cercle 
					infernal, qui se resserrait autour de Gerbéviller. |  |  
					| Gerbéviller était 
					l'aimable chef-lieu d'un canton de Meurthe-et-Moselle où 
					plus de sept mille habitants vivaient tranquillement, 
					largement, des paisibles bénéfices de leur labeur, de leur 
					commerce ou de leur industrie. Le château de Gerbéviller 
					offrait aux visiteurs une noble et avenante façade, derrière 
					la grille d'un parc dont les parterres et les massifs ont 
					été dessinés par le bon jardinier Louis de Nesle, dit 
					Gervais, célèbre chez tous les châtelains de Lorraine. 
					L'hospitalité du marquis de Lambertye, au château de 
					Gerbéviller, était renommée dans tout le pays. On venait de 
					loin pour admirer dans ce château un riche trésor d'objets 
					d'art et de reliques, notamment une statue signée de 
					Falguière, et les tapisseries, les tableaux, les châsses 
					d'une chapelle qui fut consacrée par Mgr Lavigerie... L'église paroissiale de Gerbéviller était toute parfumée 
					d'une bonne odeur de sainteté par les souvenirs de saint 
					Mansuy, premier évêque de Toul, qui évangélisa les Lorrains 
					tandis que saint Thiébault convertissait l'Alsace au 
					christianisme. Saint Mansuy, dit-on, fit sortir du sol, en 
					ce lieu, une gerbe miraculeuse... A présent, la paroisse de 
					Gerbéviller, couverte de cendres et de charbons, ressemble 
					aux débris d'un immense bûcher, allumé par quelque puissance 
					diabolique. Et la grande rue montante, au flanc du coteau 
					qui domine la riante vallée de la Mortagne, n'est plus qu'un 
					calvaire dévasté.
 C'est le 23 août que les premières bombes commencèrent à 
					tomber en éclatant sur les toits de Gerbéviller. Un grand 
					nombre d'habitants s'étaient enfuis, et sont maintenant 
					réfugiés dans le département de la Haute-Savoie. Ceux qui 
					étaient restés descendirent au fond des caves, afin de se 
					mettre à l'abri de l'explosion des obus. Il y avait 
					notamment une douzaine de personnes chez M. Bernasconi, 
					entrepreneur de travaux publics. Lorsque les Allemands, 
					après
 
                FAC-SIMILÉ D'UNE AFFICHE PASSE-PARTOUT PLACARDÉE SUR LES 
					MURS DE LUNÉVILLE.
 avoir bombardé Gerbéviller de loin, entrèrent en ville, 
					brûlant tout, rue par rue et maison par maison, M. 
					Bernasconi, les hommes et les femmes qui étaient avec lui 
					sortirent de la cave où le feu et la fumée les menaçaient 
					d'asphyxie. Tout était en flamme autour d'eux. Déjà leur 
					quartier n'était plus qu'un brasier sans cesse activé par le 
					pétrole des pompes incendiaires et par la combustion des 
					pastilles inflammables qui font partie de l'équipage de 
					campagne des armées du kaiser. Ces malheureux étaient dans 
					la rue, considérant innocemment cet absurde désastre. 
					Aussitôt, ils furent faits prisonniers, poussés à coups de 
					crosse, sous une tempête d'injures. C'est en vain qu'ils 
					avaient laissé prendre aux Prussiens toutes les bouteilles 
					de leur cave. Leur supplice ne faisait que commencer.M. Bernard Bernasconi protesta contre la brutalité de ses 
					bourreaux, en invoquant sa nationalité suisse. Il était, en 
					effet, citoyen de la Confédération helvétique, natif de 
					Calprino, près de Lugano, dans le canton du Tessin. Avec lui 
					se trouvait un de ses compatriotes, un vieillard qu'on 
					appelait le «  papa Blosse ». Leurs protestations furent 
					inutiles. On les fusilla dans le jardin de M. Barthe. Avec 
					eux ont été fusillés plus de quarante compagnons de leur 
					infortune: un octogénaire, M. Simon, et d'autres vieillards, 
					MM. Robinet, Gauthier, Bonguignon, Rémy, Benoit. Une 
					courageuse jeune fille, Mlle Perrin, qui ne put retenir son 
					indignation, en présence de ces lâches atrocités, subit le 
					même sort. Les Allemands fusillèrent enfin le jeune Plaid, 
					un enfant de quatorze ans.
 Quant aux femmes, il les emmenèrent en captivité au village 
					de Fraimbois, où elles restèrent plus de trois semaines, 
					jusqu'au jour où le retour de nos troupes les délivra. Quand 
					elles revinrent à Gerbéviller, les corps des fusillés 
					gisaient encore en plein air, reconnaissables à leurs 
					vêtements. La belle-soeur de M. Bernasconi s'occupa de la 
					dépouille de ce malheureux, qui fut inhumé au cimetière par 
					les soins de M. Charlet. Elle a écrit une lettre qui relate 
					en détail tous ces faits.
 Des trois fabriques de broderies sur tissus qui 
					contribuaient élégamment à la prospérité de Gerbéviller, il 
					ne reste plus rien. L'hospice, l'orphelinat ont disparu, 
					l'usine électrique n'est plus qu'un amas de briques à peine 
					refroidies. Les planches des scieries mécaniques ont été 
					réduites en cendres. L'église est décapitée, déchiquetée. 
					Les cloches se sont ébréchées en tombant sur le pavé, le 
					tabernacle est traversé par des balles qui ont atteint le 
					ciboire... Tout est silencieux dans ce désert de ruines. Les 
					oiseaux se sont enfuis des arbres, tués par le feu. Une 
					odeur de brûlure et de décomposition flotte sur les charbons 
					de ce brasier qui fut un charnier. On a trouvé, ces 
					jours-ci, le cadavre d'une pauvre vieille, Mme Finot, 
					carbonisée dans sa cave. Sur les murs écroulés, autour de 
					l'embrasure des fenêtres béantes, on voit la trace jaune du 
					pétrole. La place de l'Horloge est jonchée de petits 
					morceaux de vitres émiettées. La rue Saint-Pierre, la rue de 
					la Gare sont bordées de maisons brûlées, écroulées, où l'on 
					déchiffre encore, çà et là, un fragment d'enseigne: Hôtel de 
					Lorraine... Société générale... Cette vision évoque le 
					souvenir de Pompéi après l'éruption du Vésuve. Mais ce que 
					nous voyons ici, ce ne sont pas les ravages de la nature 
					aveugle et sourde. C'est l'effroyable malfaisance d'un 
					dessein prémédité de longue date, préparé, voulu par une 
					barbarie savante. Les bombardeurs et les incendiaires de 
					Gerbéviller ont appris leur métier dans les laboratoires et 
					dans les «  séminaires» des universités d'outre-Rhin. 
					Derrière le reître tortionnaire et pillard, je vois le Herr 
					Professor le pédant sinistre qui prétend nous imposer sa 
					kultur en mettant notre pays à feu et à sang.
 En redescendant vers la route de Lunéville, je vois, sur le 
					pont de la Mortagne, un peintre qui a disposé son chevalet, 
					sa palette, ses pinceaux, et qui fixe en couleurs, sur sa 
					toile, l'image désolante que j'ai sous les yeux.
 «  Il faut, me dit-il, conserver ce document, pour 
					l'Histoire. »
 C'est aussi mon avis.
 Gaston DESCHAMPS.
 
 Après avoir fidèlement enregistré jusqu'à l'issue des 
					combats devant Nancy les événements dont fut le théâtre la 
					Lorraine, nous devons maintenant, en conformité de la 
					méthode adoptée comme la seule logique et la seule possible, 
					quitter le territoire français. [...]
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