| 
                 
                  Dans de nombreuses chroniques sur les 
					gravures représentant Blâmont, est cité le nom de Hoefnagel. 
					Il était temps de lui consacrer un article plus détaillé. 
					 
					Voir  
					- 
					
					Texte de la Gravure de Hoefnagel 
					- Hoefnagel et les gravures en couleurs 
					 
					Joris (Georges, Georgius) Hoefnagel, peintre, miniaturiste, 
					voyageur et poète anversois, est né à Anvers en 1542. Il 
					serait mort à Vienne le 9 septembre 1601 ( ? 
					cette date, très précise est cité par certaines biographies, 
					sans donner de sources. Mais alors, comme le fait remarquer 
					Edouard Fétis, pourquoi existe-t-il dans le Civitates orbis terrarum 
					des planches signées de Hoefnagel et datées de 1617 ? 
					). 
					Contraint par son père de travailler dans l'entreprise 
					familiale de diamantaire, il étudie néanmoins les arts à 
					Malines avec Hans Bol (1543-1593), et voyage en Angleterre, 
					France et Espagne. Il en rapporte des dessins qui seront 
					exploités ultérieurement, dans les six volumes du 
					Civitates orbis terrarum que Georg Braun éditera à 
					Cologne de 1572 à 1617. 
				
					
						| Il épouse à Anvers le 12 novembre 
						1571, Suzanne van Onsen. (Noces peintes par François 
						Pourbus l'ancien 1545-1581). Après l'invasion d'Anvers 
						par les troupes espagnoles en 1576, l'entreprise 
						familiale et ruinée. | 
						
                    | 
					 
				 
				
                   En 1577, Hoefnagel reprend ses voyages, accompagné de son ami le 
					géographe Ortelius : il visite successivement Augbourg, 
					Munich, Venise, et Rome, où il refuse les offres du cardinal 
					Farnèse pour honorer l'engagement de devenir artiste de cour 
					auprès de l'électeur de Bavière Albert V. Il voyage ensuite 
					à Naples, Venise, Munich, puis Insbrück où il réalise de 
					1582 à 1590 un missel pour l'archiduc Ferdinand d'Autriche. 
					On le voit ensuite continuer ses voyages (en Angleterre, à 
					Francfort en 1594, à Prague... où il complète ses 
					illustrations pour le Civitates Orbis Terrarum) 
					Il se fixe enfin à Vienne, où il s'adonne à la miniature et 
					à la poésie latine. 
					La notice biographique la plus complète sur Georges 
					Hoefnagel a été écrite par Edouard Fetis (1812-1909)
					
					reproduite ci-dessous. 
					 
					Ajoutons que le fils de Joris, Jacob (1575 Anvers - 1630), a 
					été vraisemblablement formé par son père à la peinture. Ils 
					travaillent ensemble dans les années 1590-1600 : en 1592, 
					Jacob publie des séries d'estampes d'après les dessins de 
					son père, et dès 1595 réalise des dessins, sans doute aussi pour le Civitates Orbis Terrarum 
					de Braun et Hogenberg. Il accompagne 
					son père à Prague en 1599, où il demeurera et sera nommé Kammermaler. 
				
				 
				
                  
					
					Les artistes belges à l'étranger: études biographiques 
					Edouard Fetis 
					1857 
					 
					GEORGES HOEFNAGEL. 
				
                  Encore une vocation contrariée et qui 
					trouve en elle-même la force nécessaire pour triompher des 
					obstacles. C'est un thème qui se reproduit dans une foule de 
					biographies d'artistes, varié seulement par quelques détails 
					particuliers. Le héros de ce roman, dont le début offre une 
					parfaite analogie avec tant d'autres chapitres de l'histoire 
					des hommes poussés par l'impulsion propre de leur nature 
					dans la sphère des travaux intellectuels, s'appelait Georges 
					Hoefnagel. Il est né à Anvers en 1545. Son père était un 
					riche marchand de diamants. Le trafic des pierres précieuses 
					était un des éléments nombreux de la prospérité de notre 
					métropole commerciale. Elles y étaient apportées par les 
					Portugais, suivant Guichardin. Cet écrivain nous apprend 
					qu'il y avait à Anvers, en 1560, c'est-à-dire à l'époque de 
					la jeunesse d'Hoefnagel, «  cent vingt orfèvres, sans un 
					grand nombre de lapidaires et autres tailleurs et graveurs 
					de pierreries, lesquels, ajoute l'auteur, font des oeuvres 
					admirables. » On sait que de tout temps les négociants ont 
					mis une sorte de point d'honneur à ce que leurs fils 
					continuent après eux les opérations commerciales dans 
					lesquelles ils se sont eux-mêmes enrichis. La gloire de 
					perpétuer la maison qu'ils ont fondée ou dont ils ont reçu 
					le dépôt héréditaire, est celle dont ils sont le plus 
					jaloux, pour eux aussi bien que pour leurs descendants. 
					Cette gloire est préférée par eux à la fortune. Le père de 
					Georges Hoefnagel, imbu de ces idées, voulait que son fils 
					fût marchand de diamants comme lui. Cependant Georges 
					n'avait aucun penchant pour les transactions du commerce. 
					Artiste d'instinct, il passait à dessiner tout le temps 
					qu'il pouvait dérober à la surveillance paternelle. Ses 
					cahiers d'écolier étaient couverts de croquis où se 
					manifestaient et la justesse de son coup d'oeil et la fermeté 
					de sa main. Decamps nous dit qu'à défaut de papier, il 
					traçait sur le sable; mais ce n'est là sans doute qu'une 
					nouvelle édition de l'épisode si connu de la vie de Giotto, 
					et qui cette fois n'avait pas le mérite de la vraisemblance, 
					car il n'est guère permis de supposer que le fils du riche 
					négociant ait été réduit, comme le pauvre berger, à 
					esquisser sur le sable des images fugitives. Ce qui paraît 
					certain, c'est que Georges Hoefnagel ne pouvait pas donner 
					un libre cours à ses fantaisies pittoresques. Une de ces 
					circonstances qui viennent toujours à point en aide aux 
					hommes doués d'une vocation sérieuse, seconda notre jeune 
					dessinateur dans ses tentatives jusqu'alors peu fructueuses 
					pour vaincre la résistance de son père à des projets 
					qualifiés de rêves chimériques. Un ambassadeur de Savoie 
					étant venu visiter Anvers, entra chez Hoefnagel, le marchand 
					de diamants, pour faire quelques acquisitions. Pendant qu'on 
					se mettait en devoir de satisfaire à sa demande, il aperçut 
					dans un coin de la boutique Georges qui dessinait, selon son 
					habitude. L'ambassadeur s'approcha de lui, fut frappé des 
					dispositions qui se révélaient dans le simple caprice d'un 
					crayon encore inexpérimenté et en fit tout haut 
					l'observation. Le négociant, peu touché des éloges donnés à 
					son fils, se plaignit amèrement de la désobéissance de 
					celui-ci, ajoutant qu'il saurait bien toutefois le 
					contraindre à laisser là ses dessins pour s'occuper des 
					choses du commerce. L'ambassadeur lui déclara qu'il aurait 
					tort et il le lui prouva par de si bonnes raisons, outre 
					qu'il fit des achats assez considérables, que le marchand 
					finit par promettre de ne plus contrarier les penchants de 
					son fils. La parole d'un ambassadeur avait alors du poids, 
					et le plus fier bourgeois ne pouvait se soustraire 
					entièrement à son ascendant, fût-il de nos provinces où 
					régnait un sentiment si général et si vif d'indépendance. 
					Georges Hoefnagel, libre désormais de toute entrave, n'ayant 
					plus rien à démêler avec les arides travaux du négoce, se 
					livra entièrement à ses études favorites. Semblable aux 
					artistes de son temps, qui avaient, on est bien forcé de le 
					reconnaître, cette supériorité sur la plupart de ceux de 
					notre époque, il visait à des connaissances variées, et, 
					sans négliger le dessin, apprenait à lire dans les textes 
					originaux les grands écrivains de l'antiquité. On n'avait 
					pas encore inventé les spécialités, vilain mot et vilaine 
					chose; on ne croyait pas qu'il suffît à un homme de se 
					distinguer dans la pratique d'un art, et que l'habileté 
					qu'il pouvait y acquérir pût le dispenser de se mettre, par 
					d'autres études, en communication avec le reste du monde 
					intellectuel. Les talents du peintre, du graveur et de 
					l'architecte; ceux du statuaire, du poète et du musicien se 
					trouvaient souvent réunis chez le même artiste. On ne dira 
					pas que cette variété de connaissances était un obstacle au 
					complet développement de l'une d'elles; les oeuvres des 
					maîtres dont nous parlons feraient aisément foi du 
					contraire. Mais revenons à Georges Hoefnagel que nous avons 
					laissé en pleine possession d'une liberté dont il profitera 
					si bien. 
					Lorsqu'il crut son talent de dessinateur suffisamment formé 
					pour pouvoir commencer avec fruit une étude sérieuse de la 
					nature, Hoefnagel sollicita de son père l'autorisation de 
					voyager. Avec cette autorisation, il obtint ce qui lui était 
					nécessaire pour en pouvoir user, c'est-à-dire une pension 
					dont le marchand de diamants, réconcilié avec la peinture 
					par les arguments persuasifs de l'ambassadeur de Savoie, 
					éleva généreusement le chiffre. 
					Chaque artiste, on le sait, a une vocation particulière. 
					Celle de Georges Hoefnagel était la reproduction des scènes 
					extérieures de la nature. L'Espagne lui parut devoir offrir 
					d'abondantes ressources à son crayon. C'est donc vers cette 
					contrée qu'il se dirigea, en explorant la partie de la 
					France qu'il devait traverser pour y arriver. On voyageait 
					alors moins rapidement et moins commodément qu'aujourd'hui; 
					mais on voyageait de manière à connaître le pays parcouru, 
					ce qui n'a plus lieu, il faut en convenir. L'artiste qui 
					cheminait à pied, le sac sur le dos et le bâton à la main, 
					prenant parfois le coche pour franchir une plaine aride et 
					le quittant dès que le terrain redevenait accidenté, allait 
					bien mieux à son but que celui qui a recours aux moyens de 
					transport inventés par la civilisation moderne. Il ne se 
					bornait pas à visiter les grandes villes et leurs environs; 
					il pénétrait dans l'intérieur des terres et saisissait le 
					côté le plus caractéristique de la physionomie de chaque 
					pays. C'est ainsi que Georges Hoefnagel accomplit son 
					pèlerinage d'Espagne. Chemin faisant il dessinait un site 
					pittoresque, une ville ouverte ou fortifiée, un château 
					féodal, une chaumière, les costumes différents pour chaque 
					province et souvent même pour des cantons de la même 
					province. Aussi ses compositions, dont il sera parlé plus 
					tard, intéressent-elles par une foule de détails précieux 
					pour l'étude des moeurs du temps. 
					Après une longue absence, Georges Hoelnagel revint en 
					Belgique, rapportant une riche moisson de croquis. Il 
					n'était encore que dessinateur. Voulant devenir peintre, il 
					prit, dit-on, des leçons de Jean Bol, qui résidait à 
					Malines, ville où régnait alors une grande activité 
					intellectuelle et où l'on ne comptait pas moins de cent 
					cinquante ateliers, s'il faut en croire les historiens. 
					Notre artiste ne se sentait pas attiré vers la peinture à 
					l'huile. La miniature sur parchemin et la gouache étaient 
					les genres qu'il affectionnait. C'est ce qui lui fit 
					rechercher les conseils de Jean Bol, peintre en détrempe 
					justement renommé. Il mania bientôt le pinceau aussi 
					habilement que le crayon, et n'eut plus d'avis à demander 
					qu'à sa propre expérience. 
					Hoefnagel s'était fixé à Anvers, dans la maison de son père, 
					pour mettre à profit les matériaux qu'il avait rapportés 
					d'Espagne. Il y trouvait une douce et paisible existence. 
					Libre, indépendant, riche dans l'avenir, il ne connaissait 
					aucun des soucis, aucune des nécessités de la vie matérielle 
					contre lesquelles se débattent, dans leur jeunesse, la 
					plupart des artistes dont cette lutte de tous les instants 
					contre de prosaïques exigences, use souvent les forces avant 
					l'âge. Il pratiquait en toute sérénité d'esprit le culte des 
					Muses, s'il nous est permis d'employer cette expression de 
					la littérature fleurie, passant de la peinture à la poésie, 
					et qui plus est à la poésie latine. Une nuit, nuit funeste 
					pour la Belgique, tout l'échafaudage de son bonheur présent 
					et de ses espérances fut renversé. C'était le 3 novembre 
					1576. Les Espagnols étaient sortis de la citadelle et 
					s'étaient précipités, comme un torrent furieux, sur la 
					malheureuse cité d'Anvers qu'ils mettaient à feu et à sang. 
					L'incendie dévorait l'hôtel de ville avec son trésor 
					d'objets d'art; il anéantissait le quartier habité par les 
					plus riches négociants; les soldats de Romero et de 
					Navaresse, avides de meurtre et de pillage, pénétraient chez 
					les habitants et enlevaient tout ce qu'ils trouvaient 
					d'objets précieux. Il était impossible que le père d'Hoefnagel 
					pût se soustraire à leurs exactions. En vain s'était-il 
					empressé de cacher ses diamants et ses pierreries; il lui 
					fallut tout livrer sous peine de la vie. Sa ruine fut 
					complète. Combien ne dut-il pas se féliciter d'avoir cédé 
					aux conseils de l'ambassadeur de Savoie, en permettant à son 
					fils d'acquérir un talent qui devenait désormais son unique 
					ressource ! 
					Georges Hoefnagel ne songea plus qu'à s'éloigner d'Anvers, 
					où tout devait réveiller en lui des souvenirs pénibles. A 
					cette triste époque de noire histoire, quiconque avait des 
					sentiments d'indépendance et de fierté, préférait 
					l'expatriation à l'humiliation de subir l'odieux régime qui 
					pesait sur nos malheureuses provinces. Hoefnagel se 
					disposait donc à reprendre le cours de ses voyages; mais une 
					pensée amère se mêlait cette fois au désir de voir des 
					contrées nouvelles et d'y chercher des sujets d'études, car 
					il s'agissait non d'une exploration temporaire, mais d'un 
					exil. Heureusement il trouva un compagnon, le célèbre 
					géographe Ortelius qui, lui aussi, éprouvait le besoin 
					d'aller au dehors respirer un air plus libre et qui, 
					d'ailleurs, avait un but scientifique à remplir dans ses 
					voyages: l'achèvement du Thésaurus geographicus, pour lequel 
					il avait déjà parcouru une partie de l'Europe, afin de 
					relever, d'après les inscriptions, les anciens noms de 
					lieux. 
					Hoefnagel et Ortelius quittèrent Anvers et se dirigèrent 
					vers l'Italie par l'Allemagne. Les deux voyageurs 
					s'arrêtèrent à Augsbourg, où ils furent reçus par les Fugger 
					avec la généreuse hospitalité que ces princes du commerce 
					européen se taisaient honneur d'exercer à l'égard des 
					savants et des artistes. Les belles collections de tableaux 
					et d'antiques formées par Raimond Fugger retinrent quelque 
					temps nos Anversois. Ils virent avec curiosité la chambre où 
					logea Charles-Quint à son retour de l'expédition de Tunis et 
					où le chef de l'opulente famille des Fugger avait régalé son 
					hôte illustre du feu d'un fagot de cannelle, allumé avec la 
					reconnaissance d'une somme considérable souscrite par le 
					puissant Empereur. 
					D'Augsbourg, Hoefnagel et Ortelius allèrent à Munich. Les 
					Fugger, qui étaient en relation avec tous les souverains de 
					l'Europe, leur avaient donné une lettre de recommandation 
					pour l'électeur de Bavière. Ce prince fit droit à la traite 
					tirée sur sa bienveillance. Il voulut guider en personne les 
					deux voyageurs dans leur première visite aux monuments de la 
					capitale. Ami des arts, il exprima à Hoefnagel le désir de 
					voir de ses ouvrages. Celui-ci lui fit remettre quelques 
					feuilles de vélin sur lesquelles s'était exercé son pinceau 
					ingénieux et patient. Ces miniatures, que sa modestie était 
					loin d'estimer à leur juste valeur, furent vivement admirées 
					de l'électeur, qui envoya, dès le lendemain, demander à 
					l'artiste d'indiquer le prix auquel il consentirait à s'en 
					défaire. Hoefnagel n'avait pas encore tiré partie de la 
					vente de ses dessins. Son père lui avait remis, à son 
					départ, une somme provenant des débris de sa fortune 
					anéantie dans le sac d'Anvers, et comme il n'était pas 
					encore à bout de ressources, il était sur le point de 
					répondre à l'électeur qu'il lui faisait gratuitement hommage 
					de ses peintures. Ortelius l'empêcha de céder à ce mouvement 
					d'une générosité tout à fait inopportune. Oubliait-il qu'il 
					ne devait plus compter que sur ses pinceaux pour s'assurer à 
					l'avenir des moyens d'existence ? N'était-ce pas commencer 
					très-heureusement l'exploitation de son talent à laquelle le 
					contraignait le sort, que de vendre ses ouvrages à un prince 
					renommé par son goût pour les arts ? Il débutait ainsi sous 
					les plus heureux auspices dans une carrière où son 
					amour-propre pourrait bien n'être pas toujours aussi ménagé. 
					Hoefnagel céda aux bonnes raisons que lui donnait Ortelius 
					et lui promit de mettre un prix aux miniatures dont 
					l'électeur avait exprimé le désir de faire l'acquisition. 
					Toutefois, comme il semblait ne pas se soucier d'entamer 
					directement cette négociation, Ortelius lui dit de ne s'en 
					point mêler et qu'il se chargeait de tout. 
					Ortelius alla trouver l'électeur, lui apprit qu'elle était 
					la position d'Hoefnagel, comment la ruine de son père 
					l'avait obligé de prendre au sérieux une profession qu'il 
					était destiné à n'exercer que comme amateur, et termina en 
					demandant cent écus d'or pour les dessins soumis au prince. 
					La somme fut comptée à l'instant au négociateur officieux 
					qui la porta tout joyeux à son ami. L'électeur ne s'en tint 
					pas là. Il proposa à notre artiste de se fixer à sa cour, 
					moyennant une pension d'un chiffre élevé. Hoefnagel opposa à 
					cette offre des obstacles qui en empêchaient la réalisation, 
					immédiate du moins. Il voulait poursuivre le voyage qu'il 
					avait entrepris avec Ortelius; et puis, ne sachant où il 
					établirait sa résidence, il avait laissé sa femme à Anvers 
					et il devait prendre des mesures pour la rapprocher de lui. 
					N'était-ce que cela ? Le prince pourvut à tout. Il fit 
					envoyer à la femme d'Hoefnagel une somme de deux cents écus 
					d'or pour qu'elle pût venir attendre son mari à Munich. 
					Quant à celui-ci, toute latitude lui fut donnée pour 
					terminer avec Ortelius son excursion en Italie. 
					Les biographes d'Hoefnagel et ceux d'Ortelius ont laissé peu 
					de détails sur le séjour qu'ont fait les deux Anversois au 
					delà des Alpes. Les principaux épisodes de leur voyage sont 
					cependant consignés dans les inscriptions des dessins d'Hoefnagel, 
					gravés dans un recueil dont nous aurons à parler longuement. 
					Decamps, qui a copié et mal copié Van Mander, selon son 
					habitude, dit que Georges Hoefnagel étant arrivé à Venise et 
					ne croyant pas que ses talents pussent suffire à sa 
					subsistance, prit le parti de se faire courtier; mais qu'il 
					fut détourné de ce projet par les encouragements du cardinal 
					Farnèse. La bévue est d'autant plus étrange, que Decamps 
					vient d'entretenir ses lecteurs des propositions faites à 
					Hoefnagel par l'électeur de Bavière pour le fixer à sa cour. 
					Le biographe français n'a pas compris Van Mander, lequel 
					affirme, au contraire, qu'Hoefnagel avait songé à s'établir 
					à Venise comme courtier de commerce, mais que l'heureuse 
					issue de la négociation dont s'était chargé Ortelius lui 
					montra le parti qu'il pourrait tirer de son talent. Decamps 
					a tout confondu d'ailleurs en plaçant à Venise les rapports 
					qu'il y eut entre Hoefnagel et le cardinal Farnèse. C'est à 
					Rome qu'Ortelius présenta son ami à ce protecteur des 
					savants et des artistes. Le cardinal fut émerveillé des 
					travaux du peintre anversois. Il lui offrit un traitement 
					considérable pour le décider à entrer à son service; mais 
					esclave de la parole qu'il avait donnée à l'électeur de 
					Bavière, il déclara ne pouvoir accepter. 
					De Rome Hoefnagel ne revint pas à Venise et de là à Munich, 
					comme l'ont écrit Van Mander et Decamps. Il alla visiter 
					Naples avec Ortelius, et fit même un assez long séjour dans 
					cette belle contrée qui offrait à son compagnon, ainsi qu'à 
					lui, d'inépuisables sujets d'études. L'art et la la science 
					firent leur profit de ce pèlerinage dont nos deux Flamands 
					ne virent pas arriver le terme sans regret. Hoefnagel a 
					tracé, au bas des dessins pris aux environs de Naples, des 
					inscriptions qui témoignent qu'aucun autre lieu ne fit sur 
					son esprit autant d'impression. 
					Les deux voyageurs parcoururent encore l'Italie dans toute 
					son étendue, pour revenir de Naples à Venise, s'arrêtant 
					partout où ils trouvaient, celui-ci le motif d'un dessin 
					pittoresque, celui-là des inscriptions à recueillir, des 
					faits de la géographie ancienne à constater, des curiosités 
					archéologiques à observer; car Ortelius était antiquaire 
					autant que géographe, ainsi qu'on en a pu juger par les 
					collections de bronzes et de médailles dont il avait formé, 
					dans sa maison d'Anvers, un musée plein d'intérêt. 
					Arrivés à Munich, Ortelius et Hoefnagel se séparèrent, le 
					premier pour retourner à Anvers coordonner les matériaux 
					qu'il avait rassemblés, le second pour prendre possession de 
					l'emploi que lui réservait l'électeur de Bavière. On cite ce 
					trait caractéristique des usages du temps, qu'outre son 
					traitement, Hoefnagel recevait chaque année du prince des 
					étoffes de velours et de soie pour ses habits. 
					L'archiduc d'Autriche Ferdinand eut occasion de voir les 
					peintures d'Hoefnagel et conçut pour le talent de l'artiste 
					anversois une si haute estime, qu'il fit de vives instances 
					auprès de l'électeur pour qu'il consentît à le laisser 
					passer à son service. Une cession pleine et entière de son 
					miniaturiste favori n'entrait pas dans les vues de 
					l'électeur; mais il le céda pour un certain temps à 
					l'archiduc. Cet arrangement convenait assez à Hoefnagel, en 
					ce qu'il lui fournissait l'occasion d'aller voir de nouveaux 
					sites. Ferdinand l'emmena, en effet, à Inspruck où il avait 
					sa cour, et, pour suivre de plus près des travaux auxquels 
					il portait un vif intérêt, il l'installa dans le château 
					d'Ambras, sa résidence. Hoefnagel fut chargé, par son 
					nouveau patron, d'illustrer un missel sur vélin. Il 
					consacra, dit-on, huit années à l'accomplissement de cette 
					tâche. On ne s'étonnera pas de la longueur du temps qu'il y 
					consacra, lorsqu'on saura que les marges du livre étaient 
					entièrement couvertes non pas seulement d'ornements, 
					d'arabesques et de guirlandes, mais de compositions 
					allégoriques se rapportant au texte et faites avec une 
					merveilleuse délicatesse de pinceau. Pendant les huit années 
					qu'il employa à l'exécution de ce chef-d'oeuvre, Hoefnagel 
					reçut de l'archiduc Ferdinand une somme annuelle de huit 
					cents florins, plus une somme de deux mille couronnes d'or 
					après son entier achèvement, plus encore une chaîne 
					magnifique, comme témoignage particulier de satisfaction. 
					Ces chiffres et ces actes parlent éloquemment en faveur des 
					princes qui savaient donner aux artistes de tels 
					encouragements et de telles récompenses. 
					La renommée que valurent à Hoefnagel des travaux d'une 
					perfection incomparable parvint jusqu'à l'empereur Rodolphe 
					qui avait une prédilection marquée pour les oeuvres des 
					artistes flamands, ainsi que nous l'avons dit dans notre 
					notice sur les Sadeler, et qui fît engager le miniaturiste 
					anversois à lui consacrer un talent dont l'électeur de 
					Bavière et l'archiduc Ferdinand tenaient de lui de si 
					brillantes preuves. Hoefnagel se rendit à ce désir de 
					l'Empereur. Il vint à Prague et peignit pour Rodolphe quatre 
					livres offrant la représentation des principales espèces 
					d'animaux: quadrupèdes, oiseaux, reptiles et poissons des 
					différentes parties du monde. Homme de goût et d'invention, 
					Hoefnagel n'aurait pas choisi de lui-même, sans doute, ces 
					arides sujets. Il y a lieu de croire qu'ils lui furent 
					indiqués par l'empereur Rodolphe, dont on sait le goût pour 
					les sciences naturelles. L'ingénieux et habile pinceau d'Hoefnagel 
					parvint à donner un intérêt d'art à des motifs de dessins, 
					qui, traités par d'autres, n'auraient eu qu'un mérite 
					d'exactitude scientifique. l'Empereur le récompensa 
					magnifiquement et lui assura une pension qui le rendit 
					indépendant. 
					Quoiqu'il n'eût eu, certes, qu'à se louer de la manière dont 
					il avait été traité par ses hauts et puissants protecteurs, 
					Hoefnagel éprouva le besoin d'échapper aux obligations 
					qu'impose le séjour des cours. L'électeur de Bavière, 
					l'archiduc d'Autriche, l'empereur Rodolphe ne s'étaient pas 
					seulement montrés généreux à son égard, ils lui avaient 
					témoigné cette considération plus précieuse au véritable 
					artiste que l'argent dont on paye ses oeuvres; mais cela 
					n'empêchait pas Hoefnagel d'aspirer à une existence 
					complètement libre. Avec l'agrément de l'Empereur, il se 
					retira à Vienne où il vécut dans l'aisance que lui avait 
					procurée ses pinceaux, partageant ses loisirs, disent Van 
					Mander et Decamps, entre la peinture et la poésie latine. 
					Hoefnagel n'a été considéré que comme miniaturiste par les 
					biographes, qui, à quelques faits de l'histoire de sa vie, 
					se sont bornés à ajouter l'indication des manuscrits qu'il 
					décora de somptueuses illustrations pour Ferdinand 
					d'Autriche et pour l'empereur Rodolphe. Si l'on s'en tenait 
					aux renseignements qu'ils ont donnés, on en serait réduit à 
					n'accorder à l'artiste qu'une admiration de confiance. Il 
					existe heureusement un recueil plein de gravures, d'après 
					les dessins d'Hoefnagel, mais dont personne ne parle, et qui 
					semble avoir été ignoré de tous les iconographes, bien qu'il 
					se trouve dans la plupart des grandes bibliothèques. Ce 
					recueil nous montre le talent du peintre anversois sous les 
					aspects les plus divers; il le fait apprécier comme peintre 
					de genre, paysagiste, archéologue, observateur et fidèle 
					interprète des moeurs des contrées qu'il visite; il nous 
					permet de le suivre dans ses voyages et de rectifier 
					beaucoup d'erreurs de ses historiens. D'où vient que 
					l'ouvrage en question, dont l'impression a multiplié les 
					exemplaires, n'a pas été connu des écrivains qui se sont 
					occupés d'Hoefnagel? Ce n'est pas que l'auteur se soit caché 
					sous le voile de l'anonyme, car les planches dont il a 
					fourni les dessins sont signées en toutes lettres, et datées 
					qui plus est. La cause véritable, c'est que la publication 
					dont il s'agit et qui ne comprend pas moins de six volumes 
					in-folio, n'est pas artistique, pour nous servir d'un 
					adjectif consacré par l'usage, mais géographique. Les 
					géographes, n'étant pas artistes, n'ont pas prêté 
					vraisemblablement une grande attention à l'élément 
					pittoresque du recueil; les artistes, n'étant pas 
					géographes, n'ont pas été chercher dans un livre qui ne 
					paraissait pas être fait pour eux les dessins du 
					miniaturiste de Rodolphe II. Telle est l'explication 
					plausible de l'oubli profond où est resté le plus important, 
					le seul accessible des témoignages du talent d'Hoefnagel. 
					Van Mander a bien dit qu'il avait donné au public un livre 
					contenant les dessins recueillis dans ses voyages; mais 
					cette indication vague et inexacte prouve qu'il n'a pas 
					connu l'ouvrage dont il parlait. 
					Le recueil si digne de fixer l'attention des artistes est 
					intitulé: Civitates orbis terrarum in aes incisae et excusae 
					et description topographica et politica illustratae, 
					collaborantibus Francisco Hohenbergio chalcographico, et 
					Georgio Hoefnagel. Coloniae ab anno1572 ad 1618, 6 vol. in-fol. L'auteur du texte était Georges Bruin, chanoine de 
					Cologne. Aux descriptions des principales villes des 
					différentes parties du monde, et surtout de l'Europe bien 
					entendu, sont jointes des vues en perspective, des plans, 
					des cartes, etc. fl a été fait une traduction française des 
					quatre premiers volumes. 
					On lit peu les préfaces; c'est un tort. Les préfaces de 
					beaucoup de vieux livres, dédaigneusement appelés bouquins 
					par les gens qui ont la prétention d'être de leur temps, 
					contiennent parfois des choses fort intéressantes et qu'on 
					chercherait vainement ailleurs. C'est ainsi que, dans 
					l'avant-propos de son Théâtre des cités du monde, Georges 
					Bruin parle du concours que lui ont prêté Ortelius et 
					Hoefnagel pour l'exécution de ce vaste ouvrage, concours 
					dont les biographes du premier n'ont pas plus fait mention 
					que ceux du second. Le naïf exposé que fait le chanoine de 
					Cologne du plan et des détails d'exécution de son livre est 
					intéressant à plus d'un titre. Après avoir recherché comment 
					les hommes se sont réunis en société, et quelles furent les 
					premières constructions qu'ils élevèrent pour leur servir de 
					demeures, en indiquant sommairement les progrès de 
					l'architecture depuis les temps primitifs, l'auteur paye un 
					tribut d'éloge et de reconnaissance à ses collaborateurs, 
					lesquels sont tous Belges, il est bon de le remarquer. Ses 
					premières félicitations s'adressent aux graveurs Simon 
					Novellanus (Van den Neuvel) et François Hogenbergh, de 
					Malines, «  dont les mains artificieuses ont mis tant d'art 
					et de fidélité dans la reproduction des villes et des 
					édifices, et qui ont donné tous les détails de 
					l'architecture avec tant d'exactitude, qu'il ne semble pas 
					que ce soit l'image des cités que l'on voit, mais les cités 
					elles-mêmes par l'effet d'un artifice admirable. » Il ajoute 
					que ces villes, il les ont en partie dessinées eux-mêmes 
					d'après nature, et en partie reçues toutes peintes de ceux 
					qui les avaient visitées : on verra plus loin que ceci 
					s'adresse principalement à Hoefnagel. Le bon chanoine 
					exprime des idées très-justes sur le secours que l'art de la 
					gravure est venu prêter aux historiens et aux géographes 
					pour compléter leurs descriptions. «  Ceux qui étudient 
					l'histoire, dit-il, savent combien une pérégrination 
					lointaine sert à acquérir la connaissance des choses. Les 
					usages des nations, les lois, les moeurs, les coutumes, se 
					comprennent beaucoup mieux en voyageant que par de simples 
					lectures. Quel jugement peut avoir celui qui n'a jamais 
					perdu de vue le clocher de sa paroisse et ne connaît rien 
					que par ouï-dire? » Georges Bruin cite, comme l'ayant 
					grandement aidé dans l'accomplissement de son oeuvre, Abraham 
					Ortel, bourgeois d'Anvers, cosmographe éminent entre tous 
					ceux de son temps. «  Et ne méritent pas moins de grâces, 
					dit-il plus loin, ces grands admirateurs des sciences 
					excellentes Georges Hofnaghel (Hoefnagel), marchand 
					d'Anvers, et Corneille Caymox, desquels le premier nous a 
					très-courtoisement communiqué les figures et pourtraits des 
					villes d'Espagne tirées très-exactement au vif, et l'autre 
					aucunes cartes des cités d'Allemaigne. » 
					Dans la préface de la partie de son ouvrage où sont décrites 
					les villes d'Italie, le chanoine de Cologne confirme ce qui 
					a été dit de la vocation toute spontanée de Georges 
					Hoefnagel pour la peinture: «  Le tout, dit-il, est pourtrait 
					et remontré en peinctures particulières de ce nostre théâtre 
					naïfvement par l'industrie de Georges Hoefnagel, natif 
					d'Anvers, peintre très-excellent, non par institution de 
					maître, ains de don très-rare de nature. » 
					En parcourant la série des planches jointes à la description 
					des villes d'Espagne dans le Théâtre des cités du monde, on 
					accompagne Hoefnagel dans sa pittoresque exploration, on 
					partage en quelque sorte les impressions qu'il a éprouvées, 
					tant son crayon en a été le sincère interprète. Citer ici 
					toutes les vues qu'il a données serait trop long et 
					d'ailleurs inutile. Nous nous bornerons à indiquer celles 
					qui témoignent de son esprit d'observation, et qui font 
					connaître le parti que les paysagistes, et même les peintres 
					d'histoire de notre temps, peuvent encore tirer de ses 
					dessins. 
					A Barcelone Hoefnagel prend une vue du port d'après laquelle 
					les peintres de marines peuvent concevoir une idée exacte de 
					la forme des galères espagnoles au milieu du XVlme siècle. 
					Dans les planches où sont représentées Séville et Cadix, le 
					dessinateur a placé au premier plan des groupes de danseurs 
					curieux à étudier pour les costumes et pour la forme des 
					instruments de l'orchestre populaire. Près d'Ecija, la 
					Stigis des Romains, chemine un chariot couvert de nattes 
					tressées qui nous montre la construction des véhicules 
					primitifs de l'Andalousie, lesquels n'ont peut-être pas 
					beaucoup changé dans un pays dont les raffinements de la 
					civilisation n'ont pas encore heureusement altéré la 
					physionomie caractéristique. Aux environs de Burgos, voici 
					des pâtres pittoresquement ajustés. Dans la planche de 
					Grenade, Hoefnagel réunit les types des différentes classes 
					de la population pour en représenter les costumes variés. Un 
					cavalier traverse le paysage ayant une senora en croupe. 
					Plus loin passe un âne chargé de jarres. Ce n'est pas un 
					détail inutile : le peintre a voulu montrer comment se 
					transportent les liquides dans cette partie de l'Espagne. A 
					Saint-Sébastien, Hoefnagel place le martyr dont cette cité a 
					pris le nom, attaché à un arbre et percé de flèches. Cette 
					figure est hardiment dessinée. 
					Non-seulement l'artiste anversois fournissait à l'éditeur du 
					Théâtre des cités du monde, les dessins de ses plus belles 
					planches; mais il lui communiquait parfois les descriptions 
					des contrées que reproduisait son crayon. Dans la vue 
					d'Antequera, par exemple, on éprouve quelque surprise à 
					l'aspect d'une jarre immense sur laquelle sont accoudés deux 
					paysans armés de longues piques. Serait-ce un bizarre 
					caprice du peintre ? Le texte vient nous donner une 
					explication nécessaire : «  Ils ont en ce lieu, y est-il dit, 
					des vaisseaux de terre d'une grandeur extraordinaire et 
					d'une capacité digne d'être admirée, lesquels sont ventrus 
					et propres à garder toutes sortes de fruits et liqueurs, 
					comme eau, vin, huile, câpres, olives, etc. Nous avons eu 
					toutes ces choses de très-excellent personnage, Hoefnagel, 
					qui en a faict la pourtraicture et nous les a communiquez en 
					langage thieoys. » 
					Pareil avertissement est donné par l'éditeur à l'occasion 
					d'une vue de Velis-Malaga, à deux lieues de Malaga. Voici 
					ses paroles : «  Le seigneur Hoefnagel, bien expérimenté en 
					plusieurs choses par un long usage et qui a veu à l'oeil ce 
					que nous avons ici traité, nous a assisté de cette 
					description. » Aucun détail de moeurs n'a été négligé par 
					notre artiste. Dans la planche dont il est ici question, il 
					a mis des voyageurs montés sur des mules et escortés par un 
					guide armé, comme ils le sont eux-mêmes, pour résister, le 
					cas échéant, aux attaques des classiques bandits espagnols. 
					A Xérès se présentent d'autres épisodes caractéristiques. 
					Deux cavaliers armés de longues lances et de boucliers 
					singuliers semblent prendre part à une lutte animée. D'une 
					autre part, voici des mules chargées de blé. Ce ne sont pas 
					des accessoires de fantaisie introduits par le peintre dans 
					le paysage, à cette seule fin de l'animer. Le texte nous 
					apprend que les fameux genêts d'Espagne, excellents à la 
					course et recherchés pour les tournois, viennent de cette 
					province, qui fournit, ajoute l'auteur, du blé aux Pays-Bas, 
					dans les temps de disette. 
					Dans une gorge des âpres montagnes de la Sierra Alhama, au 
					milieu d'imposantes masses de rochers, se dessine un 
					établissement de bains d'eaux thermales. Les costumes des 
					figures qui garnissent ce paysage ont un reste des formes 
					mauresques. A côté des scènes de l'intérieur des terres, se 
					placent des épisodes de la vie maritime : on voit à Conil, 
					localité située à six lieues de Gibraltar, des pêcheurs 
					dépeçant du poisson, le salant et le mettant en barils. 
					Qui non ha visto Sevilla non ha visto maraviglia, telle est 
					l'inscription mise par Hoefnagel à la grande et belle vue de 
					Séville. Cette estampe est une des pièces capitales de son 
					oeuvre. Elle a toute l'importance d'un tableau de genre, et 
					l'esprit avec lequel l'artiste a représenté une scène 
					piquante des moeurs du pays lui donne un intérêt qu'égalerait 
					difficilement une composition de pure fantaisie. Le sujet 
					est une double exécution judiciaire sans analogie avec les 
					pénalités de notre Code. La première est intitulée : 
					Execution de justicia de los cornados patientes. Le patient 
					est monté sur un âne portant, ajusté sur son cou, un bois de 
					cerf auquel sont fixés des drapeaux et des sonnettes; une 
					vieille femme le suit et le frappe d'une houssine; l'alcade 
					à cheval vient ensuite accompagné de deux estafiers; un 
					héraut, la trompette à la main, marche en tête du bizarre 
					cortège. La seconde scène de ce drame, moitié sérieux moitié 
					burlesque, porte pour inscription : Execution d'alcaguettas 
					publicas. Une femme s'avance sur un âne; elle a le haut du 
					corps nu et couvert de grosses mouches, attirées sans doute 
					par quelque matière dont elle est enduite. Des hommes du 
					peuple lui jettent des pierres. Sur le devant sont deux 
					grandes figures de femmes dont les costumes sont 
					supérieurement dessinés. A un plan reculé, ou voit Séville, 
					et dans la campagne une route couverte de squelettes de 
					chevaux. Cette planche est aussi remarquable par la 
					franchise de l'exécution que par l'originalité du sujet. 
					Bien qu'elle offre, comme nous l'avons dit, un double 
					épisode, le dessinateur a su mettre de l'ensemble dans sa 
					composition : Hoefnagel s'est montré là observateur et 
					peintre. 
					Deux planches sont consacrées à la ville de Cadix. Sur le 
					devant de la première sont deux grandes figures, un moine 
					vendeur de chapelets et de reliques, et une femme 
					parfaitement ajustée. Au loin des scènes militaires: 
					l'attaque d'un fort et un engagement de matelots. La seconde 
					planche est une composition Tort bien ordonnée et qu'on 
					regrette de ne pas voir traitée en peinture. Le sujet est 
					une pêche, c'est-à-dire la suite d'une pêche qui a réuni sur 
					la plage une foule nombreuse : des femmes font cuire le 
					poisson qu'elles distribuent aux amateurs; des gentilshommes 
					boivent à une cantine le xérès dans de longs verres. Il 
					s'agit probablement d'une fête locale. Un jeune homme se 
					tient à l'écart et joue de la guitare au bord de la mer; ce 
					n'est pas un pêcheur sans doute, car les poissons ne se 
					prennent pas plus aux sons de la guitare qu'à ceux de la 
					flûte. 
					Auprès de Grenade, dont la vue perspective se déploie dans 
					une grande planche d'un effet pittoresque, Hoefnagel a placé 
					un groupe de femmes se livrant à la danse, plaisir de toutes 
					les classes et de tous les âges en Espagne. Il va sans dire 
					que le tambour de basque joue là son rôle obligé. Les 
					costumes sont pleins de caractère; ou remarque surtout des 
					chaussures très-originales. Notre artiste pouvait-il ne pas 
					dessiner l'Alhambra ? II en donne un aspect d'ensemble et 
					des détails d'architecture. L'exactitude consciencieuse de 
					son crayon ne se signale pas moins dans la représentation de 
					Tolède. Après en avoir tracé une vue générale, il dessine à 
					part la cathédrale et le palais des rois. Le tout est 
					entouré d'un cartouche terminé, dans le bas, par le blason 
					archiépiscopal. 
					L'une des planches, qu'on peut surtout recommander à 
					l'attention des artistes pour les costumes, est celle de la 
					Sierra de San Adriano en Biscaia. On y voit une série de 
					grandes figures dont les ajustements sont terminés avec un 
					soin extrême. Des inscriptions, placées sous chaque groupe, 
					font connaître à quelles localités et à quelles classes de 
					la population appartiennent les personnages représentés. Ce 
					sont : une femme et une jeune fille noble de Biscaye; des 
					paysans et des paysannes de la même province allant au 
					marché; des femmes de St-Jean de Luz; des femmes de Bayonne 
					allant à l'église. 
					Hoefnagel fait de l'archéologie en passant. Il consacre une 
					planche à la représentation des antiquités de Jerenna ou 
					Gerenna aux environs de Séville. Ces antiquités, qui 
					consistent en sarcophages, urnes cinéraires, etc., ont été 
					trouvées, à ce que nous apprend le texte descriptif, dans la 
					métairie d'un négociant flamand nommé Henri Van Belle. Aux 
					deux côtés de la même estampe se dresse l'élégante tour de 
					la cathédrale de Séville dont les détails sont rendus avec 
					une grande délicatesse. Elle est représentée extérieurement 
					et intérieurement. L'artiste a montré un cavalier gravissant 
					sur sa mule les degrés de l'escalier qui conduit au sommet 
					de la tour, et afin qu'on ne croie pas qu'il s'est livré à 
					un caprice d'imagination, il a mis au bas : Observavit ac 
					delineavit Georgius Hoefnaglius, 1565. Nous voyons, en 
					effet, dans les anciennes descriptions de Séville que cet 
					escalier a une montée si douce et si imperceptible, qu'on y 
					peut aller soit à cheval, soit en chaise roulante. Nous ne 
					garantissons pas cette dernière assertion ; quant à la 
					première, elle est confirmée par le témoignage d'Hoefnagel. 
					Fidèle au rôle d'observateur qu'il s'est imposé, l'artiste 
					anversois prend soin d'introduire dans tous ses paysages des 
					épisodes caractéristiques relatifs aux moeurs, aux usages ou 
					à l'industrie des localités représentées. Ainsi, dans la vue 
					de Marchena, il place des ouvriers travaillant à 
					l'extraction du mercure; dans celle d'Ossuna, il montre la 
					manière très-singulière de battre le blé en le faisant 
					piétiner par des chevaux. Parfois il prend note d'une 
					tradition singulière. Lorsqu'il dessine la vue de Cabeças, 
					petite ville située entre Séville et Cadix, il ne manque pas 
					d'inscrire sur sa planche cette phrase : Non se hase nada nel consejo del Rei senza Cabeças (il ne se fait rien dans 
					le conseil du roi sans Cabeças), laquelle phrase renferme 
					une énigme pour ceux qui ne savent pas qu'elle avait été 
					prise pour devise par les habitants du lieu, non par 
					forfanterie, mais dans une innocente intention de jeu de 
					mots. Cabeças veut dire tête ou caboche. Le sens de la 
					devise est donc qu'on ne fait rien dans le conseil du roi 
					sans caboche. Nous ne citons cette particularité que pour 
					faire voir quel homme ponctuel était Hoefnagel et avec 
					quelle exactitude il recueillait tout ce qui pouvait 
					compléter ses études pittoresques et les rendre d'une vérité 
					plus frappante. Ainsi que nous le disions plus haut, 
					parcourir son oeuvre, c'est voyager. C'est sans doute pour ne 
					pas introduire dans ses planches des éléments imaginaires, 
					qu'il s'y est souvent placé lui-même à défaut d'autres 
					personnages. Dans la vue de Cabeças dont il vient d'être 
					question, il est au premier plan, assis sur une pierre, et 
					dessinant; dans celle de Zahara, citadelle réputée 
					imprenable, faisant partie du domaine des ducs d'Arcos, 
					Hoefnagel s'est représenté prenant un croquis sans descendre 
					de sa monture, tandis que le muletier qui l'accompagne se 
					désaltère à une outre, Un peu plus loin, il traverse à 
					cheval, sous la protection d'un guide armé d'une hallebarde, 
					les montagnes abruptes qui entourent Loxa. Faute de 
					personnages appartenant à l'espèce humaine, et lorsqu'il ne 
					veut pas se mettre lui-même en scène, il se sert d'animaux 
					pour étoffer ses paysages. Il excellait à les peindre, ainsi 
					qu'on l'a vu par les manuscrits qu'il fit pour l'empereur 
					Rodolphe. Au premier plan de la vue d'Ardales, des perdrix 
					occupent le premier plan; dans celle de Cartama, ce sont des 
					lièvres. A Alcantarilla, nous voyons une chasse au canard 
					dans des marais qui entourent la ville; près de Bornes, 
					l'artiste nous fait assister à une chasse au chien courant. 
					Le voyage d'Hoefnagel en France présente moins d'intérêt que 
					celui d'Espagne, parce que le peintre a eu à retracer une 
					nature moins différente de celle de notre pays, ainsi que 
					des moeurs qui nous sont plus connues; mais parmi les dessins 
					qu'il y a recueillis, on en remarque cependant qui sont 
					dignes d'attention. Nous citerons la vue d'Orléans, où une 
					dame se promène une quenouille à la main et filant, suivant 
					l'usage de l'époque, tandis qu'un jeune seigneur semble lui 
					tenir de doux propos et lui offre une fleur. Les costumes de 
					ces deux personnages et ceux des blanchisseuses rangées sur 
					les bords de la Loire ont du caractère. Nous citerons encore 
					la vue de Bourges pour de singuliers ajustements de femme; 
					celle de Tours et d'Angers pour des motifs semblables; 
					celles de Lyon et de Vienne en Dauphiné pour la beauté des 
					paysages. La vue de Poitiers est surtout curieuse à cause 
					d'une particularité où se manifeste l'originalité du 
					caractère de notre artiste. En dessinant le monument 
					celtique connu sous le nom de la Pierre levée, Hoefnagel 
					représente plusieurs voyageurs occupés à inscrire leurs noms 
					sur le bloc principal; il vient lui-même d'y tracer ceux de 
					plusieurs de ses amis : Bruin, Ortelius, Mercator et 
					Mostaert. 
					C'est après avoir visité l'Espagne et la France qu'Hoefnagel 
					part pour l'Italie; nous avons dit dans quelles 
					circonstances. Les estampes où sont retracés les souvenirs 
					de ce voyage ont un double attrait. Elles montrent un 
					progrès dans le talent de l'artiste et nous initient plus 
					que les précédentes à ses impressions personnelles. En 
					passant à Pesaro, ce qui le frappe, ce sont de beaux 
					costumes de femme : il les dessine d'un crayon libre et 
					facile. A Terracine, il esquisse avec esprit et un grand 
					sentiment de la nature un joli groupe de paysans et de 
					femmes de la campagne occupés à cueillir des fruits. Sur la 
					route de Velletri à Rome, on voit deux voyageurs à cheval. 
					Ces deux voyageurs sont Hoefnagel et Ortelius. Une 
					inscription mise sous une vue essentiellement pittoresque de 
					Tivoli nous apprend que les deux amis y font halte le 1er 
					février 1578. Voilà des indications bien intimes, bien 
					précises et dont il est surprenant que les biographes 
					n'aient pas fait leur profit. Le peintre devient de plus en 
					plus prodigue de ces inscriptions, dans lesquelles se 
					reflète son esprit, qui font connaître l'homme en même temps 
					que l'artiste, et que, pour cette raison, nous enregistrons 
					avec soin. Voyez l'estampe où est représentée la route de 
					Mola à Gaete. Les deux Anversois s'y sont arrêtés pour 
					contempler les beaux vergers d'orangers et de citronniers 
					que baignent les rives d'une mer d'azur. Ce n'est pas notre 
					fantaisie qui se plaît à donner les noms du géographe et de 
					l'artiste flamands à des personnages imaginaires. Sous l'un 
					d'eux se lit l'inscription suivante : Georgius Hoefnagel 
					elegantissimi ad mare Tyrreneum Cajetae prospectus depictor. 
					Sous l'autre sont ces mots : Abrahamus Ortelius, studiosus 
					contemplator admiratorque itineris napolitanici cornes 
					jucundissimus. Ortelius étend la main dans la direction de 
					la mer et semble faire admirer les beautés du paysage à son 
					compagnon. 
					La planche double que nous allons décrire est aussi des plus 
					curieuses. Dans un des compartiments se trouve une vue du 
					lac Agnano dessinée avec une extrême délicatesse. Ortelius 
					et Hoefnagel sont encore au premier plan, celui-ci 
					dessinant, celui-là décrivant. Remarquez ces canards sur le 
					lac; ils ne sont pas un vain accessoire du paysage, 
					l'artiste les a placés là avec intention, comme étant en 
					contradiction manifeste avec le préjugé qui veut que cette 
					onde maudite soit mortelle aux oiseaux imprudents qui 
					s'aventureraient sur ses rives. Jugez-en par l'inscription : 
					A Ortelius G. Hoefnagel hunc locum hodie non esse Aopuov 
					animadvertentes. Les motifs du second compartiment est une 
					vue de la célèbre grotte du Chien. Au-dessus de l'entrée se 
					tient la figure allégorique de la Mort armée d'une flèche; 
					le mot Temerariis s'échappe de sa bouche osseuse. Plus loin, 
					un homme court baigner le chien, soumis à l'épreuve de 
					l'antre redoutable, dans les eaux du lac qui, si elles 
					donnent la mort aux êtres vivants, ont en revanche la 
					propriété de rendre à la vie ceux que des émanations 
					délétères ont menacés d'un prochain trépas. Le tout est 
					encadré de cartouches remplis par des inscriptions 
					explicatives, des citations de Virgile, etc. 
					La Solfatare, mine de soufre, près de Pouzzoles, fournit à 
					Hoefnagel le sujet d'une composition bizarre. L'eau thermale 
					dont il existe une source en ce lieu passe pour donner la 
					fécondité aux femmes. Le caustique artiste y fait arriver 
					deux dames, l'une à pied, l'autre en litière. Deux jeunes 
					gens paraissent les attendre. C'est évidemment une allusion 
					à la vertu de la source, sinon à celle des Napolitaines. 
					Deux figures allégoriques, celles de l'Envie et de 
					l'Ignorance, relient les deux extrémités d'un encadrement 
					compliqué. Armées chacune d'un marteau, elles forgent sur 
					une enclume un grand clou portant le nom de Georgius; plus 
					bas, on lit ces mots : Dum extendar. Le clou, c'est 
					l'instrument, c'est l'arme de l'artiste que lui préparent 
					l'Envie et la Jalousie; mais c'est aussi la représentation 
					figurée de l'artiste lui-même, car Hoefnagel veut dire en 
					allemand clou de maréchal. Ces subtilités paraîtraient 
					puériles à l'époque où nous sommes, mais elles étaient tout 
					à fait conformes à l'esprit du temps. 
					La planche qui représente la place Saint-Marc et le palais 
					des doges à Venise est d'un intérêt plus sérieux. C'est, 
					suivant nous, la plus remarquable de l'oeuvre d'Hoefnagel. La 
					célèbre basilique est dessinée à merveille; la place, animée 
					par des groupes de Vénitiens et de personnages du Levant, 
					est d'une grande vérité d'aspect. Le palais des doges est 
					représenté au moment d'un incendie. Il y a un grand 
					mouvement dans cette composition, où les figures sont 
					nombreuses et bien distribuées. 
					Comme souvenir de leur voyage d'Italie, Hoefnagel adresse à 
					Ortelius une vue du golfe de Baies, charmant paysage dans un 
					encadrement formé de deux grandes cornes d'abondance d'où 
					s'échappent des fruits de toute espèce. Il y joint non pas 
					une simple inscription, mais une sorte de lettre, en latin, 
					où il exprime à Ortelius le charme que lui a fait éprouver 
					la vue de ce beau pays chanté par les poètes, et le plaisir 
					qu'il eut surtout à le visiter avec un compagnon tel qu'Ortelius. 
					Il se rappelle le vers d'Horace: 
					Nullus in orbe sinus Baiis praelucet amoenis, 
					et il veut le donner pour titre à sa planche; mais ses 
					souvenirs le servent mal et il écrit : Nullus in orbe locus 
					praelucet amoenis Baiis. C'est de Munich qu'il adresse son 
					dessin à l'illustre géographe; il le date : Ex nostro museo 
					Bavarico Cal. Martii, anno 1580. 
					La collection publiée par Marco Pagliarini, sous le titre de 
					: Raccolta di lettere sulla pittura, scultura ed 
					architettura, renferme une lettre d'Hoefnagel, où l'on 
					trouve de curieux renseignements sur le prix des dessins au 
					XVIme siècle. Cette lettre est adressée au cavalier Gaddi, 
					possesseur d'une riche galerie de tableaux, statues, camées, 
					etc, qui avait chargé notre artiste, à. son passage à 
					Florence, de lui procurer des dessins des maîtres célèbres 
					de l'époque. Elle est en italien; en voici la traduction: 
					M. Giacomo, orfèvre, m'a écrit plusieurs fois, de la part 
					de Votre Seigneurie, que si je trouvais des dessins de bons 
					maîtres, je devais lui en procurer quelques-uns. Je lui ai 
					répondu que je pouvais en trouver, mais que les 
					propriétaires ne voulaient pas les envoyer en Italie, pour 
					en proposer la vente, et que je désirais connaître les 
					intentions de Votre Seigneurie. Le même Giacomo me dit alors 
					que les occupations de Votre Seigneurie ne lui permettaient 
					pas d'écrire; mais que si je trouvais quelques dessins 
					dignes du cabinet de Votre Seigneurie, à des prix honnêtes, 
					je devais les acheter. D'après cela, je n'ai pas voulu 
					manquer de donner à Votre Seigneurie une preuve de mon 
					dévouement et de mon désir d'augmenter et de conduire à la 
					perfection ce cabinet qui, certainement, en matière de 
					dessins, est le plus beau qu'on puisse voir et que tout 
					véritable amateur doit être porté d'inclination à augmenter 
					de plus en plus. Entre tous, Votre Seigneurie me trouvera un 
					des plus disposés à obéir à tous ses ordres. Vous recevrez 
					donc des mains de M. Giacomo. vingt neuf grands dessins et 
					six petits, qui coûtent, l'un dans l'autre, un écu d'or en 
					or (ici on n'en connaît pas d'autres) par dessin, pour 
					lesquels je me suis engagé, par une obligation de ma main, à 
					payer dans six semaines ou deux mois. Votre Seigneurie 
					voudra bien donner ordre pour que je sois pourvu à temps. 
					Comme le verra Votre Seigneurie, je n'ai pris ni esquisses, 
					ni dessins en mauvais état, ni de maîtres vulgaires, mais 
					tous de très-bonnes mains, lesquels les vendeurs ne m'ont 
					cédés à un prix si modéré que parce que nous sommes amis et 
					dans l'espoir de recevoir une plus grande commande. Ces 
					dessins sont tous de la sorte moyenne, car il y en a encore 
					de plus simples et de moindre prix, comme aussi de plus 
					grand prix et d'une plus grande valeur. Ils sont beaux et 
					finis; ce sont, sous tous les rapports, des dessins parfaits 
					et des plus vaillants et anciens maîtres allemands et 
					flamands, comme : Albert (Durer); Luca (Lucas de Leyde); Olbein (Holbein); Patenier; Emskerken (Heemskerck); Jean et 
					son frère Hubert Van Eyck, très-anciens; Quentin (Metsys) ; 
					Mabuse et beaucoup d'autres, et aussi des modernes, de 
					Raphaël, etc., tous dessins finis et d'importance, et pour 
					cela dignes d'être estimés comme ils le sont en effet. Je 
					n'ai pas voulu m'en occuper sans connaître l'intention de 
					Votre Seigneurie. J'aurais voulu persuader aux propriétaires 
					de ces dessins de m'en confier cinquante ou soixante pour 
					vous les envoyer; mais ils ne le veulent pas. Si Votre 
					Seigneurie le désire et me le commande, je pourrai prendre 
					la note des principaux et du prix qu'on en demande, et la 
					lui envoyer. Ce serait une chose bonne et profitable 
					d'employer cent ou cent cinquante écus à en acquérir une 
					partie. Je suis persuadé qu'on me laisserait, en ce cas, 
					choisir les meilleurs et les plus finis. Celui d'Albert 
					Durer ne me serait pas laissé à moins de quatre écus, celui 
					de Lucas trois, le grand de Patenier trois, et ainsi des 
					autres. Je n'ajouterai plus rien maintenant, et j'attends 
					les ordres de Votre Seigneurie. Ce 12 février 1577. 
					GEORGIO HOEFNAGEL. 
					Hoefnagel a aussi exécuté, pour le Théâtre des cités du 
					monde, plusieurs vues de villes d'Allemagne. Celle de Munich 
					est dédiée au duc Guillaume. Il continue à fournir au 
					chanoine de Cologne des indications pour le texte, en même 
					temps que des dessins. Nous en trouvons la preuve dans la 
					description du château situé près de Landshut, dans la basse 
					Bavière, et appartenant au prince-électeur. Après avoir 
					transcrit les lignes suivantes: «  Ce château est embelli par 
					l'art et l'industrie de Frédéric Sustris, Hollandais 
					d'origine, mais Italien de nation, homme très ingénieux en 
					toutes sortes d'artifices, qui l'a orné de fontaines, 
					statues, peintures, chants et volements d'oiseaux, etc., 
					l'éditeur ajoute : «  La description de cette ville 
					(Landshut) nous a été communiquée par Georges Hoefnagel, 
					marchand d'Anvers, lequel, né aux études de la paix et non 
					de guerre, fuyant les troubles de la Belgique, ayant 
					perlustré l'Italie, s'est rendu au service du pacifique 
					prince Albert, duc de Bavière, s'employant pacifiquement en 
					l'art miniatoire, lequel la nature seule lui a enseigné. » 
					Ce passage n'est pas sans importance en ce qu'il confirme ce 
					qui a été dit du développement spontané du talent d'Hoefnagel 
					et de la cause de son départ d'Anvers. 
					Parmi les vues d'Allemagne dessinées par Hoefnagel, on 
					remarque encore celle où l'artiste a réuni sur une même 
					planche, une perspective étendue des Alpes tyroliennes et le 
					site où se trouve le monument élevé en souvenir de la 
					rencontre de Charles-Quint et de Ferdinand, au retour de 
					l'expédition contre les États barbaresques. 
					Il n'a été fait aucune mention du voyage d'Hoefnagel en 
					Angleterre. Il est cependant positif qu'il visita cette 
					contrée; des planches signées et datées en font foi. C'est 
					en 1582, entre son voyage en Italie avec Ortelius et le 
					moment où il se fixa à la cour de l'archiduc d'Autriche, 
					qu'il alla au pays d'outre-Manche. Il ne paraît pas qu'il y 
					ait fait un long séjour, car les vues qu'il y a prises pour 
					le Théâtre des cités du monde sont en petit nombre; mais le 
					peu qu'il en a donné est fort intéressant pour les costumes, 
					et peut être utilement consulté par les artistes qui 
					traiteraient des sujets de l'histoire d'Angleterre à la fin 
					du XVIme siècle. La planche où il a représenté le palais des 
					souverains de la Grande-Bretagne, édifice dont 
					l'architecture diffère essentiellement de celle de nos 
					monuments, est animée par un épisode bien caractéristique 
					des moeurs anglaises : un retour de la chasse. On y voit des 
					seigneurs à cheval, des voitures d'une forme singulière, des 
					piqueurs conduisant une meute, etc. A cette scène bien 
					composée, l'artiste a joint une série de grandes figures 
					très-curieuses pour les ajustements. Ce sont des femmes de 
					la cour, des femmes nobles, des bourgeoises, des marchandes, 
					des paysannes, etc. Dans une vue d'Oxford, notre artiste 
					nous montre deux docteurs devisant à l'ombre d'un chêne, ou 
					plutôt disputant, car les docteurs sont, on le sait, de 
					grands disputeurs. Une seconde planche non moins 
					intéressante nous offre une perspective de la ville et de 
					ses monuments, avec des personnages diversement costumés au 
					premier plan. 
					Indépendamment du concours direct qu'il prêtait à l'éditeur 
					du Théâtre des cités du monde, Hoefnagel s'était chargé de 
					lui fournir pour cet important ouvrage des matériaux 
					provenant de sources différentes. Il chargea son fils 
					Jacques, dessinateur et graveur, de parcourir la Bohême, la 
					Hongrie, la Croatie, la Transylvanie, et d'y recueillir des 
					vues qu'il envoie au chanoine de Cologne telles qu'il les a 
					reçues, ou dont il fait lui-même des dessins terminés 
					d'après de simples croquis. Toujours l'inscription mise au 
					bas des planches fait mention de la part qu'a prise 
					Hoefnagel à leur exécution. Sur les unes nous voyons : 
					Communicavit Georgius Houfnaglius, delineatum a filio; sur 
					d'autres : Depinxit et communicavit G. Houfnaglius delineatum 
					a filio. Ces planches sont généralement dessinées avec moins 
					de finesse que celles des vues d'Espagne, d'Italie et de 
					France, qui sont de la main de Georges Hoefnagel, mais elles 
					ne sont pas moins curieuses. Les figures y ont plus de 
					caractère; elles offrent, pour les costumes, des indications 
					d'une grande fidélité. A ce titre il est bon de les faire 
					connaître aux peintres. 
					Georges Hoefnagel mettait à contribution d'autres artistes 
					que son fils, pour enrichir l'ouvrage de Bruin des vues 
					qu'il n'avait pas prises lui-même dans ses voyages; mais 
					avec une conscience bien rare et qui ne se dément pas, il 
					indique dans les inscriptions les noms de ses 
					collaborateurs. C'est presque toujours à des compatriotes 
					fixés comme lui à l'étranger qu'il fait des emprunts. Au bas 
					de l'estampe représentant le Phare de Messine, nous trouvons 
					cette note intéressante : Repertum inter studia autographica 
					Pétri Breuggelii. pictoris nostri saeculi eximii,ab ipsomet 
					delineatum, communicavit G. Houfnaglius 1617. Breughel mort, Hoefnagel pouvait sans danger s'emparer de son oeuvre; mais 
					sa probité le lui défend. 
					Au bas de la vue de Linz, fort belle planche d'ailleurs, on 
					lit : «  Effigiavit Lucas a Walckenburg; communicavit 
					Georgius Houfnaglius. La vue de Gmunden porte cette 
					inscription : Ex archetypo Lucoe Van Walckenborch, effigiavit 
					Georgius Houfnaglius anno 1594. Le peintre Lucas de Walckenbourg, dont il est ici question, est né à Malines, et 
					s'était fixé à Anvers quand les événements qui décidèrent 
					Hoefnagel à un exil volontaire, lui firent prendre aussi la 
					résolution de s'expatrier. Il se dirigea vers l'Allemagne et 
					trouva un protecteur dans l'archiduc Mathias, qui le prit à 
					son service. Il passa plusieurs années à Linz, près de ce 
					prince. Les noms de Lucas de Walckenbourg et d'Hoefnagel 
					sont réunis dans un compte des dépenses de l'archiduc 
					Ernest, pendant son voyage de Vienne à Prague et de Prague à 
					Bruxelles, d'octobre 1593 à juin 1594. On y trouve, sous la 
					rubrique de Francfort : «  A maître Lucas, pour une vue de la 
					ville de Linz, 50 thalers. » Puis : «  Pour les estampes d'Hoefnagel, 
					1 florin 40 sols. Pour relier les estampes d'Hoefnagel, 50 
					sols. » Sous la date de Bruxelles enfin : «  Envoyé à maître 
					Lucas de Walckenbourg, peintre, 240 florins. » La vue de 
					Linz, achetée par l'archiduc Ernest, était vraisemblablement 
					l'original dont Hoefnagel a fait une copie. Cette 
					acquisition a eu lieu en 1594 et c'est précisément la date 
					que porte l'estampe du Théâtre des cités du monde. L'extrait 
					de compte que nous venons de citer prouve qu'Hoefnagel a 
					résidé à Francfort. C'est dans cette ville qu'il a eu 
					communication de Lucas de Walckenbourg, et qu'il a vendu à 
					l'archiduc, les estampes mentionnées dans le registre des 
					dépenses de celui-ci. 
					Une vue de Cassovia (Hongrie) porte cette inscription: 
					Depict. ab Egidio Van der Rye Belga; communicavit G. 
					Houfnaglius, 1617. Égide ou Gilles Van der Rey était un des 
					nombreux peintres flamands qui allaient, à cette époque, 
					chercher fortune à l'étranger. M. Nagler dit qu'il habita 
					Gratz, en Styrie, et qu'il y fut au service du duc Charles 
					Ier, dont il décora le palais de peintures à fresque. Le 
					musée de Vienne possède, de cet artiste, un tableau sur 
					cuivre représentant l'inhumation de sainte Catherine. 
					Nous avons dit qu'Hoefnagel indiquait, avec une conscience 
					scrupuleuse, la source d'où il avait tiré les dessins de 
					celles des vues qu'il n'avait pas prises lui-même d'après 
					nature. Quand il reproduisait l'oeuvre d'un confrère, il le 
					citait, fût-il mort comme Pierre Breughel. Lorsqu'il n'avait 
					eu pour éléments de son travail que des croquis anonymes, il 
					en faisait mention dans des inscriptions ainsi conçues : 
					Acceptum aliunde, ou : Communicavit G. Hoefnaglius, acceptum 
					ab alio, ou : Acceptum ab amico; communicavit, etc., ou 
					bien encore : Ex depicto aliorum;communicavit. 
					Tous les biographes d'Hoefnagel s'accordent à dire qu'il 
					mourut en 1600. S'ils avaient ouvert le Théâtre des cités du 
					monde, ils y auraient vu plusieurs planches signées de notre 
					artiste et portant la date de 1617. Le dernier volume de 
					l'ouvrage à la publication duquel il eut une si grande part, 
					ayant été imprimé en 1618 et ne contenant pas de dessins 
					postérieurs aux siens, on ignore jusqu'à quelle époque il 
					prolongea sa carrière. 
					Jacob Hoefnagel, ce fils de notre artiste dont nous avons 
					dit que de nombreux dessins, retouchés par son père, furent 
					donnés dans le grand ouvrage du chanoine de Cologne, était 
					graveur en même temps que peintre. Il publia en 1592, à 
					Francfort, un recueil de 52 planches en quatre parties, 
					intitulé : Archetypa studiaque patris Georgii Houfnaglii 
					Jacobus fil. genio duce ab ipso sculpta omnibus philomusis 
					amice dicat ac communicat. M. Brunet, dont l'exactitude 
					bibliographique est rarement en défaut, prend l'indication 
					de la parenté pour un nom patronymique, appelle l'artiste 
					Pat. Georg. Hoefnagel, et dit que le recueil se compose de 
					fleurs, de fruits et d'insectes. 
					Georges Hoefnagel a laissé un second fils, appelé Jean, 
					peintre qui paraît s'être appliqué particulièrement à 
					l'exécution de planches d'histoire naturelle, et s'être fait 
					une certaine renommée par des travaux de cette nature. On a 
					publié d'après lui, en 1650, un recueil ayant pour titre :Diversae 
					insectarum volatilium icones ad vivum accuratissime depictae 
					per celeberrimum pictorem D. J. Hoefnagel. 
					La Belgique ne possédait aucune production originale de 
					Georges Hoefnagel, lorsqu'une circonstance toute 
					providentielle vint permettre de combler cette lacune de nos 
					collections. En 1852, un Anglais qui avait résidé quelque 
					temps dans un des hôtels de Bruxelles, y laissa, ce qui se 
					voit quelquefois, un compte arriéré, en nantissement duquel 
					il remit une miniature enfumée. L'hôte n'estimait guère ce 
					gage; mais faute de mieux il l'accepta. L'Anglais ne s'étant 
					pas présenté pour acquitter sa dette à l'époque fixée, le 
					maître d'hôtel vint offrir au conservateur des manuscrits de 
					la bibliothèque de Bourgogne de lui céder la miniature en 
					question, contre le remboursement de la somme pour laquelle 
					elle était engagée. Le marché fut conclu, marché 
					très-heureux, car il mettait notre dépôt public en 
					possession d'une admirable peinture de Georges Hoefnagel, 
					signée de l'artiste et offrant le spécimen le plus complet 
					de son merveilleux talent. Le sujet est une vue de Séville 
					prise de la rive opposée du Guadalquivir, avec des groupes 
					de figures au premier plan, des barques de pêcheurs sur le 
					fleuve et une longue perspective de la ville au fond. 
					L'encadrement, d'une richesse inouïe, est formé des emblèmes 
					de la paix et de la guerre, des attributs des différents 
					règnes de la nature, avec une représentation allégorique de 
					la conquête de l'Amérique par l'Espagne, le tout couronné 
					par un portrait de Philippe II, assis sur un trône d'or 
					entre deux évêques. Cet encadrement échappe à l'analyse par 
					l'innombrable quantité d'objets qui s'y trouvent 
					représentés. L'exécution en est d'une délicatesse qui 
					dépasse tout ce qu'on connaît en ce genre, et cependant elle 
					est exempte de sécheresse. L'artiste a su allier le moelleux 
					de la touche avec le dernier degré du fini. Il a signé son 
					oeuvre en toutes lettres: Georgius Houfnagle antverpianus 
					faciebat anno 1573; et il ajoute natura sola magistra, car 
					c'était, on l'a déjà vu, sa grande prétention, de s'être 
					formé sans maître, et d'avoir un talent en quelque sorte de 
					révélation; outre la date de 1573, inscrite au bas de 
					l'encadrement, à la suite du nom d'Hoefnagel, on lit celle 
					de 1570, sous la vue de Séville. On n'en peut pas conclure 
					que le peintre ait employé trois années à l'exécution de 
					cette miniature; il s'y est sans doute repris à deux fois, 
					et l'idée d'entourer d'un somptueux encadrement sa vue de 
					Séville ne lui sera venue qu'après coup. Dans quelle 
					circonstance et pour quel grand personnage Hoefnagel a-l-il 
					fait ce chef-d'oeuvre de talent et de patience ? C'est ce 
					qu'on ignore. On peut affirmer seulement que sa peinture n'a 
					pas été faite dans le pays dont elle reproduit un site, car 
					il avait visité l'Espagne de 1563 à 1565, et à la date que 
					porte son dessin il était en Allemagne, de retour de sa 
					pérégrination à travers l'Italie.  
				
                  Note 
					sur le clou :  on notera sur la gravure 
					représentant Hoefnagel ci-dessus, la 
					présence du clou de maréchal ferrant, sens allemand de 
					Hoefnagel, dont Fétis rappelle qu'il a servi de signature à 
					l'artiste. 
					Cette signification n'a pas échappé à certains chercheurs : 
					on trouve ainsi dans le Bulletin historique et monumental 
					de l'Anjou de 1867-1868, une interrogation sur la vue 
					d'Angers en 1561 :  
					«  Nous devons à l'obligeance d'un honorable négociant 
					d'Angers, M. Lucien Lévesque, très-versé dans l'étude des 
					antiquités de notre ville. la communication du curieux 
					dessin qui accompagne cette livraison. C'est une vue 
					générale de la ville d'Angers au seizième siècle. 
					L'observateur étant placé en reculée, a devant lui la Maine 
					et. la ville étagée sur la rive droite. 
					La gravure est signée G. Houfnaglius, ann. Dni. 1561. 
					Qui était-ce que G. Houfnaglius, dont le nom latinisé semble 
					indiquer une origine allemande ou hollandaise (1)? Toutes 
					les recherches que nous avons faites à ce sujet ne nous ont 
					rien fait découvrir. Nous ne savons pas non plus ce qui a pu 
					déterminer cet Houfnaglius à publier une vue d'Angers. Il 
					est certain toutefois que notre gravure a été détachée d'un 
					ouvrage in-folio, qui devait être une sorte de voyage à 
					travers la France, ou peut-être seulement une suite de 
					notices sur nos principales villes accompagnées de gravures. 
					En effet, un autre exemplaire, que possède M. L. Lévesque, 
					réunit à la fois cette même vue d'Angers et une vue de 
					Tours, Au verso de ce dernier exemplaire est une notice en 
					allemand; au verso du nôtre, la notice est en français. D'où 
					nous devons conclure très-facilement, que l'ouvrage enrichi 
					des dessins d'Houfnaglius a eu, au moins, deux éditions. 
					[...] 
					(1) Houfnaglius veut dire en Allemand «  clou de fer à 
					cheval. » » 
					 
					Et on retrouve effectivement le clou au centre de la 
					représentation de Solfatara du Civitates orbis terrarum, 
					forgé sur une enclume par les allégories de l'Envie et de 
					l'Ignorance, et portant le prénom du graveur : 
				
                    
	  
					
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						 Rédaction : 
						Thierry Meurant  | 
					 
				 
				
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