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Joris Hoefnagel (1542-16..)

Voir aussi Joris Hoefnagel (1542-1600)


Dans de nombreuses chroniques sur les gravures représentant Blâmont, est cité le nom de Hoefnagel. Il était temps de lui consacrer un article plus détaillé.

Voir
-
Texte de la Gravure de Hoefnagel
- Hoefnagel et les gravures en couleurs


Joris (Georges, Georgius) Hoefnagel, peintre, miniaturiste, voyageur et poète anversois, est né à Anvers en 1542. Il serait mort à Vienne le 9 septembre 1601 ( ? cette date, très précise est cité par certaines biographies, sans donner de sources. Mais alors, comme le fait remarquer Edouard Fétis, pourquoi existe-t-il dans le Civitates orbis terrarum des planches signées de Hoefnagel et datées de 1617 ? ).
Contraint par son père de travailler dans l'entreprise familiale de diamantaire, il étudie néanmoins les arts à Malines avec Hans Bol (1543-1593), et voyage en Angleterre, France et Espagne. Il en rapporte des dessins qui seront exploités ultérieurement, dans les six volumes du Civitates orbis terrarum que Georg Braun éditera à Cologne de 1572 à 1617.

Il épouse à Anvers le 12 novembre 1571, Suzanne van Onsen. (Noces peintes par François Pourbus l'ancien 1545-1581). Après l'invasion d'Anvers par les troupes espagnoles en 1576, l'entreprise familiale et ruinée. Noces de G. Hoefnagel

 En 1577, Hoefnagel reprend ses voyages, accompagné de son ami le géographe Ortelius : il visite successivement Augbourg, Munich, Venise, et Rome, où il refuse les offres du cardinal Farnèse pour honorer l'engagement de devenir artiste de cour auprès de l'électeur de Bavière Albert V. Il voyage ensuite à Naples, Venise, Munich, puis Insbrück où il réalise de 1582 à 1590 un missel pour l'archiduc Ferdinand d'Autriche. On le voit ensuite continuer ses voyages (en Angleterre, à Francfort en 1594, à Prague... où il complète ses illustrations pour le Civitates Orbis Terrarum)
Il se fixe enfin à Vienne, où il s'adonne à la miniature et à la poésie latine.
La notice biographique la plus complète sur Georges Hoefnagel a été écrite par Edouard Fetis (1812-1909) reproduite ci-dessous.

Ajoutons que le fils de Joris, Jacob (1575 Anvers - 1630), a été vraisemblablement formé par son père à la peinture. Ils travaillent ensemble dans les années 1590-1600 : en 1592, Jacob publie des séries d'estampes d'après les dessins de son père, et dès 1595 réalise des dessins, sans doute aussi pour le Civitates Orbis Terrarum de Braun et Hogenberg. Il accompagne son père à Prague en 1599, où il demeurera et sera nommé Kammermaler.

G. Hoefnagel G. Hoefnagel
(voir ci-dessous la note sur le clou)

Les artistes belges à l'étranger: études biographiques
Edouard Fetis
1857

GEORGES HOEFNAGEL.

Encore une vocation contrariée et qui trouve en elle-même la force nécessaire pour triompher des obstacles. C'est un thème qui se reproduit dans une foule de biographies d'artistes, varié seulement par quelques détails particuliers. Le héros de ce roman, dont le début offre une parfaite analogie avec tant d'autres chapitres de l'histoire des hommes poussés par l'impulsion propre de leur nature dans la sphère des travaux intellectuels, s'appelait Georges Hoefnagel. Il est né à Anvers en 1545. Son père était un riche marchand de diamants. Le trafic des pierres précieuses était un des éléments nombreux de la prospérité de notre métropole commerciale. Elles y étaient apportées par les Portugais, suivant Guichardin. Cet écrivain nous apprend qu'il y avait à Anvers, en 1560, c'est-à-dire à l'époque de la jeunesse d'Hoefnagel, «  cent vingt orfèvres, sans un grand nombre de lapidaires et autres tailleurs et graveurs de pierreries, lesquels, ajoute l'auteur, font des oeuvres admirables. » On sait que de tout temps les négociants ont mis une sorte de point d'honneur à ce que leurs fils continuent après eux les opérations commerciales dans lesquelles ils se sont eux-mêmes enrichis. La gloire de perpétuer la maison qu'ils ont fondée ou dont ils ont reçu le dépôt héréditaire, est celle dont ils sont le plus jaloux, pour eux aussi bien que pour leurs descendants. Cette gloire est préférée par eux à la fortune. Le père de Georges Hoefnagel, imbu de ces idées, voulait que son fils fût marchand de diamants comme lui. Cependant Georges n'avait aucun penchant pour les transactions du commerce. Artiste d'instinct, il passait à dessiner tout le temps qu'il pouvait dérober à la surveillance paternelle. Ses cahiers d'écolier étaient couverts de croquis où se manifestaient et la justesse de son coup d'oeil et la fermeté de sa main. Decamps nous dit qu'à défaut de papier, il traçait sur le sable; mais ce n'est là sans doute qu'une nouvelle édition de l'épisode si connu de la vie de Giotto, et qui cette fois n'avait pas le mérite de la vraisemblance, car il n'est guère permis de supposer que le fils du riche négociant ait été réduit, comme le pauvre berger, à esquisser sur le sable des images fugitives. Ce qui paraît certain, c'est que Georges Hoefnagel ne pouvait pas donner un libre cours à ses fantaisies pittoresques. Une de ces circonstances qui viennent toujours à point en aide aux hommes doués d'une vocation sérieuse, seconda notre jeune dessinateur dans ses tentatives jusqu'alors peu fructueuses pour vaincre la résistance de son père à des projets qualifiés de rêves chimériques. Un ambassadeur de Savoie étant venu visiter Anvers, entra chez Hoefnagel, le marchand de diamants, pour faire quelques acquisitions. Pendant qu'on se mettait en devoir de satisfaire à sa demande, il aperçut dans un coin de la boutique Georges qui dessinait, selon son habitude. L'ambassadeur s'approcha de lui, fut frappé des dispositions qui se révélaient dans le simple caprice d'un crayon encore inexpérimenté et en fit tout haut l'observation. Le négociant, peu touché des éloges donnés à son fils, se plaignit amèrement de la désobéissance de celui-ci, ajoutant qu'il saurait bien toutefois le contraindre à laisser là ses dessins pour s'occuper des choses du commerce. L'ambassadeur lui déclara qu'il aurait tort et il le lui prouva par de si bonnes raisons, outre qu'il fit des achats assez considérables, que le marchand finit par promettre de ne plus contrarier les penchants de son fils. La parole d'un ambassadeur avait alors du poids, et le plus fier bourgeois ne pouvait se soustraire entièrement à son ascendant, fût-il de nos provinces où régnait un sentiment si général et si vif d'indépendance.
Georges Hoefnagel, libre désormais de toute entrave, n'ayant plus rien à démêler avec les arides travaux du négoce, se livra entièrement à ses études favorites. Semblable aux artistes de son temps, qui avaient, on est bien forcé de le reconnaître, cette supériorité sur la plupart de ceux de notre époque, il visait à des connaissances variées, et, sans négliger le dessin, apprenait à lire dans les textes originaux les grands écrivains de l'antiquité. On n'avait pas encore inventé les spécialités, vilain mot et vilaine chose; on ne croyait pas qu'il suffît à un homme de se distinguer dans la pratique d'un art, et que l'habileté qu'il pouvait y acquérir pût le dispenser de se mettre, par d'autres études, en communication avec le reste du monde intellectuel. Les talents du peintre, du graveur et de l'architecte; ceux du statuaire, du poète et du musicien se trouvaient souvent réunis chez le même artiste. On ne dira pas que cette variété de connaissances était un obstacle au complet développement de l'une d'elles; les oeuvres des maîtres dont nous parlons feraient aisément foi du contraire. Mais revenons à Georges Hoefnagel que nous avons laissé en pleine possession d'une liberté dont il profitera si bien.
Lorsqu'il crut son talent de dessinateur suffisamment formé pour pouvoir commencer avec fruit une étude sérieuse de la nature, Hoefnagel sollicita de son père l'autorisation de voyager. Avec cette autorisation, il obtint ce qui lui était nécessaire pour en pouvoir user, c'est-à-dire une pension dont le marchand de diamants, réconcilié avec la peinture par les arguments persuasifs de l'ambassadeur de Savoie, éleva généreusement le chiffre.
Chaque artiste, on le sait, a une vocation particulière. Celle de Georges Hoefnagel était la reproduction des scènes extérieures de la nature. L'Espagne lui parut devoir offrir d'abondantes ressources à son crayon. C'est donc vers cette contrée qu'il se dirigea, en explorant la partie de la France qu'il devait traverser pour y arriver. On voyageait alors moins rapidement et moins commodément qu'aujourd'hui; mais on voyageait de manière à connaître le pays parcouru, ce qui n'a plus lieu, il faut en convenir. L'artiste qui cheminait à pied, le sac sur le dos et le bâton à la main, prenant parfois le coche pour franchir une plaine aride et le quittant dès que le terrain redevenait accidenté, allait bien mieux à son but que celui qui a recours aux moyens de transport inventés par la civilisation moderne. Il ne se bornait pas à visiter les grandes villes et leurs environs; il pénétrait dans l'intérieur des terres et saisissait le côté le plus caractéristique de la physionomie de chaque pays. C'est ainsi que Georges Hoefnagel accomplit son pèlerinage d'Espagne. Chemin faisant il dessinait un site pittoresque, une ville ouverte ou fortifiée, un château féodal, une chaumière, les costumes différents pour chaque province et souvent même pour des cantons de la même province. Aussi ses compositions, dont il sera parlé plus tard, intéressent-elles par une foule de détails précieux pour l'étude des moeurs du temps.
Après une longue absence, Georges Hoelnagel revint en Belgique, rapportant une riche moisson de croquis. Il n'était encore que dessinateur. Voulant devenir peintre, il prit, dit-on, des leçons de Jean Bol, qui résidait à Malines, ville où régnait alors une grande activité intellectuelle et où l'on ne comptait pas moins de cent cinquante ateliers, s'il faut en croire les historiens. Notre artiste ne se sentait pas attiré vers la peinture à l'huile. La miniature sur parchemin et la gouache étaient les genres qu'il affectionnait. C'est ce qui lui fit rechercher les conseils de Jean Bol, peintre en détrempe justement renommé. Il mania bientôt le pinceau aussi habilement que le crayon, et n'eut plus d'avis à demander qu'à sa propre expérience.
Hoefnagel s'était fixé à Anvers, dans la maison de son père, pour mettre à profit les matériaux qu'il avait rapportés d'Espagne. Il y trouvait une douce et paisible existence. Libre, indépendant, riche dans l'avenir, il ne connaissait aucun des soucis, aucune des nécessités de la vie matérielle contre lesquelles se débattent, dans leur jeunesse, la plupart des artistes dont cette lutte de tous les instants contre de prosaïques exigences, use souvent les forces avant l'âge. Il pratiquait en toute sérénité d'esprit le culte des Muses, s'il nous est permis d'employer cette expression de la littérature fleurie, passant de la peinture à la poésie, et qui plus est à la poésie latine. Une nuit, nuit funeste pour la Belgique, tout l'échafaudage de son bonheur présent et de ses espérances fut renversé. C'était le 3 novembre 1576. Les Espagnols étaient sortis de la citadelle et s'étaient précipités, comme un torrent furieux, sur la malheureuse cité d'Anvers qu'ils mettaient à feu et à sang. L'incendie dévorait l'hôtel de ville avec son trésor d'objets d'art; il anéantissait le quartier habité par les plus riches négociants; les soldats de Romero et de Navaresse, avides de meurtre et de pillage, pénétraient chez les habitants et enlevaient tout ce qu'ils trouvaient d'objets précieux. Il était impossible que le père d'Hoefnagel pût se soustraire à leurs exactions. En vain s'était-il empressé de cacher ses diamants et ses pierreries; il lui fallut tout livrer sous peine de la vie. Sa ruine fut complète. Combien ne dut-il pas se féliciter d'avoir cédé aux conseils de l'ambassadeur de Savoie, en permettant à son fils d'acquérir un talent qui devenait désormais son unique ressource !
Georges Hoefnagel ne songea plus qu'à s'éloigner d'Anvers, où tout devait réveiller en lui des souvenirs pénibles. A cette triste époque de noire histoire, quiconque avait des sentiments d'indépendance et de fierté, préférait l'expatriation à l'humiliation de subir l'odieux régime qui pesait sur nos malheureuses provinces. Hoefnagel se disposait donc à reprendre le cours de ses voyages; mais une pensée amère se mêlait cette fois au désir de voir des contrées nouvelles et d'y chercher des sujets d'études, car il s'agissait non d'une exploration temporaire, mais d'un exil. Heureusement il trouva un compagnon, le célèbre géographe Ortelius qui, lui aussi, éprouvait le besoin d'aller au dehors respirer un air plus libre et qui, d'ailleurs, avait un but scientifique à remplir dans ses voyages: l'achèvement du Thésaurus geographicus, pour lequel il avait déjà parcouru une partie de l'Europe, afin de relever, d'après les inscriptions, les anciens noms de lieux.
Hoefnagel et Ortelius quittèrent Anvers et se dirigèrent vers l'Italie par l'Allemagne. Les deux voyageurs s'arrêtèrent à Augsbourg, où ils furent reçus par les Fugger avec la généreuse hospitalité que ces princes du commerce européen se taisaient honneur d'exercer à l'égard des savants et des artistes. Les belles collections de tableaux et d'antiques formées par Raimond Fugger retinrent quelque temps nos Anversois. Ils virent avec curiosité la chambre où logea Charles-Quint à son retour de l'expédition de Tunis et où le chef de l'opulente famille des Fugger avait régalé son hôte illustre du feu d'un fagot de cannelle, allumé avec la reconnaissance d'une somme considérable souscrite par le puissant Empereur.
D'Augsbourg, Hoefnagel et Ortelius allèrent à Munich. Les Fugger, qui étaient en relation avec tous les souverains de l'Europe, leur avaient donné une lettre de recommandation pour l'électeur de Bavière. Ce prince fit droit à la traite tirée sur sa bienveillance. Il voulut guider en personne les deux voyageurs dans leur première visite aux monuments de la capitale. Ami des arts, il exprima à Hoefnagel le désir de voir de ses ouvrages. Celui-ci lui fit remettre quelques feuilles de vélin sur lesquelles s'était exercé son pinceau ingénieux et patient. Ces miniatures, que sa modestie était loin d'estimer à leur juste valeur, furent vivement admirées de l'électeur, qui envoya, dès le lendemain, demander à l'artiste d'indiquer le prix auquel il consentirait à s'en défaire. Hoefnagel n'avait pas encore tiré partie de la vente de ses dessins. Son père lui avait remis, à son départ, une somme provenant des débris de sa fortune anéantie dans le sac d'Anvers, et comme il n'était pas encore à bout de ressources, il était sur le point de répondre à l'électeur qu'il lui faisait gratuitement hommage de ses peintures. Ortelius l'empêcha de céder à ce mouvement d'une générosité tout à fait inopportune. Oubliait-il qu'il ne devait plus compter que sur ses pinceaux pour s'assurer à l'avenir des moyens d'existence ? N'était-ce pas commencer très-heureusement l'exploitation de son talent à laquelle le contraignait le sort, que de vendre ses ouvrages à un prince renommé par son goût pour les arts ? Il débutait ainsi sous les plus heureux auspices dans une carrière où son amour-propre pourrait bien n'être pas toujours aussi ménagé. Hoefnagel céda aux bonnes raisons que lui donnait Ortelius et lui promit de mettre un prix aux miniatures dont l'électeur avait exprimé le désir de faire l'acquisition. Toutefois, comme il semblait ne pas se soucier d'entamer directement cette négociation, Ortelius lui dit de ne s'en point mêler et qu'il se chargeait de tout.
Ortelius alla trouver l'électeur, lui apprit qu'elle était la position d'Hoefnagel, comment la ruine de son père l'avait obligé de prendre au sérieux une profession qu'il était destiné à n'exercer que comme amateur, et termina en demandant cent écus d'or pour les dessins soumis au prince. La somme fut comptée à l'instant au négociateur officieux qui la porta tout joyeux à son ami. L'électeur ne s'en tint pas là. Il proposa à notre artiste de se fixer à sa cour, moyennant une pension d'un chiffre élevé. Hoefnagel opposa à cette offre des obstacles qui en empêchaient la réalisation, immédiate du moins. Il voulait poursuivre le voyage qu'il avait entrepris avec Ortelius; et puis, ne sachant où il établirait sa résidence, il avait laissé sa femme à Anvers et il devait prendre des mesures pour la rapprocher de lui. N'était-ce que cela ? Le prince pourvut à tout. Il fit envoyer à la femme d'Hoefnagel une somme de deux cents écus d'or pour qu'elle pût venir attendre son mari à Munich. Quant à celui-ci, toute latitude lui fut donnée pour terminer avec Ortelius son excursion en Italie.
Les biographes d'Hoefnagel et ceux d'Ortelius ont laissé peu de détails sur le séjour qu'ont fait les deux Anversois au delà des Alpes. Les principaux épisodes de leur voyage sont cependant consignés dans les inscriptions des dessins d'Hoefnagel, gravés dans un recueil dont nous aurons à parler longuement. Decamps, qui a copié et mal copié Van Mander, selon son habitude, dit que Georges Hoefnagel étant arrivé à Venise et ne croyant pas que ses talents pussent suffire à sa subsistance, prit le parti de se faire courtier; mais qu'il fut détourné de ce projet par les encouragements du cardinal Farnèse. La bévue est d'autant plus étrange, que Decamps vient d'entretenir ses lecteurs des propositions faites à Hoefnagel par l'électeur de Bavière pour le fixer à sa cour. Le biographe français n'a pas compris Van Mander, lequel affirme, au contraire, qu'Hoefnagel avait songé à s'établir à Venise comme courtier de commerce, mais que l'heureuse issue de la négociation dont s'était chargé Ortelius lui montra le parti qu'il pourrait tirer de son talent. Decamps a tout confondu d'ailleurs en plaçant à Venise les rapports qu'il y eut entre Hoefnagel et le cardinal Farnèse. C'est à Rome qu'Ortelius présenta son ami à ce protecteur des savants et des artistes. Le cardinal fut émerveillé des travaux du peintre anversois. Il lui offrit un traitement considérable pour le décider à entrer à son service; mais esclave de la parole qu'il avait donnée à l'électeur de Bavière, il déclara ne pouvoir accepter.
De Rome Hoefnagel ne revint pas à Venise et de là à Munich, comme l'ont écrit Van Mander et Decamps. Il alla visiter Naples avec Ortelius, et fit même un assez long séjour dans cette belle contrée qui offrait à son compagnon, ainsi qu'à lui, d'inépuisables sujets d'études. L'art et la la science firent leur profit de ce pèlerinage dont nos deux Flamands ne virent pas arriver le terme sans regret. Hoefnagel a tracé, au bas des dessins pris aux environs de Naples, des inscriptions qui témoignent qu'aucun autre lieu ne fit sur son esprit autant d'impression.
Les deux voyageurs parcoururent encore l'Italie dans toute son étendue, pour revenir de Naples à Venise, s'arrêtant partout où ils trouvaient, celui-ci le motif d'un dessin pittoresque, celui-là des inscriptions à recueillir, des faits de la géographie ancienne à constater, des curiosités archéologiques à observer; car Ortelius était antiquaire autant que géographe, ainsi qu'on en a pu juger par les collections de bronzes et de médailles dont il avait formé, dans sa maison d'Anvers, un musée plein d'intérêt.
Arrivés à Munich, Ortelius et Hoefnagel se séparèrent, le premier pour retourner à Anvers coordonner les matériaux qu'il avait rassemblés, le second pour prendre possession de l'emploi que lui réservait l'électeur de Bavière. On cite ce trait caractéristique des usages du temps, qu'outre son traitement, Hoefnagel recevait chaque année du prince des étoffes de velours et de soie pour ses habits.
L'archiduc d'Autriche Ferdinand eut occasion de voir les peintures d'Hoefnagel et conçut pour le talent de l'artiste anversois une si haute estime, qu'il fit de vives instances auprès de l'électeur pour qu'il consentît à le laisser passer à son service. Une cession pleine et entière de son miniaturiste favori n'entrait pas dans les vues de l'électeur; mais il le céda pour un certain temps à l'archiduc. Cet arrangement convenait assez à Hoefnagel, en ce qu'il lui fournissait l'occasion d'aller voir de nouveaux sites. Ferdinand l'emmena, en effet, à Inspruck où il avait sa cour, et, pour suivre de plus près des travaux auxquels il portait un vif intérêt, il l'installa dans le château d'Ambras, sa résidence. Hoefnagel fut chargé, par son nouveau patron, d'illustrer un missel sur vélin. Il consacra, dit-on, huit années à l'accomplissement de cette tâche. On ne s'étonnera pas de la longueur du temps qu'il y consacra, lorsqu'on saura que les marges du livre étaient entièrement couvertes non pas seulement d'ornements, d'arabesques et de guirlandes, mais de compositions allégoriques se rapportant au texte et faites avec une merveilleuse délicatesse de pinceau. Pendant les huit années qu'il employa à l'exécution de ce chef-d'oeuvre, Hoefnagel reçut de l'archiduc Ferdinand une somme annuelle de huit cents florins, plus une somme de deux mille couronnes d'or après son entier achèvement, plus encore une chaîne magnifique, comme témoignage particulier de satisfaction. Ces chiffres et ces actes parlent éloquemment en faveur des princes qui savaient donner aux artistes de tels encouragements et de telles récompenses.
La renommée que valurent à Hoefnagel des travaux d'une perfection incomparable parvint jusqu'à l'empereur Rodolphe qui avait une prédilection marquée pour les oeuvres des artistes flamands, ainsi que nous l'avons dit dans notre notice sur les Sadeler, et qui fît engager le miniaturiste anversois à lui consacrer un talent dont l'électeur de Bavière et l'archiduc Ferdinand tenaient de lui de si brillantes preuves. Hoefnagel se rendit à ce désir de l'Empereur. Il vint à Prague et peignit pour Rodolphe quatre livres offrant la représentation des principales espèces d'animaux: quadrupèdes, oiseaux, reptiles et poissons des différentes parties du monde. Homme de goût et d'invention, Hoefnagel n'aurait pas choisi de lui-même, sans doute, ces arides sujets. Il y a lieu de croire qu'ils lui furent indiqués par l'empereur Rodolphe, dont on sait le goût pour les sciences naturelles. L'ingénieux et habile pinceau d'Hoefnagel parvint à donner un intérêt d'art à des motifs de dessins, qui, traités par d'autres, n'auraient eu qu'un mérite d'exactitude scientifique. l'Empereur le récompensa magnifiquement et lui assura une pension qui le rendit indépendant.
Quoiqu'il n'eût eu, certes, qu'à se louer de la manière dont il avait été traité par ses hauts et puissants protecteurs, Hoefnagel éprouva le besoin d'échapper aux obligations qu'impose le séjour des cours. L'électeur de Bavière, l'archiduc d'Autriche, l'empereur Rodolphe ne s'étaient pas seulement montrés généreux à son égard, ils lui avaient témoigné cette considération plus précieuse au véritable artiste que l'argent dont on paye ses oeuvres; mais cela n'empêchait pas Hoefnagel d'aspirer à une existence complètement libre. Avec l'agrément de l'Empereur, il se retira à Vienne où il vécut dans l'aisance que lui avait procurée ses pinceaux, partageant ses loisirs, disent Van Mander et Decamps, entre la peinture et la poésie latine.
Hoefnagel n'a été considéré que comme miniaturiste par les biographes, qui, à quelques faits de l'histoire de sa vie, se sont bornés à ajouter l'indication des manuscrits qu'il décora de somptueuses illustrations pour Ferdinand d'Autriche et pour l'empereur Rodolphe. Si l'on s'en tenait aux renseignements qu'ils ont donnés, on en serait réduit à n'accorder à l'artiste qu'une admiration de confiance. Il existe heureusement un recueil plein de gravures, d'après les dessins d'Hoefnagel, mais dont personne ne parle, et qui semble avoir été ignoré de tous les iconographes, bien qu'il se trouve dans la plupart des grandes bibliothèques. Ce recueil nous montre le talent du peintre anversois sous les aspects les plus divers; il le fait apprécier comme peintre de genre, paysagiste, archéologue, observateur et fidèle interprète des moeurs des contrées qu'il visite; il nous permet de le suivre dans ses voyages et de rectifier beaucoup d'erreurs de ses historiens. D'où vient que l'ouvrage en question, dont l'impression a multiplié les exemplaires, n'a pas été connu des écrivains qui se sont occupés d'Hoefnagel? Ce n'est pas que l'auteur se soit caché sous le voile de l'anonyme, car les planches dont il a fourni les dessins sont signées en toutes lettres, et datées qui plus est. La cause véritable, c'est que la publication dont il s'agit et qui ne comprend pas moins de six volumes in-folio, n'est pas artistique, pour nous servir d'un adjectif consacré par l'usage, mais géographique. Les géographes, n'étant pas artistes, n'ont pas prêté vraisemblablement une grande attention à l'élément pittoresque du recueil; les artistes, n'étant pas géographes, n'ont pas été chercher dans un livre qui ne paraissait pas être fait pour eux les dessins du miniaturiste de Rodolphe II. Telle est l'explication plausible de l'oubli profond où est resté le plus important, le seul accessible des témoignages du talent d'Hoefnagel. Van Mander a bien dit qu'il avait donné au public un livre contenant les dessins recueillis dans ses voyages; mais cette indication vague et inexacte prouve qu'il n'a pas connu l'ouvrage dont il parlait.
Le recueil si digne de fixer l'attention des artistes est intitulé: Civitates orbis terrarum in aes incisae et excusae et description topographica et politica illustratae, collaborantibus Francisco Hohenbergio chalcographico, et Georgio Hoefnagel. Coloniae ab anno1572 ad 1618, 6 vol. in-fol. L'auteur du texte était Georges Bruin, chanoine de Cologne. Aux descriptions des principales villes des différentes parties du monde, et surtout de l'Europe bien entendu, sont jointes des vues en perspective, des plans, des cartes, etc. fl a été fait une traduction française des quatre premiers volumes.
On lit peu les préfaces; c'est un tort. Les préfaces de beaucoup de vieux livres, dédaigneusement appelés bouquins par les gens qui ont la prétention d'être de leur temps, contiennent parfois des choses fort intéressantes et qu'on chercherait vainement ailleurs. C'est ainsi que, dans l'avant-propos de son Théâtre des cités du monde, Georges Bruin parle du concours que lui ont prêté Ortelius et Hoefnagel pour l'exécution de ce vaste ouvrage, concours dont les biographes du premier n'ont pas plus fait mention que ceux du second. Le naïf exposé que fait le chanoine de Cologne du plan et des détails d'exécution de son livre est intéressant à plus d'un titre. Après avoir recherché comment les hommes se sont réunis en société, et quelles furent les premières constructions qu'ils élevèrent pour leur servir de demeures, en indiquant sommairement les progrès de l'architecture depuis les temps primitifs, l'auteur paye un tribut d'éloge et de reconnaissance à ses collaborateurs, lesquels sont tous Belges, il est bon de le remarquer. Ses premières félicitations s'adressent aux graveurs Simon Novellanus (Van den Neuvel) et François Hogenbergh, de Malines, «  dont les mains artificieuses ont mis tant d'art et de fidélité dans la reproduction des villes et des édifices, et qui ont donné tous les détails de l'architecture avec tant d'exactitude, qu'il ne semble pas que ce soit l'image des cités que l'on voit, mais les cités elles-mêmes par l'effet d'un artifice admirable. » Il ajoute que ces villes, il les ont en partie dessinées eux-mêmes d'après nature, et en partie reçues toutes peintes de ceux qui les avaient visitées : on verra plus loin que ceci s'adresse principalement à Hoefnagel. Le bon chanoine exprime des idées très-justes sur le secours que l'art de la gravure est venu prêter aux historiens et aux géographes pour compléter leurs descriptions. «  Ceux qui étudient l'histoire, dit-il, savent combien une pérégrination lointaine sert à acquérir la connaissance des choses. Les usages des nations, les lois, les moeurs, les coutumes, se comprennent beaucoup mieux en voyageant que par de simples lectures. Quel jugement peut avoir celui qui n'a jamais perdu de vue le clocher de sa paroisse et ne connaît rien que par ouï-dire? » Georges Bruin cite, comme l'ayant grandement aidé dans l'accomplissement de son oeuvre, Abraham Ortel, bourgeois d'Anvers, cosmographe éminent entre tous ceux de son temps. «  Et ne méritent pas moins de grâces, dit-il plus loin, ces grands admirateurs des sciences excellentes Georges Hofnaghel (Hoefnagel), marchand d'Anvers, et Corneille Caymox, desquels le premier nous a très-courtoisement communiqué les figures et pourtraits des villes d'Espagne tirées très-exactement au vif, et l'autre aucunes cartes des cités d'Allemaigne. »
Dans la préface de la partie de son ouvrage où sont décrites les villes d'Italie, le chanoine de Cologne confirme ce qui a été dit de la vocation toute spontanée de Georges Hoefnagel pour la peinture: «  Le tout, dit-il, est pourtrait et remontré en peinctures particulières de ce nostre théâtre naïfvement par l'industrie de Georges Hoefnagel, natif d'Anvers, peintre très-excellent, non par institution de maître, ains de don très-rare de nature. »
En parcourant la série des planches jointes à la description des villes d'Espagne dans le Théâtre des cités du monde, on accompagne Hoefnagel dans sa pittoresque exploration, on partage en quelque sorte les impressions qu'il a éprouvées, tant son crayon en a été le sincère interprète. Citer ici toutes les vues qu'il a données serait trop long et d'ailleurs inutile. Nous nous bornerons à indiquer celles qui témoignent de son esprit d'observation, et qui font connaître le parti que les paysagistes, et même les peintres d'histoire de notre temps, peuvent encore tirer de ses dessins.
A Barcelone Hoefnagel prend une vue du port d'après laquelle les peintres de marines peuvent concevoir une idée exacte de la forme des galères espagnoles au milieu du XVlme siècle. Dans les planches où sont représentées Séville et Cadix, le dessinateur a placé au premier plan des groupes de danseurs curieux à étudier pour les costumes et pour la forme des instruments de l'orchestre populaire. Près d'Ecija, la Stigis des Romains, chemine un chariot couvert de nattes tressées qui nous montre la construction des véhicules primitifs de l'Andalousie, lesquels n'ont peut-être pas beaucoup changé dans un pays dont les raffinements de la civilisation n'ont pas encore heureusement altéré la physionomie caractéristique. Aux environs de Burgos, voici des pâtres pittoresquement ajustés. Dans la planche de Grenade, Hoefnagel réunit les types des différentes classes de la population pour en représenter les costumes variés. Un cavalier traverse le paysage ayant une senora en croupe. Plus loin passe un âne chargé de jarres. Ce n'est pas un détail inutile : le peintre a voulu montrer comment se transportent les liquides dans cette partie de l'Espagne. A Saint-Sébastien, Hoefnagel place le martyr dont cette cité a pris le nom, attaché à un arbre et percé de flèches. Cette figure est hardiment dessinée.
Non-seulement l'artiste anversois fournissait à l'éditeur du Théâtre des cités du monde, les dessins de ses plus belles planches; mais il lui communiquait parfois les descriptions des contrées que reproduisait son crayon. Dans la vue d'Antequera, par exemple, on éprouve quelque surprise à l'aspect d'une jarre immense sur laquelle sont accoudés deux paysans armés de longues piques. Serait-ce un bizarre caprice du peintre ? Le texte vient nous donner une explication nécessaire : «  Ils ont en ce lieu, y est-il dit, des vaisseaux de terre d'une grandeur extraordinaire et d'une capacité digne d'être admirée, lesquels sont ventrus et propres à garder toutes sortes de fruits et liqueurs, comme eau, vin, huile, câpres, olives, etc. Nous avons eu toutes ces choses de très-excellent personnage, Hoefnagel, qui en a faict la pourtraicture et nous les a communiquez en langage thieoys. »
Pareil avertissement est donné par l'éditeur à l'occasion d'une vue de Velis-Malaga, à deux lieues de Malaga. Voici ses paroles : «  Le seigneur Hoefnagel, bien expérimenté en plusieurs choses par un long usage et qui a veu à l'oeil ce que nous avons ici traité, nous a assisté de cette description. » Aucun détail de moeurs n'a été négligé par notre artiste. Dans la planche dont il est ici question, il a mis des voyageurs montés sur des mules et escortés par un guide armé, comme ils le sont eux-mêmes, pour résister, le cas échéant, aux attaques des classiques bandits espagnols.
A Xérès se présentent d'autres épisodes caractéristiques. Deux cavaliers armés de longues lances et de boucliers singuliers semblent prendre part à une lutte animée. D'une autre part, voici des mules chargées de blé. Ce ne sont pas des accessoires de fantaisie introduits par le peintre dans le paysage, à cette seule fin de l'animer. Le texte nous apprend que les fameux genêts d'Espagne, excellents à la course et recherchés pour les tournois, viennent de cette province, qui fournit, ajoute l'auteur, du blé aux Pays-Bas, dans les temps de disette.
Dans une gorge des âpres montagnes de la Sierra Alhama, au milieu d'imposantes masses de rochers, se dessine un établissement de bains d'eaux thermales. Les costumes des figures qui garnissent ce paysage ont un reste des formes mauresques. A côté des scènes de l'intérieur des terres, se placent des épisodes de la vie maritime : on voit à Conil, localité située à six lieues de Gibraltar, des pêcheurs dépeçant du poisson, le salant et le mettant en barils.
Qui non ha visto Sevilla non ha visto maraviglia, telle est l'inscription mise par Hoefnagel à la grande et belle vue de Séville. Cette estampe est une des pièces capitales de son oeuvre. Elle a toute l'importance d'un tableau de genre, et l'esprit avec lequel l'artiste a représenté une scène piquante des moeurs du pays lui donne un intérêt qu'égalerait difficilement une composition de pure fantaisie. Le sujet est une double exécution judiciaire sans analogie avec les pénalités de notre Code. La première est intitulée : Execution de justicia de los cornados patientes. Le patient est monté sur un âne portant, ajusté sur son cou, un bois de cerf auquel sont fixés des drapeaux et des sonnettes; une vieille femme le suit et le frappe d'une houssine; l'alcade à cheval vient ensuite accompagné de deux estafiers; un héraut, la trompette à la main, marche en tête du bizarre cortège. La seconde scène de ce drame, moitié sérieux moitié burlesque, porte pour inscription : Execution d'alcaguettas publicas. Une femme s'avance sur un âne; elle a le haut du corps nu et couvert de grosses mouches, attirées sans doute par quelque matière dont elle est enduite. Des hommes du peuple lui jettent des pierres. Sur le devant sont deux grandes figures de femmes dont les costumes sont supérieurement dessinés. A un plan reculé, ou voit Séville, et dans la campagne une route couverte de squelettes de chevaux. Cette planche est aussi remarquable par la franchise de l'exécution que par l'originalité du sujet. Bien qu'elle offre, comme nous l'avons dit, un double épisode, le dessinateur a su mettre de l'ensemble dans sa composition : Hoefnagel s'est montré là observateur et peintre.
Deux planches sont consacrées à la ville de Cadix. Sur le devant de la première sont deux grandes figures, un moine vendeur de chapelets et de reliques, et une femme parfaitement ajustée. Au loin des scènes militaires: l'attaque d'un fort et un engagement de matelots. La seconde planche est une composition Tort bien ordonnée et qu'on regrette de ne pas voir traitée en peinture. Le sujet est une pêche, c'est-à-dire la suite d'une pêche qui a réuni sur la plage une foule nombreuse : des femmes font cuire le poisson qu'elles distribuent aux amateurs; des gentilshommes boivent à une cantine le xérès dans de longs verres. Il s'agit probablement d'une fête locale. Un jeune homme se tient à l'écart et joue de la guitare au bord de la mer; ce n'est pas un pêcheur sans doute, car les poissons ne se prennent pas plus aux sons de la guitare qu'à ceux de la flûte.
Auprès de Grenade, dont la vue perspective se déploie dans une grande planche d'un effet pittoresque, Hoefnagel a placé un groupe de femmes se livrant à la danse, plaisir de toutes les classes et de tous les âges en Espagne. Il va sans dire que le tambour de basque joue là son rôle obligé. Les costumes sont pleins de caractère; ou remarque surtout des chaussures très-originales. Notre artiste pouvait-il ne pas dessiner l'Alhambra ? II en donne un aspect d'ensemble et des détails d'architecture. L'exactitude consciencieuse de son crayon ne se signale pas moins dans la représentation de Tolède. Après en avoir tracé une vue générale, il dessine à part la cathédrale et le palais des rois. Le tout est entouré d'un cartouche terminé, dans le bas, par le blason archiépiscopal.
L'une des planches, qu'on peut surtout recommander à l'attention des artistes pour les costumes, est celle de la Sierra de San Adriano en Biscaia. On y voit une série de grandes figures dont les ajustements sont terminés avec un soin extrême. Des inscriptions, placées sous chaque groupe, font connaître à quelles localités et à quelles classes de la population appartiennent les personnages représentés. Ce sont : une femme et une jeune fille noble de Biscaye; des paysans et des paysannes de la même province allant au marché; des femmes de St-Jean de Luz; des femmes de Bayonne allant à l'église.
Hoefnagel fait de l'archéologie en passant. Il consacre une planche à la représentation des antiquités de Jerenna ou Gerenna aux environs de Séville. Ces antiquités, qui consistent en sarcophages, urnes cinéraires, etc., ont été trouvées, à ce que nous apprend le texte descriptif, dans la métairie d'un négociant flamand nommé Henri Van Belle. Aux deux côtés de la même estampe se dresse l'élégante tour de la cathédrale de Séville dont les détails sont rendus avec une grande délicatesse. Elle est représentée extérieurement et intérieurement. L'artiste a montré un cavalier gravissant sur sa mule les degrés de l'escalier qui conduit au sommet de la tour, et afin qu'on ne croie pas qu'il s'est livré à un caprice d'imagination, il a mis au bas : Observavit ac delineavit Georgius Hoefnaglius, 1565. Nous voyons, en effet, dans les anciennes descriptions de Séville que cet escalier a une montée si douce et si imperceptible, qu'on y peut aller soit à cheval, soit en chaise roulante. Nous ne garantissons pas cette dernière assertion ; quant à la première, elle est confirmée par le témoignage d'Hoefnagel.
Fidèle au rôle d'observateur qu'il s'est imposé, l'artiste anversois prend soin d'introduire dans tous ses paysages des épisodes caractéristiques relatifs aux moeurs, aux usages ou à l'industrie des localités représentées. Ainsi, dans la vue de Marchena, il place des ouvriers travaillant à l'extraction du mercure; dans celle d'Ossuna, il montre la manière très-singulière de battre le blé en le faisant piétiner par des chevaux. Parfois il prend note d'une tradition singulière. Lorsqu'il dessine la vue de Cabeças, petite ville située entre Séville et Cadix, il ne manque pas d'inscrire sur sa planche cette phrase : Non se hase nada nel consejo del Rei senza Cabeças (il ne se fait rien dans le conseil du roi sans Cabeças), laquelle phrase renferme une énigme pour ceux qui ne savent pas qu'elle avait été prise pour devise par les habitants du lieu, non par forfanterie, mais dans une innocente intention de jeu de mots. Cabeças veut dire tête ou caboche. Le sens de la devise est donc qu'on ne fait rien dans le conseil du roi sans caboche. Nous ne citons cette particularité que pour faire voir quel homme ponctuel était Hoefnagel et avec quelle exactitude il recueillait tout ce qui pouvait compléter ses études pittoresques et les rendre d'une vérité plus frappante. Ainsi que nous le disions plus haut, parcourir son oeuvre, c'est voyager. C'est sans doute pour ne pas introduire dans ses planches des éléments imaginaires, qu'il s'y est souvent placé lui-même à défaut d'autres personnages. Dans la vue de Cabeças dont il vient d'être question, il est au premier plan, assis sur une pierre, et dessinant; dans celle de Zahara, citadelle réputée imprenable, faisant partie du domaine des ducs d'Arcos, Hoefnagel s'est représenté prenant un croquis sans descendre de sa monture, tandis que le muletier qui l'accompagne se désaltère à une outre, Un peu plus loin, il traverse à cheval, sous la protection d'un guide armé d'une hallebarde, les montagnes abruptes qui entourent Loxa. Faute de personnages appartenant à l'espèce humaine, et lorsqu'il ne veut pas se mettre lui-même en scène, il se sert d'animaux pour étoffer ses paysages. Il excellait à les peindre, ainsi qu'on l'a vu par les manuscrits qu'il fit pour l'empereur Rodolphe. Au premier plan de la vue d'Ardales, des perdrix occupent le premier plan; dans celle de Cartama, ce sont des lièvres. A Alcantarilla, nous voyons une chasse au canard dans des marais qui entourent la ville; près de Bornes, l'artiste nous fait assister à une chasse au chien courant.
Le voyage d'Hoefnagel en France présente moins d'intérêt que celui d'Espagne, parce que le peintre a eu à retracer une nature moins différente de celle de notre pays, ainsi que des moeurs qui nous sont plus connues; mais parmi les dessins qu'il y a recueillis, on en remarque cependant qui sont dignes d'attention. Nous citerons la vue d'Orléans, où une dame se promène une quenouille à la main et filant, suivant l'usage de l'époque, tandis qu'un jeune seigneur semble lui tenir de doux propos et lui offre une fleur. Les costumes de ces deux personnages et ceux des blanchisseuses rangées sur les bords de la Loire ont du caractère. Nous citerons encore la vue de Bourges pour de singuliers ajustements de femme; celle de Tours et d'Angers pour des motifs semblables; celles de Lyon et de Vienne en Dauphiné pour la beauté des paysages. La vue de Poitiers est surtout curieuse à cause d'une particularité où se manifeste l'originalité du caractère de notre artiste. En dessinant le monument celtique connu sous le nom de la Pierre levée, Hoefnagel représente plusieurs voyageurs occupés à inscrire leurs noms sur le bloc principal; il vient lui-même d'y tracer ceux de plusieurs de ses amis : Bruin, Ortelius, Mercator et Mostaert.
C'est après avoir visité l'Espagne et la France qu'Hoefnagel part pour l'Italie; nous avons dit dans quelles circonstances. Les estampes où sont retracés les souvenirs de ce voyage ont un double attrait. Elles montrent un progrès dans le talent de l'artiste et nous initient plus que les précédentes à ses impressions personnelles. En passant à Pesaro, ce qui le frappe, ce sont de beaux costumes de femme : il les dessine d'un crayon libre et facile. A Terracine, il esquisse avec esprit et un grand sentiment de la nature un joli groupe de paysans et de femmes de la campagne occupés à cueillir des fruits. Sur la route de Velletri à Rome, on voit deux voyageurs à cheval. Ces deux voyageurs sont Hoefnagel et Ortelius. Une inscription mise sous une vue essentiellement pittoresque de Tivoli nous apprend que les deux amis y font halte le 1er février 1578. Voilà des indications bien intimes, bien précises et dont il est surprenant que les biographes n'aient pas fait leur profit. Le peintre devient de plus en plus prodigue de ces inscriptions, dans lesquelles se reflète son esprit, qui font connaître l'homme en même temps que l'artiste, et que, pour cette raison, nous enregistrons avec soin. Voyez l'estampe où est représentée la route de Mola à Gaete. Les deux Anversois s'y sont arrêtés pour contempler les beaux vergers d'orangers et de citronniers que baignent les rives d'une mer d'azur. Ce n'est pas notre fantaisie qui se plaît à donner les noms du géographe et de l'artiste flamands à des personnages imaginaires. Sous l'un d'eux se lit l'inscription suivante : Georgius Hoefnagel elegantissimi ad mare Tyrreneum Cajetae prospectus depictor. Sous l'autre sont ces mots : Abrahamus Ortelius, studiosus contemplator admiratorque itineris napolitanici cornes jucundissimus. Ortelius étend la main dans la direction de la mer et semble faire admirer les beautés du paysage à son compagnon.
La planche double que nous allons décrire est aussi des plus curieuses. Dans un des compartiments se trouve une vue du lac Agnano dessinée avec une extrême délicatesse. Ortelius et Hoefnagel sont encore au premier plan, celui-ci dessinant, celui-là décrivant. Remarquez ces canards sur le lac; ils ne sont pas un vain accessoire du paysage, l'artiste les a placés là avec intention, comme étant en contradiction manifeste avec le préjugé qui veut que cette onde maudite soit mortelle aux oiseaux imprudents qui s'aventureraient sur ses rives. Jugez-en par l'inscription : A Ortelius G. Hoefnagel hunc locum hodie non esse Aopuov animadvertentes. Les motifs du second compartiment est une vue de la célèbre grotte du Chien. Au-dessus de l'entrée se tient la figure allégorique de la Mort armée d'une flèche; le mot Temerariis s'échappe de sa bouche osseuse. Plus loin, un homme court baigner le chien, soumis à l'épreuve de l'antre redoutable, dans les eaux du lac qui, si elles donnent la mort aux êtres vivants, ont en revanche la propriété de rendre à la vie ceux que des émanations délétères ont menacés d'un prochain trépas. Le tout est encadré de cartouches remplis par des inscriptions explicatives, des citations de Virgile, etc.
La Solfatare, mine de soufre, près de Pouzzoles, fournit à Hoefnagel le sujet d'une composition bizarre. L'eau thermale dont il existe une source en ce lieu passe pour donner la fécondité aux femmes. Le caustique artiste y fait arriver deux dames, l'une à pied, l'autre en litière. Deux jeunes gens paraissent les attendre. C'est évidemment une allusion à la vertu de la source, sinon à celle des Napolitaines. Deux figures allégoriques, celles de l'Envie et de l'Ignorance, relient les deux extrémités d'un encadrement compliqué. Armées chacune d'un marteau, elles forgent sur une enclume un grand clou portant le nom de Georgius; plus bas, on lit ces mots : Dum extendar. Le clou, c'est l'instrument, c'est l'arme de l'artiste que lui préparent l'Envie et la Jalousie; mais c'est aussi la représentation figurée de l'artiste lui-même, car Hoefnagel veut dire en allemand clou de maréchal. Ces subtilités paraîtraient puériles à l'époque où nous sommes, mais elles étaient tout à fait conformes à l'esprit du temps.
La planche qui représente la place Saint-Marc et le palais des doges à Venise est d'un intérêt plus sérieux. C'est, suivant nous, la plus remarquable de l'oeuvre d'Hoefnagel. La célèbre basilique est dessinée à merveille; la place, animée par des groupes de Vénitiens et de personnages du Levant, est d'une grande vérité d'aspect. Le palais des doges est représenté au moment d'un incendie. Il y a un grand mouvement dans cette composition, où les figures sont nombreuses et bien distribuées.
Comme souvenir de leur voyage d'Italie, Hoefnagel adresse à Ortelius une vue du golfe de Baies, charmant paysage dans un encadrement formé de deux grandes cornes d'abondance d'où s'échappent des fruits de toute espèce. Il y joint non pas une simple inscription, mais une sorte de lettre, en latin, où il exprime à Ortelius le charme que lui a fait éprouver la vue de ce beau pays chanté par les poètes, et le plaisir qu'il eut surtout à le visiter avec un compagnon tel qu'Ortelius. Il se rappelle le vers d'Horace:
Nullus in orbe sinus Baiis praelucet amoenis,
et il veut le donner pour titre à sa planche; mais ses souvenirs le servent mal et il écrit : Nullus in orbe locus praelucet amoenis Baiis. C'est de Munich qu'il adresse son dessin à l'illustre géographe; il le date : Ex nostro museo Bavarico Cal. Martii, anno 1580.
La collection publiée par Marco Pagliarini, sous le titre de : Raccolta di lettere sulla pittura, scultura ed architettura, renferme une lettre d'Hoefnagel, où l'on trouve de curieux renseignements sur le prix des dessins au XVIme siècle. Cette lettre est adressée au cavalier Gaddi, possesseur d'une riche galerie de tableaux, statues, camées, etc, qui avait chargé notre artiste, à. son passage à Florence, de lui procurer des dessins des maîtres célèbres de l'époque. Elle est en italien; en voici la traduction:
M. Giacomo, orfèvre, m'a écrit plusieurs fois, de la part de Votre Seigneurie, que si je trouvais des dessins de bons maîtres, je devais lui en procurer quelques-uns. Je lui ai répondu que je pouvais en trouver, mais que les propriétaires ne voulaient pas les envoyer en Italie, pour en proposer la vente, et que je désirais connaître les intentions de Votre Seigneurie. Le même Giacomo me dit alors que les occupations de Votre Seigneurie ne lui permettaient pas d'écrire; mais que si je trouvais quelques dessins dignes du cabinet de Votre Seigneurie, à des prix honnêtes, je devais les acheter. D'après cela, je n'ai pas voulu manquer de donner à Votre Seigneurie une preuve de mon dévouement et de mon désir d'augmenter et de conduire à la perfection ce cabinet qui, certainement, en matière de dessins, est le plus beau qu'on puisse voir et que tout véritable amateur doit être porté d'inclination à augmenter de plus en plus. Entre tous, Votre Seigneurie me trouvera un des plus disposés à obéir à tous ses ordres. Vous recevrez donc des mains de M. Giacomo. vingt neuf grands dessins et six petits, qui coûtent, l'un dans l'autre, un écu d'or en or (ici on n'en connaît pas d'autres) par dessin, pour lesquels je me suis engagé, par une obligation de ma main, à payer dans six semaines ou deux mois. Votre Seigneurie voudra bien donner ordre pour que je sois pourvu à temps. Comme le verra Votre Seigneurie, je n'ai pris ni esquisses, ni dessins en mauvais état, ni de maîtres vulgaires, mais tous de très-bonnes mains, lesquels les vendeurs ne m'ont cédés à un prix si modéré que parce que nous sommes amis et dans l'espoir de recevoir une plus grande commande. Ces dessins sont tous de la sorte moyenne, car il y en a encore de plus simples et de moindre prix, comme aussi de plus grand prix et d'une plus grande valeur. Ils sont beaux et finis; ce sont, sous tous les rapports, des dessins parfaits et des plus vaillants et anciens maîtres allemands et flamands, comme : Albert (Durer); Luca (Lucas de Leyde); Olbein (Holbein); Patenier; Emskerken (Heemskerck); Jean et son frère Hubert Van Eyck, très-anciens; Quentin (Metsys) ; Mabuse et beaucoup d'autres, et aussi des modernes, de Raphaël, etc., tous dessins finis et d'importance, et pour cela dignes d'être estimés comme ils le sont en effet. Je n'ai pas voulu m'en occuper sans connaître l'intention de Votre Seigneurie. J'aurais voulu persuader aux propriétaires de ces dessins de m'en confier cinquante ou soixante pour vous les envoyer; mais ils ne le veulent pas. Si Votre Seigneurie le désire et me le commande, je pourrai prendre la note des principaux et du prix qu'on en demande, et la lui envoyer. Ce serait une chose bonne et profitable d'employer cent ou cent cinquante écus à en acquérir une partie. Je suis persuadé qu'on me laisserait, en ce cas, choisir les meilleurs et les plus finis. Celui d'Albert Durer ne me serait pas laissé à moins de quatre écus, celui de Lucas trois, le grand de Patenier trois, et ainsi des autres. Je n'ajouterai plus rien maintenant, et j'attends les ordres de Votre Seigneurie. Ce 12 février 1577.
GEORGIO HOEFNAGEL.

Hoefnagel a aussi exécuté, pour le Théâtre des cités du monde, plusieurs vues de villes d'Allemagne. Celle de Munich est dédiée au duc Guillaume. Il continue à fournir au chanoine de Cologne des indications pour le texte, en même temps que des dessins. Nous en trouvons la preuve dans la description du château situé près de Landshut, dans la basse Bavière, et appartenant au prince-électeur. Après avoir transcrit les lignes suivantes: «  Ce château est embelli par l'art et l'industrie de Frédéric Sustris, Hollandais d'origine, mais Italien de nation, homme très ingénieux en toutes sortes d'artifices, qui l'a orné de fontaines, statues, peintures, chants et volements d'oiseaux, etc., l'éditeur ajoute : «  La description de cette ville (Landshut) nous a été communiquée par Georges Hoefnagel, marchand d'Anvers, lequel, né aux études de la paix et non de guerre, fuyant les troubles de la Belgique, ayant perlustré l'Italie, s'est rendu au service du pacifique prince Albert, duc de Bavière, s'employant pacifiquement en l'art miniatoire, lequel la nature seule lui a enseigné. » Ce passage n'est pas sans importance en ce qu'il confirme ce qui a été dit du développement spontané du talent d'Hoefnagel et de la cause de son départ d'Anvers.
Parmi les vues d'Allemagne dessinées par Hoefnagel, on remarque encore celle où l'artiste a réuni sur une même planche, une perspective étendue des Alpes tyroliennes et le site où se trouve le monument élevé en souvenir de la rencontre de Charles-Quint et de Ferdinand, au retour de l'expédition contre les États barbaresques.
Il n'a été fait aucune mention du voyage d'Hoefnagel en Angleterre. Il est cependant positif qu'il visita cette contrée; des planches signées et datées en font foi. C'est en 1582, entre son voyage en Italie avec Ortelius et le moment où il se fixa à la cour de l'archiduc d'Autriche, qu'il alla au pays d'outre-Manche. Il ne paraît pas qu'il y ait fait un long séjour, car les vues qu'il y a prises pour le Théâtre des cités du monde sont en petit nombre; mais le peu qu'il en a donné est fort intéressant pour les costumes, et peut être utilement consulté par les artistes qui traiteraient des sujets de l'histoire d'Angleterre à la fin du XVIme siècle. La planche où il a représenté le palais des souverains de la Grande-Bretagne, édifice dont l'architecture diffère essentiellement de celle de nos monuments, est animée par un épisode bien caractéristique des moeurs anglaises : un retour de la chasse. On y voit des seigneurs à cheval, des voitures d'une forme singulière, des piqueurs conduisant une meute, etc. A cette scène bien composée, l'artiste a joint une série de grandes figures très-curieuses pour les ajustements. Ce sont des femmes de la cour, des femmes nobles, des bourgeoises, des marchandes, des paysannes, etc. Dans une vue d'Oxford, notre artiste nous montre deux docteurs devisant à l'ombre d'un chêne, ou plutôt disputant, car les docteurs sont, on le sait, de grands disputeurs. Une seconde planche non moins intéressante nous offre une perspective de la ville et de ses monuments, avec des personnages diversement costumés au premier plan.
Indépendamment du concours direct qu'il prêtait à l'éditeur du Théâtre des cités du monde, Hoefnagel s'était chargé de lui fournir pour cet important ouvrage des matériaux provenant de sources différentes. Il chargea son fils Jacques, dessinateur et graveur, de parcourir la Bohême, la Hongrie, la Croatie, la Transylvanie, et d'y recueillir des vues qu'il envoie au chanoine de Cologne telles qu'il les a reçues, ou dont il fait lui-même des dessins terminés d'après de simples croquis. Toujours l'inscription mise au bas des planches fait mention de la part qu'a prise Hoefnagel à leur exécution. Sur les unes nous voyons : Communicavit Georgius Houfnaglius, delineatum a filio; sur d'autres : Depinxit et communicavit G. Houfnaglius delineatum a filio. Ces planches sont généralement dessinées avec moins de finesse que celles des vues d'Espagne, d'Italie et de France, qui sont de la main de Georges Hoefnagel, mais elles ne sont pas moins curieuses. Les figures y ont plus de caractère; elles offrent, pour les costumes, des indications d'une grande fidélité. A ce titre il est bon de les faire connaître aux peintres.
Georges Hoefnagel mettait à contribution d'autres artistes que son fils, pour enrichir l'ouvrage de Bruin des vues qu'il n'avait pas prises lui-même dans ses voyages; mais avec une conscience bien rare et qui ne se dément pas, il indique dans les inscriptions les noms de ses collaborateurs. C'est presque toujours à des compatriotes fixés comme lui à l'étranger qu'il fait des emprunts. Au bas de l'estampe représentant le Phare de Messine, nous trouvons cette note intéressante : Repertum inter studia autographica Pétri Breuggelii. pictoris nostri saeculi eximii,ab ipsomet delineatum, communicavit G. Houfnaglius 1617. Breughel mort, Hoefnagel pouvait sans danger s'emparer de son oeuvre; mais sa probité le lui défend.
Au bas de la vue de Linz, fort belle planche d'ailleurs, on lit : «  Effigiavit Lucas a Walckenburg; communicavit Georgius Houfnaglius. La vue de Gmunden porte cette inscription : Ex archetypo Lucoe Van Walckenborch, effigiavit Georgius Houfnaglius anno 1594. Le peintre Lucas de Walckenbourg, dont il est ici question, est né à Malines, et s'était fixé à Anvers quand les événements qui décidèrent Hoefnagel à un exil volontaire, lui firent prendre aussi la résolution de s'expatrier. Il se dirigea vers l'Allemagne et trouva un protecteur dans l'archiduc Mathias, qui le prit à son service. Il passa plusieurs années à Linz, près de ce prince. Les noms de Lucas de Walckenbourg et d'Hoefnagel sont réunis dans un compte des dépenses de l'archiduc Ernest, pendant son voyage de Vienne à Prague et de Prague à Bruxelles, d'octobre 1593 à juin 1594. On y trouve, sous la rubrique de Francfort : «  A maître Lucas, pour une vue de la ville de Linz, 50 thalers. » Puis : «  Pour les estampes d'Hoefnagel, 1 florin 40 sols. Pour relier les estampes d'Hoefnagel, 50 sols. » Sous la date de Bruxelles enfin : «  Envoyé à maître Lucas de Walckenbourg, peintre, 240 florins. » La vue de Linz, achetée par l'archiduc Ernest, était vraisemblablement l'original dont Hoefnagel a fait une copie. Cette acquisition a eu lieu en 1594 et c'est précisément la date que porte l'estampe du Théâtre des cités du monde. L'extrait de compte que nous venons de citer prouve qu'Hoefnagel a résidé à Francfort. C'est dans cette ville qu'il a eu communication de Lucas de Walckenbourg, et qu'il a vendu à l'archiduc, les estampes mentionnées dans le registre des dépenses de celui-ci.
Une vue de Cassovia (Hongrie) porte cette inscription: Depict. ab Egidio Van der Rye Belga; communicavit G. Houfnaglius, 1617. Égide ou Gilles Van der Rey était un des nombreux peintres flamands qui allaient, à cette époque, chercher fortune à l'étranger. M. Nagler dit qu'il habita Gratz, en Styrie, et qu'il y fut au service du duc Charles Ier, dont il décora le palais de peintures à fresque. Le musée de Vienne possède, de cet artiste, un tableau sur cuivre représentant l'inhumation de sainte Catherine.
Nous avons dit qu'Hoefnagel indiquait, avec une conscience scrupuleuse, la source d'où il avait tiré les dessins de celles des vues qu'il n'avait pas prises lui-même d'après nature. Quand il reproduisait l'oeuvre d'un confrère, il le citait, fût-il mort comme Pierre Breughel. Lorsqu'il n'avait eu pour éléments de son travail que des croquis anonymes, il en faisait mention dans des inscriptions ainsi conçues : Acceptum aliunde, ou : Communicavit G. Hoefnaglius, acceptum ab alio, ou : Acceptum ab amico; communicavit, etc., ou bien encore : Ex depicto aliorum;communicavit.
Tous les biographes d'Hoefnagel s'accordent à dire qu'il mourut en 1600. S'ils avaient ouvert le Théâtre des cités du monde, ils y auraient vu plusieurs planches signées de notre artiste et portant la date de 1617. Le dernier volume de l'ouvrage à la publication duquel il eut une si grande part, ayant été imprimé en 1618 et ne contenant pas de dessins postérieurs aux siens, on ignore jusqu'à quelle époque il prolongea sa carrière.
Jacob Hoefnagel, ce fils de notre artiste dont nous avons dit que de nombreux dessins, retouchés par son père, furent donnés dans le grand ouvrage du chanoine de Cologne, était graveur en même temps que peintre. Il publia en 1592, à Francfort, un recueil de 52 planches en quatre parties, intitulé : Archetypa studiaque patris Georgii Houfnaglii Jacobus fil. genio duce ab ipso sculpta omnibus philomusis amice dicat ac communicat. M. Brunet, dont l'exactitude bibliographique est rarement en défaut, prend l'indication de la parenté pour un nom patronymique, appelle l'artiste Pat. Georg. Hoefnagel, et dit que le recueil se compose de fleurs, de fruits et d'insectes.
Georges Hoefnagel a laissé un second fils, appelé Jean, peintre qui paraît s'être appliqué particulièrement à l'exécution de planches d'histoire naturelle, et s'être fait une certaine renommée par des travaux de cette nature. On a publié d'après lui, en 1650, un recueil ayant pour titre :Diversae insectarum volatilium icones ad vivum accuratissime depictae per celeberrimum pictorem D. J. Hoefnagel.
La Belgique ne possédait aucune production originale de Georges Hoefnagel, lorsqu'une circonstance toute providentielle vint permettre de combler cette lacune de nos collections. En 1852, un Anglais qui avait résidé quelque temps dans un des hôtels de Bruxelles, y laissa, ce qui se voit quelquefois, un compte arriéré, en nantissement duquel il remit une miniature enfumée. L'hôte n'estimait guère ce gage; mais faute de mieux il l'accepta. L'Anglais ne s'étant pas présenté pour acquitter sa dette à l'époque fixée, le maître d'hôtel vint offrir au conservateur des manuscrits de la bibliothèque de Bourgogne de lui céder la miniature en question, contre le remboursement de la somme pour laquelle elle était engagée. Le marché fut conclu, marché très-heureux, car il mettait notre dépôt public en possession d'une admirable peinture de Georges Hoefnagel, signée de l'artiste et offrant le spécimen le plus complet de son merveilleux talent. Le sujet est une vue de Séville prise de la rive opposée du Guadalquivir, avec des groupes de figures au premier plan, des barques de pêcheurs sur le fleuve et une longue perspective de la ville au fond. L'encadrement, d'une richesse inouïe, est formé des emblèmes de la paix et de la guerre, des attributs des différents règnes de la nature, avec une représentation allégorique de la conquête de l'Amérique par l'Espagne, le tout couronné par un portrait de Philippe II, assis sur un trône d'or entre deux évêques. Cet encadrement échappe à l'analyse par l'innombrable quantité d'objets qui s'y trouvent représentés. L'exécution en est d'une délicatesse qui dépasse tout ce qu'on connaît en ce genre, et cependant elle est exempte de sécheresse. L'artiste a su allier le moelleux de la touche avec le dernier degré du fini. Il a signé son oeuvre en toutes lettres: Georgius Houfnagle antverpianus faciebat anno 1573; et il ajoute natura sola magistra, car c'était, on l'a déjà vu, sa grande prétention, de s'être formé sans maître, et d'avoir un talent en quelque sorte de révélation; outre la date de 1573, inscrite au bas de l'encadrement, à la suite du nom d'Hoefnagel, on lit celle de 1570, sous la vue de Séville. On n'en peut pas conclure que le peintre ait employé trois années à l'exécution de cette miniature; il s'y est sans doute repris à deux fois, et l'idée d'entourer d'un somptueux encadrement sa vue de Séville ne lui sera venue qu'après coup. Dans quelle circonstance et pour quel grand personnage Hoefnagel a-l-il fait ce chef-d'oeuvre de talent et de patience ? C'est ce qu'on ignore. On peut affirmer seulement que sa peinture n'a pas été faite dans le pays dont elle reproduit un site, car il avait visité l'Espagne de 1563 à 1565, et à la date que porte son dessin il était en Allemagne, de retour de sa pérégrination à travers l'Italie.


Note sur le clou :  on notera sur la gravure représentant Hoefnagel ci-dessus, la présence du clou de maréchal ferrant, sens allemand de Hoefnagel, dont Fétis rappelle qu'il a servi de signature à l'artiste.
Cette signification n'a pas échappé à certains chercheurs : on trouve ainsi dans le Bulletin historique et monumental de l'Anjou de 1867-1868, une interrogation sur la vue d'Angers en 1561 :
«  Nous devons à l'obligeance d'un honorable négociant d'Angers, M. Lucien Lévesque, très-versé dans l'étude des antiquités de notre ville. la communication du curieux dessin qui accompagne cette livraison. C'est une vue générale de la ville d'Angers au seizième siècle. L'observateur étant placé en reculée, a devant lui la Maine et. la ville étagée sur la rive droite.
La gravure est signée G. Houfnaglius, ann. Dni. 1561.
Qui était-ce que G. Houfnaglius, dont le nom latinisé semble indiquer une origine allemande ou hollandaise (1)? Toutes les recherches que nous avons faites à ce sujet ne nous ont rien fait découvrir. Nous ne savons pas non plus ce qui a pu déterminer cet Houfnaglius à publier une vue d'Angers. Il est certain toutefois que notre gravure a été détachée d'un ouvrage in-folio, qui devait être une sorte de voyage à travers la France, ou peut-être seulement une suite de notices sur nos principales villes accompagnées de gravures. En effet, un autre exemplaire, que possède M. L. Lévesque, réunit à la fois cette même vue d'Angers et une vue de Tours, Au verso de ce dernier exemplaire est une notice en allemand; au verso du nôtre, la notice est en français. D'où nous devons conclure très-facilement, que l'ouvrage enrichi des dessins d'Houfnaglius a eu, au moins, deux éditions. [...]
(1) Houfnaglius veut dire en Allemand «  clou de fer à cheval. » »

Et on retrouve effectivement le clou au centre de la représentation de Solfatara du Civitates orbis terrarum, forgé sur une enclume par les allégories de l'Envie et de l'Ignorance, et portant le prénom du graveur :

 

Rédaction : Thierry Meurant

 

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