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Blâmont dans les romans (4) - Napoléon à Blâmont

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Les Vengeurs de Lorraine, grand roman historique
Ernest Billaudel
1874

[...]
Par une belle matinée de juin, un soldat d'ordonnance apporta au proviseur l'ordre de faire partir, pour le dépôt du 35e régiment d'infanterie légère, Philidor Marinval à cause de l'appel anticipé sur la classe de 1808. La guerre n'était point le fait de ces jeunes gens, dont la fortune était belle et les goûts pacifiques. De plus, c'étaient là des natures indépendantes qui ne se fussent pas facilement pliées aux obéissances.
Cet ordre surprit le jeune Philidor. Il demanda du répit pour s'acheter un remplaçant. En ce temps-là, les remplaçants étaient chers, et, de plus, fort rares. On lui accorda quatre jours et, huit jours après, dans cette belle ville de Nancy où tout le monde pourtant aime les harnais de guerre, il n'avait encore rien trouve.
Ceci peut paraître extraordinaire, mais, si l'on se reporte à l'époque et si l'on songe à l'énorme consommation d'hommes valides qu'avaient fait les guerres de la République dans les contrées purement françaises, on ne s'étonnera plus qu'à un moment donné un homme, qui consentît à s'aller faire tuer à votre place, fût aussi difficile à rencontrer qu'un merle blanc. Au bout de huit jours donc, il reçut une deuxième fois l'ordre de rejoindre son régiment à Valenciennes.
Il n'y avait plus à hésiter, la gendarmerie allait se mêler de ses affaires. Les préfets ne plaisantaient pas. On tint conseil et on prit une grande résolution On chargea une personne obligeante de trouver au jeune homme dans quelque délai que ce fût, et à quelque prix qu'il se taxât, un homme de bonne volonté qui allât manger à la gamelle du 35e et, séance tenante, avec l'inconséquence du jeune âge, l'amour du grand air et de la liberté, avec l'insouciance de ceux qui ne savent rien du danger et, qui se plaisent à le braver, ils partirent tous quatre en école buissonnière, qui, par-dessus les murs du collège, qui, par les ruelles étroites, courant hors de la ville, se cachant, se sauvant et trouvant l'aventure merveilleuse. Les Marinval avaient leurs pleines poches d'argent mignon. Il s'agissait de gagner la frontière et de se sauver à l'étranger, jusqu'à ce que l'on mît la main sur cet introuvable remplaçant.
Les nuits à la belle étoile, les douaniers, les gendarmes, la faim, la soif, la fatigue, l'isolement en pays ennemi, que leur faisait tout cela ! Ils y songeaient bien, ma foi ! Ils s'en allèrent le long des grands champs de blé mûr et jaune, resplendissants des bluets et des coquelicots qui sur la terre blanche paraissaient une moisson aux couleurs nationales. Ils coupèrent des bâtons au premier bois. Philidor déracina un petit arbre et marcha, pareil à saint Christophe, en avant du groupe.
Ce ne fut qu'à la cinquième lieue et comme l'appétit les força à s'arrêter, qu'il se demandèrent où ils allaient de ce pas délibéré. Ils se regardèrent un peu effares, car il s'était bien agi de quitter la France, mais il fallait savoir par où et comment. C'était là que s'arrêtait la science des futurs partisans.
- Allons en Suisse, proposa Nivarrey.
- Allons en Autriche, opina Francis.
- Allons en Italie, cria Philibert.
- Allons déjeuner, dit simplement Philidor.
Son avis fut celui auquel on se rangea, et tous quatre, allongeant le pas, entrèrent dans une grosse et avenante auberge, à Blamont, en pleines Vosges. Ils s'attablèrent joyeusement autour d'un dindon rôti et de quatre bouteilles de ce charmant vin de Moselle qui se nomme Thiancourt, et bientôt les quatre amis eurent oublié le préfet, le général, le régiment et la frontière. On chantait, on criait, on trouvait cette existence divine, on se félicitait mutuellement d'avoir échappé désormais à toutes les férules. Les figures étaient passées du rouge au pourpre et les langues ouvraient les consciences toutes grandes.
- C'est égal, disait Nivarrey, si on nous rattrape, il faudra jouer des jambes, et voilà le gouvernement du Corse joliment roulé, et par des jeunes gens naïfs encore !
- Allons à Genève, disait Philidor monté sur la table, c'est le pays où fleurit la vrai république et l'égalité sacrée, l'égalité romaine. Nous y fonderons la secte girondine.
- Allons... Allons enfants de la patrie, Le jour de gloire est arrivé.
Ce chant avait pour effet habituel d'irriter la fibre royale dans le coeur de Nivarrey, il ne faillit point en ce cas à la réplique : Vive Henri IV, Vive ce roi vaillant, Vive ce diable à quatre... criait-il. Grâce à cet infernal tapage qui empêchait tous les bruits du dehors de pénétrer jusqu'à nos jeunes fous, ils n'entendirent pas un grand bruit qui s'éleva à ce moment.
Bruit de chevaux de poste et de chaises roulantes, cris au dehors, remue-ménage au-dedans. Nivarrey seul entendit le retentissement des grelots.
- Heureux ceux qui voyagent en poste ! hurla-t-il en se précipitant à la fenêtre.
Une grande voiture poudreuse était arrêtée devant l'auberge. Les postillons en grande tenue étaient au pied des nouveaux chevaux et buvaient de grandes chopes de vin en attendant que l'attelage fût prêt. Les bêtes du relai précédent fumaient au soleil, une grande foule entourait curieusement la berline. Les gens de l'auberge, chapeau bas, se tenaient avec respect à quelque distance de la portière. De temps à autre un grand silence, des figures pâles de curiosité, des femmes qui tenaient leurs enfants au-dessus de leur tête pour leur faire voir les voyageurs. Tel était le tableau.
- La poste ! hurla Francis, invention d'aristocrates. Les honnêtes gens vont à pied. Les coquins vont en poste. Il faudrait supprimer l'orgueil, on supprimerait de suite la chaise de poste.
Tremblez, tyrans, et vous, esclaves ! etc.
Cette voix qui descendait ainsi sur la foule avec les paroles enthousiastes de la Marseillaise parut faire une impression extrême. On cria silence de toutes parts et l'aubergiste alarmé s'élança vers l'escalier qui conduisait à nos quatre jeunes gens.
Ces paroles de Francis avaient exaspéré Nivarrey, qui manifesta sa colère par un énergique «  Vive le roi ! » qu'on put entendre à deux kilomètres.
Alors une tête ronde et pâle, les joues émaciées ; avec de grands yeux lumineux et calmes sortit de la, portière et, regarda d'où vouaient ces chansons et ces cris.
- Qu'est-ce que cela ? demanda le voyageur d'une voix brève, qui se permet devant moi de telles inconvenances ? Est-ce une gageure ? Montez-là-haut, Rapp. Il ne saurait y avoir intention d'offense, ce serait en vérité une trop grande folie.
Un jeune homme, enveloppé d'un long manteau militaire, s'élança dans l'escalier à la suite de l'aubergiste, tandis que le personnage descendait de la berline avec vivacité, repoussant un bonhomme en écharpe qui, tout tremblant, s'était approché de lui un papier à la main et s'apprêtait à lui lire un discours.
- Assez, monsieur le maire, fit-il, merci de votre intention, mais s... D..., ne me rompez pas la tête. J'en entends de belles dans votre commune. II paraît que lorsque mon passage est inattendu, vos administrés s'en donnent à coeur joie. Je ne puis croire qu'on ose à ce point se jouer de moi. Cela coûterait trop cher de rire à mes dépens !
En disant ces mots, il se promenait rapidement, faisant sonner, au milieu de la foule muette et terrifiée, ses éperons sur le pavé sonore. Le maire, confus et honteux, jugea que le moment de s'esquiver était venu; lorsque son interlocuteur s'écarta de lui, il s'éloigna prestement. Mais au bout de quelques pas la voix impérieuse le cloua sur place.
- Restez, monsieur le maire, vous allez avoir à répondre à mes questions.
En ce moment, au milieu de la brigade de gendarmerie, tenus l'un et l'autre au collet par celui qu'on avait appelé Rapp, on amena Francis et Nivarrey; les Marinval suivaient d'un air consterné.
- Mais que me voulez-vous, monsieur ? demandait Nivarrey en se débattant. Est-ce donc défendu de déjeuner gaiement et de manifester des opinions honnêtes. Je suis peut-être un peu ému, mais ne le fûtes-vous jamais ? Prenez garde, monsieur, vous me faites mal, et vous, gendarmes, vous aurez à répondre de votre violence.
Et comme les pointes de sabre commençaient à le piquer sérieusement.
- Vous êtes des égorgeurs, des septembriseurs, des robespierristes, et quand Sa Majesté le roi Louis XVIII remontera sur le trône, vous serez tous fusillés. Je cède à la force.
De son côté, Francis avait refusé de marcher.
- Quoi, criait-il, parce que j'ai chanté la Marseillaise, on arrêterait un bon citoyen, un patriote tel que moi ! Je me plaindrai à Bonaparte, je le dirai à l'empereur ! C'est un jacobin, lui ! un vrai jacobin, il fera droit à mes justes plaintes.
Rapp, un grand gaillard aux épaules robustes, riait sous cape, comprenant enfin qu'il n'y avait là rien que deux enfants qui avaient besoin d'une leçon. Il grossit donc sa voix et répondit brutalement..
- Ah ! tu veux te plaindre à l'empereur, mauvais citoyen ! sans-culotte dégénéré. Eh bien ! c'est en son nom que je vous arrête tous deux et que je vous accuse du crime de lèse-majesté, crime puni de mort. Faites vos prières.
Ainsi que nous le savons, nos amis n'avaient point la conscience nette, et les fumées du bon vin de Thiancourt n'étaient point de celles qui éclaircissent l'esprit.
- Lèse-majesté ! murmuraient-ils encore, quand ils arrivèrent devant le voyageur qui les avait mandés.
Le coup d'oeil de ce personnage sec et glacé, sa belle physionomie irritée, les intimidèrent singulièrement, et, si hardis lurons qu'ils fussent, ils sentirent leur langue se paralyser devant lui. Mais, à l'aspect de ces jeunes gens, un imperceptible sourire courut sur les traits de l'inconnu, sourire qu'il réprima aussitôt.
- Comment nommez-vous ces perturbateurs de l'ordre public? demanda-t-il au maire.
Celui-ci rougit et demeura muet.
- Allons, vous ignorez le nom des habitants de votre commune, je vois bien cela. Rapp, inscrivez le nom de ce magistrat. Retirez-vous, monsieur.
- Mais, se hasarda à dire le maire désolé, ils ne sont point de ma commune !
- Comment, alors, laissez-vous en liberté, sans contrôle et sans limites, les vagabonds qui se présentent dans le ressort de votre pouvoir ? Retirez-vous, vous dis-je.
- Vagabonds ! exclama Nivarrey, vagabonds ! Nous ne le sommes point.
- Silence ! attendez ma demande pour y répondre. Rapp, une charrette de poste qui me suivra.
- Oui, sire.
A ce mot, les quatre jeunes gens effarés se regardèrent. Ils étaient en présence de l'empereur Napoléon ! Le prestige qui entourait alors ce nom et cet homme d'un impossible éclat en faisait une sorte d'être privilégié supérieur à l'humanité. Ils se sentirent saisis d'un profond respect et d'une extrême terreur tout à la fois.
- Approchez-vous, jeunes gens. Lequel de vous a tout à l'heure crié vive le roi ?
- Moi, sire, murmura Nivarrey qui eût voulu être à cent pieds sous terre.
- Comment vous nommez-vous, monsieur, vous qui avez oublié que le roi d'aujourd'hui, c'est l'empereur, c'est l'élu de la nation, c'est moi, et que c'est là un cri séditieux et chèrement puni ?
- Je me nomme Hector de Nivarrey.
- C'est cela, c'est bien cela, un de ces noms d'incorrigibles. Votre père a émigré, sans doute, et vous êtes rentré sous le Directoire, avec une lettre de grâce du chef des pourris, Barras. On vous aura dit que je n'étais qu'un général de républicains digne tout au plus d'ouvrir les portes à deux battants à vos anciens maîtres et de baiser plus tard ses souliers de cour. On vous a dit de crier vive le roi, parce que ces sortes de clameurs ont toujours quelque part un écho et que cela peut apprendre au peuple que le dernier roi n'est pas mort. Si vous dites cela, monsieur, vous avez menti. Je me nomme Napoléon, et tant que j'aurai ceci au côté, que vous et les vôtres le sachent bien, il n'y aura plus de roi, plus de royalistes, il n'y aura que des Français. Vous êtes Nivarrey, dites-vous ? êtes-vous parent des Nivarrey de Royal-artillerie ?
- C'étaient mes oncles, sire.
- De braves gens, monsieur, qui n'avaient point votre tête folle.
- Sire, je n'ai point émigré, ni mes oncles, ni mes parents. Mes oncles sont morts en leur maison de Saint-Mihiel.
- Quel âge avez-vous, et pourquoi courez-vous ainsi les chemins ?
- J'ai dix-sept ans, sire, dit prudemment le jeune homme.
- C'est bien. Et vous, monsieur, comment se fait-il, ajouta l'empereur en se tournant vers Francis, que je vous entende vociférer des chansons d'un temps heureusement passé et qui semblent indiquer chez vous des intentions de désordre. Qu'est-ce que ces mots que vous hurliez tout à l'heure de sans-culottes, de septembriseurs, que sais-je ? Vous êtes trop jeune pour avoir connu tout cela et j'ai lieu de m'étonner que lorsque les honnêtes gens qui ont vu cette époque pénible s'efforcent de l'oublier, vous preniez la tâche de vous en souvenir ! Qui donc êtes-vous, monsieur le terroriste ? je n'ai pourtant permis à personne de réveiller les rancunes éteintes. Je vois bien que vous êtes jeune, très-jeune, presque un enfant. Mais j'entends que mes générations mûrissent vite et je veux que toutes ces sanglantes rêveries restent bien et dûment dans le passé. Quel est votre nom ?
- Je me nomme Francis Rosoy, dit le jeune homme.
- Êtes-vous parent de l'accusateur jacobin de ce nom ?
- C'était mon père.
- Je vois avec peine que vous avez suivi ses errements. Rapp, la charrette est-elle attelée ?
- Oui, sire.
- Vous y mettrez donc ces jeunes gens; ce sont là des têtes chaudes que je veux un peu refroidir. Ils me suivront à l'armée tous les quatre et je leur ferai faire la campagne. Ayez soin d'en aviser leurs familles. Mais, messieurs, je vous préviens que si vous y reveniez, le châtiment serait terrible; mon armée est docile et ne raisonne jamais. Partons, messieurs; vous me suivez en Prusse.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils furent installés dans une de ces grandes charrettes postales au moyen desquelles on transportait alors les troupes d'élite de la garde sur les champs de bataille.
Ils étaient commodément assis sur de la paille fraîche; pour leur épargner l'humidité des nuits, on avait poussé la précaution jusqu'à leur donner deux grosses couvertures limousines.
- Eh bien ! dit Philidor Marinval en se retournant vers ses camarades de malechance, nous ignorions notre route, voici qui s'est chargé de notre direction.
[...]

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