Historique du 75e régiment d'infanterie pendant la
guerre 1914-1918
Imprimerie Berger-Levrault Nancy-Paris - Strasbourg
CHAPITRE X
1918-1919
EN LORRAINE (SECTEUR DE SAINT-CLÉMENT) - L'ARMISTICE
[...]
« Je vous laisse un peu de mon cœur ... »
(15 novembre 1918. Départ du lieutenant-colonel BOUTRY.)
En secteur devant Ogéviller. La 27 D.I. va relever, en
Lorraine, la 61e, qui tient les sous-secteurs d'Ogéviller,
Bénaménil, et Fréménil. Le 75e occupera la droite du
dispositif, en liaison à droite avec le 148e R.I.
américain et à gauche avec le 140e R.I.
Le sous-secteur d'Ogéviller, à cheval sur la Vezouse, à
hauteur du village de Saint-Martin, est établi face au
nord-est et au village de Chazelles, occupé par
l'ennemi. Il est constitué dans son ensemble par:
Une première position (centre de résistance Auto) dont
la ligne de résistance, à hauteur de Saint-Martin, est
protégée par des petits postes situés à environ 1 .500
mètres plus en avant. Cette position est tenue
normalement par un bataillon ;
Une deuxième position, en arrière de la Vezouse (1), aux
lisières est des villages d'Ogéviller et de Réclonville,
tenue par deux bataillons dont une partie occupe ses
emplacements de combat;
Une liqne des réduits, non occupée en permanence, à 1
kilomètre à l'ouest de la précédente.
La tranchée correspondant à chaque bataillon de deuxième
ligne est dénommée, pour la droite. centre de résistance
de Réclonville et pour la gauche, C.R. de Buriville.
A partir du 1er septembre, ont lieu les mouvements de
relève. Le 1er bataillon se porte, dans la nuit du 1er
au 2, avant le lever du jour, au bivouac dans la forêt
de Mondon, à l'est de la route Chenevières-Bénaménil. Il
exécute ses reconnaissances pendant la journée au
sous-secteur d'Ogéviller, sur la première position, et
relève, dans la nuit, le bataillon de ligne du 219e R.I.
Après reconnaissances, les 2e et 3e bataillons, parlant
de Fontenoy

et Glonville, relèvent, du 3 au 4, un bataillon du 219e
sur la deuxième position. L'E-.M. et la C.H.R. se
rendent à Buriville et le lieutenant-colonel prend le
commandement du sous-secteur le 4 septembre au matin.
Les T.C. vont stationner à Azerailles et le T.R. à Flin.
En ligne, le service de surveillance est assuré, de
jour, par des guetteurs, de nuit, par des petits postes
dont l'emplacement est variable (2). Des patrouilles de
liaison circulent entre les postes, lesquels sont
complètement isolés. Sur la ligne de résistance, des
sentinelles doubles assurent la garde et alertent les
troupes en cas de danger.
De nombreuses patrouilles d'embuscade et reconnaissances
sont faites, soit par le groupe franc, soit par des
unités de deuxième ligne. La plus intéressante de ces
opérations sera seule relatée ici. Elle concerne un coup
de main exécuté dans la nuit du 8 au 9 septembre sur le
bois de Chazelles. Ci-dessous l'ordre donné et le compte
rendu d'exécution.
SOUS-SECTEUR D'OGÉVILLER
C. R. AUTO
1er BATAILLON
Groupe franc.
COUP DE MAIN A LA MUETTE
Nuit du 8 au 9 septembre 1918.
Effectif: - 1 officier (3), 2 sergents, 12 hommes du
groupe franc; 1 section de soutien de la 3e compagnie.
But. - Aller prendre position dans le bois de Chazelles,
avant la nuit, et y attendre l'arrivée du P.P. allemand
pour l'enlever.
Itinéraire. - Bois Neutres, corne sud-ouest du bois de
Chazelles.
Exécution. - Des bois Neutres, se porter, avant la nuit,
et par petits groupes, sur le bois de Chazelles, par les
brèches qui doivent exister dans le réseau. Reconnaître
les pistes suivies par les petits postes allemands et
les emplacements; se poster à proximité et enlever le
petit poste boche lorsqu'il se présentera.
La section de soutien de la 3e compagnie se postera dans
les bois Neutres (lisière nord) avant la nuit et par
infiltration. Dès la nuit tombante, elle se rapprochera
de la corne sud-est du bois pour être à même de prêter
main-forte au groupe franc, si l'officier le demande
(signal à convenir).
Heure. - A partir de 16 (seize) heures. Fin de la
mission à 22h 30.
Mot. - ORDENER - ORANGE.
Signaux. - A fixer par le chef du groupe franc, qui les
donnera au petit poste du bois Neutre, avant de sortir.
Tenue. - Veste, équipement sans baïonnette, masque
autour du cou. Deux grenades OF par grenadier-voltigeur.
Deux chargeurs par F.M. pour la section de soutien, qui
viendra prendre position en avant du petit poste Z à 20
heures.
Tenue habituelle du groupe franc (pistolet automatique,
quatre grenades OF dans les musettes, baïonnette sans
fusil).
BRANCARDIERS. - Deux brancardiers de la 3e compagnie
marchent avec la section de soutien.
Le 8 septembre 1918.
Le Capitaine commandant le 1er bataillon el le C.R.
Compte rendu d'exécution.
Sortis à 16h 30 par le poste de gauche du bois Vannequel,
nous avons marché, sur la corne du bois de Cliazelles.
Nous avons visité ce bois. On y trouve des tranchées en
très bon état, ainsi que de sérieuses défenses
accessoires. Impossible de voir des traces de pas à
cause de la pluie. Ensuite, nous avons battu les bois à
gauche ; derrière le réseau et dans les bois se trouve
une ligne de petits postes, à 20 mètres les uns des
autres et abandonnés. Sauf à la pointe du bois de
Chazelles, les réseaux sont partout en très bon état. Ne
recevant aucun coup de fusil, j'ai pris la décision
d'aller à Chazelles. Nous avons traversé un marais,
trois réseaux très denses de barbelés et une tranchée en
très mauvais état qui se trouve en lisière du village.
A l'intérieur du village, des pistes paraissent
fréquentées. Nous étions dans l'église, quand une corvée
boche, chargée de barbelés, s'amène entre nous et leur
tranchée. Ne sachant pas ce qui pouvait encore venir,
nous avons lancé une grenade et bondi sur eux. Un
Allemand a été tué ; celui qui commandait la corvée a
été ramené par nous; les autres, au moins deux, ont dû
se sauver. Vu notre situation, nous avons jugé prudent
de ne pas insister. Une mitrailleuse ennemie nous a
alors tiré dessus.
Rentrés dans nos lignes à 18h 45, sans autre incident.
Aux armées, le 8 septembre.
L'Officier chef de patrouille.

13 septembre. - Le sous-secteur d'Ogéviller modifie son
occupation en s'étendant à droite par relève du 148e
régiment d'infanterie américaine, en cédant les centres
de résistance « Auto » et « Buriville » et en évacuant
les villages de Buriville et Ogéviller.
Le 2e bataillon, relevé du C.R. Auto (Saint-Martin) dans
la nuit du 13 au 14 septembre, relève, du 14 au 15, le
bataillon de première ligne du 148e R.I.U.S. au bois
Banal.
Sur la deuxième position, une compagnie de chacun des
1er et 3e bataillons relève respectivement un bataillon
du 148e, dans la nuit du 13 au 14, en même temps que
s'opère le regroupement des unités restantes, qui
cantonnent désormais à Vaxainville, Pettonville,
Hablainville et Réclonville.
En fin de relève le dispositif des unités est indiqué
schématiquement ci-dessus.
En première ligne, les compagnies ont chacune un point
d'appui dont la ligne de résistance est immédiatement à
l'est de la Blette. Le P.C. du bataillon est à
Herbéviller. Chaque bataillon de deuxième ligne tient,
en cas d'attaque, la deuxième position par deux
compagnies et la ligne des réduits par la 3e compagnie.
Les unités de mitrailleuses ont toutes leurs forces
réparties, soit sur la ligne de résistance (1
compagnie), soit sur la deuxième position (2
compagnies). Des sections de position tiennent en outre
la ligne des réduits, aux abords ouest de Réclonville,
Pettonville et Vaxainville.
4 octobre. - Une troisième modification a lieu dans le
dispositif par suite d'un changement de limite à gauche
du sous-secteur. Une portion du centre de résistance «
Auto » (la moitié environ) est attribuée au 75e, qui
doit tenir le nouveau point d'appui avec une compagnie,
par extension de front. Ce dispositif est réalisé le 4
au matin. 4.500 mètres de la première ligne sont tenus
par les trois compagnies du 2e bataillon (4).
Il y a lieu de remarquer que le bas-fond de la Vezouse
isole le P.A. de gauche, et qu'en ce point les lignes
sont interrompues sur plus d'un kilomètre.
Vers le 12 octobre, le commandement prévient que les
Allemands pourraient commencer leur repli. Une attention
particulière est recommandée aux éléments de
surveillance. Aucun indice de repli n'est signalé devant
le front du régiment.
Relève de la division. - Dans les nuits du 26 au 27 et
du 28 au 29 octobre, les éléments de la 27e D.I. sont
relevés par ceux de la 3e D.I.
Le 26, vers 19 heures, le 2e bataillon descend des
lignes, remplacé par un bataillon du 51e R.I., et va
cantonner à Saint-Clément. La nuit du 27 est employée à
la relève des unités de deuxième ligne. Le 3e bataillon
va cantonner à Azerailles, le 1er et la C.H.R. à
Glonville.
28 octobre. - Le 2e bataillon va cantonner à Saint-Boingt.
Il est rejoint le lendemain par l'E.-M. et la C.H.R.
29 octobre. - Le 1er bataillon stationne à Essey-la-Côte,
le 3e à Vennezey (5).
Tous les éléments de la 27e D.I. ont rallié la région
sud-ouest de Gerbéviller et restent affectés à la VIIIe
armée (GÉRARD). Dès leur arrivée, ils s'entraînent à la
marche. En prévision d'un repli possible de l'ennemi sur
le front de Lorraine, l'armée peut être en effet appelée
à passer sans retard à la guerre de mouvement.
Chaque régiment exécute des marches de 15 à 20
kilomètres, par compagnies échelonnées, toutes
précautions devant être prises, le cas échéant, pour se
soustraire à l'investigation des avions ennemis.
L'armistice. - 11 novembre 1918. - Dans la nuit du 10 au
11 novembre, la division fait mouvement pour se
rapprocher du front. Le 75e se porte à Méhoncourt (E.-M.
et 3e bataillon), Landécourt (1er bataillon) et Einvaux
(2e bataillon), entre Meurthe et Moselle.
Depuis octobre des troupes sont concentrées dans la
région de Lunéville pour mener une vigoureuse offensive
sur la Sarre en cas de non-acceptation de l'armistice
par les Allemands. Les Xe et VIIIe armées (généraux
MANGIN et GÉRARD), sous le commandement du général DE
CASTELNAU, sont à pied d'ceuvre pour foncer sur
l'ennemi. L'attaque est fixée au 14 novembre.
Mais le 11 l'armistice est signé. Au 75e, la nouvelle
est apprise dès le matin et, dans les petits villages de
Lorraine, le son des cloches amplifie les cris de joie
de tous les poilus.
C'est sur les grandes routes désormais que vont se faire
tous les mouvements, et la plus belle marche, la plus
glorieuse sera celle qui conduira nos soldats vers la
Lorraine et l'Alsace délivrées.
13 novembre. - Le 2e bataillon se porte à
Blainville-sur-l'Eau, par ordre de la 27e D.I.
15 novembre. - Le lieutenant-colonel BOUTRY, rappelé dans
le service d'état-major, quitte le régiment.
En marche vers l'Alsace. - La 27e D. I., aux ordres du
3e corps, fait partie de la colonne qui doit se porter,
par Sarrebourg et Saverne, jusqu'à la Lauter. La
colonne, composée du 7e régiment de chasseurs .à cheval,
de la 27e D. I. et d'autres éléments non endivisionnés,
fournit une avant-garde constituée par la cavalerie, un
régiment d'infanterie, un groupe d'artillerie de
campagne et deux compagnies du génie. Cette avant-garde
marche à 2.500 mètres du gros de la 27e division. En fin
de marche les avant-postes sont réduits au minimum et
limités à la garde des cantonnements et des voies de
communication. La discipline de marche est
rigoureusement observée, tous les villages sont
traversés au pas cadencé.
16 novembre. - Le régiment se rend à Thiébauménil, par
Xermaménil et Saint-Clément. Une partie seulement du
régiment peut cantonner : le 3e bataillon occupe des
baraquements dans la forêt de Mondon. Tous les hommes
non susceptibles de marcher sont groupés et dirigés sur
une compagnie de ralliement à Gerbéviller.
17 novembre. - La frontière est franchie à Avricourt.
Aux sons de Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine, le
régiment défile devant le drapeau déployé en face du
poteau frontière, puis va cantonner dans Avricourt
allemand. Le bourg a été presque totalement évacué sous
la menace de l'offensive française sur la Sarre. Les
quelques habitants qui sont déjà revenus manifestent une
joie débordante. Avricourt a peu souffert du
bombardement, sauf la gare, mais la plupart des maisons
ont été pillées avant le départ des Allemands.
(1) Rivière très marécageuse, aux
nombreux méandres.
(2) Afin d'éviter le repérage et de déjouer les
tentatives des coups de main ennemis.
(3) Le chef du groupe franc du bataillon.
(4) La faible densité de troupes dans cette région est
expliquée par le calme du secteur, par le dispositif
identique du côté de l'ennemi, la qualité médiocre de
ses troupes et par la nécessité d'économiser des forces
utilisées en vue de la glorieuse offensive alliée, qui
bat son plein depuis l'Argonne jusqu'à la Manche.
(5) A 20 kilomètres environ au sud de Lunéville et à 8
kilomètres de Gerbéviller.
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