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Chrétienne de Danemark, Duchesse de Lorraine (4/4)
Émile Duvernoy
(notes renumérotées)

 

TROISIÈME PARTIE
CHRETIENNE APRES LA TUTELLE

CHAPITRE XI
CHRÉTIENNE AUX PAYS-BAS ET EN LORRAINE
I. Chrétienne aux Pays-Bas. Négociations de Cercamp et de Cateau-Cambrésis, (1562-1559). - II. Chrétienne en Lorraine (1559-1568).

I

Chassée de la Lorraine, Chrétienne de Danemark vit dans les Pays-Bas de la fin de 1552 à la fin de 1559. Elle paraît avoir surtout habité Bruxelles, qui était la capitale de cette contrée et où sa tante, la reine de Hongrie, résidait habituellement. Nous constatons sa présence dans cette ville les 10 novembre 1552, 31 juillet et 4 octobre 1553, 21 janvier, 7 mars et 17 juin 1554, à une date indéterminée de 1555, les 12 décembre 1556, 24 janvier 1557, en mars et le 26 mai 1558 (1). On sait également qu’elle est à Gand le 28 octobre 1556 et le 19 juillet 1559 (2). Elle doit quitter peu après la Belgique, car le 31 octobre de la même année, elle émet des lettres patentes à Nancy (3). Figurait-elle à la séance solennelle qui se tint à Bruxelles le 25 octobre 1555 et où Charles-Quint annonça son abdication ? Henne retrace longuement cette cérémonie ; il note que Marie, sœur de l’empereur, et Philippe, son fils, y assistaient, mais il ne nomme pas Chrétienne ; dom Calmet, au contraire, dit qu’elle est présente, mais est-il bien informé de ce qui se passe aux Pays-Bas (4) ? Weiss affirme aussi sa présence dans une note qu’il a mise à un document sur cette séance (5), mais il ne dit pas sur quoi repose cette affirmation. Il est donc prudent de ne point se prononcer.
Bien qu’éloignée de la Lorraine et destituée par le roi de France de ses fonctions de tutrice, Chrétienne garde sur un point, la nomination aux bénéfices ecclésiastiques, un vestige de son ancien pouvoir. Ainsi, en novembre 1552, elle attribue à Antoine de Vinaize, aumônier de ses filles, la première prébende qui viendra à vaquer dans la collégiale Saint-Georges de Nancy ou dans la collégiale Notre-Dame de La Mothe ; en 1553, elle donne à Jean Bouteiller une prébende vacante en la collégiale Saint-Maur d’Hattonchâtel, et à Nicolas de Paris, fils d’un jardinier de Charles III, la cure de l’hôpital de Pont-à-Mousson ; en 1554, elle nomme Bénédict Guillaume, curé d’Amance, coadjuteur d’un chanoine de la collégiale Saint-Georges (6). En 1556, autre nomination de coadjuteur dans cette collégiale, contresignée par Montbardon, chevalier d’honneur de Chrétienne, et par Jaillon, conseiller d’Etat (7). En 1557, Antoine Jardinier, aumônier de la duchesse, est gratifié d’une prébende en la collégiale Saint-Maxe de Bar (8). En 1558, le protonotaire Hector de Ligniville, précepteur de son fils, en reçoit une à Saint-Pierre de Bar (9). Les lettres patentes par lesquelles Chrétienne accorde ces faveurs sont insérées dans la collection officielle, au milieu des lettres de son beau-frère, Nicolas, preuve qu’elles sont considérées comme ayant force de loi ; dans chacune, la duchesse a soin d’affirmer qu’à son fils seul appartient de disposer de ces prébendes.
Chrétienne s’est-elle contentée de ce faible reste d’autorité ? C’est peu probable. Elle a dû essayer de se ménager des intelligences dans cette Lorraine où elle avait si peu de partisans et qui s’était bien vite habituée à être gouvernée par le comte de Vaudémont. Mais il ne reste aucune trace de ces menées secrètes.
A la fin de 1552, quand Charles-Quint assiège Metz avec une très grosse armée, elle est non loin de là, à Bruxelles, d’où elle doit suivre avec passion les péripéties du siège. Elle peut croire arrivé le moment de rentrer en Lorraine, d’y rétablir son autorité avec l’aide de l’empereur, de punir ses ennemis et ceux qui l’ont abandonnée. La retraite des troupes impériales dut être un coup terrible pour elle, comme pour Charles-Quint, comme pour la reine de Hongrie. Décidément, la France était la plus forte !
Mais cette force même inquiétait tous ceux qu’elle pouvait atteindre, et elle amena, événement bien imprévu, le rapprochement de Nicolas et de Chrétienne. Une diète impériale devait s’ouvrir à Ulm le 16 août 1553, sous la présidence de l’empereur. Chrétienne et Vaudémont y étaient tous les deux convoqués. En juillet, Vaudémont envoya à sa belle-sœur un sieur de Pallant - sans doute Adam, baron de Pallant, bailli d’Allemagne, - pour la prier d’intervenir à cette diète, ce qu’il n’osait pas faire lui-même, de peur de s’attirer la colère du roi très chrétien. Ce roi, dit-il, est très menaçant depuis qu’il a occupé les Trois-Evêchés. Que la diète prenne donc la Lorraine sous sa protection et qu’elle invite le roi à y renvoyer le jeune Charles III (10). Recouvrer son neveu, il semble que c’est là l’idée essentielle de Vaudémont, car, en septembre 1556, une lettre de Simon Renard, ambassadeur de Charles-Quint, le loue d’avoir répondu sagement aux avances du roi en le priant de mettre Charles en liberté, et en ajoutant qu’il a juré de lui conserver son duché et de ne le remettre qu’à lui (11).
Traitée avec cette déférence par Vaudémont, Chrétienne est ménagée par le roi de France qui voit en elle la future belle-mère de sa fille. En voici une preuve : le 24 avril 1558 fut béni le mariage du dauphin François avec Marie Stuart ; le roi aurait voulu célébrer le même jour l’union de Claude avec Charles III ; il y renonça et ajourna le mariage de ces derniers à la prière de Chrétienne qui craignait de mécontenter Philippe II. En effet, l’Espagne et la France étaient encore en guerre et le mariage de son petit-cousin avec la fille de son adveisaire au milieu des hostilités ne pouvait que blesser le roi catholique (12).
Pendant qu’elle séjourne aux Pays-Bas, Chrétienne touche régulièrement les revenus de son douaire, c’est-à-dire du comté de Blâment et de la seigneurie de Deneuvre. En 1553, ces revenus sont de 23.414 francs (13). Ses officiers dans ces deux terres présentent tous les ans leurs comptes à elle ou à ceux qu’elle désigne pour les examiner. Ainsi, dans un mandement qu’elle adresse le 28 octobre 1556 à son conseiller, le sieur de Jaillon, elle expose que le moment de cette vérification est venu, mais qu’elle ne peut être faite ni par elle-même, à cause de son éloignement, ni par le sieur de Montbardon, son chevalier d’honneur, gouverneur de Blâmont et de Deneuvre, parce qu’elle le retient près d’elle pour son service ; elle commet donc Jaillon pour y procéder avec l’aide de Quiriace Fournier, trésorier général de Lorraine, de Louis de La Mothe, maître des requêtes, et de Bertrand Xaubourel, contrôleur général (14). Ce n’est pas tout : l’accord que Chrétienne a passé avec son beau-frère, en mai 1552, et dont il a été question plus haut, p. 144. est toujours en vigueur ; il a été convenu qu’elle recevrait 60 francs par jour pour sa dépense et celle de ses filles sur les ressources générales des duchés. En 1557, elle touche à ce titre 21.900 francs de Lorraine (15).
Si Chrétienne n’est pas à charge à la cour de Bruxelles, son fils ne l’est pas davantage à la cour de France. Son argentier, Nicolas de La Ruelle, l’a suivi à cette cour ; tous les ans, le trésorier général de Lorraine lui envoie les sommes indiquées dans des mandements du comte de Vaudémont, avec lesquelles l’argentier paye les dépenses de son maître. D’avril à décembre 1552, La Ruelle reçoit ainsi en six fois la grosse somme de 34.658 francs 3 gros (16).
La duchesse ne manque donc pas de ressources et peut vivre largement, mais elle est fort à plaindre de ne plus avoir un Etat à gouverner, d’être réduite à administrer, et de loin, son médiocre douaire qui, en tant que domaine direct, se compose d’une très petite ville et de quinze villages dans le comté de Blâmont, de douze villages dans la seigneurie de Deneuvre (17). Les négociations engagées pour rétablir la paix en Europe vont lui ménager un rôle plus en rapport avec ses aptitudes qui sont réelles et avec son ambition qui est grande. Il ne semble pas qu’elle ait participé en 1556 aux pourparlers qui aboutirent à la trêve de Vaucelles, conclue pour cinq ans, et qui ne dura que onze mois. A la fin de 1557, des négociations sont conduites par ses soins entre Henri II et Philippe II, mais n’ont pas de résultats (18). En mai 1558, Chrétienne accompagne l’évêque d’Arras, plus tard cardinal Granvelle, à Péronne, où se tient une conférence qui ne réussit pas davantage; elle rencontre là son fils qu’elle n’a pas vu depuis six ans et l’exhorte à se tenir en garde contre l’hérésie, à éviter surtout le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, qu’elle tient pour gagné aux nouvelles doctrines, et qui, en réalité, n’arrivera jamais à se décider entre les deux églises (19).
Comme les deux antagonistes étaient également épuisés et désiraient fort la paix, un rapprochement eut lieu vers la fin de cette même année 1558 : le 6 octobre, les deux rois désignèrent leurs plénipotentiaires qui étaient nombreux ; les plus qualifiés étaient le connétable de Montmorency et le cardinal de Lorraine pour la France, le duc d’Albe et Granvelle, évêque d’Arras, pour l’Espagne. Bientôt on leur adjoignit la duchesse douairière de Lorraine, et, le 12 octobre, le cardinal de Lorraine délivra à celle-ci le sauf-conduit nécessaire pour se rendre à Cercamp, abbaye abandonnée, près de Saint-Pol en Artois, où la conférence devait se tenir (20). La première réunion eut lieu le 12 octobre ; le 18, Chrétienne arrivait à Cercamp, le 21, les Anglais représentant Marie Tudor y entraient à leur tour (21). La situation était des plus difficiles et les chances d’aboutir à un arrangement paraissaient très faibles. Les hommes d’épée se faisaient bien les avocats de la paix, mais les hommes de loi et d’église plaidaient pour la guerre. Puis, les divers négociateurs parlant des langues différentes, on avait décidé de se servir du latin dans les discussions, et comme le connétable, le maréchal de Saint-André, le duc d’Albe entendaient mal cette langue, il fallait que le cardinal de Lorraine et l’évêque d’Arras servissent d’interprètes (22). Ce n’était pas pour hâter les pourparlers, aussi la conférence se prolongea-t-elle pendant plus d’un mois sans arriver à un résultat appréciable. Le 17 novembre, mourait la reine d’Angleterre, Marie Tudor, et sa sœur Elisabeth lui succédait ; les plénipotentiaires anglais ne savaient pas si la nouvelle souveraine avait les mêmes vues que l’ancienne et s’il leur fallait continuer à suivre les instructions qu’ils avaient reçues de Marie. D’autre part, l’abbaye de Cercamp était fort délabrée et inhabitable en hiver. La conférence se sépara donc le 26 novembre, en déclarant s’ajourner à l’année suivante, et une trêve fut conclue en attendant le traité définitif.
Tout en dirigeant les délibérations avec beaucoup de savoir-faire, Chrétienne n’avait pas négligé les intérêts de son fils et de la Lorraine. Un mémorandum qu’elle présenta à la conférence réclamait : la restitution de Stenay, Mars-la-Tour et Buzy, près d’Etain, que la France avait occupés au préjudice du duc, la reconnaissance à celui-ci de tous droits souverains dans le Barrois mouvant et la garantie que ce pays ne dépendrait plus judiciairement ni du bailliage de Sens, ni du Parlement de Paris, la promesse que les empiètements commis pendant la guerre par les belligérants sur les droits de Charles ne lui tourneraient pas à préjudice, enfin, qu’il fût compris dans le traité de paix comme voisin de la France et de l’Espagne (23).
En janvier 1559, Chrétienne proposa de se réunir désormais à Cateau-Cambrésis, non loin de Cambrai, où était un manoir appartenant à l’évêque de cette ville. Les intéressés acceptèrent et furent du reste aussi mal dans ce lieu qu’à Cercamp (24). Les négociations s’ouvrirent le 11 février dans le cabinet de Chrétienne et s’y continuèrent les jours suivants (25). La duchesse dirigeait la discussion qui menaçait toujours de s’aigrir, et comme elle avait à Cercamp fait preuve d’une grande dextérité, on acceptait sa direction, on lui savait même gré, semble-t-il, de mettre un peu de douceur féminine dans ces démêlés où les hommes apportaient tant de passions violentes. Il y avait du reste un précédent à cette intrusion d’une femme dans des négociations si importantes : en 1529, le traité de Cambrai avait été discuté entre Louise de Savoie, mère de François Ier, et Marguerite d’Autriche, tante de Charles-Quint, ce qui lui avait valu d’être appelé la paix des Dames.
Dans ces discussions de Cateau-Cambrésis, la grosse question, celle qui retarda le dénouement et faillit le compromettre, était la question de Calais : les Anglais voulaient recouvrer cette place qu’ils avaient possédée pendant plus de deux siècles, et les Français qui l’avaient prise de vive force ne voulaient pas la rendre. Le 3 mars, les négociateurs français, outrés de l’intransigeance anglaise, firent préparer leurs équipages pour retourner dans leur pays (26) ; c’était une rupture et la continuation de la guerre. Chrétienne alla les trouver et les calma. Le 8 mars, elle soumit aux plénipotentiaires une proposition très habile : le roi de France gardera Calais, mais en s’engageant à le rendre dans quatre, six ou huit ans, si toutefois aucun acte d’hostilité ne se produit d’ici là. Cet arrangement ménageait l’orgueil des deux souverains, il fut accepté le 12 mars, le délai inscrit dans le traité fut de huit ans (27) et le document qui constate cette acceptation est intitulé : « Articles accordez... en présence de Madame la duchesse douairière de Lorraine et de Milan, et de Monsieur le duc de Lorraine, son filz » (28). On croyait en avoir fini, mais; le 25 mars, les négociations faillirent être rompues encore une fois, parce que le cardinal de Lorraine élevait des prétentions inattendues sur l’Italie. La duchesse intervint de nouveau et empêcha la brouille (29).
Les traités de paix furent signés entre la France et l’Angleterre le 2 avril, entre la France et l’Espagne le 3. Ce dernier stipulait que « en cette paix, alliance et amitié seront compris... Monsieur le duc de Lorraine et Madame la duchesse douairière de Lorraine » (30). Après la signature, les plénipotentiaires assistèrent à un Te Deum, « puis à un banquet qu’offrit la grande ouvrière de cette réconciliation, Chrétienne de Danemark » (31). Il est curieux de constater que de Thou, ordinairement bien informé, et qui expose longuement ces négociations de Cateau-Cambrésis, ne nomme pas à cette occasion Chrétienne et paraît ignorer la part importante qu’elle y a prise (32). Un autre contemporain, Brantôme, lui rend meilleure justice : « A ceste paix, elle y servit beaucoup, voir du tout » (33). Les historiens modernes, Guillemin, de Ruble, Romier, louent le tact, la finesse, la mesure et l’esprit de conciliation qui faisaient d’elle un diplomate accompli. Elle avait su, par un effort méritoire, dominer ses préventions acerbes contre la France et agir avec impartialité. Préventions bien connues ; elle « haïssoit la nation françoise », affirme de Thou (34), et elle-même écrivait en 1558 à Philippe II, savoir « la volenté des Francois n’estre bonne en mon endroit » (35). Maintenant, elle est pleine de prévenances : le 2 avril, elle écrit des lettres fort aimables à Henri II et à Catherine de Médicis, les assurant qu’elle est heureuse d’avoir travaillé à rétablir la paix et qu’elle a eu une grande joie à revoir son fils et la jeune femme de celui-ci, Claude, - ils étaient mariés depuis le 22 janvier, - enfin, qu’elle sera constamment prête à faire service au roi et à la reine de France (36). Du reste, elle est toujours aussi dévouée à sa famille ; on le voit dans une lettre très humble, très soumise, qu’elle adresse à Philippe II le 12 octobre 1558, protestant qu’elle n’a autre désir que de lui obéir (37) ; pourtant Philippe est son cousin germain et plus jeune qu’elle de six ans, mais il est le roi et le chef de la maison d’Autriche ; elle le servira comme elle a servi Charles-Quint et comme les sœurs de cet empereur l’ont toujours servi. Bel exemple de discipline familiale et d’abnégation qu’ont donné peu de maisons souveraines.
A ces services éminents qu’elle avait rendus en diplomatie, Chrétienne en joignit d’autres, d’une nature toute différente, en aidant le roi d’Espagne à tenir sa cour de Bruxelles. Philippe II était, depuis novembre 1558, veuf de Marie Tudor, qui, du reste, n’était jamais venue le rejoindre aux Pays-Bas. Il n’épousera Elisabeth de France qu’en 1560, après son retour en Espagne. Dans l’intervalle, c’est, dit Brantôme, la duchesse de Lorraine, sa cousine, « qui lui tint bonne compagnie tant qu’il demeura là (aux Pays-Bas) et fit beaucoup valoir sa cour, car cour de roi ou d’empereur est peu de chose si elle n’est accompagnée de cour de reine ou d’emperière ou de grande princesse et de grand nombre de dames et de damoiselles » (38). L’ambassadeur de France, Laubespine, évêque de Limoges, qui s’est rendu à la cour de Philippe II peu de temps après la paix de Cateau-Cambrésis, constate lui aussi que la duchesse tient une grande place en cette cour « et la visite Sa Majesté catholicque souvent, où je scay qu’elle a faict et faict ordinairement offices dignes d’elle et de sa vertu ». Il ajoute que Chrétienne est très reconnaissante au roi de France de l’amitié qu’il porte au duc, son fils (39).
Faisant preuve d’un tel dévouement à sa maison et ayant rendu de tels services, Chrétienne attendait à bon droit une récompense aussi éminente que ses services. Elle comptait recevoir le gouvernement de ces Pays-Bas qui formaient encore un seul Etat et qui, lors de l’abdication de Charles-Quint, avaient été dévolus à l’Espagne. Marie, reine douairière de Hongrie, avait occupé ce poste pendant vingt-cinq ans, et Chrétienne, qui était sa nièce et son élève, se croyait appelée à lui succéder. Lorsque Marie avait quitté Bruxelles pour suivre son frère en Espagne, le gouvernement des Pays-Bas avait été donné au duc de Savoie qui avait fidèlement servi Charles-Quint et Philippe II et qui, ses états étant occupés par la France, méritait bien une compensation. Le traité de Cateau-Cambrésis ayant rendu son duché à Emmanuel-Philibert, la place était de nouveau vacante. Chrétienne ne l’eut pas : à sa cousine germaine, Philippe II préféra sa demi-sœur, Marguerite, fille naturelle de Charles-Quint, mariée depuis 1538 à Octave Farnèse, duc de Parme, et contrairement à son habitude d’hésitations, il s’y décida très vite. Marguerite, appelée par lui, partit d’Italie en juin 1559 et arriva aux Pays-Bas en juillet. Le 7 août, Philippe la présenta aux Etats généraux réunis à Gand, puis il partit le 10 pour aller s’embarquer à Flessingue et retourner dans cette Espagne qu’il ne quittera plus ; dès le lendemain, 11 août, Marguerite entra en fonctions.
Cette préférence donnée à Marguerite sur Chrétienne a surpris tous les historiens, depuis dom Calmet jusqu’à Henri Pirenne, et ils l’ont expliquée par des motifs divers qui, tous, peuvent avoir agi : l’aristocratie des Pays-Bas souhaitait la nomination de Chrétienne qui avait été élevée dans le pays, et l’un de ses chefs, Guillaume d’Orange, voulait épouser Dorothée, fille cadette de Chrétienne, pour devenir plus puissant ; or, Philippe, qui s,e méfiait déjà de cette noblesse, craignait que la duchesse ne tombât sous son influence et ne gouvernât plutôt pour les Pays-Bas que pour l’Espagne ; le fils de la duchesse avait épousé une fille d’Henri II et se trouvait donc lié à la politique française ; Chrétienne ne cachait pas son projet de faire valoir ses droits sur le Danemark et même sur la Suède, ce qui pouvait amener des complications dangereuses, transformer les Pays-Bas en place d’armes pour agir en Scandinavie, entraver toute la politique de Philippe II (40). A ces raisons fort valables, il faut, croyons-nous, ajouter celle-ci qui fut peut-être la plus forte : Philippe II ne donnait à Marguerite de Parme que les apparences du pouvoir, avec des instructions secrètes lui prescrivant de suivre en toutes choses les avis du cardinal Granvelle, en qui il avait toute confiance, et Marguerite acceptait faeilement cette situation assez humiliante, mais Philippe connaissait assez le caractère entier et impérieux de sa cousine pour être assuré qu’elle ne s’y plierait pas, qu’elle voudrait gouverner par elle-même. Il préféra la personnalité la plus effacée.
La déception dut être vive pour Chrétienne et la disposer mal pour celle qui la supplantait. Dans une lettre au roi de France du 4 août 1559, Laubespine lui apprend que Madame de Lorraine et Madame de Parme ne se sont pas encore vues, qu’il y a entre elles une question de préséance et que le roi d’Espagne travaille à tout arranger (41). L’ambassadeur de Venise relate, lui aussi, ce débat de préséance, qui était donc de notoriété publique (42). On aimerait savoir à qui Philippe II a donné la première place, à la fille illégitime de Charles-Quint, ou à la nièce très légitime de cet empereur ? Cette dernière faillit avoir sa revanche dix-sept ans plus tard : lorsque Requesens, gouverneur général des Pays-Bas, mourut, le 5 mars 1576, il fut question de Chrétienne de Danemark pour le remplacer, quoiqu’elle eût déjà cinquante-cinq ans et une santé délabrée (43).
Revenons à l’été de 1559. Il semble qu’alors Chrétienne subit une crise de découragement et de déception. Le gouvernement des Pays-Bas lui a échappé et elle ne peut honorablement rester dans cette contrée. Elle répugne à se retirer en Lorraine, se rappelant les difficultés qu’elle a eues avec la noblesse de ce pays, et en prévoyant peut-être d’autres avec sa bru. Et elle écrit à Philippe II une lettre éplorée où, rappelant sa parenté, ses services, son affection pour l’empereur défunt, elle le supplie de lui donner ce duché de Bari, dans le royaume de Naples, que la reine douairière de Pologne, fille de Jean-Galéas, duc de Milan, avait détenu récemment (44). La réponse de Philippe II, sous forme de note impersonnelle, a un peu le ton d’une réprimande : ce qu’elle a de mieux à faire est de se retirer dans son douaire lorrain, non loin de son fils, pour le conseiller et le maintenir dans lies sentiments d’affection qu’il lui doit. En agissant autrement, elle donnerait cours aux soupçons et aux médisances. Si elle ne prend pas ce parti, l,e roi lui offre dans ses états un asile en rapport avec sa naissance et son rang, par exemple la ville de Lecce, dans le royaume de Naples ; il lui constituera une rente de 10.000 écus, 6.000 sur le royaume de Naples, 4.000 sur le Milanais, en l’autorisant à en vendre 4.000 à réméré. Qu’elle veuille bien se contenter de cette offre, car il est impossible au roi de faire mieux pour le moment. Surtout qu’elle cesse de se plaindre de n’avoir pas eu le gouvernement des Pays-Bas, car elle ne fait que se compromettre et nuire aux intérêts de Sa Majesté (45).
Cette dernière indication est intéressante en nous montrant que Chrétienne récriminait partout sur l’ingratitude de Philippe à son égard et se posait en victime. A-t-elle trouvé judicieux le conseil de se rapprocher de son fils, ou bien l’irritation qu’elle dut éprouver à être chapitrée par ce cousin plus jeune la détourna-t-elle d’accepter son hospitalité ? De toutes façons, cette réponse de Philippe II paraît bien l’avoir déterminée à rentrer en Lorraine, et c’est ce qu’elle fit sans grand délai, puisque nous l’y voyons à la date du 31 octobre 1559.
 

II

Plus de sept ans s’étaient écoulés depuis que Chrétienne avait, bien malgré elle, quitté ce pays. Elle le trouvait politiquement très changé. Pendant les six premières années, tout le pouvoir avait appartenu à ce comte de Vaudémont qu’elle avait si longtemps maintenu dans une condition subalterne, et c’est lui qui avait signé les lettres patentes. Son fils Charles était, en 1559, devenu majeur, non du fait de son âge, seize ans moins un mois, mais du fait de son mariage, la Coutume de Lorraine, titre IV, article 12, déclarant majeures toutes personnes mariées. Le contrat avait été signé le 19 janvier, le mariage religieux célébré le 22, et c’est le contrat seul qui avait produit la majorité puisque, dès le lendemain 20, Charles III signait ses premières lettres patentes (46). Dès lors, il gouverne, mais comme il est en France et y restera encore plusieurs mois, il y a une sorte de partage, sinon du pouvoir, du moins des fonctions. : Charles signe quelques actes importants, par exemple la nomination d’un chef du Conseil, d’un grand maître des finances, d’un premier chambellan, d’un secrétaire d’Etat, ou le don d’une forêt (47) ; Vaudémont, qui réside à Nancy ou à Nomeny, et qui agit, non plus comme tuteur, mais comme lieutenant général de son neveu, signe les actes beaucoup plus nombreux qui règlent des affaires secondaires. Aucun document n’émane plus de Chrétienne, sauf ces lettres patentes du 31 octobre 1559 qui constatent sa présence à Nancy, mais c’est là le don d’une prébende en la collégiale de Deneuvre, et nous avons expliqué plus haut qu’elle avait toujours conservé la collation des bénéfices ecclésiastiques.
Il est à remarquer que le duc et sa mère sont rentrés en même temps en Lorraine, peut-être à pareil jour, puisque Charles III est à Nancy le 3 novembre au plus tard (48). A-t-il tenu à être dans sa capitale pour y recevoir sa mère, ou bien a-t-il craint qu’arrivant la première, elle ne s’installe au pouvoir et ne fasse quelques difficultés de le lui restituer ?
Si la Lorraine est changée, Chrétienne ne l’est pas moins. Brantôme nous affirme qu’elle est encore belle, mais elle n’est plus jeune, puisqu’elle a trente-huit ans, et les projets de la remarier, continuels dans les premières années de son veuvage, ont cessé. C’est le lieu d’énumérer ces projets dont plusieurs paraissent n’avoir été que des bruits publics sans consistance, comme il s’en produit toujours, et de notre temps encore, au sujet des princesses du sang. En 1547, on parle de son mariage, avec le fils de Sigismond-Auguste, roi de Pologne, et comme elle va alors à la diète d’Augsbourg, on veut que ce soit pour arranger cette union désirée par l’empereur (49). Selon Brantôme, François, fils aîné de Claude, duc de Guise, aurait désiré l’épouser et lui en aurait parlé ; très fière, elle aurait répondu qu’elle ne voulait pas devenir la femme d’un cadet de la maison de Lorraine après l’avoir été de l’aîné ; Guise, blessé de ce mépris, aurait, en 1552, conseillé à Henri II de la traiter avec rigueur (50). Chrétienne était veuve depuis juin 1545 et, en décembre 1549, François de Guise épousa Anne d’Esté, fille du duc de Ferrare ; c’est donc entre ces deux dates que se placerait cette demande en mariage, qui reste hypothétique, puisqu’elle n’est rapportée que par Brantôme, trop friand d’anecdotes pour s’inquiéter beaucoup si elles sont vraies. En 1550, Chrétienne va à une nouvelle diète d’Augsbourg, et alors il est question de l’unir au duc d’Holstein, frère du roi de Danemark ; il semble que Charles-Quint désirait cette union, mais elle refuse de voir Holstein et M. Zeller croit qu’elle rêvait d’épouser son cousin germain, l’infant don Philippe, qui sera Philippe II, veuf depuis 1545 de Marie de Portugal, et qui n’épousera Marie Tudor qu’en 1554 (51). En 1551, c’est à Emmanuel-Philibert, fils aîné du duc de Savoie, que Charles-Quint veut donner sa nièce (52). Ce prince l’avait bien servi à la guerre, et il était tout à fait dans la manière de cet empereur de récompenser les services par des mariages brillants, sans trop se préoccuper de l’avis des intéressées ; d’ordinaire les princesses de sa famille acceptaient docilement ses décisions, mais cette fois il ne réussit pas, peut-être parce que Chrétienne savait plus jeune qu’elle de six ans celui qu’on lui destinait. Enfin, en 1553, un ambassadeur de Venise annonce que Frédéric, électeur palatin, beau-frère de Chrétienne, songe à marier celle-ci à Albert, margrave de Brandebourg., afin d’exciter ce prince contre le roi usurpateur du Danemark (53).
Maintenant qu’il n’est plus question de Chrétienne, trop âgée pour convoler de nouveau, c’est à ses filles, encore bien jeunes, Renée quinze ans, Dorothée quatorze, que les faiseurs de nouvelles veulent donner des époux. François II a été sacré à Reims le 18 septembre 1559 ; Charles 111 et sa femme Claude assistaient à la cérémonie, après laquelle le roi et Marie Stuart les reconduisent jusqu’à Bar-le-Duc. Il faut trouver un motif secret à cette démarche bien naturelle et Chantonnay, ambassadeur du roi catholique auprès du roi très chrétien, s’en charge : dans une lettre à la duchesse de PRime, il indique que la duchesse douairière de Lorraine viendra aussi à Bar avec ses filles et qu’on traitera du mariage de celles-ci avec les fils du duc François de Guise (54). Nous verrons plus loin que ces deux jeunes filles se marieront, non pas en France, mais en Allemagne, unions bien conformes aux sentiments impérialistes de leur mère.
Car celle-ci est toujours aussi attachée à sa famille maternelle, c’est-à-dire à la maison d’Autriche, et elle le prouve lorsque son cousin germain, qui sera deux ans plus tard l’empereur Maximilien II, est couronné roi des Romains. En plein hiver, elle entreprend un long voyage pour assister à la cérémonie qui se fait à Francfort le 24 novembre 1562. Ce qui lui vaut une mission de Catherine de Médicis, avec laquelle elle est alors en relations amicales, et qui la qualifie « ma soeur ». La reine l’approuve de n’avoir pas emmené avec elle sa belle-fille Claude, puis sachant que Maximilien a des sympathies pour le protestantisme, elle prie la duchesse d’expliquer à lui et aux princes allemands les causes de la récente guerre de religion et de démentir ce que le prince de Condé leur a fait croire (55).
D’autre part, Chrétienne va à Reims avec son fils et sa bru pour le sacre de Charles IX, qui a lieu le 5 mai 1561, et elle fait dans la ville cette entrée pompeuse qui choque un peu Catherine de Médicis (56). A-t-elle donc renoncé, peut-être à la prière de Charles III et de Claude, à son attitude hostile envers la maison de Valois ? Va-t-elle enfin observer cette neutralité dont l’oubli lui avait valu de si cruelles épreuves ? Il s’en faut. Si elle a maintenant des rapports de courtoisie avec les souverains de la France, si elle leur rend à l’occasion de menus services, elle reste toujours Habsbourg dans le fond de sa pensée et de son cœur, et ne songe qu’à être utile aux deux branches de cette maison, celle de Madrid et celle de Vienne. On le vit bien en 1564 dans deux circonstances : au mois de mars, le cardinal Granvelle, principal ministre de Philippe II, se rendant des Pays-Bas en Franche-Comté, devait nécessairement traverser la Lorraine, mais ne comptait point passer par Nancy. La duchesse lui envoya un de ses gentilshommes pour l’engager à s’arrêter dans cette ville et il fit un détour en vue de la satisfaire. Il ne resta pas plus de vingt-quatre heures à Nancy, les 18 et 19 mars, mais cela suffit à Chrétienne pour se plaindre de beaucoup de personnes : de sa bru qui représentait à la cour de Lorraine l’influence française, du roi de France et de sa mère auxquels elle prêtait des desseins pervers, de son cousin, Philippe II, et de son oncle, l’empereur Ferdinand Ier, qui ne lui témoignaient pas assez d’attachement et ne paraissaient pas s’intéresser à ses projets sur le Danemark. Granvelle et Chrétienne se connaissaient depuis longtemps, puisqu’ils avaient négocié ensemble à Cercamp et à Cateau-Cambrésis, qu’auparavant ils avaient fréquenté la cour de Bruxelles ; ils n’eurent pas de peine à s’entendre pour contrebattre l’influence française en Lorraine (57).
Puis, un fils, qui sera le duc Henri II, était né, le 8 novembre 1563, du mariage de Charles III et de Claude de France. Dans les familles princières, le choix des parrains et des marraines avait toujours une signification politique. On le vit bien pour le baptême d’Henri, qui se fit à Bar-le-Duc, le 7 mai 1564. Le roi Charles IX et sa mère Catherine devaient tenir l’enfant sur les fonts, mais Chrétienne proposa - et imposa - en outre le roi Philippe II et elle-même, de sorte que le jeune Henri aurait deux parrains et deux marraines, au mépris d’un décret du concile de Trente qui interdisait cette pluralité. La théologie était sacrifiée à la politique. Elle aurait voulu faire échouer cette cérémonie, car se rappelant ses épreuves de 1552, elle se figurait que, sous prétexte du baptême, Charles IX viendrait avec une forte armée et mettrait la main sur la Lorraine. Rien de tel ne se produisit. La cour de France arriva à Bar dès le 1er mai avec une suite nombreuse ; on y voyait le poète officiel, Pierre de Ronsard, qui ne manqua pas d’écrire des vers de circonstance. Le roi donna des fêtes splendides qui laissèrent aux habitants du Barrois mouvant une haute idée de la puissance française. Philippe II, qui résidait alors à Madrid, était représenté par le comte de Mansfeld, gouverneur du Luxembourg ; ce personnage subalterne et peu accompagné fit assez piètre figure et Chrétienne, nous l’avons dit en retraçant son caractère, trouva mesquine la bague de 3.400 écus qu’il lui offrit au nom de son maître. Sur tous les points, la maison d’Autriche était éclipsée par la maison de France, au grand dépit de l’orgueilleuse duchesse. Elle manifesta sa mauvaise humeur en se disant malade et en arrivant avec ses deux filles au dernier moment (58).
Si Chrétienne n’a pas toujours à se louer de la cour de France, ni même des cours de Vienne et de Madrid, en revanche elle a les meilleurs rapports avec la cour de Rome. Dans les instructions qu’il donne en 1567 à Piersanti, son envoyé en Lorraine, le pape, saint Pie V, loue sa vertu, sa prudence, sa piété, son zèle pour la foi catholique. Elle-même, écrivant à ce pape en 1566, proteste que son fils et elle seront toujours de dévoués serviteurs du Saint-Siège et mettront tous leurs soins à maintenir leurs sujets dans la foi catholique (59). Vers le même temps, un acte pontifical permet à Chrétienne, à son fils et à ses filles de choisir un clerc qui aura le pouvoir pour les absoudre de toute censure ecclésiastique (60).
La duchesse tenta d’utiliser ces bonnes dispositions de la cour de Rome pour faire aboutir une entreprise de son fils. Depuis l’occupation de Toul par la France en 1552, l’évêque de Toul, qui était alors Toussaint d’Hocédy, était fort embarrassé par le temporel de son évêché : il lui fallait le défendre contre les attaques des huguenots, contre les pillages des armées qui passaient sans cesse dans cette région frontière, contre les officiers du roi de France qui voulaient s’en emparer. Il s’avisa, en 1562, de le vendre au duc de Lorraine qui était plus que lui de force à le protéger. Mais l’accord du duc et de l’évêque ne suffisait pas pour réaliser ce transfert de territoire : le chapitre de Toul protesta avec énergie en 1563, le pape et l’empereur cassèrent la cession en 1564. Chrétienne écrivit à Pie V, à son oncle, Ferdinand Ier, pour les prier de renoncer à leur opposition, mais n’obtint rien ; Rome alla jusqu’à menacer d’excommunication Charles III et Hocédy s’ils persistaient dans leur dessein, et l’évêque, effrayé, révoqua la cession en 1565. Le 24 mars de cette année, Chrétienne écrivait encore à Granvelle pour le faire intervenir dans cette négociation (61).
Toutes ces affaires si variées ne suffisaient ni à l’activité de Chrétienne, ni à son ambition ; elle en eut encore une autre qui fut son « grand dessein » et sa pensée de tous les instants : récupérer le trône de Danemark qui avait été ravi à son père, Christiern II, en 1523, après quatre ans seulement de règne. Quand elle était encore fort jeune, sa tante, la reine de Hongrie, avait déjà fait, en 1539, une tentative pour conquérir le Danemark avec l’aide des ducs de Mecklembourg et d’Oldenbourg, et le rendre à ses nièces ; elle avait échoué (62). Ni elle ni son frère n’avaient été découragés, car, en 1546, Charles-Quint écrit à Marie pour lui signaler des négociations en vue d’assurer à leurs nièces au moins une indemnité ; il est au reste d’avis de faire la sourde oreille, preuve qu’il envisage une reconquête totale (63). Pendant les vingt-cinq ans où elle gouverne les Pays-Bas, Marie de Hongrie a des relations extrêmement tendues avec le Danemark ; il y a des actes de piraterie continuels entre Danois et Néerlandais, et le roi de Danemark ferme le Sund aux marins des Pays-Bas. Chrétienne est donc encouragée par l’exemple de son oncle et de sa tante à revendiquer sa couronne.
Cependant elle se tient tranquille tant qu’elle gouverne la Lorraine, ayant assez à faire dans ses duchés et étant trop loin pour agir sur le Danemark. Mais quand son fils gouverne, elle a des loisirs. De plus, en 1559, elle apprend en même temps la mort de son père Christiern II, et celle de Christiern III, fils de celui qui l’avait renversé. Dans l’été de 1560, elle fait le voyage d’Heidelberg pour se concerter au sujet des affaires du Danemark avec sa sœur aînée, Dorothée, veuve depuis 1556 de l’électeur palatin (64). Elle n’aboutit pas. En 1562, le nouveau roi de Danemark, Frédéric II, lui fait des avances et propose une entrevue pour arriver à une réconciliation. Il charge le porteur de sa lettre, un certain Paul de Zara, de s’entendre avec Chrétienne, - « Votre Dilection », comme il l’appelle, - sur le lieu de cette entrevue, Munster ou Oldenbourg, et sur l’époque. Pour ne pas s’y rendre, Chrétienne prétexte les affaires de France ; la première guerre de religion vient d’éclater, son fils est le beau-frère du roi Charles IX, le cousin du duc de Guise, qui commande l’armée ; elle ne peut s’absenter en un pareil moment (65). Il est clair que, pas plus que son oncle et sa tante, elle ne veut envisager une transaction.
Puisqu’elle repousse tout accommodement, elle est conséquente avec elle-même, mais insoucieuse des droits de sa sœur aînée en prenant hardiment le titre de reine de Danemark. Dans un acte de 1563, elle se qualifie : « Chrestienne, par la grâce de Dieu, royne née de Dennemarck, Suède, Norvègue, etc., duchesse douairière de Lorraine, Bar, Milan, etc. » (66). Et cette prétention est reconnue de divers côtés : en 1569, dans une lettre à la duchesse de Nemours, Catherine de Médicis appelle Chrétienne « la royne de Danemark » (67). Elle a ce même titre dans la dédicace d’un livre italien qui décrit en 1568 le mariage de sa fille Renée avec le duc de Bavière (68). Enfin, on lit Christiana regina sous son portrait dans une fresque du cloître de Saint-Dié, qui commémore son passage dans cette ville en mai 1547, mais a dû être peinte quelque temps après (69).
Elle ne s’en tient pas là. Elle forme des plans pour se mettre en possession de son royaume ét des mémoires lui sont présentés par des personnes expertes pour lui expliquer les préparatifs à faire. Le cardinal Granvelle et le baron de Bollwiller, un capitaine alsacien qui est très dévoué à la maison d’Autriche et à Chrétienne en particulier, examinent ces mémoires et donnent leurs avis qui sont encourageants (70). Ces mémoires paraissent rédigés en 1564, ils ne sont pas signés, mais la duchesse devait connaître parfaitement leurs auteurs. Le moment est favorable pour agir, écrit l’un d’eux, car le roi qui occupe le trône de Danemark paye ses soldats en si mauvaise monnaie, n’ayant pas cours en Allemagne, que personne ne veut plus entrer à son service. Un autre conseille de s’assurer l’appui du roi de Suède et du « Moscovite », c’est-à-dire du tsar Ivan le Terrible. Quatre autres mémoires sont restés manuscrits, ils n’ont aucune date, mais leurs auteurs, sauf un, se font connaître : l’un est Pierre Oxe, sans doute un Danois, qui est très attaché à Chrétienne et qu’elle fit nommer chambellan du duc et capitaine de Schaumbourg. Un autre a pour titre « Articles de l’homme congneu sur le négoce que l’on scait », et exprime l’opinion de l’évêque d’Osnabruck. Le troisième est rédigé par Guillaume de Grombach et Joachim Zitzeritz ; le dernier, œuvre d’Herbert von Langsen, traite, non plus du Danemark, mais de la Suède qu’il faut enlever au roi Gustave Vasa qui la tyrannise (71).
Rien de tout cela n’aboutit ; l’argent et les alliés manquaient sans doute, et ni le duc Charles III, ni l’empereur, ni le roi d’Espagne, ne voulaient risquer leurs forces dans une entreprise aussi lointaine et aussi incertaine. En 1569, Granvelle avertit Philippe II que Chrétienne songe toujours à recouvrer le Danemark, que constamment elle lui écrit ou lui fait écrire par son conseiller, Silliers, pour qu’il prenne cette entreprise à cœur. Je lui ai répondu, ajoute-t-il, que le roi a déjà assez d’affaires sur les bras (72). Mais Chrétienne ne renoncera pas à ses vues sur le Danemark ; Elle pensera à ce pays jusqu’à la fin de sa vie, quand, retirée en Italie, âgée et malade, elle est moins que jamais en état de conquérir un royaume.
Ainsi, malgré ses capacités réelles, Chrétienne n’avait pas réussi dans ses entreprises au dehors. Vers la fin de son séjour en Lorraine, elle eut une compensation par le brillant mariage de sa fille aînée Renée, Il avait été question de plusieurs partis pour cette jeune fille, par exemple, en 1565 et 1566, du roi de Suède, de don Juan d’Autriche, du duc d’Urbin (73), mais ces projets n’avaient pas abouti ; elle avait maintenant environ vingt-quatre ans, âge auquel la plupart des princesses d’alors étaient mariées depuis longtemps. En 1567 parut un autre prétendant, le prince bavarois Guillaume, fils du duc Albert V, qui sera duc lui-même en 1579 sous le nom de Guillaume V et sera surnommé le Pieux, ou le Religieux, à cause de son attachement extrême à l’Eglise catholique. Le dévouement à cette Eglise n’était pas moindre dans la maison de Lorraine et ces convictions communes rapprochaient les deux familles et facilitaient leur alliance. Il y avait du reste un intermédiaire puissant, l’empereur Maximilien II, qui était proche parent des deux époux (74). Le contrat fut passé, le 3 juin 1567, à Munich (75). Peu après, et au plus tard en septembre, le prince bavarois vint en Lorraine pour voir celle qui lui était destinée et pour la cérémonie des fiançailles qui se fit sans doute à Blâmont, résidence habituelle de la mère de Renée (76). Le mariage fut célébré le 22 février 15’68 (77), dans la résidence de l’époux, c’est-à-dire à Munich, où Chrétienne était venue avec ses deux filles, où s’était rendu aussi le comte de Vaudémont avec sa femme et sa fille Louise, la future reine de France, qui tenait la traîne de la mariée (78). Le contrat de mariage ne fut ratifié par Chrétienne et Charles III que le 28 décembre 1568 (79).
Tout cela, ce sont en quelque sorte les affaires étrangères de la duchesse douairière. Il faut voir comment elle se comporte dans l’intérieur du duché. Pour y réussir, il serait bon de connaître exactement où elle réside, mais nous ne le savons que bien mal. Faute de documents, il y a de telles lacunes dans son itinéraire qu’on ne peut sans imprudence en tirer des conclusions. Il semble qu’elle se partage le plus souvent entre Nancy, la capitale des deux duchés, et Blâmont, la capitale de son douaire, sauf à paraître quelquefois dans d’autres villes, Bar-le-Duc, Châtel-sur-Moselle, Gondrecourt, par exemple. Si elle vient fréquemment à Blâmont, très petite ville où les distractions ne doivent pas être nombreuses, c’e n’est pas que l’administration de ce comté réclame sa présence, c’est que là elle est seule maîtresse et ne rencontre aucune contradiction. A Nancy, il en va autrement. Chrétienne s’en explique à Granvelle quand il passe en Lorraine en mars 1564 et laisse voir qu’elle s’entend mal avec sa bru, Claude de France ; elle se plaint qu’on la dessert auprès de la reine-mère, Catherine de Médicis, en lui répétant que sa fille n’a pas ce qui convient à son rang. C’est faux, affirme Chrétienne, car en un an elle a dépensé plus de 60.000 francs, rien que pour ses menus plaisirs (80). Grave accusation, et qui semble au moins exagérée, car en 1562, Claude n’a reçu du mois d’août au mois de décembre que 14.565 francs pour toute sa dépense, ordinaire et extraordinaire (81). Au vrai, Chrétienne et Claude appartiennent à deux générations différentes, qui n’ont pas les mêmes idées, les mêmes goûts, et qui se comprennent mal. Surtout elles représentent deux politiques différentes, l’espagnole et la française, qui, en dépit de la paix de Cateau-Cambrésis, continuent à s’affronter.
Malgré ces difficultés avec Claude, la duchesse douairière reste en bons termes avec Charles, et quand celui-ci s’absente de ses Etats, ce qui est fréquent dans les premières années du règne, il confie la régence à sa mère. Peu de temps après sa rentrée en Lorraine, Charles III est prié par son beau-frère, François II, de venir le voir à Paris. Il accepte d’autant plus volontiers qu’à ce moment ses sujets insistent pour qu’il prête le serment habituel de respecter leurs privilèges ; il espère se soustraire à leurs instances en s’éloignant. Au début de 1560, en février sans doute (82), il promulgue des lettres patentes disant : Il nous est souvent nécessaire de nous absenter de nos duchés, et par suite de les confier à une personne sûre. Nous avons supplié notre mère, la duchesse douairière Chrétienne, de bien vouloir assumer cette charge, parce qu’elle nous a toujours porté affection de bonne mère et parce qu’elle est « congnoissante et versée ès plus haultes négoces d’entre les plus grandz princes chrestiens ». Elle a bien voulu condescendre à notre requête et nous l’avons établie régente et gouvernante en nos pays. Nous ordonnons à tous nos vassaux et sujets de lui obéir comme à nous même et nous promettons à notre mère d’avoir pour agréable tout ce qui sera ordonné par elle.
Voilà Chrétienne heureuse et glorieuse, car elle est de nouveau au pouvoir et elle y est seule, elle n’a même plus pour la limiter le très faible contrôle de son beaufrère, Nicolas, qui signait après elle les lettres patentes. Maintenant, ces lettres portent une seule signature, la sienne. Elle est plus maîtresse en Lorraine qu’elle ne l’a jamais été, mais ce n’est que pour un temps assez court. Les lettres émises par elle sont comprises entre le 14 mars et le 31 août 1560, ce qui fait cinq mois et demi de régence, - de règne. Toutes ces lettres sont pareilles quant à leurs formules ; la suscription est : « Chrestienne de Danemarck, duchesse douairière de Calabre, Lorraine, Bar, Gueldre, Milan, comtesse de Blâmont, régente et gouvernante ès pays de nostre très cher et très amé filz, Charles, par la grâce de Dieu duc de .... à tous deux qui ces présentes verront, salut. » Et à la fin, on lit : « Car tel est nostre vouloir. En tesmoing de quoy, nous avons à ces présentes signées de nostre main fait mectre et appendre le grand seel die nostre dict filz. » Quant à la date, Chrétienne ne se conforme pas dans ces lettres à l’usage lorrain qui était de commencer l’année à la fête de l’Annonciation (25 mars) ; elle la commence à Pâques, non pas sans doute parce que c’est l’usage de France, mais parce que c’est l’usage de ce Brabant où elle a été élevée (83). Elle est si habituée à ce style de Pâques qu’elle lui restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie, quand elle résidera en Italie où ce style n’a jamais été en vigueur.
Pendant ce laps de moins d’une demi-année, Chrétienne promulgua cinquante lettres patentes. Vingtdeux traitent de menues affaires administratives, nominations de fonctionnaires et de prébendiers, acensements, confirmations d’acquêts, autorisations diverses. Trois seulement de ces actes méritent une mention : le 11 mai, Chrétienne renouvelle pour trois ans, à Gérard Fredeau, le bail de l’impôt sur la sortie des marchandises (84) ; Le 4 août, elle crée à Bussang, aux sources de la Moselle, un marché franc tous les samedis, dans l’intérêt des ouvriers qui travaillent aux mines nouvellement découvertes en ce lieu (85) ; le 17 août, elle prescrit aux religieux de l’ordre de saint François, qui errent dans le pays, au scandale de tous, de rentrer dans leurs couvents, ou bien d’exhiber les dispenses qu’ils prétendent avoir (86). Les vingt-huit autres lettres sont des lettres de rémission pour meurtre. Dans le chapitre sur la justice, nous avons noté que lorsqu’elle exerçait la tutelle, Chrétienne usait de son droit de grâce avec mesure et discernement. Maintenant, elle paraît avoir le pardon beaucoup plus facile et c’est ceci, plutôt qu’un accroissement subit de la criminalité, qui explique ce nombre élevé de lettres de rémission dans un temps si court. Beaucoup des meurtres dont il s’agissait étaient commis depuis longtemps et leurs auteurs, craignant une punition sévère, s’étaient enfuis des duchés. Apprenant que Chrétienne était régente et qu’elle se montrait clémente, les coupables rentrèrent, lui présentèrent leurs suppliques et reçurent d’elle des lettres de rémission qu’ils n’auraient sans doute pas obtenues de son fils. Faire grâce n’était-il pas pour la duchesse une façon d’affirmer son pouvoir ?
La duchesse fut encore régente à deux reprises, en août 1561 et en juillet 1566 (87). Mais ces nouvelles régences furent beaucoup plus brèves et ne furent pas marquées par une aussi grande activité de la titulaire. C’est sans doute dans l’un de ces cas que Charles III transmit le pouvoir à sa mère par des lettres sans date, où il la loue de s’être « employée à la pacification universelle de toute l’Europe, selon qu’il est notoire » (88).
Précisément peut-être parce qu’elle s’était montrée indulgente à des meurtres dont beaucoup avaient été commis au sortir des cabarets, Chrétienne se montra sévère pour ces maisons, causes de tant de disputes, de tant de sang versé. Une première ordonnance, du 21 août 1560, est faite pendant cette longue régence dont il vient d’être question et doit s’appliquer aux deux duchés de Lorraine et de Bar ; elle interdit la fréquentation des cabarets, à peine de 30 francs d’amende. Une seconde, du 22 août 1565, établit la prison en cas de récidive ; la dernière, du 6 mars 1566, porte l’amende de 30 à 50 francs (89). N’ayant pas le texte, mais seulement de brèves analyses de ces diverses ordonnances, nous ne savons pas si les deux dernières sont faites pour l’ensemble de l’Etat lorrain, ou seulement pour le douaire de la duchesse. Ce qui reste acquis, c’est que cette femme fut un adversaire décidé ^ de l’ivrognerie et par suite un précurseur.
Bien qu’elle n’eût plus qu’à de rares intervalles un Etat à gouverner et son prestige à maintenir, elle menait grand train et avait à son service un personnel nombreux et de choix. Il est curieux de comparer les maisons de Chrétienne, duchesse douairière, et de Claude, duchesse effective. Celle-ci a autour d’elle huit dames d’honneur et huit demoiselles d’honneur (90) ; en 1561, sa belle-mère a douze demoiselles d’honneur ; elle a en outre huit gentilshommes dont le plus en vue est ce Français émigré, M. de Montbardon, que nous avons déjà cité plusieurs fois, trois conseillers, deux aumôniers, un médecin, un chirurgien, un apothicaire ; elle a aussi des pages et quantité d’hommes et de femmes dans les emplois inférieurs (91). Une maison aussi nombreuse coûte cher ; le compte de Pierre Jault, secrétaire et trésorier de Chrétienne, compte allant du 14 décembre 1560 au 12 novembre 1563, inscrit pour ce laps de temps 50.382 fr. 11 gros de gages et 195.992 fr. 1 gros d’autres dépenses; au total 246.375 fr. de Lorraine (92).
Pour faire face à ces grosses dépenses, Chrétienne a des ressources variées : en 1562, le trésorier général de Lorraine lui verse 21.900 fr. pour son entretien et celui de ses deux filles pendant les 365 jours de l’année, à raison de 60 fr. par jour (93). Bien entendu, cette sorte de pension lui est payée régulièrement tous les ans. Elle ne couvre que les dépenses ordinaires, les dépenses exceptionnelles donnant lieu à des allocations supplémentaires. Ainsi, en 1561, Chrétienne reçoit 6.000 fr. de l’argentier de son fils au moment de partir « pour le voyage de Reims », c’est-à-dire pour le sacre de Charles IX, célébré dans cette ville le 5 mai 1561 (94). Elle peut ainsi tenir son rang à cette imposante cérémonie et fait à Reims cette entrée qu’a décrite Brantôme, dans un carrosse superbe traîné par quatre chevaux blancs de toute beauté attelés de front (95). Puis elle a les revenus de son douaire, composé de deux fiefs d’étendue inégale, Blâmont et Deneuvre. Elle les administre avec soin et voulant connaître l’étendue de ses droits sur ces terres, elle se fait remettre, en avril 1564, tous les titres qui les concernent ; quand elle les restitue un an après, en mai 1565, au Trésor des chartes de Lorraine, elle a eu le temps de les étudier de près (96). Cette même année, elle fonde à Blâmont un bureau de charité qui donne aux voyageurs pauvres la passade, c’est-à-dire un repas et un gîte (97). En 1569, elle favorise la translation à Domêvre, dans le Blâmontois, de l’abbaye de chanoines réguliers de Saint-Sauveur (98).
Tout près de Baccarat, qui appartenait à l’évêché de Metz, Deneuvre était le chef-lieu d’une prévôté lorraine et possédait une collégiale où le corps du duc François Ier, l’époux de Chrétienne, avait été déposé plus d’un an, en attendant qu’on pût célébrer les funérailles. C’est aussi à Deneuvre qu’avait été passé, le 6 août 1545, le pacte de tutelle entre la duchesse et son beau-frère, Nicolas, évêque de Metz. De tels souvenirs devaient attacher Chrétienne à cette bourgade. Elle fit reconstruire, de 1586 à 1589, le pont de pierre lancé sur la Meurthe, qui avait été emporté par une crue (99). Le bois de la Moncelle était resté, semble-t-il, indivis entre Metz et Lorraine et les habitants de Baccarat et de Deneuvre y avaient des droits d’usage sur l’étendue desquels s’élevaient de fréquentes disputes entre ces deux communautés. Pour y mettre fin, Chrétienne passa, en 1567, avec l’évêque de Metz, un traité qui lui assurait la pleine propriété de 500 jours de ce bois (100). Cette princesse résidait assez souvent à Deneuvre, et, désirant lui ètre agréables, des étymologistes improvisés, comme la Renaissance en a produit beaucoup, prétendirent que ce nom de lieu venait de Danorum opus et que le village et son château auraient donc été construits par de lointains compatriotes de Chrétienne de Danemark. On sait maintenant que la forme la plus ancienne de ce nom est Danubrium, qui se lit dans des chartes de ia première moitié du XIIe siècle, et qui parait venir du celtique, Dano-briga, le château de Danos (101).
Et, enfin, Chrétienne posséda quelque temps et exploita à son profit Rosières-aux-Salines. Le 28 mars 1563, Charles III lui fit une donation viagère de la saline, de la ville et de la prévôté de ce lieu pour l’indemniser de ce que lui avait coûté l’éducation de ses deux sœurs (102). Le cadeau n’était pas de grande valeur, car l’exploitation de la saline était arrêtée depuis 1484, mais Chrétienne la restaura, fit reprendre le travail et mit sur la grande porte ses armes avec une inscription qui relatait ses titres, y compris celui de reine de Danemark, et apprenait aux passants qu’on lui devait le rétablissement de cette saline (103). Le 17 mai 1585, elle fit une ordonnance pour régler la marche de l’exploitation et déterminer les attributions des officiers attachés à la saline (104). Que se passa-t-il ensuite ? Chrétienne s’aperçut-elle que l’entreprise rapportait peu, ou même coûtait, que Rosières ne pouvait pas lutter contre la concurrence des autres salines lorraines ? Nous ne le savons pas ; ce qui est certain, c’est que, dès le 30 décembre 1565, elle rétrocédait la saline à son fils et que, le 15 janvier 1566, celui-ci lui assignait en compensation une rente viagère de 4.000 écus au soleil, soit 16.000 francs de Lorraine, sur la caisse du trésorier général (105). De plus, Charles qui, en 1562, lui avait donné, sa vie durant, la jumenterie de Portieux, près de Rosières, transforma, le 1er juin 1566, ce don viager en pur don, de façon qu’elle pût engager ou vendre cette jumenterie s’il lui plaisait (106).
Il reste à énumérer quelques faits plutôt anecdotiques que politiques relatifs à Chrétienne pendant cette période de sa vie. On a peu de renseignements sur son état de santé ; il semble pourtant que, dans l’été de 1566, étant à Blâmont, elle a fait une maladie assez sérieuse pour inquiéter son fils et déranger ses projets. Il se trouvait alors à la cour de France ; il en partit en poste au mois de juillet pour se rendre à Blâmont, et après un séjour de peu de durée dans cette ville, il en repartit au mois d’août, également en poste, pour retourner à la cour, après avoir distribué 50 écus d’or aux gens de la maison de sa mère (107).
Précédemment, en novembre 1562, Charles III est passé à Blâmont quand il se rendait à Francfort pour le couronnement de Maximilien II. Comme Chrétienne assistait également à cette cérémonie, il est probable que la mère et le fils ont fait route ensemble de la Vezouse au Mein. Mais avant, ils eurent une affaire de famille à régler : Nicolas, comte de Vaudémont, l’extuteur de Charles III, se plaignait de n’avoir pas reçu tout ce qui devait lui revenir dans la succession de son père. Pour le satisfaire, Charles III lui donna Pont-Saint-Vincent qu’il réunit à son comté de Chaligny, et ce don fut inscrit dans une convention signée à Blâmont le 21 novembre 1562 (108). Chrétienne a dû assister à ces négociations qui se passaient chez elle et, avec sa dextérité de diplomate accomplie, aider à la conclusion de l’arrangement entre l’oncle et le neveu.
Mazarin se faisait gloire d’avoir donné Colbert à Louis XIV ; Chrétienne a pu se louer d’avoir donné à son fils Thierry Alix, ce remarquable fonctionnaire, qui, comme greffier, puis président de la Chambre des comptes de Lorraine, rendit de signalés services, et qui trouva encore le temps de rédiger d’utiles travaux historiques et géographiques. C’était un protégé de Chrétienne qui l’avait connu jeune et aidé dans ses études. Alix est probablement l’auteur d’un Discours sur la souveraineté du duché de Lorrame composé en 1564 ; il y plaide la cause de sa protectrice, disant au duc qu’il ne doit se fier qu’à ses père et mère pour la direction de sa politique ; comme Charles III n’a plus de père, c’est donc de sa mère seule qu’il lui faut prendre conseil (109). Celle-ci fut reconnaissante et, lorsqu’en 1569 Alix fut nommé président de la Chambre des comptes, le duc déclara faire ce choix sur le conseil de sa mère (110).
Les grands personnages étaient souvent priés, d’être parrains ou marraines d’enfants appartenant à d’autres familles, parfois à des familles très modestes. A notre connaissance, Chrétienne se prêta deux fois à faire ces fonctions. En novembre 1562, il s’agit d’une fille d’une des premières maisons du duché, Christine Claude, fille de feu Olry du Châtelet, seigneur de Deuilly, et de Jeanne de Scépeaulx, qui est baptisée dans l’église de la collégiale Saint-Georges de Nancy. Selon l’usage d’alors, on lui donna un parrain, qui est Nicolas de Lorraine, l’oncle du duc, et deux marraines, Chrétienne, la duchesse douairière, et Claude, la duchesse régnante. L’enfant, qui faisait sous de tels auspices son entrée dans la vie, fit bien son chemin ; elle devint demoiselle d’honneur des filles de Charles III et épousa ensuite Jean d’Haussonville, seigneur de Saint-Georges (111). En 1567, Chrétienne est marraine du fils d’un simple sommelier de Lunéville, Jacques Waltin, auquel elle donne le prénom de Chrétien (112).

CHAPITRE XII
CHRÉTIENNE EN BAVIÈRE ET EN ITALIE
I. Chrétienne en Bavière (1568-1575), puis de nouveau en Lorraine (1575-1578). - II. Chrétienne en Italie (1578-1590). - III. Sa mort, ses funérailles.

I

Le mariage de sa fille Renée avec le prince héritier de Bavière fut un événement décisif dans la vie de Chrétienne de Danemark en lui assurant un point d’appui et au besoin un asile hors de cette Lorraine où elle ne Ise plaisait guère. Nous avons dit les raisons multiples qui la mettaient en mauvais termes avec la noblesse lorraine, et par suite avec toute la nation, puisqu’en Lorraine la noblesse dirigeait l’opinion. Il serait utile de connaître aussi quels rapports elle pouvait avoir avec son fils et sa belle-fille ; par malheur, ces rapports nous pouvons plutôt les soupçonner que les connaître. Il n’y a, pour cette période de l’histoire lorraine, ni mémoires, ni journaux intimes qui nous révéleraient les secrets de la cour et de la famille ducale ; les lettres missives ne manquent pas, mais ne touchent guère à ces questions délicates. Les hauts personnages qui les écrivent gardent sur leurs dissentiments une discrétion fort louable en somme, mais fort décevante pour nous. Nous avons vu qu’en 1564, Chrétienne se plaint au cardinal Granvelle de sa belle-fille. Le motif avoué de ces plaintes est que la jeune femme dépense trop ; leur vraie raison nous paraît être que Claude a de l’influence sur son mari et que l’influence de cette fille de France combat celle de Chrétienne, toute dévouée à l’Empire et à l’Espagne. En 1567, un Belge, le prévôt Morillon, écrivant au cardinal Granvelle, lui parle de la manière d’être de Charles III avec sa mère « à laquelle il est fort subject et obéissant » (113). Le duc avait alors vingt-quatre ans ; il est peu probable qu’il se laissât mener aussi docilement que le croit cet étranger dont le témoignage nous atteste surtout l’esprit de domination de la duchesse douairière.
Le mariage de Renée de Lorraine a été béni à Munich le 22 février 1568. Sa mère l’avait accompagnée jusque-là, ce qui est normal. Ce qui l’est moins, c’est que, la cérémonie faite, Chrétienne est restée en Bavière. De Munich elle adresse des lettres les 28 février et 1er avril
1568 à Chantonnay, frère du cardinal Granvelle, et l’un des meilleurs diplomates de Philippe II (114), le 29 avril, même année, au roi Charles IX (115). En 1569, elle est toujours en Bavière, elle y est même malade, comme nous le dirons à la fin de ce chapitre, et nous l’y trouvons encore l’année suivante. En effet, le 14 juin 1570, Charles III confère la régence de ses duchés à sa femme Claude pour aller visiter sa mère « estant détenue de maladie au pays de Bavière » (116). Et alors, elle a élu domicile à Friedberg, sur le Lech, près d’Augsbourg ; il y a là un château du XVIe siècle qui fut la résidence habituelle de plusieurs princes de la maison de Bavière. Elle écrit de Friedberg à Chantonnay les 16 mai et 18 juin 1570 (117). En 1571, toujours de Friedberg, elle envoie des instructions les 28 février, 9 et 11 juin, à Louis de La Mothe, maître des requêtes de son fils (118) ; le 20 décembre, elle donne l’ordre d’apurer les comptes de son douaire, et Nicolas Gouttière, un de ses serviteurs, fait deux voyages pour lui porter, à Friedberg, des fruits de ses jardins de Blâmont (119). D’autre part, de janvier à juin 1571, une vingtaine de lettres lui sont adressées à Friedberg, en Bavière (120). En 1572, elle écrit de Friedberg à son fils le 2 avril et le 17 décembre ; de même en 1573, le 18 février, puis elle est le 12 juin à Gœppingen, en Wurtemberg (121), mais pour revenir bientôt en Bavière, car nous avons le compte des dépenses qu’elle fit dans ce pays d’avril à juillet 1573 (122). Nous voyons aussi que Charles III donne 300 fr., en 1573, à un charretier, pour mener à Friedberg cinq pièces de vin qu’il lui envoie (123).
A la fin de cette même année se produit un événement qui aurait pu la ramener en Lorraine : Catherine de Médicis, accompagnant son fils Henri, qui va prendre possession du trône de Pologne, séjourne à Blâmont du 29 novembre au 3 décembre 1573, et c’est là que la mère et le fils se séparent. Chrétienne de Danemark est-elle venue à Blâmont, qui lui appartient en propre, pour y recevoir ces hôtes illustres ? Il ne semble pas, car elle n’est nommée ni dans les Mémoires de Marguerite de Valois, ni dans ceux de Cheverny, qui rapportent brièvement ce séjour à Blâmont (124). Sans doute son fils s’est-il chargé de faire les honneurs du domaine maternel et Chrétienne est-elle restée en Bavière, boudant à la fois la cour de France et la cour de Lorraine, comme elle l’avait fait dix ans auparavant quand ces deux cours avaient été réunies pour le baptême de son petit-fils à Bar-le-Duc. En 1574, elle est encore en Bavière, car elle écrit de Friedberg à son fils le 7 juillet, et sa plus jeune fille, Dorothée, qui l’avait accompagnée en Allemagne, écrit du même lieu, le 8 novembre, au chapitre de Saint-Dié (125). En 1575, toujours de Friedberg, elle donne des ordres, le 28 février, pour l’apurement des comptes de son douaire, et, le 26 avril, elle accorde une pension annuelle de 10 écus à sa lavandière, Pentecoste César (126). Cette même année, Charles III qui a fait peindre par Médard Chuppin, son peintre attitré, les portraits de ses fils, Henri et Charles, les envoie à sa mère en Bavière (127).
Et c’est peu après, à la fin de 1575, que Chrétienne revient en Lorraine. Pour l’y décider - ou l’y résigner - il ne faut pas moins qu’un événement d’importance, le mariage de sa seconde fille. Il semble que ce retour fut préparé par des négociations entre la, mère et le fils, car en cette année, Charles III lui dépêche successivement Adrien de Garancières, maréchal des logis de son hôtel, puis un très haut personnage, African, baron d’Haussonville, maréchal de Barrois, dont le voyage coûte un millier de francs (128). Enfin, elle se décide, et cette fois le duc lui envoie son muletier, Pierre Andrault, avec huit mulets pour ramener ses bagages (129). Chrétienne arrive à Nancy en novembre 1575, après une absence de près de huit ans (130). Elle ne devait pas y retrouver sa belle-fille, Claude, qui était morte le 20 février précédent.
Dorothée avait trente ans accomplis, elle épousait Eric ou Ernest, duc de Brunswick et de Lunebourg, qui, élevé dans le luthéranisme, s’était fait catholique et mis au service de Philippe II. C’est sans doute à la cour de Munich que les futurs époux s’étaient rencontrés et avaient sympathisé. Le contrat fut signé à Nancy le 30 novembre 1575 ; le mariage fut célébré à Nancy également, en la collégiale Saint-Georges, le 20 décembre. Il fut honoré de la présence d’une reine, Elisabeth d’Autriche, veuve de Charles IX, qui retournait dans sa famille en traversant la Lorraine (131). Chrétienne dut être fort satisfaite de la présence de sa petite-cousine à cette fête et du mariage même. Si son fils avait pris femme dans la maison de France qu’elle n’aimait pas,, ses deux filles étaient mariées à des princes de ce Saint-Empire qui avait toutes ses prédilections et leurs époux étaient des champions déterminés de la cause catholique qu’elle-même soutenait de son mieux.
Après ce mariage de sa fille, la duchesse reste deux ans et demi dans les Etats de son mari et de son fils. On a peu d’indications sur cette période de sa vie. Elle entretient avec sa famille autrichienne une correspondance suivie dont il nous reste quelques bribes : en décembre 1576, des lettres de la veuve de Maximilien II, mort le 12 octobre de cette année, et de son fils, Rodolphe II, qui la remercient de ses condoléances, réclament ses prières pour le défunt et promettent de lui rendre service en toute occasion, comme cet empereur lui-même l’a toujours fait (132) ; deux lettres de don Juan d’Autriche des 2 février 1577 et 5 février 1578, qui la mettent au courant de ce qui se passe aux Pays-Bas et la remercient de sa bonne volonté pour les affaires du roi d’Esipagne (133). Elle-même écrit de Pont-à-Mousson, le 19 mai 1577, à son gendre, le duc de Bavière, une lettre de simple politesse qui ne nous apprend rien (134). A la fin d’août 1577, Charles III est à Blâmont, donc chez sa mère (135). C’est sans doute la dernière fois qu’il y vient, puisque, l’été suivant, celle-ci partira pour l’Italie. Sait-il déjà ce projet de voyage et est-il venu pour l’en entretenir, peut-être pour essayer de l’en dissuader ? Enfin, nous voyons que, le 6 mai 1578, à Deneuvre, Chrétienne affranchit la maison qu’un de ses bourgeois de Blâmont possède à Frémonville (136), dernier acte, à notre connaissance, qu’elle signe avant de quitter la Lorraine.

II

Car, pendant l’été de 1578, Chrétienne part pour l’Italie avec l’intention ferme, semble-t-il, de s’y fixer et d’y terminer sa vie. Quels peuvent être les motifs de cet exode ? Brantôme, à la fin de la notice qu’il lui consacre, explique qu’elle avait fait des vœux aux sanctuaires d’Italie, et qu’étant affligée de la goutte, elle voulait être à portée des bains où elle pourrait se soigner (137). Ce sont là sans doute les raisons officielles répandues dans le public, et qui sont faibles. Il ne manquait pas en Lorraine de sanctuaires vénérés où la duchesse aurait pu satisfaire sa piété ; il n’y manquait pas non plus de stations thermales réputées. Les eaux de Plombières étaient alors bien connues, puisque le mari de Chrétienne en avait usé en 1545, et que, sans parler d’autres baigneurs moins illustres, Montaigne fera, en 1580, le long voyage de Bordeaux à Plombières pour venir s’y baigner. Non loin de la Lorraine, les eaux de Spa n’étaient pas moins renommées, car le duc Charles III et son fils, le cardinal évêque de Metz, y feront diverses cures à la fin du XVIe siècle. Le climat de la Lorraine n’est pas toujours agréable, mais ne pouvait guère effrayer une femme née dans le froid Danemark et élevée en Belgique. Elle avait en Lorraine une petite souveraineté, Blâmont et Deneuvre, avec des revenus assurés. Enfin, elle ne pouvait plus arguer de dissentiments avec sa bru, puisque celle-ci était morte depuis trois ans. Les mêmes raisons qui expliquaient sa retraite en Bavière dix ans auparavant la décidèrent sans doute à partir pour l’Italie : elle souffrait, croyons-nous, d’être confinée dans l’administration de son douaire, de ne pas gouverner son fils et l’Etat lorrain, de voir Charles entretenir d’étroits rapports avec la maison de France qu’elle n’aimait pas, et aller tous les ans à Paris. Enfin, son esprit inquiet et susceptible la faisait ne se trouver bien que là où elle n’était pas, et, après avoir goûté de la Lorraine, des Pays-Bas, de la Bavière, elle voulut essayer de l’Italie, se rappelant peut-être qu’elle y avait passé une année de sa prime jeunesse, comme femme de François Sforza, et pensant y retrouver cette fraîcheur d’impressions et cette allégresse qui ne dépendent pas du lieu qu’on habite, mais de l’âge qu’on a.
Il semble que Chrétienne se rendit en Italie en passant par le col du Brenner et par Trente, car en cette année 1578, le duc paye 72 francs à un homme de Blâmont pour la dépense qu’il a faite de Trente à Nancy en ramenant son coche, ceci en plus des 60 écus que Chrétienne lui avait remis à Trente (138), Ce col du Brenner, qui s’ouvre à 1.367 mètres de haut, est du reste un des plus praticables des Alpes et cet itinéraire fit sans doute passer la duchesse par Munich où elle put voir encore une fois sa fille Renée. C’est en plein été qu’elle fit ce voyage, puisqu’à la fin d’une lettre du 26 août, le cardinal Granvelle, qui était alors à Rome, annonce à Marguerite de Parme que Chrétienne vient d’arriver à Milan (139). Elle commença, en vue de recouvrer la santé, par faire un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette, près d’Ancône ; la maladie l’empêcha de pousser jusqu’à Rome et le pape Grégoire XIII lui écrivit pour lui exprimer ses regrets de ne pas l’avoir vue (140). Et après, elle alla s’établir dans cette ville de Tortone, au sud du Pô, sur la route de Milan à Gênes, que son premier mari, François Sforza, lui avait attribuée comme douaire. Tortone, dit Moréri dans son Dictionnaire, est une des plus petites et des plus pauvres villes d’Italie ; aussi est-ce sans doute par raillerie que les gens du pays prirent L’habitude de l’appeler Madame de Tortone, « pas beau nom pourtant, ny digne d’elle », observe Brantôme (141). Et cependant, elle faisait assez grande figure en Italie pour causer, en 1580, une plaisante mésaventure au cardinal Granvelle. Celui-ci, qui résidait alors à Madrid, avait écrit à Marguerite de Parme, retirée en Italie, une lettre sur le dos de laquelle il n’y avait que « A Madame ». Au vu de cette adresse, le service des postes du temps n’hésita pas à faire remettre la lettre à Chrétienne. Par bonheur, ajoute Granvelle, il n’y avait rien dans cette lettre qui ne pût être lu (142).
Dans ce douaire de Tortone, la duchesse prétendait être complètement maîtresse. Dès 1564, elle demandait au cardinal Granvelle, quand il passa à Nancy, de le posséder en toute souveraineté et non pas comme vassale de Philippe II (143). Elle revint à la charge par l’entremise de Jean de Pange, qui fut ambassadeur de son fils auprès, du roi catholique de 1580 à 1582, et prétendit que Tortone lui appartenait en pleine propriété et devait après elle rester au même titre dans la maison de Lorraine. Philippe consentit seulement que la ville pût être transmise à sa fille Dorothée (144). C’est là tout ce que nous savons sur ce douaire italien dont les titres et les comptes, s’ils existent encore, doivent être conservés dans la péninsule.
Nous sommes mieux informés sur l’administration par Chrétienne de son douaire lorrain. Malgré l’éloignement, elle est consultée jusqu’à la fin de sa vie sur les plus minimes affaires, par exemple, en 1586 sur la vente des blés de ses greniers, en 1587 sur une difficulté relative à l’aide, en 1588 sur la nomination d’un clerc juré à Blâmont et de chanoines dans la collégiale de cette ville. Ses ambitions ont dû se restreindre à un étroit domaine, mais restent toujours aussi tenaces. Le compte de ses recettes et de ses dépenses pour 1589 nous a été conservé (145) ; on y voit qu’elle touche chaque année 27.750 fr. sur la saline de Salone, 16.000 fr. pour celle de Rosières, et que la taxe des lettres patentes scellées du grand sceau de son fils lui rapporte 2.612 fr. Avec les produits des terres de Blâmont et de Deneuvre, la recette totale de cette année se monte à 74.431 fr. ; la dépense est de 53.988 fr., dont 12.614 fr. envoyés en deux fois à la duchesse, à Tortone, et 25.000 fr. qui ont été versés au sieur de Châtenoy, trésorier des guerres de Charles III ; il reste donc un reliquat de 20.443 fr., qui seront portés en recette au compte de l’année suivante, 1590. Ainsi, les finances de Chrétienne sont dans une situation prospère, au moins en cette année 1589. En outre, quand est levée une aide générale octroyée par les Etats, les sommes perçues sur Blâmont et Deneuvre ne sont pas pour le duc, mais pour sa mère, qui les inscrit en recettes dans son compte de 1585 (146). En revanche, celle-ci, nous venons de le dire, octroie de fortes subventions à la caisse militaire de son fils.
Entre la Lorraine et Tortone, il y avait dans les deux sens une correspondance administrative continuelle. Les agents de Chrétienne dans son douaire lui envoient des rapports détaillés sur l’état de ses affaires ; ainsi, en 1585, Dominique Jacquemin, avocat à Nancy, lui rend compte du voyage qu’il a fait à Blâmont et à Deneuvre pour visiter ses greniers (147), et d’autres agents s’excusent d’avoir tardé à ouïr les comptes de ces deux domaines, en faisant valoir qu’ils étaient occupés ailleurs au service du duc, qu’ensuite la peste s’est déclarée à Nancy et les a dispersés (148). Chrétienne, de son côté, écrit en 1582 à ses conseillers en Lorraine, qu’elle leur adjoint un Gênois, Gieronimo Bozomo, pour les aider à apurer les comptes de ses receveurs (149). Le 20 mars 1587, elle promulgue trois ordonnances applicables à tout son douaire : la première se propose d’y prévenir la disette, et, pour ce faire, la duchesse ne voit pas de meilleur moyen que de sévir une fois de plus contre les taverniers et cabaretiers, et de limiter étroitement le nombre des convives aux repas de baptêmes, de noces, et de funérailles. La seconde est dirigée contre l’usure et défend de percevoir ùn intérêt annuel supérieur à 7 %. La troisième assure le respect du dimanche et interdit de s’occuper ce jour-là d’oeuvres serviles, sous peine d’une amende qui est de 10 fr. pour le premier délit, de 25 et de 50 fr. en cas d’e récidives (150). Et le 26 avril 1590, quatre mois avant de mourir, Chrétiènne nomme encore prévôt de Deneuvre son sommelier, Nicolas Billon (151).
Ses sujets lorrains lui doivent divers bienfaits. En 1588, informée du courage avec lequel, l’année précédente, les bourgeois de Blâmont avaient défendu leur ville contre les Allemands, elle leur permit de porter de 15 à 20 deniers la gabelle qui se levait, au profit de leur communauté, sur chaque mesure de vin vendue à Blâmont (152). A une date que nous ne pouvons préciser, elle manda à son receveur de Deneuvre de verser tous les ans 96 fr. à un régent qui serait capable d’enseigner les enfants de ce bourg ; après sa mort, les habitants de Deneuvre supplièrent le duc de confirmer sa donation, et un arrêt du Conseil du 10 juin 1591 maintint cette allocation destinée à « instruire la jeunesse ez bonnes lettres et en toute piété et vertu » (153). Comme autres œuvres pies, Chrétienne bâtit près de Deneuvre, au lieudit La Rochotte, une chapelle sous l’invocation de sainte Marie-Madeleine, et le pape Grégoire XIII confirma cette fondation par une bulle des ides de décembre 1579 (154) ; elle donna, en 1589, deux cents francs aux carmes de Baccarat et cent aux sœurs grises de Lunéville. Chaque année, elle alloue cent francs à chacun des couvents des cordeliers de Nancy et de Raon-l’Etape et des clarisses de Pont-à-Mousson et de Bar-le-Duc, et quatre-vingts francs à la collégiale Saint-Georges de Nancy pour chanter un Salve Regina tous les samedis et aux fêtes de la Vierge (155).
Si la duchesse veille à la bonne administration de son douaire, elle continue à s’intéresser au petit Etat lorrain et à la famille ducale, écrit et reçoit des lettres nombreuses et n’ignore rien de ce qui se passe. Les lettres qui nous restent d’elle et de ses correspondants sont certainement une faible portion de ce qu’ils ont écrit ; elles nous permettent du moins de nous faire une idée des questions traitées. Chrétienne a dû adresser bien des missives à son fils, le duc Charles III ; des deux que nous avons encore, toutes deux de 1587, l’une, où elle dit son espoir de le voir ceindre bientôt la couronne de France, nous paraît un faux assez maladroit (156) ; nous n’avons aucune raison de suspecter l’autre où elle recommande à Charles le marquis Gabriel de Malespine, gentilhomme italien qui a servi le roi de France et va maintenant servir en Lorraine (157). Les lettres de subalternes sont nombreuses : en 1588, c’est une humble femme, Mayelle Geoffroy, sans doute attachée au service des petites filles de Chrétienne, qui l’assure que celles-ci sont en bonne santé et que Mesdames Catherine et Elisabeth se perfectionnent en toute vertu (158) ; puis, Michel Bouvet, secrétaire des commandements, homme résolument optimiste, qui affirme que Mademoiselle de Bouillon, princesse de Sedan, est réduite au désespoir par l’avance des troupes lorraines et ne peut se tirer du péril qu’en épousant le comte de Vaudémont, troisième fils du duc de Lorraine, que l’armée navale d’Espagne a remporté une victoire sur celle d’Angleterre (159) ; cette lettre est du 18 août 1588, et, à cette date, le désastre de l’Invincible Armada était complet. Le 23 décembre de la même année, Claude Guérin, surintendant de Chrétienne dans son douaire lorrain, lui mande que Nancy est ravagé par une maladie contagieuse et que Charles III a, depuis huit ou neuf semaines, une fluxion des jambes (160).
Dans les dernières années de leurs vies, ces deux femmes qui ne s’aimaient guère, Chrétienne de Danemark et Catherine de Médicis, unirent leurs efforts pour marier l’aînée des filles de Charles III, qui était leur petite-fille à toutes deux. Née en 1565, élevée à la cour de France, Christine de Lorraine avait vingt ans et ses aïeules voulaient la donner à Charles-Emmanuel de Nemours (161). Sans qu’on sache bien pourquoi, ce projet n’aboutit pas, et peu après fut négociée une autre alliance avec Ferdinand de Médicis, grand-duc de Toscane. Résidant en Italie, Chrétienne était toute désignée pour servir d’intermédiaire. Aussi quand, en février 1589, Charles III envoie à Florence, pour négocier ce mariage, un de ses chambellans, Jean de Lenoncourt, bailli de Saint-Mihiel, il lui recommande de passer par Tortone à son retour et d’y prendre les ordres de Chrétienne (162). A ce moment, Catherine venait de mourir, mais son fils, Henri III, quoiqu’aux prises avec la Ligue, trouva le temps de s’intéresser à l’avenir de sa nièce et les pourparlers réussirent. Le contrat fut signé à Blois, le 25 février 1589, et le mariage par procuration se fit le lendemain (163). Il fallait une femme de la maison de Lorraine pour conduire Christine à son mari ; s,a mère était morte depuis longtemps et sa grand’mère en trop mauvaise santé pour affronter ce voyage. Sa tante Dorothée se chargea de cette mission ; elle alla chercher Christine à Lyon et l’accompagna à Florence où la cérémonie définitive fut célébrée le 30 avril (164). Ce mariage nécessita l’envoi, entre Nancy et Tortone, de nombreux messagers, dont les dépenses de voyage sont inscrites dans le registre de comptes du trésorier général de Lorraine pour 1589 (165).
En 1590 encore, diverses communications sont échangées. En mai, le sieur de Reynette met Chrétienne au courant de ce qui se passe en France où Henri IV vient de gagner la bataille d’Ivry et bloque Paris ; en juin, Charles-Philippe de Croy, marquis d’Havré, lui écrit que Charles III assiège Marsal avec 14 canons, 4.000 hommes de pied, 1.500 cavaliers (166). Jean Terrel, secrétaire du duc, est envoyé à Lyon, puis à Tortone ; Gleysenove, autre secrétaire, reçoit 250 écus pour aller à Tortone, puis à Florence (167).
Nous venons de nommer la seconde fille de Chrétienne, Dorothée ; celle-ci avait perdu, en novembre 1584, son mari, Eric, duc de Brunswick ; dès lors, elle réside souvent à Tortone, auprès de sa mère, et quand elle est en Lorraine, elle la renseigne sur ce qui se passe. Les lettres de Dorothée n’ont pas été conservées, mais nous avons encore huit lettres de la duchesse à sa fille (168), écrites de 1581 à 1589, et le contenu de ces lettres laisse un peu soupçonner ce qu’étaient les lettres de Dorothée. En 1581, Chrétienne explique à sa fille qu’elle lui écrit en italien, n’ayant auprès d’elle personne qui sache écrire en français, ce qui nous fait voir qu’elle dictait au moins quelquefois ses lettres ; en 1582, elle s’excuse de ne pas lui écrire plus souvent, gênée qu’elle est par son âge et par sa mauvaise santé. En octobre 1588, elle lui demande comment se passent les Etats de Blois.
Chrétienne ne limite pas ses relations à la Lorraine. Elle a d’excellents rapports avec la cour de Rome, et, en 1578, Grégoire XIII lui écrit pour la louer de sa piété, de son zèle religieux, de son dévouement au Saint-Siège (169). En 1586, Sixte-Quint lui permet, en raison de son état maladif, l’usage de la viande et du laitage pendant le Carême et l’autorise à se faire dire la messe dans son oratoire quand elle réside à Tortone (170). Elle fait donner par ce même pape, en 1589, une prébende à son chapelain, Laurent del Bosco (171). Elle a des rapports fréquents avec son cousin, le roi catholique, car, en 1585, elle ne paye pas moins de 403 fr. à Philippe de La Voyepière, banquier à Lyon, qui se charge die faire parvenir ses paquets en Espagne et aussi ailleurs; (172). En 1588, elle sert d’intermédiaire dans une assez singulière tractation : le sieur Allegris, commis aux finances du roi d’Espagne aux Pays-Bas, verse au sieur de Châtenoy, trésorier de Chrétienne en Lorraine, 38.900 écus d’Italie, qui font en monnaie de Lorraine 179.920 fr., et Châtenoy transmet cette somme au trésorier général du duc de Lorraine (173).
Mais ce sont surtout le Danemark et la Suède qui l’occupent et qui la passionnent. L’âge n’a diminué ni ses ambitions ni ses espérances, et par une curieuse inconséquence, cette femme qui prétend ne pouvoir vivre qu’en Italie, pense sans cesse à aller régner sur des pays septentrionaux. On a vu au chapitre précèdent que le baron de Bollwiller avait favorisé ses prétentions ; elle le récompense, en 1581, par une pension annuelle de 300 écus, faisant 1.425 fr. de Lorraine (174). En 1588, encore, un de ses agents, Simon Losson, lui adresse un rapport sur l’état du royaume de Danemark, où, assure-t-il, la noblesse est fort irritée contre le roi (175). Elle est du reste encouragée dans ses desseins par Grégoire XIII, qui voit dans le succès de cette princesse si dévouée au Saint-Siège, un moyen de rétablir le catholicisme en Suède, et qui lui adresse, le 28 avril 1581, une lettre pressante (176). C’est sans doute cette intervention du pape qui achève de la décider. Sa soeur aînée, Dorothée, est morte en 1580 sans laisser d’enfants. Chrétienne est donc seule prétendante et ne fait tort à personne en affirmant ses droits ; par une déclaration rédigée en latin et datée de Tortone, et du 28 juillet 1581, elle prend le titre de reine de Danemark, Suède et Norvège (177). Par suite, voici la suscription pompeuse qui se lit au début de lettres patentes du 30 septembre 1582 : « Crestienne, par la grâce de Dieu, royne de Dannemarck, Suède, Norvègue, des Goths, Vandales, Esclavons, duchesse de Slesvick, Holstein, Storman, Dietmarsch, Lorraine, Bar et Millan, marquise de Dorthonne, comtesse d’Oldembourg, d’Elmenhorst, Blâmont, et dame de Deneuvre » (178).
Il ne suffisait pas de prendre ce titre de reine, il fallait le faire admettre par les puissances, ce qui n’alla pas sans difficulté, entre autres avec le cousin de la nouvelle Majesté, Philippe II. A son habitude, celui-ci tergiversa, de sorte qu’en 1584, la question n’était pas encore résolue ; un secrétaire d’Etat, don Juan de Idiaquez, demande au cardinal Granvelle si Chrétienne peut sceller ses lettres au roi d’un cachet où elle prend le titre die reine de Danemark. Et Granvelle répond à Idiaquez : puisqu’on apostille ces pièces et qu’on y inscrit la décision du roi, c’est presque comme si on lui reconnaissait ce titre. En effet, lorsque d’autres prennent des titres auxquels ils n’ont pas droit, on les invite à refaire leurs suppliques (179).
En Lorraine, il fut plus facile à Chrétienne de faire admettre sa nouvelle dignité et une des pièces du Palais Ducal de Nancy en a conservé le souvenir. Le 16 février 1587, le contrat de mariage de Jean, baron d’Haussonville, avec cette Claude-Chrétienne du Châtelet, dont nous avons dit au chapitre précédent qu’elle était la filleule de la duchesse douairière, ce contrat était signé dans le Palais Ducal « en la chambre appelée vulgairement de Sa Majesté de Dannemarc estant au bout de la gallerie au dessus du jeu de paulme » (180).
Pour mieux affirmer sa dignité de reine, Chrétienne donna à l’un de ses secrétaires italiens, Carlo Civaleri, les titres prestigieux de conseiller d’Etat, grand chancelier, surintendant de sa maison (181).

III

Il nous faut ici faire un retour en arrière pour réunir les quelques indications que nous avons sur la santé de Chrétienne de Danemark. Cette santé paraît avoir été normale pendant la première moitié de sa vie ; elle se maria à vingt ans, eut trois enfants en quatre ans et ne semble pas avoir souffert de ces naissances rapprochées. C’est vers l’âge de quarante ou quarante-cinq ans qu’elle commence à être éprouvée par divers maux. Elle était fort goutteuse, écrit Brantôme, qui l’a bien connue (182), et la goutte fut, autant peut-être que le mal de Naples, le fléau du XVIe siècle. L’arthritisme, dont la goutte est une des manifestations, était commun chez les Habsbourg ; Charles-Quint, l’oncle de Chrétienne, en fut affligé de si bonne heure qu’il lui fallut abdiquer à cinquante-six ans, étant à bout de forces, et qu’il mourut deux ans plus tard. Le mal fut aggravé chez lui par des excès de table ; y eut-il pareille erreur de régime chez sa nièce, nous ne savons.
Nous avons dit plus haut qu’en 1566, Chrétienne paraît avoir fait une maladie sérieuse ; l’année suivante, une de ses amies, la comtesse d’Aremberg, passe en Lorraine pour la voir et la trouve en si triste état qu’on suppute ce qui arriverait si elle mourait (183). En 1569, le cardinal Granvelle écrit à Philippe II avoir reçu une lettre de Silliers, secrétaire et homme de confiance de la douairière, l’avisant que celle-ci est gravement malade en Bavière (184). Le mal dure encore en 1570, puisque son fils donne la régence à sa femme Claude pour venir la voir (185). Admettons qu’elle se porte mieux les années suivantes, mais le 7 février 1574, son gendre, Guillaume de Bavière, adresse au cardinal Granvelle une lettre rédigée en latin que nous résumons : je ne puis me dispenser de vous faire savoir en quel misérable état de santé j’ai trouvé ma belle-mère, la duchesse douairière de Lorraine. Le pire, c’est qu’en elle le moral est aussi affecté que le physique, et cela vient du long retard du règlement de ses affaires avec le roi catholique. Je vous prie d’intervenir afin de hâter ce règlement (186). On est tenté de croire que le prince bavarois exagère pour apitoyer le roi d’Espagne, mais six mois plus tard, un bref du pape, en date du 17 juillet 1574, nous apprend que Chrétienne ne peut plus, pour raisons de santé, s’appliquer à la lecture de l’office divin, qu’elle le remplace par la récitation du Rosaire ; qu’en conséquence, le pape attache à cet exercice une indulgence spéciale (187). Le 13 janvier 1576, ayant à répondre à une lettre d’Henri III, Chrétienne dicte sa réponse à un secrétaire, grave atteinte au protocole d’alors, qui veut qu’on n’adresse au roi que des lettres autographes. Elle s’en excuse sur ce que « estant en continuelle infirmité qui me rende si débile que ne me puis beaucoup ayder de la plume... » (188). Elle a sans doute les doigts déformés par la goutte. En octobre 1578, le pape lui mande qu’il l’aurait vue avec plaisir si sa santé lui avait permis de venir à Rome (189) ; en mai 1579, Chrétienne écrit à sa fille Dorothée qu’elle est trop mal portante pour lui faire une longue lettre (190) ; en octobre de la même année, elle explique que son voyage de Lorraine en Lombardie l’a beaucoup fatiguée à cause de la maladie dont elle est éprouvée depuis si longtemps (191). Toutes ces indications concourent à prouver que la santé de Chrétienne est de plus en plus délabrée et font comprendre qu’elle n’ait pas atteint sa soixante-dixième année.
Les années suivantes, on ne trouve plus semblables plaintes ; sans doute le climat de l’Italie et l’usage des eaux ont apporté quelques améliorations à sa santé. C’est à l’automne de 1590 que la situation s’aggrave. Dans le compte du trésorier général de cette année, on voit qu’une somme de 1.436 fr. a été versée à Jean des Porcelets de Maillane, chambellan du duc et gouverneur de Toul, pour les frais du voyage qu’il a fait à Tortone à cause de la maladie de la reine de Danemark ; il est parti le 11 septembre et n’est revenu qu’à la fin de novembre (192). Or, le jour où Maillane partait pour ce long voyage, la mère de Charles III venait de mourir. Voici, en effet, ce qu’on lit dans l’Obituaire du couvent des cordeliers de Nancy, document quasi officiel, aussi digne de foi, quand il s’agit die personnes de la maison ducale, qu’un registre d’état civil de maintenant :
Quarto idus septembris (10 septembre) 1590, obiit Tortone in partibus Lombardiae serenissima domina, domina Christiana Austriae, illustrissimi ducis Francisci a Lotharingia charissima conjux, ac Daniae regina... cujus corpus illinc delatum cum sponso in choro ecclesise nostrae tumulatum jacit (193).
Maillane est donc arrivé trop tard, et s’il est resté si longtemps en Italie, c’est qu’il a dû s’occuper du transport de la dépouille mortelle et du règlement de la succession de la défunte. Il avait reçu des instructions qui prévoyaient le décès et sont résumées dans les lettres patentes du 9 septembre 1590 lui donnant tout pouvoir pour agir au cas où ce décès se produira (194). Instructions d’autant plus nécessaires qu’alors Charles III est constamment éloigné de Nancy ; en juin 1590, il assiège et prend Marsal ; en août, il est aux eaux de Spa pour se soigner ; en octobre, il prend Villefranche sur la Meuse, près de Stenay ; puis il assiège Sainte-Menehould. Le 20 juillet, le duc avait nommé son fils, Charles, cardinal-évêque de Metz, son lieutenant général pendant toutes ces absences (195), et c’est celui-ci, nous allons le voir, qui réglera les obsèques de son aïeule.
Il avait été décidé de ramener en Lorraine le corps de Chrétienne. Ce transport a dû se faire peu de temps après sa mort, quand les passages des Alpes étaient encore praticables ; Maillane étant resté en Italie pour liquider la succession, le convoi funèbre était conduit par Francesco Visconti, maître d’hôtel de Chrétienne, dont les documents français écrivent le nom Viscomte ou Vice-comte, et il était arrivé à Deneuvre avant le 14 novembre. Ce jour-là, les surintendants du comté de Blâmont et de la terre de Deneuvre écrivent au receveur de Deneuvre que le cardinal de Lorraine estime convenable de retenir Visconti pour qu’il assiste aux services funèbres qui se feront en l’église collégiale de ce lieu ; ils lui recommandent donc de régler toutes les dépenses qui seront faites par ce maître d’hôtel et par ses serviteurs, et aussi de payer honnêtement les prêtres qui participeront à ces services (196).
Le corps de Chrétienne resta dans la collégiale de Deneuvre jusqu’au 23 avril 1591. Est-ce parce que ce bourg était sa résidence préférée en Lorraine, ou parce que, quarante-cinq ans auparavant, le corps de son mari, mort à Remiremont, y avait été amené et y était resté assez longtemps, nous ne savons. Toujours par ordre du cardinal de Lorraine, quarante-huit livres de cire jaune furent délivrées en 1590 pour les cierges qui brûleront autour de son catafalque, et en 1591, on brûle encore cinquante-six livres de cire (197). Enfin, le 23 avril 1591, le corps fut transféré à Nancy (198) et inhumé à côté du duc François Ier dans le chœur de l’église des cordeliers, comme l’indique l’obituaire de ce couvent dans la notice que nous avons reproduite plus haut. Il semble que cette inhumation ne donna lieu à aucune cérémonie importante, et on ne voit pas que la cour de Lorraine ait pris Le deuil. Lepage explique cette abstention en disant que le duc était alors à la tête de ses troupes, en guerre contre les partisans d’Henri IV (199). C’est une erreur ; il a passé ce mois d’avril 1591 à Nancy ; toutes les lettres patentes qu’il lui arrive de rendre sont datées de cette ville et il ne reste qu’un petit nombre de jours pour lesquels on ne peut affirmer où il se trouve (200). S’il n’a pas voulu donner à ces obsèques l’éclat habituel, c’est très probablement pour un motif d’économie. Il était en pleine guerre depuis plusieurs années, il venait de dépenser des sommes énormes pour entretenir ses armées, se voyait à court d’argent, obligé de prélever sur ses sujets des emprunts forcés ; il lui était impossible de faire à sa mère une pompe funèbre analogue à celle que Chrétienne avait faite à François 1er, et qui avait dû entraîner une forte dépense.
Plus tard, fut affectée spécialement à la sépulture des membres de la maison de Lorraine, la Chapelle ducale, dite Chapelle ronde, commencée en 1607 où 1608, bénite en 1612. Les restes de François et de sa femme y furent transférés et réunis dans le même mausolée, sur lequel une inscription courte et équitable conserve le souvenir de Chrétienne (201). Ce transfert a dû se faire dès 1611, car un mémoire de cette année relate la fourniture par le menuisier ducal de quatre cercueils pour le duc Antoine et Renée de Bourbon, pour le duc François et Chrétienne de Danemark, et indique que ces cercueils sont déposés « au caveau sous la neuve chapelle joindant l’église des cordeliers » (202). C’est là que le libraire Nicolas vit, en 1742, Chrétienne dans son cercueil, et constata que le corps était peu décomposé (203).
S’il n’avait fait à sa mère que des obsèques très simples, Charles III ne tarda pas à fonder pour elle un service anniversaire. Ses lettres patentes du 5 juillet 1592 déclarent que « comme prince chrestien et catholicque », il établit quatre services funèbres, chacun composé de vigiles et de trois messes hautes, pour chacune des quatre personnes suivantes : le duc Antoine et Renée de Bourbon, ses aïeux, le duc François Ier et Chrétienne de Danemark, ses père et mère. Ces services seront célébrés au jour anniversaire de leur mort, et ici Charles indique le 11 septembre comme le jour du décès de sa mère (204). Nous avons dit plus haut que l’obituaire des cordeliers date cet événement du 10. Il est difficile de choisir entre deux documents également qualifiés, et mieux vaut les concilier en admettant que Chrétienne est morte dans la nuit du 10 au 11 septembre 1590. Et c’est le 11 septembre que sera célébré son anniversaire dans les années suivantes (205).
La liquidation de sa succession fut longue. Elle avait pour trésorier un Italien nommé Desiderio Basso; en 1593, Charles III chargea de vérifier ses comptes son secrétaire d’Etat, Jean Voillot, et Francisco Carcano qui était son agent à Milan. Ceux-ci reconnurent que les recettes faites par Basso s’élevaient à 41.742 livres milanaises, et que sa dépense était de 23.700 livres. Le compte ainsi arrêté ne fut ouï et approuvé par la Chambre des comptes de Lorraine que le 20 décembre 1602 (206). Quelques-unes de ces dépenses déjà anciennes méritent d’être relevées : 100 ducatons faisant 570 1. à Jean Colombas, argentier de la reine de Danemark, que le duc lui octroie en récompense de ses services ; 132 1. pour le transport de Milan à Strasbourg de trois coffres contenant la chapelle de ladite reine et diverses hardes (207). Mais, pour en avoir fini avec le trésorier de sa mère, Charles III n’était pas à l’abri de toute réclamation. En 1596, un Génois, Jean-Baptiste Raggio, prétend que Chrétienne devait 10.000 écus à son oncle défunt et demande à les toucher (208). En 1600, se payent encore des pensions accordées par Chrétienne à Asselin, prévôt de La Chaussée, et à Geneviève Padouant, sa femme (209).

ADDITIONS ET CORRECTIONS

Au terme de cette étude sur Chrétienne de Danemark, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que, dans ses longues années de retraite en Bavière, puis à Tortone, cette princesse aurait eu le temps d’écrire des mémoires qui eussent été pleins d’intérêt, car elle avait connu beaucoup de personnages de premier plan, assisté à des événements graves, pris part à des négociations décisives. Ç’eût été une façon agréable d’occuper ses loisirs, et aussi une occasion d’exhaler ses rancunes, qui étaient nombreuses, et c’est ce que font la plupart des mémorialistes. Mais ce n’était pas encore la mode pour les femmes d’écrire leurs mémoires ; les plus anciens mémoires féminins qu’on ait en France sont ceux de Marguerite de Valois, la première femme d’Henri IV, qui est d’une génération plus récente. Il semble que si, après sa mort, des Porcelets de Maillane ou Voillot avaient trouvé dans ses papiers une rédaction de ce genre, ils n’auraient pas manqué de l’envoyer à leur maître. Il y a donc peu de chances de retrouver dans quelque bibliothèque d’Italie des mémoires ou une ébauche de mémoires de Chrétienne de Danemark.
La princesse dont ce livre retrace la vie est appelée Christine par tous les historiens lorrains. Ce sont les écrivains hommes d’Eglise du XVIIIe siècle, Benoit Picart, le père Hugo, dom Calmet dans ses deux éditions qui, les premiers, l’ont nommée ainsi. Et les historiens du XIXe siècle, de Digot à Pfister, lui ont conservé ce nom.
Mais toutes les lettres missives de la mère de Charles III - dont nous avons publié un certain nombre dans la Revue historique de la Lorraine de 1931 et dans l’Annuaire de la Société d’archéologie de Metz de 1931 - sont signées « Chrestienne ». Ses lettres patentes, encore plus nombreuses, portent « Chrestienne » au commencement de la suscription et en signature. Nous lui avons donc restitué ce nom, le seul qu’elle ait porté et sous lequel elle ait été connue.
Au temps de Chrétienne de Danemark, l’année commençait en France à Pâques, fête mobile, en Lorraine à l’Annonciation (25 mars). C’est seulement en 1564 pour la France, en 1580 pour la Lorraine, qu’il fut prescrit de commencer l’année au 1er janvier. Pour l’époque antérieure à ces deux termes, nous corrigeons toutes les dates qui sont comprises entre le 1er janvier et les fêtes de Pâques ou de l’Annonciation, c’est-à-dire que nous ajoutons une unité au millésime des événements ou des documents, de manière à ramener ces dates anciennes à notre usage actuel. Nous n’avons pas cru nécessaire, chaque fois que nous faisons cette correction, de le spécifier.
Dans le registre de comptes B 1094, fol. 99, nous voyons qu’en 1553, Nicolas, comte de Vaudémont, accorde 600 francs « pour certaines et raisonnables causes » à Marguerite du Châtelet, secrète en l’église de Remiremont. Ne serait-ce pas pour l’indemniser des tracas que lui avait causés le procès soutenu par elle contre les autres chanoinesses et que nous avons analysé aux pages 86-88 ?
Page 93, il est question du procès de Claudine Boussart en 1545 ; dans B 1084, fol. 84 v°, est inscrite une dépense de 200 francs en sa faveur. C’est donc que la pension qui lui avait été assignée en 1543 (non par Renée de Bourbon, morte dès 1539, mais par le duc Antoine) continuait à lui être payée comme il convenait, puisque son innocence était reconnue.
Page 130, ligne 2, lire : secrétaire au lieu de : successeur.
Page 138, note 1, lire : Arch. M.-et-M., B 1113, fol. 32.
Page 146, note 1, lire : Boutaric au lieu de : Boustric.


(1) Arch. M.-et-M., B 2,7, fol. 204, 223 v°, 152 v°, 212, B 3268, B 3406, fol. 22 v°, B 30, fol. 240 v°, B 33, fol. 174 v°, B 3411, B 32, fol. 97.
(2) Ibid., B 3408, fol. 25 ; PARIS, Négociations, p. 42, 43.
(3) Ibid., B 33, fol. 65.
(4) HENNE, t. X, p. 2,60-274 ; CALMET, Hist. de Lorr., t. V, p. 714.
(5) GRANVELLE, Papiers d’Etat, t. IV, p. 485, n. 2.
(6) Arch. M.-et-M., B 27, fol. 204, 223 v°, 212, 152 v°.
(7) Ibid., B. 30, fol. 240 v°.
(8) Ibid., B. 33, fol. 174 v°.
(9) Ibid., B. 32, fol. 97.
(10) Ibid., B 681, N° 23.
(11) GRANVELLE, Papiers d’Etat, t. IV, p. 699-702.
(12) ROMIER, t. II, p. 222-223.
(13) Arch. M.-et-M., B 1094, fol. 113.
(14) Ibid., B 3408.
(15) Ibid., B 1110, fol. 50.
(16) Ibid., B 1092, fol. 55.
(17) D’après le Dénombrement de Thierry Alix, p. 105-107.
(18) ROMIER, t. II, p. 266.
(19) Ibid., t. II, p. 251, 268-269 ; DE THOU, t. II, p. 563.
(20) B. N., Coll. lorr., 253, fol. 22.
(21) DE RUBLE, p. 3-5, 14.
(22) Ibid., p. 6, 10.
(23) CALMET, Hist. de Lorr., t. VII, preuves, col. 193.
(24) DE RUBLE, p. 18 ; cf. dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. V, p. 411-419, les lettres échangées entre Chrétienne d’une part, Le connétable et le cardinal de Lorraine de l’autre.
(25) DE RUBLE, p. 19-21.
(26) Ibid., p. 23.
(27) Ibid., p. 25-26.
(28) GRANVELLE, Papiers d’Etat, t. V, p. 538.
(29) ROMIER, t. II, p. 344.
(30) DUMONT, Corps diplomatique, t. V, 1re partie, p. 40.
(31) ROMIER, t. II, p. 344-3415.
(32) DE THOU, t. II, p. 660-665.
(33) BRANTÔME, t. IX, p. 626.
(34) DE THOU, t. II, p. 563.
(35) Papiers d’Etat de Granvelle, t. V, p. 228.
(36) Ibid., t. V, p. 582-584.
(37) Ibid., t. V, p. 228-229.
(38) BRANTÔME, t. IX, p. 621.
(39) Laubespine au roi, le 27 juillet 150’9, dans PARIS, Négociations, p. 42-43.
(40) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 714-715 ; GRANVELLE, Corresp., t. I, p. 12,6 ; PIRENNE, Hist. de Belgique, t. III, p. 395.
(41) PARIS, Négociations, p. 66.
(42) GACHARD, p. 399.
(43) GRANVELLE, Corresp., t. VI, p. 60, 66.
(44) Lettre sans date, qui doit être de juillet 1559, dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. V, p. 623.
(45) Ibid., t. V, p. 625.
(46) J.S.A.L., 1895, p. 172.
(47) Arch. M.-et-M, B 33, fol. 21, 22, 23, 24 v°, 37.
(48) Ibid., B 33, fol. 71.
(49) ZELLER, dans M.S.A.L. 1923-25, p. 362, n. 1.
(50) BRANTÔME, t. IX, p. 627.
(51) ZELLER, ibid., p. 380, n. 1.
(52) ROMIER, t. I, p. 484.
(53) DRUFFEL, t. IV. p. 204, n. 3.
(54) MAGNIENVILLE, p. 69, 164.
(55) Lettre du 5 décembre 1562, dans lies Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 441. - Quelques semaines plus tard, Chrétienne écrit à Catherine qu’elle a fait sa commission, (Ibid., t. 1, p. 443, n. 1).
(56) BRANTÔME, t. IX, p. 630 ; PARIS, Négociations, p. 867, où Charles IX lui-même atteste la présence de la duchesse dans une lettre à son ambassadeur en Espagne.
(57) PFISTER, Le cardinal Granvelle à Nancy, dans M.S.A.L., 1910, p. 297-314.
(58) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 737-739 ; PFISTER, article précité ; divers articles du chanoine Auguste HUMBERT, dans les Annales de l’Est de 1928 et 1929, et dans le Bulletin de la Société des Lettres de Bar-le-Duc de 1926 et 1928.
(59) Mgr BONNARD, p. 35, 36, 349.
(60) B. N., Coll. lorr., 28, f. 217. - Ce document n’est pas daté, il doit être antérieur à 1568, date du mariage de Renée, fille aînée de la duchesse.
(61) Eug. MARTIN, t. II, p. 17-18 ; Mgr. BONNARD, p. 35-37 ; PIMODAN, p. 46-53 ; CALMET, Hist. de Lorr., t. III, preuves, col. 432.
(62) HENNE, t. VII, p. 275-277.
(63) DRUFFEL, t. I. p. 26.
(64) RAHLENBECK, p. 36 ; Arch. M.-et-M., B 3271.
(65) B. N., Coll. lorr., 2,9, fol. 100, 101.
(66) Mandement du 10 juillet 1568 au prévôt de Blâmont (Arch. M.-et-M., B 3277).
(67) Lettres de Catherine de Médicis, t. III, p. 229.
(68) J.S.A.L., 1879, p. 145.
(69) M.S.A.L., 1887, p. 220-227.
(70) Papiers d’Etat de Granvelle, t. VII, p. 558-588.
(71) Ces quatre mémoires sont réunis dans un manuscrit de lia Collection de Lorraine à la B. N. consacré à Chrétienne, le ms. 29, fol. 46, 94, 98, 104 ; le mémoire de Langsen est antérieur à 1560, date de la mort de Gustave Vasa.
(72) Correspondance de Granvelle, t. III, p. 463.
(73) Papiers d’Etat de Granvelle, t. IX, p. 661 ; Correspondance du même, t. II, p. 185. - Le mariage avec le roi de Suède eût scellé une alliance grâce à laquelle ce roi devait conquérir le Danemark et la Norvège, garder celle-ci et rendre le Danemark à Chrétienne.
(74) Selon Rahlenbeck, p. 36, ce sont les Jésuites qui auraient fait ce mariage pour avoir un appui en Allemagne, mais cet historien étant porté à voir partout les intrigues des Jésuites, il n’y a pas lieu de retenir cette assertion.
(75) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, coll. 748.
(76) DEDENON, p. 28. - Un compte de 1568 (B 3277) parle de réfections au château de Blâmont en vue de ce mariage ; il faut, croyons-nous, entendre : fiançailles. Un autre oompte (B 8639) mentionne le passage à Sainte-Marie-aux-Mines, Saint-Dié et Raon, du prince de Bavière et de sa mère.
(77) Il n’y a pas lieu de faire à cette date la correction du style ; en Allemagne, l’année commençait alors au 1er janvier.
(78) La description du mariage est dans le J.S.A.L., 1879, p. 142-148, d’après une relation allemande de l’époque.
(79) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 748.
(80) Papiers d’Etat de Granvelle, t. VII, p. 43:8.
(81) Compte incomplet de l’argentier du duc pour 1562 (Arch. M.-et-M., B 1132, fol. 22-23). - Les menus plaisirs devaient faire partie de la dépense extraordinaire.
(82) Ces lettres sont datées de « l’an de grâce 1559, avant Pasques, usage de Toul », ce qui les met dans les premiers mois de 1560 de notre calendrier, et probablement en février, puisque Chrétienne fait acte de gouvernement au milieu de mars. On les trouve aux Arch. M.-et-M., B 416, fol. 100, B 417, fol. 6 v°. Elles sont publiées par Magnienville, p. 166-168.
(83) GIRY, p. 1218.
(84) Arch. M.-et-M., B 33, fol. 152 v° ; ROGÉVILLE, t. II, p. 275. - A cette question des droits de sortie se rapporte aussi une lettre missive que Chrétienne écrit, le 18 juin 1560, au gouverneur de Metz (Annuaire de la Société d’archéologie de Metz, 1931, p. 151).
(85) Arch. M.-et-M., B 33, fol. 177.
(86) Ibid., B 33, fol. 178 v°.
(87) Ibid., B 486, a, 76, p. 28 ; B 719, n° 24.
(88) Ibid., B 416, fol. 100 v°.
(89) ROGÉVILLE, t. I, p. 115.
(90) MAGNIENVILLE, p. 83-84.
(91) Arch. M.-et-M1., B 1134, fol. 23-30, 37-45, 57 v°.
(92) Ibid., B 1140.
(93) lbid., B 1130, fol. 63.
(94) Ibid., B 1134, fol. 5.
(95) BRANTÔME, t. IX, p. 630.
(96) Arch. M.-et-M., B 578, n° 48 ; B 709, n° 72.
(97) DEDENON, p. 28.
(98) Ibid., p. 30.
(99) BERNHARDT, p. 151, 283-284.
(100) B. N., Coll. lorr., 28, fol. 207.
(101) C’est l’opinion exprimée par un grand celtisant, Henri D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, dans les Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1887, p. 79.
(102) Arch. M.-et-M., B 315, fol. 98.
(103) LEPAGE, Statistique Meurthe, t. II, p. 493.
(104) Arch. M.-et-M., B 881, n° 79.
(105) Ibid., B 37, fol. 133.
(106) Ibid., B 37, fol. 130.
(107) Ibid., B 1143, fol. 197, 216 v°.
(108) FOURNIER, p. 133.
(109) Recueil de documents sur l’histoire de Lorraine, t. I, 1855, p. 192 ; M.S.A.L., 1857, p. 116-117.
(110) Ibid., p. 119.
(111) Arch. M.-et-M., H 9108.
(112) Ch. DENIS, p. 1.
(113) Correspondance de Granvelle, t. II, p. 493.
(114) Bibliothèque de Besançon, collection Granvelle, ms. 56, fol. 12 et 20.
(115) R.H.L., 1931, p. 25.
(116) MAGNIENVILLE, p. 176.
(117) Bibliothèque de Besançon, collect. Granvelle, ms. 58, fol. 24, 42.
(118) B.N., Coll. lorr. 28, fol. 99 ; R.H.L., 1931, p. 27 ; Annuaire de la Soc. d’archéologie de Metz, 1931, p. 153.
(119) Arch. M.-et-M., B 3427, fol. 1, 35 v°.
(120) B.N., Coll. lorr. 29, fol. 162-200.
(121) R.H.L., 1931, p. 28-30 ; Arch. M.-et-M., B 3431.
(122) Ibid., B 1162.
(123) Ibid., B 1161, fol. 299.
(124) Mém. de Marguerite, p. 36-37 ; Mém. de Cheverny, dans Collect. Michaud et Poujoulat, lre série, t. X, p. 472.
(125) R.H.L, 1931, p. 30 ; Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1935-1936, p. 55.
(126) Arch. M.-et-M., B 3434, fol. 1 ; B.N., Coll. lorr., 28, fol. 253.
(127) Arch. M.-et-M., B 1166, fol. 357.
(128) Ibid., B 1166, fol. 288-289.
(129) lbid., B 1166, fol. 282.
(130) J.SA.L., 18716, p. 111.
(131) Pour plus de détails, voir notre biographie de Dorothée dans les Mém. de l’Acad. de Stanislas. 1935-1936, p. 38, 57.
(132) B. N., Coll. lorr., 29, fol. 148 (traduction française).
(133) Correspondance de Granvelle, t. VI, p. 521, t. VII, p. 572.
(134) B.S.A.L., 1904, p. 287.
(135) Arch. M.-et-M., B 565, n° 36.
(136) Ibid., B 578, n° 94. - Frémonville, canton de Blâmont.
(137) BRANTÔME, t. IX, p. 632.
(138) Arch. M.-et-M., B 3286, fol. 102.
(139) Correspondance de Granvelle, t. VII, p. 149.
(140) Mgr BONNARD, p. 48.
(141) BRANTÔME, t. IX, p. 632.
(142) Correspondance de Granvelle, t. VIII, p. 71.
(143) M.S.A.L., 1910’, p. 307.
(144) DAVILLÉ, Prétentions de Charles III, p. 37-38 ; Correspondance de Granvelle, t. X, p. 65.
(145) Arch. M.-et-M., B 1220.
(146) Ibid., B 1207, fol. 7.
(147) B. N., Coll. lorr., 29, fol. 16-19.
(148) Ibid., fol. 7-14.
(149) Ibid., fol. 253.
(150) Arch. M -et-M., B 846, nos 19-21 ; la première ordonnance est résumée par LEPAGE, Communes Meurthe, t. I, p. 149-150. - Ces trois ordonnances sont datées de Nancy, indication certainement fictive.
(151) Ibid., B 5172.
(152) B. N., Coll, lorr., 29, fol. 27.
(153) Arch. M.-et-M., B 5174.
(154) Ibid., B 644, n° 65.
(155) Ibid., B 1220, fol. 9 v°.
(156) Voir l’étude que nous en avons faite dans R.H.L., 1931, p. 14-32.
(157) TUETEY, t. II, p. 83.
(158) B. N., Coll. lorr., 28, fol. 259.
(159) Ibid., 28, fol. 223.
(160) Ibid., 28, fol. 233.
(161) Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII, p. 225, 372.
(162) LEPAGE, Instructions de Charles III, p. 93.
(163) DAVILLÉ, Prétentions de Charles III, p. 171.
(164) Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1935-1936, p. 44.
(165) Arch. M.-et-M., B 1217, fol. 336 v°, 378, 383, 385, 390 v°.
(166) B. N., Coll. lorr., 28, fol. 2-46, 248.
(167) Arch. M.-et-M., B 1225, fol. 258, 259.
(168) B. N., Coll. Lorr., 28, fol. 34-67. - Ces lettres ont dû entrer à la B.N. avec les autres papiers de Dorothée, qui sont volumineux ; voir ce que nous en disons dans les Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1935-1936, p. 51-52.
(169) Mgr BONNARD, p. 48.
(170) B.N., Coll. lorr., 28, fol. 218-219.
(171) Ibid., 28, fol. 237.
(172) Arch. M.-et-M., B 1207, fol. 15 v°.
(173) B.N., Coll. lorr., 235, fol. 163.
(174) Arch. M.-et-M., B 1207, fol. 10.
(175) B.N., Coll. lorr., 28, fol. 321.
(176) THEINER, t. II, p. 262.
(177) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 102-103 ; publiée par LEPAGE, dans le J.S.A.L., 1873, p. 170-171.
(178) Arch. M.-et-M., B 3442.
(179) Correspondance de Granvelle, t. XI, p. 294, 342, 351, 354.
(180) CALMET, Maison du Châtelet, preuves, p. 216.
(181) B. N., Coll. lorr., 28, fol. 314 ; 29, fol. 2.
(182) BRANTÔME, t. IX, p. 632.
(183) Correspondance de Granvelle, t. II, p. 493.
(184) Ibid., t. III, p. 463.
(185) MAGNIENVILLE, p. 176.
(186) Correspondance de Granvelle, t. V, p. 27.
(187) B.N., Coll. lorr., 28, fol. 213.
(188) R.H.L., 1931, p. 31.
(189) B.N., Coll. lorr., 28, fol. 214.
(190) Ibid., 28, fol. 18.
(191) Ibid., 29, fol. 231 v°.
(192) Arch. M.-et-M., B 1223, fol. 373- v°. Ce texte est reproduit par LEPAGE dans le J.S.A.L., 1873, p. 164, avec une erreur de lecture qui a quelque importance : là où il met « vers l’unzième de septembre », il faut lire « dès l’unzième ».
(193) Biblioth. de Nancy, ms. 2133, fol. 93. - Le Dictionnaire de MORÉRI, v° Lorraine, t. IV, p. 1029, met à tort le décès de Chrétienne au 10 décembre, et cette erreur est reproduite dans une note des Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII, p. 372.
(194) Arch. M.-et-M., B 59, fol. 269 v°.
(195) lbid., B 59, fol. 167 v°.
(196) Arch. M.-et-M., B 5172, publié par LEPAGE, dans le J.S.A.L., 1873, p. 165-166. - Dans la même liasse est un reçu d’un hôtelier de Deneuvre, de 280 fr., qui lui ont été payés pour la dépense de Visconti, de deux serviteurs et de trois chevaux..
(197) Arch. M.-et-M., B 5172, B 5173, fol. 47 va.
(198) J.S.A.L., 1873, p. 168.
(199) Ibid., p. 169.
(200) Arch. M.-et-M., B 61, fol. 96-138.
(201) Publiée par LIONNOIS, t. I, p. 150.
(202) Arch. M.-et-M., B 7363.
(203) PAYARD, p. 350, note.
(204) R.H.L., 1931, p. 183.
(205) H. Roy, p. 87.
(206) Arch. M.-et-M., B 1237.
(207) Ibid., fol. 4 v°.
(208) B. N., Coll. Ion., 28, fol. 57.
(209) Arch. Meuse, B 1710.

 

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