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Chrétienne de Danemark, Duchesse de Lorraine (1/4)
Émile Duvernoy
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Mémoires de la Société d’archéologie lorraine
Société d’archéologie lorraine
1936


CHRÉTIENNE DE DANEMARK
DUCHESSE DE LORRAINE
PAR
Émile DUVERNOY

PREMIERE PARTIE
CHRÉTIENNE JUSQU’A LA TUTELLE

CHAPITRE Ier
Chrétienne avant le mariage lorrain
I. L’enfance et le mariage de Milan. - Il. Projets de remariage.

I.

A la fin du règne du duc Antoine, il y a un tournant brusque dans la politique extérieure de ce prince. La Lorraine jusqu’alors très amie, alliée même, de la France, se rapproche de l’Empire, assez pour alarmer François Ier et le contraindre à prendre ses sûretés. Les raisons de ce revirement sont multiples : le duc est irrité des chicanes continuelles que la France lui cherche à propos du Barrois mouvant ; très attaché au catholicisme, il est inquiet et mécontent des alliances luthériennes de François Ier et se rappelle avec dépit qu’en 1525 il a peut-être sauvé le royaume de l’invasion des Rustauds. Il est permis aussi de supposer que, dès 1523, la trahison du connétable de Bourbon a mis quelque froideur entre François et Antoine : la duchesse de Lorraine, Renée, est en effet la sœur du connétable, et il se peut qu’elle et son mari aient pris la défense de celui qu’ils tenaient pour la victime d’une grande injustice (1).
En revanche, par le traité de Nuremberg du 26 août 1542, dû à la bienveillance personnelle de Charles-Quint, la Lorraine obtient une situation particulièrement favorable dans l’Empire (2). Enfin, dans son amour-propre de prince du second ordre, le duc est flatté des belles alliances que l’empereur offre à ses enfants : sa fille, Anne, épouse, en août 1540, René de Chalon, prince d’Orange, général et favori de Charles-Quint ; son fils aîné, François, épouse à Bruxelles, le 10 juillet 1541, Chrétienne de Danemark, nièce de l’empereur, veuve du duc de Milan. Dans cet étrange empire de Charles-Quint qui réunit la moitié de l’Europe, tout prend facilement un aspect cosmopolite. Si le mariage fut célébré à Bruxelles, le contrat avait été passié à Ratisbonne, le 20 mars de la même année ; Dorothée, sœur aînée de Chrétienne, mariée également par les soins de son oncle dès 1535, eut son contrat dressé à Barcelone, la cérémonie des fiançailles se faisant à Bruxelles et celle du mariage à Heidelberg.
La jeune princesse qui entrait ainsi dans la maison de Lorraine avait eu une jeunesse triste. Elle était née en 1521, on ne sait en quel lieu ni en quel mois, fille de Christiern II, roi de Danemark, et d’Isabelle d’Autriche, sœur de Charles-Quint. En 1523, son père, qui se conduit en tyran, est renversé par ses sujets. La reine, avec Dorothée et Chrétienne, se retire à Bruxelles auprès de sa sœur, Marie, reine douairière de Hongrie et gouvernante des Pays-Bas pour le compte de Charles-Quint. Elle meurt en 1526, quand la petite Chrétienne n’a peut-être pas cinq ans. Tout à ses tentatives pour rentrer dans son royaume, Christiern ne s’occupe pas de sa fille ; il sera du reste peu après fait prisonnier par le prince qui lui a succédé sur le trône de Danemark, passera le reste de sa vie en captivité et y mourra en 1559.
Chrétienne fut donc, en fait, orpheline de père et de mère dans l’âge le plus tendre. Elle fut élevée par sa tante, Marie de Hongrie, qui paraît l’avoir aimée avec tendresse, qui eut, en tous cas, sur elle une action décisive. Marie fit de sa nièce par l’éducation ce qu’elle était déjà en partie par le sang, une Habsbourg prononcée, convaincue de la grandeur de sa maison qui s’estimait au-dessus de toutes les maisons royales de l’Europe, pénétrée aussi du sentiment de ses devoirs envers le chef de cette maison, le très puissant empereur. Chrétienne restera telle, sinon pendant toute sa vie, du moins pendant les années qu’elle passera en Lorraine et où elle dirigera la politique de ce pays ; alors, son dévouement à Charles-Quint et à Marie de Hongrie sera sans réserve. L’éducation qu’elle reçut à Bruxelles fut à la fois française - puisque le français était la langue habituelle de cette famille, plus belge qu’autrichienne, et de la petite cour de Bruxelles - et très antifrançaise. Ce dernier sentiment datait de loin et n’était pas dû uniquement aux rivalités d’ambition : Marguerite d’Autriche, tante de Charles-Quint, en son temps gouvernante, elle aussi, des Pays-Bas, avait été, toute jeune, fiancée au roi Charles VIII ; celui-ci s’était détourné d’elle pour épouser Anne de Bretagne. Orgueilleuse comme tous les Habsbourg, vindicative comme l’étaient souvent les femmes du XVIe siècle, Marguerite n’avait jamais pardonné cet affront. Elle avait élevé ses deux nièces, Marie et Isabelle, et leur avait inculqué ses rancunes. Isabelle était morte trop tôt pour cultiver ce sentiment chez sa fille ; Marie s’en était chargée et Chrétienne qui, par la force des choses, aura tant de relations avec la France, sera trop portée à tenir les Français pour une nation sans foi ni loi, dont on ne peut attendre que les pires procédés.
Au XVIe siècle, les femmes se mariaient jeunes, surtout si elles appartenaient à des maisons souveraines. Et Charles-Quint qui considérait ses sœurs et ses nièces comme des agents de sa politique, au même titre que ses ministres et ses chefs d’armée, n’était pas disposé à laisser longtemps Chrétienne à l’état de valeur inutile. Il la destina d’abord à cette Italie que, malgré le désastre de Pavie, François Ier lui disputait toujours et qui réclamait de lui une attention particulière : le 28 octobre 1533, le roi de France avait marié son second fils, Henri, le futur Henri II, à Catherine de Médicis, nièce du pape Clément VII, union qui lui assurait des appuis et des intelligences dans la péninsule ; l’empereur riposta presque immédiatement à cette manoeuvre et, en mai 1534, il maria Chrétienne de Danemark à François Sforza, duc de Milan, dont la bonne volonté lui était tout à fait nécessaire.
Chrétienne avait au plus treize ans et Marie de Hongrie nous fait savoir qu’elle était encore une enfant. Sitôt connu ce projet de mariage, elle avait écrit à l’empereur, le 25 août 1533, pour s’y opposer, dans l’intérêt de la santé de sa nièce : « Selon le droit de nature, je tiens que c’est contre Dieu et raison de la marier si tempre (3) ; car quelques femmes ne sont pas de si tempre venue les unes que les autres, et n’y a encore nulle apparence de femme en elle... J’entends bien qu’il sera fort difficile de changer quelque chose au traité. Toutefois je n’ai voulu laisser vous en avertir pour ma descharge envers Dieu, Vostre Majesté et envers madite nièce et le monde (4). » Comme Marie le prévoyait, son frère passa outre ; aussi bien, le contrat avait été signé à Barcelone, dès le 10 juin 1533, et ratifié par les deux parties le 27 septembre. Chrétienne fut conduite à Milan par Louis de Praet, conseiller dei Charles-Quint. Celui-ci fit généreusement tous les frais des accoutrements, bijoux, vaisselle, chapelle, donnés à la jeune princesse (5), mais il n’assista pas au mariage, étant alors en Espagne.
Cette union fut brève ; François Sforza expira le 24 octobre 1535, et quand on voit cette courte durée et le jeune âge de Chrétienne, on peut se demander si ce mariage fut jamais effectif. Mais il lui en resta un domaine de quelque valeur : Sforza lui avait assigné pour douaire la terre de Tortone, dans le sud-ouest du Milanais. Elle la conserva et c’est là qu’elle viendra passer les douze dernières années de sa vie et mourir.
Pour le moment, cette enfant de quatorze ans n’avait plus rien à faire en Italie ; elle revint à Bruxelles, auprès de la reine de Hongrie, qui s’occupa de parfaire son éducation. Marie elle-même était fort instruite : elle lisait le latin et parlait couramment plusieurs langues. Elle s’était constitué à Bruxelles une riche collection de livres et de manuscrits, de tableaux et de raretés. Elle protégeait les écrivains et les artistes (6). C’était une de ces femmes, comme on en vit beaucoup alors, auxquelles nulle des préoccupations si variées de la Renaissance n’était étrangère. Elle dut tenir à former l’esprit de la nièce qui lui était confiée et elle y réussit, semble-t-il, car nous avons des lettres de Chrétienne écrites en fort bon français, d’autres en italien et en espagnol, et nous savons encore qu’elle possédait l’allemand (7).
Des maîtres dont nous ignorons les noms durent être chargés de lui enseigner ces langues et les autres connaissances convenables à une princesse. Mais il est probable que la reine se réserva le soin d’intitier la jeune fille aux choses de la politique, car elle avait à un haut degré ces aptitudes à gouverner si fréquentes chez les femmes du XVIe siècle, en particulier dans la famille des Habsbourg qui, pendant un siècle, fournit aux Pays-Bas de remarquables conductrices (8). Nommée gouvernante de cette région le 3 janvier 1531 (9), Marie avait déjà la pratique du gouvernement quand, en 1535 ou 1536, Chrétienne vint la rejoindre. Elle put la faire profiter de son expérience, lui inculquer le goût du pouvoir et des responsabilités, l’art de commander, de négocier, de prévoir. Ne peut-on pas estimer que la tante a trouvé dans sa nièce une disciple trop fidèle ? Marie poussait la fermeté de caractère jusqu’à la dureté et punissait impitoyablement des fautes même légères. Brantôme dit qu’elle « avoit le cœur grand et dur ». Quand Chrétienne gouvernera à son tour, elle sera, nous le verrons, trop portée à user de la manière forte.
Un autre trait du caractère de la reine de Hongrie était un dévouement sans réserves à son frère, l’empereur. Elle n’avait accepté qu’à contre-cœur le gouvernement des Pays-Bas et avait déclaré le prendre « pour faire preuve envers son frère aîné de l’obéissance qu’elle lui portoit et lui devoit (10) ». En 1552, elle écrit à son autre frère, Ferdinand, roi des Romains : « Ay esté très aise d’entendre la bonne affection que vous avez de faire office de bon frère envers Sa Majesté, chose qui à tous deux est tant requise (11). » Ainsi, au jugement de Marie, ses frères, ses sœurs et elle-même ne sont que les premiers serviteurs du chef de leur maison et doivent se sacrifier totalement à sa gloire et au bien de ses affaires. Naturellement, la reine s’efforça d’inspirer à Chrétienne les mêmes sentiments et elle n’y réussit que trop bien. Dans des circonstances critiques, celle-ci sacrifiera délibérément ses intérêts et ceux de la Lorraine pour ne penser qu’aux intérêts de Charles-Quint.

II

La forme la plus usuelle de l’obéissance que les princesses de sa maison devaient à l’empereur était d’accepter l’époux qu’il leur destinait en vue de machinations diplomatiques. Chrétienne était à peine veuve que Charles-Quint pensait à la remarier. Dès le 2 mars 1536, il écrit à la reine de Hongrie : « Ira-t-elle en Ecosse ou à Clèves ? Je ne suis pas encore fixé (12). » Mais, bientôt, il fut question d’un parti plus brillant encore : dès 1537, un rapport d’Hutton, agent du roi d’Angleterre auprès de la cour de Bruxelles, indique Chrétienne de Danemark comme une femme possible pour son maître, dont la troisième femme, Jane Seymour, venait de mourir en couches. Hutton fait son éloge et dit qu’elle parle ordinairement le français, mais sait aussi l’italien et l’allemand. Le 9 décembre de cette année, il annonce que Chrétienne est arrivée la veille à Bruxelles, qu’elle a seize ans, est très grande, remarquablement belle, douce dans son parler et gracieuse dans ses manières (13). Il écrit encore, un peu plus tard : « La duchesse de Milan a la réputation d’une bonne personne et d’une très belle femme. Elle n’a pas un teint d’une blancheur aussi pure que celui de la défunte reine (Jane Seymour), mais quand il lui arrive de sourire, on voit deux fossettes sur ses joues et une au menton qui lui vont très bien (14). » Hutton étant mort sur ces entrefaites, Henri VIII dépêcha à Bruxelles son secrétaire, Wriothesley, pour faire en son nom la cour à Chrétienne. Le galant était peu tentant : deux ans plus tôt, il avait fait décapiter sa seconde femme, Anne Boleyn, et le bruit courait que la troisième, Jane Seymour, était morte faute de soins. Pressée par Wriothesley qui lui vantait la douceur de caractère et l’amabilité de son maître, la jeune princesse eut d’abord une réponse d’une malice bien féminine : « Si j’avais deux têtes, j’en mettrais une à la disposition de Sa Grâce. » Puis, en nièce bien stylée et qui connaît son devoir, elle répliqua à de nouvelles instances de l’Anglais : « Vous savez que je ne suis que l’humble servante de l’empereur et que je dois suivre son bon plaisir (15). »
Malgré ce demi-acquiescement, l’affaire ne réussit pas. C’est qu’Henri VIII recherchait à la fois Chrétienne de Danemark et Anne de Clèves, et son ministre, Thomas Cromwell, partisan de la seconde, écrivait au roi qu’Anne surpassait Chrétienne en beauté « comme l’or du soleil surpasse l’argent de la lune ». D’ailleurs, si sensuel que fût Henri VIII, il ne laissait pas de poursuivre aussi des fins politiques dans ses combinaisons matrimoniales : l’union avec Chrétienne l’eût fait entrer dans la clientèle de Charles-Quint, auquel il était hostile pour le moment ; au contraire, le mariage de Clèves était dirigé contre l’empereur et devait avoir pour résultat l’encerclement des Pays-Bas entre la France, l’Angleterre et le duc de Clèves, que suivraient, espérait-on, tous les princes de l’Allemagne du nord. Henri se décida donc pour Anne qu’il épousa le 6 janvier 1540.
Ceux qui, dans l’histoire, s’intéressent avant tout aux jeux de l’amour et du hasard, remarqueront que, si le mariage d’Henri VIII avec Chrétienne de Danemark s’était accompli, celle-ci aurait succédé à sa grande-tante, Catherine d’Aragon, morte en 15316, et dont deux autres femmes, Anne Boleyn et Jane Seymour avaient déjà tenu la place. Catherine comptait huit ans de plus que le roi, ce qui explique que celui-ci s’en soit laissé si vite ; Chrétienne, au contraire, était de trente ans plus jeune, ce qui lui eût peut-être assuré quelques années de vogue. Ils noteront aussi qu’Henri VIII épouse Anne de Clèves qui, toute jeune, avait été fiancée au prince François de Lorraine, tandis que, peu après, Chrétienne recherchée, puis négligée par lui, épousera ce même prince François. Curieux renversement d’alliances, comme on en voit dans quelques comédies.
Il est peu probable que Chrétienne ait regretté l’échec de son mariage avec un roi qui répudiait ou faisait décapiter ses femmes ; mais à nous, il est impossible de regretter que. ce projet de mariage ait été formé, car il nous a valu un chef-d’œuvre. Tenant à bien connaître, avant de s’engager, les attraits physiques des princesses qu’il devait épouser, Henri VIII avait pris à son service le grand peintre allemand, Hans Holbein, auquel il faisait un traitement fixe de trente livres sterling par an. En mars 1538, Holbein arrive à Bruxelles pour faire le portrait de Chrétienne, et l’agent anglais, Hutton, rend compte de l’opération : « M. Hans, dit-il, n’ayant eu que trois heures à sa disposition, s’était montré maître en son art, car c’était parfait (16). » Assurément, dans ces trois heures de pose, Holbein n’a eu le temps que de faire une esquisse et a dû exécuter la peinture après son retour en Angleterre. C’est un tableau de grandes dimensions, mesurant 1 m. 78 sur 0 m. 81, et peint sur trois panneaux de bois. Chrétienne est représentée debout et bien droite, mais sans raideur. Elle est vêtue d’une longue robe noire qu’égaie seulement une petite collerette blanche. Sur cette robe, elle porte un manteau, noir également, à larges manches, garni de fourrures et ouvert du haut en bas. Les pieds sont entièrement cachés par la robe et par le manteau. Les mains sont croisées à la hauteur de la ceinture, ornées d’un anneau avec un rubis, et tiennent une paire de gants fauves ; elles sont remarquables. On sait qu’Holbein considérait les mains comme un élément essentiel de la personne humaine ; aussi les place-t-il toujours en évidence et les traite-t-il avec un soin particulier. Les yeux sont bruns, intelligents et volontaires. Les cheveux disparaissent complètement sous une coiffe noire, parce que la duchesse de Milan porte, à la mode italienne, le deuil de son premier mari (17). Il semble que cette toilette si sévère, cette coiffe presque monastique, ne soient guère propres à faire valoir une très jeune femme de dix-sept ans, mais la belle prestance du modèle et le génie du peintre triomphèrent. Nous savons que le portrait plut beaucoup à Henri VIII, si difficile à satisfaire. Il n’enchante pas moins notre génération, comme on le vit en 1909, quand ce tableau, qui est dénommé La duchesse de Milan, fut mis en vente par son possesseur et que l’Amérique se prépara à l’acheter. Il y eut en Angleterre un sursaut d’indignation, une souscription publique s’organisa, racheta le chef-d’œuvre d’Holbein au prix de 72.000 livres sterling, soit 1.800.000 francs, et l’offrit à la National Gallery de Londres, où il est encore (18).
A peine ce projet de mariage avec Henri VIII avait-il été abandonné, qu’une autre union, compliquée elle aussi de politique, était envisagée pour Chrétienne. Charles, duc de Gueldre, était mort le 30 juin 1538. N’ayant pas d’enfants, il laissait ses états à son plus proche parent, Guillaume, duc de Clèves. Mais il y avait deux autres prétendants, le duc de Lorraine, Antoine, dont la mère, Philippe de Gueldre, était la sœur du dernier duc, et l’empereur Charles-Quint, qui se réclamait d’une convention passée jadis par le duc de Gueldre avec son aïeul, l’empereur Maximilien. Comme la Gueldre lui était nécessaire pour achever l’unification territoriale des Pays-Bas, comme il était du reste le plus fort, il se hâta d’occuper ce pays, sans tenir compte des droits et du duc de Lorraine et du due de Clèves. Le premier se résigna assez vite à la perte de ce duché, si éloigné de la Lorraine et qu’il lui eût été difficile de garder. Mais Guillaume de Clèves maintint ses prétentions et, pensant les faire ainsi mieux valoir, il demanda à la fois à l’empereur l’investiture du duché de Gueldre et la main de sa nièce, Chrétienne. Des négociations s’engagèrent qui n’aboutirent pas : l’empereur tenait à conserver la Gueldre ; sa sœur, la reine de Hongrie, prétendait obliger Guillaume à entrer au préalable dans une confédération avec lui, et les princes protestants allemands, alarmés de ce projet menaçant pour eux, pesaient sur le duc de Clèves pour le détourner de tout engagement (19). Mais les pourparlers furent longs ; Charles-Quint en parle encore comme d’une affaire non résolue dans des instructions qu’il rédige le 5 novembre 1539 pour son fils aîné, don Philippe (20). Ce même document fait encore allusion à un autre prétendant à la main de Chrétienne, « l’héritier de Vandosme ». S’agit-il d’Antoine, fils de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, alors âgé de vingt-un ans ? Nous n’oserions l’affirmer (21).
Ainsi, après avoir été mariée en Italie, après avoir failli passer en Angleterre, Chrétienne de Danemark se voyait demandée en Allemagne et, semble-t-il, en France. Ce fut en Lorraine qu’elle alla.

CHAPITRE II
Chrétienne, femme de François de Lorraine
I. Négociations du mariage et signature du contrat. - II. Le mariage à Bruxelles et le retour en Lorraine. - III. Chrétienne, duchesse de Bar. - IV. Le règne de François Ier.

I

Le projet de marier Chrétienne de Danemark à François de Lorraine, fils aîné du duc Antoine, paraît remonter à cette année 1538, où il était question pour la jeune princesse d’un autre parti beaucoup plus élevé, sinon plus sûr, du roi d’Angleterre, Henri VIII. En mai et juin 1538, François Ier et Charles-Quint séjournèrent à Nice pour négocier et essayer de faire la paix. Ils y rencontrèrent le pape, Paul III, et le duc Antoine qui offraient leurs bons offices pour accommoder les ambitions rivales des deux puissants souverains. Ils y rencontrèrent aussi le prince François, alors âgé de vingt-un ans, qui était amené, non point par son père, mais par le roi, car filleul de François Ier, il était élevé à la cour de France, près du dauphin, comme son père, Antoine, l’avait été à la cour de Louis XII, comme son fils, Charles III, le sera à la cour d’Henri II. Charles-Quint vit donc François à Nice et, le trouvant sans doute à son gré, put former dès lors le projet de le marier à Chrétienne, autant pour soustraire ce futur duc à l’influence française que pour assurer à sa nièce un établissement digne d’elle. En juillet, les deux monarques se retrouvèrent pendant quelques jours à Aigues-Mortes. Le duc Antoine était invité à cette entrevue qui fut l’occasion de belles fêtes, mais pris subitement d’une sciatique, il s’excusa et envoya, pour le représenter, son fils que l’empereur vit ainsi de nouveau (22).
Le fils d’Antoine, qui portait alors le titre de marquis de Pont-à-Mousson, resta à la cour de France jusqu’en 1539, année où il commença à être question de son mariage avec Chrétienne. Le 15 février 1539, Charles-Quint, écrivant à sa sœur Marie, lui parle de cette union comme d’une chose à peu près résolue et ajoute que le roi de France n’en sera sans doute pas très satisfait (23). Dans ces instructions du 5 novembre 1539 à son fils que nous avons déjà alléguées, l’empereur revient sur ce projet et dit qu’il décidera ce qui lui paraîtra le plus à propos pour le recouvrement du royaume de Danemark (24). Tout en liant parti avec l’empereur, le duc Antoine tâche de rester en bons termes avec le roi et au commencement de 1540, il envoie son fils lui rendre visite (25). Dès cette année, semble-t-il, Nicolas Mengin, qui est à la fois secrétaire du duc -et président de la Chambre des comptes de Lorraine, reçoit mission de négocier le mariage (26) et le duc lui-même en entretient l’empereur lorsqu’il va le saluer à Luxembourg en décembre 1540 (27). On peut bien être surpris que ces pourparlers aient ainsi duré des mois et même des années ; il faut chercher la raison de ces délais dans la grande jeunesse des futurs conjoints, dans des complications, politiques et autres, que nous ne connaissons sans doute pas toutes, enfin dans le fait que Charles-Quint, accablé d’affaires multiples, ne pouvait consacrer à celle-ci qu’une faible partie de son temps et de son attention.
L’affaire n’aboutit qu’en 1541. Par acte daté de Bar-le-Duc et du 1er mars, le duc Antoine donna procuration, pour établir le contrat de mariage, à quatre de ses conseillers : Jean, comte de Salm, seigneur de Viviers, maréchal de Barrois ; Claude de Beauvau, seigneur de Sandaucourt, son maître d’hôtel ; Nicolas, Mengin, nommé plus haut ; René Boudet, maître des requêtes de son hôtel. Le 13 mars, à Ratisbonne, où il était arrivé le 23 février, Charles-Quint donnait un pouvoir analogue à Louys de Flandre, sieur de Praet, son chambellan, et à Nicolas Perrenot, sieur de Granvelle, son premier conseiller d’Etat. Comme on s’était d’avance mis d’accord sur les points essentiels, la discussion ne traîna pas et le 20 mars,, le contrat fut signé à Ratisbonne, sans doute en présence de l’empereur : le mariage devra être solennisé le plus tôt que faire se pourra ; Chrétienne aura comme dot la rente et le douaire qui lui restent dans le duché de Milan par suite de son premier mariage ; la rente est celle d’un capital de 100.000 écus, le douaire est la terre de Tortone ; si l’épouse décède la première sans enfants, son mari et même son beau-père auront, leur vie durant, la jouissance de cette rente qui, après leur mort, retournera à l’empereur ; elle recevra de son mari des joyaux valant 12.000 livres tournois, dont elle pourra disposer comme elle voudra ; son douaire lorrain se montera à 15.000 livres tournois par an et lui sera assigné sur le comté de Blâmont et la seigneurie de Deneuvre ; mais si le mari prédécède sans enfants, le douaire sera réduit à 10.000 livres ; le mariage sera célébré en présence de la reine douairière de Hongrie ; le duc donnera à son fils 20.000 livres tournois par an pour entretenir sa maison et lui attribuera une demeure où il puisse résider avec sa femme, si bon lui semble ; les enfants, de l’un et de l’autre sexe, qui naîtront de ce mariage, seront aptes à succéder au duché de Lorraine (28).
Au cours de la discussion du contrat, une question avait été soulevée et résolue, qui ne figure pas dans cet instrument, quoique non dépourvue d’intérêt : le futur époux était jusqu’alors dénommé le marquis de Pont-à-Mousson. Charles-Quint estima que le titre de marquise était bien modeste pour la fille d’un roi et pour la nièce d’un empereur, roi par ailleurs de tant de royaumes. Il demanda qu’avant le mariage, François reçût le titre de duc de Bar, afin que sa femme gardât la qualité de duchesse que lui avait value sa première union. Cette concession fut sans doute accordée aisément et, dès le retour des agents lorrains envoyés à Ratisbonne, le prince François prit le titre de duc de Bar (29), sans du reste acquérir le moindre droit à l’administration de ce territoire, et sans que fût en rien altérée l’étroite union des deux duchés, formellement établie par le testament de René II, du 25 mai 1506, et qu’Antoine réitérera dans son testament du 11 juin 1544.
Le douaire de Chrétienne était constitué sur les prévôtés de Blâmont et de Deneuvre; ces terres avaient été réunies à la Lorraine en 1506, à la mort d’Olry de Blâmont, évêque de Toul, grand-oncle de René II, mais en conservant une certaine autonomie ; elles seront successivement le douaire de Chrétienne de Danemark au XVIe siècle, et de Marguerite de Gonzague au XVIIe. Leur revenu annuel avait été évalué à 15.000 livres tournois, non sans complaisance. La reine de Hongrie s’en douta et, peu après la signature du contrat, elle envoya trois de ses conseillers, Ingrebert Vadendate, chancelier de Brabant, Jean Carrette, maître ordinaire en la Chambre des comptes de Lille, Nicolas Le Gouverneur, receveur général du Luxembourg, pour vérifier sur place si les deux prévôtés pouvaient produire cette somme. Ils examinèrent les comptes des dix dernières années et constatèrent que les revenus de la prévôté de Blâmont et de ses étangs étaient de 3.640 francs, 9 gros, 10 deniers, ceux de la prévôté de Deneuvre de 1.070 francs, 10 gros, 10 deniers, au total 4.710 francs, 19 gros, 20 deniers de Lorraine, ce qui ferait en monnaie tournois 3.140 livres, 7 sols. On était loin de compte. Aussi, par lettres rendues à Neufchâteau le 9 juin 1541, Antoine assigna le surplus sur la saline ducale de Salone - les salines étaient la grande ressource du petit budget lorrain - et en cas d’insuffisance de celle-ci, sur ses autres salines et en général sur tous les revenus de ses duchés (30).
Avant même de procéder à cet ajustement du douaire, Antoine avait, le 12 avril 1541, ratifié le contrat de mariage négocié par ses délégués (31). Dès lors, toutes les écritures étant en règle, tous les chiffres vérifiés, il n’y avait plus qu’à procéder à la cérémonie nuptiale. François de Lorraine avait environ vingt-quatre ans, Chrétienne de Danemark à peu près vingt ans ; ils étaient donc en âge de s’unir, et de plus le rapport d’âge entre eux était convenable. Les mariages princiers de cette époque ne s’effectuaient pas toujours dans des conditions aussi heureuses.

II

Les fêtes du mariage et ensuite le voyage des nouveaux époux de Bruxelles à Nancy sont décrits sans de très longs détails, mais avec précision, par le héraut d’armes de Lorraine, Emond Du Boullay (32). A-t-il participé à ces fêtes et à ce voyage ? Il ne le dit nulle part, mais on peut à bon droit le supposer, car il semble bien qu’il a vu ce qu’il décrit et la présence d’un héraut d’armes était bien nécessaire à des cérémonies où des questions d’héraldique et de protocole se posaient sans cesse. Nous suivrons donc le récit de Du Boullay qui nous paraît de première main, en le complétant à l’aide des documents belges (33) et des documents lorrains.
Dans les premiers jours de juillet 1541, le duc Antoine appelle à Nancy les nobles les plus qualifiés de ses deux duchés, et les prie de se joindre aux gentilshommes de sa maison pour accompagner son fils à Bruxelles. Ils se mettent en route et sont reçus à la frontière par Frédéric d’Egmont, comte de Buren, et par nombre de seigneurs des Pays-Bas. A Bruxelles, la reine Marie les accueille de la façon la plus gracieuse et la plus prévenante ; politique avisée, elle veut gagner à son frère, l’empereur, ces Lorrains qui s’obstinent à rester neutres et doubler l’alliance matrimoniale d’une alliance diplomatique. Elle donne à sa nièce de riches présents, entre autres un carcan (collier) d’or garni de perles, de diamants, de rubis et d’émeraudes qui ne vaut pas moins de 5.400 livres. Le mariage est célébré le lendemain de l’arrivée du jeune duc de Bar, c’est-à-dire le 10 juillet. Il est suivi de festins et de bals magnifiques. Le 11 juillet, un tournoi est donné sur la grande place de Bruxelles ; le 12, on exécute dans le parc le simulacre de l’attaque d’une forteresse ; le 13, partie de chasse à Boondael, non loin de Bruxelles. Observons ici que Charles-Quint n’a pris part à aucune de ces fêtes ; il était toujours à Ratisbonne, occupé à présider une laborieuse diète, qui ne sera close que le 29 juillet et, quelques jours après, il pas.sera les Alpes et descendra en Italie pour y préparer son expédition d’Alger.
Le huitième jour après le mariage, les nouveaux époux partent pour la Lorraine, reconduits par le duc d’Arschot, le prince d’Orange, beau-frère de François, puisque, l’année précédente, il avait épousé Anne, sa sœur, le comte de Mansfeld et d’autres grands personnages. Le brillant cortège passe par Namur, Bastogne, Luxembourg, Thionville, Metz où il s’arrête deux jours (34). Dans cette ville, Emond Du Boullay présente au duc et à la duchesse de Bar un livre composé par lui sur leur joyeuse entrée en Lorraine et sur l’alliance qu’ils viennent de réaliser des maisons d’Autriche, de Danemark et de Lorraine. C’est lui-même qui nous donne ce détail, et il ne dit pas le titre de cet ouvrage ; il est probable qu’il s’agit du petit volume intitulé Les généalogies des... ducs de Lorraine, avec le discours des alliances et traictez de mariage... que Du Boullay fera imprimer à Paris en 1549 seulement, mais qu’il a très bien pu offrir en manuscrit à ses princes à l’occasion de leur mariage.
De Metz, le cortège gagne Pont-à-Mousson, ville du duché de Bar, où le duc Antoine l’attend avec, nombre de hauts personnages, en tête desquels on remarque ses frères, le cardinal Jean, et Claude, duc de Guise, son second fils, Nicolas, déjà évêque de Metz malgré sa jeunesse, son neveu, Charles, archevêque de Reims. Par une belle journée du commencement d’août, les deux troupes se rencontrent près de Pont-à-Mousson, dans une prairie au bord de la Moselle. On se salue et on s’embrasse, puis on se met en route pour Nancy, en regardant un simulacre de combat naval qui se livre sur la Moselle et où figurent, entre autres, douze pécheurs de Sierck, qui ont reçu chacun quatre francs pour sa peine, plus les frais du voyage (35). A une demi-lieue de Nancy, voici les magistrats et le peuple de cette ville qui attendent le cortège ; quand celui-ci se présente devant la porte de la Craffe, toute l’artillerie des remparts se met à tirer. Le soir même, le duc offre un grand festin. Pendant les huit jours suivants, ce sont des tournois et des divertissements de toute sorte. On remarque en particulier un combat à pied qui se donne dans la cour du Palais ducal, splendidement illuminée, garnie d’écussons armoriés peints par un artiste de valeur, Claude Crocq (36). Le neuvième jour, les fêtes sont terminées, chacun s’en retourne chez soi, mais Chrétienne garde auprès d’elle sa dame d’honneur, la princesse de Macédoine, ainsi que des gentilshommes et des demoiselles qu’elle avait à son service à Milan et en Flandre.
Pour se rendre compte de l’importance et de l’éclat de ces fêtes, des sommes qu’elles ont coûtées, de la longueur des préparatifs, il faut ouvrir quelques registres de comptes lorrains des années 1541 et 1542 : quand le duc de Lorraine, le duc et la duchesse de Bar se retrouvent à Pont-à-Mousson, ils consomment cent quartes de blé, ce qui prouve qu’ils avaient des suites nombreuses (37). Pour les festoyer, le duc recourt tout d’abord aux ressources du pays ; ainsi, il envoie un homme dans tous les villages de la prévôté de Charmes pour engager à bien nourrir les poulets, chapons et autres volailles destinés aux festins (38) ; il fait venir de Dieuze deux sangliers et une charge de pigeons. Mais il achète au dehors ce que ses duchés ne pourraient lui fournir, payant par exemple 12 florins pour trois saumons qu’on lui envoie de Strasbourg (39), versant 100 écus d’or à Aulbin Le Verdier, orfèvre à Paris, en déduction de plus grande somme qui lui est dûe parce qu’il a fourni des pièces d’orfèvrerie pour le festin de noces (40). Pendant ce festin, on allume 117 falots dans la cour du Palais ducal, et les rues de Nancy sont éclairées de même ; il en coûte 38 francs (41). Jean de Gorze, peintre du duc, reçoit 95 francs pour avoir peint 28 pannonceaux et autant de banderolles avec quatre écussons aux armes du duc (42). Le Tournoi donnée à Nancy ne coûte pas moins de 5.759 francs, rien qu’en broderies, passementeries d’or et d’argent, plumes, armes, selles et éperons, car dans ces solennités hommes et chevaux devaient être équipés magnifiquement (43). Et il semble que, pour couvrir toutes ces dépenses, le bon duc s’est endetté, car en 1542, il rembourse à deux marchands de Pulligny 1.000 francs qu’ils lui ont avancés pour lui permettre de faire une belle réception au duc et à la duchesse de Bar (44). Antoine dépensa alors sans compter.

III

C’est qu’il ne trouvait pas seulement dans cette alliance avec la maison de Habsbourg une satisfaction d’amour-propre ; Chrétienne faisait reparaître dans la famille ducale l’indispensable élément féminin qui y manquait fâcheusement : la duchesse, Renée de Bourbon, était morte le 26 mai 1539 et son unique fille, Anne, avait épousé, en août 1540, le prince d’Orange et avait quitté la Lorraine pour les Pays-Bas. Jeune, belle, intelligente, la duchesse de Bar dut ranimer et égayer une cour qu’avaient assombrie ce deuil et ce départ. Elle eut tôt fait de conquérir son beau-père qui était déjà sur son déclin ; il venait d’avoir cinquante-deux ans et souffrait d’infirmités qui ne tarderont pas à l’emporter. Très digne de ce surnom de bon duc que ses sujets lui donneront aussitôt après sa mort, il s’ingénia à distraire sa bru, comme nous allons le voir.
Et pour Chrétienne, qui avait déjà eu bien des années sombres, qui en aura encore par la suite, les belles, les heureuses années sont celles où elle porte le titre modeste de duchesse de Bar, où elle n’est que la femme du prince héritier, trois années presque entières, de juillet 1541 à juin 1544. Elle est aimée, selon toute apparence, par son mari, par son beau-père, par le peuple lorrain ; elle n’a pas encore d’inquiétudes sur la santé de son époux, la Lorraine est en paix et elle peut entretenir sans obstacle des relations suivies avec sa famille maternelle qui lui est si chère, enfin deux enfants lui naissent, dont un fils qui assurera la succession au trône ducal.
Emond Du Boullay nous assure qu’Antoine passa la fin de l’année 1541 et toute l’année 1542 à fêter sa belle-fille, que, pour la récréer, il la mena avec François, son mari, dans toutes les villes de la Lorraine et du Barrois dont les habitants leur firent un accueil enthousiaste, et que les entrées à Bar-le-Duc et à Neufchâteau furent particulièrement belles (45). Les documents d’archives fournissent des précisions sur une partie au moins de ces voyages. Les fêtes pour l’arrivée de Chrétienne à Nancy remplirent une bonne tranche du mois d’août 1541 ; dès le milieu de septembre, elle est à Vézelise qui illumine en son honneur au moyen de cent cinq chandeliers de fer-blanc (46). En avril 1542, elle est avec son mari à Condé-sur-Moselle, aujourd’hui Custines ; les ducs ont là un château où ils résident volontiers pendant la belle saison (47). En janvier 1543, Antoine, François et Chrétienne passent deux jours à Pont-à-Mousson avec assez de gens et de chevaux pour y consommer 20 quartes de blé, 18 quartes d’avoine et f9 gélines (48). Chrétienne rentre ensuite à Nancy pour ses premières couches, en février. Après cet événement, et pour jouir de la campagne, elle va s’établir avec son mari et son enfant à Gondreville où les ducs ont aussi une résidence qu’ils affectionnent, soit parce que l’air y est plus vif qu’à Nancy, soit parce que la forêt de Haye, toute proche, leur offre le plaisir de la chasse (49). Nous ne savons si elle accompagne François quand, un peu plus tard, il se rend à Vaudrevange, chef-lieu du bailliage d’Allemagne, où il retrouve la comtesse palatine et le duc Jean de Bavière (50). Mais, en octobre 1543, le mari et la femme passent à Mirecourt, puis à Vézelise, enfin à Condé (51). Le duc et la duchesse de Bar sont aussi allés à Toul, ville libre, à une date que nous ne pouvons préciser, et ont reçu de riches cadeaux de la ville et du chapitre cathédral (52).
Après tous ces voyages, et d’autres qui n’ont pas laissé de traces, Chrétienne doit bien connaître les deux duchés qu’elle aura sous peu à gouverner. Elle s’est fait voir à son peuple et a pu lui inspirer cette affection et ce dévouement que les Lorrains n’ont jamais marchandés à leurs princes.
Au delà des frontières, la situation était plus complexe. La trêve qui avait été signée à Nice pour dix ans n’en avait duré tout juste que quatre et dès le mois de juin 1542, les troupes françaises envahissaient le Luxembourg. Dès lors, la grande préoccupation du duc Antoine fut de garder une stricte neutralité et de la faire respecter par les belligérants. Ainsi, quand Marie de Hongrie le prie de laisser les soldats de l’empereur occuper Longwy pour intercepter de là les convois de l’armée ennemie, il refuse net, et d’autre part il ne permet pas au roi de France d’entrer dans cette ville pour y entendre la messe (53). Nancy reste d’ailleurs en relations amicales avec Bruxelles : en 1543, Claudin de Brin, chevaucheur d’écurie, fait vers la reine de Hongrie un voyage qui dure vingt-trois jours et Nicolas, fauconnier du duc, va offrir au nom de son maître des oiseaux de fauconnerie à Marie (54) ; le 14 mai de la même année, M. de Gondrecourt, gouverneur de Blâmont, part pour les Pays-Bas où le duc l’envoie avec une mission pour la reine (55). En 1544, François offre six coupes d’argent doré au garde des sceaux de Charles-Quint, Nicolas Perrenot de Granvelle (56). Ces messages et ces cadeaux servent-ils à dissimuler l’envoi à l’empereur de renseignements utiles, nous ne pouvons l’affirmer, mais ce manquement à la neutralité ne paraît pas invraisemblable, au moins quand les communications viennent de Chrétienne, si dévouée aux intérêts de son oncle et de sa tante.
Le duc et son fils font du reste tout ce qu’ils peuvent pour rétablir la paix. Le 24 octobre 1543, quand l’approche de l’hiver ralentit les opérations, ils partent de Nancy pour aller trouver Charles-Quint à Valenciennes et l’exhorter à traiter avec François Ier ; ils rentrent dans leur capitale le 3 décembre, n’ayant obtenu que de bonnes paroles (57). Antoine se préparait à faire une semblable démarche auprès du roi de France lorsqu’il tomba malade assez gravement pour qu’il lui fût impossible de voyager, et il dut envoyer à sa place le duc de Bar à Paris. François se mit en route le 12 février 1544 et revint le 23 mars sans plus de succès. Ce second voyage, à lui seul, avait coûté 4.202 francs au trésor ducal (58).
C’est pendant qu’elle était duchesse de Bar que Chrétienne eut ses deux premiers enfants. L’aîné, Charles, naquit à Nancy en février 1543 de notre calendrier; à quel jour du mois, ceci mérite d’être discuté, puisqu’il s’agit de celui qui sera le duc Charles III, le seul duc de Lorraine qui ait été surnommé le Grand. Une courte notice trouvée dans un registre de la paroisse de Châtillon-sur-Saône (59) assure que cette naissance se produisit le jeudi 22 février, avant midi. Mais le héraut d’armes Du Boullay, auquel ses fonctions donnaient le moyen et imposaient le devoir d’être exact, affirme qu’elle eut lieu à Nancy, le jeudi 15 février, entre 4 et 5 heures du matin (60). Et Wassebourg, s’il néglige l’heure, indique le même jour du mois et de la semaine (61). Leur autorité nous paraît l’emporter sur celle d’un curé de village, qui écrivait à plus de cent kilomètres de Nancy, à l’extrême frontière du duché de Bar, en un temps où les moyens d’information laissaient fort à désirer. Et en outre, voici que Charles III lui-même vient nous renseigner sur cette date qu’il devait connaître mieux que personne, sa mère exceptée. Par lettres patentes du 11 février 1584, il fonde dans l’abbaye de Bonfays (62) une messe du Saint-Esprit à célébrer tous les ans « le quinziesme jour de febvrier, qui est lé jour de nostre nativité » (63). Nous adopterons donc cette date du 15 février 1543 (64).
Le baptême du jeune prince pose encore plus de questions que sa naissance. Où eut-il lieu ? A Nancy, sans doute, mais dans quelle église ou chapelle (65) ? A quelle date ? Le curé de Châtillon-sur-Saône, que nous venons de citer, indique qu’il se fit le dimanche après la naissance, mais comme il se trompe sur la date de celle-ci, il peut aussi bien errer sur la date du sacrement. Par qui, ou au nom de qui, l’enfant fut-il tenu sur les fonts ? Question d’importance, car le choix de ces personnes dénote souvent une-orientation politique. Ainsi, en 1517, quand le duc Antoine était très attaché à l’alliance française, il prit François Ier comme parrain de son premier né ; et en 1564, quand Charles III était décidé à rester neutre entre la France et l’Espagne, il prit Philippe II et Catherine de Médicis comme parrain et marraine de son premier né. Nous savons de façon certaine, car c’est Charles III lui-même qui nous l’apprend, que sa marraine fut la princesse de Macédoine, cette très fidèle dame d’honneur que Chrétienne de Danemark avait amenée des Pays-Bas, et qui restera vingt ans à son service en Lorraine (66). Mais qui fut son parrain ? Le curé de Châtillon, que nous citons toujours sous réserve, nomme le duc Antoine, et il est très naturel que ce prince ait été pris pour parrain du premier de ses petits-enfants, mais en ce cas, d’où vient au baptisé son nom de baptême ? Le lui aurait-on donné en souvenir du dernier duc de Lorraine qui ait porté ce nom, Charles II ? C’est fort improbable. Ce prince, mort en 1431, était bien oublié, et si on pensait encore à lui, c’était pour réprouver le scandale de sa liaison avec Alison Dumay. Nous observons du reste que les noms des sœurs de Charles III seront pris dans leur proche parenté : Renée portera le nom de la mère de son père, Renée de Bourbon, et Dorothée le nom de la sœur de sa mère, Dorothée de Danemark. Et Charles III lui-même choisira dans sa famille et dans celle de sa femme - famille étant pris au sens le plus étroit - les noms de leurs nombreux enfants. Pourquoi lui seul aurait-il échappé à cet usage ? Nous pouvons résoudre cette difficulté sans rejeter l’indication du curé de Châtillon : souvent, au XVIe siècle, on donnait aux garçons deux parrains et une marraine, aux filles deux marraines et un parrain. C’est le concile de Trente qui, dans sa vingt-quatrième session, interdit cette pratique, parce qu’elle multipliait les cas de parenté spirituelle. Dès lors, on peut concevoir que le jeune Charles ait eu pour parrains à la fois le père de son père et le père adoptif de sa mère, Charles-Quint, et qu’il ait reçu le nom du second comme nom usuel. Si l’explication est juste, on y verra une preuve nouvelle du penchant de la cour de Lorraine pour l’empereur qui, juste six mois auparavant, par le traité de Nuremberg, lui avait accordé de si grands avantages.
Outre ce nom, le jeune prince reçut un titre, celui de marquis de Pont-à-Mousson, qu’avait porté son père avant son mariage. Il est question à plusieurs reprises de Mgr le marquis dans le compte de 1543 (67).
Si le projet de mariage de Chrétienne de Danemark nous a donné un chef-d’œuvre, son portrait, la naissance de son premier enfant nous valut un livre, prose et vers, fort éloigné d’être un chef-d’œuvre, Les dialogues des trois Estatz de Lorraine sus la très joieuse nativité de très hault et très illustre prince, Charles de Lorraine, par ce héraut d’armes, Emond Du Boullay, dont nous avons déjà cité plusieurs ouvrages. C’est un volume petit in-folio, orné de gravures sur bois et imprimé à Strasbourg en 1543, l’année même de l’événement. Œuvre de circonstance et hâtive par conséquent. Les trois Etats, c’est-à-dire les trois classes, qui dialoguent dans ce livre, sont dénommés Eglise, Noblesse et Labeur. Chacun parle à son tour par strophes de huit vers de huit syllabes, et ils arrivent ainsi à établir la généalogie complète de Charles III, en partant d’Adam et en passant bien entendu par Troie qui était alors en grande vogue, par Jules César, par tous les rois mérovingiens et carolingiens, par Garin le Loherain, enfin par Godefroy de Bouillon. Après avoir aligné ainsi quelques quinze cents vers, Du Boullay, fatigué sans doute de chercher la rime riche, poursuit en prose pour compléter et renforcer cette généalogie, pour affirmer que les ducs de Lorraine ne tiennent leur duché que de Dieu et de l’épée, et pour faire un éloge enthousiaste du pays et de ses habitants. Enfin, il résume assez exactement l’histoire des duchés de Lorraine et de Bar depuis leur réunion jusqu’à la naissance du nouveau prince et affirme que celui-ci ne peut manquer de se montrer digne de tels aïeux. Quel mélange bizarre de notions vraies et d’affirmations fantaisistes, voire même de divagations ! Ceci du reste n’est pas spécial à Du Boullay, car on voit pareil mélange dans les ouvrages de ses contemporains, Symphorien Champier, Richard de Wassebourg, Jean d’Aucy. Dans ce volume assez compact ne se lit aucune précision, ni sur la naissance, ni sur le baptême de Charles III. Le héraut d’armes de Lorraine aime mieux nous parler d’Adam, de Japhet, de Priam et d’autres encore. Il se perd dans l’histoire sainte et dans la mythologie.
Quatorze mois après ce prince naissait une princesse, Renée. Aucun document contemporain ne nous dit ni le lieu ni le jour de sa naissance (68). Dom Calmet (69) avoue ne pas savoir où elle est née et propose la date du 20 avril 1544, que nous acceptons sous toutes réserves. Nous ignorons aussi quels furent son parrain et sa marraine, mais il paraît certain qu’elle doit son nom de baptême à son aïeule paternelle, Renée de Bourbon, femme du duc Antoine, morte depuis cinq ans et dont on voulut ainsi perpétuer le souvenir.
Le duc et la duchesse de Bar ont une maison nombreuse et brillante qui ne coûte pas moins de 12.392 francs barrois en 1544 (70). On y voit : un grand chambellan, qui est Jean d’Aguerre, baron de Vienne-le-Châtel et qui touche 1.800 francs par an ; un maître d’hôtel, Gérard Le Bouteiller, seigneur de Vigneux, 600 francs ; un écuyer d’écurie, Leymont Wanry de Savigny, 300 francs ; un écuyer tranchant, M. de Chahannay, 300 francs ; un échanson, M. Puy du Fou, 300 francs ; plusieurs gentilshommes, dont le plus connu, André des Porcelets de Maillane, 300 francs, est en même temps capitaine de Bruyères ; un secrétaire et argentier, Quiriace Fournier, 300 francs, aidé de trois autres secrétaires ; un contrôleur de la dépense, Poiresson de Bourgogne, 200 francs ; un aumônier, Nicole Péra, 100 francs ; un médecin, Antoine Lepois, 600 francs, frère de Nicolas et oncle de Charles, qui seront successivement médecins du duc Charles III ; un chirurgien, Henri de Guyenne, 400 francs ; enfin, une foule d’officiers inférieurs et de simples valets dont les gages vont en général de 30 à 200 francs par an.
Les autres dépenses sont à l’avenant. Par exemple, de janvier à juin 1544, François ne débourse pas moins de 4.013 francs pour ses menus plaisirs (71). Un petit fait vaut d’être noté : en 1542, Chrétienne paye 15 francs une pièce de neuf aunes de drap vert, façon de Paris, qui servira à lui faire un billard (72). Le jeu de billard était alors une nouveauté, car s’il en est peut-être question déjà dans le Roman de la rose, ce n’est
qu’au XVIe siècle qu’il commence à être connu dans divers pays d’Europe, et il ne sera tout à fait répandu qu’au XVIIe. Le billard de Chrétienne de Danemark, duchesse de Bar, est vraisemblablement le premier qu’on ait vu en Lorraine, et il dut provoquer une vive curiosité.

IV

Le duc Antoine mourut le 14 juin 1544 et aussitôt François et Chrétienne quittèrent le titre honorifique de duc et duchesse de Bar pour devenir très effectivement duc et duchesse de Lorraine et de Bar. Leurs états servaient alors au passage d’une grosse armée impériale qui envahissait la Champagne et s’emparait le 17 août de Saint-Dizier après un long siège. Dès que les circonstances le permirent, ils reprirent la visite de leurs domaines. En septembre 1544, laissant leurs enfants à Nancy sous la garde de la princesse de Macédoine, ils se rendent dans le duché de Bar, sans doute pour être plus à portée de connaître les négociations qui se poursuivaient alors entre le roi et l’empereur et qui aboutirent le 18 septembre au traité de Crespy (73). Ils sont à Einville, puis à Lunéville en octobre, et le duc passe à Lunéville les mois de novembre et de décembre pendant que la duchesse voyage (74). En mai 1545, ils sont à Blâmont, en juin à Remiremont (75).
Comme son père, le nouveau duc garde la neutralité dans le conflit sanglant qui met aux prises la France et l’Empire, mais la Lorraine incline vers l’Empire plus qu’elle ne l’a fait sous le duc Antoine. Nous en trouvons la preuve dans les lettres qu’adresse au doge de Venise son ambassadeur auprès de Charles-Quint, qui suit celui-ci dans toute cette campagne de 1544, Bernard Navagero, homme très pénétrant et bien informé. Huit jours après la mort d’Antoine, il écrit : « Le nouveau duc de Lorraine... est, paraît-il, entièrement dévoué à l’empereur, non seulement à cause de l’étroite parenté qui l’unit à lui, mais par affection et de son gré (76). » Dès le 26 juin, le duc François allait rendre visite à l’empereur à Metz et restait quatre jours auprès de lui (77). Le 7 juillet, de passage à Pont-à-Mousson, Charles venait saluer dans son cloître Philippe de Gueldre, veuve de René II, qui avait renoncé à ses titres de reine de Sicile et de duchesse de Lorraine pour se faire Clarisse, comme lui-même, douze ans plus tard, déposera toutes ses couronnes pour entrer au monastère de Yutz (78). Au milieu du mois, François lui rendit une nouvelle visite à Nançois-le-Petit, près de Ligny, accompagné cette fois de sa femme, Chrétienne, et de son jeune frère, Nicolas, évêque de Metz ; l’entretien dura une heure (79). Si Navagero ne rapporte pas ce qui s’est dit dans ces diverses entrevues, c’est qu’il n’en sait rien, mais il est à croire qu’on ne se borna pas à y parler d’affaires de famille, qu’on y causa politique, à l’entrevue de Nançois surtout où se trouvait Nicolas Perrenot de Granvelle, garde des sceaux de Charles-Quint et l’un de ses meilleurs diplomates.
Quand la paix fut rétablie, Chrétienne se rendit aux Pays-Bas pour visiter sa famille maternelle, en particulier la reine Marie qu’elle n’avait pas revue, semble-t-il, depuis son mariage. Voyage qui s’étend sur les mois de novembre et de décembre 1544, et qui coûta au Trésor ducal 13.050 francs (80). Comme l’empereur passa tout cet hiver de 1544-1545 aux Pays-Bas, on peut être certain que sa nièce le rencontra et l’entretint plus longuement qu’elle n’avait pu le faire à Nançois. Un peu plus tard, le duc et la duchesse projetèrent de se rendre ensemble à Worms où ils auraient sans doute retrouvé Charles-Quint qui vint en effet en Allemagne au printemps de 1545, et leur fourrier y alla préparer leurs logements, mais ce voyage fut décommandé (81).
C’est que tous deux se trouvaient hors d’état de voyager : Chrétienne était de nouveau enceinte et la santé de son mari causait de vives inquiétudes. Déjà, dans la lettre où il annonce au doge la mort d’Antoine, Navagero indique que la santé du nouveau duc laisse fort à désirer et que s’il meurt à son tour - on regardait donc cette mort comme possible - la duchesse ne voudra dépendre que de l’empereur, son oncle (82). Il est vrai que dans sa dépêche suivante, l’ambassadeur se corrige lui-même : « Le nouveau duc de Lorraine... qu’on disait maladif se porte à merveille (83), » Que conclure de cette contradiction, sinon qu’il y avait deux opinions à la cour de Lorraine sur la santé du prince, et que peut-être François avait à son service un médecin Tant mieux et un médecin Tant pis (84). Ce dernier voyait clair. Du Boullay nous apprend qu’en septembre 1544, François était « déjà fort maladif » (85). Un médecin, qui a fait récemment l’étude pathologique de la maison ducale, nous apprend qu’il était atteint d’une cachexie goutteuse qui causa une lésion cardiaque entraînant la mort ; on sait en effet qu’à la fin de sa vie, il ne pouvait plus se coucher, mais devait rester assis, signe certain d’une maladie de cœur (86). En avril et mai 1545, plusieurs mandements de dépense sont signés par la duchesse, « obstant l’infirmité de mondict seigneur (le duc) (87) ». Au même temps, ses médecins lui conseillant de changer d’air, François alla se fixer à Blâmont avec Chrétienne à qui cette petite ville appartenait à titre de douaire, puis il se fit transporter en pleines Vosges, à Remiremont, où on lui amenait tous les jours des tonneaux remplis d’eau de la source de Plombières. Outre ses médecins habituels, on avait appelé du dehors des praticiens réputés, et on consultait par lettres des docteurs trop éloignés pour venir (88). Après avoir cherché tous les secours de la terre, la duchesse invoque les secours du ciel. Dès la fin d’avril, elle donne 30 francs à Jean Parisot, boulanger et lieutenant de maire à Saint-Nicolas, afin qu’il fasse des pèlerinages et offrandes à plusieurs saints pour le rétablissement de son mari. En juin, elle envoie un autre bourgeois de Saint-Nicolas, Jean de Nancy, en pèlerinage à Saint-Claude, en Franche-Comté, et lui alloue 60 francs (89).
Rien de tout cela n’opéra. Le duc François Ier mourut à Remiremont, le 12 juin 1545, après un règne d’un an moins deux jours. Il n’avait que vingt-huit ans. La pauvre Chrétienne, mariée à treize ans, veuve à quatorze, remariée à vingt ans, de nouveau veuve à vingt-quatre, était aussi malchanceuse que sa tante, la reine de Hongrie, mariée à seize ans, veuve à vingt-un, et qui ne se remaria jamais.

CHAPITRE III
La tutrice et la tutelle
I. Caractère de Chrétienne. - II. Constitution de la tutelle. Accord de Deneuvre. Etats de Neufchâteau. - III. Fonctionnement de la tutelle. - IV. Naissance de Dorothée de Lorraine. Obsèques de François Ier. Transaction du 26 août 1546. - V. Education de Charles III.

I

En 1545, à la mort de son mari, Chrétienne de Danemark a vingt-quatre ans, âge auquel - et chez les femmes plus encore que chez les hommes - le caractère est assez formé pour qu’il soit possible d’e l’analyser. Elle va gouverner la Lorraine, ce qui l’obligera à se révéler. Voyons donc quelles sont ses dispositions et ce que le pays peut attendre d’elle. Pour cette étude, nous serons aidés par la notice assez pénétrante que Brantôme, dans son livre des Dames (90) a écrite sur cette princesse qu’il a connue personnellement, car, en 1561, il a suivi à Nancy le duc François de Guise auquel il s’était attaché. C’est donc d’une femme de quarante ans qu’il nous dessine le portrait. Pour l’époque antérieure, Brantôme a été renseigné par Madame de Fontaines (91), attachée au service de la reine Eléonore, sœur de Charles-Quint, qui lui a appris les rapports affectueux que Chrétienne avait avec sa tante, la reine de Hongrie. Quant aux lettres de Chrétienne, dont nous avons publié un certain nombre (92), elles ne nous la font guère connaître: ce sont le plus souvent des lettres d’affaires tout à fait objectives, où elle ne se livre point, ne parle point d’elle-même, et ne se laisse aller à aucune fantaisie de plume.
Le trait le plus saillant du caractère de Chrétienne est l’orgueil, ce vice congénital des Habsbourg qui, surtout depuis les succès de Charles-Quint, se croyaient une famille élue, supérieure à toutes les maisons souveraines. Chrétienne prétend aller de pair avec des rois et des reines. Lorsqu’en 1552, elle a une discussion tragique avec le roi Henri II, elle comparaît devant lui sans « s’abaisser aucunement de sa grandeur », dit Brantôme (93). Elle fera de même, neuf ans plus tard, avec la veuve de ce prince, quand elle viendra à Reims pour le sacre de Charles IX, et Catherine déclarera deux ou trois fois : « Voilà la plus glorieuse femme que je vis jamais ! » L’écrivain nous assure du reste que « ce fut à glorieuse glorieuse et demy » et que la reine-mère, tout en traitant la duchesse avec égards, sut maintenir les distances (94). C’est que cette duchesse est fille d’un roi et nièce d’un empereur et voit dans Catherine la descendante de banquiers florentins. On peut dès lors juger jusqu’à quel point Chrétienne est sincère lorsqu’écrivant à cette même Catherine, elle se qualifie : « Vostre très humble et obéissante seur et servante (95). » Le protocole avait de bien rudes exigences ! Même manège du reste avec Marie Stuart qui, elle, était reine par sa naissance et non par son mariage. Après la mort du roi François II, elle vint en Lorraine au printemps de 1561 ; Brantôme était avec elle et nous montre Marie, quoique très douce, ne’ laissant Chrétienne « aucunement s’advancer sur elle de rien (96) ». Il ajoute que le cardinal de Lorraine, oncle de la jeune reine d’Ecosse, l’avait avertie de l’humeur de celle qu’elle allait rencontrer. C’est donc que la superbe de Chrétienne, la haute idée qu’elle avait d’elle-même étaient connues de toutes les cours, en étaient peut-être la fable.
Cet orgueil, ce sentiment exagéré de sa valeur ne se manifestent pas seulement par ces préoccupations assez vaines de préséances entre la duchesse et d’autres femmes. Ils la rendent ombrageuse et susceptible avec tout le monde, famille, amis et adversaires : en octobre 1558, au moment où s’ébauchent les négociations de paix entre la France et l’Espagne, Chrétienne reçoit du cardinal de Lorraine, ministre d’Henri II, un sauf-conduit pour aller à Cercamp où va être décidée une suspension d’armes. Elle refuse de s’y rendre parce que « le saulf conduict n’est point tel qu’il convient à sa réputation (97) ». En 1564, Philippe II et Chrétienne sont parrain et marraine du fils aîné de Charles III, le futur duc Henri II (98). A cette occasion, Philippe fait don d’une bague de 3.400 écus à Chrétienne, qui trouve le présent mesquin et s’en plaint. Est-ce de la rapacité ? Pas du tout, c’est de l’orgueil froissé. Cousine germaine du roi catholique, elle entend être traitée en proche parente qu’elle est et en reine qu’elle n’est pas. Ce qui le prouve, c’est qu’au même temps elle récrimine parce que, depuis son retour en Espagne, c’est-à-dire depuis le mois d’août 1559, Philippe ne lui a écrit que quatre ou cinq lettres, « toutes excessivement brèves et sèches ; qu’une telle manière d’agir à son égard faisait grand tort à sa considération (99) ». Réputation, considération, deux termes équivalents, véritables fétiches auxquels Chrétienne sacrifie d’autant plus que, simple duchesse, elle n’occupe en somme qu’une place secondaire dans l’Europe d’alors, et qu’elle en souffre. Aussi, quelle joie, quelle satisfaction d’amour-propre, lorsqu’en 1581, elle pourra prendre le titre de reine de Danemark - reine sans couronne, sans royaume, sans sujets et sans la moindre parcelle d’autorité.
Presque autant que pour elle-même, Chrétienne est orgueilleuse pour son fils. Celui-ci est par sa mère petit-fils du roi détrôné de Danemark, par son père arrière-petit-fils de René II, roi nominal de Sicile et de Jérusalem. Cela suffit pour qu’elle l’appelle « le royal enfant (100) ». Bon courtisan, Emond Du Boullay se hâte d’employer l’expression dans ses Dialogues des trois Estatz de Lorraine, imprimés l’année même de la naissance du jeune prince (101).
De cet orgueil naissent tout naturellement le besoin de dominer et le goût de gouverner. Cette aptitude au commandement, ce sens politique sont très répandus dans la maison de Habsbourg, et chez les femmes autant que chez les hommes ; Chrétienne avait vu les Pays-Bas gouvernés successivement et avec bonheur par deux femmes de cette maison, Marguerite de 1506 à 1530, Marie, reine douairière de Hongrie, de 1531 à 1555. Dans la seconde moitié de ce xvr siècle, si féministe déjà par tant de côtés, une bonne partie de l’Europe sera régie par des femmes : Catherine de Médicis en France, Marguerite de Parme dans les Pays-Bas, Elisabeth Tudor en Angleterre, Marie Stuart en Ecosse. Voilà des exemples que Chrétienne brûle de suivre. Elle s’en croit capable et il semble bien qu’elle le soit. Malgré les difficultés que lui vaudra sa qualité d’étrangère, elle régira la Lorraine avec succès pendant près de sept ans. Un peu plus tard, en 1558-1559, elle sera chargée à l’improviste des négociations de Cateau-Cambrésis. D’autres avant elle y avaient travaillé sans avancer beaucoup. Elle arrive, voit tout de suite ce qui est à faire et réussit en peu de temps. Brantôme lui attribue tout le mérite de cette paix (102).
Ambitieuse, avide de pouvoir, Chrétienne exercera ce pouvoir de façon autoritaire, despotique même. Ici, elle n’est plus la nièce de Charles-Quint, qui se montra assez respectueux des franchises de ses nombreux sujets ; elle est avant tout la fille du roi de Danemark, Christian II. Voici comment un historien danois juge ce prince : « Il avait une intelligence lucide, une volonté ferme ; avec ces qualités unies à son amour pour le peuple opprimé, il serait devenu l’un des plus grands bienfaiteurs du Danemark, s’il n’avait pas été en mêmes temps dominé par des passions effrénées, notamment une ardente soif de vengeance (103). » Ajoutons que ce roi est plein de contradictions, que féroce dans ses actes - témoin cet horrible massacre, digne d’un sultan asiatique, qui a été dénommé le Bain de sang de Stockholm - il est humain dans sa législation, qui protège le peuple contre la tyrannie de la noblesse et du clergé, s’efforce de l’instruire et de le moraliser, supprime à peu près le droit d’épaves sur les côtes, le servage dans les campagnes, et remplace pour les sorcières le bûcher par le fouet, grandes nouveautés en ce temps (104). Assurément, la fille ne suit le père que de loin ; on n’a aucun crime, aucun acte de cruauté à lui reprocher ; elle est femme et sait voiler de quelque douceur ses instincts autoritaires. Mais elle ne supporte aucun partage effectif du pouvoir, aucun contrôle. Comme son père, elle a en face d’elle une noblesse puissante, hautaine, très unie et très décidée à limiter le pouvoir du souverain et, après des succès momentanés, elle finira comme lui par succomber.
Sa politique est tout impériale et il semble vraiment qu’elle gouverne la Lorraine pour le compte et pour la plus grande gloire de Charles-Quint. Son dévouement à l’empereur est sans réserves ; elle lui demande conseil en toute occasion et ne se fie qu’à lui et à ses agents. Veut-elle, en 1546, mettre en meilleur état de défense les forteresses de la Lorraine, elle fait venir Ambrosio Principiano, ingénieur des fortifications du comté de Bourgogne, un agent de Charles-Quint par conséquent (105). Elle a un commerce de lettres assidu avec les deux Granvelle, le chancelier et le cardinal. Mêmes relations à la fois respectueuses et affectueuses avec sa tante, la reine de Hongrie. Si elle lui écrit : Madame, Votre Majesté, ce qui est bien solennel, elle ajoute aussitôt : « L’affection maternelle que Vostre Majesté me démonstre journellement... comme à vostre bonne et très humble fille... (106). » Elle prend aussi l’avis de Marie dans tous les cas embarrassants, et quand elle ne peut recourir à l’empereur, car celui-ci est tantôt au cœur de l’Allemagne, tantôt en Espagne ou en Italie, voire devant Tunis ou Alger, tandis que sa sœur est toujours dans les Pays-Bas, et le plus souvent à Bruxelles, ce qui assure des relations faciles et promptes.
En tout ceci, Chrétienne de Danemark n’est pas sans ressemblance avec Jeanne d’Albret. Toutes deux sont orgueilleuses et entières. « Je suis un tout petit peu glorieuse », écrit J’eanne à Catherine de Médicis. Elle l’était plus qu’un petit peu. Et quand elle ajoute : « Je désire y être (à la cour) avec l’honneur et faveur que je pense mieux mériter que d’autres qui en ont plus que moi (107) », il nous semble entendre Chrétienne défendant sa réputation, sa considération. Ces deux princesses sont femmes de gouvernement et ont des aptitudes politiques marquées. Elles étaient peut-être capables de grandes tâches et ont dû se contenter de gouverner de petits domaines, la Lorraine et le Béarn.
Cet orgueil du sang et du rang n’empêche pas Chrétienne d’être bonne et généreuse avec son entourage. Quand la princesse de Macédoine qui l’avait fidèlement servie, d’abord en qualité de dame d’honneur, puis comme gouvernante de ses filles, cessa ses fonctions en 1561, Chrétienne lui assigna, sur ses revenus personnels, une pension magnifique de 1.200 écus d’or par an (108). Plus tard, apprenant qu’une fille de la princesse, Madame de Castellane, était tombée dans la misère, elle la fit venir auprès d’elle et pourvut à tous ses besoins. Brantôme, qui rapporte ce beau trait, ajoute qu’elle répandait de grandes aumônes parmi les pauvres, surtout parmi les veuves (109). Dès 1546, à peine investie de la régence, elle donne un gagnage du village de Fraisnes, dans le comté de Vaudémont, à Barbeline Fabry, qui a été la nourrice de sa fille Renée (110). Nous la voyons encore gourmander Charles III qui tarde trop, à son gré, à payer un de ses gens : « Mon filz, il fault faire raison aux pouvres serviteurs, qu’est la plus grande vertu que le prince bien nez comme vous pourroit avoir (111). »
Comme contraste, nous voyons qu’après la mort de son mari, Chrétienne prétend se faire rembourser la valeur des joyaux que François lui a donnés en cadeau de noces s’il est prouvé que ce sont des joyaux de la couronne de Lorraine. Elle est libérale, mais pas très désintéressée.
Elle ne paraît pas avoir été vindicative, bien différente en cela de son père, qui ne pensait qu’à ses vengeances, bien différente aussi de tant de femmes du XVIe siècle qui nourrissaient d’interminables rancunes. Et elle ne semble pas non plus avoir été fausse et perfide.
Enfin, elle est chaste, d’une vie privée irréprochable ; Brantôme nous l’affirme à plusieurs reprises et Brantôme doit être cru sur parole, car dès qu’il trouve l’occasion de raconter des anecdotes gaillardes sur les grandes dames dont il fait le portrait, il la saisit avec délices. Ce singulier maître de morale s’étonne fort qu’ayant été belle, Chrétienne ait su rester vertueuse. Il nous faut donc dire quelques mots de son physique. Sa beauté nous est attestée, d’abord par ce portrait, œuvre d’Holbein, que nous avons décrit plus haut, puis par divers contemporains. Paradin, rapportant sa pathétique entrevue avec Henri II, en avril 1552, dit que ce prince était ému « de veoir si excellente beauté (112) ». Dans son récit de cette même journée, Brantôme montre la duchesse « avec ceste grande beauté qui la rendoit encor plus admirable », venant trouver le roi et le conjurant de lui laisser son fils, « les larmes aux yeux qui la rendoient plus belle et plus agréable (113) ». Et ce n’est pas le roi seul, c’est toute la cour qui est touchée de compassion devant le chagrin d’une personne aussi séduisante. Chrétienne avait alors trente-un ans et devait donc être dans tout son éclat. Quand Brantôme la voit en 1561 à Nancy, puis à Reims au sacre de Charles IX, elle en a quarante, et tout le monde l’admire encore, car, dit-il, « son automne passoit bien l’esté d’aucunes (114) ». Il commence sa notice sur la duchesse par cette déclaration enthousiaste : « Ceste princesse, à mon gré, a esté une des belles princesses et autant accomplies que j’aye point veu. » Il ajoute qu’elle parlait fort bien, s’habillait et se coiffait avec beaucoup de goût, et que les dames de la cour de France la copiaient, surtout pour la façon de se coiffer qu’on appelait à la Lorraine. Enfin, elle montait fort gracieusement à cheval, comme sa tante, la reine de Hongrie, qui lui avait appris cet art, et elle-même en enseigna quelques parties à Catherine de Médicis (115).
Et Brantôme de conclure : « Il faut estimer grandement ceste princesse d’avoir esté si belle et gardé sa viduité jusques à son tombeau. » Plus loin : « Voilà comment vefve et très belle, [elle] s’est très sagement conduite... Elle fut vefve en la fleur de son aage, n’ayant pas jouy de son beau mariage longues années ; et celles qui luy restarent, qui furent les plus belles et plus à priser et mettre en besoigne, elle les fit et consomma en un retiré et chaste vefvage (116). »
L’éloge est sans restriction et fait grand honneur à la duchesse de Lorraine. Les motifs de cette conduite irréprochable se devinent aisément. Ce sont sans doute l’honnêteté naturelle de Chrétienne et ses fortes convictions religieuses. C’est aussi ce qu’elle croit devoir à son rang et à sa famille. « La nièce de César ne doit pas être soupçonnée. » Cet orgueil qui nous paraît le trait essentiel de son caractère l’a préservée de toute chute. Sans doute, elle eût pu se remarier avec un homme de son rang, et ni la morale, ni la religion, ni sa famille n’y auraient trouvé à redire. Mais, ce faisant, elle risquait fort de perdre sa fonction de tutrice de son fils. D’après les coutumes primitives du duché de Lorraine, les veuvès nobles ont la tutelle de leurs enfants tant qu’elles gardent le veuvage (117), disposition reprise et confirmée par la coutume définitive rédigée en 1594 (118). Mal résignés à être commandés par une femme et par une étrangère, les nobles lorrains n’auraient pas manqué d’invoquer contre elle ces dispositions en cas de nouveau mariage, et Chrétienne n’eût pu satisfaire ce besoin de gouverner qui était si impérieux chez elle.
Nous venons de faire allusion aux croyances religieuses de la duchesse. Précisons qu’elle fut toujours très attachée au catholicisme, qu’elle éleva le jeune Charles III dans les mêmes sentiments, et que, comme régente, elle s’efforça d’empêcher la propagande protestante. Ceci paraît tout naturel chez la nièce de ce Charles-Quint qui se montra toujours si hostile à la Réforme. Mais d’autres influences auraient pu tout aussi bien la faire pencher du côté opposé. Son père, Christiern II, avait adopté le luthéranisme ; sa mère, Isabelle, au moment de mourir, communia sous les deux espèces, ce qui était un commencement d’adhésion à la Réforme ; sa tante, la reine Marie, dont l’influence fut si grande sur Chrétienne, avait des tendances luthériennes non déguisées, s’opposait de toutes ses forces aux persécutions que l’empereur prescrivait contre les réformés des Pays-Bas, et avait pris comme chapelain un carme qui fut condamné pour hérésie par l’Inquisition, et qu’elle fit échapper. Chrétienne n’ignora donc pas les nouvelles doctrines, elle fut peut-être sollicitée de les adopter, et ce fut en connaissance de cause qu’elle préféra l’ancienne foi. Elle se montra tout sa vie si attachée à cette foi que deux papes, saint Pie V en 1567, Grégoire XIII en 1578, la loueront de sa piété et de son dévouement à l’Eglise (119).

II

Tel étant le caractère de Chrétienne, il était à prévoir qu’elle voudrait exercer une tutelle que le très jeune âge de son fils rendait indispensable. La noblesse lorraine l’avait bien prévu et avait pris ses précautions ; le 11 juin, veille de la mort du duc François, dans la matinée, un des membres les plus qualifiés de cette noblesse, Jean, comte de Salm, seigneur de Viviers, maréchal de Lorraine, dit au duc, dont on voyait bien que la fin approchait, car il allait recevoir l’extrême-onction : « Monseigneur, s’il plaisoit à Dieu vous appeler, vous entendez que Monsieur de Metz, vostre frère (120), se mesle et entremesle de Messieurs vos enfantz et de vos pays avec Madame vostre femme. » Le duc ayant répondu que oui, le comte de Salm fit incontinent dresser procès-verbal du tout par Nicolas Bresson, de Rambervillers, prêtre et notaire public de la cour de Toul. Le jour même, dans l’après-midi, ce même notaire donna lecture du procès-verbal à Chrétienne, en présence du prince Nicolas, du comte de Salm et d’autres témoins, et ne manqua pas de consigner à la fin la mention de cette lecture (121). Par cette intervention énergique, qui n’avait que le tort de se présenter comme une manœuvre de la dernière heure, la noblesse se prémunissait contre un gouvernement exclusivement féminin et exclusivement étranger. Il est à croire qu’elle voulait aussi prendre ses précautions contre les tendances impérialistes bien connues de la duchesse et maintenir le pays dans cette stricte neutralité qu’à son grand avantage avait adoptée le duc Antoine.
Chrétienne n’était pas femme à céder. Comme elle ne faisait rien sans consulter l’empereur, qui du reste était indirectement visé par cette manœuvre, elle s’empressa de le mettre au courant à plusieurs reprises. Les comptes de dépenses du duché mentionnent l’envoi de nombreux messagers, dans la seconde moitié de l’année 1545, vers Charles-Quint, alors à Worms, puis à Bruxelles, et vers son principal conseiller, Perrenot de Granvelle (122). Par malheur, nous ne connaissons que l’existence de ces messages, leur contenu nous échappe. Pour assister sa nièce dans cette passe difficile, Charles-Quint lui dépêcha deux gentilshommes, MM. d’Andelot et de Montbardon, et un ecclésiastique, François Bonvalot, abbé de Luxeuil et administrateur de l’archevêché de Besançon. Il n’est pas certain que Bonvalot, plus diplomate que prêtre, ait su apporter à la jeune veuve les consolations religieuses, mais rompu aux affaires, esprit plein de ressources, il lui donna d’excellents conseils et négocia pour elle avec succès. Au moment où mourut le duc François, il résidait à Baudoncourt, près de Luxeuil, sur les frontières de la Lorraine. Il partit en hâte et fut tôt arrivé à Deneuvre où Chrétienne et Nicolas avaient fait amener le corps du prince défunt (123). Dès le 27 juin, il écrit de ce lieu à son beau-frère, Jean de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles-Quint en France, une longue lettre (124), pour le mettre au courant de la situation et lui tracer un plan d’action diplomatique. L’affaire de la tutelle de Charles III, qui intéressait surtout la Lorraine, n’en devenait pas moins une affaire européenne. L’empereur voulait conserver à sa nièce la plénitude de l’autorité, et il prévoyait que le roi de France prendrait le parti de Nicolas et d’un partage du pouvoir. Bonvalot le pensait aussi, d’autant qu’ayant été lui-même à deux reprises, de 1530 à 1532, et de 1539 à 1541, ambassadeur auprès de François Ier, il connaissait bien les tendances de la politique française et l’intérêt qu’elle prenait à ce qui se passait en Lorraine. Il affirme, comme des vérités incontestables, que la tutelle doit appartenir à Chrétienne seule, que l’évêque de Metz n’y a nul droit, que l’acte dressé à la requête du comte de Salm est suspect. Et il invite Saint-Mauris, de la part de l’empereur, à prier « très affectueusement » le roi de laisser la duchesse en possession de la tutelle. Il invoque même les devoirs de la parenté, et en effet François Ier ayant épousé en secondes noces Eléonore d’Autriche, sœur de Charles-Quint, se trouvait être l’oncle par alliance de Chrétienne. Il ajoute que l’empereur a écrit directement au roi, et aussi au duc Claude de Guise et au cardinal Jean de Lorraine, oncles du duc défunt, pour leur exposer son point de vue.
Plus tard, sans doute, puisque Bonvalot n’en dit mot dans cette missive, l’empereur écrivit aussi à Nicolas de Lorraine pour l’engager à se départir de ses prétentions. « Nous avons, dit dom Calmet (125), la réplique du prince Nicolas, évêque de Metz et de Verdun, signée de sa main et contresignée de Bonaventure de Rennel, secrétaire d’Etat, en date du 15 juillet 1545. » Cette réponse est perdue, de même que les différentes lettres de Charles-Quint, et c’est grand dommage, car elle nous apprendrait peut-être comment et par qui la Lorraine fut gouvernée pendant les premiers mois qui suivirent la mort du duc François. Le registre qui contenait les lettres patentes de 1545 n’existant plus, nous ignorons au nom de qui ces lettres sont faites, par qui elles sont signées (126). Il est très possible que, dès le début de son veuvage, Chrétienne se soit arrogé le droit de les rendre seule ; il est moins probable qu’elle ait admis son beau-frère, comme elle le fera plus tard, à les signer avec elle. Enfin, il se peut que ni l’un ni l’autre ne fassent alors acte de gouvernement. En effet, le 25 mars 1545, au moment de partir pour Blâmont et Remiremont, son dernier voyage, le duc François avait établi un Conseil de régence composé du sénéchal dé Lorraine, - alors Jean d’Haussonville, - des baillis des deux duchés, du capitaine de Nancy, du président de la Chambre des comptes de Lorraine, du procureur général de Lorraine et de quelques autres, pour régir le pays en son absence (127). Est-il invraisemblable que ce Conseil ait continué ses fonctions jusqu’à ce que le différend entre la duchesse et son beau-frère fût arrangé ?
Il ne devait pas tarder à l’être par les soins de François Bonvalot. Ce très habile homme, que Charles-Quint proclamait le plus capable de ses conseillers après Perrenot de Granvelle, n’avait pas été long à bien connaître Nicolas de Lorraine, à mesurer la valeur très moyenne du personnage, plus vaniteux que vraiment ambitieux, à se rendre compte du reste que, dans ses prétentions à la tutelle, il était poussé par les gentilshommes qui se servaient de lui plus qu’ils ne le servaient. Il fit comprendre à Nicolas qu’il avait tout intérêt à s’entendre avec sa belle-sœur et il les amena à signer à Deneuvre, le 8 août 1545, un accord (128) dont voici les principales dispositions : la duchesse aura seule la garde-noble et l’éducation de ses enfants, outre tous les droits qui lui sont assurés par son contrat de mariage ; elle signera seule les mandements des dépenses faites pour son entretien et celui de ses enfants. Nicolas s’acquittera de ses fonctions de cotuteur sans recevoir aucune rémunération ; mais il aura place à la table de la duchesse quand il sera auprès d’elle. Les deux tuteurs maintiendront la paix dans les duchés et y feront rendre bonne justice ; pour ce faire, ils établiront un Conseil formé de gens de bien et d’honneur qu’ils nommeront et révoqueront conjointement ; la duchesse aura seule la présidence de ce Conseil et, si elle est absente, elle y commettra qui il lui plaira. Quand des offices seront vacants par mort ou démission, la duchesse nommera au premier et au second, l’évêque de Metz au troisième, et ainsi de suite ; aucun officier ne pourra être destitué que par le commun accord de Chrétienne et de Nicolas et les lettres de nomination porteront les noms des deux tuteurs, encore que le choix du titulaire appartienne à l’un d’eux seulement. Chacun des tuteurs promet d’approuver les choix faits par l’autre et de signer sans difficulté les lett-res de nomination rendues en conséquence. Ils s’engagent l’un et l’autre à ne choisir comme capitaines des places fortes que des hommes originaires des duchés ou établis en iceux, qui leur prêteront serment. Chrétienne seule nommera aux bénéfices dont le duc a la collation. Elle signera la première tous les actes, quels qu’ils soient, et Nicolas signera au dessous. Un sceau sera fait aux armes du jeune duc, et ce sceau sera enfermé dans un petit coffre à deux clés dont Chrétienne et Nicolas auront chacun une, et si Nicolas s’absente, il remettra sa clé à Chrétienne. L’argent provenant des revenus des deux duchés sera mis dans un coffre à deux clés dont chacun des tuteurs aura l’une, et on ne puisera dans ce coffre que de leur commun avis, étant entendu que les sommes nécessaires à l’entretien de la duchesse et de ses enfants restent à sa seule et entière disposition. Chrétienne et Nicolas auront chacun une clé du Trésor des chartes de Lorraine, mais les titres établissant les droits du duc à l’encontre des évêchés de Metz et de Verdun possédés par Nicolas seront mis à part, et Chrétienne en aura seule la garde. Les tuteurs feront régler par des arbitres les différends qui ont été suscités entre les duchés de Lorraine et de Bar d’une part, les évêchés de Metz et de Verdun de l’autre. Ils se promettent l’un à l’autre d’exercer la tutelle en toute bonne foi et, si un désaccord survient entre eux pour l’application du présent traité, ils le feront juger par trois arbitres pris dans le pays, dont la duchesse nommera deux, l’évêque le Metz un. Nicolas s’engage enfin à se démettre de la tutelle, s’il lui arrive de quitter l’état ecclésiastique, et à laisser à sa belle-sœur toute l’autorité ; il promet de s’en démettre de même, au cas où il réclamerait dans la succession de son père, le duc Antoine, plus que celui-ci lui a laissé par testament.
Détail significatif, des trois personnages qui signent cet accord après la duchesse et l’évêque de Metz, deux sont des serviteurs de Charles-Quint : François Bonvalot, abbé de Luxeuil et Hugues de Villelume, chevalier, seigneur de Montbardon. Le troisième est Girard-Antoine Le Boutillier, chevalier, maître d’hôtel du duc, seigneur de Vigneulles et de Bouvigny dans le duché de Bar (129), homme de second plan et qui, investi de fonctions domestiques, n’avait pas grande indépendance. Aucun membre de la chevalerie n’avait été appelé à connaître et à sanctionner cet arrangement que seul l’empereur avait ménagé par l’entremise de ses agents (130).
Aussi l’irritation dût-elle être très vive parmi les membres de l’ancienne chevalerie quand ils apprirent cette réconciliation faite en somme à leurs dépens. Nicolas qu’ils avaient prétendu dresser contre Chrétienne capitulait devant elle ; les gentilshommes n’étaient pas intervenus dans les pourparlers entre ces deux hauts personnages et dans la rédaction de l’accord ; enfin, tout le négoce avait été mené par les gens de Charles-Quint, un souverain étranger. Les gentilshommes devaient se rappeler que, trente-sept ans plus tôt, à l’avènement du duc Antoine, ils avaient tranché souverainement et selon leurs convenances, la question de la tutelle, écartant du pouvoir une princesse étrangère. Maintenant, une autre princesse étrangère, et plus redoutée à cause de son illustre parentage, s’emparait de ce même pouvoir à leur insu et paraissait décidée à leur faire la loi. Mais la Lorraine d’alors ne connaissait pas le régime du bon plaisir ; elle avait, depuis plus d’un siècle, des Etats généraux qui limitaient l’autorité ducale, dans lesquels la noblesse tenait une place prépondérante, le clergé et la bourgeoisie se laissant assez docilement guider par elle. Quand les ducs convoquaient ces Etats, c’était d’ordinaire pour en obtenir une aide, c’est-à-dire un impôt extraordinaire qui ne pouvait être levé que du consentement des contribuables. Or, dans la session dont nous allons parler, on ne voit pas la moindre demande d’argent. C’est donc que les gentilshommes réclamèrent impérieusement la convocation de cette assemblée pour lui faire examiner la question de la tutelle, et que les tuteurs et leurs conseillers ne se crurent pas assez forts pour leur refuser cette satisfaction.
Dès le 6 octobre, ils convoquaient les Etats pour le 4 novembre, non pas à Nancy comme d’habitude, mais à Neufchâteau. Une peste très contagieuse sévissait en effet dans les deux duchés (131) et les tuteurs choisirent avec raison la partie la moins contaminée du pays pour y réunir les trois ordres. La lettre de convocation, signée de Chrétienne et de Nicolas, porte que ceux-ci appellent les Etats « pour aucunes urgentes causes et affaires concernantes le bien de nostre très amé filz et nepveu, le duc Charles, au proffict et utilité de ses pais et qui importent grandement (132) ». On n’est pas plus imprécis, mais tous, dans les deux duchés, savaient parfaitement de quoi il s’agissait. Les « gens des Estatz » arrivèrent à Neufchâteau dans la journée du 4 novembre ; ils siégèrent du 5 au 9 inclus, c’est-à-dire pendant cinq jours entiers, sans s’arrêter même le dimanche, commençant leurs travaux de bonne heure et les poursuivant jusqu’en pleine nuit, éclairés par huit chandeliers de fer sur lesquels étaient disposés de nombreux cierges (133). Jamais les Etats de Lorraine et de Bar n’avaient eu jusqu’alors une session aussi longue ; jamais non plus ils n’en avaient eu où la discussion fût aussi âpre, où l’opposition des vues entre le souverain et l’assemblée fût aussi accentuée. On va en juger.
Le premier discours fut prononcé au nom des tuteurs par Pierre du Châtelet, abbé commendataire de l’abbaye de Saint-Martin-devant-Metz, qui avait harangué le duc François Ier le jour de son entrée solennelle à Nancy, et qui devait plus tard devenir évêque de Toul et chef du Conseil de Lorraine (134). Discours terne et vide ; l’orateur affirma que les Lorrains n’avaient qu’un moyen de se consoler du décès prématuré de François Ier, c’était d’obéir humblement à sa veuve, que celle-ci et son beau-frère étaient parfaitement d’accord et avaient résolu de gouverner d’après les conseils des principaux personnages du pays. Il ajouta que la duchesse était disposée à donner lecture à l’assemblée de l’accord passé entre elle et l’évêque de Metz, « affin que, en tant que mestier et convenable seroit, il soit par vous, Messieurs des Estatz, ratiffié et aggréé ». Après avoir effleuré très brièvement ce problème essentiel, il s’appesantit très longuement sur deux questions tout à fait secondaires : la coutume de Lorraine autorise-t-elle Chrétienne à garder les meubles venant de son mari, sauf à payer les dettes laissées par celui-ci ? Les joyaux que François lui a offerts lors de leur mariage lui appartiennent-ils pleinement, ou bien sont-ils des joyaux de la couronne de Lorraine dont elle n’aurait que l’usage, non la propriété ?
Ce fut un des membres les plus en vue de la chevalerie, François de Bassompierre, bailli de Vosges, que les Etats chargèrent de répondre à cette harangue. Et cette réponse ne fut pas improvisée, car du Châtelet avait discouru le 5 novembre et Bassompierre ne prit la parole que le 7, après que les Etats eurent passé toute la journée du 6 à examiner les questions soulevées et à arrêter les termes de leur déclaration. Celle-ci devait avoir d’autant plus de poids qu’elle était formulée après mûre réflexion et que le porte-parole des Etats, colonel de la garde allemande de Charles-Quint, n’était assurément hostile ni à cet empereur ni à sa nièce. Son langage fut poli, mais ferme et même sévère : les Etats n’ont pas à ratifier l’accord entre les cotuteurs, puisqu’ils ne le connaissent pas, qu’il a été négocié tout à fait en dehors d’eux, « qui de tous temps passés, quant telz cas sont advenuz, ont accoustumé en avoir la cognoissance ». Les Etats sont du reste heureux de la bonne entente qu’on leur dit s’être faite entre les tuteurs, mais protestent que cet appointement, quel qu’il soit, ne doit tourner au préjudice ni du duc, ni de ses sujets et ne doit point porter atteinte aux privilèges de ceux-ci. La question des meubles est apparemment réglée par le contrat de mariage de Chrétienne et, comme les Etats n’ont pas plus connaissance de ce contrat que du traité de Deneuvre, ils ne peuvent point se prononcer. Quant aux joyaux, le feu duc Antoine et les Etats les ont incorporés à perpétuité à la couronne de Lorraine, ce qui les rend inaliénables (135) ; nulle duchesse douairière n’a le droit d’en disposer, mais elle peut recevoir une indemnité de 15.000 francs de Lorraine. Ainsi en décident des lettres patentes du duc Antoine, scellées de son sceau et des sceaux de plusieurs gentilshommes au nom des Etats ; or « ce qui est statué, passé, érigé et arresté par le prince et ses Estatz doibt estre chose stable, parmanante et inviolable, et ainsy en use l’on par toute la Chrestienté ». Puis revenant aux questions graves, Bassompierre opine que, le duc étant mineur ét hors d’état de s’occuper du gouvernement, il est plus nécessaire pour les Etats d’y veiller que du vivant de son père et de son aïeul qui pouvaient y vaquer eux-mêmes ; c’est pourquoi ils demandent que les tuteurs choisissent un certain nombre de gentilshommes, tous pris dans les deux duchés, pour agir d’après leurs conseils ; étant bien entendu qu’aucun étranger ne doit avoir la moindre part au maniement des affaires, « car il est tout notoire que ceulx qui sont des pays et manans subjectz de nostredict seigneur sont naturellement plus enclins à faire service à leur naturel et souverain seigneur et à la républicque de ses pays qu’ès aultres non ses subjectz ». Et il termine en assurant que les membres des Etats sont prêts à exposer pour leur prince leurs personnes et leurs biens, à l’exemple de leurs aïeux.
Ce ferme langage faisait la leçon à la fois à la duchesse et à Bonvalot que l’on savait bien être son conseiller le plus écouté. Ce. fut ce dernier qui répliqua, et séance tenante : la réponse des Etats, dit-il, n’a pas été ce qu’attendaient Leurs Excellences les tuteurs ; s’ils ont demandé la ratification de l’appointement passé entre eux, ce n’est pas que cette approbation leur fût nécessaire, c’était surtout pour faire honneur aux Etats ; du reste, l’évêque de Metz avait consulté sur cet arrangement divers membres de la noblesse. Quant à la duchesse, elle vous demande de nouveau de lui expliquer la coutume de la Lorraine. Pour les joyaux, elle ne peut croire que vous ayez l’intention de faire cette honte à votre défunt prince que de dire qu’il a voulu l’abuser au moment de l’épouser. Vous lui demandez de composer son conseil de gentilshommes lorrains ; elle en a déjà choisi plusieurs et est décidée à ne rien faire sans leur avis ; l’empereur lui-même l’a engagée à agir ainsi. Et moi qui suis envoyé par lui pour servir Son Excellence, je n’ai jamais entendu dire qu’elle eût un autre dessein.
Ces derniers aveux étaient imprudents, car ils laissaient voir Charles-Quint s’occupant des affaires de la Lorraine plus que les Lorrains ne l’eussent désiré. Les Etats se retirèrent pour délibérer et bientôt envoyèrent à la duchesse une députation composée de trois gentilshommes pour lui demander de s’engager à rayer de l’accord de Deneuvre toutes stipulations que les Etats jugeraient contraires aux intérêts du duc ou aux droits de ses sujets. Chrétienne refusa de prendre cet engagement ; toutefois elle consentit à communiquer l’accord de Deneuvre et pria les Etats de lui indiquer les articles qui leur déplaisaient, disant qu’elle aviserait. Les observations de l’assemblée lui furent apportées, l’e 8 novembre, par une nouvelle délégation de trois gentilshommes, plus l’abbé de Saint-Martin-devant-Metz. Les Etats demandent que les dépenses de la Cour soient réglées par des gentilshommes que le-s tuteurs choisiront, mais exclusivement dans le pays ; que les membres du Conseil ducal soient tous également des gentilshommes lorrains, que les capitaines des places fortes soient aussi des Lorrains. L’accord de Deneuvre prévoit que Nicolas pourra quitter l’état ecclésiastique, et dit qu’alors Chrétienne demeurera seule tutrice ; c’est ce que les Etats ne veulent pas admettre, et ils demandent, le cas advenant, que Nicolas soit remplacé par un proche parent du côté paternel. Toutes requêtes, on le voit, inspirées par un nationalisme lorrain assez ombrageux, mais en somme justifié par ces deux faits que la mère de Charles III était étrangère et qu’elle subissait visiblement les suggestions de son oncle, l’empereur.
Les Etats ne purent obtenir de Chrétienne une réponse franche à ces remontrances si nettes. Revenant obstinément aux questions secondaires, elle demanda encore qu’on lui fît connaître la coutume de Lorraine sur les meubles laissés par le défunt et sur les joyaux, assurant qu’après, elle dirait son sentiment sur les désirs manifestés par l’assemblée. Quant à Nicolas, il déclara que les corrections réclamées par les Etats étaient raisonnables et qu’il les acceptait.
Là-dessus, les Etats envoient une nouvelle délégation composée toujours de gentilshommes - évidemment l’ordre nobiliaire menait toute l’assemblée - qui affirme de nouveau que le survivant garde les meubles et doit payer les dettes du mort, à moins que le contrat de mariage ou le testament n’en décide autrement ; que les joyaux appartiennent à la couronne de Lorraine et que les Etats actuels ne peuvent ni ne veulent changer ce qui a été réglé par des Etats antérieurs. Et les délégués remercient l’évêque de Metz d’avoir consenti à leurs désirs.
C’est encore Bonvalot que la duchesse chargea de répondre à cette démarche. Il remercia les délégués d’avoir expliqué la coutume, puis, voyant que la seule ressource de la duchesse pour échapper aux exigences de ses sujets était de gagner du temps, il exposa qu’elle ne pouvait prendre de décision sur les remontrances des Etats sans avoir demandé conseil à l’empereur, au roi très chrétien, à la reine de Hongrie, au comte palatin, mari de sa sceur, et à tous les parents de son fils du côté paternel ; que c’est en effet sur leur avis qu’elle s’était entendue avec l’évêque de Metz et qu’ils avaient tous approuvé l’accord de Deneuvre. Donc, pour éviter une trop grande dépense - les membres des trois ordres venaient à l’assemblée à leurs frais, ou, pour les bourgeois, aux frais de leurs communautés - que les Etats se séparent et délèguent quelques-uns d’entre eux à qui la duchesse fera part des réponses qu’elle aura reçues de sa famille. Quant à l’évêque de Metz, ajoute Bonvalot, il a juré d’observer l’accord conclu avec sa belle-sœur et ne peut y admettre de modifications sans manquer à ses engagements.
Le 9 novembre, jour de clôture de la session, se tint une séance plénière dans laquelle Bassompierre prononça, au nom des trois ordres, un discours bref et net où perce une irritation contenue. L’abbé de Luxeuil, dit-il, a prétendu que l’accord passé en août dernier entre Vos Excellences l’avait été par le conseil de divers membres des Etats. La vérité est que plusieurs gentilshommes se rendirent à Deneuvre où le corps du feu duc avait été amené et où se trouvaient Vos Excellences en contention au sujet de la tutelle. Mgr de Metz les pria de l’assister, ils y consentirent et se mirent à négocier avec l’abbé de Luxeuil. Mais brusquement l’appointement fut conclu en dehors d’eux et à leur insu, comme on le voit bien par les noms des témoins de cet acte, qui ne sont gens des pays de Lorraine et de Bar. Votre Excellence, Madame, n’a jamais voulu en donner connaissance aux Etats et M. de Luxeuil leur a signifié qu’on n’avait pas besoin de leur ratification. C’est pourquoi les Etats ne veulent pas le ratifier et protestent que cet arrangement, ainsi que tout ce que les tuteurs feront par la suite, ne doit préjudicier ni au duc ni à eux-mêmes. Ils ne veulent pas non plus déléguer quelques-uns des leurs pour apprendre ce qu’en pense la famille de leur duc, car « ilz trouvent la chose de telle conséquence qu’ils méritent bien tous en avoir la cognoissance ». Du reste, aucun d’eux ne veut accepter cette mission. Si Votre Excellence veut bien faire à l’accord de Deneuvre les corrections demandées par les Etats, ceux-ci le ratifieront. M. de Luxeuil nous a dit qu’il était envoyé par l’empereur pour vous servir ; les Etats désirent fort que « Sa Majesté et tous les princes et potentas de la Chrestienté aient cognoissance de leur besongné ». Puis, se tournant vers le notaire qui avait assisté à toutes les 'séances et sténographié les divers discours, Bassompierre le requiert, au nom des, Etats, de lui en délivrer un ou plusieurs instruments authentiques « pour s’en servir en temps et lieu ». Enfin, il affirme, une fois de plus, que les Etats sont prêts, comme ils l’ont toujours fait, à exposer vies et biens pour le service de leur prince, et adressant ses dernières paroles à l’évêque de Metz, il le remercie d’avoir consenti pour sa part à la modification de l’accord. Nicolas répond aussitôt : « Messieurs, je veulx vivre et morir avec vous », et l’orageuse session est close.
De cette session, nous avons rapporté, un peu longuement peut-être, tous les détails, parce qu’elle nous montre à quelle opposition irritée et tenace Chrétienne se heurta, et par suite fait mieux comprendre le caractère de cette princesse. Dès le début, il y a antinomie absolue, irrémédiable entre le point de vue de Chrétienne et celui des gentilshommes. Elle leur demande de ratifier en bloc l’accord de Deneuvre qu’ils ne connaissent pas, et ils affirment leur droit de le connaître et de le modifier à leur gré. La duchesse consent enfin à leur communiquer ce texte, mais ne tient nul compte de leurs observations. Les Etats n’étaient pas habitués à une pareille rigueur, car le duc Antoine, prince très constitutionnel, avait presque toujours déféré à leurs remontrances et s’était aisément entendu avec eux. Quelle ne dut pas être leur colère de voir une femme, et une étrangère, leur tenir tête et, en somme, se moquer d’eux. Il ne faut pas se laisser abuser par Les formules de respect et de soumission qu’ils prodiguent, par exemple dans les remontrances qu’ils présentent, le 8 novembre, à la duchesse : « Ce que MM. des Estatz font remonstrer en toute humilité aux Excellences de Madame et Mgr de Metz sur l’appoinctement faict entre leursdictes Excellences (136) ». Ces mots « en toute humilité » reviennent aussi plusieurs fois dans les harangues de Bassompierre et n’en atténuent pas le caractère acerbe.
Dans ces Etats de Neufchâteau, Chrétienne est restée muette. Elle avait cependant la parole facile, Bran, tôme nous l’affirme et Henri II en saura quelque chose. Mais elle jugeait sans doute plus conforme à sa dignité de souveraine et à sa réserve de femme de laisser parler à sa place soit Pierre du Châtelet, soit François Bonvalot, deux hommes d’Eglise diserts. Elle n’en a pas moins tout dirigé, montrant une intransigeance imprudente, qu’elle expiera sept années plus tard. Vivant depuis quatre ans déjà en Lorraine, elle ne pouvait ignorer la nécessité de ménager les Etats et surtout la chevalerie. Ceci dit, on ne peut s’empêcher d’admirer la résolution et la fermeté que montre cette très jeune femme, abandonnée constamment par son beau-frère, soutenue, il est vrai, par l’actif et habile Bonvalot. Elle tient tête à une noblesse orgueilleuse, susceptible, très cohérente, et réussit à ne lui faire aucune concession. Dans ces conjonctures décisives, elle se révèle femme de gouvernement et prend conscience de sa force.
Nous ignorons quelle impression produisit sur Chrétienne cette sévère assemblée de Neufchâteau. Aucune des lettres que nous avons retrouvées d’elle ne se rapporte à cet événement. Mais nous savons ce qu’en pensa son oncle, l’empereur. La duchesse et l’abbé de Luxeuil lui avaient écrit, à la fin de novembre, pour le mettre au courant. Le 17 décembre, de Bois-le-Duc où il se trouvait alors, il répondit à ces deux missives (137). Sa lettre à « Madame ma bonne niepce » est très courte : Il l’assure de sa paternelle amitié et du soin avec lequel il s’occupera toujours de ses affaires, et il l’engage à lire la lettre qu’il adresse à Bonvalot. Celle-ci est très longue et nous la résumons ici : Nous sommes satisfaits qu’à la prière de notre nièce vous ayez assisté aux Etats de Neufchâteau, mais nous sommes fâchés que ces Etats aient fait des demandes déraisonnables et que l’évêque de Metz, légèrement et en jeune homme, se soit mis avec eux. Il eût été bon que Les Etats aient ratifié le traité entre notre nièce et l’évêque de Metz, mais il suffit qu’ils sachent que ceux-ci sont cotuteurs par ce traité « dont ilz ne doivent plus avant prendre congnoissance » ; le traité demeure en son entier malgré le refus de ratification. Les Etats veulent usurper le pouvoir, brider notre nièce et l’évêque de Metz, et les obliger à n’employer que des gens du pays, ce qui serait une contrainte intolérable. En consentant à leur iequête, l’évêque de Metz a contrevenu au traité et manqué à son serment ; nous louons néanmoins notre nièce d’avoir procédé à son égard avec prudence et mesure ; le tort de l’évêque n’en sera que plus grand. Nous approuvons l’envoi du sieur Dolans (138) vers les oncles du feu duc, pour leur remontrer les entreprises des Etats sur le pouvoir ducal ; que ces oncles considèrent aussi que notre nièce a consenti à partager avec l’évêque le gouvernement qui n’appartient qu’à elle seule ; puisque l’évêque s’est séparé d’elle, il lui serait licite de reprendre pour elle seule toute l’autorité, mais elle préfère « que la chose se rabille gracieusement », à condition que l’évêque agisse désormais avec plus de réflexion. Il est raisonnable que les affaires des duchés soi.ent réglées par des gens du pays, mais il serait mauvais de s’y astreindre aussi absolument que le prétendent les Etats, et de ne pouvoir rien faire que de leur gré. Les Etats ne doivent avoir connaissance que des affaires que notre nièce et l’évêque de Metz voudront bien leur communiquer, et ceux-ci ne tiendront compte de leurs remontrances qu’autant qu’ils le jugeront à propos. Les conseillers qu’ils choisiront devront se contenter des attributions qui leur sont laissées, sans chercher à les étendre. Il ne faut plus réunir d’Etats généraux ; par là, l’autorité de notre nièce restera intacte, et ceux qui lui font de l’opposition demeureront confus de leur entreprise. Quant aux questions des joyaux et du payement des dettes, le mieux est de n’y point revenir, soit avec les Etats, soit avec les oncles du duc, jusqu’à ce que le gouvernement de la duchesse soit mieux établi, à moins que la coutume de Lorraine ne fixe un délai dans lequel ces affaires se doivent régler. Le traité de mariage de notre nièce est resté en Brabant et quand la reine, notre sœur, sera de retour, elle le fera examiner, en ce qui conserne ces deux points, et lui fera savoir ce qui peut servir à maintenir ses droits. J’écris au sieur de Saint-Mauris, mon ambassadeur à Paris, de remontrer au cardinal de Lorraine le tort que les Etats veulent faire à sa maison, .et comment ils, ont trompé l’évêque de Metz. Il serait utile de pourvoir ce dernier d’un bon conseiller et l’évêque de Toul serait, comme vous me le dites, très apte à cette tâche (139) ; mais il faut qu’il soit désigné par l’évêque de Metz ou par le cardinal de Lorraine, plutôt que sur notre avis ou celui de notre nièce. Celle-ci a averti le sieur de Granvelle que le sieur de Pied de Fol (140), ayant accompagné en France l’évêque de Metz, lui a écrit d’envoyer les pièces nécessaires pour faire reprises du Barrois mouvant, mais il nous semble qu’il serait préférable d’ajourner ceci : l’évêque de Metz est jeune et de caractère facile,, et on pourrait en France, où il n’a nul conseil, le presser de faire ces reprises d’une façon préjudiciable. Que notre nièce s’excuse en disant que l’évêque ne lui a point parlé de ces reprises avant son départ, et qu’elle ne peut y pourvoir que d’accord avec lui. Cette affaire étant de grande importance, non seulement pour notre nièce et son fils, mais aussi pour nos Pays-Bas, il sera bon que vous en traitiez avec notre nièce avant que le duc de Guise et le cardinal de Lorraine ne la viennent trouver, de peur que les Français ne fassent leur profit de ce différend.
Plutôt qu’une lettre, ce document est un véritable memorandum sur les affaires de la Lorraine dont l’empereur est évidemment très informé et auxquelles on voit qu’il s’intéresse fort. En politique consommé, il entre dans le détail et ne néglige aucun aspect de la question. Il trace un plan d’action très complet et très habile, en vue de réduire à rien le pouvoir des Etats généraux, d’éliminer toute influence française et d’assurer ainsi à sa nièce une autorité à peu près absolue. Cela fait, Charles-Quint compte bien gouverner la Lorraine à sa guise par l’entremise de la duchesse douairière et de l’abbé de Luxeuil, aussi dévoués l’un que l’autre à ses plans.

III

Comment allait fonctionner cette tutelle si laborieusement établie ? En premier lieu se posait une question de personnel. Au nom des Etats, François de Bassompierre avait réclamé l’établissement d’un Conseil composé uniquement de gentilshommes lorrains et affirmé que les étrangers ne devaient avoir aucune part au gouvernement. Une délégation des trois ordres avait ensuite parlé dans le même sens. Charles-Quint, évidemment fort gêné par ce programme, avait commencé par le déclarer mauvais et reconnu ensuite qu’il était raisonnable. La question avait donc une grande importance pour tous les intéressés.
Jugeant utile de donner quelque satisfaction à leur noblesse, Chrétienne et Nicolas promulguèrent une ordonnance qui établissait un Conseil d’Etat pendant la minorité du jeune duc : les douze conseillers qui le composeront seront tous pris dans la noblesse lorraine ; ils seront désignés par les tuteurs pour tout le temps qui leur semblera bon. Les finances resteront sous l’autorité des tuteurs qui choisiront deux des conseillers susdits pour assiter à la reddition des comptes. Les conseillers seront de service quatre par quatre pendant deux mois consécutifs, et ainsi de suite, et le plus ancien conseiller présidera. Registre sera tenu des délibérations. Enfin, comme dans ce Conseil seront traitées diverses matières donnant lieu à des dépêches qui ne peuvent être rédigées que par des gens de savoir, deux maîtres des requêtes auront entrée au Conseil pour vaquer à cette rédaction (141).
Ces concessions furent jugées insuffisantes par la noblesse, même par ceux de ses membres qui avaient été nommés conseillers ; certains refusèrent de venir faire leur service, et il semble que les tuteurs ne furent pas du même avis sur la manière dont on devait agir envers ces récalcitrants, Chrétienne inclinant sans doute à la rigueur et Nicolas à l’indulgence. En février 1548, tous deux se trouvèrent ensemble à Augsbourg avec Charles-Quint, son frère Ferdinand, roi des Romains, et sa sœur Marie, reine douairière de Hongrie. Ces hauts personnages s’employèrent avec succès à les mettre d’accord et une convention fut signée, le 4 février, disant que désormais, chaque fois qu’un conseiller refuserait de faire sa tâche, Chrétienne et Nicolas examineraient ensemble comment ils devraient le traiter, pour lui faire connaître les devoir, obéissance et respect auxquels il était tenu envers Leurs Excellences. L’empereur ne s’en tint pas là : s’immisçant une fois de plus dans les affaires de la Lorraine, il confirma cette convention dont le texte, écrit en français, est enchassé dans la ratification impériale rédigée en latin (142).
Est-ce à un dissentiment de cette nature que fait allusion le cardinal Granvelle dans une lettre du 4 août 1547 ? Il informe la reine de Hongrie que Chantonnay, son frère, part pour la Lorraine, « faire remonstances à Mgr de Metz sur une saillie qu’il a naguères fait à Madame la duchesse » ; et il lui envoie copie des instructions remises à Chantonnay (143).
Si le Conseil était spécifiquement lorrain, bien des étrangers avaient été appelés à d’autres charges. Nous avons dit que, des trois personnages qui signent l’accord de Deneuvre, deux, Bonvalot et Montbardon sont des sujets de l’empereur. Ils continuent après à servir la duchesse. Bonvalot expose ses revendications aux Etats de Neufchâteau en novembre 1545, et il passe en Lorraine au moins la moitié de 1546 (144) ; sa situation est ambiguë, il est à la fois l’ambassadeur de Charles-Quint auprès de sa nièce et le conseiller officieux de celle-ci. Il n’a pas de fonction en Lorraine, mais sa dextérité et son sens politique lui ont assuré une situation de premier plan dans ce pays ; en 1546, au service anniversaire du duc Antoine, il marche à côté de son fils, Nicolas (145). Quant à Montbardon, la duchesse en a fait le gouverneur de son fils, ce qui a dû susciter bien des jalousies. Un gentilhomme lorrain aurait été plus qualifié pour ces fonctions de toute confiance que ce Français entré au service de Charles-Quint à la suite du connétable de Bourbon. Dès le début de la tutelle, l’opinion se prononce contre cette intrusion d’étrangers ; les Etats de 1545 invitent Nicolas et Chrétienne à ne donner connaissance des affaires de l’Etat à aucun étranger. Nul compte n’est tenu de cette requête. Chrétienne place divers sujets d’e l’empereur dans des emplois importants où ils auront toute facilité pour savoir bien des choses et pour les régler au mieux des désirs de leur maître, et peut-être avait-elle commencé à agir ainsi dès l’avènement de son mari. En tous cas, après son mariage, elle avait gardé à son service personnel tous les gentilshommes et officiers qu’elle avait auprès d’elle à Milan et à Bruxelles (146).
Il est difficile de préciser quels étrangers s’implantèrent ainsi en Lorraine et quels emplois ils occupèrent ; les registres de lettres patentes de 1544 et 1545 manquent. Du reste, nombre de ces personnages furent peut-être attachés au service personnel de la tutrice et nommés par un procédé moins solennel que la lettre patente. C’est le cas, par exemple, de Louis Des Masures, né à Tournay et devenu secrétaire de Chrétienne. Au contraire, Jean de Nancey fut, dès le 15 novembre 1545, pourvu par lettres de l’office très important et très actif de procureur général de Lorraine (147). Nancey était Lorrain de naissance, mais il avait été quelque temps au service de Charles-Quint dans le Conseil provincial du Luxembourg. Il y en eut d’autres : dom Calmet affirme que Chrétienne avait mis dans les meilleurs emplois des Allemands et des Flamands (148). D’autres faits encore confirment cette invasion : Lorsqu’en 1548, sur l’injonction d’Henri II, Chrétienne suspendit les travaux de fortification de La Mothe, puis protesta contre cette exigence, sa protestation eut pour témoins Montbardon et Martin de Silly, chevalier d’Alcantara, qui sont certainement des Impériaux, Claude Le Blanc, sieur de Dolan, et Philbert Marchai, docteur ès-droit, qui paraissent bien l’être aussi (149). Enfin, en avril 1552, le même roi, après avoir enlevé le gouvernement à la duchesse, ordonna « que tous officiers et serviteurs domestiques estans naturelz des païs de l’obéissance de l’empereur se retireroyent, comme Flamens, Hennuyers et autres, et ce dans un certain temps à eux préfix (150) ».
Cette obstination à heurter le nationalisme lorrain, malgré l’avertissement formel des Etats, était bien imprudente, Chrétienne croyait-elle qu’avec l’appui de son oncle, elle pouvait tout oser ? Sans doute les ducs de Lorraine avaient toujours confié assez facilement des charges notables à des étrangers : après l’avènement de la maison d’Anjou, à des Angevins, Manceaux et Provençaux ; plus tard, mais bien avant 1545, à des Gascons, Basques, Italiens, Alsaciens et autres, et la noblesse lorraine n’avait pas fait mauvais accueil à ces nouveaux venus. Mais le parti-pris de préférer les sujets de l’empereur était une menace : la Lorraine pouvait craindre que Charles-Quint ne voulût, par cette voie détournée, restreindre et même supprimer la semi-indépendance qu’il lui avait reconnue en 1542 à Nuremberg.

IV

De ces questions de politique générale, nous passons à des faits qui intéressent plutôt la vie de la maison ducale.
Nous avons dit qu’aussitôt après la mort de son mari, Chrétienne était venue de Remiremont à Deneuvre qui faisait partie de son douaire. Là, deux mois et demi après le décès de François, le 24 août 1545, elle accoucha d’une fille qui fut nommée Dorothée. Le baptême se fit sans doute à Deneuvre. Nous ignorons qui fut le parrain de l’enfant ; la marraine fut Dorothée de Danemark, sœur de Chrétienne, femme de l’électeur palatin, qui assista sans doute au baptême, car, dès qu’elle avait appris le veuvage de Chrétienne, elle était venue à Deneuvre pour lui apporter ses consolations (151).
Le roi François Ier avait donné au duc de Lorraine, son filleul, le collier de l’ordre de saint Michel ; Chrétienne chargea un gentilhomme de sa maison, Jean de Florainville, seigneur de Fains, de le lui reporter et le roi en accusa réception le 1er septembre 1545 (152). Précédemment, le sieur de Sarnay avait été dépêché à la Cour de France pour lui annoncer le trépas du duc. Puis, la maison du défunt fut congédiée et, selon sa coutume, la duchesse se montra généreuse : elle donna à chacun des serviteurs de son mari une assez grosse somme pour lui permettre de retourner chez lui et de chercher un autre emploi (153).
Quant aux funérailles du duc, il fut nécessaire de les différer pour des motifs qu’expose très bien Emond Du Boullay (154) : la duchesse était près d’accoucher ; les plus proches parents du défunt du côté paternel, c’est-à-dire le duc Claude de Guise, et son frère, le cardinal Jean de Lorraine, ne pouvaient venir, occupés qu’ils étaient aux négociations avec l’empereur consécutives au traité de Crépy ; enfin, la peste sévissait dans les deux duchés. François Ier était mort à Remiremont ; ses entrailles furent inhumées dans l’église du monastère, son corps embaumé fut amené à Deneuvre par Jean, comte de Salm, maréchal de Lorraine, et déposé dans la collégiale, où les prélats et abbés convoqués à cet effet lui rendirent les honneurs funèbres pendant trois jours (155). Après quoi, la duchesse douairière et l’évêque de Metz, frère cadet de François, vinrent eux-mêmes à Deneuvre et s’y fixèrent, soit parce que ce lieu avait été épargné par l’épidémie, soit parce que, faisant partie du douaire de Chrétienne, celle-ci s’y sentait chez elle plus qu’ailleurs.
C’est seulement en août 1546, quatorze mois après la mort de François, que furent célébrées ses obsèques solennelles. Elles sont décrites avec une précision minutieuse par le héraut d’armes Du Boullay dans La vie et très pas des deux princes..., résumées en douze colonnes de ses in-folio par dom Calmet, qui s’excuse de cette longueur en disant que c’est la première fois que l’histoire de Lorraine présente le spectacle d’une pareille pompe funèbre (156). Tout récemment, M. Pierre Marot a décrit de nouveau et commenté ces imposantes cérémonies (157), Nous n’y reviendrons donc pas et nous contenterons de noter quelques particularités intéressant Chrétienne : dès le 17 juillet, elle écrit à l’envoyé impérial, François Bonvalot, que la famille française de son mari arrivera à Nancy à la fin du mois, que le service funèbre se fera le 6 août, et qu’il ne manque pas de s’y trouver (158). Nouvelle preuve de la confiance et de l’estime qu’elle avait pour cet habile homme. Elle n’assista pas aux obsèques et resta en prières, avec quelques-unes de ses dames, dans sa chambre toute tendue de noir. Mais elle y avait mis sa marque. Dom Calmet et M. Marot notent l’un et l’autre que l’enterrement de François pr se fit avec un éclat et un luxe qu’on ne voit pas à l’enterrement des ducs, ses prédécesseurs, par exemple de René II. C’est Chrétienne qui introduisit en Lorraine, pour les obsèques de son mari, tout ce luxe et toutes ces cérémonies parfois bizarres, parfois même d’une inspiration peu chrétienne, qui était en usage dans la maison d’Autriche, laquelle les tenait elle-même de la maison de Bourgogne (159). L’ordonnance de l’enterrement de François I" sera reproduite, soixante ans plus tard, à l’enterrement de son fils Charles III, et c’est ainsi que nous aurons la célèbre Pompe funèbre gravée par Frédéric Brentel.
Plusieurs membres des branches cadettes de la maison de Lorraine étaient venus rendre les derniers devoirs au duc François. C’étaient le cardinal Jean de Lorraine, son oncle, le duc Claude de Guise, son autre oncle, et quatre fils de celui-ci, François, alors duc d’Aumale, qui sera le second duc de Guise, Claude, marquis du Maine, Charles, archevêque de Reims, qui sera le grand cardinal de Lorraine, Louis évêque de Troyes, qui prendra le titre de cardinal de Guise, âgés alors de dix-neuf à vingt-sept ans, et par suite tous capables de discuter les affaires sérieuses dont le règlement avait été retardé jusque-là. Les cérémonies funèbres s’étaient faites du 2 au 16 août ; après, on aborda les questions d’intérêt, et on aboutit, le 26 août 1546, à une transaction passée à Nancy entre Chrétienne d’une part, son beau-frère Nicolas et les oncles et cousins de son mari d’autre part. Transaction dûe aux bons offices de l’indispensable François Bonvalot qui, l’année précédente, avait déjà ménagé l’accord de Deneuvre entre Chrétienne et l’évêque de Metz. Chrétienne réclamait les objets mobiliers laissés par les ducs Antoine et François ; elle eut les vêtements, toute la vaisselle d’or et d’argent, la moitié des tapisseries, lits et autres meubles. Elle reçut 15.000 francs de Lorraine représentant la valeur des joyaux qui lui avaient été offerts lors de son mariage, et qui, étant incorporés à la couronne de Lorraine, ne pouvaient en être distraits. Le reste des joyaux et des meubles était laissé à Charles III qui, en retour, devait payer les dettes de son père et de son aïeul, ainsi que les dépenses faites à leurs obsèques. Il était stipulé que le contrat de mariage de Chrétienne et le traité passé le 6 août 1545 entre elle et l’évêque de Metz gardaient leur force et valeur. Les deux parties déclaraient tous différends apaisés et s’engageaient par serment, et sous hypothèque de tous leurs biens, à observer exactement cette transaction, qui devait être insinuée au bailliage de Nancy (160).

V

Quand le corps de François Ier eut été déposé dans le caveau de l’église des Cordeliers, le roi d’armes de Lorraine, Emond Du Boullay, cria très haut : « Vive le duc Charles, tiers de ce nom ! » Le nouveau souverain n’avait que deux ans et quatre mois à son avènement ; son éducation était donc toute entière à faire, et c’est ici le lieu de dire le peu que nous savons sur son éducation et sur ses études pendant les sept années qu’il passa auprès de sa mère.
Nous connaissons le nom de sa nourrice, Claudon Edouart, femme de Didier Philibert, concierge du palais de Gondreville, qui, bien après qu’elle eût cessé ses fonctions, touchait une pension annuelle de 200 francs, en reconnaissance de ses services (161). Nous connaissons aussi les noms de ses quatre précepteurs, Hugues de Villelume, sieur de Montbardon, Jean du Châtelet, seigneur de Deuilly et Gerbéviller, Claude, baron d’Aguerre, Hector de Ligniville, abbé de Saint- Sauveur (162), mais nous ne savons pas s’ils l’ont été simultanément ou successivement, et nous avons aussi quelque doute que dans cette liste ne soient confondus des gouverneurs et des précepteurs, fonctions assez différentes (163). Tout en étant le second ordre, l’office de précepteur était considéré et surtout bien rétribué, car en 1557, sa tâche étant finie, Hector de Ligniville touche 600 francs de gages, tandis que le président de la Chambre des comptes de Lorraine et l’argentier du duc ne reçoivent chacun que 400 francs, et les secrétaires du duc 300 ou 400 francs par an (164). Et le jeune duc ne se jugeait pas pour autant quitte envers son maître, car la même année 1557, il le fit nommer prévôt de la collégiale Saint-Georges (165). De son côté, la duchesse douairière lui assura une prébende de chanoine à Saint-Pierre de Bar (166).
Plus tard, on voit un sieur de Jaallon, précepteur du duc, qui s’ajoute aux précédents ou remplace l’un d’eux. Lorsqu’en 1552, le jeune Charles est emmené de Lorraine en France, Chrétienne et Nicolas donnent à Jaallon 1.000 francs, à Montbardon 1.000 écus, en récompense de leurs services et pour les aider à rentrer chez eux (167). Enfin, en 1551, nous relevons un payement de 120 écus d’or, pour ses gages d’un an, à Jules Veulens, maître escrimeur de Monseigneur (168).
Sauf pour ce dernier, nous ne savons pas ce que ces différents maîtres enseignent au jeune duc. Charles aura neuf ans et deux mois quand il quittera la Lorraine ; son instruction ne pouvait pas alors être bien avancée. Ce qui est assez surprenant, c’est qu’il ne reste pas toujours à Nancy pendant ces années d’études ; de décembre 1549 à février 1550, il est à Pont-à- Mousson, où il n’y a pas encore d’Université, et le receveur de cette ville fournit du blé et de la volaille pour la maison de Monseigneur « estant audict Pont à l’étude », et de l’avoine pour ses chevaux (169). A la fin de 1550 et pendant tout 1551, il est à Lunéville « retiré à l’étude » (170). On acquiert un tapis de drap vert pour mettre sur la table en la chambre de la tour du château « où est l’escolle et estude de Monseigneur » (171). Est-ce à son intention qu’un peintre nommé Mengin est appelé au château en 1550 pour y peindre un paradis et un enfer (172) ? Pendant ces années la duchesse était sans cesse en voyage dans l’un ou l’autre duché. Voulut-elle en son absence assurer au labeur de son fils plus de tranquillité, à sa santé un meilleur air qu’à Nancy ? Ce qui reste certain, c’est que le jeune duc étudiait, et comme sa mère était, nous l’avons dit, fort instruite, on peut supposer qu’elle eut soin de lui faire apprendre tout ce qui convient à un prince. Mais les événements de 1552 devaient, bien prématurément, mettre fin à ses efforts.

(A suivre.)


(1) L’éloge presque officiel du connétable fut écrit alors par deux chanoines de Saint-Dié, Nicolas Martin et Laurent Pillard; il a été publié à Saint-Dié en 1928, in-4°.
(2) Voir notre étude sur ce traité dans les Annales de l’Est, 1933, p. 153-170.
(3) Prématurément.
(4) HENNE, Rist. de Charles-Quint en Belgique, t. V, p. 154-155.
(5) Ibid., t. VI, p. 63.
(6) Ibid., t. V, p. 157-158.
(7) Un rapport de l’Anglais Hutton, que nous citerons plus loin, affirme qu’elle sait cette langue.
(8) Marguerite d’Autriche de 1506 à 1530, Marie de Hongrie de 1531 à 1555, Marguerite de Parme de 1559 à 1567, Isabelle de 1598 à 1633.
(9) JUSTE, p. 27.
(10) HENNE, t. V, p. 152.
(11) DRUFFEL, t. II, p. 346.
(12) RAHLENBECK, p. 26. - Nous reviendrons plus loin sur le mariage de Clèves ; pour l’Ecosse, il s’agit sans doute du roi Jacques V, qui épousera en 1538 Marie de Lorraine, fille de Claude, duc de Guise. En cette même année 1536, Du Bellay relate ce projet de marier Chrétienne en Ecosse (Mémoires, t. II, p. 322, 335).
(13) Revue de l’art ancien et moderne, 1909, t. II, p. 148.
(14) HACKETT, p. 452-453.
(15) HACKETT, p. 460-461.
(16) HACKETT, p. 460.
(17) Dans un autre portrait de Chrétienne, daté de 1558, les cheveux sont un peu découverts et on voit qu’ils sont très noirs.
(18) Ce portrait remarquable est reproduit dans le livre de DAVIES sur Holbein, p. 172, dans la Revue de l’art ancien et moderne, 1909, t. II, p. 147, dans l’Histoire de Nancy, de PFISTER, t. II, p. 188.
(19) HENNE, t. VII, p. 267-274; RAHLENBECK, p. 26; Compte rendu des séances de la Commission royale d’histoire, 1881, p. 323-324.
(20) Papiers d’état de Granvelle, t. II, p. 559.
(21) Antoine est né en 1518 et n’épousera Jeanne d’Albret qu’en 1548.
(22) Emond DU BOULLAY, La vie et trespas, fol. M 4; dans son autre ouvrage, Les généalogies des ducs de Lorraine, Du Boullay rapporte ces entrevues presque dans les mêmes termes. - L’Histoire du Languedoc des bénédictins, 2e édit., t. XI, p. 258, nomme à tort le duc de Lorraine parmi les personnages présents à Aigues-Mortes; il faut corriger: le prince de Lorraine.
(23) Lettre citée par Ch. AIMOND, p. 364, n. 6.
(24) Papiers Granvelle, t.. II, p. 559.
(25) Mandement du 14 février 1540, aux Arch. M.-et-M., B 1063, fol. 113 v°.
(26) A. de MAHUET, Chambre des Comptes de Lorr., p. 113.
(27) C’est Du BOULLAY, La vie et trespas, fol. N 3, qui signale ce voyage d’Antoine à Luxembourg; il le place en 1540, sans mois. La Biographie nationale belge, t. III, col. 643, précise que l’empereur est passé dans cette ville en décembre 1540.
(28) CALMET, Hist. de Lorr., t. VI, preuves, col. 383-388. Les procurations sont imprimées à la suite du contrat et tous ces documents sont datés de 1540, ce qui fait 1541 de notre calendrier.
(29) Du BOULLAY, ibid., fol. N 2 v°. - Un demi-siècle plus tard, Henri de Lorraine, le futur duc Henri II, prendra de même le titre de duc de Bar pour épouser Catherine de Bourbon, sœur d’Henri IV.
(30) Arch. M.-et-M., B. 414, fol. 18 v°.
(31) Le registre de lettres patentes qui contenait cette ratification est perdu ; on en trouve l’analyse dans B 182, fol. 383 v°.
(32). La vie et trespas, fol. N 3 et Les généalogies des ducs de Lorraine, fol. G 2 à 4. Ces deux rédactions sont presque semblables.
(33) Mis en œuvre par HENNE, t. VII, p. 318-319.
(34) ZELLER, t. I, p. 203.
(35) Arch. M.-et-M., B 9372, fol. 109.
(36) M.S.AL., 1852, p. 46-47.
(37) Arch. M.-et-M., B 8136, fol. 173 v°.
(38) Ibid., B 4030, fol. 18 v°.
(39) Ibid., B 5272, fol. 66.
(40) Ibid., B 1068, fol. 141 v°.
(41) Ibid., B 1067, fol. 184 v° ; B 7250, fol. 28 v°.
(42) Arch. M.-et-M. B 1067, fol. 189.
(43) Ibid., B 1068, fol. 155-157.
(44) lbid., B 1069, fol. 189.
(45) La vie et trespas, fol. O 1-2.
(46) Arch. M.-et-M., B 9807, fol. 99-102; B 10.042, fol. 25.
(47) Ibid., B 4867, fol. 41.
(48) Arch. M.-et-M., B 8138, fol. 197 v°.
(49) Ibid., B 6173, fol. 38-40.
(50) Ibid., B 1072, fol. 115, voyage dont la dépense est réglée par un mandement du 31 juillet, donc antérieur à cette date.
(51) Ibid., B 7011, B 9811, fol. 98 v°, B 4869, fol. 45-46.
(52) Benoit PICART, Hist. de Toul, p. 624-625. H. LEPAGE, Statist. Meurthe, t. II, p. 565, mentionne ce séjour en le datant à tort de 1538.
(53) HENNE, t. VIII, p. 61-62.
(54) Arch. M.-et-M., B 1072, fol. 107, 118.
(55) Ibid., B 3261.
(56) Ibid., B 1082, fol. 92.
(57) CALMET, t. V, col. 540-541.
(58) Arch. M.-et-M., B 1073, fol. 25.
(59) Alors duché de Bar, bailliage de Bassigny; aujourd’hui Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Lamarche. - Ce document est publié par Chapellier dans le J.S.A.L., 1889, p. 260.
(60) La vie et trespas, fol. O 3 v°.
(61) Antiquités de la Gaule-Belgique, fol. 652 v°.
(62) Abbaye de l’ordre de Prémontré, Vosges, arr. Mirecourt, cant. Dompaire.
(63) Arch. M.-et-M., B 53, fol. 26 v°; B 668, n° 54. Dans ces deux documents, la date est écrite en toutes lettres, ce qui exclut la possibilité d’une erreur de chiffre.
(64) Le P. HUGO et Benoit PICART placent cette naissance au 15 février; dom CALMET hésite entre le 15 et le 18 (Hist. de Lorr., t. I, prélimin., col. 267. - Remarquer que le 15 et le 22 février sont également des jeudis; le curé de Châtillon-sur-Saône aurait donc raison pour le jour de la semaine, tort pour le quantième et pour l’heure.
(65) Probablement à la collégiale Saint-Georges, car deux des enfants de Charles III y seront baptisés, Charles en 1567, Anne en 1569 (Arch. M.-et-M., B 7653, 7655).
(66) Voir notre étude sur cette dame dans les Annales de l’Est. 1933, p. 281-287.
(67) Arch. M.-et-M., B 1071, fol. 182-185.
(68) Nous avons cherché en vain quelques indications sur cet événement dans les comptes du receveur général (Arch. M.-et-M., B 1073-1077), du cellerier de Nancy (Ibid., B 7631-7632), le compte du receveur de cette ville en 1544 manquant, du receveur de Blâmont (Ibid., B 3260-3261), du receveur général du duché de Bar (Arch. Meuse, B 548). En effet, Chrétienne, à cette époque de sa vie, passe quelquefois à Blâmont, chef-lipu de son douaire, et l’événement aurait pu s’y produire; d’autre part, les duchesses de Lorraine allaient volontiers faire leurs couches à Bar-le-Duc.
(69) Hist. de Lorr., t. I, prélimin., col. 267.
(70) Arch. M.-et-M., B 1073, fol. 78-89. - Selon Riocour, dans M.S.A.L., 1883, p. 102, le franc barrois a, de 1534 à 1552, une valeur intrinsèque de 3 fr. 06.
(71) Ibid., B 1073, fol. 103.
(72) Ibid., B 7629, fol. 35.
(73) Arch. M.-et-M., B 1073, fol. 26.
(74) Ibid., fol. 118-122; B 5686, fol. 61, 63 v°.
(75) Ibid., B 1077, fol. 72-75; B 6174, fol. 40 v°.
(76) Lettre écrite de Metz, le 22 juin 1544, traduction dans ROZET, p. 420.
(77) Ibid., p. 426, 427.
(78) Ibid., p. 105.
(79) Ibid., p. 106.
(80) Arch. M.-et-M.. B 1073. fol. 26 v°. 106.
(81) Ibid., B 1077, fol. 100 v°.
(82) Lettre du 18 juin 1544, dans ROZET, p. 418.
(83) Lettre du 22 juin, ibid., p. 420.
(84) François Ier n’avait pas moins de cinq médecins à son service, nous dit André LÉVY, p. 14.
(85) Les généalogies des ducs.
(86) Dr DONNADIEU, p. 108.
(87) Arch. M.-et-M., B 1077, fol. 72-75.
(88) Dr DONNADIEU, p. 107. - Déjà, en 1543, le duc Antoine, alors à Epinal, fit venir pendant neuf jours de l’eau de Plombières, où il se baignait, pour essayer de se guérir de la goutte (Arch. M.-et-M., B 1072. fol. 108 v°).
(89) Arch. M.-et-M., B 1077, fol. 125. - Louis XI, vieillissant, avait demandé à ce même saint sa guérison.
(90) Edition Lalanne, t. IX, p. 621-633.
(91) Claude de Blosset, dame de Torcy, surnommée la belle Torcy, mariée à Louis de Montberon, baron de Fontaines-Chalendray (BRANTOME, t. I, p. 31).
(92) Dans la Revue historique de la Lorraine, 1931, p. 14-32, et dans l’Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie, de Metz, 1931, p. 141-155. D’autres lettres de Chrétienne sont éparses dans les preuves de 1’Histoire de Lorraine de dom CALMET et dans les Papiers d’état du cardinal Granvelle.
(93) T. IX, p. 623.
(94) Ibid., t. IX, p. 630.
(95) Lettre du 29 avril 1568, Arch. munie, de Reims, collect. Tarbé, X, 75.
(96) BRANTOME, t. IX, p. 629.
(97) Jean de Silliers, gentilhomme de Chrétienne, au cardinal Granvelle, 15 octobre 1558, dans Papiers de Granvelle, t. V, p. 231.
(98) Par dérogation aux usages et pour des motifs politiques, cet enfant eut deux parrains, Charles IX et Philippe II, et deux marraines, Catherine de Médicis et Chrétienne de Danemark.
(99) PFISTER, dans M.S.A.L., 1910, p. 304, 310.
(100) CLAIRAMBAULT, mémoire sur les prétentions de la maison de Lorraine, publié par BOILISLE dans les Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 595.
(101) On l’y trouve au moins deux fois, dans les vers du verso du frontispice et au folio 29 v°.
(102) T. IX, p. 626.
(103) ALLEN, t. I, p. 267.
(104) ALLEN, p. 269-271.
(105) Arch. M.-et-M., B 1078.
(106) Lettre de septembre 1546, B. N., Coll. de Lorraine, 258, fol. 46.
(107) Hector de LA FERRIÈRE, Henri IV, p. 48.
(108) Ann. Est, 1933, p. 284.
(109) T. IX, p. 632-633.
(110) Arch. M.-et-M., B 10.060, fol. 9 v°.
(111) Lettre du 17 décembre 1572, dans R. H. L., 1931, p. 29.
(112) PARADIN, p. 36.
(113) BRANTOME, t. IX, p. 623.
(114) Ibid., p. 631.
(115) Ibid., p. 621.
(116) BRANTOME, p. 621, 633.
(117) Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1877, p. 94.
(118) Coutumes générales de Lorraine, titre IV, art. 1, 3.
(119) Mgr BONNARD, p. 48, 349.
(120) Nicolas de Lorraine, frère cadet de François Ier, évêque élu de Metz et de Verdun.
(121) Ce procès-verbal est publié par dom CALMET, Hist. de Lorr., t. VI, preuves, col. 403, et dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 152.
(122) Arch. M.-et-M., B 1077, fol. 106 r° et v°, 107 v°, 109 v°, 111.
(123) C’est à Deneuvre, et sans doute en juillet 1545, que Chrétienne et Nicolas reçoivent les ambassadeurs du roi des Romains et de la reine douairière de Hongrie qui leur apportent les condoléances de leurs souverains pour la mort du duc François (Emond DU BOULLAY, La vie et trespas, fol. E e 4).
(124) Papiers d’état de Granvelle, t. III, p. 159.
(125) Hist. de Lorr., t. V, col. 654.
(126) L’analyse de ces lettres ne figure pas dans l’inventaire des lettres patentes, B 181 des Archives de Meurthe-et-Moselle, ce qui prouve que le registre de 1545 avait déjà disparu quand cet inventaire a été rédigé à la fin du XVIe siècle.
(127) Encore un document qui manque; il était classé dans la layette Ordonnances, II, n° 37, des Arch. M.-et-M.; nous ne le connaissons que par une analyse de l’inventaire de Dufourny aux Arch. nationales, K K 1184, fol. 832 v°.
(128) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 14; l’original sur parchemin est à la B. N., Collect. de Lorr., 258, fol. 25.
(129) Sur ce maître d’hôtel, cf. M.S.A.L., 1869, p. 354-355.
(130) A la vérité, dom CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 655, prétend qu’outre Bonvalot et Le Boutillier (il ne nomme pas Montbardon), cet accord eut pour témoins: Pierre du Châtelet, seigneur de Deuilly, et Gerbéviller, bailli de Nancy, Jean de L’Hôpital, sire de La Roche, Pierre Pétreman, docteur en droit, citoyen de Besançon (encore un sujet de Charles-Quint), Nicolas Gervais, procureur général du duché de Bar. Nous ne savons où il a pris ces noms, qui ne figurent pas dans l’accord de Deneuvre, et nous croyons qu’il est préférable de s’en rapporter au texte de celui-ci. Il ajoute que l’accord a été négocié pour le compte de Nicolas par son homme de confiance, Bonaventure Rennel, le même qui avait signé, après Nicolas, la lettre de celui-ci à l’empereur, du 15 juillet 1545.
(131) Emond DU BOULLAY, La vie et trespas, fol. F f.
(132) B. N., Collect. de Lorr., 51, fol. 34.
(133) Arch. M.-et-M., B 4433, fol. 63. - Le procès-verbal de cette session a été heureusement conservé, ibid., B 682, n° 47, et nous le résumerons. Il est à noter que dom Calmet, qui rapporte avec soin l’accord de Deneuvre, ne dit mot de ces Etats de novembre 1545; ou bien il les ignore, ou bien il préfère ne pas en parler, parce qu’au temps de Léopold et de Stanislas, on était mal venu à rappeler les anciennes franchises du pays.
(134) Dans ces événements, on voit figurer deux Pierre du Châtelet qu’il ne faut pas confondre : un laïque, bailli de Nancy, dont il a été question plus haut, et l’abbé de Saint-Martin.
(135) C’est en novembre 1540 que cette incorporation avait été faite; voir nos Etats généraux de Lorraine, p. 215.
(136) B. N., Collect. de Lorr., 51, fol. 39.
(137) Karl LANZ, Correspondenz, t. II, p. 479-484.
(138) Sans doute le sieur de Dolant que LEPAGE, Organisation militaire, p. 154, cite comme capitaine de la garde du corps du duc: en 1552, Chrétienne l’enverra trouver de sa part le roi de France.
(139) L’évêque de Toul était alors Toussaint d’Hocédy. Agé d’une cinquantaine d’années, il était assurément capable de chapitrer Nicolas de Lorraine, qui n’avait que vingt et un ans. De plus, il était né à Valenciennes, avait fait ses études à l’Université de Louvain, et l’empereur pouvait voir en lui un de ses sujets et compter sur sa bonne volonté.
(140) Nom estropié sous lequel il faut voir Jean du Puy du Fou, gentilhomme poitevin qui avait été gouverneur de Nicolas de Lorraine, et que celui-ci, devenu évêque de Metz, avait nommé bailli de son évêché. Il sera plus tard chambellan de Charles III.
(141) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 11 (en partie reproduit par H. LEPAGE dans M.S.A.L. 1869, p. 45) ; B. N., Collect. de Lorr., 258, fol. 34, 35. Aucune de ces copies n’est datée. Ce règlement a été fait certainement entre août 1545, puisqu’il émane des deux tuteurs, et février 1548, où de nouvelles mesures, que nous allons dire, sont prises pour assurer son application; probablement peu après la session d’Etats de novembre 1545 dont il est la suite naturelle.
(142) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 24. La convention entre les tuteurs est datée du 4 février 1547, la ratification par Charles-Quint du 4 février 1548. C’est que les premiers suivent l’usage lorrain de commencer l’année à l’Annonciation, le dernier l’usage de l’Empire de la commencer à Noël. Les deux actes ont donc été faits le même jour, 4 février 1548 de notre calendrier. D’autres documents nous apprennent, d’ailleurs que ce voyage de Chrétienne à Augsbourg est bien de 1548.
(143) DRUFFEL, t. I, p. 68, n° 107.
(144) Papiers d’état de Granvelle, t. III, p. 215-237.
(145) Du BOULLAY, La vie et trespas, fol. A a 3 v°.
(146) Du BOULLAY, Les généalogies, fol. G 4 ; La vie et trespas, fol. O 1 v°.
(147) Sur ces deux personnages, voir R. H. L., 1934, p. 121-123.
(148) Hist. de Lorr., t. V, col. 670. - CHEVRIER, Hist. de Lorr., t. IV, p. 159, écrit: une foule d’Allemands et de Flamands, ce qui est une exagération manifeste.
(149) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 657.
(150) PARADIN, p. 35.
(151) Du BOULLAY, La vie et trespas, fol. E e 2-4; CLESSE, Dorothée de Lorraine, dans Mém. de l’Acad. de Stanislas, 1873, p. 152- 160.
(152) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 230; CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 652, paraît croire que cette restitution du collier ne se fit qu’en 1546, après les obsèques du duc.
(153) Arch. M.-et-M., B 1077, fol. 80-81, 105.
(154) La vie et trespas, fol. F f 1.
(155) CALMET, Hist. de Lorr., t. V, col. 639.
(156) CALMET, Hist. de Lorr., col. 640-652.
(157) Recherches sur les pompes funèbres...
(158) Papiers d’état de Granvelle, t. III, p. 237.
(159) DONNADIEU, p. 115-116, 127.
(160) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 18-20.
(161) Ibid., B 1088, fol. 88 (compte de 1551).
(162) Charles LEPOTS, Makarismos, p. 88.
(163) En effet, dans le compte de 1557, d’Aguerre et Monthardon, deux gentilhommes, sont qualifiés de gouverneurs et touchent chacun 1,800 francs de gages, tandis que Ligniville, un ecclésiastique, ne perçoit que 600 francs (Arch. M.-et-M., B 1110, fol. 56, 70). Brantôme, également, t. IX, p. 623, donne à Montbardon le titre de gouverneur.
(164) Arch. M.-et-M.. B 1110. fol. 70-72.
(165) B. S. A. L., 1922, p. 78. n. 1.
(166) Lettres patentes du 26 mai 1558, Arch. de M.-et-M., B 32, fol. 97.
(167) Ibid., B 1092. fol. 101, mandements du 3 juillet 1552. - Peut-être doit-on identifier Jaallon au sieur de Jaillon, qui sera plus tard au service de Chrétienne.
(168) Arch. M.-et-M., B. 1088, fol. 89 v°.
(169) Ibid., B 8141, fol. 162.
(170) Ibid., B 1088, fol. 49-51; la dépense en 1551 est de 8.687 francs.
(171) Ibid., B 6662, fol. 76 bis, 83.
(172) Ibid., fol. 86.

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