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1870 - Repli de l'armée française et passage à Blâmont le 8 août (3)


Le Spectateur militaire, 15 février 1902

Souvenirs d’un officier de lanciers

[...]
[août 1870]
Le 8, à la tombée de la nuit, nous arrivions à Blâmont par une pluie battante. On nous fit bivouaquer dans un pré, au nord de la ville, où nous avions de l’eau jusqu’à la cheville. Malgré ces conditions déplorables, on parvint tout de même, tant bien que mal, à s’installer.
Pendant le trajet de Sarrebourg à Blâmont, nous avions été dupes d’une méprise assez bizarre. A un moment donné, le général avait fait quitter la route à la colonne, et nous nous étions formés en bataille face au nord, à 1.500 ou 1.800 mètres de bouquets de bois qui, de ce côté, bornaient l’horizon, et vers lesquels quelques officiers d’ordonnance, entre autres le lieutenant d’état-major Rollet, furent envoyés en reconnaissance au galop. Dans les rangs, on se demandait curieusement ce qu’il pouvait y avoir de nouveau dans cette direction, où l’on n’apercevait rien d’insolite. L’ennemi se trouvait-il donc déjà à notre hauteur, sur notre flanc et si près de nous ? Sans doute, la chose n’était pas impossible, d’autant moins qu’au même instant on entendait gronder le canon du côté de Phalsbourg.
Mais la vérité, qu’on connut bientôt, c’est qu’il n’y avait rien dans les bois suspects, ni au delà, sinon un troupeau de vaches que, de loin, notre état-major avait pris pour un détachement de cavalerie. Si, pendant sa marche, la colonne s’était fait éclairer sur ses flancs, cet incident, quelque peu ridicule, ne se serait certainement pas produit.
Ce jour-là, au moment où nous traversions Blâmont pour aller nous installer au bivouac, j’achetai, à tout hasard, deux bouteilles de vin, que je mis dans mon bissac, et un fagot de bois sec, que mon ordonnance prit sous son bras. Il faut dire qu’étant alors troisième sous-lieutenant de l’escadron je n’avais pas de commandement effectif, et que, pour ce motif, mes camarades m’avaient chargé des soins de la popote. En arrivant au bivouac, je m’occupais donc à peu près uniquement de la préparation de nos repas. Par la pluie, surtout lorsqu’elle tombe à torrents et que le sol est un vrai lac, cette tâche n’est pas précisément une sinécure. Néammoins, cette fois, grâce au fagot et aux bouteilles que j’avais eu la précaution d’acheter en passant à Blâmont, je pus allumer du feu dès la descente de cheval et servir tout de suite un verre de vin chaud à mes camarades, émerveillés de ce tour de force.
Dans les circonstances présentes, mon vin chaud eut un succès prodigieux. Qu’il eût été préparé suivant toutes les règles voulues, je me garderais bien de l’affirmer! Mais, à défaut d’autre mérite, il avait celui d’arriver à point. Or c’est là l’essentiel, même en fait de cuisine.
A propos de cuisine, le bivouac de Blâmont devait me fournir l’occasion de constater combien est mauvaise la viande chaude, c’est-à-dire la viande d’une bête qu’on vient de tuer à l’instant.
Avant de partir de Sarrebourg, et dans l’ignorance où nous étions de notre prochain départ, qui devait être inopiné comme presque toujours, j’avais été envoyé, avec les fourriers des escadrons, au parc de l’administration, pour y chercher la viande nécessaire au régiment. Mais, en fait de viande, il n’y avait que des bêtes sur pied. «  Prenez-en une, me dit l’officier du service des subsistances auquel j’avais remis mon bon de distribution. Choisissez celle que vous voudrez. Prenez un bœuf ou une vache, à votre convenance. Le poids répond à peu près à la quantité de viande qui vous revient. Faites votre choix. » En conséquence, les hommes de corvée se mirent à courir après le troupeau et saisirent une vache, qu’ils amenèrent au bivouac. Malheureusement, au moment où nous y arrivions, le régiment se préparait à partir pour Blâmont. Il fut donc décidé que nous attacherions l’animal à une de nos voitures régimentaires et qu’on l’abattrait en arrivant à destination.
C’est ainsi, en effet, que les choses se passèrent. Mais cette vache, abattue et dépecée dans des conditions déplorables, après avoir fait une étape et au milieu d’un lac de boue, ne devait nous donner qu’une viande détestable. Je ne sais même pas si elle put servir à faire la soupe. En tout cas, le lendemain matin, au moment de la levée du camp, il en restait des débris dans tout le bivouac. Aussi, j’ai toujours regretté d’avoir traîné cette pauvre bête après nous, et ce souvenir m’est encore odieux à l’heure où j’écris ces lignes.
Pour la nuit, il fut commandé un certain nombre de patrouilles. Chargé de l’une d’elles, je devais partir à 10 heures par la route d’Avricourt. Au moment de me mettre en marche, la pluie avait cessé de tomber, mais il faisait un vent énorme, et le ciel était toujours plus noir que de l’encre de Chine. Quatre cavaliers m’accompagnaient. Je les disposai de la façon suivante : deux devant moi, à huit ou dix pas ; les deux autres derrière, à même distance. Les premiers devaient marcher le pistolet haut, s’arrêter tous les trois ou quatre cents pas, écouter un instant, puis se remettre en mouvement d eux-mêmes, sans attendre d’ordre. En patrouille, la nuit, il faut éviter de causer, même à voix basse.
Nous marchions ainsi depuis assez longtemps, et nous étions arrivés vers le milieu du village de Repaix quand, observant à droite et à gauche, je remarquai une maison ou il y avait de la lumière et ou l’on semblait faire du bruit. Je m arrête alors pour écouter, mes hommes en font autant ; puis, sans rien dire, je tire mon revolver de la fonte, je range mon cheval contre la porte de la maison, et, déchaussant l’étrier droit, je donne dans cette porte un grand coup de pied.
Les voix se taisent, la lumière disparaît; je frappe de nouveau, la porte finit enfin par s’ouvrir, et une femme apparaît qui, après m’avoir considéré un instant, me demande qui je suis et ce que je veux.
Je venais de m’apercevoir que cette maison était une auberge.
- Je veux, dis-je à cette femme, savoir ce qui se passe dans votre établissement à cette heure indue. Vous avez des clients, je le sais ; vous allez les faire sortir et me les amener tout de suite.
On se fit naturellement un peu prier. Enfin, trois ou quatre hommes se montrèrent, et je constatai que c’étaient des lanciers du 2e régiment, c’est-à-dire des cavaliers de notre brigade. Ils étaient en petite tenue et avaient quitté le bivouac, en quête, évidemment, de victuailles.
- Vous allez, dis-je à ces hommes, vous placer devant mon cheval, sur un rang, et vous m’accompagnerez jusqu’à nouvel ordre.
«  Jusqu’à nouvel ordre», cela voulait dire jusqu’à mon retour au camp, et, pour le moment, je me dirigeais du côté opposé. Aussi mon injonction ne m’a pas semblé plaire beaucoup à mes nouveaux compagnons. Mais il a bien fallu s’y conformer.
Vous cheminions ainsi, en silence, les chevaux et les hommes à pied pataugeant horriblement, nous arrêtant de temps en temps, écoutant, puis repartant, quand, tout à coup, mes deux éclaireurs poussèrent en même temps un formidable qui-vive, firent feu simultanément sans attendre la réponse et firent demi-tour à fond de train. En passant, ils faillirent me renverser.
M’étant arrêté pour écouter, les deux affolés sont retenus auprès de moi, et j’ai pu alors les questionner pour savoir ce qu ils avaient vu et sur qui ou sur quoi ils avaient tiré.
- Il y a quelqu’un là, devant nous, sur la route.
- Qui ? Voyons, expliquez-vous !
- Un homme à pied.
Je m’avançai, au pas, fouillant de tous mes yeux l’obscurité profonde, le revolver au poing, et je ne tardai pas à découvrir, en effet, un homme, un paysan, qui s’était blotti derrière un des arbres qui bordent la route.
- Que faites-vous là? lui dis-je d’un ton irrité. Avancez au milieu du chemin? Est-ce sur vous que l’on a tiré ? Pourquoi n avez-vous pas répondu au qui-vive de mes hommes? Qui êtes-vous? D’où venez-vous à cette heure, et où allez-vous?
Tout en lui posant ces questions, j’avais pris la précaution de faire miroiter mon revolver aux yeux de cet homme, pour bien lui montrer que je ne plaisantais pas et qu’à la moindre hésitation, au plus petit signe suspect, je le déchargerais sur sa figure.
- Monsieur, me répondit-il, je suis un habitant de Blâmont, je viens de la foire d’Avricourt et je rentre chez moi. Vous m’excuserez si je n’ai pas répondu au cri de vos cavaliers, mais j’ai été surpris, et puis je ne savais trop quoi répondre.
- Avez-vous été touché? Etes-vous blessé?
- Non, j’ai seulement entendu siffler les balles.
- Eh bien, j’en suis fâché pour vous, mais vous allez me suivre. Quand nous aurons suffisamment patrouillé, je vous ramènerai à Blâmont et je m’assurerai alors de votre identité.
Ce qui fut fait. Pendant cette algarade, les hommes que j’avais cueillis à Repaix s’étaient éclipsés, se jetant dans les fossés de la route aux coups de feu de mes éclaireurs et disparaissait ensuite dans l’ombre de la nuit.
Je ne cherchai pas à les rattraper, ce qui eût été d’ailleurs bien difficile à cause de l’obscurité et le terrain étant, en outre, très coupé et très couvert.
En abandonnant le bivouac, ces hommes avaient commis une faute qui pouvait leur coûter cher. En effet, sans la sotte conduite de mes éclaireurs, on les aurait probablement traduits devant le conseil de guerre pour abandon de leur poste en présence de l’ennemi et - qui sait? - condamnés peut-être à la peine de mort. C’est égal, ils ont dû avoir une fière peur !
Commandant URDY

 

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