Bulletin de
la Société Philomatique Vosgienne.
1887-1888
L'ÉVÊQUE DE METZ CONRAD BAYER DE BOPPART DANS LES VOSGES EN 1442
Depuis la malheureuse bataille de Bulgnéville
(2 Juillet 1431), la Lorraine, le Barrois et la province des
Trois-Évêchés étaient ravagés et ruinés par les soldats du comte
Antoine de Vaudémont, par les aventuriers du damoiseau de
Commercy et par la noblesse dans ses querelles intestines.
Il était temps que l'intervention du roi de France, Charles VII,
cimentât à Saint-Mihiel, le 27 Mars 1441, la réconciliation
entre le comte et sa cousine Isabelle de Lorraine, régente du
duché au nom de son mari René d'Anjou. Louis d'Haraucourt,
évêque de Verdun, chercha de son côté à pacifier encore plus
complètement le pays, en faisant jurer au mois d'Août suivant
par les seigneurs lorrains une convention par laquelle ils s'en
remettaient à des arbitres pour toutes les discussions fâcheuses
qui pourraient survenir entre eux.
Mais, malgré les efforts du roi de France et de l'évêque de
Verdun, la contrée continua à subir toutes sortes de
déprédations, soit de la part du damoiseau de Commercy, soit de
la part de quelques seigneurs étrangers à la ligue du mois
d'Août 1441. Les chroniqueurs de la ville de Metz ne manquent
pas de raconter les courses faites dans les environs de cette
ville; les historiens lorrains sont muets sur les maux du même
genre qui se passaient dans leur propre pays. Dom Calmet se
contente de copier les chroniques de Metz, et il se tait sur les
faits et gestes de la noblesse lorraine, et cependant, en 1442,
un an après la convention acclamée avec tant de pompe, trois
petites guerres ensanglantaient le duché : deux vers les sources
de la Vezouse, du Sanon et de la Sarre; la prise du château de
Lignéville, dans les Vosges, signala la troisième (1).
L'évêque Conrad Bayer de Boppart (1415-1459), un des plus grands
prélats qui gouverna l'église de Metz (2), fut le principal
combattant dans ces trois chevauchées; l'une eut lieu contre un
seigneur bourguignon, le bâtard de Vergy; les deux autres contre
les comtes de Blåmont et de Réchicourt, ce dernier relevant
féodalement de l'évêché de Metz. Combien de temps durèrent ces
petites expéditions ? Assez pour incendier quelques villages et
ruiner les gens de la campagne, dont le malheureux sort n'a
jamais préoccupé les chroniqueurs, et cependant leur histoire
est la plus intéressante de toutes.
Ces petites guerres qui n'intéressent que l'histoire locale, ne
sont connues que par les traités de paix qui nous en montrent le
peu de durée et la fin.
TRAITÉ DE PAIX PASSÉ LE 3 MAI 1442 EN LA VILLE DE RABBON (3) PAR
DEVANT HAUT ET PUISSANT PRINCE LE MARQUIS DE BADE, COMTE DE
SPONHEIM, ET EN PRÉSENCE D'AUCUNS DES GENS DU CONSEIL DE TRÈS
HAUTE ET TRÈS PUISSANTE PRINCESSE LA REINE DE JÉRUSALEM ET DE
SICILE, ENTRE CONRAD, ÉVÊQUE DE METZ,ET NOTRE SEIGNEUR FERRY DE
BLAMONT. IL A ÉTÉ ARRÊTÉ ETCONVENU CE QUI SUIT :
1° Toutes guerres et œuvres de fait connues des parties cessent
et sont rejetées en arrière tant par les parties que par leurs
hommes suivants et aidants, alliés et complices.
2° Les compagnons nobles et autres, portant et fréquentant les
armes, faits prisonniers pendant la guerre qui a existé entre
les parties contractantes, seront remis en liberté, de part et
d'autres, à condition de payer raisonnablement leurs dépens.
3° L'évêque de Metz jouira pendant cinq ans de la vouerie de Vy
(Vic), à la condition de payer annuellement une somme de 70
vieux florins d'or à Ferry de Blamont qui, après les dites cinq
années, rentrera dans la propriété de cette vouerie.
4° L'évêque mettra le sieur Ferry en la possession des 300
florinsd'or qui lui sont dus par lettres sur les salines de
l'Evêché.
5° « Nulz noviaulz owraiges ne se doit faire par les ungs sur
les autres, mais se doient cesser se aucun en avoit commenciez
jusque à ce qu'il en sera déterminer et pourter fuer de ce que
faire sen devera pardevant ladicte Royne ou son Conseil en la
duchié de Lorraine. »
6° Les autres demandes et querelles devront être portées devant
la Reine et être jugées conformément aux us et coutumes de la
Cour de Lorraine, dans une journée qu'elle tiendra dans son
hôtel ou dans une localité de son choix. Les parties
comparaîtront à cette journée en personne ou par fondés de
pouvoirs suffisamment autorisés.
7° L'évêque de Metz s'engage à faire cesser la guerre que son
neveu Rodolphe et Liébault d'Aboncourt faisaient au Comte de
Blamont, et celui-ci prend le même engagement à l'égard de la
guerre que Jeoffroy de Turquestein (4) faisait à l'évêque.
Scellé des sceaux des parties indiquées ci-dessus et de ceux de
Jacob, margrave de Bade, Jean, seigneur de Fénétrange, Jacques
de Haraucourt, Wary de Fléville, Thierry Bayer, François de
Chambley et Hanry Hanse.
En marge est écrit : « Il est paié de la some ctenue esd. lres »
(contenues esdites lettres.)
Trois semaines après la paix faite avec le sire de Blâmont,
l'évêque se raccommodait avec un seigneur bourguignon qui avait
assisté à la bataille de Bulgnéville et qui détenait la ville de
Darney, au nom du duc de Bourgogne, qui l'avait reçue en gage du
duc René pour sa rançon. Darney ne redevint lorrain que sous le
règne de René II. A l'époque où nous sommes, à la veille de la
guerre des Ecorcheurs en Alsace, ce bourg, habité par le bâtard
Jean de Vergy, était le point d'où ce chevalier brigand
s'élançait pour incendier et voler. Il était fils naturel de
Jean III de Vergy, seigneur de Fouvans; sa femme était Catherine
de Haraucourt. Il s'intitulait seigneur de Soilley, de
Richecourt et de Darney. Le roi Charles VII voulut bien lui
donner des lettres de rémission en 1246 (5).Le bâtard de Vergy
faisait la guerre à l'évêque pour être payé d'une somme de 3.286
francs en or, que les évêques de Metz, Thierry et Raoul de
Coucy, avaient empruntée à Jean de Bourgogne, seigneur de
Fouvans, et à lui due par suite du transport que lui avait fait
son frère Antoine de Vergy, autre bâtard dudit. Il réclamait en
outre au prélat une autre somme de 6.000 vieux florins du Rhin,
due tant par l'évêque que par son frère Thierry Boppart, Henri
Boppart son neveu, Oulry de la Roche (6), Ferry de Parroy,
Jacques de Raville et Andrewin d'Olliocourt (Oriocourt) à
Guillaume de Dommartin, seigneur de Thieullen (Thuillières ?),
et à Jehan bâtard de Vergy ; mais à l'intervention du duc de
Bourgogne on avait réduit les deux sommes à celle de 3.000 vieux
florins du Rhin, qui devaient être payés par le prélat au
bâtard, soit à Darney, soit à Richécourt, en trois termes :le
premier, à Noël 1442; le second, à la Nativité de saint
Jean-Baptiste de l'année suivante, et le troisième, à Noël même
année.
Le 20 Mai 1442, les deux adversaires convenaient en outre :
1° De mettre fin à toute guerre, destruction, débats, oeuvres de
fait et de ne jamais inquiéter les alliés de l'un ou de l'autre
parti;
2° Le bâtard de Vergy et Louis d'Amoncourt doivent remettre,
contre décharge valable, entre les mains des héritiers de
Lignéville, la maison et forteresse dudit Lignéville, dont ils
se sont emparés pendant la guerre, sans que ceux-ci ne soient
autorisés à exercer aucune réclamation contre les sujets servans,
aidans, alliés et complices desdits de Vergy et d'Amoncourt;
3. Les compagnons d'armes pris pendant la guerre et tous les
autres prisonniers seront remis en liberté, à charge par eux de
payer les dépenses auxquels ils ont donné lieu.
En marge de l'original on lit que l'évêque tint sa parole :
« La some est paiée et la Ire (lettre) rendue avec quiet (ance).
Outre ces deux guerres, dont l'une contre le bâtard de Vergy se
passait dans les Vosges, assez loin de Raon-l'Etape, l'évêque
avait encore des hostilités dans l'intérieur de son évêché. Les
frères Jean et Rodolphe comte de Linange, Daboet de Réchicourt
tenaient la campagne contre lui; ils étaient les alliés du sire
de Blamont, dont le château n'est qu'à deux lieues de Réchicourt.
Le traité de paix eut lieu le jeudi avant la fête de saint
Kilian 1442, et les arbitres furent, pour l'évêque, Ferry de
Parroy, et pour les comtes Hans Vaffeler, de Bischoffsheim,
prévôt de Sarrebourg, etc.
La paix est signée ; on indemnise les gens d'armes pour leurs
chevaux et leurs harnais perdus; mais qui rebâtit les chaumières
brûlées ? Qui rend les instruments de labour détruits ? Qui
restitue les boeufs volés ? Disait-on déjà à cette époque, comme
de nos jours : « C'est la guerre ! »
A. BENOIT.
(1) Archives départementales. Metz, G. 2, P. 35
(2) D'après les Annales de Metz, il était homme grand, «
mesneger, aimable à ses amis, rigoureux à ses ennemis. » Henri
d'Anjou le récompensa d'une singulière façon pour tout ce qu'il
avait souffert pour lui. L'évêque avait combattu à ses côtés à
Bulgnéville.
(3) Raon-l'Étape.
(4) En 1402, Jean de Vergy était seigneur de Chatillon-sur-Vezouse,
le sire de Blâmont, son allié, fait un accord avec lui pour la
seigneurie de Turquestein, engagée par l'évêque et dont les
habitants s'étaient presque tous enfuis par suite des guerres.
(II. LEPAGE, Turquestein, Nancy, 1886, p. 36.)
(5) E. TUETEY. Les Ecorcheurs sous Charles VII. Montbéliard,
1874, et les Documents sur l'histoire des Vosges.
(6) Le château de la Roche (Stein) s'élève au-dessus de
Bellefosse (canton de Schirmeck). V. les dessins des recueils de
Bazelaire et de Rothmüller. |