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La bière en Lorraine - Henri Lepage - 1885
(notes renumérotées)

Voir aussi La bière en Lorraine sous l'ancien régime - La brasserie en Lorraine


Annuaire administratif, statistique, historique, judiciaire et commercial de Meurthe-et-Moselle
Henri Lepage
Ed. Nancy, 1885


LA BIÈRE EN LORRAINE

LA LÉGENDE GAMBRINALE.
Un imitateur du spirituel autour de L'ancienne Alsace à table a publié, sous un titre plaisant (1), un travail, au fond très sérieux, sur l'histoire de la fabrication et du commerce de la bière. Cette branche d'industrie ayant pris, surtout dans notre région, une importance considérable, il nous a semblé intéressant de faire connaître son origine, ses développements successifs et les règlements auxquels elle fut soumise, particulièrement en Lorraine.
Afin de justifier le titre de son livre, M. Reiber a commencé par le récit d'une légende qui n'est pas absolument étrangère à nos contrées, et que des érudits n'ont pas dédaigné de discuter, «  Un savant belge, dit-il, le Dr Coremans, s'occupa le premier, d'une façon rationnelle et approfondie, de la légende gambrinale. Suivant lui, Gambrinus est la méthathèse de Jan primus, nom d'un duc de Brabant, né en 1251, tué, en 1295, dans un tournoi, à Bar. Souverain éminemment populaire, trouvère flamand et français à ses heures, ses fidèles sujets, les brasseurs de Bruxelles, tinrent à l'honorer comme on honore encore, de nos jours, un souverain aimé, en plaçant son image dans la salle de réunion de leur corporation. C'est cette image, pieusement conservée par la plus importante gilde des brasseurs brabançons, qui fut cause de la transformation postérieure du souverain en brasseur, de Jan primus en Gambrinus... »
» Jean Ier s'intitulait duc de la Basse-Lorraine, de Lothier ou de Brabant. C'était le plus grand joûteur de son siècle... A l'occasion des noces qui devaient se célébrer entre Henri (III), comte de Bar, et Léonore, fille d'Edouard d'Angleterre, il y eut un tournoi solennel, non à Bar, mais à Anvers, où la mariée vint aborder. Jean ler, qui joûtait avec Pierre de Baufremont, perdit son gantelet et eut le bras percé, le 3 mai 1295. Il mourut le lendemain des suites de sa blessure...
» Une autre version assimile Gambrinus au duc de Bourgogne Jean-sans-Peur (1371-1419), autre Jean, qui, en matière de bière et de brasserie, fonda au moins l'Ordre du Houblon. »
Nous ne suivrons pas plus loin M. Reiber dans sa dissertation, si piquante elle soit, sur la légende gambrinale, et la terminerons avec lui par quelques vers, traduits d'un poète allemand, et qui se trouvent le plus souvent placés sous le portrait du monarque :
Vous voyez ce héros, nommé de son vivant
Gambrinus, roi de Flandre, ainsi que de Brabant,
C'est par lui que la bière un jour fut inventée,
En mêlant le houblon à l'orge fermentée ;
Et messieurs les brasseurs ont droit, en bonne foi,
De dire que leur maître et patron est un roi.
Parmi tous les métiers, qu'on nous en cite un autre
Qui puisse se vanter d'avoir un tel apôtre.

LA CERVOISE.
La bière a été précédée par une autre boisson, la cervoise, faite comme elle, avec du grain, - mais en y ajoutant des herbes, - et dont l'origine remonte aux temps les plus reculés. Elle était connue, notamment, des Gaulois, nos ancêtres. L'époque gallo-romaine nous a légué un flacon, conservé à Paris, à l'hôtel Carnavalet, et sur lequel on lit : Hospita, reple lagenam cervisia ! (Hôtesse, remplis de cervoise la bouteille.) - Et les potiers gallo-romains ont inscrit sur des gobelets en terre rouge : Cervesariis feliciter ! (Vivent les cervoisiers !)
Le médecin Jean de Milan, qui composa, pour Robert II, duc de Normandie, vers l'an 1100, le poème hygiénique connu sous le nom d'Ecole de Salerne, lui a consacré six vers, qu'un autre médecin-poète du XVIIe siècle a traduits de la façon suivante (2):
Du vinaigre le goust la cervoise ne sente,
Que claire, transparante et bien cuite elle soit :
Soit faite de bons grains, non trop vieille ou récente,
Ne charge l'estomac de cil qui la reçoit.
Les grossières humeurs la cervoise entretient,
Envoye de la force, et la chair elle augmente,
Elle engendre du sang, le ventre libre tient,
Provoque à uriner, rafraischit, est enflante.
Les traducteurs des textes anciens ont parfois confondu la cervoise et la bière, et exposé ceux qui leur ajouteraient légèrement foi, à commettre une grave erreur.
Ainsi, l'auteur de L'ancienne Alsace à table, d'ordinaire si précis, rapporte que «  lorsque les Missi dominici de Charlemagne inspectaient les provinces du puissant empereur, ils avaient droit à des subsistances. Munis d'une lettre-patente appelée tractatorio, qu'on pourrait qualifier de lettre d'étape, ils requéraient, pour eux et pour leur suite, les provisions nécessaires à un entretien honorable. Cette lettre-patente n'était pas à mépriser. Marculfe nous en a conservé le modèle. Elle leur valait, jour par jour, outre les voitures, une forte quantité de pain blanc, de vin, de BIÈRE, de lard, de viande de boucherie, de porcs, de cochons de lait, de moutons d'agneaux, d'oies, de faisans, de poules, d'oeufs, d'huile, de miel, de vinaigre, de cannelle, de poivre, d'amandes, de pistaches, de fromages, de sel, légumes. »
Un autre historien (3) donne des détails qui nous intéressent plus directement. Parlant de l'état de la Lorraine sous la domination des Carlovingiens, il dit que l'industrie fut à peu près, aux VIIIe et IXe siècles, ce qu'elle était précédemment. «  La fabrication de la BIÈRE et de la cervoise continuait à occuper une multitude d'individus, et ces liqueurs remplaçaient souvent le vin, qui était, à ce qu'il paraît, d'un prix assez élevé. Le chapitre 23 de la règle établie par l'évêque de Metz Chrodegang (742-767), pour les chanoines des cathédrales, mentionne la cervoise. «  Les jours, dit-il, où l'on fait deux repas, les prêtres et les diacres auront trois tasses à dîner et deux à souper... Les jours de jeûne, comme on ne mange pas le soir, le cellerier ne servira le vin qu'à dîner. Si les vins manquent, et qu'on ne puisse fournir la ration tout entière, l'évêque donnera ce qu'il aura... Au reste, il pourra donner de la cervoise en compensation, et ceux qui ne boivent pas de vin recevront une égale quantité de cervoise. »
» ... Enfin (4) dans la donation du domaine de Quincy (5) à l'abbaye de Gorze (en 770), il est fait mention de brasseries. »
Plus loin, retraçant le tableau de la Lorraine pendant la seconde moitié du XIe siècle et le XIIe, le même auteur ajoute : «  Les produits du sol et de l'agriculture étaient les mêmes que dans les siècles précédents ; il paraît seulement résulter des titres qui ont passé sous nos yeux, que la culture de la vigne recevait un notable accroissement, et qu'elle envahissait des terrains jusqu'alors en friche ou destinés aux céréales. Toutefois, on continuait, surtout dans les Vosges, à fabriquer de la BIÈRE et de la cervoise ; et, comme le blé ne mûrit pas dans les montagnes, on se servait d'avoine, à Remiremont, pour la préparation de ces breuvages. »
Avant d'aller plus loin, et au risque d'être accusé de prendre trop au sérieux un sujet futile, nous croyons devoir entrer dans quelques explications au sujet des textes originaux dont la traduction précède.
A lire celle du capitulaire de Charlemagne relatif aux Missi dominici, on serait tenté d'en conclure que la bière était connue dès le temps du grand empereur; or, le texte porte : cervisa, c'est-à-dire cervoise, que l'on trouve également désignée dans les anciens glossaires sous les formes cerevisia, cervisia, cervisa, et cervesa (6).
Quant aux brasseries mentionnées dans la donation de Quincy à l'abbaye de Gorze, elles sont désignées par le substantif latin camba, qui n'a guère d'analogie avec notre mot français. «  CAMBA, dit Du Cange, brassiatorum officina, seu locus ubi cerevisia coquitur et conficitur, quem vulgo brasseriam vel braxstoriam nuncupamus. » - CAMBARIUS, brasiator, seu cerevisia confector (7) ».
D'où il suit que les mots brasseur et brasserie sont antérieurs à celui de bière : ils viennent de brace ou bracium, espèce de grains avec lesquels la cervoise était confectionnée (8).
L'usage de cette boisson se transmit de siècle en siècle et finit par être assez généralement répandu en France : en 1268, les «  cervoisiers » de Paris étaient suffisamment nombreux pour que Saint-Louis crût devoir leur donner des statuts. Charles VIII les renouvela en 1489, et c'est dans ces derniers qu'on voit apparaître le mot de bière à côté de l'ancienne dénomination de cervoise.
La cervoise était connue dans nos contrées, probablement comme ailleurs, dès une époque reculée, autant qu'on peut le présumer d'après ce qui a été dit plus haut; mais, en ce qui concerne spécialement la Lorraine, les documents positifs ne remontent pas au-delà du XVIe siècle. On voit, en 1516, le duc Antoine faire don d'une tonnette de cervoise aux Clarisses de Pont-à-Mousson, dans le couvent desquelles s'était retirée sa mère, Philippe de Gueldres, après la mort de René II ; et il paraît que la fabrication de ce breuvage avait pris, dès lors, une certaine importance dans cette ville, puisqu'il y faisait l'objet d'un impôt particulier. On lit dans un compte du domaine et de la prévôté du Pont, pour l'année 1530 :
«  La gabelle de la servoyse.
«  Ladite gabelle que est telle que ceulx qui vendent servoyse en la ville doibyent de x gros j à nostre souverain seigneur (le duc) à cause de la cervoise qu'ilz vendent, brassée audit Pont et ailleurs.
«  (9) De Nicolas Merlin, pour avoir vendu de la servoise audit Pont, pour l'an de ce présent registre, à luy composé après son serement solennel faict, la somme de xxxvj s.
«  De Hansillon, peletiez, pour la cervoise qu'il a vendu,... par luy déclairé par serement xlviij s.
«  De Jehan, le pâtissiez, pour ladite servoise qu'il a vendu, par luy déclairé par serement iiij s.
«  De Jacquemin Richequort, pour la cervoise qu'il a vendu,... déclairé par son serement viij s.
Au lieu de se contenter des déclarations, peu fidèles quelquefois sans doute, de ceux qui débitaient de la cervoise, le fisc trouva plus avantageux d'en affermer la gabelle; c'est ce que nous voyons dans le compte de l'année 1595 :
«  La gabelle de la cervoise.
«  De Jean le Cusinier dit le Bonnetier, pour le droict de ladicte gabelle, à lui escheu... pour trois ans entiers,... en paiant par chacun an, au jour de Noël, la somme de quarante quatre frans... Ledict droict qui est tel que tous ceulx qui vendent cervoise brassée audict Pont ailleurs, doibvent à Son Altesse de dix gros l'ung de celle qui se vend audict Pont... »
Le compte du domaine de Hombourg et Saint-Avold (10) pour l'année 1583, porte : «  Monseigneur (le duc) at tel droict audict Saint Avold quand l'on mesne servoize vendre hors de la ville, l'on paye de chacune mesure quattre deniers. »
A une époque plus reculée que celles dont il vient d'être question, les «  gouverneurs » de Saint-Mihiel avaient obtenu d'Edouard III, duc de Bar (1411-1415), puis des ducs René II et Antoine, par «  privilèges particuliers, le droict et permissson de faire et vendre bierre et cervoise tant au dedans d'icelle ville que par tous les villages de la prévosté, et mesme en ceulx du bailliage scituez en la banlieue de ladicte ville, avec faculté de pouvoir laisser ledict droit à qui plus (11), avec deffence à tous subjectz de ladicte prévosté et lieux susdicts d'en faire ou vendre sans l'authorité et consentement desdicts gouverneurs,... pour des deniers provenantz de ladicte ferme entretenir les murailles et portes de ladicte ville et subvenir aux frais et autres nécessitez d'icelle... » Ces anciens privilèges furent confirmés par le duc Henri II, le 8 janvier 1611.
Il résulte de ces documents que la cervoise était en usage dans les différentes parties de la Lorraine, et il semble inutile d'en rechercher d'autres exemples.

LA BIÈRE SUCCÈDE A LA CERVOISE. - BRASSERIES A NANCY AU XVIe SIÈCLE.
Le dernier de ces documents est celui où le mot bière soit prononcé pour la première fois ; mais les lettres d'Edouard, de René II et d'Antoine n’existant plus, on ne saurait dire s'il y est réellement exprimé.
Il n'apparaît, en France, que dans les nouveaux statuts donnés par Charles VIII, en 1489, à la corporation des brasseurs de Paris. La brasserie de la capitale y est appelée «  la communauté des cervoisiers et faiseurs de bière. »
L'auteur auquel j'emprunte ce renseignement donne ailleurs, avec la définition de la bière, qu'il appelle simplement a boisson alcoolique houblonnée (12) », l'étymologie de ce mot, qui se prononce bien souvent, et dont peu de personnes connaissent l'origine.
«  Le mot de bière, dit-il, provient de bere. En vieux saxon, bere signifie céréale, et plus spécialement orge (une orge d'Ecosse s'appelle encore aujourd'hui bear, et le mot barley, qui, en anglais, désigne l'orge, rappelle aussi la racine primitive). L'hébreu possède de même le mot beri ou peri, qui veut dire grain... L'orge ayant, de tout temps, joué le principal rôle dans la composition de la bière, il est naturel qu'elle ait servi à baptiser le liquide.
Cette racine bere se retrouve dans brace, mot gaulois servant à désigner l'orge fermentée, ou le malt (13) et d'où dérivent brasser, brasseur, etc.
Il semble assez probable qu'en France, le liquide houblonné se répandit sous le nom de bière, et supplanta celui non houblonné, appelé généralement cervoise.
Quant au houblon, «  à quelle époque est-il venu aromatiser et, en réalité, procréer la bière ? Cette question ne saurait encore être résolue. On en est réduit, pour ce qui la concerne, à des suppositions vagues, étayées de rares preuves historiques... Certains auteurs ont placé, à tort, le houblon dans une description d'Isidore de Séville, qui vivait au VIIe siècle. En l'an 768, il est question de houblonnières (humlonariae) dans une donation faite à l'abbaye de Saint-Denis par Pépin le Bref. Les Capitulaires de Charlemagne ne mentionnent pas le houblon... Du vivant de l'empereur, nous le trouvons dans le Polyptique d'Irminon de l'abbé Irmin de Saint-Germain. Il y est cité, dans les dîmes et redevances, sous le nom de humulo, humelo et humlo... Au IXe et au Xe siècles, le houblon s'employait dans les pays qui forment aujourd'hui le nord de la France... Melchior Sebitz, auteur strasbourgeois, parle des bières houblonnées au XVIe siècle. Il est donc probable, sinon certain, que le houblon était employé en Alsace depuis longtemps... »
En était-il de même pour la Lorraine ? on ne saurait rien dire à cet égard, faute de documents : il est seulement fait mention, en 1618, du houblon récolté dans la gruerie de Jametz (14).
Ainsi qu'on le verra plus loin, la fabrication de la bière avait déjà pris alors une certaine importance en Lorraine, bien qu'elle ne semble pas y avoir été introduite depuis longtemps. Il n'en est pas question, en effet, au moins d'une manière authentique, avant la fin du XVIe siècle.
L'initiative de ce genre d'industrie paraît devoir être attribuée à deux communautés religieuses. En 1588, Charles III fait délivrer 200 francs aux père gardien et Cordeliers du couvent de Nancy afin de les aider à acheter une grande chaudière pour avoir moyen de faire plus grande quantité de bière qu'ils n'avaient accoutumé faire pour le défruit de son hôtel (15). - Une autre somme de 47 francs 6 gros est donnée en aumône, par ordre du duc, aux Cordeliers de Vic, pour les aider à réfectionner «  leur brasserie (16) ».
Il est à supposer que la bière des religieux de Nancy était d'une qualité supérieure puisqu'elle méritait non seulement d'être servie sur la table du prince, mais était encore donnée comme modèle pour son mode de fabrication. En effet, une ordonnance du Conseil de ville réglant la confection de la bière, a telle qu'elle se fait aux Cordeliers », porte : «  Fault, pour une brassée sun brassin), ung resal et demy moyen bled, six resaux d'orge, vingt livres de houbelon ».
Depuis quand les «  brasseries » dont il vient d'être parlé fonctionnaient-elles ? c'est ce qu'on ignore; toujours est-il qu'elles sont les premières que l'on trouve mentionnées.
Dès cette époque, on avait constaté que la bière pouvait être utilement employée pour remplacer le vin dans les années où, par suite de la «  stérilité des vendanges », celui-ci ferait défaut ou serait d'un prix trop élevé. C'est ce qui était arrivé en 1587. Afin de remédier à cet état de choses et «  pour subvenir de boisson tant à ses sujets qu'aux gens de guerre de son armée », Charles III donna commission à Jean Colonnet, contrôleur ordinaire de son hôtel, pour se rendre dans les bailliages de Nancy, Saint-Mihiel, Vosges, Allemagne, Bassigny, Clermont, Epinal et Châtel-sur-Moselle, faire brasser certaine bonne quantité de bière dans les lieux les plus propres et commodes à cet effet, en avoir la surintendance, y faire promptement travailler par ouvriers brasseurs et gens convenables, s'entendre avec eux sur les prix de leur façon, fourniture de bois et houblon, en leur faisant délivrer les grains nécessaires, comme froment ou seigle, orge et avoine, en quantité suffisante.
Cette mesure dut avoir pour résultat la création, sur divers points de la Lorraine, d'ateliers de fabrication, dont quelques-uns n'eurent peut-être qu'une existence momentanée, dont les autres continuèrent à subsister.
Faut-il compter au nombre de ces derniers celui d'un nommé Claude Maître d'hôtel, indiqué, avec la qualification de brasseur, rue du Petit-Bourget, dans le rôle des habitants de Nancy en 1589, ou bien, cet individu n'était-il qu'un ouvrier ? On ne saurait le dire.
Soit que la pénurie de vin eût été extrême en 1587, soit que l'on commençât à prendre goût à la bière, on voit les princesses elles-mêmes user de cette boisson. Le cellérier (17) de Nancy fait dépense, cette année, de cinq bichets de blé délivrés à Mathis, le tonnelier, faiseur de bière, pour servir à faire bière pour l'état (la table) de mes dames ; et de trois resaux un bichet d'avoine à faire bière pour le train desdites dames, c'est-à-dire pour les domestiques de leur maison.
A partir de 1589, le cellérier délivre du blé et de l'avoine, en plus ou moins grande quantité, à faire bière, soit pour l'état de Son Altesse, soit pour le «  deffruit » de son hôtel; ce qui semble faire voir que cette liqueur était devenue un objet habituel de consommation, et qu'il s'en faisait de deux espèces : l’une avec du blé, pour la table du duc et des princes, l'autre, avec de l'avoine, pour les gens à leur service. Cette année, Charles III fit ériger à la ville Neuve une brasserie (18) destinée, sans doute, à fabriquer de la bière pour les troupes, puisque les dépenses qu'elle occasionna furent acquittées par le trésorier général des guerres. Ces dépenses forment trois articles : 769 fr. 6 gros pour 3,600 livres de houblon acheté aux Pays-Bas ; 597 fr. 10 gros pour «  l'érection » de la brasserie, outre 300 fr. qui avaient déjà été fournis pour le même objet; enfin, 300 fr. pour achat d'une chaudière.
La «  brasserie » de la ville Neuve fut «  démontée » en 1591 et «  menée » à la Grande-Maison de la ville Vieille, qui servait de greniers à grains et d'ateliers à la Monnaie ; mais le bâtiment dans lequel elle avait été établie conserva une dénomination qui rappelait son ancienne destination : on la nommait la Bierrerie (19).
L'usage de la bière s'était alors assez généralisé pour que cette boisson devînt matière à impôt. Le 6 février 1590, les Etats-généraux ayant accordé à Charles III une aide extraordinaire pour subvenir à l'entretien de son armée, ils l'autorisèrent à percevoir le dixième denier du vin et de la bière qui se vendraient à la feuillée. - En 1595, les Etats lui accordèrent une nouvelle aide du dixième pot de vin, bière et autres liqueurs potables. - Par ordonnance du dernier avril 1602, le duc imposa, en conséquence de l'octroi que venaient de lui faire les Etats, quatre gros par mois sur chaque ménage contribuable,... outre le huitième pot des vins et bières qui se vendraient en détail.
On voit, par le compte de la levée de cette aide, de 1602 à 1615, que l'impôt ne fut plus ensuite que du dixième, puis du quinzième pot; on le remit ensuite au dixième; il était à ce taux en 1628.
Cette année, les administrateurs de l'aumône générale des pauvres de la ville de Nancy, établie depuis deux ans, remontrèrent à Charles IV que cette institution ne donnait pas tous les résultats qu'on en avait espérés, et que le nombre des mendiants ne diminuait pas, et ils lui soumirent l'idée de créer, sous le titre de subside charitable, un nouveau genre d'impôt sur les boissons, dont le produit serait spécialement affecté à la nourriture et entretènement des pauvres. Le duc, agréant cette proposition, rendit une ordonnance portant, entr'autres articles : «  Outre et par dessus tant l'impost en deniers et le dixiesme pot de vin et de bière qui se lèvent présentement,... il sera prins... sur chacun virlin de vin de Lorraine, seize gros... Quant à la bière qui entrera et celle qui sera brassée en ladicte ville de Nancy, se payera pour icelle la moictié du subside sur le vin, et ce, à raison des tonneaux, vaisseaux et fustailles èsquels elle sera mise... » Après avoir réglé le mode de perception des droits sur les boissons qui entraient en ville, le duc ajoute : «  Et parce qu'il se brasse aussi de la bière audit Nancy, principalement quand il y a peu de vin, nous ordonnons aux brasseurs de ladicte bière qu'à celuy des bureaux (de perception) qui sera le plus proche de leurs logis, ils payent comptant, pour icelle bière, ledit subside par tonneau, chacun selon la fustaille qu'il fera... »
Il ne paraît pas que l'on débitât de la bière dans les établissements publics, car les ordonnances de la Chambre de ville relatives à la police des hôteliers et cabaretiers, n'en parlent pas.

ORDONNANCES SUR LA FABRICATION ET LA VENTE DE LA BIÈRE. - LA BIÈRE DES BÉNÉDICTINS DE DIEULOUARD.
A partir du XVIIe siècle, la fabrication et la vente de la bière commencent à prendre de l'extension, et l'on voit même des brasseurs étrangers importer leur industrie en Lorraine (20). Il y en avait d'autres qui, sans connaître leur métier ou pour faire des profits illicites, façonnaient de la mauvaise boisson, nuisible à ceux qui en faisaient usage. Afin de remédier à cet état de choses, le duc Henri II rendit, le 6 octobre 1609, une ordonnance qui, sur certains points, mériterait d'être mise en vigueur aujourd'hui.
«  Nous ayant été remontré, dit-il, qu'il se commet de grands abus à la vente et confection des bières, soit par l'ignorance d'aucuns qui s'ingèrent d'en faire et brasser sans en savoir bien la façon, soit par la malice et convoitise d'autres qui, pour en tirer plus grand gain, n'y mettent et emploient tout ce qui, pour les rendre bonnes et saines, doit y entrer ; d'où arrivent et peuvent arriver journellement plusieurs inconvénients préjudiciables à la santé de ceux qui usent de cette boisson, et à la bonne foi et charité qui doit empêcher nos sujets de ne se circonniver et surprendre les uns les autres, on vendant leurs denrées à plus haut prix que de raison ;... prohibons et défendons très-expressément à toutes personnes, soit sujets ou étrangers, de s'ingérer dorénavant à faire et brasser aucune bière dans nos villes, bourgs et villages, sans notre expresse licence et commission, à peine, contre les contrevenants, de cent francs d'amende pour la première fois, de 200 francs pour la seconde, pour la troisième de 400 francs, et de plus grande et arbitraire pour la quatrième et les autres suivantes. Le tiers desdites amendes applicable au rapporteur, et les deux autres tiers à nous, outre la confiscation qui nous en reviendra, sur chacune contravention, des bières faites et des provisions, chaudières, cuves, tonailles et autres ustensiles à les faire, dont les contrevenants seront trouvés saisis.
» Et afin que, d'ici en avant, notre peuple et nos sujets soient bien et duement servis desdites bières, nous avons ordonné diverses commissions être expédiées à aucuns nos brasseurs et ouvriers d'icelle, pourvus de suffisance, fidélité et expérience en ce métier, pour en faire et brasser en telles de nos villes, bourgs et villages où nous jugerons y avoir besoin, et desquels commis, nosdits sujets qui voudroient en user auront doresnavant à les acheter au prix que, de trois mois en trois mois, lesdites bières seront taxées par tels de nos officiers des lieux à qui il appartient connoître et ordonner de la police des vivres...
» N'entendons, néanmoins, nos présentes défenses avoir lieu à l'égard des corps, collèges et couvents qui vivent en communautés et en dépenses communes, auxquels il sera libre de faire bière chez eux, pour leur usage seulement, comme aussi pour l'égard de notre hôtel et des maisons de notre cher frère et de notre très-chère soeur, on chacune desquelles il pourra y avoir tels brasseurs de bière que bon leur semblera, pour le défruit d'icelles tant seulement. »
Comme il arrive toujours, des gens peu scrupuleux imaginèrent d'aller fabriquer de la bière au dehors et de l'apporter ensuite pour la vendre. Afin d'empêcher cette fraude, le duc promulgua, le 16 janvier 1610, une nouvelle ordonnance ainsi conçue :
«  ...Etant avertis qu'aucuns, pour frauder notre intention (exprimée dans l'ordonnance précédente), font dessein d'aller faire et brasser bières à leur fantaisie et telles qu'ils voudront, en divers lieux particuliers, pour les apporter ensuite às villes, bourgs et villages où il y aura brasserie établie par nous ou par nos commis, pour y vendre ou autrement consommer lesdites bières faites ailleurs, et, par ce moyen, non-seulement nuire à nosdits commis, mais aussi continuer toujours à tenir autant de portes ouvertes auxdits abus ;
» Nous, pour à ce obvier, avons, par forme d'ampliation de notre précédente ordonnance, fait défenses très-expresses à toutes personnes, de quelques qualités et conditions qu'elles soient, d'apporter ou faire apporter en nosdites villes, bourgs et villages, sans en avoir obtenu la permission de nous, et que leurs bières ne soient reconnues et approuvées bonnes et loyales par les officiers des lieux, et leurs prix taxés par iceux, à peine, contre les contrevenants, de 10 francs d'amende pour la première fois, de 20 pour la seconde, de 40 pour la troisième, et de plus grande et arbitraire pour la quatrième, et outre, et par chacune fois, de confiscation desdits bières... »
Sur les remontrances qui lui furent faites par ceux auxquels il avait commis «  l'égard, soin, charge et surintendance des brasseries », que les ordonnances précédentes étaient impuissantes pour empêcher les fraudes, Henri II les renouvela par sa déclaration du 28 avril 1614, et augmenta le taux des amendes. Il réitéra, en outre, la défense faite aux «  corps, collèges et communautés » de vendre de la bière qu'il leur avait été permis de fabriquer pour leur consommation.
En vertu de l'ordonnance de 1609, le droit de confectionner de la bière fut amodié ou affermé à des individus que l'on avait sans doute jugés capables de servir convenablement le public. C'est ainsi qu'en 1617, Me Jean Courtois, brasseur à Blâmont, obtint le privilège (21) de fabriquer de la bière dans cette ville pendant une année, comme plus offrant, moyennant 20 fr.
Les comptes de tous les receveurs des domaines ou prévôtés contiennent des chapitres de «  recette en deniers de la bière vendue en l'office » ou «  de l'amodiation de la ferme et faculté de faire bière ». Tels sont les comptes des domaines d'Amance, Lunéville, Marsal, Fénétrange, Saint-Nicolas; - d'Arches, Charmes-sur-Moselle, Dompaire, Saint-Dié et Raon-l'Etape, Mirecourt, Châtel-sur-Moselle (Vosges) ; - de Saint-Avold (22), Bitche, Sarreguemines, Sarralbe (Moselle); - de Jametz (23) et Apremont (Meuse); - de Vaudrevange (24) et du Val de Lièpvre (25); d'où il résulte que la fabrication et la vente de la bière avaient lieu dans un grand nombre d'endroits.
Ajoutons que les Soeurs-Grises d'Ormes consommaient de celle qui se faisait à Vézelise, Bayon et Mirecourt.
En 1621, sans doute pour simplifier les opérations du fisc, Henri II imagina d'affermer à un seul adjudicataire le privilège de fabriquer et de vendre de la bière dans toute l'étendue de ses Etats, soit par lui-même, soit par ceux qu'il déléguerait à cet effet. Le traité suivant, dans lequel le duc expose les motifs de sa détermination, fut passé, en conséquence, le 21 avril de cette année :
«  Ayant trouvé, dit-il, util et expédient, pour le bien de nostre service, de vendre, pour quelque quantité d'années, le pouvoir de faire des bierres dedans nos païs à quelque personne idoine et capable qui, en accommandant le public, soulage noz subjectz ez nécessitez qu'ilz pourroient avoir de vin ou autre boisson nécessaire ; et, s'estant présenté à ce faire nostre cher et bien amé Claude Martin, commis de la batterie (de cuivre) de ceste nostre ville de Nancy, nous avons fait traicter et convenir avec.luy à la somme de dix huict mil frans pour neuf années, à raison de deux mil frans chacune... Et moyennant quoy, nous luy avons vendu, ceddé et transporté... le pouvoir de faire et vendre, par luy ou ses commis et députés, privativement de tous autres, lesdites bierres dans nosdits païs, en ce qui est de haultes justices seulement où nous n'avons point de comparsonnier ; icelles bierres bonnes, léalles et marchandes, et à prix raisonnable, en sorte que nostredit peuple en soit soulagé, comme dit est, avec deffense espresse à tous autres d'en faire, à peine de cent frans d'amende, applicable, le tier à nous, le tier audit Martin et l'autre tier au rapporteur, et de confiscation desdites bierres à nous seul, contre ceux qui en feront sans saditte permission... »
Claude Martin ne renouvela pas son bail, qui expirait en 1630, il se contenta de prendre à ferme, pour six années, à partir de cette dernière, la confection de la bière dans l'office de Nancy, moyennant la somme de 693 francs par an.
En 1656, Basile Mus et ses associés étaient entrepreneurs de la faciende de la bière, tant à Nancy que dans la banlieue, on ne sait à quelles conditions.
Ils avaient pour successeur, en 1666, Toussaint de Mory, l'un des ancêtres de Mory d'Elvange, auquel Charles IV fit donner quittance de la somme de 1350 fr., à laquelle montait le prix de sa ferme de la faciende des bières de la ville de Nancy, pour les trois premiers quartiers de 1666, pour pareille somme qu'il avait rabattue sur quantité de draps de Hollande, noirs et blancs, par lui fournis au duc.
Ce chiffre prouve que la consommation de la bière, au moins dans la capitale, avait pris d'assez notables proportions. Cette boisson semble même être devenue le complément obligé d'un grand repas : c'est ainsi que l'on voit figurer la bière, des pipe; et du tabac dans les dépenses de festins que donnèrent Messieurs du Conseil de ville, les 1er et 2 juillet 1636, à plusieurs personnages marquants. Les quatre pots qui leur en furent servis ne coûtèrent que deux francs, ce qui est bon marché auprès de ce qu'on les paierait aujourd'hui.

Le mémoire ne dit pas d'où provenait la bière dont nos édiles régalèrent leurs hôtes; peut-être était-ce de Dieulouard, où des Bénédictins anglais, chassés de leur patrie par la persécution religieuse, étaient venus s'établir au commencement du XVIIe siècle. Afin de se procurer, tant pour eux que pour les jeunes gentilshommes de leur pays, qu'ils avaient en pension, une boisson à laquelle ils étaient habitués, et se créer une ressource qui augmentât leurs revenus, ils se mirent à fabriquer de la bière, qui acquit bientôt de la renommée (26). Par une dérogation aux ordonnances interdisant aux communautés religieuses la vente de celle qu'elles façonnaient, ils obtinrent le privilège de distribuer la leur dans toute l'étendue de la Lorraine, en payant toutefois une redevance aux fermiers du droit de faciende de l'office dans lequel aurait lieu la distribution.
Ces derniers, néanmoins, cherchèrent souvent à les inquiéter dans l'exercice de leur privilège, et il intervint plusieurs arrêts qui les y maintinrent.
Leurs produits, paraît-il, étaient bien supérieurs à ceux qui sortaient des autres brasseries ; la Cour et les «  principaux sujets des Etats » en fournissaient «  leur boête, n'en trouvant pas plus près de la bonne à leur gré ».
Un des principaux clients des Bénédictins devait être le sieur Fiacre Léguiader, dit Launay, l'un des chefs de cuisine de l'hôtel de François III et aubergiste à Lunéville, aux Armes d'Angleterre. Il donnait à manger aux cavaliers qui suivaient les cours de l'Académie, notamment aux seigneurs anglais, lesquels, ne trouvant dans cette ville aucune bière à leur goût, en envoyaient chercher à Dieulouard. Il en fut consommé jusqu'à 144 mesures chez Launay, pendant les six premiers mois de l'année 1735.
Jusqu'à l'époque de leur suppression, les Bénédictins furent maintenus dans le privilège de vendre leur bière par toute la Lorraine, en payant les droits auxquels ils avaient été cotisés, et cette boisson conserva sa vieille renommée. Un auteur contemporain (27), à même de l'apprécier, fait connaître les qualités qui la distinguaient, en donnant quelques détails intéressants sur la branche d'industrie dont nous nous occupons.
«  On ne brasse, dit-il, de la bierre qu'à Nancy et à Dieulouard et dans quelques contrées voisines de l'Allemagne, encore dans quelques couvens de religieux (28) pour leur usage, quand le vin manque. Notre peuple en général ne connoit la bierre que de nom...
» La bierre fait, après le vin, l'article le plus considérable pour l'usage. Les matières qui la composent sont les grains, blés barbus et orges, des houblons et de l'eau... La brasserie principale de Lorraine est celle de Nancy ; il en est plusieurs dans la Lorraine allemande et dans les parties limitrophes du duché de Luxembourg. La brasserie de Dieulouard, tenue par des Bénédictins anglois et irlandois, doit passer pour lorraine... La bierre de Dieulouard approche de celle d'Angleterre en goût et en force, elle pétille comme du vin de Champagne mousseux, supporte le mélange de l'eau, se conserve longtemps et se transporte sans altération. Nos grains, nos eaux, notre air, font ses qualités... Après la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy, qui est de bonne qualité...
» La bierre se vend dans l'intérieur de la province et au dehors, et le houblon s'envoie également chez l'étranger, lorsqu'il est d'une qualité qui le fait désirer, comme est celui d'Angleterre, de Bohême, de Liège, etc... C'est une boisson saine, lorsqu'elle est bien faite ; elle porte avec elle son agrément et son indemnité, étant fort substantielle... »
«  Lorsqu'elle est bien faite », c'est ce que l'on pourrait dire de beaucoup de bières de nos jours, auxquelles manquent cette qualité et plusieurs autres.

LA BRASSERIE DE NANCY AU XVIIIe SIÈCLE.
La citation qui précède nous conduit tout naturellement à parler de la brasserie de Nancy ; mais il convient auparavant rectifier et compléter ce que dit l'auteur auquel elle est empruntée.
A l'entendre, on n'aurait fabriqué de la bière, en Lorraine, au siècle dernier, qu'à Nancy, à Dieulouard, et dans quelques contrées voisines de l'Allemagne et du grand duché de Luxembourg. Sans doute, la fabrication de cette boisson avait dû se répandre dans ces régions, dont le sol est généralement peu favorable à la culture de la vigne ; mais elle avait également lieu ailleurs.
C'est ce qui ressort positivement de la déclaration de Léopold, du 3 décembre 1717, portant concession de divers octrois aux villes de ses Etats. Ayant reconnu, notamment, que la plupart des droits qui s'y levaient étaient extrêmement onéreux à ses sujets, que plusieurs d'entre elles avaient quantité de petits droits contraires à la liberté, qui donnaient lieu à des vexations continuelles de la part de ceux qui étaient chargés de les percevoir, il supprima tous ceux qui avaient été établis par ses prédécesseurs et accorda à ces villes, pour six années, de nouveaux droits d'octroi, portant en partie sur les liquides. Ils furent, pour la plupart, d'un franc par mesure de vin qui se vendrait en détail, deux francs par mesure d'eau-de-vie (29) qui se vendrait en gros, six gros par mesure de bière ou de cidre qui se vendrait en détail.
La nomenclature des localités ou ces droits furent établis embrasse presque toutes celles de la Lorraine et du Barrois qui avaient quelque importance ; on y trouve, pour nous borner à notre département, Saint-Nicolas, Rosières, Blâmont, Vézelise, Briey, Nomeny, Einville, Pont-Saint-Vincent, Badonviller, Deneuvre, Conflans, Longuyon, Norroy-le-Sec, Sancy, Pont-à-Mousson, Thiaucourt et Lunéville.
En 1715, Léopold avait accordé à Pierre Batifol, son premier valet de pied, pour sa vie durant, «  le droit de faciende des bierres o dans cette dernière ville et la prévôté, à l'exclusion de tous autres, en payant annuellement au domaine un cens de 100 francs.
Le 24.juillet 1734, le sieur La Guerre, intéressé dans la ferme des domaines réunis de Lunéville, laissa, à titre de bail, pour six années, à Valentin Goutt, l'un des valets de pied du duc François III, les droits de la ferme des bières qui s'y encavaient et s'y consommaient, moyennant 650 francs par année.
Il y avait dans cette dernière ville, en 1738, un brasseur, Nicolas Dorvaux, et un autre, Jean Sparre, à Viller.
On les voit se joindre à Launay dans une contestation qu'eut celui-ci avec le sous-fermier de la faciende des bières à Lunéville, pour avoir déposé chez lui des bières étrangères sans avoir fait la déclaration et payé les droits. Un arrêt du 5 juin 1739 fit défenses à toutes personnes, autres que les religieux fondés en privilèges, de brasser ou faire brasser aucunes bières dans l'étendue de l'office de Lunéville, sans la permission du fermier, à peine de confiscation et de cent francs d'amende. Launay fut condamné à acquitter les droits, à une amende de dix francs et aux dépens.
Des contraventions du même genre, et qui prouvent encore que la fabrication et la vente de la bière n'étaient pas limitées à quelques parties de la Lorraine, provoquèrent, en 1751, des plaintes de la part des sous-fermiers des domaines de Sarreguemines (30), Bitche, Lixheim, Saint-Avold, Marsal, Saint-Mihiel, Koeurs, Hattonchâtel, Apremont, Rembercourt-aux-Pots et dépendances. Le Conseil des finances y fit droit et rendit, le 6 mars, un arrêt portant que les ordonnances des années 1609, 1614, etc., seront suivies et exécutées selon leur forme et teneur ; en conséquence, fait défenses à toutes personnes autres que celles fondées en privilèges à elles pour ce spécialement accordés, de brasser ou faire brasser aucunes bières dans l'étendue des Etats de Sa Majesté sans la permission du fermier ou des sous-fermiers des domaines, à peine de confiscation et de cent francs d'amende pour chaque contravention. Fait pareillement défenses, sous lesdites peines de confiscation et de cent francs d'amende, à toutes personnes, de quelque qualité et condition elles soient, d'encaver, consommer, vendre et débiter aucunes bières, soit étrangères ou autres, dans toutes les villes et lieux des Etats, sans en avoir fait leur déclaration préalable, du lieu de la fabrication de ces bières, et sans en avoir acquitté les droits envers le fermier ou ses sous-fermiers, sur le pied de deux francs par pièce de cinq mesures et au-dessous, et au cas qu'elles excèderaient cinq mesures, à raison de six gros par mesure d'excédent... »
En 1777, un nommé Hubert Michelant avait créé une brasserie à Epinal, au moyen d'un abonnement contracté par lui avec le sous-fermier du domaine, à raison de 108 livres par an. Mais, deux ans après, il dut renoncer à son établissement, Jean Mangeot, marchand brasseur en cette ville, ayant obtenu, par arrêt du Conseil d'Etat, le droit exclusif de faciende et débit de toutes espèces de bières dans l'étendue des ville et banlieue d'Epinal, pour en jouir, par lui et ses successeurs, pendant cinquante années, à charge de payer au domaine une redevance annuelle de 300 livres, cours de France, et de laisser les Bénédictins de Dieulouard jouir de leur privilège, en acquittant les 3 gros par mesure, ainsi qu'ils y étaient obligés. Il fut néanmoins permis aux bourgeois d'Epinal d'acheter hors de la ville et d'introduire des bières pour leur consommation, en payant les droits d'encavage, fixés par l'arrêt du 6 mars 1751 (mentionné ci-dessus); avec défense d’en introduire et encaver chez eux pour les marchands et débitants, à peine de 50 livres d'amende, par chaque mesure, au profit de Mangeot ou de ses ayant droit.
Michelant transféra son industrie dans la partie lorraine (31) de Sainte-Marie-aux-Mines, et obtint, en 1788, le même droit que Mangeot, aux mêmes durée et conditions, mais sous une redevance de 100 livres seulement.

Il faut croire que le commerce de la bière était assez lucratif, puisque des gentilshommes eux-mêmes ne dédaignaient pas de s’y livrer. Suivant les ordonnances de Léopold et des arrêts de la Chambre des Comptes, ceux qui résidaient dans les sept prévôtés de la Voivre (32) étaient tenus de verser au domaine les mêmes droits que les roturiers pour toutes les bières qu'ils feraient brasser, soit dans les Etats du duc, soit ailleurs. En 1727, un sieur Papigny, seigneur du fief de Clermarey (33), ayant refusé de les acquitter, fut poursuivi par le sous-fermier du domaine de Villers-la-Montagne (34), et condamné à les payer, par arrêt du Conseil, du 2 avril de cette année.
Par lettres patentes du 15 septembre 1716, Léopold avait permis au Rhingraff de Dhaune, seigneur de Puttelange, d'établir dans cette terre un brasseur flamand, «  pour, y est-il dit, y faire de la bière de la qualité de celle de Flandre, pendant douze années, avec défense à toute personne d'en faire de pareille à huit lieues de distance de Puttelange; à charge par ledit brasseur flamand qui serait ainsi établi, de payer tous les droits dus au domaine, tant pour la façon, vente que débit, le tout sans préjudice aux autres brasseurs qui voudraient faire de la bière ordinaire, de continuer comme du passé ».
En 1746, François-Joseph comte de Custine, seigneur de Guermange (35), grand fauconnier de Stanislas, obtint la permission de faire brasser telle quantité de bière qu'il jugerait à propos, dans la brasserie qu'il avait fait construire sur le ban de ce village, et de la vendre et débiter, en payant un cens annuel de 30 livres entre les mains du receveur du domaine de Dieuze,
Semblable autorisation fut accordée, en 1781, à Amand baron de Bouseck, conseiller intime du prince-évêque de Fuld, seigneur d'Eppelbronn (36), parce que le sol de cette contrée ne permettant pas de cultiver la vigne, les habitants étaient obligés d'aller chercher de la bière sur les terres de l'Empire, ce qui causait une perte au domaine.
Le fisc avait su tirer parti d'une industrie qui, comme on vient de le voir, s'exerçait, au XVIIIe siècle, dans toutes les parties du Barrois et de la Lorraine.

La capitale de cette dernière province n'était pas restée en arrière sous ce rapport. Léopold, jugeant sans doute qu'il était utile de favoriser une telle branche de commerce, avait fait construire à ses frais, proche l'écluse du moulin Saint-Thiébaut, une bierrerie, dont les frais de maçonnerie, charpente, etc., acquittés par lui en 1703, s'élevaient à la somme de 6,235 fr. 9 gros, faisant celle de 2,681 livres.
Sur les entrefaites, un de ses valets de pied, Pierre-Joseph Deschamps, lui fit remontrer a qu'ayant une connaissance parfaite de la faciende des bières, étant originaire de Flandre, et par l'expérience qu'il avait acquise dès sa jeunesse, il désirerait en faire brasser dans ses Etats, de la qualité et de la manière de celle qui se brassait en Flandre, en se servant de brasseurs flamands, qu'il ferait venir exprès pour le seconder dans cette entreprise ; mais, comme il craignait qu'après avoir fait les dépenses d'un pareil établissement, il ne fût frustré du fruit de son travail par d'autres qui pourraient faire brasser et débiter de pareilles bières, il suppliait le duc de lui accorder ses lettres de privilège sur ce nécessaires, et lui faire don de quelque place pour y établir sa brasserie ». Léopold, voulant surtout faciliter, un établissement qui tournerait à l'avantage de ses sujets, accorde à Deschamps, par lettres patentes du 21 août 1702, «  le droit et le privilège de pouvoir seul, et à l'exclusion de tous autres, faire et brasser, dans les ville et banlieue de Nancy, de la bière de la qualité et de la manière que l'on fait en Flandre »; et il lui donne le terrain sur lequel il avait fait commencer un bâtiment propre à y faire une brasserie. Il défend à tous autres de contrefaire lesdites bières et d'en vendre et débiter de pareilles dans les villes et banlieue de Nancy, à peine de tous dépens, dommages et intérêts.
A la mort de Deschamps, cette concession fut continuée à Françoise Fremion, sa veuve, laquelle, par acte du 21 juillet 1721, vendit à Evrard Hoffman, l'un des huissiers du cabinet de Léopold (37), moyennant 9,000 livres tournois, le matériel de la brasserie, le subrogeant en tous ses droits. Celui-ci, voulant augmenter les bâtiments, ce qui devait lui occasionner une assez forte dépense, sollicita et obtint, le 1er avril 1723, la confirmation de la vente et de la subrogation passées à son profit par la veuve Deschamps.
Hoffman était encore propriétaire de la brasserie en 1767, lorsque l'on conçut le projet de faire communiquer la ville Vieille à la ville Neuve par le bastion des Michottes, en ouvrant la rue qui a conservé ce dernier nom. Les maisons portant aujourd'hui les numéros 3 et 5 étaient occupées par l'hôpital militaire, construit en 1724. Cet hôpital parut alors déplacé dans un endroit qui devait être très fréquenté, surtout depuis l'ouverture de la porte Saint-Stanislas, et, par arrêt du Conseil, du 3 juin 1768, le Roi ordonna qu'il fût construit un nouvel hôpital sur une partie des terrains où était la brasserie, en échange desquels on abandonnerait à son propriétaire ceux qu'occupait l'hôpital sur la place dite alors de Grève (38), jusqu'au rempart. En vertu de cet arrêt, ajoute Lionnois, «  le sieur François Hoffman (39) commença cette belle maison qui est vis-à-vis de l'Université, qu'il a vendue depuis peu (40) à M. Mathieu de Dombasle, et derrière, jusqu'au fossé (41), sa brasserie, l'une des plus belles et des plus commodes de France (42) ».
Des mains de François Hoffman, la brasserie passa dans celles de son gendre, Joseph-Alexandre Arnauld de Praneuf, officier au régiment de Schomberg-Dragons, lequel obtint, le 9 septembre 1777, un arrêt confirmant les lettres patentes de 1702, 1723 et 1768, pour, par ledit Praneuf, jouir du bénéfice d'icelles (43) ; il lui est fait, en outre, concession du droit exclusif de faciende et débit « le toutes espèces de bières dans toute l'étendue des villes et banlieue de Nancy, pendant vingt-cinq années, à charge de payer au domaine une redevance annuelle de 300 livres. Les bourgeois eurent la même permission que ceux d'Epinal (44)
Cet arrêt fut rendu à la suite d'une requête qui renferme quelques détails intéressants. Le droit de fabriquer des bières, y est-il dit, les encaver, vendre et débiter, est domanial en Lorraine ; il est établi par les ordonnances de 1609, 1610 et 1614, confirmées par l'arrêt du 6 mars 1751... Le duc François, à son avènement (1724), ayant ordonné la réunion de tous les domaines et droits domaniaux aliénés depuis 1697, le privilège des droits de faciende, encavage et débit des bières, s'y trouva compris ; il fut sous-fermé par le fermier du domaine au nommé Gillet moyennant 1,200 livres, au cours de Lorraine, de canon annuel. Mais le sieur Hoffman obtint un arrêt du Conseil des finances, le 28 décembre 1730, qui ordonna qu'il continuerait à jouir du privilège de la faciende des bières, façon de Flandres, conformément aux lettres patentes de 1702 et 1723, et qui lui permit de fabriquer toutes sortes de bières pendant chacune des neuf années du bail de Gillet, à charge de payer aux sous-fermiers de ce droit 400 livres par chacune desdites années. Hoffman obtint divers arrêts en vertu desquels il fit interdire à tous autres la fabrication et la vente de toutes bières autres que celles de sa brasserie. Il obtint, entr'autres, le 20 août 1732, contre les Bénédictins de Dieulouard, qui fabriquaient des bières façon de Flandres, un arrêt qui en ordonna la confiscation et prononça l'amende...
Lorsqu'en 1768, Hoffman entra en possession des bâtiments de l'hôpital militaire, ces bâtiments étaient en si mauvais état, qu'il fut obligé de les faire abattre et d'en construire de nouveaux, ce qui lui occasionna une dépense de plus de 50,000 livres, pour laquelle il fit des emprunts qui causèrent sa ruine. Dans la vue d'acquitter une partie de ses dettes, Praneuf et sa femme consentirent, par leur contrat de mariage, à prendre la brasserie et les bâtiments sur le pied de 114,000 livres. Ils espéraient en jouir tranquillement, en continuant à servir au domaine la redevance de 200 livres, mais les brasseurs des environs s'étant soulevés contre l'exercice de leur privilège, introduisirent une quantité de bière dans Nancy; ce qui donna lieu à des procès qui se renouvelaient tous les jours. Ce fut afin de les faire cesser qu'ils sollicitèrent et obtinrent l'arrêt rappelé ci-dessus ; il ne reçut qu'une partie de son exécution, la Révolution étant venue mettre un terme au privilège de Praneuf avant qu'il ne fût expiré. Celui-ci n'en continua pas moins à exercer son industrie ; il gérait encore son établissement en l'an IV, ainsi qu'on le voit par le recensement fait cette année ; mais il avait alors sept concurrents, qui devaient lui causer un notable préjudice.

Il semble résulter des documents qui précèdent qu'il n'y eut à Nancy, durant le cours du siècle dernier, qu'une seule brasserie, dans laquelle on ne fabriqua d'abord que de la bière à l'instar de celle de Flandres, puis toutes sortes de bières.
On se demande tout naturellement comment s'écoulaient les produits de cette usine, si remarquable, au dire de Lionnois : il est difficile de répondre à cette question d'une manière satisfaisante, faute de renseignements précis. Ce qui ressort de ceux que l'on possède, c'est qu'ils s'exportaient à des distances assez grandes, eu égard aux moyens de communication qui existaient alors. Ainsi, l'on voit, en 1750, les Cisterciens de l'abbaye de Haute-Seille (45), située à plus de quinze lieues de la capitale, faire venir de la bière de la brasserie d'Hoffman. Les Chanoines réguliers du prieur de Viviers (46), auxquels, paraît-il d'après les comptes de leur dépense, il n'était pas interdit de fumer, buvaient aussi de la bière, mais dont on n'indique pas la provenance. La même chose avait lieu, pour le dire en passant, dans d'autres maisons religieuses, sans que l'autorité ecclésiastique y trouvât à redire.
Mais c'était surtout la consommation sur place qui devait ouvrir des débouchés à la brasserie nancéienne. Cette consommation était devenue assez importante pour fournir à la ville une source de revenus. Celle-ci en affermait l'octroi, qu'elle augmentait à proportion de ses charges (47), et la perception des droits se faisait à peu près de la même manière qu'autrefois par nos agents des contributions indirectes. C'est ce que l'on voit par divers règlements de police, dont le premier est du 24 décembre 1738.
Cette année, un nommé Jacques Millot, qui venait de prendre la ferme de l'octroi sur les vins, bières et eaux-de-vie, demanda à la Chambre de ville le renouvellement d'une ordonnance rendue à ce sujet en 1720, et qu'en conséquence, injonction fût faite à tous cabaretiers, aubergistes, taverniers et autres vendant ces boissons, de lui donner une déclaration exacte et fidèle de celles qu'ils avaient en provision et de continuer ainsi à l'avenir, pendant toute la durée de son bail. La Chambre, faisant droit à cette requête, promulgua un règlement, dont voici les principales dispositions :
Tous habitants des villes et faubourgs de Nancy qui voudront vendre et débiter vins et bières en détail, seront tenus de déclarer au bureau établi par le fermier la quantité des provisions qu'ils en auront...
La déclaration étant faite, le débit ne pourra commencer que le fermier n'ait fait la reconnaissance de la quantité et de la consistance des tonneaux, et qu'il ne les ait marqués de sa rouane, dont l'empreinte sera déposée au greffe de la Chambre.
Tant et si longtemps que les vendants vins et bières feront leur débit, ils seront obligés de tenir la feuillée, ou autrement d'avoir bouchon ou enseigne qui puisse servir d'avertissement au fermier de la continuation du débit.
Tous les vendants permettront l'entrée de leurs caves au fermier ou à ses préposés, toutes les fois qu'ils s'y présenteront, pour en faire la visite et la reconnaissance, sans les insulter, ni quereller, à peine de punition telle qu'au cas appartiendra.
Ce règlement de police, qui fut renouvelé en 1762 et 1763, nous apprend que le débit de la bière se faisait par les cabaretiers, aubergistes et taverniers ; il n'y est pas question des cafetiers, dont les premiers n'apparurent qu'assez longtemps après (48). L'usage du tabac à fumer, encore peu répandu, n'avait pas amené la création des nombreux établissements dans lesquels, on en va «  griller», en absorbant un liquide qui rafraîchit les lèvres et le gosier.
L'absence de cafés permet de supposer que l'on consommait de la bière dans un certain nombre de maisons bourgeoises (49), soit comme agrément, soit de préférence au vin, surtout lorsque de mauvaises récoltes en faisaient hausser le prix.

Dans ces circonstances, on avait encore recours à un autre genre de boisson, dont les documents officiels, antérieurs au XVIIIe siècle, ne font pas mention, mais qui était certainement connue en Lorraine bien auparavant, surtout dans les régions ou le sol ne se prêtait pas à la culture de la vigne : nous voulons parler du cidre.
Par un édit en date du 6 août 1715, Léopold (50) veut que, outre l'octroi et le taxage des vins accordés à la ville de Nancy par le duc René II, en 1504, il soit perçu, sur les eaux-de-vie, liqueurs, vins, bières et cidres qui se vendront en gros ou en détail, savoir : sur la mesure d'eau-de-vie, 2 fr.; sur le pot de «  Ratafiat, Percicot, Vaté, Eau de Canèle, Genièvre, Fleurs d'oranges et autres liqueurs (51), 2 gros par pot; sur chaque mesure de bière et de cidre, 6 gros.
Mais, sur la requête des officiers de l'Hôtel de ville, le duc abrogea cet édit, deux mois après, relativement aux droits à payer par ceux qui vendaient du cidre, des ratafiats et autres liqueurs, dont il laissa le commerce et le débit libres dans cette ville, comme cela était auparavant.
C'est ce qui explique pourquoi il n'est pas question du cidre dans les règlements de police ultérieurs, concernant la perception du droit d'octroi sur les vins, bières et eaux-de-vie.
En 1770, François Hoffman, qui avait pris ce droit à bail de la ville, selon qu'il se levait en vertu de l'arrêt du Conseil, du 26 mai 1763, adressa au Roi une requête dans laquelle il expose «  que les officiers municipaux ne prévoyant pas alors que les vins manqueraient tout-à-coup dans les années suivantes, au point de mettre les bourgeois dans la nécessité d'y substituer le cidre, dont jusqu'alors on n'avait fait aucun usage dans cette capitale (52), ne pensèrent pas même à comprendre cette boisson dans celles sujettes au droit d'octroi qu'ils obtinrent sur les vins, bières et eaux-de-vie; cependant, la rareté et la cherté des vins s'étant fait sentir, principalement en Lorraine, depuis trois ans, le cidre, moins désagréable à boire que des vins de mauvaise qualité, tels que ceux de la dernière récolte, est devenu la boisson ordinaire des bourgeois de Nancy, et leur tient lieu du vin, sujet à l'octroi, en sorte que la préférence donnée au cidre sur le vin, dont il ne se fait plus de consommation, priverait le suppliant de la plus forte partie de son droit et entraînerait bientôt sa ruine entière. Outre ce motif, sa demande est fondée sur l'usage de toutes les autres villes de la Lorraine, notamment de celle de Lunéville, où l'on perçoit sur les cidres, à raison de la consommation qu'il s'y fait de cette liqueur, le droit d'octroi établi sur les vins, bières et eaux-de-vie... Le suppliant se restraint å demander sur les cidres le demi-droit qui se perçoit sur les bières, quoique l'usage du cidre, en arrêtant la consommation du vin, ait diminué celle des bières même... »
Le Roi, faisant droit sur cette requête, rendit, le 31 juillet 1770, un arrêt par lequel il ordonna que l'édit de 1715 serait exécuté selon sa forme et teneur; permit à Hoffman de lever le droit sur les cidres conjointement avec ceux qui lui étaient affermés, et prescrivit que ce droit continuerait à être perçu, à l'expiration de son bail, au profit de la ville.
Les deux boissons, causes de cet arrêt, continuèrent à être simultanément en usage jusque vers la fin du siècle dernier : les cafetiers, limonadiers, vinaigriers, débitants de cidre et de bière, formaient une communauté ayant à sa tête deux syndics et trois adjoints, dont l'élection avait lieu par les maîtres du corps, devant le lieutenant général de police, entre les mains duquel ils prêtaient serment. Les nouveaux entrants à la maîtrise payaient, au moment de leur admission, le quart du droit de réception, montant à 16 livres 13 sous 3 deniers, cours de France. Chaque année, un des syndics rendait les comptes (53) de la communauté en présence et à la participation du procureur du roi au siège de police de la ville de Nancy, ayant la police des arts et métiers.
La bière a fini par détrôner complètement le cidre, et celui-ci n'est plus guère connu que de nom. On ne songe pas à ? recourir, comme il y a une centaine d'années, lorsque les vendanges font défaut ; on préfère des boissons qu'il serait difficile de qualifier, et pour lesquelles il serait bon de remettre en vigueur nos vieilles ordonnances défendant aux «  hostes, » taverniers, cabaretiers et autres «  d'affaicter ny mistionner » leurs vins, sous peine d'amende et de confiscation.

LA BIÈRE EN FRANCE. - LA BRASSERIE DE TANTONVILLE,
Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'histoire de la bière proprement dite, sous cette dénomination, re remonte, en France, qu'à la fin du XVe siècle. M. Reiber lui a consacré plusieurs pages, moitié sérieuses, moitié plaisantes, auxquelles j'emprunterai quelques passages, qui ne se liront peut-être pas sans intérêt.
Les statuts donnés par Charles VIII, en 1489, à la corporation des brasseurs de Paris, furent, dit-il, renouvelés ou confirmés en 1514, 1630 et 1687. «  La brasserie française continuait à vivre, mais non à prospérer. Elle ne fut réellement importante que dans le Nord, vers les Flandres, où cette industrie devint une véritable puissance, et où elle l'est encore...
» Sous Louis XIV, Paris comptait 18 maîtres-brasseurs ; sous Louis XV, en 1750, elle en avait 40, et sous Louis XVI, en 1782, 23 seulement. Leur nombre était de nouveau plus élevé à la Révolution.
» Au XVIe siècle et au XVIIe, Paris employait pour sa bière deux parties d'orge et une partie d'avoine (54). Les coryoisiers de Picardie usaient d'un mélange par moitié d'orge et de seigle. Pour aromatiser le liquide, les uns se servaient de laurier-rose et de gentiane, les autres de sauge, de lavande, de coriandre, d'absinthe, etc.
» Il existe une facétie intitulée : Le Bragardisme et joyeux testament de la bière, dédié aux magnanimes biberons pour les festes de Caresme prenant (Arras, 1611), qui prouve qu'au XVIe et au XVIIe siècle, le vin l’emporta peu à peu sur la bière en France. Dans cet écrit, la bière se reconnaît boisson misérable, ayant causé beaucoup de troubles et de malaises, et fait son testament (55) avant de céder devant le vin. Les brasseurs sont fort malmenés dans l'opuscule en question ; l'épithète de gastebleds est une des plus douces dont ils soient gratifiés.
» Pendant que la France, de plus en plus riche en vins, se déshabituait fort de la bière, l'Allemagne perfectionnait l'ancienne boisson de médiocre qualité et l'amenait peu à peu au degré de finesse qui lui revalut les sympathies françaises. Voici quelques chiffres pour illustrer cette vogue nouvelle de la bière. Paris en but 7,000 hectolitres en 1853, 40,000 hectolitres en 1864, et environ 300,000 en 1881 (56). Cette progression ascendante et phénoménale indique presque une transformation complète de goût et de régime. Il est aujourd'hui réservé à la France d'égaler et de surpasser l'Allemagne (la brasserie strasbourgeoise n'a-t-elle pas conquis sa réputation en faisant partie de la brasserie française), et il lui est surtout réserve de rendre les moeurs gambrinales aimables. La bière française jouit déjà particulièrement d'une grande faveur à l'étranger. C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que nous avons trouvé, il y a cinq ans (c'est-à-dire en 1876), la bière de Tantonville très acclimatée à Tunis. »
Elle va bien ailleurs, et plus loin que Tunis : dans toute la France, d'abord, où elle est recherchée par les établissements de premier ordre, à l'égal des meilleures bières du continent (57); en Corse, en Algérie, en Espagne, en Italie, en Suisse et en Belgique ; des essais d'exportation viennent également d'être tentés pour les Indes anglaises et le Brésil, et ils ont pleinement réussi.
Par suite des développements qu'elle a pris, des perfectionnements qu'elle a reçus, la brasserie de Tantonville est devenue la plus importante de France. De 1500 hectolitres fabriqués en 1840, seconde année de sa fondation, elle est arrivée à dépasser une production annuelle de cent mille hectolitres, qui peut être portée à plus de cent cinquante mille par de récents agrandissements.
Qu'était la brasserie Praneuf auprès de cette gigantesque usine, avec sa ligne spéciale de chemin de fer et son bureau de télégraphe, - choses auxquelles on ne songeait guère il y a cent ans ! - avec ses bacs rafraîchissoirs, ses caves de fermentation, de 1.650 mètres carrés, ses caves à bière, pouvant contenir 50,000 hectolitres ; ces cares glacières, d'une superficie de 6,800 mètres carrés ; ses appareils à fabriquer la glace, en produisant 200 kilos par heure ; etc. (58)
Outre quelques établissements secondaires, d'une date plus ou moins récente, il s'est créé, aux portes de Nancy, dans les dépendances du domaine quasi seigneurial du Sauvoy, une brasserie qui a déjà pris une certaine notoriété. Fondée en 1869 par notre compatriote M. Galland, avec une société d'actionnaires, sous la dénomination de Brasserie Viennoise, et dite ensuite Grande Brasserie de l'Est, elle est arrivée à fabriquer annuellement 67,009 hectolitres; 500 s'exportent en Italie, 60,000 sont envoyés dans diverses parties de la France, 6,500 se vendent sur place.
On peut apprécier la qualité des produits de cette usine en entrant dans le débit contigu à ses ateliers, tenu par un ancien sous-officier de notre armée d'Afrique. C'est, sous ce titre modeste, un vaste café, en avant duquel règne une terrasse plantée d'arbres, d'où l'on jouit d'une vue magnifique sur la vallée de la Meurthe.

La bière, - qui est entrée dans nos habitudes et devenue presque un besoin, ne se vend plus à présent, comme autrefois, uniquement chez les cabaretiers et taverniers, mais dans de somptueux établissements, dont le luxe était aussi inconnu à nos aïeux que le gaz qui les éclaire. Hommes et femmes prennent part à sa consommation, laquelle atteint des proportions fabuleuses.
Si, à l'instar de Deschamps et de ses successeurs, un brasseur pouvait, durant près d'un siècle, jouir du privilège d'en alimenter Nancy et sa banlieue, combien de millions ne gagnerait-il pas !

(1) ETUDES GAMBRINALES. - Histoire et archéologie de la bière, et principalement de la bière de Strasbourg, par Ferdinand Reiber. Berger-Levrault et Cie, éditeurs. 1882.
(2) Dans l'ouvrage intitulé : Le régime de santé de l'escolle de Salerne, traduit et commenté par Maistre Michel Le Long, Docteur en Medecine ... Troisiesme édition.. Paris.., M DC XLIX.
(3) Digot, Histoire de Lorraine, t. I, p. 159, 160 et 363.
(4) Nous avons laissé de côté, à dessein, le passage (p. 160) ou M. Digot parle des soi-disant brasseurs de Verdun bracenses negociatores, qui auraient exercé leur industrie du temps de l'évêque Austramme (801-806). Le savant abbé Clouet a clairement demontré (Hist. de Verdun, t. I, p. 236) que l'épithète bracenses ne signifie nullement brasseurs ; il devrait y avoir braciatores ou brasiatores.
(5) Quincy, Meuse, canton et arr. de Montmédy.
(6) Suivant M. Reiber, cerevisia dériverait de terve, vieux mot d'origine celtique ou gauloise, qui désigne le blé ou le froment. «  Ce mot, ajoute-t-il, s'est conservé dans la région rhénane intérieure, dans terwe. Une circonstance qui nous fortifie particulièrement dans cette opinion, c'est que le bas allemand du moyen âge possédait le mot terwise, qui signifiait en réalité cervoise, c'est-à-dire bière de froment (Weizenbier)... Pline, en affirmant que cervisia est un mot gaulois, prouve d'ailleurs directement que le terme ne vient pas du latin, et indirectement, que ce sont les conquérants romains qui ont latinisé le celtique qu'ils avaient rencontré. »
D'anciens auteurs, cités par Du Cange, donnent pour étymologie à cervoise le nom de Cérès, la déesse des moissons : «  Cerevisiam a Cerere dictam, quasi Cerebibiam, quod Ceres, id est, frumentum cortum bibatus » - «  Cervisia, a Cerere, id est, fruge vocata : est enim polio ex feminibus frumenti vario modo confecta »; c'est-à-dire, en quelques mots : Cervoise vient de Céres, comme si l'on disait bois son de Cerès, parce que c'est un breuvage fait de froment.
(7) En français : Officine des brasseurs ou endroit où la cervoise est cuite et confectionnée, ce que nous appelons brasserie. - Carubier, brasseur ou confectionneur de cervoise.
(8) «  BRACE, dit Du Cange, grani species, ex quo cerevisia conficitur. Bracium idem quod Brace.
En France, brace et bracius se changent en brai, bray, brais, mots vieux français qui signifient plus spécialement malt concassé...
Quant au français malt et å l'allemand malz, ils sont d'origine germanique, et viennent de maleu, qui signifie moudre. (Reiber.)
(9) Sous-entendu : reçu.
(10) Ancien département de la Moselle.
(11) C'est-à-dire aux enchères.
(12) Les savants, dit M. Reiber, la définissent de la façon suivante : la bière est un liquide fermenté, obtenu par la décortion on l'infusion de matières amylacées dues aux céréales, et modifiées par la fermentation; renfermant une certaine dose de houblon, et se trouvant dans un état particulier de fermentation secondaire.
(13) Voy. ci-dessus, p. 15, note 1.
(14) Jametz, Meuse, canton de Montmédy. - Les grueries étaient des circonscriptions territoriales, à la tête desquelles se trouvait placé un agent de l'administration forestière, nommé gruyer, dont les fonctions avaient beaucoup d'analogie avec celles de nos sous-inspecteurs des forêts.
(15) En 1591, une certaine quantité de blé est délivrée à frère Didier, brasseur au convent des Cordeliers, pour bière qu'il avait brasséé pour le défruit de l'hôtel.
(16) Ce terme, ici et plus loin, ne doit pas être pris dans l'acception moderne : il signifie simplement les ustensiles (alambics, chaudières, etc.) destinés à la fabrication de la bière.
(17) Le cellérier était l'officier chargé spécialement de la recette des grains.
(18) En 1590, une «  brasserie » fut établie au château de Hombourg pour faire de la bière aux soldats qui y tenaient garnison.
(19) La maison dite la Bierrerie, avec le meix derrière, sise rue Saint-Dizier, provenant des successions de noble Claude de Fisson et d'Antoinette de Chastenoy, son épouse, fut vendue, en 1662, par les Carmélites aux Dominicains, pour le prix de 5,000 francs.
La Bierrerie, d'après une note que nous communique M. Ch. Courbe, occupait l'emplacement de l'hôtel de Mahuet-Lupcourt (hôtel O'Gorman actuel); elle fut «  démontée » pour rendre du terrain à Alexandre de Chastenoy, qui déclara vouloir y faire bâtir, lorsqu'on distribua ces places à la ville Neuye, de 1591 à 1598, aux particuliers qui en demandèrent pour construire des maisons.
(20) Un nommé Pierre Poirson, «  brasseur de bière » natif de Dinan (Belgique), figure sur l'état des bourgeois reçus à Nancy depuis l'an 1591, comme y étant venu en 1608.
(21) Des. concessions du même genre avaient, sans doute, été faites à d'autres individus, puisqu'elles provoquèrent des plaintes de la part des Etats-généraux. C'est ainsi qu'ils disent, dans un des «  griefs présentés au duc lors de leur session de 1614-1615 : «  Son Altesse est suppliée de permettre à un chacun de faire cartes, savons, teintures, bières, chaudronneries et choses semblables, et d'en lever toutes les deffences qu'on a cy devant faict...; et où il luy plaira de faire continuer les privillèges qu'il a donné à des particuliers touchant ladicte permission, qu'il luy plaise de ne la continuer plus longues années que celle qui leur a esté accordé, et de n'en faire d'autres... »
(22) Le compte de l'année 1633 porte en recette le droit dû par les brasseurs et vendeurs de bière de cette ville.
(23) Il y avait, dans le château, une «  brasserie », que l'on répara en 1615.
(24) Aujourd'hui Wallerfangen, commune du canton de Saarlouis, ancien chef-lieu du bailliage d'Allemagne. En 1619, un individu obtint l'acensement d'une place pour «  bâtir une brasserie » proche de l'étang de cette ville.
(25) On appelle ainsi la vallée qui traverse le canton de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin).
(26) L'auteur du Traité du département de Metz (1736) dit, à ce sujet : «  Les Bénédictins anglais qui se sont établis à Dieulouard, en 1606. ont fait bâtir un beau monastère : du pied de la montagne sur laquelle sont le château et le couvent, il sort une fontaine qui forme un ruisseau considérable ; les eaux sont excellentes pour faire de la bierre, qui ne cède en rien à celle des Gobelins; les Bénédictins, ainsi que les habitants, en font un grand commerce. »
(27) Andreu de Bilistein ; Essai sur les drchés de Lorraine et de Bar, 1762.
(28) Notamment chez les Chanoines réguliers de l'abbaye de Domévre. Un compte de l'année 1699-1700 porte en dépense somme de 1073 fr. pour 74 mesures de vin, une de bière et la façon de dix autres mesures de bière. - Ces religieux buvaient aussi du cidre.
(29) La consommation de cette liqueur avait pris, au commencement du XVIIe siècle, des proportions assez considérables. Afin de remédier aux abus qui se commettaient dans sa fabrication, Léopold, par son édit du 21 août 1700, créa, «  en maîtrise », cinq cents offices de fabricateurs et distillateurs d'eau-de-vie, lesquels pouvaient seuls en faire, à l'exclusion de tous autres, moyennant une finance, proportionnée, sans doute, à l'importance de la localité où ils étaient établis. Les brevets de distillateurs, comme ceux de perruquiers, constituaient ainsi une source de revenus pour le trésor.
(30) En 1716, Léopold avait accordé des chartes aux maîtres boulangers, «  ordinairement brasseurs et vendeurs de bierres », et aux meuniers des villes de Sarreguemines, Bitche, Puttelange et autres lieux composant l'offre de ladite ville de Sarreguemines. Aucune des dispositions de ces chartes ne concerne les boulangers, en tant que brasseurs. L'article 13 porte seulement qu'il leur est permis de vendre de l'eau-de-vie les jours de fêtes, ainsi qu'ils ont fait d'ancienneté.
(31) Il y avait une brasserie dans la partie alsacienne de cette ville.
(32) On appelait ainsi la partie de l'ancienne province du Barrois qui renfermait les bailliages d'Etain et de Briey.
(33) Clair-Marais, ancienne cense, commune de Longwy. (Dict. top. de la Moselle.)
(34) Arr. de Briey, canton de Longwy.
(35) Ancien département de la Meurthe.
(36) Village, canton d'Ottweiler (Prusse); anciennement Lorraine, bailliage de Schambourg, passé, en 1814, sous la domination prussienne, avec le canton de Tholey, auquel il appartenait.
(37) Il établit, en 1724, une houblonnière dans un terrain, près de l'étang Saint-Jean, que lui avait rétrocédé Jean Le Brument, entrepreneur de la manufacture de drap.
En 1769, François Hoffman, dont il va être question, obtint de la ville, par acensement, un terrain depuis l'hôpital des Enfants trouvés (sur l'emplacement qu'occupe l'Académie) jusqu'à la porte Notre-Dame, et y fit également planter uue houblonnière.
(38) Aujourd'hui Dombasle.
(39) Ancien officier pour le service du Roi. Il était fils d'Evrard, et fut père d'Henri Hoffman, littérateur et journaliste distingué, né à Nancy en 1760, dont l'éloge a été prononcé par M. Jacquinet dans son discours de réception à l'Académie de Stanislas, en 1878.
(40) C'est en 1784 ou 1785 que cette maison fut vendue au père du célèbre agronome, non par Hoffman, mais par son gendre Arnaud de Praneuf : et ce fut celui-ci qui transféra la brasserie dans les bâtiments ayant face sur la rue des Michottes, où ils portent les numéros 3 et 5. (Note de M. Courbe.)
(41) C'est-à-dire jusqu'à l'ancienne place de Grève, à présent de l'Académie.
(42) Par une annonce publiée le 19 décembre 1772, le sieur Hoffman, «  propriétaire de la Brasserie de Nancy, rue Saint-Stanislas n° 288 » (n° 66 actuel), fait savoir qu'il «  a découvert la méthode sûre de faire des bières de la première qualité, qui se conserveront plusieurs années en s'améliorant, soit en tonneau, soit en bouteilles. - Il fera faire également des bieres douces et fournies, claires et agréables, qui se boiront jusqu'au mois de juillet, le tout à prix raisonnable.
(43) Il l'avait invoqué, en 1775, contre un nommé Petna, dit Téméraire, exerçant la profession de brasseur à Jarville, lequel avait été trouvé introduisant de ses bières à Nancy».
(44) Voy. ci-dessus, p. 31.
(45) Hameau, com. de Cirey, Meurthe-et-Moselle.
(46) Viviers, anc, dép. de la Meurthe. arr. de Château-Salins.
(47) C'est ce qui arriva, notamment, en 1769. Un arrêt du Conseil permit à la ville de lever, jusqu'en 1776, 4 sous par livre en sus des droits qui se percevaient sur les vins, bières et eaux-de-vie.
(48) En 1767, il n'y avait encore à Nancy que deux cafés : le Café Royal, appelé successivement Café Français, Café Impérial, de nouveau Café Royal, en dernier lieu, Café Stanislas, dénomination qu'il a conservée; - et le Café de Strasbourg, rue des Dominicains; plus, deux maîtres de billards, on teneurs de cafés de second ordre, mais très fréquentés. Le nombre de ces établissements, dont M. Courbe a donné la liste dans ses Promenades historiques à travers les rues de Nancy, s'accrut notablement depuis l'époque dont il vient d'être parlé, mais surtout à partir de 1790. En l'an IV, on ne comptait pas moins de 25 cafetiers, outre 70 cabaretiers et 55 marchands de vin, chez lesquels, comme chez les anciens taverniers et cabaretiers, on débitait sans doute de la bière.
(49) Cette consommation est rendue facile aujourd’hui par le port à domicile de bière en bouteilles, genre d'industrie créé depuis quelques années, et qui a déjà pris d'assez grandes proportions.
(50) En 1727, ce prince faisait venir du cidre d'Angleterre pour son hôtel.
(51) ll est question d'élixir de la Chartreuse dans le livre de recette et dépense des Chartreux de Bosserville, de 1775 à 1790.
(52) ll veut dire probablement qu'on n'en faisait plus usage.
(53) On possède ceux des années 1760 à 1786.
(54) Pendant la disette de 1709, Léopold défendit d'employer de l'orge et du blé, mais seulement de l'avoine, dans la faciende de la bière.
(55) Son épitaphe, imprimée à la fin de l'opuscule, est ainsi conçue :
En ce tombeau une bière repose,
Qui de la mort de plusieurs est la cause
Et qui n'a sceu jamais en son vivant
Rien dans le corps y loger que du vent :
Partout, brasseur, qui fuynez ce passage,
De son trespas n'attristez le courage,
Car vous verrez que les fils de Bacchus
Vous pilleroient comme un pot de verjus.
Le poète-médecin traducteur et commentateur de l'Ecole de Salerne, dont il a été parlé au commencement de notre travail, énumère les inconvénients et les vertus de la bière dans deux «  discours » et deux «  explications » dont voici quelques passages :
«  La bière tient lieu de vin, et breuvage délicieux au pais où la vigne ne se cultive point... Ce breuvage oppile le foye, s'il n'est altéré de force houblon, et fait mesme, au dire de Dioscoride, devenir ladres ceux qui en font ordinaire: d'abondant il fait mal à la teste, cause une yvresse beaucoup plus longue que le vin, et qui ne s'en va pas si facilement: de plus on remarque que ceux qui en sont yvres tombent plustost en arrière que devant, pource que les vapeurs qu'il envoye au cerveau ne pouvant estre promptement dissipées à cause de leur époisseur, se changent en humeurs crues et terrestres, qui s'arrestent aux parties latérales et postérieures de la teste, occupent le principe des nerfs, et ostent aux esprits la liberté de leur chemin, d'où il arrive que tant à cause du poids de l'humeur que du principe des nerfs préoccupé, la chûte se fait plutost derrière que devant : qui pis est, telles yvresses sont suivies non rarement d'apoplexies, paralysies, affections léthargiques et autres... »
Plus loin, appliquant à la bière un des vers qu'il a consacrés à la cervoise (provoque à uriner(-1-), rafraichit (-2-), est enflante(-3-), le traducteur énumère ainsi quelques-unes de ses vertus :
1. «  A sçavoir quand elle est altérée de suffisante quantité de houblon. Or jaçoit que le houblon ne soit pas l'ingrédient principal en la composition de ce breuvage, pourtant il est celuy sans lequel il ne peut estre pris seurement, attendu que par sa faculté apéritive, il empesche les oppilations du foye, de la ratte et du misentère, que la bière causeroit sans difficulté...
2. «  A sçavoir celle qui a beaucoup d'orge et peu de houblon ; pour tant telle bière que ce soit est de tempérament chaud, plus ou moins ; celle d'orge et d'avoine médiocrement; celle de froment le plus de toutes : car bien que le froment soit de nature tempérée, et que les autres grains susdits déclinent au froid, pourtant la seule préparation faite par fermentation, assation, putréfaction et coction, ne peut estre sans qu'elle retienne la qualité du feu. Or est-elle d'autant plus chaude qu'il y a de houblon meslé; pourtant celle qui est fort houblonnée peut autant, ou mieux rafraischir que celle d'orge simple, attendu que le houblon fait évacuer l'humeur bilieux qui entretient la chaleur dans le cops.
3. «  Entendre des vents faute d'une bonne coction, ou pource que l'estomac ne la peut digérer que lentement et difficilement : ou pource que l'orge, qui en est le principal ingrédient, est venteuse, à cause de sa froideur et viscosité. »
(56) L'auteur, dont le livre a été imprimé à cette date, dit que la France produit annuellement huit millions d'hectolitres de bière, mais la moyenne de la consommation n'y atteint eneore que 21 litres par habitant,
(57) La supériorité des produits de l'usine de Tantonville a valu aux si habiles directeurs de cet établissement deux médailles d'or aux expositions universelles de 1878 et 1882, des diplômes d'honneur à l'exposition industrielle de Blois et à l'exposition universelle d'Amsterdam; enfin, tout récemment, une médaille d'or à l'exposition universelle de Calcutta (Indes-Orientales).
(58) Elle est représentée sur une grande planche qui accompagne le numéro 484 du Panthéon de l’Industrie, à la suite d'un article intitulé : les Bières françaises, où le mode de fabrication employé à Tantonville est longuement exposé.

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