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La brasserie en Lorraine
(notes renumérotées)

Voir aussi La bière en Lorraine sous l'ancien régime - La bière en Lorraine - Henri Lepage - 1885


Essai historique sur la brasserie française
France Weber
Éd. Soissons, 1900

LA BRASSERIE EN LORRAINE

Alors que nous venions de nous documenter aux Archives de Meurthe-et-Moselle, où l'obligeance de M. Duvernoy, le très aimable archiviste, avait facilité nos recherches, communication nous fut faite (1) du remarquable travail de M. Henri Lepage sur la «  Bière en Lorraine.» (2)
Notre curiosité nous ayant fait remonter aux mêmes sources, nous devions fatalement nous rencontrer avec M. H. Lepage. Tout rapprochement fait, notre documentation était semblable, sinon dans les détails que l’auteur a prodigués pour le plus grand intérêt de ses lecteurs, au moins dans ses grandes lignes. Le cadre que nous nous sommes tracé ne comportant pas l’étude de la Brasserie de chaque région d’une manière aussi étendue, nous nous faisons un plaisir de rappeler aux lecteurs l’ouvrage précité.
D’après un historien (3) dont M. H. Lepage cite le texte, l’industrie de la Brasserie en Lorraine fut aux VIIIe et IXe siècles ce qu’elle était précédemment. «  La fabrication de la Bière et de la Cervoise continuait à occuper une multitude d'individus, et ces liqueurs remplaçaient souvent le vin, qui était à ce qu’il paraît d’un prix assez élevé (4). Le chapitre 23 de la règle établie par l'évêque de Metz, Chrodegang (749-767) pour les chanoines des cathédrales, mentionne la Cervoise », le même historien ajoute que dans la donation du Quincy à l'abbaye de Gorze (en 770) il est fait mention de Brasseries, Camba, dit le texte latin, d’où Cambier, brasseur, terme que nous retrouvons en Picardie et dans les Flandres.
Au point de vue corporatif (5), une seule pièce attire l'attention, elle est classée aux Archives sous le n° B 220. Il s'agit d'une requête et des statuts que voici :
(15 Décembre 1716).
«  Léopold par la grâce de Dieu...
Requête présentée par les Maîtres Boulangers, ordinairement Brasseurs et vendeurs de Bierres, et les meusniers de nos villes de Zarguemines, Bitche, Puttelange et autres lieux, comprenant l’office de la dite ville de Zarguemines, tendant à ce qu’il lui plaise Enthériner leurs lettres patentes en forme de Chartes, que nous leur avons accordé, le septième Octobre dernier, par lesquelles nous les avons érigés et establis en corps de Communauté de maîtrise, pour être régis et gouvernés suivant et conformément aux dites lettres de Chartes, statuts, ordonnances et règlements contenus es-articles. - Spéciffiez, l’ordonnance de notre dite Chambre de soit communiqué, etc. etc. »
Cette requête indique qu’en l’année 1632, leurs auteurs s’étaient pourvus, vers les ducs, pour en obtenir des lettres patentes en forme de Chartes d'érection de leurs corps en maîtrises, suivant articles qu’ils firent dresser à cet effet, mais que les guerres qui survinrent tout à coup «  et qui ont pendant longtemps désolé nos Estats, les ayant empêchés de poursuivre cet établissement, il s’est depuis ce temps glissé plusieurs abus et malversations dans l’exercice de leur métier, au grand préjudice du public, pour lesquels faire cesser, et faire régner parmi eux une bonne police, ils désireraient, à l’exemple de leurs voisins, être establis en corps et communauté de maîtrise, suivant et conformément aux nouveaux articles qu’ils ont fait dresser sur les statuts et chartes accordés à ceux de pareils mestiers de plusieurs de nos Estats. Pour ce à quoy parvenir etc. etc. rappelons des causes qui leur ont fait désirer ces statuts. »

L’examen des statuts nous réserve une déception car, en fait de Bière, il n’y est guère question que d’eau-de-vie, que les intéressés pourront vendre les jours de fête «  ainsi qu’ils ont fait d’ancienneté » (art. XIII). Les autres articles disposent : l’article premier, que chaque année les membres de la corporation pourront choisir un maître, deux jurés, un greffier et un sergent, pour gérer, gouverner et manier les affaires de ladite maîtrise et juger tous les faits et différents qui la concerneront ; lesdits prêteront serment entre les mains du Prévôt de Sarguemines.
L’art. II, que tous les maîtres et compagnons des dites professions seront tenus d’assister assidûment en corps aux vêpres qui se célébreront la veille de Saint Honoré, leur patron ; le lendemain à la messe et aux vêpres, à peine contre le contrevenant de deux francs d'amende «  monnaye du paijs » chaque fois qu’il y manquera sans excuses légitimes.
L’art. III, obligation d'assister aux obsèques de leurs confrères et de leurs femmes, sous peine de deux francs d’amende.
L’art. IV, de la reddition des comptes.
L’art. V, chaque maître et chaque compagnon seront tenus de payer, le lendemain de la fête du patron, quatre sols, pour l’entretien de la chapelle.
L’art. VI, règle les conditions d’admission à la maîtrise ; les certificats d’apprentissage et de bonne vie sont indispensables, le droit d’entrée est fixé à 50 francs, dont moitié applicable aux domaines du duc et moitié aux deux livres de cire, au profit de la confrérie.
L’art. VII, nous apprend que les maîtres qui auront été reçus dans des maîtrises étrangères devront en justifier, pour être admis, qu’ils sont de bonne vie, et, en outre, «  professent la foi catholique, apostolique et romaine. » Ils auront à payer 50 francs, plus deux livres de cire, applicables comme ci-dessus.
L’art. VIII dit que les veuves, fils de maîtres qui épousent des maris des dites professions, non encore reçus à la maîtrise et les fils de maître, ne paieront que moitié des droits de réception.
L’art. IX, traite de l’apprentissage : nul n’y sera admis s’il ne paie un droit de 7 francs ; les fils de maître ne paieront que moitié, qui seront applicables à la décoration de la confrérie.
L’art. X, défend aux maîtres de débaucher, sous quelque prétexte que. ce soit, les compagnons de leurs confrères, sous peine de 3 francs d’amende pour la première fois et du double pour la seconde ; dont moitié applicable aux domaines du duc et moitié à la décoration de la confrérie.
L’art. XI, confère aux jurés le droit de s’assembler quand bon leur semblera.
L’art. XII, défend de travailler les jours de fêtes solennelles, comme : Pâques, Ascension, Trinité, Fête-Dieu, Pentecôte et Noël, sous peine de 7 francs d’amende et du double pour la seconde fois. Nous ne reviendrons pas sur l’art. XIII, et négligeant les XIV, XV et XVII, nous dirons que, de par l’art. XVI, les prix étaient établis par ceux des premiers arrivés dans les Bourgs, Villages etc., etc.

On voit d’après ce qui précède, que l’usage de la Cervoise était pratiqué dès une époque très ancienne en Lorraine. Malgré cela les archives de cette province ne paraissent renfermer aucun document antérieur au XVIe siècle de nature à nous fixer d’une façon certaine; «  on voit, dit M. H. Lepage, en 1516, le duc Antoine faire don d'une tonnette de Cervoise aux Clarisses de Pont-à-Mousson, dans le couvent desquelles s’était retirée sa mère, Philippe de Gueldres, après la mort de Réné II ; et il paraît que la fabrication de ce breuvage avait pris dès lors, une certaine importance dans cette ville, puisqu’il y faisait l’objet d’un impôt particulier. On lit dans un compte du domaine et de la Prévôté du Pont, pour l’année 1530 :
La Gabelle de la Servoise
«  Ladite gabelle que est telle que ceulx qui vendent Servoyse dans la ville doibvent 8 gros j à nostre souverain seigneur (le duc), à cause de la Cervoise qu’ils vendent, brassée au dit Pont et ailleurs » suivent les reçus de divers vendeurs qui font déclaration sous serment, de l’importance de leurs ventes. Plus tard, en 1595, on voit le fisc affermer la gabelle pour trois années à un nommé «  de Jean le Cuisinier dit le Bonnetier», pour la somme de quarante-quatre francs payable chaque année au jour de Noël.«  Ledict droit qui est tel que tous ceulx qui vendent cervoise brassée audict Pont ou ailleurs, doibvent à Son Altesse de dix gros l’ung de celle qui se vend audict Pont ».
On trouve d’autres traces de droit de gabelle en 1583 dans des comptes du domaine de Hombourg et Saint-Avold, et, fait remarquer M. H. Lepage, à une époque plus reculée (1411-1415) où les « Gouverneurs » de Saint-Mihiel avaient obtenu d’Edouard III, duc de Bar, puis des ducs Réné II et Antoine, par «  privilèges particuliers, le droit et permission de faire et vendre bierre (6) et cervoise, tant au dedans d’icelle ville que par tous les villages de la Prévôté etc. etc. » Ces privilèges furent confirmés par le duc Henri II en 1611.

Ces divers documents établissent suffisamment l’ancienneté de l'usage de la Cervoise en Lorraine.

En 1587, Commission fut donnée à un nommé Jean Collonet, contrôleur de l’hôtel du duc Charles III, «  pour se transporter ès-baillages de Nancy. Vosges, Saint Mihiel etc. etc. (7) et reconnaître les lieux les plus convenables à brasser bierre, et y faire promptement travailler, et ce, à cause de l’extrême disette et cherté des vins, provenant de la stérilité des vendanges dernières, afin de servir de boisson tant aux sujets du duc qu’aux gens de guerre de son armée. »
A cette époque, soit pour cause de pénurie de vin, soit question de goût, on voit l’usage de la Bière se développer en Lorraine. Cette boisson apparaît sur les tables princières. En cette année 1587, le Cellerier de Nancy fait dépense de cinq bichets de blé pour servir à la confection de bière destinée aux princesses ; et de trois réseaux et un bichet (8) d’avoine, pour celle des domestiques de leur maison. A partir de 1589, le Cellerier délivre du blé et de l’avoine
« pour faire bierre en l’Etat du duc» on trouve en 1590, mention de dépense à cet effet. En 1591, du blé fut délivré à frère Didier, brasseur au Couvent des Cordeliers, pour bière qu'il avait brassée pour le défruit (9) de l’hôtel du duc.
Il semble résulter de ce qui précède que deux qualités de bières étaient pratiquées, la première bière de blé pour les maîtres, la seconde bière d’avoine pour la domesticité.
Entre temps, en 1588, Charles III avait fait délivrer certaines sommes aux Cordeliers de Nancy pour les aider à acheter une grande chaudière «  et avoir moyen de faire plus grande quantité de bière pour le défruit de l’hôtel du duc » et aux Cordeliers de Vic, pour les aider à réfectionner leur Brasserie.
La bière des Cordeliers était renommée ; son mode de fabrication était donné pour modèle ; une ordonnance du Conseil de ville réglant la confection de la bière «  telle quelle se fait aux Cordeliers » porte : «  Fault pour une brassée (un brassin), ung resal et demy moyen bled, six resaux d’orge, vingt livres de houbelon ».
En 1589, achat fut fait d’une chaudière pour établir au château de Hombourg, une brasserie destinée à alimenter les soldats. On trouve en 1591, le compte de dépenses faites pour la maçonnerie de cette chaudière. En cette même année 1589, le duc Charles III fit ériger à la ville Neuve (Nancy), une Brasserie ; les dépenses qu'elle occasionna furent acquittées par le trésorier général des guerres ; cette Brasserie fut «  démontée » en 1591 et menée à la Grande Maison de la ville Vieille ; le bâtiment dans lequel elle avait été établie conserva le nom de Bierrerie (10).
«  L’usage de la bière s’était alors assez généralisé, dit M. H. Lepage, pour que cette boisson devint matière à impôt. Le 6 février 1590, les Etats généraux ayant accordé à Charles III une aide extraordinaire pour subvenir à l’entretien de son armée, ils l’autorisèrent à perçevoir le dixième denier du vin et de la bière qui se vendraient à la feuillée ». Nous passerons les détails de taux et de mode de perception jusqu’en 1628, pour nous arrêter à la remarque suivante de l’auteur précité : «  Il ne paraît pas que l’on débitât de la bière dans les établissements publics, car les ordonnances de la Chambre de Ville relatives à la police des hôteliers et cabaretiers n’en parlent pas ».

En 1611, confirmation fut donnée aux habitants de Saint-Mihiel du privilège de faire et vendre bière et cervoise.
En 1615, on trouve un compte de dépense faite pour réparation à la brasserie du château de Jametz (11) (Meuse) et les suivants, qui comportent, soit des « recettes et dépenses en deniers » de la bière vendue en l'office ou «  de l’Amodiation de la ferme ou faculté de faire bière » : 1616, Recette office de Charmes ; 1617, Amodiation de la ferme et faculté de pouvoir faire bière à Raon-l’Etape ; 1618, Recette en deniers des particuliers de Saint-Nicolas, amodiés pour faire et vendre bière audit lieu ; 1619, Amodiation du privilège de la confection de la bière dans l’office de Vaudrevange, Redevance due par un individu à cause d'une place pour y construire une brasserie proche de l’étang contre la dite ville (12) ; 1620, Recette provenant de l’Amodiation de la seigneurie de Bitche, et du droit de confection de la bière dans l’office de Charmes; 1621 Recettes sur les bières qui se façonnent à Jametz, à Romagne en la Prévôté de Marsal ; 1626, en celles de Mirecourt et de Remoncourt ; 1629, Recette pour permission de faire bière à Tigéville; Recette en l'office de Châtel-sur-Moselle ; Amodiation du droit de la confection de la bière au Val-de-Liepvre (canton de Sainte-Marie-aux-Mines ; 1631, Recettes du droit de l’amodiation des bières en les offices d’Arches et de Lunéville ; 1632, Amodiation du privilège en les offices de Saint-Dié et de Raon ; 1665, Recette de la gabelle de la bière dans la ville de Fénétrange ; 1699-1712, comptes de la mense conventuelle de l’abbaye de Domêvre pour façon de bière ; 1700-1733, Dépenses pour bière du prieuré de Viviers (près Longwy). Ces indications permettent d’apprécier l’importance de la fabrication de la bière en Lorraine au point de vue de l'étendue de son usage du XVIe au XVIIIe siècle.
Au cours de cette période, une ordonnance, en date du 13 avril 1709, porte que l’on fera visite chez les Brasseurs et ceux qui ont des orges en réserve pour les obliger à en distribuer à 25 francs le rezal pour semer leurs terres, et défend aux brasseurs d’employer d’autres grains que de l’avoine pour faire la bière. Le 18 août de la même année, parut un arrêt du Conseil d’Etat qui leva la taxe des vieux blés et autres grains, réitérant les défenses d’en transporter hors des Etats et celles faites aux brasseurs.
Ces défenses furent levées par ordonnance en date du 18 Mars 1710.
Nous ajouterons les mentions suivantes qui, dans le même ordre d’idées, présentent quelque intérêt : En 1627-1635, le couvent des Religieuses de Sainte-Elisabeth à Ormes (près Tantonville), consommaient de la bière de Vézelise et de Bayon et en 1643-1665 de la bière de Mirecourt ; ainsi qu’il résulte de leurs comptes d’achats. En 1650, mention est faite que le droit de«  faire bière» dans la prévôté de Dompaire n’a été amodié depuis les guerres. En 1657, aucune recette ne fut faite en l’office d’Einville «  n’y ayant eu personne qui en ait confectionné cette année, non plus qu’auparavant les guerres ».En 1664, permission fut accordée à plusieurs individus du comté de Ligny, de faire de l’eau-de-vie et de la bière. En 1716, on établit une Brasserie à Puttelange.
En 1734-1735, a lieu l’adjudication du droit de faciende et d’entrée des bières à Lunéville.
Parmi les arrêts nous relevons les suivants : année 1742, arrêt au sujet du privilège de la faciende de la bière dans l’office de Dieuze, et en 1751, arrêt défendant de brasser des bières sans la permission des fermiers du domaine.
En 1781, confirmation est donnée, d’acensement (13) du droit de faire brasser de la bière dans l'étendue de la seigneurie d’Eppelborn. Dans les rôles de l’industrie des années 1789-1790, il est question des Brasseurs de Bouquenon, Sarrable et Blamont, que nous n’avons pas mentionnés jusqu’ici ; ce qui nous permet de relever que cette dernière localité possédait une Brasserie en l’année 1641, ainsi qu’il résulte de l’indication d’une somme payée à cette Brasserie, pour bière fournie à l'abbaye de Domêvre.

Quelques requêtes méritent d'être mentionnées. En 1619, le 17 janvier, les maire, gens de Justice et habitants de Saint-Avold et villages dépendant dudit lieu, présentèrent, au duc de Lorraine, une requête tendant «  à ce qu’il lui plaise, accorder leurs franchises, privilèges et libertés contre les prétentions du sieur Croonders, receveur de Hombourg, qui voudrait empêcher les particuliers qui font de la bierre, de payer certaine redevance pour en avoir la permission. Décrétée d’un renvoy aux gens des Comptes de Lorraine, pour examiner les privilèges desdits habitants. »
En 1661, le 24 août, nouvelle requête des habitants de Saint-Avold, au duc de Lorraine, exposant que pour trouver les moyens d’acquitter les charges de leur dette communale, ils supplient le duc de leur permettre d’imposer la somme de dix gros par mesure de bierre. Cette permission leur fut accordée ; le décret qui la leur confère suit la copie de l'acte.
En 1702, requête fut présentée par les Carmes de Gerbeviller aux commissaires-députés, pour les droits d’amortissement, dans laquelle ils font l’énumération de leurs dettes : «  Ce qui fait que leur maison ayant à peine de quoi vivre, tant par leur peu de revenus que par leurs quêtes, ils se trouvent obligés, avec leur nourriture pauvre et maigre, de n’avoir que de la bière pour leur boisson ordinaire, »

L’extension de la fabrication de la bière en Lorraine tenta la cupidité de certains brasseurs ; des abus s'ensuivirent, au grand préjudice des consommateurs ; pour les réprimer, le duc Henri II, rendit une ordonnance motivée et aux termes de laquelle défense fut faite de brasser sans commission. «  Les bières devront être faites de choses saines, afin de ne pas risquer de nuire à la santé de ceux qui usent de cette boisson ; elles ne devront pas être vendues à plus haut prix que de raison Et afin que, d’ici en avant, notre peuple et nos sujets soient bien et duement servis desdites bières, nous avons ordonné diverses commissions être expédiées à aucuns nos brasseurs et ouvriers d’icelle, pourvus de suffisance, fidélité et expérience en ce métier, pour en faire et brasser en telles de nos villes, bourgs et villages où nous jugerons y avoir besoin, et desquels commis, nos dits sujets qui voudraient en user auront doresnavant à les acheter au prix que, de trois mois en trois mois, les dites bières seront taxées, par tels de nos officiers des lieux à qui il appartient de connoitre et ordonner de la police des vivres. »
Ces défenses ne s’appliquaient pas aux communautés, qui ne pouvaient cependant brasser que pour leurs besoins ; ni à l’hôtel du duc, ainsi qu’aux maisons de «  notre cher frère et de notre très chère sœur, en chacune desquelles il pourra y avoir tels brasseurs de bière que bon leur semblera, pour le défruit d’icelles, tant seulement. »
Cette défense ayant provoqué la fraude sous forme d’introduction de bières fabriquées au dehors ; une nouvelle ordonnance rendue en 1610, le 16 Janvier, défendit d’introduire des bières sans permission. Mais ces défenses étant impuissantes à empêcher la fraude elles furent renouvelées par ordonnance en date du 28 avril 1614; le taux des amendes fut élevé.
En 1621, privilège fut donné à un nommé Claude Martin (commis de la batterie de cuivre de Nancy) pour la fabrication et la vente de la bière, dans le duché de Lorraine : moyennant la somme de dix-huit mille francs, pour neuf années, à raison de deux mille francs chacune. C’était là un moyen de simplifier les opérations du fisc. Claude Martin ne renouvela pas son bail, mais prit seulement à ferme pour six années, moyennant la somme annuelle de 693 francs, le privilège de la fabrication de la bière dans l'office de Nancy.
En 1666, réduction fut accordée à Tousssaint de Mory, fermier de la faciende des Bières en la ville de Nancy, à cause d’une certaine quantité de drap de Hollande qu’il avait fournie au duc; Charles III, lui fit donner quittance de la somme de 1350 francs, prix de la ferme de la dite faciende pour les trois premiers quartiers de 1666, somme équivalente à sa fourniture de drap. Par le chiffre de fermage ci-dessus, on voit qu’il y a progrès appréciable dans la fabrication et par conséquent dans la consommation de la bière au cours de la période de 1621 à 1666.

Braderie des Bénédictins Anglais de Dieulouard

En 1721, on trouve mention de dépense faite pour la maçonnerie de cette Brasserie. Plus tard, en 1733 et 1736, le duc de Lorraine, François III, permet à ces religieux de distribuer dans ses états, la bière qu’ils feraient brasser dans leur maison.
Chassés de leur pays d’origine par la persécution religieuse, ces Bénédictins étaient venus s’établir à Dieulouard où, pour subvenir à leurs besoins personnels, puis pour se créer des revenus, ils se mirent à fabriquer de la bière qui acquit bientôt la renommée; ils la conservèrent ainsi que leur privilège (en payant toutefois les droits d’usage) jusqu’au moment de la suppression de leur communauté. En effet, en 1779- 1790, mention existe d’achat de leur bière par le noviciat de l’abbaye de Pont-à-Mousson.
Un auteur contemporain, M. Andreu de Bilistein, dit M. H. Lepage, à même d’apprécier les qualités qui distinguaient la Bière des Bénédictins précités, donne les détails qui suivent à ce sujet : «  On ne brasse de la bierre qu’à Nancy et à Dieulouard et dans quelques contrées voisines de l’Allemagne, encore dans quelques couvens de religieux pour leur usage, quand le vin manque. Notre peuple en général ne connoit la bierre que de nom....
La bierre fait, après le vin, l’article le plus considérable pour l’usage. Les matières qui la composent sont des grains, blés barbus et orges, des houblons et de l’eau.... La brasserie principale de Lorraine est celle de Nancy; il en est plusieurs dans la Lorraine allemande et dans les parties limitrophes du duché de Luxembourg. La brasserie de Dieulouard, tenue par des Bénédictins anglois et irlandois, doit passer pour Lorraine La bierre de Dieulouard approche de celle d’Angleterre en goût et en force, elle pétille comme du vin de Champagne mousseux, supporte le mélange de l'eau, se conserve longtemps et se transporte sans altération. Nos grains, nos eaux, notre air font ses qualités... Après la bierre de Dieulouard vient celle de Nancy, qui est de bonne qualité....
«  La bierre se vend dans l’intérieur de la province et au dehors, et le houblon s’envoie également chez l’étranger, lorsqu'il est d'une qualité qui le fait désirer, comme est celui d'Angleterre, de Bohême, de Liège, etc.... C’est une boisson saine, lorsqu’elle est bien faite ; elle porte avec elle son agrément et son indemnité, étant fort substantielle. »....

L’abondance des documents relatifs à l’histoire de la bière en Lorraine, l’intérêt que nous avons trouvé dans la lecture de l’étude si attachante de l’œuvre abondamment circonstanciée qu’en a faite M. H. Lepage, nous a entraîné au-delà des limites que nous nous étions tracées. Nous ne saurions mieux faire que d’engager les lecteurs amateurs des moindres détails pouvant les intéresser, à lire l’étude précitée.
Maintenant, arrivons à la Brasserie de Nancy, où, en 1701, privilège fut accordé pour l’établissement d’une Brasserie, qui nous semble être celle qui fut établie près du moulin de Saint-Thiébaut, et dont état de dépenses de constructions nous apparaît en 1703, acquitté par le duc Léopold; ces dépenses «  s’élevaient à la somme de 6.255 francs 9 gros faisant celle de 2.681 livres. »
En 1724, privilège fut donné à Evrard Hoffmann pour la fabrication de la bière des Flandres à Nancy. En 1767, le dit Hoffmann abandonna au domaine le terrain de la Brasserie de Saint-Thiébaut à Nancy, destiné à l’établissement du nouvel hôpital militaire, en échange des bâtiments de l’hôpital militaire, place de grève (Dombasle).
Evrard Hoffmann avait acheté pour la somme de 9.000 livres tournois le matériel de la Brasserie à une dame Françoise Frémion, veuve de Deschamps, fondateur de l’établissement. Ce Deschamps, valet de pied de Léopold et flamand d’origine, était parvenu à obtenir du duc le privilège de la fabrication et de la vente de la bière, de la façon et qualité de celle qui se brassait en Flandre, faciende dont il disait avoir l’expérience. Il devait du reste s'aider de Brasseurs flamands.
«  Le sieur François Hoffmann, (fils d’Evrard), dit l’abbé Lionnois, commença cette belle maison qui est vis-à-vis de l’Université...., et, derrière, jusqu’au fossé, sa brasserie : l’une des plus belles et des plus commodes de France. »
Des mains de F. Hoffmann la Brasserie passa dans celles de son gendre J.-A. Arnauld de Praneuf, officier au régiment de Schomberg-dragons, qui obtint confirmation des lettres patentes de 1702, 1723 et 1768, qui lui conféraient les privilèges dont nous avons parlé.
Praneuf vit tomber ces privilèges au moment de la Révolution. Il continua néanmoins à exercer jusqu’en l’an IV. Mais à cette époque, fait remarquer M. Lepage «  il avait alors sept concurrents qui devaient lui causer un notable préjudice ».
Nous terminerons par l’annonce suivante publiée le 19 Décembre 1772, et que relève M. H. Lepage : Le sieur Hoffmann «  propriétaire de la Brasserie de Nancy, rue Saint-Stanislas 288 » (n° 65 actuel) fait savoir qu'il «  a découvert la méthode sûre de faire des Bières delà première qualité, qui se conserveront plusieurs années en s’améliorant, soit en tonneau, soit en bouteilles, - il fera faire également des bières douces et fournies, claires et agréables, qui se boiront jusqu’au mois de Juillet, le tout à prix raisonnable », Heureux Brasseur !

Prix de la Bière en Lorraine (14)

en 1501-1625 prix correspondant à l’hectol. Fr. 12,30
1626-1650 » » 14,40
1651-1675 » » 19,10
1701-1735 » » 6,95
1751- 1775 » » 18,40
1776-1800 » » 18,70
1790 pinte de 0 l.93 3 sous 8 deniers 18,05

Les Archives municipales de Verdun ne renferment aucune trace de corporations de Brasseurs. Cependant on voit dans le grand Armorial de France (15).
Verdun
La communauté des Brasseurs porte :
d’Or a un pal de gueules chargé d’un croissant d’or.
et aussi :
Damvilliers (Meuse) près Montmédy La communauté des Brasseurs porte :
de sable a une fasce d’argent chargée d’un trèfle de sable.
Vic (Meurthe)
La communauté des Brasseurs de Vie porte :
d’or a une fasce de gueules chargée d'un croissant d’or en chef.

METZ

Metz qui fut notre berceau familial et dont nous ne saurions sans tristesse et sans espérance évoquer le souvenir, n’a pas d’histoire brassicole. Nous connaissons maintenant celle de la Lorraine en général ; le pays messin en particulier, ne présente rien qui soit susceptible de fixer l’attention sur ce sujet spécial ; il fut, au même titre et pour les mêmes causes que ses voisins, le pays de la cervoise, mais il ne fut jamais celui de la bière. Sans doute Bacchus et Cérès y firent-ils bon ménage, et mosses et bouteilles y fraternisèrent-ils ; mais aussi la riante Moselle vit-elle toujours ses rives Lorraines plus riches de luxuriants vignobles que de vertes houblonnières, et ses vins gris et rosés y rutillèrent-ils plus souvent dans les verres, que la mousse crémeuse ne déborda des chopes.
La production de la bière à Metz et dans la généralité de cette ville aux siècles derniers, ne dépassa guère les limites de la nécessité créée par les disettes de grains et de vins, ainsi que l’indiquent les documents suivants :
En 1693, année de disette de grains, M. de Sève, intendant à Metz, écrivait au Contrôleur Général pour lui proposer d’établir des défenses relatives à l’emploi des Grains et parlant de la bière, s’exprimait ainsi :
«  Quant à la bière, quoyqu’elle consomme beaucoup davantage de grain que le brandevin, j’ay quelque peine à me déterminer. Il est constant que cette boisson humecte et nourrit en mêsme temps ; les vendanges de l’année dernière n'ont produit que du verjus, celles-cy ne seront pas abondantes et par conséquent le secours de la bière ne serait pas inutile au peuple et aux soldats. Je croirais néanmoins qu’en exceptant celle qui se fera pour la nourriture des étapes il seroit à propos de la défendre, surtout dans les Eveschés et dans la Lorraine, où ce n’est que depuis peu qu’on en a introduit l’usage, et il vaut mieux que le peuple soit réduit à boire de l’eau qu’à manquer de pain. » (21 septembre 1693).
M. de Sève reçut le jour suivant l’arrêt qu’il proposait et qui était déjà expédié ; mais il insista pour que les étapiers en fussent exemptés (22 septembre 1693)

Arrest du Conseil d'Estât du Roy
Qui permet la faciende des Bierres dans le Département de Metz, à la charge de prendre des Permissions par écrit de Monsr. l’Intendante
Du huitième Avril mil sept cent dix. Extrait des registres du Conseil d’Estat.
Le Roy s’étant fait représenter en son Conseil, les Arrêts par lesquels il aurait été fait défenses à tous Particuliers de brasser et faire brasser aucunes Bierres jusqu’à ce qu’autrement en ait été ordonné ; les Mémoires présentez au nom des habitants de la Généralité de Metz, contenant que la Récolte des Vins ayant entièrement manqué, il leur seroit difficile de se passer de Bierre dont l’usage est absolument nécessaire, principalement pour les Troupes ; que les raisons qui ont porté Sa Majesté à faire des défenses de brasser, se trouvent présentement cessées à l’égard du département de Metz, dans lequel il se trouve une quantité considérable de Grains, quoyque les Semailles de l’Automne et du Printemps y ayent été faites avec tout le succès qu’on pouvoit désirer ; l’Avis du Sieur de Saint-Contest, Commissaire départy pour l’exécution des Ordres de Sa Majesté audit Département de Metz : Oüy le Raport du Sieur Desmaretz, Conseiller ordinaire au Conseil Royal, Contrôleur général des Finances. Sa Majesté estant en son Conseil, a permis et permet aux Particuliers et Habitants demeurans dans l’étenduë du Département de Metz, de brasser et faire brasser des Bierres suivant l’usage ordinaire et comme par le passé, à la charge néanmoins de prendre des Permissions par écrit du sieur de Saint-Contest, commissaire départy audit Département, auquel Sa Majesté enjoint de tenir la main à l’exécution du présent Arrest, qui sera lû, publié et affiché (16) partout où besoin sera. Fait au Conseil d’Estat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le huitième jour d'Avril mil Sept cent dix. Signé VOYSIN.
Dominique de Barberie, Chevalier, Seigneur de Saint- Contest et autres lieux, conseiller du Roy en ses Conseils, Maître des Requêtes ordinaire de son Hôtel, Intendant de Justice, Police et Finances, en la généralité de Metz, Frontières de Champagne, du Luxembourg et de la Sarre.
Veu l’Arrest du Conseil d’Etat du Roy cy-dessus: Nous ordonnons qu’il sera exécuté suivant la forme et teneur dans l’étendue de notre Département. Fait à Metz le vingt-sixième Avril mil sept cent dix. Signé, de BARBERIE. Et plus bas, Par Mondit Seigneur, De Lespine.

(1) Par M. J. Greff, brasseur à Nancy.
(2) Publié dans l’Annuaire Administratif Statistique et Historique de Meurthe-et-Moselle - année 1885 - par la librairie Grosjean à Nancy, suivant recherches dans les Archives de Meurthe-et-Moselle.
(3) M. Digot.
(4) Le mot bière est ici improprement employé, car nous savons qu’il ne pouvait s’agir que de cervoise.
(5) La plus ancienne association industrielle de Nancy est la corporation ou confrérie des merciers, instituée en 1341, sous le duc Raoul. Les autres métiers, (écrit M. Alfred Rambaud) ne tardèrent pas à suivre cet exemple (Journal de la Société Archéologique Lorraine et du Musée historique Lorrain).
(6) M. H. Lepage émet un doute sur l’authenticité du terme bierre qu’on ne peut contrôler, (les lettres originales des ducs n’existant plus), ce doute s’appuie sur le fait que, suivant ce que pensent aussi d’autres auteurs, on voit le mot bière, apparaître pour la première fois dans les statuts des Brasseurs de Paris en 1489. Nous avons vu, Ire part,P.59quece mot est employé officiellement en 1435.
(7) Allemagne, Bassigny, Clermont,Epinal et Châtel-sur-Moselle.
(8) Bichet. - Mesure variant suivant les provinces de 1 à 2/5 d'hectolitre, environ 3 boisseaux.
(9) Défruit. - Usage personnel.
(10) Henri Lepage, Annuaire 1885, p.21.
(11) Mention est faite en 1618 du houblon récolté dans la gruerie de Jametz, c’est-à-dire dans la circonscription territoriale de cette localité.
(12) Une mention en date de l’année 1661, porte que les Brasseries hors de la porte de Vaudrevange ont été détruites et démolies par les gens de guerre,
(13) Acensement, convention par laquelle on prenait un héritage.
(14) Vicomte d’Avenel. Histoire économique de la Propriété.
(15) D’Hozier Bibliothèque Nationale. Manuscrit.
(16) Nous avons copié cet arrêt sur l’affiche originale.

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