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Notice historique sue Deneuvre et Baccarat - Extraits

(notes renumérotées)


NOTICE HISTORIQUE SUR DENEUVRE ET BACCARAT.
Par Ch. Mangin
Pharmacien à Baccarat. 1861.

[...]

DENEUVRE.
LIVRE PREMIER.

GENEALOGIE DES COMTES DE BLAMONT, SEIGNEURS DE DENEUVRE.

Dom Calmet ne donne la généalogie des Comtes de Blâmont que depuis la réunion de cette terre à la seigneurie de Salm, au 12me siècle. Il parle à la vérité de quelques seigneurs antérieurs à cette époque ; par exemple, d'un Oliart, qui vivait en 962 ; d'un Ulric de Turqueistein, en 1002, et de quelques autres personnages leurs descendants ; mais on ne trouve aucune filiation dans le peu qu'il en dit, d'où l'on doit conclure qu'on ne connaît qu'imparfaitement les premiers possesseurs de ce Comté. On sait seulement qu'ils le gardèrent jusqu'au 12me siècle sans interruption. Ce fut alors que cette terre seigneuriale fut portée dans la maison de Salm, par le mariage d'Agnès de Langstein (Pierre-Percée) leur fille unique et seule héritière, avec Herman, ou Hériman de Salm; mais ces deux familles se séparèrent de nouveau au 13eme siècle. Vers l'an 1240 Ferry ou Frédéric, fils de Henry II comte de Salm et de Blâmont, impatient de jouir des biens de sa famille, qu'il regardait comme siens, chassa son vieux père de son château de Blâmont. Celui-ci vint à mourir quelques temps après ; alors Ferry se mit en possession de tout l'héritage de ses ancêtres. Mais Henri IV, sire de Ribeaupierre, son neveu, fils de Henri III, décédé comte de Salm, réclama ce qui lui avenait de la succession de son père. Ferry lui abandonna Morhanges, Viviers, le château de Salm et celui de Pierre-Percée, et garda pour son compte la seigneurie de Blâmont et autres lieux. Ses successeurs ajoutèrent à leurs titres celui de Cuens de Danubre, de Danuèvre, comte de Deneuvre, lorsque cette terre leur fut abandonnée en fief par l'évêque de Metz.
Ce Ferry épousa Jeanne de la maison de Dombasle, de laquelle il eut trois fils, Henry II, qui lui succéda ; Thomas, qui fut évêque de Verdun, et un nommé Geoffroy.

1291. HENRY II.
Comte de Blâmont et 1er du nom, seigneur de Deneuvre. Ce fut ce prince, qui reçut en fief la terre de Deneuvre des mains de l'évêque Bouchard d'Avesne. Il épousa dame Cunégonde, qui lui donna trois fils : Henry III, son successeur ; Jean, qui mourut en bas âge ; et Ancelin. Sa femme et lui fondèrent la Collégiale de Deneuvre.

13... HENRY III.
Ce prince épousa Valburqe de Fénétranges de laquelle il eut deux fils : Thiébaut, qui lui succéda, et Olry.

13... THIÉBAUT I».
Il épousa Marguerite de Lorraine qui lui donna un fils, Henry IV. Ce fut ce seigneur qui fit fortifier la ville de Deneuvre en 1361.

14... HENRY IV.
Ce comte épousa Isabelle de Lorraine, fille de Ferry Ier, comte de Vaudémont et de Marguerite de Joinville. Il mourut en 1441, laissant de son mariage cinq enfants :
1° Ferry ou Frédéric II, son successeur;
2° Thiébaut, mort sans avoir été marié ;
3° Olry, qui fut évêque de Toul, et dont il sera grandement question ;
4° Marguerite, morte sans avoir été mariée;
5° Isabelle, qui épousa Jean de la Haye, seigneur de Passavant.
1441 . FERRY II.
Sa femme fut Bonne de Neufchâtel, de laquelle il eut :
1° Claude;
2° Olry;
3° Guillaume;
4° Louis, qui survécut à tous ses frères morts en bas âge.

1496. LOUIS 1er.
Ce prince, enfant maladif, mourut en 1503, sans avoir été marié.

1503. OLRY Ier
La postérité de Ferry II étant éteinte, Olry, troisième fils de Henry IV, et dernier mâle de l'ancienne maison de Blâmont, recueillit toute la succession de ses ancêtres. Elle se composait du Comté de Blâmont, des Prévôtés de Deneuvre, d'Amermont, de Mandres-aux-Quatre-Tours et de la terre de Fougerolles. En lui, septième seigneur de Deneuvre, finit la postérité masculine de son illustre maison. Elle avait possédé la prévôté de Deneuvre pendant 215 ans. A sa mort, arrivée en 1506, tous ses biens passèrent entre les mains des Ducs des Lorraine, par suite de l'abandon qu'il leur en fit par son testament.

CHRONOLOGIE.

1078. Prise et sac du château et de la ville de Deneuvre.
1126. Fondation du prieuré du Moniet (St-Chrystophe).
1139. L'évêque Etienne de Bar reprend la ville et le château.
1273. Nouvelle prise de Deneuvre.
1291 . La prévôté est donné en fief aux sires de Blâmont.
1301. Fondation de la Collégiale.
1317. Introduction des commerçants Lombards.
1361 . Deneuvre est entouré de murailles.
1476. Introduction dans la ville de la première famille juive.
1506. Deneuvre passe sous la puissance des Ducs de Lorraine.
1546. Grande cérémonie funèbre.
1561 . L'évêque de Metz vend la suzeraineté de la prévôté de Deneuvre.
1579. Fondation du sanctuaire de sainte Marie-Magdeleine à la Rochotte.
1635. Blocus et ruine de la ville. .
1698. Abolition de la Prévôté.
1737. Erection de l'église moderne.
1741. Abolition de la recette des finances.
1747. Abolition de la Gruerie.
1761 . Départ des Chanoines de la Collégiale.
1766. Réunion de Deneuvre à la monarchie française.
1855. Abolition de son importance religieuse.
 

DANORUM OPUS.
DANUBRIUM, DANUBRE, DANUÈVRE,
DENEUVRE.

LIVRE 1er
Chapitre Ier.

L'ancienne ville de Deneuvre doit-elle son origine aux Danois comme Danorum opus nous le dit positivement ?
L'histoire nous apprend que ce peuple réuni aux habitants de la Hongrie et tous confondus sous le nom de Huns firent de terribles irruptions dans la Lorraine sur la fin du 9e et au commencement du 10e siècle. Ces barbares au lieu de fonder des villes brulèrent et saccagèrent tout sur leur passage : la plus grande partie .des habitants des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun, périrent dans cette conflagration; la ville de Saint-Dié, les monastères de Senones, d'Etival et de Moyenmoutier furent pillés et incendiés ; les églises de nos contrées ne furent pas plus respectées ; et les chroniqueurs nous disent que dans ce moment de désordre le plus grand soin des moines et des prêtres fut de mettre en sûreté leurs saintes reliques. Voilà comment ces peuplades barbares signalèrent leur présence dans notre pays. Devant ces faits peut-on admettre un instant que ces sauvages aient quitté l'épée pour la truelle, et que d'implacables guerriers ils se soient transformes tout-à-coup en paisibles maçons ? (1) Les Danois n'auraient-ils pas laissé en Lorraine d'autres monuments que la ville de Deneuvre ? Mais il est inutile de nous appesantir sur une semblable origine; cette ancienne cité d'ailleurs est antérieure à ces invasions et n'est ainsi appelée Danorum opus que par le très-ancien auteur de la vie de saint Hidulphe, fondateur de l'abbaye de Moyenmoutier ; tandis que dans les plus vieux titres cités par Dom Calmet, et dans lesquels il en est fait mention, cette ville est toujours désignée sous les différents noms de Danubrium, Danubre, Danuèvre et Deneuvre dernière dénomination qui a prévalu jusqu'à nos jours. Jamais ses anciens possesseurs, les évêques de Metz, ne prirent le titre de Domini Danorum operis, ou du moins nous ne l'avons jamais vu dans nos recherches. Jamais non plus les sires de Blâmont, leurs successeurs, ne s'avisèrent de prendre une telle qualification, ils s'intitulaient au contraire, Cuens de Danubre, de Danuèvre, comtes de Deneuvre. Il est donc difficile de s'imaginer pourquoi l'auteur que nous avons cité attribue la fondation de cette ville aux Danois. Il était, ce nous semble, bien plus rationnel d'en faire hommage aux peuplades également barbares qui vivaient sur les bords du Danube. (Danubriorum opus ; par contraction et abréviation, Danubrium; et lorsque le latin se francisa Danubre, Danuèbre, Danuèvre et enfin Deneuvre.) La similitude des noms, et peut-être même la probabilité de l'événement (comme on le verra bientôt) serait d'un bien grand secours pour soutenir cette hypothèse. Car on peut facilement admettre qu'une de ces hordes guerrières, réunie aux légions romaines, a bien pu camper sur le point culminant occupé depuis par Deneuvre, et y bâtir la forteresse qui lui donna naissance. Mais qu'importe l'étymologie des différents noms donnés à cette ville; ce qui nous intéresse c'est le passé de ses habitants. Quant à son ancienneté nous saurons bientôt à quoi nous en tenir lorsque nous nous occuperons de cette forteresse primitive, dont les ruines nous sont connues sous le nom de Tour du Bacha.
La seigneurie de Deneuvre quoique sous la régale des évêques de Metz, était pour le spirituel subordonnée à l'évêché de Toul et faisait partie de l'archidiaconé de Port (Saint -Nicolas). La ville était chef-lieu d'un doyenné qu'on désignait aussi sous le nom de chrétienté de Deneuvre, Le siège de cette juridiction ecclésiastique était autrefois à Flin, qui avait aussi à cette époque sa maison seigneuriale, et qui au XIIIe siècle déjà formait un bourg assez considérable. Le doyenné de Deneuvre se trouvait borné à l'orient par celui de Salm en partie, et les paroisses de Senones, d'Étival et de Moyenmoutier ; au midi, par le doyenné d'Epinal ; à l'ouest, par celui du Saintois ; et enfin au nord par celui de Saint-Nicolas-de-Port. Il avait donc à peu près sept lieues en longueur sur quatre ou cinq de largeur, et se trouvait partagé par la petite rivière de Mortagne, qu'on appelait autrefois l'Agne, tandis qu'au midi il était resserré par le ruisseau de Leuron et au nord par la rivière de Meurthe. Le doyenné de Deneuvre comprenait : 5 abbayes, Autrey ; (2) Beaupré (3) et Belchamp; (4) 6 prieurés; 1 collégiale; 5 hôpitaux; 5 couvents de religieux, 2 de religieuses; 40 chapelles ou oratoires; 11 ou 12 ermitages et enfin 27 cures et 18 annexes qui étaient :
Deneuvre, Baccarat, La Chapelle, Thiaville, Glonville, Flin, Vathiménil, Nossoncourt, Sainte-Barbe, Rambervillers, Juménil, Houssera, Saint-Benoit, Domptail, Le Fontenoy, Doncières, Xaffévillers, Roville, Romont, Saint-Maurice (en Vosges), Magnières, Moyen, Gerbéviller, Fraimbois, Remenoville, Serauville, Mattexey, Valois, Giriviller, Venezey, Essey, Froville, Clézentaines, Dainvillers, Haillainville, Haudonville, Landecourt, Roselieures, Borville, Franconville, Moriviller, Clayeures, Einvaux, Brémoncourt et Haigneville.
Comme on le voit, aucune paroisse située sur la rive droite de la Meurthe ne faisait partie de ce doyenné. Comme chef-lieu d'une juridiction ecclésiastique, Deneuvre était alors ce qu'est aujourd'hui Baccarat comme chef-lieu de canton ; une distance de sept lieues séparait quelques cures de leur église-mère, comme maintenant le même espace sépare quelques hameaux.de leur justice de paix.
Les annexes de la paroisse de Deneuvre étaient : Baccarat, La Chapelle, Thiaville, Fagnon, Fagnoncelle, Humbépaire avec son oratoire et la partie de Badménil située à l'orient du ruisseau qui divise cet écart. Les dîmes de la paroisse se, partageaient entre l'abbé et les religieux de Senones pour la moitié; l'autre appartenait au curé; mais avant partage le dit abbé prenait d'abord un préciput de douze paires, seigle et avoine. Cette part lui avenait sans doute de ce que le patronage de la cure lui appartenait, il lui avait été donné par l'évêque de Toul, Jean de Sierck, dans le courant du 13 siècle; mais dans la suite le supérieur s'en défit en faveur des chanoines de la collégiale, et cet abandon fut ratifié en 1334 par l'évêque Bertrand de la Tour; puis confirmé par Guillaume, cardinal et légat du pape Clément VII. Le chapitre en était le collateur, c'est-à-dire qu'il nommait aux diverses fonctions de l'église dont le patron était déjà saint Remy depuis un temps immémorial. C'était un des chanoines qui était prêtre, par conséquent doyen de la chrétienté de Deneuvre. Mais lorsque le Synode était convoqué, l'assemblée des desservants avait lieu à Magnières et non à Deneuvre trop éloigné.
Quant au temporel la terre seigneuriale de Danuèvre était comprise dans le Chaumontois, division considérable de la Lorraine qui tirait son nom des montagnes dégarnies de forêts qui étaient très-communes dans les Vosges (Montes calvi, Calmontis) aussi comprises dans ce district. Toutes les villes situées entre la rivière de Meurthe et la Moselle, depuis leurs sources jusqu'à leurs confluents en faisaient partie. L'étendue du Chaumontois était à peu près de vingt-six lieues; mais sa largeur étant trop inégale, on ne peut l'évaluer avec autant d'exactitude. Il était borné au midi par le Saintois, ou comté de Vaudémont; au nord par le pays Messin et le Scarponois; et à l'ouest par le Toulois. En faisaient aussi partie les comtés de Blâmont et de Salm, quoique ces deux seigneuries ne se trouvassent point dans les conditions indiquées ci- dessus.
Tel était l'état spirituel et temporel de l'ancienne ville de Deneuvre. Ce titre de Doyenné qui lui fut donné au 13me siècle au détriment de Flin, est une preuve de son importance déjà à cette époque, mais ne nous apprend rien encore sur ses premiers commencements. Voyons donc si par l'étude et l'inspection de ses anciens monuments nous ne pourrons pas remonter à sa véritable origine.
Lorsque les Romains pénétrèrent dans nos contrées, ils occupèrent militairement tous les défilés de cette partie des Vosges ; ils y établirent des camps, et l'on sait ce qu'était un camp formé par les légions. Le monticule où nous voyons Deneuvre par sa position à l'entrée de la vallée et dominant le cours de la rivière, les invitait naturellement à s'y asseoir ; et ce qui doit nous convaincre de leur présence permanente en ce lieu, c'est non-seulement cette multitude de pièces de monnaie romaine en bronze et en argent, trouvées journellement sur son territoire; mais surtout les quelques traces du monument qu'ils y avaient élevé, et que nous nommons Tour du Bacha. Ces ruines, en effet remontent à l'ère Gallo-romaine, comme nous l'apprend M. le professeur de Caumont, déjà nommé. Les fragments de murailles encore debout appartiennent à ce que ce savant appelle murs de petit appareil. (5) «  Le plus souvent, dit-il, tome deuxième, page 160 et suivantes, on remarque dans les constructions de petit appareil des zones horizontales et continues de grandes briques, évidemment destinées à maintenir de niveau les petites pierres de revêtement. Ces zones se composent ordinairement de deux ou trois, parfois de cinq, six et sept rangs de briques séparées les unes des autres par des couches de ciment dont l'épaisseur est à peu près égale à celle des briques la dimension de ces briques est trop variable pour que je puisse les indiquer d'une manière absolue ; le plus souvent je leur ai trouvé de 14 à la pouces de longueur sur 8 ou 10 de largeur, mais il y en a de plus grandes, et j'en ai souvent aussi remarqué de plus petites... le mortier est aussi très-épais entre les pierres de l'appareil dont aucunes ne sont en contact immédiat, mais en quelque sorte incrustées dans le ciment... les mortiers romains sont composés de chaux vive mêlée de sable et assez ordinairement de brique pilée dans des proportions variables et qu'il serait difficile de déterminer. La présence de la brique pilée dans ce mortier le distingue de presque tous ceux que l'on a faits dans la suite. J'ai souvent remarqué du charbon combiné avec les briques dans les murs de petit appareil... »
A l'exception de la présence du charbon, qui n'est jamais qu'accidentelle, tous ces caractères indiqués par M. de Caumont se rencontrent dans les murs du monument qui nous occupe : zones horizontales en brique au nombre de deux superposées, noyées pour ainsi dire dans un bain de mortier, et mesurant chacune une longueur de 14 à 15 pouces ou 33 à 36 centimètres sur 24 à 25, et
ayant toutes 5 centimètres d'épaisseur. Ces zones assez régulière ment distancées se font remarquer sur les fragments de murailles encore debout; et comme les parements en sont détruits, on peut facilement observer dans le mortier, qui n'a pas été ménagé, ces débris de brique indiqués par le savant professeur comme un des caractères essentiels aux constructions de l'ère Gallo-romaine.
«  Les murs de petit appareil, continue M. de Caumont, offrent encore une particularité qui mérite d'être notée; c'est que la plupart sont établis sur des fondations en pierres volumineuses régulièrement posées sans ciment, et qui forment une base de la plus grande solidité. » Mais cette précaution était inutile pour le château en question, car ses fondations reposent sur un roc naturel, et sont encore de nos jours dans le plus grand état de conservation. En effet, qui de nous n'est pas étonné à la vue de cette admirable maçonnerie qui ne compte cependant, pas moins de quinze- à seize siècles ?» Les murs de. petit appareil ordinaire ont leurs parements formés de pierres symétriques à peu près carrées, quelques-uns sont construits avec plus de recherche que d'autres. » En effet, la Tour du Bacha était construite entièrement en moellons calcaires dits muschelkack, (ou vulgairement pierre froide,) et cependant nous ne possédons sur notre territoire (à ce que je crois) aucune carrière propre à fournir de semblables matériaux. Les moellons proprement piqués et sensiblement échantillonnés qui forment les assises inférieures de la partie du monument qui fait saillie dans le fossé, ont 0,23 cent, de longueur, sur une épaisseur de 0,115 millim. ; tandis que dans les assises supérieures, c'est-à-dire, à une hauteur de quatre à cinq mètres on ne leur trouve plus que 0,47 centim. de long sur 0,083 millimètres d'épaisseur. On ne voit pas dans cette partie du monument les zones en brique parce qu'elles sont recouvertes par les parements du mur; mais partout où ceux-ci manquent on retrouve la composition du mortier indiquée par M. de Caumont. Enfin la partie supérieure de cette admirable bâtisse est formée de moellons calcaires, en tout semblables à ceux employés pour les remparts de la ville; ce qui nous indique qu'elle fut alors reliée aux dits remparts, et qu'à cette époque, c'est-à-dire en 1361, les ruines de la tour du Bacha étaient déjà ce que nous les voyons de nos jours. Mais ce qui nous reste de cet ancien monument romain, envahi par une multitude de plantes parasites, finira par disparaître insensiblement sous les efforts incessants de cette végétation destructive.
Il est donc hors de doute, d'après ce que nous venons de dire, que la tour du Bacha appartient à l'ère Gallo-romaine, et qu'on peut en faire remonter l'antiquité au IIe ou au IIIe siècle au plus tard. C'était vraisemblablement une station romaine, un poste militaire fortifié, se reliant à d'autres camps répandus dans la contrée. C'est ce que nous indiquent d'ailleurs les traces d'une chaussée également romaine que l'on voit dans lés forêts de la Rappe et du Fays, et que l'on retrouve encore sur les différents points du territoire de Deneuvre. Cette route, sous la protection de la tour du Bâcha, conduisait au grand pont de pierre, (6) construit également à cette époque par ces conquérants et qui traversait tonte la vallée marécageuse formée par les alluvions de la Meurthe. De là cette chaussée prenant sa direction vers les Vosges conduisait à d'autres stations militaires situées dans cette partie du pays, comme nous l'apprend l'auteur de l'histoire de l'arrondissement de Saint-Dié. Tout concourt donc à nous persuader que la forteresse primitive de Deneuvre était une avant-garde, un poste avancé des légions qui gardaient cette porte des Vosges ; et qu'à ce séjour des troupes romaines doit être attribuée la véritable origine de l'ancienne ville de Danubrium.
Mais après les terribles invasions des barbares, les romains vaincus et refoulés, virent démembrer leur empire, et se former les diverses nationalités qui partagent aujourd'hui l'Europe. Deneuvre après ces commotions fit partie du domaine des Rois d'Austrasie, dont Metz était la capitale. Cependant on ne voit pas figurer cette ville dans le partage territorial qui eut lieu en 870 entre Charles-le-Chauve et Louis-le-Germanique, quoiqu'on y trouve la ville et te comté de Blâmont désignés sous le nom allemand d'Albe-Chowa (Blanc Mont). Mais c'est qu'alors cette terre seigneuriale avait déjà ses seigneurs particuliers, tandis que Deneuvre n'était recommandable que par les ruines du château qu'y avaient construit ses premiers possesseurs ; et même il est très-probable qu'à cette époque elle appartenait déjà aux évêques de Metz, par suite d'une de ces donations désintéressées dont nous avons parlé dans l'introduction. Quoiqu'il en soit ce n'est que sur la fin du XIe siècle, en 1078, sous l'épiscopat de Herman ou Hériman, 49e évêque de Metz, que commence l'histoire authentique de l'ancien Danubrium et que l'on voit figurer cette cité pour la première fois dans les annales de la Lorraine. Voici à propos de quoi :
Dans le partage des biens de Gérard d'Alsace, premier prince héréditaire de la Lorraine, entre ses deux fils Thiéry et Gérard, celui-ci mécontent de la part qui lui était échue entreprit contre son frère des hostilités qui plongèrent notre pays dans la plus grande confusion. L'empereur Henry IV, leur suzerain, fut obligé de s'entremettre pour faire cesser ce conflit et par suite de l'accord qui s'en suivit, Gérard obtint en plus de son premier partage le comté de Vaudémont. Mais alors ce fut bien pis. Ce seigneur se considérant comme un puissant monarque s'affranchit de toute vassalité, contrairement aux usages du temps: et commença par attaquer et piller les villes et châteaux des barons ses voisins. C'était un brigand titré qui ne respectait ni les églises, ni les monastères, laissant partout sur son passage des traces de sa violence et de ses rapines. Dans, une de ses courses aventureuses, il vint attaquer la ville et le château de Deneuvre, sans aucun grief contre son possesseur, l'évêque Herman. Il s'en empara et les saccagea de fond en comble ; mais c'est tout ce que nous savons sur cette malheureuse catastrophe arrivée en 1078.
Pendant le règne de son frère Thiéry, qùi avait succédé à son père comme prince de Lorraine, Deneuvre eut également beau coup à souffrir pendant la guerre qui survint entre ce prince et le même prélat, à propos de l'élection de Grégoire VII que Thiéry refusait de reconnaître comme souverain pontife. On se battit pendant tout le schisme; les terres de l'évêché furent ravagées par les troupes lorraines qui, après s'être emparées de la ville et du château d'Épinal, se dirigèrent sur celui de Deneuvre. Ils s'en rendirent bientôt maîtres et le duc Thiéry ne ménagea pas plus les malheureux habitants que ne l'avait fait son frère. Enfin dans le cours de cette guerre ridicule, les monastères, les couvents, les abbayes et les églises furent généralement pillés et incendiés; car le butin était le but des conflits de cette époque ; et l'on vit nos misérables contrées ravagées et mises en cendres à propos de l'élection d'un Pape.
Tels sont les faits primitifs relatés par les chroniqueurs touchant la ville de Deneuvre. Nous devons en conclure que le château qui la protégeait n'était pas alors aussi important qu'il le devint dans la suite sous la puissance des sires de Blâmont. Ce monument féodal, oeuvre d'un évêque de Metz dont le nom nous est inconnu, était situé à l'extrémité du monticule qui servait d'assiette à la ville : nous nous en occuperons en son lieu. Tant qu'il restera entre les mains des évêques, nous le verrons toujours tomber au pouvoir du premier aventurier qui se présentera devant ses murs. Mais malheureusement les annalistes de ces temps reculés laissent beaucoup à désirer dans leurs relations trop concises. Comme ils étaient presque tous Moines, ils s'occupaient naturellement plutôt des dimes ou redevances dues à leurs couvents, que des détails historiques qui devaient intéresser la postérité.
Au commencement du XIIme siècle, en 1118, le siège épiscopal de Metz était occupé par Théogerus ou Théogère que les historiens nous représentent comme un prélat savant, ami des belles lettres, mais homme sans énergie et plus propre à la vie monastique qu'au bruit des camps. Cet évêque ne pouvait donc se plaire dans un poste où les armes passaient avant l'érudition. Aussi résigna-t-il sa charge cette année même pour se livrer à son goût pour l'étude, s'inquiétant bien peu des biens temporels de son église. Ces terres abandonnées se trouvant à la merci des seigneurs voisins, ceux-ci s'emparèrent sans façon de celles situées à leur-portée. Le duc de Lorraine, Simon, premier du nom, ne fut pas un des derniers à profiter de cette anarchie pour augmenter ses états ; c'est pourquoi il s'empara pour son compte de la ville et du château de Deneuvre.
Ce pillage du domaine de l'évêché dura deux ans. Enfin en 1120, Etienne de Bar, fils de Thiéry Ier, comte de Montbéliard, fut nommé à ce poste important : Sa mère était soeur du pape Calixte II.
A l'avènement de ce prélat que le bruit des armes n'intimidait guères, les choses changèrent de face. Son premier soin fut de retirer les biens dont nous venons de parler des mains de leurs spoliateurs. En conséquence Etienne se mit à la tête des troupes de l'évêché, et se sentant soutenu par quelques-unes de l'empereur, son suzerain, Frédéric Barberousse, il alla attaquer séparément et successivement les villes et les châteaux distraits de son domaine, s'en empara sans grande difficulté et les réunit de nouveau sous sa puissance. Ce vigilant évêque ne laissa pas les lorrains jouir paisiblement de leur rapt; il vint à son tour les déloger de la forteresse de Deneuvre ; et une fois maître de la ville, les chroniqueurs nous disent qu'il châtia sévèrement (7) (Rebelliones Danubrii) ses habitants. 1159, Il est bien probable que nos ancêtres s'étaient attiré cette correction pour avoir favorisé l'entreprise du duc Simon; peut-être même pour avoir combattu contre leur seigneur naturel, comme on disait alors, puisqu'il les traite de rebelles. Quoiqu'il en soit, le duc Mathieu, alors régnant, lui déclara la guerre; mais après plusieurs succès et revers de part et d'autre, la paix se fit sous les auspices du comte de Bar, Renaut dit le Borgne, frère de l'évêque Etienne ; et celui-ci eut la satisfaction de conserver sa conquête.
Ce prélat aussi habile guerrier que zélé défenseur de la foi, se croisa et alla porter ses armes en Palestine. Il mourut en 1163 laissant son évêché singulièrement obéré par les emprunts qu'il fut obligé de contracter pour soutenir les différentes guerres dans lesquelles il se trouva engagé, et surtout pour fournir aux frais de son pieux voyage. Cet état précaire de l'évêché de Metz ne fit que s'aggraver sous l'administration de ses successeurs jusqu'au temps de l'épiscopat de Laurent, protonotaire du Saint-Siège.

1269. Pendant tout ce siècle nous ne trouvons plus aucun fait relatif à notre sujet, ce qui fait supposer que la ville de Deneuvre jouit enfin de quelques moments de tranquillité.
A peine Laurent eut-il pris possession de son évêché qu'il s'engagea par acte au profit de Renaut II, comte de Bar, à payer les dettes de ses prédécesseurs, pourvu qu'elles se trouvassent hypothéquées sur les biens temporels de son église. Mais cette promesse téméraire dictée sans doute par un sentiment de conciliation ne lit qu'attirer de nouveaux orages sur le dit évêché. En effet, ce prélat ayant trop différé, ou ne se trouvant pas en état de faire honneur à ses promesses, le comte irrité résolut de lui faire la guerre. Sur ces entrefaites le duc de Lorraine, Ferry III, qui avait hérité des prétentions de ses prédécesseurs sur une partie du domaine de l'église de Metz, se mit aussi en mesure de faire valoir ses droits ; et enfin pour comble d'embarras le sire de Blâmont se joignit encore à ces deux seigneurs, Cependant ils étaient tous trois feudataires d l'évêché, et comme tels, ils se voyaient obligés d'après le code féodal, de lui porter secours lorsqu'ils en étaient requis. Alors pour ne pas contrevenir à leur serment, et par conséquent ne pas encourir l'accusation de lèze-féauté, ces personnages convinrent, quoiqu'ils fussent les assaillants, de lui envoyer vingt hommes d'armes pour l'aider dans sa défense. Telle était la manière employée pour éluder les plus solennels engagements : aucun siècle ne diffère sous ce rapport.
Après avoir assiégé et pris le château et la ville d'Épinal, dépendances de l'évêché; après avoir fait prisonnier le malheureux Laurent dans un combat livré près de Hadigny en 1273, les troupes alliées se dirigèrent sur la ville de Deneuvre, qui tomba également en leur pouvoir. Après ces exploits, les vainqueurs pour s'assurer de leurs prises se firent remettre des otages choisis dans les cités conquises, et ceux-ci partagèrent le sort de l'infortuné Prélat dont la détention se prolongea un an et demi. Cependant sur ces entrefaites, le pape Eugène X avait assemblé un concile général à Lyon. L'évêque Laurent s'empressa d'y faire parvenir ses plaintes contre ses oppresseurs ; et Renaut et Ferry sommés de comparaître sous peine d'excommunication se virent contraints, sous l'empire de ce préjugé, de répondre à l'appel du souverain pontife. Celui-ci après avoir écouté, leurs diverses réclamations termina enfin ce différend par un traité solennel conclu le 6 août 1274. Le comte de Bar consentit à remettre le prélat en liberté ; lui rendit la ville et le château d'Epinal, ainsi que Condé-sur-Moselle (aujourd'hui Custine), et lui quitta en outre tout ce qu'il lui devait, sous condition toutefois que l'évêché lui payerait dans l'espace de vingt ans la somme de vingt mille livres, monnaie de Metz. Le duc Ferry de son côté lui remit également ce qu'il avait reçu en partage, c'est-à-savoir, Réméréville, Deneuvre et son château, ainsi que les otages. Enfin le 7 décembre de la même année deux arbitres furent chargés par les parties de régler les autres contestations de moindre importance. Cependant le duc de Lorraine ne consentit à remettre en liberté nos malheureux ancêtres que sous là promesse que Laurent s'engagerait pour eux à ce que à l'avenir aucun ne se permettrait ni mal ni dommage envers lui ou ses successeurs ; ni ne chercherait jamais à tirer vengeance pour ce qui lui était arrivé pendant sa détention. Cette singulière recommandation nous apprend assez avec quelle humanité furent traités les bourgeois qui servirent d'otages. Tel fut le résultat des bonnes intentions de l'évêque Laurent, dont le domaine, à la suite de ces conflits, fut encore plus obéré que jamais. Car son épiscopat fut très-agité par les différentes guerres qu'il eut à soutenir contre les seigneurs ses voisins, mais principalement contre le même duc Ferry, dont le règne fut si long. Enfin ce prélat dégoûté d'un évêché où il n'avait éprouvé que du désagrément résigna sa charge et se retira en Italie où il mourut. 1279. Son successeur fut Jean de Flandre, remplacé lui-même peu de temps après par Bouchard ou Burchard d'Avesne, fils du comte de Hainaut et d'Alix de Hollande, soeur du roi des Romains.
L'évêque Bouchard, héritier de tous les différends suscités ou soutenus par ses prédécesseurs, vit également son temporel troublé par plusieurs conflits sanglants, tantôt avec le comte de Bar, tantôt avec le même duc Ferry. Cependant en 1284 il fit un accommodement avec ce prince pour régler leurs anciennes querelles. Il acquit ensuite le comté de Castres qu'il paya de la vente de son propre patrimoine et en fit don à son église de Metz. Mais peu de temps après il le revendit ou plutôt il l'engagea au duc de Lorraine pour la somme de vingt mille livres messaines, avec faculté de rachat. Cette clause devint le sujet d'une nouvelle guerre. En effet, Bouchard ayant manifesté l'intention de jouir de ce droit, Ferry s'en offusqua, et pour l'en détourner résolut de lui faire violence. Il n'eut pas de peine à attirer dans son parti le comte de Bar, Henry III, qui avait aussi quelques griefs contre cet évêque qu'il traitait même de Bâtard. Bouchard pour conjurer cet orage s'empressa de demander du secours à ses parents, à ses amis et à ses vassaux. Chacun se prépara donc à la guerre, et bientôt les belligérants entrèrent en campagne. La chronique nous apprend que le prélat fit plusieurs irruptions heureuses sur les terres lorraines, et en même temps un grand butin ; il battit même le duc Ferry et fit prisonnier le comte de Linanges. Mais tous ces exploits ne purent empêcher que sa ville et son château de Deneuvre ne tombassent entre les mains de Liébaut-de-haute-Pierre, en 1291. Cette petite guerre dura environ six ans, puis enfin les partis fatigués songèrent à faire la paix, et nommèrent d'un commun accord Jean, sire de Dampierre, arbitre de leurs différends. D'après les conclusions proposées par ce seigneur le duc de Lorraine rendit à Bouchard la plupart de ses prises et par le traité qui s'en suivit nous apprenons enfin pour la première fois le nom de l'ancienne forteresse de Deneuvre. Voici les paroles originales de cet acte important, dans lequel figure aussi le Seigneur de Forbach, qui avait pris les armes en faveur de l'évêché :
«  Nous Bouchard, par la grâce de Deu, évesques de Mez, et je Ferry, dus de Lorreigne, et Marchis, fesons savoir à tous, que de tous les descors qui étaient entre nous, Nous, Evesques devant dit, et Henry, seigneur de Fourfach, d'une part; et moi Ferry, dus de Lorreigne et Marchis, d'autre part; nous nous en sommes accordez et avons fait bonne pais en la manière que, je dus, devant dit, doit rendre à l'èvesques de Mez devant nommé, ou à son certain commandement, Remberviller, lou chastel et lou bourg et ceu qui append; lou chastel de Deneuvre con dit Baccarat, lou bourg et ceu qui append ; l'ou chastel de Condé, etc., etc., fut fait l'an de grâce, mil dous cents quatre vingt et onze, l'ou macredi prochien devant feste de saint Martin en yver, au mois de novembre. » Telle était donc la dénomination sous laquelle l'on connaissait l'ancien oeuvre des évêques de Metz sur la fin du 13e siècle. Dans l'historique de la ville de Baccarat, qui lui a emprunté son nom, nous émettrons notre opinion sur l'origine de ce nom, donné, selon nous, primitivement à la tour du Bacha, qui semble n'en être que l'abréviation.
Le comte de Bar Henry ne fut pas compris dans ce traité, car le duc de Lorraine en remettant la ville et le château de Deneuvre à son ancien maître promit en même temps de l'y maintenir jusqu'à la saint Martin de l'année suivante. Cependant au milieu de tous ces conflits les évêques de Metz ne perdaient jamais de vue l'agrandissement de leur temporel, et si quelquefois les armes leur étaient infidèles, leurs habiles négociations souvent précédées de la terrible excommunication ou de l'interdit, faisaient toujours pencher la balance en leur faveur. Souvent aussi c'était par voie d'achat qu'ils augmentaient le revenu de leur église ; et c'est de cette manière qu'un peu avant les événements que nous venons de parcourir, l'évêque Jakon ou Jaques de Lorraine, avait acquis la suzeraineté de la seigneurie de Blâmont (Albus mons) vers l'an 1240, des mains de Frédéric, fils de Henry 1er, seigneur de Blâmont et de Salm. Les successeurs de ce Frédéric conservèrent néanmoins l'héritage de leurs ancêtres, mais depuis lors ils furent obligés de faire leurs reprises de leur terre inféodée en hommage-lige entre les mains des évêques de Metz. Bouchard, pour les raisons que nous dirons ci-après, leur fit don de la seigneurie de Deneuvre, l'année même que Liébaut-de-Haute-Pierre s'en était emparé. C'est alors que ces sires ajoutèrent à leurs titres celui de cuens de Danubre, de Danuèvre. Cependant ce prélat avait réservé pour lui et ses successeurs la suzeraineté de cette terre qu'il abandonnait- aussi généreusement. Le premier qui lui en rendit foi et hommage fut Henry II, comte de Blâmont, premier du nom, seigneur de Deneuvre, et fils de ce Ferry dont il vient d'être question. La cérémonie se fit entre les mains du prélat qui le déclara son voué, et ce titre se perpétua chez ses descendants jusqu'à l'extinction de cette noble famille. Voici les paroles prononcées par ce seigneur :
«  Je Henry, cuens de Blanmont, fais savoir à tous qui ces présentes lettres verront, que les châtels de Blanmont et de Danubre ait tint en fié de Monsignor Révérend père en Deu Bouchard d'Avesne, évékés de Mez, ait repris de lui rendables à son besoin et à sa volonté, etc. » (8)
Dans tous les événements que nous avons passés en revue depuis l'an 1078 jusqu'à l'épiscopat de l'évêque Bouchard, nous avons constamment vu la ville et le château de Deneuvre devenir la proie des ennemis de l'évêché : il ne pouvait guères en être autrement. En effet, si l'on veut bien jeter les yeux sur la carte dressée par M. l'ingénieur Vionnois, indiquant les possessions lorraines et celles des trois évêchés toutes plus ou moins enclavées les unes dans les autres, on se convaincra facilement qu'ils ne pouvaient résister à une attaque du dehors. (9) La ville de Deneuvre ouverte alors de toutes parts, défendue seulement par son château féodal ; entourée de tous côtés par les terres ducales et trop éloignée du pays messin pour être secourue à propos, devait nécessairement toujours succomber. C'est pourquoi l'évêque Bouchard voulant désormais prévenir de semblables événements, ne crut mieux faire que de placer cette seigneurie sous la protection des puissants comtes de Blâmont qui, à cause de leur proximité, seraient toujours à même de la protéger et d'accourir à son secours au cas échéant.
Car dans ces temps à demi-barbares, les évêchés, les abbayes et les riches monastères, pour défendre et conserver leurs biens, étaient non-seulement obligés d'entretenir des troupes, mais encore quelquefois de partager avec les seigneurs une partie de leurs revenus pour la garantie de l'autre ; ou bien de faire comme l'évêque Bouchard. C'est de cette coutume que sont venus les voués, advoués, advocati, c'est-à-dire, défenseurs. Les comtes de Blâmont devinrent donc les protecteurs de l'évêché de Metz pour toute la seigneurie de Deneuvre. Ces avoués, dont le rôle est bien changé de nos jours, jouissaient de grands privilèges. Les uns commandaient les troupes épiscopales, les autres rendaient la justice ou réglaient la police; plusieurs avaient le droit de gîte chez les sujets et lorsque ces seigneurs voyageaient, ceux-ci étaient tenus de fournir tout ce qui était nécessaire à leur entretien ; d'autres encore possédaient les droits d'entrée d'une ville ou la moitié et même le quart des amendes imposées par la justice. C'était donc une sinécure pour ceux qui remplissaient cette charge, et comme telle sujette à bien des abus. Ils devenaient même quelquefois si intolérables que les évêques et les abbés se voyaient souvent obligés de racheter ce droit pour se mettre à couvert de l'avidité de leurs défenseurs. De nominatif qu'il était dans le principe ce poste devint avec le temps héréditaire et les filles même jouirent de ce droit. Les seigneurs voués pouvaient remettre leurs charges entre les mains d'autres nobles, leurs subalternes, qui prenaient le titre de sous-voués. Mais c'était encore augmenter les charges et les soucis des évêchés et des abbayes. Aussi arrivait-il souvent que ces advoués étaient en dissension avec ceux qu'ils avaient juré de protéger et défendre ; et la relation de ces différends qui étaient presque toujours suivis d'hostilités, fait une grande partie de l'histoire de ces temps barbares. (10).
Bouchard d'Avesne rendit de si grands services à son évêque que les messins, qui aimaient son caractère belliqueux, ordonnèrent que tous les ans, le troisième jour des Rogations, on porterait en procession ses étendards et cottes-d'armes, sur lesquels ses armoiries étaient représentées. Dom Calmet nous apprend qu'il portait d'or à un Lion de sable armé et lampassé de sinople. Ce prélat, qui mourut en 1296, en abandonnant aux sires de Blâmont la ville et le haut château de Deneuvre avec leurs dépendances, changea les destinées de cette terre seigneuriale. En effet, nous allons voir cette cité, jusqu'alors si malheureuse sous la régale de ses anciens maîtres, entrer dans une ère nouvelle; ère de grandeur, de tranquillité et de prospérité. Nous verrons son château féodal servir ordinairement de résidence à quelque prince, soit de la maison de Blâmont, soit de celle de Lorraine qui lui succéda ; nous verrons enfin la ville de Deneuvre jouir d'une grande prospérité et de l'état le plus florissant jusqu'à la première moitié du 17e siècle, c'est-à-dire jusqu'à sa destruction.
Après l'abandon de Bouchard, Blâmont et Deneuvre s'identifièrent complètement. Par acte passé en 1332, après la Toussaint, entre Isabelle de Saint-Dizier, veuve d'Egme de Blâmont, et le sire Henri son parent, il fut convenu d'un commun accord que ces deux villes seraient désormais communes et indivises ; que les deux châteaux seraient gardés par le même nombre de soldats; qu'en temps de guerre les dommages ainsi que les réparations seraient supportés également ; enfin que les revenus seraient partagés par moitié. Ces deux anciennes cités eurent alors la même administration, la même police et furent régies par les mêmes coutumes : elles jouirent de la même prospérité comme elles supportèrent les mêmes revers.
Après la mort d'Adémare de Montil (il sera grandement parlé de ce prélat dans l'historique de Baccarat) l'un des successeurs de Bouchard d'Avesne, arrivée en 1361, le siège de Metz resta vacant. Les chanoines choisirent alors sept notables personnages de leur corps pour administrer le spirituel de l'évêché, et nommèrent pour lieutenant du temporel Thiébaut, sire de Blâmont, fils de Ferri III. Ce choix était des plus naturels, car ce seigneur en sa qualité de Voué du dit évêché, avait déjà rempli les mêmes fonctions pendant le long épiscopat du guerrier Adémare; (De 1327 à 1361) Il prêta serment le 6 juin de cette année entre les mains du doyen du Chapitre. (11) Mais si ce seigneur s'occupa consciencieusement de sa charge, il ne négligea cependant pas ses intérêts. Il sut au contraire profiter de cet interrègne et de sa haute position pour faire des augmentations considérables à ses deux châteaux de Blanmont et de Danuèvre. Ce fut aussi à ce Thiébaut que ces deux villes durent à la même époque leur enceinte de fortes murailles ; et nous apprenons par le bénédictin Dom Calmet que ces divers travaux lui coûtèrent la somme de 12,363 florins (500,000 francs environ de notre monnaie). Mais pour rentrer dans cette somme dont il avait fait les avances, il fut obligé de guerroyer contre son suzerain, Jean de Vienne, qui avait enfin succédé à l'évêque Adémare.
Ses réclamations appuyées par les armes ayant contraint ce prélat à entrer en accommodement, il lui fut promis le remboursement de ses deniers par un traité passé l'an de grâce de Notre Signor, mil trois cens soixante et dous, lou mardy lendemain de la décollation de saint Jean-Baptiste. Mais la somme se trouvait déjà réduite à 10,000 florins, Thiébaut ayant touché le surplus. Cependant il mourut avant d'être totalement remboursé et légua ses droits à ses héritiers. Nous allons essayer de donner un aperçu des travaux exécutés à Deneuvre par ce seigneur.
Il ne nous reste ni plan ni dessin du château et de la tour (12) bâtis parles évêques de Metz, restaurés et agrandis par le comte Thiébaut ; mais on peut facilement s'en faire une idée en le comparant à ces anciennes demeures féodales à demi ruinées répandues encore en si grand nombre dans toute l'Alsace. Cependant si l'on veut s'en créer un coup d'oeil fictif, il faut se transporter au 12me siècle et se représenter ce monument isolé s' élevant majestueusement à l'extrémité du monticule qui servait d'assise à la ville. Car au commencement de ce siècle l'emplacement où nous voyons aujourd'hui Baccarat se trouvait inoccupé. Cette forteresse dégagée de toutes parts paraissait donc de loin comme une sentinelle avancée surveillant le cours de la Meurthe et l'entrée de cette partie des Vosges. Elle occupait tout le terrain où se voit aujourd'hui l'église moderne, et celui transformé en un jardin particulier comme on peut facilement s'en convaincre en parcourant les lieux. L'épaisseur de la muraille de l'ouest (2 m. 20) dont une portion sert d'appui à la dite église ; la hauteur de celle située à l'est, et qui sert encore maintenant à soutenir ce côté de la montagne, peuvent seules nous donner une idée de la solidité de cet édifice. Fermé au nord par de semblables travaux le château de Deneuvre se trouvait en outre protégé parla grande déclivité du terrain sur lequel ne s'élevait alors aucune habitation. Car le château Gaillard (13) qui l'occupe en partie est moderne, et nous dirons dans l'historique de Baccarat à quelle époque ses habitants purent s'y établir. Des poternes, aujourd'hui murées, se trouvaient ménagées dans le rempart de l'ouest pour la facilité du service; mais l'entrée principale de cette enceinte fortifiée était par la porte Saint-Nicolas, vandalisée de nos jours. A la gauche de ce monument se trouvait ménagé un passage pour les piétons, que l'on aperçoit à peine maintenant tant il est obstrué par les débris des fortifications et les décombres des constructions modernes ; de même qu'à la droite se trouvait une sortie particulière aboutissant à un escalier dont on voit encore les vestiges. Cette porte voûtée était surmontée naguère de la statue en pierre, moussue et défigurée, du patron de la Lorraine, saint Nicolas, qui lui a donné son nom. Elle y avait été placée par les premiers princes Lorrains qui vinrent habiter Deneuvre, (14) et l'on peut encore aller la voir entre les mains de son propriétaire actuel, qui conserve cette relique comme une précieuse vieillerie de la localité. Enfin de cette porte on gagnait le grand pont de pierre, contemporain de la tour du Bacha, et qui traversait, comme il a déjà été dit, le canal et toute la vallée parcourue par les eaux de la Meurthe. Ajoutons aussi que dans l'enceinte de ce château se trouvait un puits taillé dans le roc et d'une profondeur de 27 à 28 mètres au niveau de l'eau. Il servait alors aux besoins de la garnison, comme aujourd'hui à ceux de son propriétaire. Ce puits quoique moins large et moins profond, mais bien plus ancien que celui que l'on voyait à Pierre-Percée, n'en diffère nullement quant au travail : c'est pourquoi l'un a bien pu servir de modèle à l'autre.
Quant aux fortifications de la ville élevées en 1361 par le comte Thiébaut, elles consistaient tout bonnement en une seule enveloppe de murailles, défendue en partie par un large fossé ; l'enceinte formait un quadrilatère allongé et irrégulier. Le rempart de l'est, à partir de la forteresse, (15) s'étendait en ligne droite l'espace de 600 pas environ. Ce côté de la ville n'avait pas d'autre défense ; mais il se trouvait protégé naturellement par une pente extrêmement rapide. Au midi, la muraille aussi bâtie en ligne droite et suivant les ondulations du terrain était soutenue par un fossé d'une largeur de vingt mètres ; mais sa profondeur nous est inconnue, attendu qu'il se trouve pour ainsi dire comblé par les ruines du dit rempart et les injures du temps. A l'est et à l'ouest de cette muraille se voyaient deux grosses tours, dont l'une défendait la porte d'en bas et l'autre la porte d'en haut. La première était située sur le terrain qui domine le chemin des voitures pour aller à Laitre et l'autre sur le sentier qui conduit au cimetière des deux paroisses. Mais il reste si peu de traces de ces monuments qu'il est impossible d'en donner la moindre notion ; on ne peut que les relater. A l'ouest c'était le même système de fortification, c'est-à-dire, muraille haute et épaisse bâtie sur le roc et défendue par la continuation du fossé qui allait toujours en diminuant insensiblement jusqu'à l'enceinte de la citadelle où venait aussi se relier la dite muraille à l'endroit même où depuis l'on fit une trouée pour donner passage aux nouveaux habitants. On pouvait descendre dans ce large fossé (aujourd'hui cultivé) par une porte ménagée près de la tour du Bacha; on voit encore les traces de l'escalier sous l'emplacement duquel se trouve une cavité peut-être moderne, peut-être aussi les restes d'un puits ou d'une ancienne citerne. Mais comme la partie supérieure des murs de Deneuvre est complètement détruite on ne peut dire si leur défense se complétait par des créneaux, cependant on doit le présumer. Enfin on remarque que les différents travaux de maçonnerie exécutés par le comte Thiébaut se trouvent liés par un ciment qui aujourd'hui a acquis la dureté de la pierre même : et comme ces remparts ont cinq siècles, c'est ce long espace de temps qui permit la combinaison chimique intime de l'acide carbonique de l'atmosphère avec la chaux employée; d'où la pétrification de ce mortier.
Tel était l'ensemble des fortifications de Deneuvre ; c'était l'art dans son enfance. Mais au temps du sire Thiébaut elles étaient une barrière assez puissante pour résister avec efficacité aux attaques du dehors. Ce qui nous reste de ces divers monuments multiséculaires est encore digne de notre attention. Que de réflexions font naître ces ruines dont la plupart sont si bien conservées ! Et pourtant de toutes les générations qui les ont foulées aux pieds, combien les ont vues avec indifférence ! On a peine à comprendre aussi que de si grands travaux coûtèrent si peu ; mais l'étonnement cesse lorsque l'on sait qu'au 14me siècle un garçon de charrue gagnait à peine sept francs de gage par année et consommait pour environ trois ou quatre francs de blé. Et puis d'ailleurs, les corvées ne furent-elles pas le moyen le plus puissant et le plus économique employé par le sire Thiébaut ?
Les hobereaux de Brouvelotte (16) devaient six mois de garde au château de Deneuvre, comme hommes-liges des comtes de Blâmont, depuis l'an 1300; ils recevaient pour ce service trente-quatre livres tournois qu'ils touchaient sur la recette de la ville. Les abbés de Senones étaient aussi tenus de pourvoir à sa sûreté, sans doute par suite d'anciennes servitudes imposées par leurs suzerains les évêques de Metz. Lorsque ces défenseurs s'y trouvaient en l'absence du comte ils avaient le droit de prendre pour leur chauffage du bois vif ou mort dans la forêt de la Moncelle. Ils furent encore maintenus dans ce privilège sous l'administration des ducs de Lorraine; car le duc Antoine leur en donna des lettres patentes en 1551. Mais en échange de ce droit ils étaient obligés de donner aux gardes forestiers, au cas échéant, quatre douzaines de miches avec quatre quartes de vin, le tout aux dépens du sire de Blâmont. C'était bien peu pour ces fonctionnaires dont la position est si enviée de nos jours.
Deneuvre fortifié et désormais à l'abri des insultes de l'ennemi, devint bientôt une des cités les plus florissantes de la Lorraine. Aussi sa population toujours croissante ne pouvant se loger dans l'enceinte trop resserrée des murailles, de grands faubourgs s'élevèrent-ils et se prolongèrent-ils insensiblement au loin vers le midi. L'écart que nous nommons Laitre, et qui ne figure dans aucuns pouillés, est tout ce qui nous reste de cette partie de l'ancienne cité. On y voyait encore en 1705 l'église paroissiale, dont l'emplacement à peine connu de nos jours, ne nous est indiqué que par bien peu de vestiges. Il parait que ce monument qui datait des temps primitifs de Deneuvre n'était pas en très-bon état au 15me siècle; car Marguerite de Lorraine, Dame de Blâmont, dit dans son testament écrit en 1469 : «  Item, je donne à l' église parochiale de Deneuvre pour ayder à faire un ciel de planches à la nef du moustier, six francs. » Autour de l'église se trouvait le cimetière commun, (Atrium, d'où Laitre tire son nom). Or, comme nous savons que jusqu'au siècle dernier (17) il était de mode d'enterrer dans ces lieux réservés, les abbés, les prêtres, les laïques même d'une vie irréprochable, et en général toutes les personnes de quelque importance, il serait bien à désirer que l'on retrouvât l'emplacement réel de l'ancienne église de Deneuvre. Des fouilles bien dirigées révéleraient sans aucun doute à notre curiosité les tombes de ses anciens habitants avec les inscriptions funèbres qui les décorent : inscriptions probablement aussi véridiques que la plupart des pompeuses épitaphes que nous lisons dans nos cimetières modernes, et toutes dictées par la plus sotte vanité. Ce travail qui nous donnerait la chronologie des habitants primitifs de Deneuvre serait certes plus intéressant et surtout plus curieux que les recherches ridicules entreprises au hasard par d'ignorants particuliers.
Les citadins de Deneuvre jouirent d'une assez grande tranquillité sous le gouvernement des successeurs du comte Thiébaut. Ils ne se virent plus exposés à toutes ces incursions, à toutes ces calamités qui rendent les commencements de leur histoire si affligeants. Ce n'est pas à dire qu'il ne s'élevât encore quelquefois de petits différends entre ses seigneurs et leurs suzerains les évêques de Metz. Ce fut même pour éviter à leurs sujets les maux produits par ces conflits toujours plus ou moins sanglants, qu'en 1436, Dame Marguerite de Lorraine, dont nous venons de parler, et l'évêque Conrad Bayer de Boppart, convinrent que désormais leurs officiers ou fonctionnaires ne pourraient plus retenir nul des hommes de l'un ou de l'autre pendant l'espace de cinq ans, excepté cependant pour cas de mariage ; car alors l'homme, c'est-à-dire, le sujet, restait au seigneur sur les terres duquel il était allé se marier. Il fut également convenu que si pendant ce temps il surgissait quelque guerre entre les contractants, ceux de leurs sujets qui ne voudraient pas rester dans leurs domaines, l'un et l'autre ne pourraient leur faire ni grief, ni extorsion ou toute autre vengeance. On stipula aussi que si un sujet voulait quitter son seigneur pour ne pas être exposé aux fureurs de la guerre, l'autre ne pourrait le recevoir qu'avec le consentement de celui qu'il abandonnait. Mais cependant il lui était permis de se retirer ou à Lunéville ou à Raon-l'Etape ou tout autre lieu de la Lorraine. Ce singulier traité concernait les habitants de Deneuvre, de Merviller, de Fontenoy-la-Joute, Brouville, Brouvelotte, Azerailles, Gelacourt, Glonville, Flin, Montigny, Lintrey, Blâmont et la partie de Badménil comprise dans la prévôté de Deneuvre. Ce titre nous apprend jusqu'où s'étendaient les droits des seigneurs et sous quelle sujétion vivaient ceux qu'ils appelaient leurs hommes, leurs femmes. Sauf un traité spécial ils conservaient leur autorité sur leurs sujets qui les quittaient pour aller vivre sur les terres d'un autre seigneur et pouvaient exercer contre eux leurs droits de justice. Nous verrons dans le cours de cette notice les entraves plus bizarres qu'extraordinaires inventées par les évêques de Metz pour retenir leurs hommes sous leur puissance. Ces sortes de traités entre nobles, se nommaient entremains, entrecours; mais il arrivait souvent à ces personnages d'abolir d'un commun accord la faculté qu'ils avaient accordée à chacun d'aller vivre où bon lui semblait, et d'obliger leurs hommes et leurs femmes de corps de retourner dans leurs villages, pour y garder la foi qu'ils devaient à leurs seigneurs naturels ; comme le firent Henri dauphin, évêque de Metz, et le duc de Lorraine, Ferri IV, le 10 décembre 1322. Le seigneur d'alors pouvait donner, vendre, affermer, enfin disposer d'une terre ou d'une ville avec ses habitants comme bon lui semblait. C'est pourquoi Olry, évêque de Toul et dernier comte de Blâmont usa de ce droit pour donner sa seigneurie de Deneuvre à la maison de Lorraine. Elle avait été possédée par ses ancêtres pendant 215 ans qui semblent avoir été pour ses habitants deux siècles de tranquillité, sauf toutefois pendant l'époque de la grande invasion des Bourguignons, dont il sera fait mention dans l'historique de Baccarat. Tous ces sires de Blâmont, seigneurs de Deneuvre, s'efforcèrent à l'envi de rendre cette ville importante : Henry II y avait fondé une Collégiale qui survécut même quelque temps à la destruction de la cité; Thiébaut, pour sa sécurité, l'avait fait entourer de remparts; et leurs successeurs ne négligèrent aucuns moyens pour y faire fleurir l'industrie et le négoce, sources de toute prospérité. Tel était l'état de Deneuvre quand en 1306 il passa entre les mains des ducs de Lorraine.
La postérité de Ferri II, comte de Blâmont, petit-fils de Thiébaut, et cinquième du nom, cuens de Danuèvre, se trouvant éteinte par la mort de son fils Louis, Olry, oncle de celui-ci, seul mâle restant de cette ancienne famille, recueillit tout l'héritage de ses ancêtres. Cet Olry, fils de Henry IV de Blâmont et d'Isabelle de Lorraine, de la branche de Vaudémont, avait succédé en 1495 comme évêque de Toul à Antoine de Neufchâteau; car il s'était destiné de bonne heure à l'état ecclésiastique. Mais il éprouva, quoique fils d'un puissant seigneur, et seigneur lui-même, de grandes difficultés avant de posséder un évêché. Il avait d'abord été nommé à celui de Verdun, puis à celui de Metz ; mais ces deux élections n'ayant pas été approuvées par le Saint-Siège, Olry ne put occuper ni l'un ni l'autre. Cependant le duc de Lorraine, Réné II, son cousin, ayant bien voulu se mêler de ses affaires, usa de toute son influence pour lui faire obtenir l'évêché de Toul, pour lequel ce comte se trouvait encore en grands démêlés avec Jean de Marades, nommé à ce poste important par le trop fameux pape Alexandre VI, si scandaleusement célèbre. Ce prince parvint néanmoins à faire annuler cette élection et le comte Olry fut enfin reconnu évêque de Toul. Aussi en reconnaissance de ce grand service, ce prélat fit-il donation entière de tout ce qu'il possédait à son parent Réné. Sa succession se composait des seigneuries de Blâmont et de Deneuvre, des prévotés d'Amermont, de Mandres-aux-Quatre- Tours et de Fougerolles: C'était un assez beau cadeau. L'acte passé en 1499 fut renouvelé et confirmé par son testament dicté en 1505 dans une des chambres du château de Deneuvre.
Voici comment s'exprime le comte et évêque Olry :
«  Au nom de la sainte et individùe Trinité, du Père, du Fils, et du Saint-Esprit ; amen.
Nous, Olry de Blâmont, par la grâce de Dieu, et du Saint-Siége apostolique, évêque et comte de Toul, faisons savoir à tous qu'en notre bon sens, avis et mémoire, sain dépensée, de corps et d'entendement, regardant et considérant qu'en ce mortel monde, n'est chose plus certaine que la mort, ni chose plus incertaine que l'heure d'ycelle ; ne voulant pas décédé de ce monde sans premièrement faire, diviser et ordonner notre testament et dernière volonté, ni sans disposer pour le salut de notre âme des biens que Dieu, notre créateur, nous a prêtés, même par succession paternelle et maternelle, avons fait, divisé et ordonné, et par ces présentes fesons, divisons et ordonnons notre testament et dernière volonté en la manière que s'ensuit :
Premièrement, quand notre âme partira de notre corps, nous la présentons, rendons et recommandons à Dieu, notre Créateur, et à sa sacrée Mère, la vierge Marie, notre particulier refuge, suppliant bien dévotement qu'ils la veuillent recevoir et colloquer dans leur paradis... »
Après avoir réglé ses obsèques dans l'église collégiale de Deneuvre, après avoir fait plusieurs legs et distribué ses meubles, l'évêque Olry continue :
«  Item par ce présent notre testament et dernière volonté, avons ratifié et agréé, ratifions et agréons, les donation, cession et transport (18) que par cy-devant avons faits au dit très-haut et très-puissant prinxe, Monseigneur Réné, roi de Hyérusalem et de Sicile, etc. duc de Lorraine et de Bar, notre très-honoré seigneur et cousin, de toutes et chacune jadis nos villes, châteaux et prévotés, mairies, terres et seigneuries, tant dans les dits duchés que dans les évêchés de Metz, Toul et Verdun ; enfin quelque part que ce soit, avec toutes leurs censes, rentes, profits et émoluments, appartenances et dépendances, sans en rien retenir ni excepter.
Avec ce élisons, fesons, créons, députons et instituons notre vrai, unique et universel héritier, notre dit seigneur et cousin en tous nos biens meubles et immeubles, excepté que tous nos particuliers meubles, à savoir : vaisselle d'étain, de cuivre, lits, ciels de lits, couvertures de lits, linceuls (draps), nappes, serviettes et autres ustensiles de ménage qui seront au jour de notre trépas dans notre maison épiscopale de Toul, demeureront à notre successeur, évêque de Toul, et après nous s'il fait sa résidence au dit Toul, ou dans les duchés de Lorraine et de Bar et non ailleurs. »
Henri de Lorraine qui en ce temps-là occupait le siège de Metz, ratifia la même année la donation d'Olry, en sa qualité de suzerain de la seigneurie de Deneuvre. Mais l'évêque de Toul s'était réservé, sa vie durant, l'usufruit des biens qu'il abandonnait ; et même le duc Réné y ajouta encore les revenus de tout ce qu'il possédait à «  Luxerailles, Gillacourt, Guillonville et Baudemenil, (19) pour dit l'acte, tenir et posséder en toute hauteur et seigneurie, hommes, femmes, bois, rivières, passages, fours, moulins, prés, terres arables et non arables et tous autres droits quelconques, et de s'appliquer à lui seul tous deniers, profits, rentes d'or et d'argent, de blé, de vin, d'avoine, chapons, gelines, amendes, épaves, confiscations, aides, tailles, crouées (corvées), charrois et autres choses sans rien réserver. » Ces autres choses nous disent assez que cette nomenclature des droits seigneuriaux est incomplète, et que les pessimistes modernes ont bien tort de regretter ces malheureux temps où leurs ancêtres considérés comme bêtes de somme se trouvaient à la merci de leurs seigneurs eux et leurs biens. Mais il est dit dans le même acte : «  que notre dit cousin l'évêque traitera » les habitants de la dite prévoté en bonne justice, les laissant en leurs usages, franchises, us et libertés, ainsi qu'ils ont été du passé. » Le duc Réné promit aussi pour lui et ses successeurs de maintenir et entretenir les bourgeois et manants de Deneuvre dans tous leurs privilèges et coutumes notoirement observés; et l'on dit qu'il ne manqua pas à sa parole. Mais malheureusement nous n'avons plus les actes où se trouvaient consignées les franchises de nos grands-pères : ces pièces disparurent sans doute avec une partie des archives de la ville dans la dernière catastrophe qui en causa la destruction.
Cependant la donation d'Olry fut attaquée judiciairement par sa nièce Iolande de la Haye, duchesse de Nemours, fille de sa soeur Isabelle. Cette princesse qui se voyait frustrer prétendait que son oncle devait être exclu de la succession du comte Louis, par les coutumes de Lorraine et de Bar. Ses partisans accusaient même hautement cet acte de Simonie; car, disaient-ils, personne n'ignorait que le seigneur Olry avait passé un traité secret avec le duc Réné, par lequel celui-ci s'était engagé à le faire élire évêque en échange de tous ses biens. Malgré ces raisons spécieuses Iolande perdit son procès. La chambre impériale qui siégeait à Spire, et devant laquelle la protestation avait été portée, adjugea cependant la terre de Fougerolles à son fils, Louis de la Haye, seigneur de Passavant. Puis enfin quelque temps après la princesse vendit elle-même tous ses droits sur les autres seigneuries à la maison de Lorraine, pour la somme de 12,000 livres tournois. Mais le duc Réné n'attendit pas la fin de ces débats pour se saisir de tous les biens qu'on venait de lui céder. Il nomma pour remplir cet office, Evrart de Haracourt, chevalier, bailli de Nancy, et Hugues des Hazards, docteur in utroque, prévot de l'église collégiale Saint-Georges de Nancy, président de Lorraine. L'évêque Olry de son côté joignit à ces grands personnages, Gaspar de Mulhen, écuyer, son maître d'hôtel et procureur dans les villes cédées. Voici la relation de la singulière cérémonie de la prise de possession de la ville et du château de Deneuvre, telle qu'on la trouve dans les preuves recueillies par le Révérend père Dom Calmet, pour servir à son histoire de Lorraine :
Instrument (acte) de la prise de possession de Deneuvré.
Au nom de Dieu, Amen.
«  Par la teneur de ce présent publique instrument, à tous appère clérement et soit chose notoire, que l'an de l'incarnation de Notre Seigneur mil cinq cents et trois, l'indiction septième, le dimanche vingt-septième jour du mois de mars, l'an premier du pontificat de notre Saint-Père en Jésus-Christ, notre seigneur Jules par la divine providence pape secondi; en la halle de la ville de Deneuvre, au diocèse de Toul, environ les dix heures avant midi, et incontinent après la messe parochiale du dit lieu, les officiers, bourgeois, manants et habitants du dit Deneuvre ici assemblés par et en communaulté, en présence de nous Notaires publics et des témoings soubscrits spécialement aux choses qui s'ensuivent appelés et requis ; vinrent devers les dits officiers, bourgeois, manants et communaulté, noble, vénérable et circonspecte personne Messire Evrart de Haracourt, chevalier, bailly de Nancy, et maître Hugues des Hazards, docteur en chacun droit, prévot de l'église collégiale Saint-Georges de Nancy, président de Lorraine, ambedeux (tous deux) procureurs et commissaires de très-haut et très-puissant prince Réné, roi de Hyérusalem et de Sicile, duc de Lorraine, de Bar, etc., et aussi noble homme Gaspart de Mulhen, escuyer, seigneur du dit lieu, maître d'hôtel et procureur en cette partie du Révérend père en Dieu, monseigneur Olry de Blâmont, évesques et comte de Toul, des procurations des qu'eux a suffisamment apparut à nous Notaires.
«  Lequel Gaspart dit et déclara aux dits officiers, bourgeois, manants, habitants et communaulté que le dit révérend père en Dieu l'avait envoyé devers eulx, remontrer qu'il avait dès maintenant donné, cédé et transporté au dit sieur roi, la dite ville, terre, prévoté et seigneurie de Deneuvre, afin qu'après son décès et trépas la dite seigneurie et les habitants ne tombassent en guerre et inconvénient pour les débats qui pourraient en survenir à l'advenir entre ceulx qui voudraient se dire ses héritiers, et les entretenir en bonne paix, repos et tranquillité. Et comme il les avait, ensemble tous les vassaux, officiers et sujets de la dite prévoté et seigneurie de Deneuvre, quittéz et défaits en vertu de la dite procuration, les quittait de leurs serments, et que le dit révérend père en Dieu voulait que doresnavant ils fussent sujets bons, loyaux et obéissants au dit seigneur roi, leur mandant ainsi le faire. Et a, le dit sieur Président adressant la parole à yceux officiers, bourgeois et manants et communaulté, dit et déclaré semblablement comment le dit seigneur Révérend père en Dieu, monsieur Olry de Blâmont, évesque et comte de Toul, avait donné, cédé et transporté audit seigneur Roi, pour lui, ses héritiers, successeurs et ayant-cause, toutes ses terres, villes, châteaux et prévotés et seigneuries à lui appartenants, et qu'il avait quitté tous ses vassaux, officiers et sujets de leurs serments, voulant que le dit seigneur Roi prit la possession réelle et actuelle des dites terres, villes et châteaux, prévotés et seigneuries, ainsi que plus amplement il était contenu dans les lettres que le dit Révérend père en Dieu en avait faites et passées, ce que a été cause que le dit seigneur Roi avait envoyé le dit sieur Bailly et lui pour prendre possession de la ville, château, prévoté et seigneurie du dit Deneuvre, comme ils verraient par la procuration du dit sire Roi, que pareillement il leur faisait lire. Par quoy le dit sieur bailly et lui comme Procureurs du dit seigneur Roi, les réquirent, que en suivant ce que dessus, ils voulsissent faire le serment à iceluy seigneur Roi, de lui être bons, loyaulx et obéissants sujets ; et que ce fait, feraient aussi le serment à eux. au nom du dit seigneur Roi en vertu du pouvoir à eulx attribué par la dite procuration, que le dit seigneur Roi les garderait en leurs franchises, libertés, priviléges, us et coutumes ; lesquelles choses ainsi dites et déclarées, iceux seigneurs président et bailly dirent à honorable homme Humbert de Vidranges, secrétaire du dit seigneur Roi, là présent, qu'il lut ycelles lettres de don, cession, transport et procuration cy-devant mentionnées. Ce que le dit secrétaire fit à haute et intelligible voix, en manière que chacun des dits officiers, bourgeois, manants, habitants et communaulté (20) pust clairement entendre. Après lesquelles lettres et procurations lûtes par le dit secrétaire, oyës par les dits officiers, bourgeois, habitants et communaulté, les dits sieurs bailly et président leur demandèrent s'ils les avaient bien entendues, les qu'eux » répondirent que oûy, et qu'ils se voulaient un petit peu retirer, et avoir avis et délibération ensemble, priant au dit Gaspart d'aller avec eux pour les aider et conseiller, et se retirèrent avec le dit Gaspart à l'autre bout de la halle, là où ils furent un espace de temps ; puis retournèrent tous vers les dits sieurs bailly et président, et dirent qu'ils avaient ordonné au dit Gaspart de déclarer ce qu'avait été par eux délibéré et conclud, priant qu'il voulût ainsi le faire.
«  Et alors le dit Gaspart adressant ses paroles au dit président et bailly, dit que les dits officiers, bourgeois, manants, habitants et communaulté étaient bien joyeux de tout ce qu'il avait plu au dit seigneur Révérend père en Dieu faire en cette partie et qu'ils seraient loyaux et obéissants sujets au dit seigneur Roi, à ses héritiers, successeurs et ayants-cause, et qu'ils feraient volontiers le serment, ainsi qu'ils avaient été requis; priant aux dits sieurs bailly et président de faire pareillement le sairement comme Procureurs du dit seigneur Roi, de les entretenir en leurs franchises et libertés, comme ils avaient dit, et qu'ils en eussent lettres du dit seigneur Roi; ce que par les dits bailly et président leur fut octroyé.
«  Adoncques le dit sieur président leur dit : Messieurs, levez tous les mains devers le ciel, et jurez par vos parts de Paradis et par tout ce que vous tenez de Dieu, que dorésnavant vous serez bons, loyaulx et obéissants sujets du Roi de Sicile, duc de Lorraine et de Bar, notre très-redoubté et souverain seigneur, à ses héritiers, successeurs et ayants-cause, ducs de Lorraine. Lesquels officiers, bourgeois, habitants et communaulté tenant les mains élevées en hault, dirent : OUI, nous le jurons.
«  D'autre part, les dits seigneurs bailly et président comme Procureurs du dit seigneur Roi, jurèrent par les saintes évangiles de Dieu, au nom et en l'âme du dit seigneur Roi, en vertu du pouvoir à eux attribué par sa procuration, que le dit seigneur Roi les gardera et les entretiendra en toutes leurs franchises, privilèges, us et coutumes, et les en laissera jouir, ainsi qu'ils ont fait du passé, promettant que le dit seigneur Roi leur en donnera lettres.
Et en outre, les dits sieurs bailly et président dirent que pour ce qu'ils étaient bien et duëment informés que les prévost, échevin, justice et autres officiers de la dite ville et prévoté du dit Deneuvre étaient gens de bien, souffisans et ydoines (propres) à porter leurs charges, il les y remettaient et remirent chacun en son office jusques au bon plaisir du dit seigneur Roi; ordonnant aux dits bourgeois, habitants et communaulté, être obéissants aux dits officiers par eux remis et établis en leurs offices, comme dict est.
«  De et sur lesquelles choses les dits sieurs bailly et président, comme Procureurs et commis du dit seigneur Roi; et aussi les dits bourgeois, manants et habitants de leur part, demandèrent et réquirent à nous Notaires, et à chacun de nous, instruments publiques; un ou plusieurs présents : vénérables, nobles et honnestes personnes messire Olry Autrepart, prévot de l'église Saint-George du dit Deneuvre ; messire Henry Valence et messire Nicole Sibille, chanoines de la dite église; messire Didier Warin prêtre; Thiébaut de Barbey; Melchior de Blonmenket, tous deux écuyers; Claude Jaquet, châtelain de Baccarat; Jean Pandel, maire de Baccarat; Olriet Peltier, doyen, et Jean Richier du dit Baccarat, témoings à ce appelez et requis.
«  Conséquemment au départir de la dite halle, les dits sieurs bailly et président avec Gaspart, maître d'hôtel et grand nombre de gens avec eulx, s'en allèrent à la porte de la ville de Deneuvre que l'on appelle la porte dessus, et là iceux arrivés, le dit maitre d'hôtel fit apporter les clefs de la porte par le portier d'ycelle porte, et lui dit que le Révérend père en Dieu, messire Olry évesque, avait donné la ville, terre, prévosté et seigneurie de Deneuvre au Roi de Sicile, duc de Lorraine et de Bar, et l'avait déchargé de son serment; et que les gens du dit seigneur Roi, illecques présents, étaient venus pour en vertu du don que le Révérend père en Dieu en avait fait au dit seigneur Roi, de ses terres et seigneuries, prendre la possession des dites ville, prévosté et seigneurie de Deneuvre ; et lui aussi y était venu pour leur délivrer de la part du dit Révérend père icelle seigneurie et possession. Et alors le dit maitre d'hôtel prit les clefs de la dite porte, et les mit dans les mains des dits sieurs bailly et président, disant que de la part du dit Révérend père en Dieu, monsieur Olry de Blâmont, et comme son procureur à ce établi et commis, il leur délivrait la seigneurie et possession de la dite ville de Deneuvre, terre, prévoté et appartenances d'ycelles; des mains duquel les dits sieurs bailly et président prinrent et reçurent les dites clefs au nom que dessus : puis demandèrent au dit portier s'il voulait servir le dit seigneur Roi en cet office de portier, lequel répondit qu'oüy; alors le remirent et députèrent au dit office et fit le serement dans les mains des dits bailly et président, par sa part de paradis, d'y servir le Roi, duc de Lorraine et de Bar, bonnement et loyalement comme au dit office appartient.
«  Et ce fait, les dits sieurs bailly et président mirent les mains aux premiers et seconds huisseries, verroux et sarratures de la dite porte, et rentrèrent en la dite ville, disans, déclarans et protestants que par ces actes et solennités ils prenaient et appréhendaient la seigneurie et possession corporelle et actuelle de la dite ville, terre, prévoté, seigneurie et appartenances du dit Deneuvre, pour et au nom du dit seigneur Roi, duc de Lorraine, de et sur lesquelles choses ils réquirent et demandèrent à Nous Notaires susdits, et un chacun de nous instrument publique.
» Ces choses furent faites les an, indiction, mois, jour, heures et lieux, et présents que dessus.
«  En après de ce même contenu, les dits sieurs bailly, président et Gaspart de Mulhen, maître d'hôtel, accompagnés de plusieurs et diverses gens s'en allèrent à l'autre porte de la dite ville, appelée et nommée la porte d'en bas, ou fut dit, déclaré, fait et célébré, tant par le dit maître d'hôtel, que en ycelles cy-devant ; recevant par les dits sieurs bailly et président; en députant le dit portier de nouveau en son office ; recevant le serment touchant les portes, verroux, et sarrures ; entrant en la dite ville, comme autrement, au nom que dessus ; en réquirent de Nous Notaires, et un chacun de nous, instrument.
«  Fait les an, indiction, mois, jour, lieu, pontificat, et présents que dessus.
«  Et de ce même pas et en continuant à la saisine et appréhension de la dite seigneurie et possession les dessus nommés sieurs Procureurs avec multitude de gens, se transportèrent aux portes et porteries du château du dit Deneuvre ou le dit Gaspart maître d'hôtel dit, déclara, et fit tout ainsi et pareillement qu'il avait dit, déclaré et fait aux premières et secondes portes et porteries de la dite ville. Et là aussi, c'est à, savoir, aux portes du dit château, les dits sieurs bailly et président reçurent les clefs des portes du dit château, mirent et députèrent le portier, reçurent le serment de lui, et lui consignèrent les dites clefs, touchèrent les portes, verroux, sarrures d'icelles portes du dit château et entrèrent dedans.
«  Sur quoi le dit Gaspart, maître d'hôtel et procureur du dit révérend père en Dieu, dit que ce qu'il faisait et avait fait était par l'ordonnance de son dit Seigneur et Maître, et en vertu de sa dite procuration ; et ce pour délivrer réalement et de fait la seigneurie et la possession delà dite ville, château, terre et prévoté de Deneuvre, des appartenances et dépendances d'icelle. Et pareillement yceux seigneurs bailly et président dirent et déclarèrent que les actes et exploits qu'ils faisaient et avaient faits, étaient pour l'actuelle, réelle et corporelle appréhension de la dite seigneurie et possession des dites ville, chasteau, terre et prévosté de Deneuvre des appartenances et dépendances d'icelles, pour et au nom du dit seigneur Roi, duc de Lorraine.
«  De et sur lesquelles et chacune d'icelles les dits sieurs bailly et président demandèrent et requirent à nous les dits Notaires, et chacun de nous, un ou plusieurs instruments. Fait les an, indiction, jour, mois, lieu, pontificat, et présents les témoings dessus nommés.
«  Le mardy en suivant vingt sixième jour du dit mois, l'an de l'incarnation de Notre Seigneur, mil cinq cents quatre (21) Mathis Jehan Didier, prévot ; Colin Peltier, échevin ; Claude Perrin et Warnesson, jurés de la justice du dit Deneuvre; et Claude Baudinot, prévot de Luxerailles, avertis et acertenés, comme ils disaient, des choses faites et exploitées cy-devant déclarées, même qu'ils étaient déchargés du serement qu'ils avaient fait au Révérend père en Dieu, se présentèrent aux dits sieurs bailly et président, au château de Deneuvre, au petit palais, auprès la grande chambre haute, eux s'offrant vouloir servir au dit seigneur Roi si c'était son bon plaisir. C'est pourquoi yceux seigneurs, bailly et président, confians qu'ils seraient toujours gens de bien, et qu'ils serviraient le dit seigneur Roi bravement el loyalement, les remirent en leurs dits offices, et reçurent les serements d'eux et de chacun d'yceux.
Sur lesquelles choses, les dits sieurs bailly et président, aussi les dits officiers, en ont demandé et requis de Nous Notaires, instruments. Fait an, indiction, mois, jour, pontificat et lieu que dessus. Présents : Gérardin, Thévenot, Bouchier, Savary de Moustier et La Flèche, serviteurs du dit Révérend père en Dieu, et autres à ce appelés et requis. »
«  Nicolas Gauthier et Burjet notaires. »
Tel est le précis de cette singulière cérémonie à la fin de la quelle les habitants de la prévoté de Deneuvre eurent l'honneur d'être sujets lorrains. Ce changement se fit sans secousse et sans occasionner la moindre plainte; aucun fonctionnaire ne fut révoqué; la donation de l'évêque Olry n'aboutit donc pour les dits habitants qu'à une substitution seigneuriale. Mais ce procès-verbal est d'autant plus curieux qu'il nous apprend que l'emplacement de la ville où nous voyons aujourd'hui la croix de mission, était couvert autrefois; et que ce hangar, cette halle servait de lieu de réunion aux citadins dans les grandes circonstances : c'était en un mot leur maison communale. Et puis, peut-on s'empêcher de sourire lorsque l'on voit ces bons bourgeois et manants demander la permission de se retirer à l'autre bout de cette halle pour délibérer sur la volonté de leur Seigneur et Maître ? Leur décision ne devait pas laisser l'ombre d'un doute dans l'esprit des commissaires du duc Réné.
Après avoir opéré dans la ville de Deneuvre, Evrart de Haracourt et Hugues des Hazards accompagnés de Gaspart de Mulhen allèrent observer le même cérémonial dans les autres seigneuries cédées et à Blâmont, ou après avoir pris possession du château, «  et afin que chacun, tant de la ville que de la terre en fut adverti, ainsi qu'on avait accoutumé quand il y avait un nouvel seigneur, ils firent sonner la grosse cloche du dit château, que l'on a accoutumé de sonner, sinon pour quelqu'alarme, ou à la venue d'un nouveau seigneur, ou au trépas du seigneur. » Mais avant la donation d'Olry, ses prédécesseurs avaient déjà perdu leur indépendance; car en 1422, le 26 septembre, Thiébaut de Blâmont et Marguerite sa femme, avaient prêté foi et hommage pour toutes leurs terres au duc de Lorraine, Charles Ier, pour eux et pour leurs successeurs. Cette cérémonie dont les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre étaient le motif se passa ez faubourgz de la ville de Blanmont, en la hallette d'yceux, sur les fossés et prez de la porte du dit Blanmont, en lieu ou la justice d'ycelle at accoustumé sévir en jugement. Nous n'avons pas cru devoir omettre ce serment prononcé par un ancien seigneur de Deneuvre. Le voici tel qu'il fut dit à haute voix par ce Thiébaut devant les notaires réquis et les commissaires du duc Nicolas :
«  Nous, pour nous et pour tous nos hoirs successeurs et ayants-cause, avons accordé et accordons par ces présentes avec notre très-redoubté seigneur, Monseigueur duc de Lorraine et Marchis, que nous ne pouvons ni ne devons nul jamais, pour quelque cause, occasion, ni par quelque titre ou manière que ce soit, ou puisse être, aucune chose demander, réclamer, avoir, poursuivre, ni requérir en toute la duchié de Lorraine ; ni dans les appartenances ni dépendances d'ycelle ; ni aussi en toutes ses terres et seigneuries et pays gîte notre dît seigneur tient et possède à présent ; ni aussi en ce qu'il pourrait au temps à venir, acquérir; ni aussi en tout ce que ses hoirs et successeurs ducs de Lorraine pourraient à toujourmais tenir et posséder de par notre dit seigneur, soit à cause de sa succession ou aultrement.
» Et avec ce, moi Thiébaut, ay promis et juré par ces présentes, par la foy et serment de mon corps, sous mon honneur, pour moi, pour mes hoirs, successeurs et ayants-cause, pour toujoursmais, que moi ni mes dits hoirs ne seront à rencontre de mon dit seigneur de Lorraine ; et que nul mal ni dommage n'en viendra, ni sera fait, porté ni pourchassé à mon, dit seigneur de Lorraine, ni à ses hoirs, ni à leurs choses, par moi, par mes hoirs, successeurs et ayants-cause, ni par mes bonnes villes et forteresses de Blanmont et de Deneuvre en quelconque manière, ni en quelconque cause, ou occasion que ce soit ou puisse être. Et en outre, toutes et quantesfois qu'il advenrat qu'après mon décès, ou pendant mon vivant, un nouvel seigneur serait et viendrait en mes dites terres, soit par succession ou aultrement, le dit seigneur devrait et serait tenu de jurer et créanter toutes les choses dessus dites, de la manière que dit est.
«  Et aussi dès maintenant jureront par manière de communaulté pour eulx et pour tous leurs hoirs, toutes les justices, hommes, habitants et communaulté de mes bonnes villes et forteresses de Blanmont et de Deneuvre qu'ils ne souffriront ni ne laisseront entrer aucun nouvel seigneur en mes dites forteresses et bonnes villes, qui viendra après moi; ni aussi ne lui obéiront ou feront serement d'obéissance quelconque, ni le tiendront pour seigneur, jusqu'à ce que le dit seigneur ait fait ce serment, tout par la manière que je le fas à présent.
«  Et avec ce, je promets par toutes ces présentes que tous les édits, cris, ordonnances et commandements généraux que par mon dit seigneur de Lorraine seront faits et ordonnez en toute la duchié de Lorraine et ses dépendances, tant ordonnance de monnaye, comme des vivres et marchandises, moi et mes hoirs tanront et seront tenus de tenir, garder et observer de point en point par toutes mes terres et seigneuries, sans aucunement aller au contraire, en quelconque manière que ce soit, soit par la forme et manière que les dits cris, édits et ordonnances seront donnés, criés et publiés. »
Ce serment prononcé les commissaires du duc Nicolas s'adressèrent à l'assemblée et dirent :
«  Vous, justices, hommes, bourgeois, habitants et communaulté des villes et forteresses de Blanmont et de Deneuvre, par le consentement et ordonnance de Messeigneurs de Blanmont et de Deneuvre, voz naturels seigneurs, jurez par vous et par tous vos hoirs, par la foy et serment qu'avez fait à Dieu et à vos seigneurs, par le serrement qu'avez fait en l'ordre de mariage, et par votre part de paradis, que vous ne soufferez, ni laisserez entrer aucun nouvel seigneur, qui en ces dites bonnes villes et forteresses vanront après nos seigneurs d'aprésent; aussi ne leur obéirez ni obéiront vos dits hoirs ; ni ne ferez obéissance quelconque ; ni ne les tanrez pour seigneurs jusqu'à ce que le dit ou les dits nouvels seigneurs auraient fait le serment qu'ils doivent et sont tenus de faire.
«  Lesquels justice, hommes, bourgeois, manans, habitants et communaulté de Blanmont et de Deneuvre, illec étant présents, dirent tous et répondirent conjointement ensemble et d'un commun accord et consentement que ainsi ils le juraient et promectaient ; et en démontrance et signification de ce, levèrent tous les mains, disant ainsy : Nous le jurons et le promectons. »
Le 22 décembre 1472, deux ans avant l'invasion des Bourguignons, le duc Nicolas manda à Lunéville Ferry et Olry de Blâmont, fils du comte Henry IV, pour y renouveler ce serment fait par leur grand'père. Ces deux seigneurs s'y rendirent et jurèrent pareillement de reconnaître pour souverains les ducs de Lorraine; de les servir de leurs personnes et de leurs forteresses; étaient présents l'évêque de Toul Henry de Ville, et Thiéry d'Ogéviller, abbé de Moyenmoutier. Puis après les formalités d'usage, Robert Morel, conseiller du duc, et Jean de Bézanges, lieutenant-général du bailliage de Nancy, furent envoyés comme commissaires de Nicolas dans les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre pour y faire prêter serment aux juges de ne recevoir aucun seigneur qu'il n'eut préalablement juré d'accomplir les promesses faites par ses ancêtres, ainsi dès l'année 1422 les ducs de Lorraine pouvaient déjà se considérer comme souverains de ces deux villes, puisque leurs cris et ordonnances y étaient promulgués et reconnus et que leur monnaie y avait cours forcé.
Cependant par suite de la cession faite par son cousin Olry, le duc Réné devenu feudataire de l'évêché de Metz pour les terres de Blâmont et de Deneuvre, se vit dans l'obligation d'en jurer foi et hommage en 1499 entre les mains de son oncle Henry II de Lorraine, qui occupait alors ce siège (de 1484 à 1501). Son fils et successeur Antoine, dit le Bon, rendit le même devoir à son frère Jean, aussi évêque, en 1513. Mais en 1561 François de Baucaire de Péguillon qui occupait cette place importante, voulant acquitter certains engagements qu'il avait contractés sur ses châtellenies de Remberviller, Hombourg-l'Evéque, Saint-Avold et de Baccarat, ne crut mieux faire pour se tirer d'embarras que de vendre la suzeraineté des villes de Blâmont et de Deneuvre. Le duc de Lorraine Charles III, alors régnant, en fit l'acquisition pour la somme de 20,000 fs, et cette transaction fut ratifiée l'année même par Charles, cardinal de Lorraine, et administrateur du temporel de l'évêché. On comprend cet empressement de la part d'un parent ; mais le Chapitre des chanoines qui ne voyait pas avec plaisir ce démembrement de la puissance épiscopale ne sanctionna ce marché que l'année suivante. Enfin à dater de cette époque, les ducs de Lorraine furent affranchis de ce serment de vassalité et se virent possesseurs paisibles et en toute souveraineté de ces deux anciennes cités.
Mais si la puissance de ces seigneurs ne fut que sensiblement augmentée par l'abandon d'Olry, ils ne pouvaient cependant recevoir avec indifférence des villes renommées depuis longtemps déjà pour leur industrie. Deneuvre se recommandait par son commerce qui était déjà très-étendu au commencement du 14e siècle, et qui ne fit que s'accroître lorsque ses habitants jouirent enfin d'une grande sécurité qu'ils devaient à la prévoyance du comte Thiébaut. En 1317 on y voyait des Lombards (22) et l'on sait que ces banquiers ne fixaient jamais leurs établissements que dans les cités les plus commerçantes. Ce fut le sire de Blâmont Henry III, qui leur permit de s'y établir et d'y exercer leur industrie, en lui payant annuellement 80 livres de petit tournois (monnaie de cuivre). Ces étrangers faisaient par privilège le commerce, le change et l'usure qu'ils partageaient avec les juifs ; et leurs établissements n'étaient autres que nos monts- de-piété actuels, dont ils sont sans doute les inventeurs. Ils recevaient sous la police des magistrats les dépôts de bijoux, d'argenterie, d'effets et de marchandises, en payant en échange une valeur approximative, moyennant un intérêt pour l'année, le mois, le jour. Enfin lors de leur installation, ces Lombards se trouvaient exempts pendant dix années de toutes tailles, quêtes, aides et chevauchées. Nous avons dit qu'ils partageaient l'usure avec les juifs. Ceux-ci, par l'étendue de leurs relations étaient devenus les courtiers de toute l'Europe et le comte Ferry II de Blâmont qui savait apprécier les avantages produits par le négoce ne craignit pas d'avoir recours à quelques-uns. Il n'ignorait pas que leurs opérations s'étendaient jusqu'aux dernières classes de la société et voulait par leur exemple habituer ses sujets au commerce. A cette époque on prêtait généralement à douze dans tous les pays de l'Europe, mais les juifs prêtaient à vingt pour cent, et cette malheureuse nation y était obligée parles absurdes préjugés du temps; car ils ne pouvaient obtenir le droit de commercer qu'à prix d'argent et même celui d'avoir un domicile. En effet un édit de 1733 les chassait tous des états du duc de Lorraine, et ils ne purent s'y maintenir qu'en se cotisant pour payer une somme de dix mille francs, moyennant quoi on les laissa tranquilles. On sait d'ailleurs que ce moyen était assez souvent mis en usage dans tous les pays catholiques; et ce vol passait pour un acte politique.
Par lettres patentes du 20 novembre 1476, le duc Ferry II fidèle à ses principes et se moquant des préjugés de son temps, prit sous sa protection le juif Moïse, Bel sa femme, leurs enfants et leurs biens, et lui permit de s'établir dans sa bonne ville de Deneuvre pour y exercer son commerce, mais moyennant une redevance de deux florins d'or par année. (23) Tels sont les jeux de la fortune que l'histoire n'a pas daigné enregistrer le nom du fondateur de la forteresse de Deneuvre, tandis qu'elle nous a conservé celui du premier israélite qui vint brocanter dans les murs de cette ancienne cité. Les Lombards et ce Moïse devaient se trouver dans leur sphère pour leurs opérations, car il y avait différentes branches d'industrie. On y voyait une papeterie, plusieurs fabriques de draps, des taillanderies mais surtout un grand nombre de tanneries et combien d'autres genres de commerce qui nous sont inconnus, et dont les produits se répandaient sur tous les marchés de la Lorraine. Il y avait une fonderie de cloches et cette usine semble même avoir joui d'une grande réputation, puisque ce fut elle qui en 1508, sous la direction d'un habile ouvrier de l'endroit, un nommé Jean Lambert, fut chargé de refondre celles de l'église Saint-Epvre de Nancy.
En 151, les taillandiers de Deneuvre érigèrent conjointement une meule pour aiguiser les instruments tranchants et les divers outils fabriqués dans leurs forges, et aujourd'hui encore un canton de cette ancienne seigneurie a conservé la dénomination de La Meule. Ces désignations historiques plaisent et ne laissent pas l'imagination vide et stérile comme les noms de Gueule le Loup ou du Loup (24) et autres aussi ridicules donnés, on ne sait par qui ni pourquoi, à différentes parties du territoire de Deneuvre. Qu'on nous permette même de dire à ce propos que nous ne connaissons rien de plus curieux que les histoires sans fin de nos chasseurs ; mais en même temps rien de moins instructif. Lorsqu'on entend tous ces émules de Gérard débiter avec une certaine volubilité tous ces noms baroques qui leur sont si familiers, noms donnés à chaque borne, à chaque haie et à tout bout de champ, on croirait assister à un cours d'allemand; ou plutôt on se figurerait entendre le vieux jargon de Nemrod, leur premier père et patron.
Les tanneries de Deneuvre luttaient avec les établissements de ce genre exploités à Blâmont, à Raon, à Badonviller et à Baccarat ; car ce commerce était très-considérable dans toutes ces localités. On comprenait alors dans le même corps de métier les corroyeurs, les maîtres et compagnons bottiers et cordonniers ; ils formaient tous ensemble une corporation qui avait sa bannière et ses statuts, selon l'usage. Voici le règlement qui leur fut accordé le 25 mars 1615 parle duc de Lorraine Henry II, dit le Bon :

Statuts du Han (corporation) des Tanneurs,
des Bottiers, Cordonniers et Corroyeurs
de Blamont et de Deneuvre.

Premièrement, il y aura un Maître et Doyen dans chaque ville, commis et députés, lesquels prêteront le serment de bien et fidèle ment maintenir tous les droits du Han.
Il ne sera permis à aucun tanneur, corroyeur ni autre de mettre en vente marchandise dans notre comté de Blâmont que première ment ils ne soient hantés et n'ayent payé les droits du dit han, à peine de 50 francs d'amende et confiscation de la marchandise.
Nul ne pourra vendre cuir de semelle par bandes que les carrelures n'ayent le pied de même mesure, à peine de neuf gros d'amende.
Nul ne pourra doresnavant se mêler du métier de tanneur et corroyeur au dit comté et ailleurs dans les terres et pays de notre obéissance, et y faire trafic de cuir de boeufs, vaches, peaux de veaux, moutons, boucs et chèvres en poil, qu'il ne soit hanté dans l'un des dits métiers de tanneur, corroyeur, ou cordonnier, à peine de 50 francs d'amende.
Ceux qui voudront être reçus au dit han payeront vingt francs d'entrée, les deux tiers à Nous et l'autre aux dits Maîtres et Compagnons, avec une livre de cire pour employer à la décoration de l'autel de saint Crépin; et ne sera permis à aucun cordonnier quelqu'il soit de pouvoir tenir boutique, ni vendre souliers que premièrement il ne soit reçu au dit han, à peine de confiscation de la marchandise. Seront toutefois les fils de Maîtres cordonniers reçus au dit han en payant seulement une livre de cire au dit autel saint Crépin et quatorze pots de vin aux maîtres et compagnons.
Il ne sera permis à aucun maître et compagnon cordonnier de prendre un apprenti qu'il n'ait, avant de toucher la besogne, donné une livre de cire pour être employée au dit autel saint Crépin, et deux pots de vin pour être distribués aux maîtres et compagnons, excepté les fils de maîtres du dit comté.
Il ne sera permis à aucun cordonnier du dit han d'entremêler de cuir de vache en fesant des bottes à genouillère, à peine de neuf gros d'amende, les deux tiers à Nous et l'autre tiers aux maîtres et compagnons du dit han.
Nul ne pourra mettre du cuir de cheval en quartellant une empeigne de vache, à peine de telle amende que cy-dessus est dit.
Nul ne pourra mettre première semelle de basane à un soulier au-dessus de cinq points, à peine de neuf gros d'amende, les deux tiers à Nous et l'autre tiers aux maîtres et compagnons du dit han.
De même ne pourra être semelle à un soulier au-dessus de cinq points que ce ne soit du bon cuir, à peine de pareille amende que cy-dessus est déclarée.
Nul ne pourra mettre première semelle de cuir vieil, ni de même doublure, à peine de l'amende prédite.
Il ne sera pas permis de laisser deux points rompus l'un suivant l'autre, à peine de l'amende prédéclarée.
Finalement les dits maîtres et compagnons bottiers, tanneurs et corroyeurs vendront et débiteront leurs denrées à prix raisonnable et non excédant celui des cordonniers étrangers, lesquels étrangers pourront être reçus à exposer leurs dites marchandises en vente en payant les droits du dit han.
Chaque année, le lundi après les Rois, la Corporation des Drapiers nommait son Doyen et deux autres personnages qu'on appelait Sercheurs sur les draps. Les nouveaux élus prêtaient serment entre les mains du Prévot de la ville qui, après la cérémonie, leur offrait un gala, mais dont il ne faisait pas les frais ; car les compagnons du métier en payaient la moitié, tandis que l'autre était prise sur le produit des amendes imposées à ces mêmes compagnons et aux apprentis.
En 1509, le successeur du duc Réné, le bon duc Antoine établit à Deneuvre une foire qui se tenait le jour de la saint Vincent d'été. (19 juillet) Mais par une restriction digne de ce temps, pendant ce jour de foire, il était expressément défendu aux commerçants de Baccarat d'ouvrir leurs boutiques et d'étaler leurs marchandises en montre . Cependant ils avaient le droit de les transporter dans cette ville et de profiter de ce jour férié qui attirait toutes les populations environnantes. Cette prohibition n'était qu'un calcul de la part des ducs de Lorraine, à qui Baccarat fut presque toujours engagé par ses maîtres les évêques de Metz ; car il était de leur plus grand intérêt de rassembler à cette époque dans leur bonne ville de Deneuvre, le plus grand nombre possible de traficants et de commerçants. Ceux-ci étant obligés de payer des droits d'entrée, d'étalage, d'aunage et autres, ces contributions servaient à alimenter leur trésor particulier.
Enfin dès l'année 1610 il s'était formé dans les murs de cette ancienne cité une compagnie d'arquebusiers, en tout semblable à celle que l'on voyait à Blâmont, mais de moitié moins nombreuse. On n'y comptait que vingt-cinq membres auxquels le trésorier de Lorraine fournissait une subvention annuelle pour leur donner sujet de s'exercer au profit des armes et se rendre capables de faire service à son Altesse, le cas échéant. Ceux de Blâmont qui étaient au nombre de cinquante recevaient vingt-cinq francs, plus, en temps de carême, une haute paie de sept livres, ou bien, un demi-cent de carpes pêchées dans les étangs de Monseigneur le Duc. Les arquebusiers de Deneuvre étaient exempts de toutes rentes et impots dus par les habitants : ces milices citoyennes ont toujours joui de quelques priviléges, comme nous le voyons encore aujourd'hui par nos compagnies de pompiers. Cependant ces bons bourgeois s' exerçant à l'arquebusade ne faisaient aucun service dans la ville ni dans la forteresse. Celles-ci se trouvaient gardées au contraire par des hallebardiers et des baudriers, (sic), tandis qu'un nombreux corps d'officiers civils étaient chargés de la police et de l'administration de toute la seigneurie. Nous ne devons donc pas être surpris si ce château servait souvent de résidence à ses seigneurs et maîtres les sires de Blâmont, puis à leurs successeurs les princes de Lorraine. Les hobereaux des environs se faisaient un devoir d'y aller faire leur cour et ces allées et venues ne contribuaient pas peu à l'animation de la ville. Le prince Nicolas de Vaudémont, frère du duc François, y passa la plus grande partie de son existence; et c'est à cette circonstance que les bourgeois et les manants de Deneuvre durent d'être témoins d'une des plus grandes cérémonies qui eut jamais lieu dans les murs de leur cité. 1456.
Ce duc de Lorraine, François Ier, étant tombé inopinément
malade dans l'abbaye de Notre-Dame d'Avenay, près de Rheims, se fit d'abord transporter à Bar pour s'y faire soigner, puis de là à Nancy. «  Huit jours après avoir fait son entrée dans cette ville, dit Edmont du Boulay, dans la vie et trépas des deux princes de paix, le bon duc Antoine, et le sayge duc François, fut conseillé par les Docteurs Médicins qu'il avait très sçavants et experts, de changer d'air et se retirer en lieux chaultz et secz, ce qu'il fit ; car à la my apvril du dit an mil cinq cents quarante cinq, il alla en sa ville de Blâmont au pied du mont de Vosge, ou il demoura environ trois semaines, toujours diminuant de santé et multipliant en la maladie de colique, entremellée de fiebvre et finalement d'apopléxie et perclusion de membres. Pour à quoy remédier, furent mandez tous les médicins de Lorraine et de Barroys qui avaient état de lui . Après toutes les contestations ne fut conclu meilleur remède que de le faire baigner aux bains de Plumières (Plombières) et voulant adhérer (pour sa santé recouvrer) au conseil de tant médicins, se fit porter en une chaise à bras (à cause qu'il ne pouvait endurer la litière) depuis Blâmont jusqu'en sa ville de Remimont... » mais malgré le remède infaillible indiqué par ces très sçavants médecins la maladie du duc François ne fit qu'empirer, et enfin, après bien des souffrances, cet infortuné prince succomba, bien jeune encore, à une dernière attaque d'apopléxie. Il mourut dans cette ville à l'âge de vingt-huit ans laissant deux enfants en bas âge et une épouse enceinte de six mois. Ses entrailles furent enterrées dans l'église des Dames chanoinesses, et le duc embaumé, fut, par ordre de Nicolas de Vaudémont, transporté sous la conduite de Jean, comte de Salm et maréchal de Lorraine, dans l'église collégiale de Deneuvre, où il resta eu dépôt. (25) Car alors on avait la singulière coutume de n'enterrer les princes qu'un an après leur décès. Lorsque le corps y fut arrivé, les prélats et les abbés convoqués lui rendirent les honneurs funèbres pendant trois jours. Puis ensuite la veuve de François, Christine de Danemarck, (veuve déjà de Francisque Sforce, duc de Milan) et l'évêque de Metz son oncle, le prince Nicolas de Lorraine, quittèrent la ville de Remiremont pour se rendre également au château de Deneuvre, afin d'y traiter des affaires concernant l'administration du duché. En conséquence ils y convoquèrent pour le 6 août de la même année tous les nobles et les ecclésiastiques. Ces personnages s'occupèrent des difficultés qui s'étaient élevées entre la duchesse Christine et son beau-frère, le comte de Vaudémont; cette princesse prétendait gouverner seule et se faisait appuyer dans ses prétentions par l'empereur d'Allemagne. Le seigneur Nicolas de son côté défendait les clauses testamentaires du duc défunt, dans l'intérêt des jeunes princes et pour d'autres causes politiques. Enfin après bien des débats et des pourparlers, l'assemblée les nomma tous deux conjointement Régens du duché de Lorraine, pendant la minorité du duc Charles III ; et l'on possède encore des jetons frappés à propos de cette double élection.
Cependant la cérémonie des obsèques du prince François fut différée jusqu'au 17 août 1546, tant à cause des couches de Christine que de l'absence de plusieurs membres de la maison de Lorraine. Nous allons emprunter à Dom Calmet, qui lui-même l'a prise dans Edmont du Boulay, la description de la marche du cortège, et celle des cérémonies religieuses observées dans l'église collégiale de Deneuvre.
L'époque étant arrivée, «  on fit partir de Nancy le second jour du mois d'août, les Maréchaux-des-logis, les Fourriers et les Controleurs, pour préparer les logis et le séjour à Lunéville, pour le soir de ce jour. Après midi, le prince Nicolas, évêque de Metz, partit de Nancy avec une grande quantité de Nobles du pays, vingt-cinq Gentilshommes de sa maison, le Grand-Maitre, les Maîtres spirituels et temporels des cérémonies et les Maitres-d'hôtel ordinaires. Le même jour partirent aussi les Gentilshommes et Chevaliers qui portaient les enseignes, guidons, étendards, lances, écus, cornettes et panons, et les hérauts-d'armes qui marchaient après la troupe du prince Nicolas. Après eux venaient les Aumoniers et Clercs de chapelles, le Maitre de la chapelle ducale, les chantres et les enfants de choeur ; puis l'écuyer menant le cheval de secours et six pages d'honneur montés sur autant de chevaux couverts de velours noir, à grandes croix blanches, pendant jusqu'à terre, et caparaçonnés comme le cheval de l'écuyer; puis encore un autre écuyer, conduisant le grand cheval de bataille, bardé, suivi de l'écuyer menant le cheval d'honneur, houssé et caparaçonné de velours noir pendant jusqu'à terre, parsemé de grandes croix de satin blanc et les quatre coins de la housse tenus par quatre valets de pied, vêtus de velours noir.
«  Après eux partirent les seigneurs de Savigny et de Harenges, représentant les comtes de Vaudémont et de Blâmont ; puis venait le char funèbre couvert de velours noir, pour transporter le corps du feu prince, trainé par six chevaux, couverts aussi de velours noir, à grandes croix blanches. Suivaient ce char, le comte de Salm, maréchal de Lorraine et du Barois, les Sénéchaux de Lorraine et Barrois, les quatre comtes, les baillys et chevaliers qui devaient porter ses armes, cottes-d'armes, ordres de France, les quatre coings du drap d'or et du dais sur le corps du prince. Ensuite venait un commissaire accompagné de deux cents pauvres vêtus de deuil, ayant devant et derrière eux les armes du prince, et portant chacun deux clochettes pour sonner pendant la cérémonie du transport du corps. Toute cette foule arriva sur le soir à Lunéville, puis on partit le lendemain dans le même ordre pour se rendre à Deneuvre.
«  A deux heures après midi, l'évêque de Metz, prince de grand deuil, se rendit en cérémonie avec sa suite, à l'église où reposait le corps du prince François, et après les Vigiles dont les leçons furent solennellement chantés par des abbés mitrés et crosses, il retourna au château dans le même appareil qu'il en était parti.
«  Aussitôt après on servit à souper devant le corps du feu prince, avec le même cérémonial que s'il eut été vivant. Le grand-maître précédé des hérauts-d armes et des trompettes, et suivi des quatre maîtres d'hôtel ordinaires, de l'écuyer tranchant, des pages d'honneur qui portaient les viandes, entra dans la salle, et après les cérémonies ordinaires et l'essai des plats, on mit les mets sur la table à un bout, tandis qu'à l'autre on en servait pour le prince Nicolas évêque de Metz, qui y mangea seul. A chaque service on observait le même cérémoniel, et les plats qui avaient été destinés au feu prince étaient aussitôt donnés à l'aumonier et aux clercs de chapelles pour être distribués aux pauvres.
«  Le lendemain 4 août on fit les services solennels dans l'église collégiale de Deneuvre. Les abbés de Haute-Seille et le prévot de Saint-Diez y chantèrent trois messes. Celui-ci parce qu'il était mitré célébra la dernière et fit les ablutions sur le corps. Pendant cette dernière messe, l'aumônier du feu prince prépara sa chapelle et son siège, comme s'il eut été vivant; puis célébra une messe basse ou l'abbé Saint Martin, comme maître spirituel des cérémonies, présenta le livre à baiser au prince défunt, après l'évangile, et l'aumônier lui offrit le corporal et l'eau bénite à la fin de la messe, comme c'était la coutume. Enfin une demi-heure avant le diner, le héraut-d'arme annonça à haute voix la mort du prince et invita Messieurs des trois états à son convoi.
«  Vers une heure après midi le corps fut levé par vingt gentilshommes et porté du coeur de l'église sur le char funèbre qui l'attendait devant le portail, puis chacun commença à marcher suivant l'ordre marqué par les maîtres des cérémonies. On alla à pied de Deneuvre jusqu'au grand chemin, ou chacun remonta à cheval sans cependant rompre son rang, puis le cortège se dirigea sur Lunéville. »
Nous ne pousserons pas plus loin la description de cette marche funèbre; ce serait sortir des bornes de notre sujet. Ajoutons cependant que le corps du duc François fut conduit à Nancy et inhumé avec ses ancêtres dans le caveau de la chapelle des Cordeliers.
Telle est la relation de ce qui se passa dans la ville de Deneuvre dans ces tristes circonstances. Cette foule d'illustres personnages et de Nobles venus de toutes les contrées de la Lorraine ; l'appareil pompeux de la cérémonie ; le son lugubre des quatre cents clochettes agitées par cette multitude de pauvres que les clercs de chapelles traînaient à leur suite, durent bien impressionner les bourgeois et surtout les manants de la ville. Et cependant ils étaient pour ainsi dire habitués à tout ce grand mouvement; car à la nouvelle de la mort du duc François, l'empereur d'Allemagne, Charles-Quint, s'était empressé d'envoyer au château de Deneuvre l'abbé saint Vincent de Luxeuil, pour offrir ses compliments de condoléance à l'inconsolable Christine. Le roi de France, Henri II, parrain du prince défunt, y envoya pour la même cause le sieur Desmortiers, maître des requêtes. Le roi de Hongrie; le roi des Romains; la princesse d'Orange, et bien d'autres maisons royales et seigneuriales se firent un devoir d'y envoyer aussi leurs ambassadeurs. Au nombre des personnes qui formaient la cour de Christine de Danemarck, se trouvaient le prince Nicolas de Lorraine et le comte de Vaudémont ; Charles, archevêque de Rheims; Dorothée de Danemarck, comtesse palatine, sa soeur; Jean, cardinal de Lorraine et plusieurs autres seigneurs de moindre importance. On peut maintenant se faire une idée de la grandeur du château de Deneuvre puisque cette foule d'illustres personnages y étaient fêtés et logés en même temps.
Christine y fit ses couches au commencement de septembre 1545 et donna le jour à une princesse qui reçut le baptême dans l'Eglise paroissiale de la ville, située hors des remparts, comme nous l'avons vu. Cette enfant eu pour marraine la comtesse palatine, Dorothée de Danemarck, sa tante, qui lui donna son nom. Mais la cérémonie se fit sans faste et fut loin de ressembler au pompeux appareil qui fut déployé lors du baptême des deux autres enfants du prince François. Cette princesse née à Deneuvre épousa en 1575 Eric de Brunsvick, et dans son contrat de mariage qui est rédigé en latin, elle prend la qualité de Domina Danubrii vidua, princesse orpheline de Danubre.
La duchesse Christine en épousant le prince François avait reçu en don de la part de son beau-père, le bon duc Antoine, la rente annuelle de 15,000 livres tournois à prendre sur les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre. Mais à la mort de son mari, ces deux terres lui furent données en douaire, à condition toute fois qu'elle entretiendrait en bon état les châteaux, maisons seigneuriales et autres monuments qui s'y trouvaient. C'est en vertu de cette clause qu'en 1586 cette princesse fit réparer à neuf le grand pont de pierre qui conduisait à la porte Saint-Nicolas, la seule entrée de Deneuvre du côté de l'est. Ce monument que l'on connaissait sous le nom de Pont des Fées comme nous l'apprend la tradition populaire, était contemporain de la tour du Bacha. C'était un ouvrage romain auquel nos ignorants ancêtres attribuaient une origine mystérieuse, de même qu'aujourd'hui on appelle Pont du Diable les arches délabrées de l'ancien aqueduc que l'on voit à Jouy; ces deux monuments sortis des mêmes mains dataient sans doute de la même époque. Le pont de Deneuvre traversait comme il a été dit, toute la vallée de la Meurthe et allait aboutir sur un roc situé à l'extrémité nord de la prairie que nous nommons la papeterie. Christine n'épargna rien pour sa restauration ; elle envoya son architecte sur les lieux et celui-ci qui n'était autre que le célèbre florentin Drouin, aussi habile sculpteur que savant dans son art, dirigea et surveilla tous les travaux. Mais ce vieux monument fut entièrement détruit soixante-huit ans après sa réparation, de même que l'usine qui était un peu au-dessus, et qui donna son nom à tout ce territoire, l'avait été quelque temps auparavant. Dans l'historique de Baccarat nous parlerons du phénomène qui le fit disparaître. Dom Calmet nous apprend que de son temps on voyait encore assez de vestiges de ce grand pont ; mais ce serait en vain qu'aujourd'hui l'on se donnerait la peine d'en rechercher quelques traces ; le peu qu'il en reste en amont de la Meurthe, à l'endroit désigné plus haut, ne mérite même pas le nom de ruine.
Christine qui habita le château de Deneuvre à peu près une année, abandonna cette ville qui lui rappelait de si douloureux souvenirs, pour se rendre à Blâmont ; mais elle n'y termina pas ses jours. Comme la régence de la Lorraine lui avait été enlevée par le roi de France, Henry II, cette princesse se réfugia en Flandre, craignant le sort de son fils ainé Charles III qui lui avait été enlevé par ce monarque. Nous allons citer un règlement qui fut rédigé par son ordre en son château de Blâmont, et qui concernait tous les habitants de son douaire. Cette loi somptuaire produite par les circonstances, fut mise en vigueur en 1587 pour porter remède autant que possible aux maux qu'enduraient les habitants, en proie aux horreurs de la famine.
«  La chéreté excessive des vivres, notamment du pain et du vin, provenant de l'avarice et malice débordée des hôtelliers, taverniers et cabaretiers, et de la continuelle fréquentation dans leurs hôtelleries, tavernes et cabarets par les débauchés, et par les gourmandises et yvrogneries qui s'y commettent journellement ; voulant remédier à ces maux :
«  Il est défendu aux cabaretiers, hôtelliers et taverniers de recevoir, de loger et de traiter aucun individu quelqu'il soit du domaine de Blâmont; ils pourront toutefois loger les étrangers voyageant pour leurs affaires et leur négoce. Défense est faite à tous les particuliers d'aller prendre leurs repas, boire ou manger dans les hôtelleries et cabarets. Il est ordonné à ceux qui fréquentent les foires et marchés des villes et des villages distants d'une lieue ou deux de leurs domiciles, de partir aussitôt après la tenue des dites foires et marchés et de ne pas s'arrêter dans les hôtelleries, tavernes et cabarets. Sont prohibés tous banquets de fêtes annuelles des villes et des villages, et des paroisses, les banquets de fiançailles, épousailles, nopces, baptêmes, obits et enterrements. Cependant pour les fêtes de nopces et fiançailles, les pères et mères et autres parents peuvent s'assembler au nombre de trente-six s'ils ont la qualité de Nobles, ou d'Officiers de justice supérieurs ; si, bourgeois, marchands, officiers de justice inférieurs, au nombre de vingt-cinq; si, artisants, gens de métiers, valets et chambrières et manans jusqu'au nombre de douze, sans compter le marié et la mariée, etc. » Mais il était ordonné que les repas se fissent dans la maison des mariés, ou de leurs pères et mères, ou parents, et même dans celle d'un voisin ou d'un ami, et non, sous peine d'amende dans une auberge ou hôtellerie. Ce moyen de parer à la famine figurerait très-bien à côté des utopies de la plupart des économistes modernes. Par ce beau règlement la duchesse Christine qui voulait donner du pain à tous ses sujets, l'ôtait à quelques-uns et n'en donnait à personne. Mais tel était le bon plaisir de cette ancienne douairière de Deneuvre dont le nom est à peu près inconnu à mes compatriotes.
Sous le règne de son fils, le duc Charles III, le plus bel homme de son temps, disent ses historiens, Deneuvre, comme tout le duché de Lorraine, jouit d'une assez grande tranquillité. Il est vrai que ce prince passa la plus grande partie de son existence à la cour de France. Ce fut lui qui introduisit dans ses états la réformation du calendrier ordonnée par le pape Grégoire XII; car avant cette mesure nos pères commençaient l'année, les uns le jour de Noël, les autres le 25 mars, et d'autres encore le jour de Pâques. Ce fut pour obvier à tous ces inconvénients et apporter une parfaite uniformité dans les dates que le prince Charles par son édit du 15 novembre 1579 ordonna que l'année commencerait le premier janvier suivant et que l'on dirait 1580. Ce fut lui aussi, comme nous l'avons déjà vu, qui acquit pour la somme de vingt mille francs, près de l'évêque de Metz, François de Baucaire, la suzeraineté des deux villes de Blâmont et de Deneuvre. Mais l'histoire ne nous apprend pas si cette dernière posséda jamais son souverain dans ses murs, quoiqu'elle fut alors arrivée à l'apogée de sa grandeur et de sa prospérité. Son état heureux ne se démentit point pendant tout le cours de son long règne et celui de son successeur, Henry II, jusqu'au temps des grands démêlés qui survinrent entre le roi de France et le duc de Lorraine, Charles III, plus connu sous le nom de Charles IV. Mais avant d'aborder le récit de cette lamentable époque qui causa la ruine de Deneuvre, qu'il nous soit permis de dire un mot sur l'ancienne maison de Salm dont le nom est si répandu dans nos contrées. Comme ces seigneurs, parents des comtes de Blâmont, vinrent souvent habiter la ville dont nous essayons d'esquisser l'historique, nous n'avons pas cru devoir les passer sous silence, car il est bon de faire connaissance avec tous les hôtes de la maison.
On ne sait rien de certain sur l'antique généalogie de cette famille qu'on dit venir du pays de Luxembourg. Un de leurs descendants, de la branche fixée en Ardennes, un nommé Herman, étant venu s'établir dans les Vosges en 1081 forma la tige des comtes de ce pays. Cependant le château ne datait pas de cette époque, car il ne fut construit qu'en 1225 par un de ses successeurs, Henry II, qui le fit bâtir sur un terrain nommé Bruch-Strall, dépendant de l'abbaye de Senones. Ce fut aussi ce même prince qui découvrit les mines de fer de Framont (ferri mons) et qui le premier en entreprit l'exploitation. Mais comme elles étaient situées sur un terrain appartenant à la même abbaye, Henri fut obligé de passer au mois de novembre 1261, un traité par lequel il fut convenu que cette exploitation se ferait de moitié avec la communauté.
Le moine Richerius ou Richer qui au 13me siècle vivait dans la dite abbaye, nous a laissé la relation d'une terrible aventure arrivée dans la famille de ce même Henri. Nous allons la rapporter pour donner une idée des moeurs de cette époque.
Ce seigneur avait eu de son mariage deux fils, Henry et Ferry ou Frédéric, qui tous deux portèrent le titre de Cuens de Danubre. Le premier de ces princes, dit notre chroniqueur, joignait à une grande ambition le caractère le plus violent, dont ses père et mère étaient les premières victimes. Il se mit un jour en tête le beau dessein de les dépouiller de leur petit état, puis de les confiner dans un couvent, selon la coutume. Mais Dieu ne permit pas qu'il vécut assez longtemps pour mettre à exécution son abominable projet ; il tomba malade et mourut peu de temps après, ou du moins on le crut mort. La comtesse sa mère en étant instruite le fit transporter incontinent dans l'abbaye de Haute- Seille fondée par ses ancêtres et l'y fit enterrer aussitôt. Mais pendant la nuit on entendit des bruits sourds qui semblaient sortir de son tombeau, ce qui obligea de le déterrer le lendemain. On vit avec horreur que ce prince s'était retourné dans son cercueil, car on lui trouva le visage en bas, tandis qu'on l'avait inhumé le visage en haut : circonstance qui fit penser à chacun que ce mauvais fils n'était qu'en léthargie lorsqu'on l'enterra. Le moine Richer se contente d'enregistrer le fait sans ajouter aucune réflexion sur ce cas tragique, laissant à son lecteur le soin d'apprécier la conduite de la comtesse. Cependant cette fin malheureuse ne ramena pas à de meilleurs sentiments son frère Ferri ; car celui-ci n'eut pas honte de forcer ses vieux parents d'abandonner leur château de Blâmont dont il s'empara. Ce fils dénaturé vit partir à pied et suivis d'un seul domestique, les auteurs de ses jours qui se retirèrent dans celui de Pierre-Percée qui leur appartenait également, et où l'infortuné père rendit l'âme en 1240. Il fut inhumé dans l'église de l'abbaye de Senones près du tombeau de l'abbé Antoine, l'un des fondateurs du prieuré du Moniet (St-Christophe).
Le prince de Salm Henri IV, pour le service de son château échangea à l'abbé Gérard, supérieur de cette abbaye, un pré qu'il possédait sur le ban de Deneuvre, contre un autre situé à Plaine.
Il était le voué, le défenseur de cet important monastère que ses successeurs dépouillèrent le plus qu'ils purent pour l'agrandissement de leur seigneurie, ce qui était un motif de démêlés continuels entre ces deux voisins. C'est aussi vers cette époque que la même abbaye était gouvernée par un nommé Conon, curé de Deneuvre, que les religieux avaient nommé leur supérieur à cause de ses grandes richesses. Mais ce choix ne fut pas heureux; ce prêtre n'ayant jamais pratiqué la règle de saint Benoit et ignorant entièrement les exercices du cloître, ne pouvait donner l'exemple à ses subordonnés. Conon, au contraire, était un mondain qui ne portait même pas l'habit de son ordre, et vivait dans l'abbaye comme un séculier; portant ses éperviers et ses oiseaux de chasse dans le cloître et même jusque dans le choeur de l'église. Cette singulière conduite, quoiqu'assez commune à cette époque dans tous les couvents, offusqua cependant si fort les moines de Senones, qu'ils le chassèrent honteusement et lui donnèrent un successeur. Conon reprit le chemin de Deneuvre et vint y étaler de nouveau son luxe et satisfaire ses goûts fastueux bien faits pour scandaliser les âmes dévotes. Mais telles étaient les moeurs du 13me siècle : on voyait des prélats et des abbés, tel que Baudoin qui fut également supérieur dans cette abbaye, voyager avec des filles publiques, les introduire dans leurs appartements et enfin en qualité de seigneurs temporels, avoir des bouffons pour amuser les étrangers qu'ils recevaient à leur table, (D. C.)
Les princes de Salm édifièrent aussi le château de Langstein, qui ne prit le nom de Pierre-Percée que lorsqu'on eut percé la roche à coups de marteau pour y creuser un puits. Son assiette et ses fortifications en faisaient un des forts les plus inexpugnables de nos contrées; et cependant en 1220 il s'était laissé surprendre par une troupe d'aventuriers, trop communs à cette époque. Ces brigands, semblables à des oiseaux de proie, s'élançaient de ce repaire et portaient la terreur dans tout le canton. Mais l'évêque de Metz, Etienne de Bar, dont nous avons parlé, le reprit sur ces voleurs de grand chemin après un siège qui dura un peu plus d'un an. Il fut obligé de l'entourer de trois forts au moyen des quels ils les serra de si près qu'ils furent contraints de se rendre ou de l'abandonner à cause de la famine. A peu de distance de cette forteresse se voyaient encore naguère les ruines d'un autre château, Damegaule, que les gens à imagination plus active que sensée faisaient correspondre par un souterrain avec celui de Pierre-Percée. Mais comme personne n'a jamais vu cette communication n'est-il pas plus raisonnable d'attribuer ces ruines à l'un des ouvrages élevés par Etienne ? Le château de Langstein fut inféodé par l'un de ses possesseurs, à l'évêque de Metz, Jakon de Lorraine en 1258. Vingt ans auparavant le même prélat avait déjà acquis la suzeraineté de la seigneurie de Blâmont, comme nous l'avons vu. Enfin le château de Pierre-Percée fut détruit au 17e siècle avec les autres forteresse de la Lorraine; et par le dénombrement de 1641 il fut constaté que cette ancienne demeure féodale servait alors d'asile à deux mendiants et encore l'année suivante il ne s'en trouva plus qu'un. Il y a donc aujourd'hui 220 ans que ces ruines sont complètement abandonnées. Le beau puits que l'on y voyait et qui exigea tant de travail et de patience ne tardera pas à être comblé ; car chaque visiteur se fait pour ainsi dire un devoir d'y laisser tomber quelques pierres détachées des vieilles murailles; et enfin c'est à peine si de nos jours il reste assez de vestiges de l'ancien oeuvre du comte Henri pour satisfaire la curiosité du touriste et le dédommager d'un fatigant voyage.
Les princes de Salm avaient pour capitale de leur comté la ville de Badonviller, à l'exception du faubourg de Lorraine. Cette partie de la localité avait été donnée au prince François lors de son mariage avec une fille de Salm, la comtesse Christine; et ce seigneur y faisait son séjour ordinaire. Badonviller, entouré de murailles et de fossés, était très-renommé pour sa fonderie de canons, ses ateliers d'arquebusades où se fournissaient les ducs de Lorraine, et autres métiers de ce genre tous propres à la guerre : c'était un véritable arsenal. Il y avait aussi un atelier monétaire où les princes de Salm firent frapper ces pièces que l'on conserve dans les collections numismatiques; et nous avons encore vu les deux portes en forme de tours qui donnaient accès dans la ville ; L'une autrefois était gardée alternativement pendant une semaine par un portier et un bourgeois pour le guet de nuit ; tandis que les pâtres salariés gardaient la seconde. Ceux-ci étaient obligés de corner à chaque heure de la nuit, pour annoncer aux habitants qu'ils faisaient bonne garde. Mais cette singulière coutume fut remplacée depuis par des gardiens ambulants dont les cris monotones ne manquaient jamais d'éveiller les dits habitants tout en les invitant à dormir paisiblement; et ces moeurs féodales se retrouvent encore dans quelques cantons de l'Allemagne. Les habitants de Badonviller s'étaient jetés dans les bras de la Réforme, à l'exemple de leur seigneur et Maître le prince de Salm, et au grand scandale de leurs voisins restés fidèles à la foi romaine. Ceux-ci mirent tout en oeuvre pour extirper l'hérésie de cette localité. Le Bien heureux père Fourier s'y rendit dans ce but et laissa même son nom à une petite source qui se trouve entre cette ville et le village de Fenneviller. Le vénérable curé de Mattaincourt ramena sans doute au giron de l'Église-mère quelques brebis égarées; mais malgré l'exemple de ses vertus; malgré son éloquence persuasive, le plus grand nombre resta sourd à ses exhortations et continua à fréquenter le prêche. Il ne fallut rien moins que la présence d'un Vicaire du Saint-Siège pour lutter contre le démon qui soufflait la Réforme. Les moyens de rigueur, selon la louable habitude, et mieux encore, l'abjuration de leur seigneur, le comte Philippe, firent plus de conversions que tous les sermons de ce grand dignitaire. Ensuite le duc François obligea ceux de ses sujets qui voulaient conserver la religion protestante à sortir de la ville. Cet acte d'intolérance seyait bien à ce prince dévot qui fit à pieds nus le pèlerinage de Notre-Dame-de-Sion ; et cependant tous ces moyens furent insuffisants, car l'on compta longtemps encore de nombreux prosélytes à Badonviller.
Le comté de Salm confinant au duché de Lorraine, des contestations journalières s'élevaient entre les officiers civils des deux pays; car les limites territoriales n'étaient pas bien définies. Pour obvier à ces inconvénients un arrangement survint le 21 décembre 1751 entre les ayant-droit, le duc Stanislas et le roi de France, Louis XV, son gendre, d'une part; et Nicolas Léopold, premier du nom. de Salm-Salm, par son mariage avec Dorothée Agnès sa cousine, d'autre part. Il fut convenu que la rivière de Plaine servirait désormais de limite aux deux pays ; par conséquent tout ce qui se trouva à la droite de ce cours d'eau fut annexé à la Lorraine. Par suite de cet accord la ville de Badonviller fut distraite du comté de Salm, et cette localité florissante perdant son seigneur vit bientôt disparaître sa prospérité et tomber son industrie. Léopold eut en échange toute la vallée de Senones avec la ville de ce nom, dont auparavant il ne possédait que la moitié ; puis partout où la rivière ne put servir de démarcation, on y suppléa par des bornes aux armes de la maison de Salm, et dont il doit encore rester quelques-unes. Enfin le 2 mars 1792 cette principauté qui comprenait en tout trente-deux villes et villages fut abolie par la Révolution et réunie au territoire de la République : son dernier possesseur fut le prince Constantin, dont les descendants se retrouvent en Allemagne. Telle fut la fin de cette ancienne seigneurie qui comptait 711 ans d'existence et qui eut la gloire de régénérer au 12me siècle la maison de Blâmont. Mais il est temps de revenir à Deneuvre.
Nous avons laissé cette ville, riche, heureuse et tranquille, malgré quelques chamailles avec les gens de Baccarat, dont nous parlerons quand nous nous occuperons de ceux-ci; ses habitants s'adonnant à l'industrie et au négoce, sources de leur bien-être et de leur prospérité ; mais tout cet état florissant disparut dans la première moitié du 17me siècle. Chacun sait que c'est l'époque la plus fatale des fastes de la Lorraine ; aussi les divers historiens de cette belle province se sont-ils exercés à l'envi à retracer le sombre tableau des souffrances et des calamités endurées par nos malheureux ancêtres. Et cependant de toutes ces misères il en sortit un grand bienfait ; car si plusieurs cités furent détruites elles entraînèrent dans leurs ruines le singulier régime féodal. C'est donc après avoir bien compulsé, après avoir bien compilé les relations du temps que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs tout ce que nous avons pu butiner touchant la destruction de la ville dont nous esquissons l'historique.
Tout homme qui a un peu lu, sait que Gaston d'Orléans, frère du roi de France, Louis XIII, ne pouvant s'assujettir au despotisme du ministre Richelieu, s'enfuit de la cour et se retira d'abord en Champagne, puis à Nancy près du duc Charles. Cette fuite n'eut d'abord d'autre résultat que de le rendre éperdument amoureux de la duchesse Marguerite, soeur du duc de Lorraine, et une des personnes les plus accomplies de son temps. Puis ayant obtenu satisfaction sur la plupart de ses plaintes et de ses réclamations, il retourna à Paris; mais ce ne fut pas pour longtemps. 1629. En 1631 il abandonna de nouveau son frère pour se retirer à Orléans ; d'où il vint à Besançon dans le dessein de se rendre en Lorraine, où l'attirait cette malheureuse passion qui allait plonger notre province dans les plus grandes calamités, il fut reçu à bras ouverts par le duc Charles qui lui accorda bientôt sa soeur en mariage avec une dot de cent mille pistoles. La cérémonie se fit clandestinement dans l'abbaye de la Consolation à Nancy, dans le parloir de l'abbesse et en présence de Catherine de Lorraine, abbesse de Remiremont, tante de la mariée. C'était braver le courroux du Monarque français qui avait menacé le duc Charles de venir aux noces à la tête de ses meilleures troupes. Sur ces entrefaites, comme ce prince avait fait alliance avec l'empereur Ferdinand II en guerre contre la Suède, la France de son côté s'allia avec cette dernière pour punir la Lorraine. On leva des troupes de part et d'autre ; celles du roi de France réunies aux bandes de Gustave, qu'il avait appelées, envahirent cette province et se saisirent de plusieurs places importantes. Charles, qui était en Allemagne accourut au secours de ses états ; mais se trouvant dans l'impossibilité de résister à de si puissants alliés, il alla se jeter aux pieds de Louis XIII et promit solennellement tout ce que la France exigea de lui. Mais à peine les difficultés semblaient-elles aplanies que ce prince s'empressait de protester contre les actes qu'il venait de signer et de rassembler des troupes pour chasser de son pays l'ennemi qui tenait plusieurs places pour garantie de sa parole. Cette conduite plusieurs fois réitérée indisposa tellement le Monarque français qu'il résolut d'en finir avec toutes les tergiversations de ce prince inconstant. En conséquence l'ordre fut donné au cardinal Lavalette et au maréchal Schomberg d'envahir et d'occuper définitivement la Lorraine. 1635. Le malheureux duc de Lorraine chassé de ses états alla implorer le secours de son allié Ferdinand. Après plusieurs événements (tous étrangers à notre sujet et qu'on peut lire dans l'Histoire de Lorraine) ce prince à la tête de ses fidèles soldats s'en vint camper aux alentours de Rambervillers ; car cette ville murée, défendue par vingt-quatre tours pouvait lui servir de point d'appui. Son armée qui se montait à vingt mille hommes environ était accompagnée d'un si grand nombre de femmes, dit Dom Calmet, qu'elles seules fortifièrent le camp de leurs mains et sans la participation d'aucun soldat ; il ajoute qu'elles firent cette besogne dans l'espace de quinze jours. (26) Ce fut dans cette ville que le général Galas lui amena les secours promis par l'empereur Ferdinand, et cette jonction fit monter l'armée lorraine à des forces si imposantes que le maréchal Schomberg qui occupait Moyen, Deneuvre et toutes les petites villes murées des environs n'osa pas l'attaquer et se retira laissant des garnisons dans ces petites places.
En effet, au commencement de ces guerres, en 1632, les Français logés à Baccarat, s'étaient rendus maîtres de Deneuvre, après avoir détruit par le fer et la flamme les faubourgs qui s'étendaient au midi, la porte d'en bas et toute la partie des remparts comprise entre les deux tours. C'est pourquoi nous voyons les fortifications de ce côté de la ville en si mauvais état ; leurs ruines servirent à combler en partie le fossé, et à donner accès à l'ennemi. Au reste à cette époque les murailles de Deneuvre n'étaient plus capables d'arrêter un corps d'armée accompagné de canons ; ce moyen de destruction avait remplacé tous les engins employés par les anciens. On avait à peu près perdu l'usage des balistes, catapultes, béliers, tours mouvantes et autres machines de guerre imaginées pour l'attaque ou la défense des villes fortes ; et même un changement extraordinaire dans les armes à feu s'était opéré au commencement de ces commotions politiques, puisque ce fut vers l'an 1630 que l'on remplaça l'incommode arquebuse par le fusil à silex. Ainsi donc les français occupaient cette ville depuis trois ans déjà quand les troupes impériales et lorraines se voyant en force résolurent de chasser l'ennemi et d'occuper à leur tour toutes les places en son pouvoir. Un fort détachement se porta de Rambervillers sur la ville de Deneuvre où commandait pour le roi de France le sieur d'Halaincourt. Ce gouverneur livré à ses propres ressources depuis la retraite du maréchal Schomberg ne se laissa pas intimider; il s'enferma dans la ville avec la ferme résolution de la défendre jusqu'à la dernière extrémité. Mais comme on avait négligé de réparer tous les dégâts faits aux remparts et que le temps hâtait, il ordonna au sieur De La Garde ,qui commandait la garnison, d'élever le plus promptement possible de fortes barricades depuis la porte d'en bas jusqu'à la tour du Bacha. Il fit également entourer par de semblables obstacles, les abords de la forteresse qui avait été aussi très-maltraitée à la prise de la ville ; car elle avait entièrement perdu sa porterie. Ainsi donc dans l'espace de trois ans les habitants de Deneuvre allaient voir se renouveler les horreurs d'un second siège.
Les Français et les Suédois d'un côté ; les Lorrains et les Impériaux de l'autre se conduisaient dans la malheureuse Lorraine comme en pays conquis ; le pillage et l'incendie les suivaient partout sur leur passage. Non-seulement cette province se trouvait à la merci de toutes ces troupes, mais il s'était encore formé des bandes particulières d'hommes armés qui s'emparaient pour leur propre compte des châteaux qu'ils pouvaient surprendre, et d'où ils se répandaient dans le pays pour le piller et le saccager. Elles se composaient de Hongrois, de Suédois, d'Allemands, d'Espagnols, de Suisses et de Français, tous déserteurs, et auxquels venaient encore se joindre les mauvais sujets du pays. On les connaissait sous le nom de Cravates ou plutôt Croates ; et malgré la différence de leurs idiomes, ils s'entendaient assez lorsqu'il s'agissait de faire le mal. Ils pillaient et incendiaient les églises et les monastères ; massacraient les filles après les avoir violées ; en un mot, ces bêtes féroces se rendaient coupables de tous les crimes et de toutes les abominations dont l'imagination peut se repaître. Cependant les armées régulières, qui ne se conduisaient guère mieux, les poursuivaient rigoureusement; le premier arbre venu servait de potence à ceux dont ils parvenaient à s'emparer. On peut bien penser que dans cette conflagration générale, les terres de l'évêché, enclavées dans la Lorraine, ne furent pas plus respectées que les possessions ducales. Mais ceux qui souffrirent le plus de ces calamités furent les malheureux habitants de la campagne et des bourgs non fermés. Le cultivateur se vit dans la nécessité d'abandonner sa charrue et de se réfugier dans les forêts; les terres restèrent en friche; une horrible disette s'en suivit; et le blé qui se vendait ordinairement huit valut jusqu'à cent francs le resal. Les malheureux faisaient nourriture de tout et les historiens nous apprennent que plusieurs habitants se virent réduits à se nourrir de chair humaine. Le Père Gaussain, jésuite, et confesseur de sa Majesté Louis XIII, témoin oculaire de tous ces événements, disait, que jusqu'alors il ne connaissait aucun pays dans le monde entier, où l'on ait vu autant de misères et d'atrocités réunies que dans la misérable Lorraine. Au reste nos lecteurs n'ont qu'à lire les relations authentiques laissées par les historiens de l'époque, pour se faire une idée de l'affreuse misère qui décima si fort la population. Mais si les habitants de la campagne avaient à supporter de si cruelles souffrances, quel était donc le sort des citadins renfermés dans leurs villes assiégées ?
Les troupes détachées de la grande armée impériale pour venir s'emparer de la ville de Deneuvre, arrivèrent sous ses murs dans le courant de juillet de l'année 1635. Ils la serrèrent de si près que les habitants n'osèrent plus sortir de leurs murailles sans se voir exposés à la mort ou à la prison. Tout le pays environnant fut entièrement ravagé par ces bandes obligées de battre la campagne pour se procurer des vivres. Les villages restèrent inhabités; les moulins de Deneuvre, de Baccarat, d'Axerailles furent détruits par le pillage et l'incendie; et l'établissement extra muros des taillandiers de la ville où se trouvait une meule tournoyante propre à aiguiser leurs instruments tranchants, ne fut pas plus respecté. Cependant tous ces maux réparables n'auraient pas affecté les citadins de Deneuvre, si la famine ne s'était fait bientôt sentir. D'abord les Lorrains et les Impériaux à leur arrivée s'étaient empressés de couper les corps qui conduisaient l'eau dans la ville, croyant la priver de ce nécessaire. Mais on y suppléait facilement au moyen des quelques puits et des nombreuses citernes dont il reste encore quelques-unes. D'ailleurs ces corps furent réparés par les charpentiers qui reçurent pour cette besogne périlleuse la somme de vingt francs des mains de Jean Rognon, alors Receveur de la prévôté. Mais comment se procurer des vivres ? Ceux qui avaient le bonheur d'avoir seulement le strict nécessaire s'ingéniaient pour le mettre à l'abri de la rapacité d'une population et d'une soldatesque affamées. En effet, pendant les derniers temps du blocus de Deneuvre, le capitaine De Lagarde, à la tête d'un détachement de sa petite garnison se permettait tous les huit jours une visite domiciliaire chez tous les particuliers, pour découvrir ou du blé, ou d'autres denrées alimentaires.
Lorsque cet officier était assez heureux pour faire une trouvaille de ce genre il s'en emparait sans façon et la faisait transporter dans les greniers de la forteresse, malgré les gémissements de ceux qu'il condamnait à mourir de faim. Personne n'était à l'abri de ces recherches; ainsi le Receveur du domaine, dont nous venons de parler, et son confrère le Comptable de la ville, tous deux fonctionnaires lorrains, pour se soustraire aux horreurs de la famine, avaient caché dans des tonneaux chacun douze resaux de blé et les avaient fait enfouir soigneusement dans leurs caves. Mais cette précaution ne leur servit à rien; l'affamé capitaine éventa leur provision, la fit saisir, et transporter incontinent au château, pour subvenir, disait-il, à la substention de la garnison. Non contents de prendre le blé, ses soldats enlevèrent en même temps à ces malheureux officiers plusieurs coffres renfermant les meubles, le vestiaire et les objets précieux qu'ils y avaient entassés, et dont ils furent à jamais dépouillés. Ils regardèrent sans doute comme de bonne prise ce vol fait à deux sujets du duc Charles, leur ennemi. Telle était la conduite des Français à l'égard des malheureux habitants de Deneuvre, dont le nombre diminuait journellement. En proie à toutes les horreurs d'un long blocus, à la merci d'une soldatesque insolente et effrénée, décimés par la famine et la guerre, ces infortunés se virent encore atteints par un autre fléau. La peste, l'horrible peste apportée et propagée par les troupes de l'empereur Ferdinand, y fit les plus grands ravages. Au nombre des victimes fut ce même Jean Rognon, qui fut enlevé le 17 décembre 1635, après neuf années d'exercice, comme nous l'apprend son frère qui lui succéda après la guerre ; tous les autres officiers civils, le Maître Prévot, le Gruyer, le Contrôleur, le Greffier et les trois quarts de la population le suivirent dans la tombe. Enfin, ces trois plus grandes calamités humaines, la famine, la guerre et la peste enlevèrent, dit-on, les trois cinquièmes des habitants de la Lorraine ; et le dernier de ces fléaux ne s'arrêta, pour ainsi dire, que faute d'habitants. Les pestiférés de Deneuvre et de Baccarat, bannis des lieux où reposaient leurs ancêtres, furent inhumés à la jonction des routes actuelles de Lunéville et de Blâmont, dans un terrain silico-argileux où se voit petite chapelle placée sous l'invocation de sainte Catherine, cependant le gros de l'armée du duc Charles, également décimée par tous ces maux ne quittait pas son cantonnement, et se contentait de faire des courses inutiles dans les environs. Mais pendant cette inaction, les Français d'abord trop faibles et obligés de se retirer, reçurent des renforts et ne tardèrent pas à venir lui offrir la bataille. Le duc de Lorraine, plein d'espoir et ne doutant point du succès, voulait qu'on en vint aux mains; mais le maréchal Galas gagné peut-être par l'argent de Richelieu, ou plutôt obéissant à des ordres secrets de son maître, refusa le défi. Cette conduite singulière fut un des plus cuisants chagrins du valeureux Charles, qui se vit alors obligé d'abandonner ses états et de se réfugiera Besançon. Quant au général allemand il se mit à la tête de ses troupes décimées par les maladies, et regagna son pays en passant par l'Alsace. La dispersion de cette puissante armée livra la Lorraine à la merci de ses ennemis ; mais cette province saccagée se trouvait pour ainsi dire sans habitants. Ses campagnes étaient en friche; six cents de ses villages étaient détruits; son vainqueur ne possédait donc que des ruines. (27) Brouvelotte et Mervaville (28) dans nos environs furent à jamais effacés de la carte; Badménil avait été abandonné par ses habitants; de même que le village d'Angomont où se voyait une jumenterie établie à grands frais par les ducs de Lorraine. Il n'y avait plus que deux habitants à Axerailles, deux à Flin avec le maire, deux à Emberménil, etc., enfin toutes les localités de nos environs étaient plus ou moins privées de leurs populations; ce dont fait foi l'état du domaine de la Lorraine, dressé peu de temps après cette calamiteuse époque.
La retraite des Impériaux et des troupes Lorraines amena la délivrance de la ville de Deneuvre, sans procurer beaucoup de soulagement au peu d'habitants qui avaient résisté à tous ces maux. Le gouverneur D'Halincourt et le capitaine De Lagarde eurent donc la satisfaction de conserver leur conquête; mais quel était l'état de cette malheureuse cité à la fin de ces terribles épreuves ! Tous ses grands établissements industriels avaient disparu avec leurs propriétaires; les tanneries n'avaient plus laissé aucunes traces de leur existence ; la fonderie de cloches, les fabriques de draperie et de taillanderie étaient à jamais détruites; et enfin les grands faubourgs et la plus grande partie de la ville n'étaient plus qu'un monceau de ruines et de cendres. Voici ce que dit de ces faubourgs l'auteur du temporel des paroisses pour 1705: «  oà (à Laitre) l'on assure qu'il y avait beaucoup d'habitants et de maisons qui s'étendaient jusqu'au bas du vallon et à l'entour, où il en reste encore quelques-unes. Dans ce faubourg est l'église paroissiale avec son cimetière; on nomme ce faubourg. Le village de Laitre ». (29) Il est bien étonnant que cet établissement religieux ait résisté aux brigandages commis dans ces temps déplorables. L'auteur que nous venons de citer n'entendait probablement parler que de l'édifice resté debout, mais dévasté et privé de tous ses ornements. Le frère de Jean Rognon qui lui succéda, nous a laissé aussi des documents administratifs concernant la profonde misère des habitants de la seigneurie de Deneuvre. Cet
officier rapporte dans ses comptes pour 1636, qu'en cette année on ne fit aucune moisson ni labour dans toute la prévôté, et qu'il lui fut impossible de faire rentrer aucunes rentes dues, soit par les bourgeois de la ville, soit par les habitants de la campagne dépendant de sa juridiction. Tous les fléaux que les grandes guerres de cette époque avaient entraînés avec elles avaient été si funestes aux populations que d'après le recensement opéré par les soins de ce fonctionnaire, il ne se trouvait plus que six bourgeois dans la ville, un seul charpentier ; et que le nombre des autres ouvriers y était si diminué et ceux-ci devenus si rares, qu'il se plaint amèrement de l'augmentation de la main-d'oeuvre : car, dit-il, on faisait plus autrefois avec un sou qu'aujourd'hui avec douze. Quand ce Rognon voulut mettre en adjudication à la criée, comme c'était la coutume, la ferme du marché de Deneuvre, celles du four banal, du passage des bois flottants et la location des prés appartenant à monseigneur le Duc, il ne se présenta personne ; tant on avait peu de foi dans l'avenir. Enfin lorsqu'il songea à réparer le moulin de la ville, il voulut profiter d'un accord fait le 2 juillet 1521 entre les délégués du duc Antoine et les commissaires de l'évêché de Metz, par lequel les meuniers de Deneuvre et de Baccarat avaient le droit de prendre dans la forêt de la Moncelle les bois qui leur étaient nécessaires. Ce fut en vain qu'il en donna l'ordre, on ne put trouver de chariots pour y aller chercher les six pièces qui avaient été jugées indispensables pour cette opération. Tous les véhicules de ce genre avaient servi aux besoins des habitants ou plutôt à ceux de la garnison pendant l'hiver. Telles furent pour l'ancienne et opulente ville de Deneuvre les conséquences du mariage clandestin de Gaston d'Orléans, une des principales causes de ces terribles commotions. Le dernier siège ou plutôt le blocus de cette cité dura depuis la fin de juillet 1635 jusque fin de janvier 1636 : nous en avons assez dit pour qu'on se fasse une idée de tous les maux qu'endurèrent nos malheureux aïeux. Aussi l'invasion dévastatrice des Français et des Suédois a-t-elle laissé longtemps de douloureux souvenirs dans toute la province : cent ans après ces événements le nom de ces étrangers y était toujours en exécration ; et aujourd'hui encore la mémoire des atrocités qu'ils y commirent n'est pas entièrement effacée.
L'ancienne demeure féodale des seigneurs de Blâmont subit le sort commun. Le château de ces sires, qui furent le sujet d'une si longue dispute littéraire entre deux .savants du 18me siècle pour savoir à quelle époque ils se parèrent du titre de comte, ce château, dis-je, devenu la propriété de la maison de Lorraine, fut assiégé et pris en 1656 par le comte de Saxc-Weimar, au service de la France. Le gouverneur Klopstein s'y était renfermé après avoir incendié la ville; mais ce fut en vain qu'il s'y défendit vaillamment; la place fut emportée d'assaut et Weimar se déshonora en faisant pendre ce brave gentilhomme à la porte de la forteresse et passer la garnison au fil de l'épée. (30) Deux ans après cette catastrophe Monsieur de Feuquières (31) s'en empara de nouveau ; mais cette fois il le ruina par le pillage et l'incendie suivant en cela les ordres de la cour de France. Le palais des comtes qui n'en était pas éloigné fut également dévasté et détruit; et c'est depuis cette fâcheuse époque que ces deux monuments ne représentent plus qu'un monceau de ruines.
Enfin, maître de la Lorraine, Louis XIII, ou plutôt son ministre Richelieu, se conduisit dans cette province comme il avait fait antérieurement dans la Champagne et dans les autres grands fiefs de la couronne. Par délibération du 1er février 1636 il ordonna la démolition des châteaux et forteresses répandus dans le pays, pour le rendre désormais incapable de lui porter ombrage, (bien peu furent conservés; entr'autres le beau château de Haroué.) Les tours et la forteresse de Deneuvre n'échappèrent pas à la proscription ; et c'est de cette époque que datent leur disparition et la ruine des remparts. Dans la suite le duc Léopold donna au Chapitre de la Collégiale l'emplacement occupé par la dite forteresse, et ce fut avec les propres matériaux de ce monument féodal que les chanoines firent commencer vers l'an 1740 l'église moderne de Deneuvre qui ne fut achevée qu'en 1748. Mais sa construction fut un grand sujet de contestation entre les gens de Baccarat, de Deneuvre et les habitants de la Collégiale, comme on s'en convaincra en lisant le procès-verbal ci-après rapporté.
Enfin le calme succéda insensiblement à ces grandes commotions et l'on vit les habitants des campagnes quitter leurs retraites et regagner leurs villages plus ou moins saccagés. Comme ils se trouvaient dénués de toutes ressources, le successeur du duc Charles se vit dans l'obligation de leur faire des avances en grains et toutes sortes de semences pour les encourager à reprendre leurs travaux champêtres. L'administration de la prévôté de Deneuvre se réorganisa et fonctionna quelque temps encore. Mais par édit du mois d'août 1698 le duc Léopold réunit ce tribunal à la prévôté de Lunéville, ainsi que celles de Blâmont et d'Axerailles ; la prévôté de Salm y fut incorporée également sous le Roi Stanislas. Ce dernier prince priva aussi la ville de Deneuvre en 1741, de sa recette des finances, qui dépendait de celle de Saint-Dié, et l'ajouta à la recette de Lunéville. Enfin en 1747 Stanislas y abolit également la gruerie qui fut absorbée parla Maîtrise des eaux et forêts de la même ville ; puis lorsque quatre ans après l'on forma le grand Baillage de Lunéville, Deneuvre fut nécessairement compris dans la centaine de bourgs et villages qui en dépendaient. Toutes ces localités appartenaient au diocèse de Toul pour le spirituel et suivaient les coutumes de Lorraine publié le 1er juin 1595; quatre ans avant que Deneuvre ne devint lorrain. Ces coutumes, sauf dans certains cas où l'on suivait les us particuliers propres à chaque terre seigneuriale, remplacèrent celles qui régissaient nos ancêtres sous l'administration des comtes de Blâmont, et formèrent la nouvelle législation de la seigneurie de Deneuvre jusqu'au temps de la réunion de la Lorraine à la couronne de France, après la mort si malheureuse du bon duc Stanislas arrivée le 23 février 1766.
Ces pertes successives furent le coup de grâce pour l'ancienne et opulente ville de Deneuvre. Sans garnison, sans industrie, sans commerce et pour ainsi dire sans habitants ; privée de ce qui pouvait encore lui donner un peu de vie, par l'abandon de tous ses officiers civils et même des chanoines de la Collégiale qui se retirèrent en 1761, cette malheureuse cité tomba insensiblement dans ce grand état de misère et de délabrement où elle croupit encore aujourd'hui. Son état misérable était encore bien pis en 1705, car d'après le dénombrement fait à cette époque on n'y comptait plus que trente ménages y compris ce qui restait de ses faubourgs. C'était donc à peu près une population de 150 à 180 personnes environ de tout âge; tandis qu'aujourd'hui Deneuvre d'après le dernier recensement fait nombre de 1080 habitants. Quant à son importance religieuse nous la vîmes disparaître de nos jours. D'abord au commencement de ce siècle, en 1802, cette ville, autrefois centre d'un doyenné, se vit enlever la plupart de ses filles spirituelles; elle n'avait plus conservé de toutes ses annexes que la commune de Baccarat avec ses écarts ; et encore celle-ci s'en est-elle définitivement séparée en 1855 après l'érection d'une église et d'un presbytère dans son intérieur. Avant cette séparation qui fut le comble de la ruine temporelle et spirituelle de cette ancienne cité, Deneuvre avait deux vicariats qui avaient été érigés, le premier par ordonnance de Charles X, en date du 15 octobre 1829 ; et l'autre par décision ministérielle du 23 juin 1851.
Lorsqu'aujourd'hui l'histoire à la main, l'on parcourt les rues sales et silencieuses du vieux Danuèvre autrefois si peuplées et si bruyantes, c'est à peine si (a l'exception des remparts) l'on retrouve quelques vestiges de la ville des sires de Blâmont. On y voit à la vérité quelques grandes et belles maisons jadis occupées par les officiers civils de la seigneurie; mais toutes ces habitations généralement bien bâties et annonçant l'aisance chez leurs anciens propriétaires, ne remontent pour la plupart qu'à la seconde moitié du 17me siècle, c'est-à-dire, après la ruine de la cité, comme nous l'apprennent les dates incrustées sur la façade de quelques-unes. Et même le plus grand nombre ne furent construites que dans le courant du siècle dernier, sous le règne bienfaisant du bon duc
Léopold, lorsque ce prince réorganisa l'administration des villes de son duché tant ébranlé par les grandes guerres de son aïeul. Cependant on remarque encore une très-ancienne maison située à peu près vis-à-vis la Collégiale et formant un des angles où se trouvait la fameuse halle des citadins. Sa construction qui annonce la plus grande ancienneté, n'a aucune ressemblance avec celles dont nous venons de parler. Si nous avions sous les yeux le nobiliaire de Lorraine, avec les armes de chaque famille, il nous serait facile de dire à nos lecteurs quel seigneur la fit bâtir et l'habita ; car un écusson à demi-brisé se pavane maintenant encore au dessus de la porte d'entrée. Tout ce que nous avons pu apprendre c'est qu'au moment de la Révolution elle était occupée par la famille De Ravignat. Ce monument délabré et en grande partie défiguré a sans aucun doute été témoin de la plupart des faits que nous avons rapportés; mais depuis longtemps déjà les salles d'armes des gentilshommes et les salons des nobles dames de l'ancien Danuèvre, sont transformés en ateliers d'artisans, ou servent d'abri aux animaux domestiques : On ne voit plus aujourd'hui que l'ombre du tableau, et quelle ombre, grand Dieu !
Deneuvre comme toutes les anciennes cités possède ses légendes mystérieuses, aussi y parle-t-on de certains souterrains qui y existeraient; tout le monde le dit, tout le monde y croit, et cependant personne n'en a jamais vu ; tant on est porté au merveilleux lorsqu'il s'agit de ruines qui comptent déjà quelques siècles ! on ne réfléchit pas que toutes les cavités trouvées jusqu'à ce jour, et dans quelques-unes desquelles était du blé caché, (32) mais noirci et détérioré ; on ne réfléchit pas, dis-je, que ce sont tout bonnement les caves des anciens habitants. Car il faut bien nous persuader que la ville actuelle n'est pas le Danubrium des comtes de Blâmont et encore moins le Deneuvre des ducs de Lorraine. Après sa destruction par le fer et la flamme, Deneuvre n'a plus été rebâti comme il était avant cette catastrophe. C'est pourquoi l'on rencontre de ces caves ou de ces souterrains dans plusieurs endroits aujourd'hui cultivés et sur lesquels s'élevaient autrefois de nombreuses habitations. Mais comment persuader ceux qui sont imbus de tous ces racontages qui servirent à bercer leur enfance ? on n'abandonne pas facilement la croyance aux contes mystérieux, que l'on a pour ainsi dire sucés avec le lait de sa nourrice. On raconte aussi à qui veut l'entendre que Deneuvre fut pris et détruit par stratagème. Un convoi de tonneaux, dit-on, s'introduisit clandestinement dans la ville; mais au lieu de vin ou de sel, ces tonneaux renfermaient des guerriers qui, sortant tout-à-coup de leurs cachettes firent main basse sur la garnison et s'emparèrent de la citadelle. Il est bien fâcheux que l'on ne cite pas le nom de ces guerriers, ni l'époque à laquelle arriva cette étonnante aventure ; car ce beau conte avec ses accessoires ne ressemblerait pas mal à ceux que les anciens nous ont transmis sur ces fameux temps héroïques où l'on prenait sans façon les villes assiégées avec des chevaux de bois. Nous connaissons du moins ceux des braves qui entrèrent dans les flancs du grand cheval qui servit à la chute de Troie ; Rabelais nous en a conservé la liste et ceux de mes lecteurs qui aiment à rire en s'instruisant n'ont qu'à lire le chapitre XL du livre IV de ce grand philosophe. Ils y trouveront la longue énumération de tous ces preux. Il est bien probable que le premier qui débita une semblable histoire sur la ville de Deneuvre avait laissé sa raison au fond d'un tonneau. Mais cessons ces plaisanteries; et pourquoi chercherions-nous à désabuser nos concitoyens ? les contes mystérieux, les histoires impossibles ne font-ils pas le charme des innocentes veillées, surtout lorsque le narrateur sait joindre à son récit l'intonation, le geste, en un mot, toute l'expression nécessaire pour ébranler un auditoire attentif et avide d'émotions ? tout habitant de Deneuvre se berce aussi de l'espoir de découvrir un jour quelque trésor caché ; car tous sont persuadés que leur territoire renferme enfouis les trésors des anciens citadins. Nous ne pouvons cependant nous dissimuler qu'il n'en existe quelques-uns enterrés lors des grandes guerres de Charles IV ; mais les découvertes de ce genre faites jusqu'à ce jour n'ont pas eu une bien grande importance pour les numismates. Ainsi au mois de mars 1842, en travaillant dans un champ situé au lieu dit, derrière l'église, on découvrit un pot en terre rouge et de forme ronde renfermant un grand nombre de pièces d'or et d'argent, mais du XVme et XVlme siècle seulement. Il y en avait de différentes contrées, de la Lorraine, de la France, de la Suisse, de l'Espagne et de l'Autriche; car tous ces peuples bataillèrent dans notre province. Cette trouvaille était les économies d'un citadin, cachées par ce malheureux qui périt victime ou de la guerre, ou de la peste, et ou bien même de la famine, pendant le blocus de Deneuvre. On y trouve aussi de temps en temps quelques pièces de monnaie romaine; les unes en bronze, les autres en argent. C'est la preuve la plus irréfragable de la présence de ces conquérants sur l'emplacement occupé depuis par cette ville.
Une des plus anciennes que j'ai vues et possédées était à l'effigie de l'empereur Gordien le jeune, troisième du nom, assassiné l'an 244 de notre ère, après quatre années d'un règne heureux. C'est vers cette époque que nous faisons remonter la construction de la Tour du Bacha, et par conséquent l'antiquité même de l'ancien Danubrium.

PRÉVOTÉ,
ORGANISATION, REVENUS, POLICE, COUTUMES.

D'après l'état du domaine chaque conduit (ménage) de Deneuvre devait à Monseigneur le duc de Lorraine une taille de trois gros (cinq sous environ) et deux poules ; chaque charrue deux resaux d'avoine. Ce prince y avait également le droit de tabellionage; celui d'office de greffier; de taverne fixé à dix francs; celui du battant à draps ; la moitié du sceau qu'on appliquait sur les draps (l'autre appartenait aux compagnons du métier) ; enfin Monseigneur possédait aussi l'impôt sur les tanneries fixé à dix francs chacune ; et celui sur le passage des bois flottants ; le droit sur les fours banaux, etc., etc. Il faisait exercer la justice dans toute la seigneurie par un Prévot, aidé d'un Lieutenant et d'un Greffier avec un substitut du Procureur général. Ce prévot connaissait en première instance de toutes les causes civiles et criminelles; excepté cependant en ce qui regardait les personnes privilégiées. On pouvait appeler de ses arrêts au grand baillage de Lunéville et de là à la cour souveraine de Nancy. Cet officier qui avait six villages sous sa juridiction jouissait de plusieurs droits, entr'autres celui d'investiture ou révestiture sur la cure de Brouville. On appelait ainsi ce qui était dû au seigneur ou au curé par les héritiers de quelqu'un qui décédait dans une commune. Ainsi lorsque le pasteur de Brouville venait à mourir, son successeur, considéré comme son héritier, devait au prévot de Deneuvre deux deniers de cens. Mais en 1522 le chapitre de Saint-Dié vexé de cette servitude en demanda l'annulation, prétextant que depuis cette époque la paroisse de Brouville avait été réunie au dit Chapitre. Les forêts de la prévôté étaient régies par une Gruerie instituée en 1605 par le duc Réné II. Ce tribunal se composait de tous les officiers commis à la sûreté et à l'administration des bois domaniaux situés dans la seigneurie, et les délits s'y jugeaient selon la pratique établie dans ces institutions. Nous avons déjà vu que ces forêts étaient gardées par quatre personnes; elles étaient choisies par le Grand-Gruyer le jour des plaids-annaux. (Comme cette cérémonie était à peu près la même dans le duché de Lorraine que dans l'évêché de Metz, nous en parlerons à l'article Baccarat). Les fonctions de ces agents étaient annuelles ainsi que celles des Banwards ou Gardes champêtres; et pendant le temps de leur gestion ils étaient exempts de toutes rentes dues à Monseigneur le Duc. Enfin nous connaissons depuis longtemps déjà le genre de rémunération que ces forestiers recevaient lorsqu'ils fournissaient du bois aux gardiens du château de Deneuvre et nous avons même remarqué que ces fonctionnaires se contentaient alors de bien peu.

De la communauté de Biens et Donations entre deux conjoints.
[Coutumes du comté de Blâmont.)
Acquetz faits entre deux conjoints pendant leur mariage seront communs à l'homme et à la femme, soit celle-cy dénommée dans les contraux ou non.
L'homme ne pourra doresnavant vendre, engager, ni autre ment aliéner valablement le bien naissant en propre de sa femme, sans son exprès et libre consentement ; et s'il le fait pour le bien de leur communauté ou aultres raisonnables raisons, il ne pourra par ce moien se les approprier ni aux siens en fraulde de sa dite femme ou de ses enfants.
L'homme et la femme conjoints en mariage peuvent, par donation simple ou mutuelle, s' entredonner leurs meubles et l'usufruict de leurs acquetz, à la charge d'entreténement, qu'ils aient enfans ou non de leur mariage ou aultre précédent.
L'homme ayant enfans ou non, ha, pendant la communaulté d'entre luy et sa femme, l'administration et libre disposition des meubles et acquetz.
Le survivant de deux conjointz succède aux meubles de la communaulté; aussi est-il chargé des debtes passives personnelles, les hypothécaires demeurantes à la charge de celuy à cui les biens hypothéquez par exprès appartiennent, s'il n'y a choses traictées au contraire dans les pactes et conventions de mariage.

Du Douaire aux Femmes.
La femme survivante son mary, ha pour douaire à son choix, ou la moitié du mary dans les acquetz de la communaulté, ou de son ancien bien aussi longtemps qu'elle continue en viduité; pas sante en secondes nopecs, en abandonne la moitié, à moins qu'il n'y ait sur ce ou aultrement pour le dit douaire, convention contraire ou différente au traicté de leur mariage.

Successions et Tutèles.
Une personne mourant sans hoirs procréez de son corps, sans frères ou soeurs germains ou non germains ou représentants d'yceulx, mais laisse seulement des oncles et des tantes ou des cousins de ces deux lignées, ses biens meubles et acquetz appartiennent aux dits cousins par moitié, en chacune de ces lignées paternelle et maternelle, et les anciens biens à ceux de la lignée de laquelle ils sont advenus au défunt, privativement des oncles et des tantes.
Les enfants de divers mariages succèdent à leurs pères et mères par tètes autant l'un que l'autre également, et non par litez, et s'en font les partages à frais communs, puis sont jetez à loths (arrangés par lots) sans préférence de choix aux uns plus qu'aux aultres.
Les pères et mères peuvent par testament ou aultrement advantager un ou plusieurs de leurs enfants sur leurs meubles ou acquetz ou aultrement. ,
Les pères ont la tutèle de leurs enfants et les fruicts des biens de ceux-ci sont leurs, sans obligation d'en rendre compte, à la charge, au reste, de la nourriture et de l'entretènement. De même appartient aux mères la tutèle de leurs enfants, et les fruietz de ceux-cy sont leurs, aussi longtemps qu'elles demeurent en viduité- passant oultre en aultres nopces, perdent cette prérogative.
A défault de pères et mères, ou lorsque leurs dites mères passent en secondes nopces, les parents assemblez et ouys, sont les ayeulx ou ayeules, oncles, cousins ou aultres parents trouvés à ce capables, instituez en cette charge; et y sont les ayeulx et ayeules préférables, s'il n'y a cause de caducité ou aultre raison les en empêchant ou y excusant.

Police.
Aucun bourgeois ne doit être emprisonné pour faits de simples délits, desquels la peine ne peut être que pécuniaire; à moins qu'il n'ait le moien de fournir caution bourgeoise suffisante pour assurance de la peine et des dépens; ou bien que l'acte se trouve accompagné et revêtu de circonstances importantes, scandale, ou mauvais exemple au publique; auquel cas, et malgré que la peine n'en doibve être que pécuniaire, ne délaissera d'être jeté en prison et ferme, en haine du dit scandale, le Procureur de la prévoté ce réquérant.
En cas de crime ou aultres choses disposéz à emprisonnement ne devra toutefois y être procédé que ce ne soit à la requête de partie formelle, conjointement avec le Procureur fiscal, ou du dit Procureur fiscal seul, après information préalable, à moins que le prévenu ne soit suspect de fuite ou pris en flagrant délit. Et en cas des dits emprisonnements il ne sera loisible au juge d'en ordonner l'élargissement que le dit Procureur n'ait été sur ce ouy sur son consentement ou non.
Un arrêt du conseil d'état de Stanislas du 22 mars 1743; ordonna l'enregistrement dans les greffes de la cour souveraine de Nancy et dans ceux du baillage de Lunéville et de la prévoté de Blâmont, des coutumes de ce comté que suivaient nos ancêtres de Deneuvre. On y enrégistra aussi les lettres patentes du duc Charles III, du 19 mars 1596, confirmatives des- dites coutumes pour ycelles être suivies et observées dans le comté de Blâmont en leurs dispositions auxquelles il n'aura été dérogé par les ordonnances postérieures, et y avoir recours au cas échéant.
[...]

(1) Ce sont ces malheurs qui donnèrent cours à la fable des Ogres, dont le nom n'est que la corruption de Hongrois.
(2) Fondées 1550, par Etienne Evêque de Metz,
(3) en 1135, par Folmar II, comte de Lunéville ;
(4) en 1219, par Jean d'Apremont, évêque de Verdun.
(5) Cours d'antiquité monumentales ; ère Gallo-romaine ; seconde partie. Paris, 1831.
(6) Pont des Fées.
(7) Preuves de l'histoire de Lorraine, par D. C.
(8) De semblables reprises furent faites par Olry de Blâmont en 1471; Ferry en 1487 ; et Louis, l'avant-dernier seigneur de cette maison en 1498 .
(9) Sur 714 communes que l'on compte dans le département, 501 étaient lorraines; 14 mi-partie de Lorraine, mi-partie des évêchés; 199 étaient françaises, savoir 186 des évêchés, 1 de Champagne, 12 d'Alsace. (Vionnois, mémoires sur les routes du département de la Meurthe).
(10) De simples Bannerets ou Chevaliers, jouissaient aussi de certaines voueries. Dans les preuves de l'histoire de Lorraine données par Dom Calmet, on lit le titre du rachat suivant fait sur un habitant de Deneuvre par l'évêque de Metz, Jaques de Lorraine, celui que nous avons déjà vu acquérir la suzeraineté de la terre de Blâmont : «  Je Xerris, chivalier, dit Vosgiens, de Danuèvre, fait connaissant à tous ke je ai venduy per tous los et per tout vaut (volonté) de signor Huart et Simonin, mes dous enfants, ma vouerie de Condey et de Faux et de tous les leus qui y appentent et kan ke j'avais en la dite vouerie en tous us et en toutes manières, à Monsignor Jakon, per la grâce de Deu, évesques de Mez, de cui je tenoye la devant dite Vouerie, por trois cens trente trois livres et VI sols et oct (huit) deniers de Métens (Messins) desquels je suis payez en monnaye loyal et nombrée. C'en fut fait la vigile de Noël kan ly miliares corrait per mil dous cens et cinquante et trois. 1253. »
Le vendredi après l'Annonciation, l'an 1271, les enfants de ce bon chevalier confirmèrent la donation qu'il avait faite à l'abbaye de Senones, de prendre tous les ans six quartes de blé sur son moulin de Bertrichamp.
(11) En 1366, Thiebaut fut nommé lieutenant-général du duché de Lorraine par le duc Jean Ier.
(12) La tour s'élevait sur la partie saillante des remparts situés à l'est.
(13) Nous regrettons de n'avoir pu, malgré nos démarches, nous procurer aucun renseignement sur ce monument.
(14) Derrière l'épaule droite de cette sculpture se voit le millésime 1547; mais ces chiffres sont si mal faits qu'on semble lire 1147. Le saint est privé de la main droite et l'on aperçoit plus que la partie inférieure de la crosse épiscopale dans la main gauche.
(15) Le raccordement est très-distinct ; mais une remarque que l'on ne fait pas généralement c'est que les remparts du château qui datent des premiers évêques possesseurs de Deneuvre, sont bien mieux conservés que les travaux exécutés par le comte de Blâmont ; et cependant ils leur sont antérieurs de plusieurs siècles.
(16) Ces seigneurs avaient dans ce village une maison forte avec rempart et fossé.
(17) L'inhumation dans les églises fut défendue le 10 mars 1777.
(18) Je n'ai pas cru devoir rapporter ces différents actes qui se trouvent assez expliqués dans ce testament ; on peut les lire dans Dom Calmet.
(19) Ces villages avec Flin composaient la prévoté d'Axerailles appartenant à la Lorraine .
(20) C'était la communauté paroissiale; c'est-à-dire, tous les habitants des annexes de Deneuvre.
(21) Il y a erreur dans la rédaction, c'était le 29 mars 1503.
(22) On appelait généralement ainsi à cette époque tous les habitants du nord de l'Italie.
(23) Le florin d'or valait vingt et un sous d'argent (21 fr. environ). Cette monnaie tire son nom de la ville de Florence qui fit frapper les premiers.
(24) C'est la corruption de Meule du Loup, à cause de la proximité de cet établissement près de la foret.
(25) L'auteur de l'histoire des Bénédictins de Senones dit que ce fut dans les caveaux du château ; mais c'est une erreur, comme on va s'en convaincre.
(26) On lit dans une ordonnance de Charles III : «  Nul homme de guerre ne pourra y mener aucune femme particulière, si ce n'est sa femme légitime; toutes autres femmes qui seront à formée seront publiques, à raison de huit par compagnie. » Telle était la tolérance pour la vie militaire au 16me siècle : Venus a toujours été la compagne de Mars.
(27) M. Auguste Bigot dans ses recherches sur l'ancienne population de la Lorraine cite les noms de 84 villages entièrement disparus ou representés au jourd'hui par des censes ou fermes.
(28) Le prieure de Mervaville (Mirabilium Villa) avait été fondé en. 1224 par Catherine, épouse de Valéran 1er de Limbourg. II était de l'ordre de saint Benoit sous L'invocation de sainte Marie. Cette dame donna peur cette oeuvre tout ce qu'elle possédait dans les bans de Mervaville et de Rulles ou Reuilles et ordonna qu'il y aurait dans l'intérieur de la chapelle, une lampe perpétuellement allumée. C'était autour de ce prieuré où, dit la relation, s'opéraient d'étonnants miracles, que s'était groupé le village aujourd'hui anéanti . On ne voit plus également rétablissement religieux; et de nos jours le plus honteux charlatanisme a succédé à ces étonnants miracles.
(29) Les étymologistes font dériver ce nom d'Atrium, qui veut dire cimetière.
(30) La famille encore existante possède le portrait de ce malheureux officier. On le voit dans le château d'Apremont, près de Saint-Mihiel, appartenant à la famille La Croix, alliée aux Klopstein. (Lepage)
(31) C'est ce seigneur qui passa le traité d'alliance, au nom de Louis XIII, avec ces terribles Suédois après la mort prématurée de leur roi, Gustave le Grand.
(32) Pendant le blocus de 1635.

 

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