Dans Les
Sires et Comtes de Blâmont, Edmond de Martimprey écrit :
« C'était l'époque des guerres que le comte de Flandres et
ses alliés soutinrent contre la France (1297-1304) les détails
qui précèdent démontrent que le sire de Blâmont dut y prendre,
tout au moins pendant la première période, une part active »,
passage qui fait suite à
« Henry promit de servir le comte [de Bar] contre le roi de
France, de sa propre personne avec ses gens d'armes à cheval,
[...].Au printemps suivant, dit Dom Calmet, le comte de Bar
envahit la Champagne et, après quelques succès, fut fait
prisonnier, ce qui mit fin à son entreprise. La défaite de son
allié ne porta pas atteinte à la considération dont jouissait le
sire de Blâmont. [...]»
Puis il ajoute en note :
« Les archives de Lorraine ne renferment pas d'actes de lui
pour les années 1297, 1298 et 1299 ; au contraire, nous en
connaissons trois donnés en Lorraine en 1296 et quatre en 1300,
ce qui est même au-dessous de la moyenne ; on doit en conclure
qu'il fut occupé ailleurs pendant ce laps de temps. »
Mais les extraits de l'article suivant (dont nous
avons renuméroté les notes) apportent un tout autre
éclairage, puisqu'il semble que ce ne soit pas le Duc de Bar qui
fut fait prisonnier, mais bien Henry Ier de Blâmont, près de Vaubécourt en juin 1297.
Mémoires de la Société des
lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc
Tome 43 - 1918-1921
Le Comté de Bar
Par MARCEL GROSDIDIER DE MATONS
[...]
LE RÈGNE DE HENRI III (1291-1302).
[...]
Henri de Blâmont reçut, le 2 février 1295, l'autorisation de
tenir Etain et Bulligny après le décès de sa mère, la comtesse
de Chiny; toutefois Henri devait pour ces fiefs se reconnaître
immédiatement vassal du comte de Bar (1). Au mois de décembre,
le comte de Bar lui donna trois mille livres à condition qu'il
renoncerait aux deux cents livres de terre quel le comte
Thiébaut lui avait promis, il y ajoute cinq cents livres à la
condition que sa soeur, Isabelle, épouserait son fils (2). Le
sire de Blamont entre alors dans l'alliance contre le roi de
France et promet de servir Henri moyennant une somme de deux
mille livres tournois qui fut immédiatement versée, mais qui
devait être rendue au cas où la guerre n'aurait pas lieu. Jean
de Bourgogne fut pleige du comte de Bar dans cet accord (3).
[...] [1296]
Adolphe de Nassau toujours en pourparlers avec Philippe le Bel
avait bien eu quelques velléités de rompre; mais le 31 mars le
pape était intervenu et avait obtenu par l'intermédiaire des
archevêques de Mayence, Cologne et Trèves et de l'évêque de Metz
que la trêve fût prolongée jusqu'en juin (4). Bouchard de Metz
s'était d'ailleurs détaché du parti du comte de Bar, il avait
accepté pension du roi de France et s'était déclaré son vassal
promettant de tout mettre en oeuvre pour empêcher « le roi
d'Allemagne de faire dommage au royaume » (5). Enfin le roi
d'Angleterre lui-même ouvrit des négociations avec Philippe et
le 12 mai demandait au comte de Bar et au duc de Brabant d'être
ses ambassadeurs en France pour la conclusion d'une trêve (6).
La paix semblait donc assurée, mais elle n'était voulue par
personne. Les conquêtes de Philippe le Bel en Flandre où il
venait de prendre les cinq villes de Douai, Lille, Ypres, Bruges
et Gand, ses intrigues sur la frontière de l'Empire où il venait
de gagner l'appui du Dauphin de Vienne après celui du comte de
Bourgogne, du duc de Lorraine et du comte de Hainaut, eurent
pour effet de produire une nouvelle coalition de tous ses
ennemis (7). Ils se réunirent à Grammont le jour de Noël 1296.
Il y avait là, outre les ambassadeurs du roi d'Angleterre, le
roi des Romains, le comte de Bar, le duc de Brabant, le comte de
Juliers, le comte de Hollande, le comte de Gueldre (8) et
l'envoyé du comte de Flandre, Geoffroy de Ranzières, qui remit
au comte de Bar les deux cents livres dues pour le terme de Noël
sur la pension promise (9).
Le 8 février 1297, Adolphe réunit à Coblentz une assemblée des
nobles de Bourgogne ; les sires de Faucogney, Joinville,
Neufchàtel, Montfaucon et Montbéliard s'y rendirent. Après avoir
promis de reprendre désormais en fiefs directs de l'Empire les
terres qu'ils tenaient auparavant du comte de Bourgogne, ils
jugèrent les gentilshommes bourguignons passés au roi de France
(10). Adolphe donna au comte de Bar les fiefs que Guyot de
Jonvelle (11) tenait du comte de Bourgogne (12) et ceux
confisqués sur Jean de Bourgogne jusqu'à Conflans (13) dans la
châtellenie de Vesoul (14). Le comte de Bar ne s'enrichissait
guère, car, à cette donation Philippe le Bel, qui avait déjà en
avril 1295 saisi l'hôtel de Bar à Paris, situé derrière l'église
Saint-Hilaire pour le donner au comte de Blois (15), répondit en
confisquant la terre de Toucy et tout ce que le comte possédait
dans la prévôté de Paris, pour le donner à Charles de Valois
(16).
Cependant le comte de Bar agissait; il avait reçu le 6 février
des subsides d'Edouard apportés par Gautier, évêque de Coventry
et par Jean de Berwick (17). Le 6 mai, il donna à Guillaume de
Remoiville (18) la terre de Maxey-sur-Vaise à la condition
expresse que Guillaume combattrait le roi de France (19) puis il
se disposa à entrer en campagne. Il dut réclamer les secours
impériaux, car le 4 juin nous voyons Edouard insister tout
particulièrement auprès d'Adolphe pour que celui-ci apporte son
aide au comte contre leur ennemi commun (20). Adolphe toujours
inerte se contenta de faire verser par le comte de Flandre six
cents livres au sire de Blamont, lieutenant du comte de Bar
(21).
Sans attendre d'autre appui, Henri « avec plus d intrépidité que
de bonheur » (22) attaqua le roi de France. Il commença par
tomber sur l'abbaye de Beaulieu, brûla l'abbaye, le trésor, les
archives, incendia aussi le village de huit ou neuf cents feux
et emporta à Bar pour la collégiale Saint-Maxe la Vierge
d'argent et les reliques de Saint-Rouin. Cette attaque eut
peut-être lieu dès Pâques, bien avant par conséquent la demande
de secours faite au roi des Romains (23). Le sire de Blamont se
jeta sur la Champagne, ravagea quelques villages et emporta
d'assaut soit Andelot (24), soit piutôt Wassy (25).
Philippe le Bel occupé en Flandre ne pouvait accourir. Il
chargea le sénéchal de Champagne Gaucher de Crécy, seigneur de
Châtillon, de repousser le comte de Bar. Gaucher pénétra dans le
Barrois, brûla Rosne, Belrain, Naives, Erize, Salmagne,
Lavincourt et Culey (26), et vainquit les troupes du comte de
Bar aux environs de Vaubécourt (27).
C'est là la fameuse défaite connue sous le nom de bataille de
Louppy-Ie-Château. Elle a donné naissance à une de ces légendes
à peu près indéracinables que les historiens lorrains se sont
repassée les uns aux autres, celle de la prise du comte de Bar
et de sa dure captivité à Bruges. Sur cette captivité, les
chroniqueurs contemporains, d'ailleurs extrêmement courts sont
absolument muets. La légende ne semble pas antérieure à
Wassebourg dont l'ouvrage parut en 1549 (28); reprise par
François de Rozières, elle fut par lui dramatisée (on y voit le
malheureux comte de Bar accablant de reproches Philippe le Bel
(29)), colportée par Dom Calmet (30), par Chevrier, qui le
premier nomme Louppy-le-Château comme lieu de la bataille (31),
elle fut admise sans discussion (32) jusqu'au jour où M. Lemaire
en fit justice. Les arguments de M. Lemaire sont excellents l'un
et l'autre : silence des contemporains d'un côté, conclusion
d'une trêve entre le comte de Bar et le roi dès 1299, de l'autre
(33).
Il reste le traité de Bruges où le comte de Bar apparaît en
vaincu. M. Lemaire s'efforce d'expliquer les conditions où Henri
fut obligé de traiter sans être, pour cela, prisonnier. Nous
reverrons ses arguments en leur temps. Pourtant la thèse de M.
Lemaire fut loin d'être acceptée. Clouet admet l'emprisonnement
jusqu'au traité de Bruges (34). M. E. Mathieu, dans une thèse de
droit, s'est efforcé de combattre l'opinion de M. Lemaire. Ses
raisons n'ont guère de valeur : « Pour répondre à ces
objections, dit-il, il suffit de remarquer que l'opinion de Dom
Calmet n'est nullement négligeable... Nous croyons que l'abbé de
Senones a remonté aux sources... Croit-on que Philippe le Bel
ait bénévolement mis en liberté le comte de Bar, alors qu'il le
tenait entre ses mains ?... enfin ce dernier mis en liberté
serait-il revenu volontairement à Bruges? » (35). Toutes ces
questions ne constituent pas un fait. Cependant Jean de Pange
(36) et le chanoine Aimond, si averti pourtant, ont repris à
leur tour la légende (37).
En réalité, non seulement le comte de Bar ne fut pas pris, mais
il n'assistait probablement pas à la défaite de ses troupes que
commandait seul le sire de Blamont, ce que M. Leroux a très bien
vu (38). Le sire de Blamont fut fait prisonnier et relâché
quelque temps après contre une rançon de deux mille livres, que
fournit Jean d'Avesnes, comte de Hainaut et que le comte de Bar
s'obligeait à rembourser (39).
Il nous reste à déterminer l'époque exacte de cette guerre. Nous
la plaçons au mois de juin 1297, ce qui est conforme à la lettre
du roi d'Angleterre à l'Empereur datée du 4 « Sur ce que notre
fils le comte de Bar a commencé la guerre avec le roi de France
et plus avant a fait que nul emmi celles parties, por quoi il
est plus chargié de nos ennemis que nul autre ».
(1) B. N., fr. 11853, fo 113, vo.
(2) Inventaire de Lorr., t. 7, Mandres.
(3) Dom Calmet, t. II, pr. p. 544-45.
(4) Annales ecclesiastici, XXIII, n° 20
(5) A. N. J. 580, n" 2.
(6) Rymer, Foedera, 3e éd., I, ij, 158.
(7) Ch.-V. Langlois, dans Hist. Fr. Lavisse, III, 2e p., p. 313.
(8) A. Leroux, Recherches critiques, I, p. 84.
(9) Fr. Funck-Brentano, Philippe le Bel en Flandre, p. 196, note
2-
(10) Ferry de Pange, Introduction au catalogue des Actes de
Ferry III, p. 52.
(11) Haute-Saône, Vesoul, Jussey.
(12) B. N. Lorr.184, n° 8. Edit. Kern, Acta Imperii, Angliae,
etc., n"116.
(13) Conflans-en-Bassigny, Haute-Saône, Lure, Saint-Loup.
(14) B. N. Lorr. 348, fo 20.
(15) A. N. K. 36, n° 35. Tardif, Cartons des Rois, n° 976.
(16) A. Duchesne, Hist. de la Maison de Bar, pr., p. 39.
(17) Rymer, Foedera, Il, 750.
(18) Meuse, arrondissement et canton de Montmédy.
(19) Inv. Lorraine, t. 6, f° 165.
(20) Rymer, Foedera, H, 771 et Dom Calmet, 11, pr., p, 546
(21) Jean de Pange, Introduction au catalogue des Actes de Ferry
III, p. 52.
(22) Ch. Aimond, Les relations de la France et du Verdunois, p.
73.
(23) Dom Baillet, Hist. de Beaulieu, dans Roussel, Hist. de
Verdun, II, p. 209.
(24) Le fait est douteux. Cf. Carmendot, Géographie de la
Haute-Marne, Andelot.
(25) Aux termes du traité de Bruges le comte de Bar est tenu de
réparer la forteresse de Wassy.
(26) Lepaige, Antiquité de Bar.
(27) G. de Nangis, I, p. 298. Geoffroy de Collon, dans Dom
Bouquet, XXII, p. 10. La Branche des royaux Lignages, dans Dom
Bouquet, XXII, p. 226
(28) Wassebourg, Antiquités de la Gaulle Belgicque, f° 388.
(29) François de Rozières, Stemmatum Lotharingia ac Barri ducum,
fos 420-421.
(30) Dom Calmet, I. 24, ch. 55.
(31) Chevrier, Hist. de Lorraine, t. II, p. 43.
(32) Notamment par Le Long, Hist. du diocèse de Laon, p. 310; H.
Martin, Hist. de France, t. IV, p. 420.
(33) A. Lemaire, Recherches historiques sur l'abbaye de
Beaulieu, p. 46 et sq p. 222 et sq.
(34) Clouet, Hist. de Verdun, III, ch.1er.
(35) E. Mathieu, Institutions judiciaires et politiques du
Barrois non mouvant, p. 5 et 6.
(36) J. de Pange, Introduction au Catalogue des actes de Ferry
III, p. 52.
(37) Avec quelques hésitations cependant, car si dans la
première partie de son ouvrage, p. 75 et note 3, le chanoine
Aimond admet l'emprisonnement ; dans l'errata mieux informé par
l'ouvrage plus récent de M. Kern il revient sur son opinion et
déclare que le comte de Bar n'a jamais été fait prisonnier. Dans
le Bulletin de la S. L. et A. de Bar-le-Duc, 1913, p. 288 et
sq., M. Ch. Forêt refait le récit de l'emprisonnement et signale
une curieuse gravure de 1788 représentant « Jeanne de Navarre
faisant prisonnier le comte de Bar Henri III ». On voit que
cette légende a la vie dure.
(38) A. Leroux, Recherches critiques, I, p. 71.
(39) A. Nord, B. 1585, n°80.
|