En 1944, peu de prisonniers de guerre
allemands dépendent de l'autorité française. Par un accord avec les autorités
militaires alliées du 23 décembre 1944, le gouvernement français obtient, en vue
de la reconstruction, le transfert sous son autorité de prisonniers de guerre
dépendant des américains et des britanniques. De février à septembre 1945, 662
000 prisonniers passent ainsi sous autorité française, puis 101 000
supplémentaires de févier à mai 1946.
Mais dès 1946, des divergences importantes s'élèvent entre les alliés,
concernant les prisonniers de guerre : là où la France ne voit que des
travailleurs indispensables à la reconstruction, les américains estiment qu'il
s'agit de « travail forcé ». On parvient enfin à l'accord-franco américain du 11
mars 1947, qui prévoit soit le rapatriement en Allemagne des prisonniers de
guerre, soit leur embauche en France en tant que travailleurs libres. Mais ce
processus est lent, avec la tenue de commissions de criblage chargées d'examiner
les demandes... et surtout la crainte de perdre une main d'oeuvre peu couteuse
(l'emploi du prisonnier étant plus avantageux que celui d'un travailleur libre).
Conjointement à un effort de propagande auprès des prisonniers pour qu'ils
optent pour le statut de travailleurs libres, on constate un ralentissement des
rapatriements jusqu'en 1948, notamment dans le domaine agricole (prioritaire
jusqu'en novembre 1947) en vue des travaux du printemps 1948, et les houillères
et usines sidérurgies de Moselle.
Ainsi des 870 000 prisonniers d'octobre 1945, il en reste encore 611 000 en mars
1947, 466 000 en septembre et 301 000 au 1er janvier 1948. En avril 1948, le
chiffre n'est plus que de 176 000, en juillet, 105 000, en octobre, 57 000, de
sorte qu'au 1er décembre ne subsistent que 1 900 prisonniers de guerre allemands
dans les camps français, qui seront libérés pour la fin de l'année.
Si les trois dépôts de prisonniers de guerre en Moselle (Metz, Saint-Avold et
Sarrebourg, dépendant du commandant militaire de Metz) sont destinés aux hommes
de troupes, en Meurthe-et-Moselle, on ne trouve que deux dépôts, Lunéville et
Baccarat, destinés aux officiers. On voit dans le rapport (ci-dessous) de Jean
Crouzier au Conseil général de Meurthe-et-Moselle, que les prisonniers allemands
sont utilisés dès 1945 par le département pour le déminage et la remise en état
des terres.
Baccarat avait déjà connu les camps de prisonniers, français, en 1940, dans les
casernes et la cristallerie. Fin juin 1940, ce sont 40 000 prisonniers français
qui occupent ce Dulag (Durchgangslager : camp de transit).
En 1945, s'établit à Baccarat, dans les locaux des vastes casernes, le dépôt de
prisonniers de guerre n° 205, dépendant de la 20ème région militaire,
avec un effectif au 1er novembre 1945 de 2 300 officiers allemands.
Ce sont ces officiers allemands prisonniers qui construisent au nord de
Mignéville, en 1946, une piscine de 25 x 10 m, alimentée par la Blette, sur la
parcelle n° 39 entre le Béhet et le Champ du Taureau. Accessible encore
aujourd'hui par la « rue de la piscine » (même si elle a été récemment comblée),
elle est aisément visible par sa forme rectangulaire sur les divers
photographies aériennes ci-dessous.
Rapports et délibérations -
Conseil général du Département de la Meurthe et Moselle
Séance du Samedi 3 Novembre 1945
à 15 heures
La séance est ouverte à 15
heures, sous la présidence de M. Mazerand, vice-président. M. le Dr Schmidt
remplit les fonctions de secrétaire.
Le procès-verbal de la séance du vendredi 2 novembre est adopté.
M. le PRÉSIDENT. - Messieurs, selon votre décision les Commissions de
Reconstruction et d'Urbanisme, de Ravitaillement, des Transports et de
l'Equipement se sont réunies hier et ce matin. Je donne la parole à M. Crouzier,
président de la Commission de Reconstruction et d'Urbanisme.
RAPPORT DE M. CROUZIER
Commission de la Reconstruction et de l'Urbanisme
COMPOSITION DE LA COMMISSION
Président: M. Jean CROUZIER.
Vice-Président: M. le Dr SCHMIDT.
Secrétaire: M. le Dr WÉBER.
Membres: MM. LAPIE, Dr LAFONT, AUDIER, KALIS, FOURNIER, GOUVY, MARCHAL, PERRIN,
BOCHENT.
ORDRE DU JOUR
La Commission de la Reconstruction et de l'Urbanisme, sous la Présidence de M.
Jean Crouzier, assisté de M. le Dr Schmidt, vice-président, et de M. le Dr
Wéber, secrétaire, et aux travaux de laquelle ont assisté tous les membres du
Conseil général, a entendu l'exposé très documenté du Délégué départemental à la
Reconstruction, et a pris acte de ses déclarations qui se résument comme suit :
1° GÉNÉRALITÉS
Suivant les statistiques établies pour le département :
4.312 immeubles ont été complètement détruits;
24.392 immeubles ont été particulièrement détruits, dont 3.600 établissements
industriels, artisanaux ou commerciaux.
2° ACTIVITÉ DES SERVICES DE LA RECONSTRUCTION JUSQU'À CE JOUR
Cette activité s'est exercée dans les domaines suivants:
a) Travaux de déblaiement:
Sur 600.000 m 3 de maçonnerie, 450.000 ont été déblayés.
Ces travaux seront définitivement terminés au printemps 1946; ils sont exécutés
sous contrôle des Ponts et Chaussées.
b) Travaux de remise en état des terres (trous de bombes, tranchées, etc..) :
Sur 789.000 m3 à combler, 317.000 l'ont été; ce travail est effectué par le
Génie rural avec l'appoint d'un important contingent de prisonniers de guerre.
c) Travaux de déminage.
Ils ont été entrepris dès le 1er octobre 1944 par les soins du Génie rural, et
poursuivis de telle façon qu'actuellement toutes les terres cultivables, sont
pratiquement déminées.
L'effort de déminage se poursuit actuellement dans les forêts ou dans les zones
où il y a lieu de vérifier des travaux antérieurement exécutés.
1.300 prisonniers de guerre sont employés à ce travail.
90.000 mines ont été enlevées; elles correspondent à une surface de 13.165
hectares déminés, sur un total de 20.000 hectares reconnus comme minés.
d) Constructions provisoires:
Pour le relogement provisoire des sinistrés, environ 1.100 constructions
provisoires sont nécessaires, sur lesquelles, à ce jour, 300 sont terminées et
200 sur le point de l'être.
Pour les bâtiments agricoles : 80 hangars sont montés et 220 écuries sont
terminées ou sur le point de l'être.
e) Plans d'urbanisme:
Jusqu'à, ce jour, 24 plans d'urbanisme ont été établis par le Service technique,
dont 5 ont été déclarés d'utilité publique.
Les plans des autres communes sinistrées sont, soit en cours d'étude, soit
en-instance d'approbation.
f) Travaux d'office:
Il s'agit de travaux destinés à éviter l'aggravation des dégâts, et entrepris
d'office par l'Administration pour le compte des sinistrés défaillants.
A ce titre, 350 immeubles ont été réparés.
Par ailleurs, un certain nombre d'immeubles ont été aménagés pour le logement
des sinistrés.
g) Allocations mobilières:
8.500 dossiers ont été enregistrés, tant pour les dégâts causés en 1940, que
pour ceux de 1944, ce qui représente un paiement total de 40 millions de francs.
Une des ordonnances du 8 septembre 1945 a prévu le réajustement de l'allocation
mobilière, ce qui nécessitera un nouvel, examen de tous les dossiers
antérieurement, réglés.
h) Pillages par les armées ou organisations ennemies:
Depuis l'ordonnancé du 8 septembre 1945, ces dossiers sont également transmis au
Service de la Reconstruction, qui indemnisera d'après les instructions qu'il
doit recevoir prochainement.
La réparation des dégâts et pillages dus. aux Armées françaises et alliées,
reste de la compétence de l'Administration militaire (Intendance et Aide aux
Forces alliées).
3° PROGRAMME D'ACTION POUR 1946
Ce programme comporte:
a) L'achèvement des constructions provisoires strictement indispensables
(liquidation du programme 1945) ;
b) L'intensification des travaux de réparations définitives des immeubles
partiellement détruits;
c) Le démarrage de la reconstruction proprement dite, par le moyen de « maisons
de transition ».
Pour ces immeubles, le gros oeuvre sera réalisé dans sa consistance définitive,
et d'autres parties, telles que la couverture et certains aménagements
intérieurs, seront, faute de matériaux, exécutés plus sommairement et feront
l'objet d'un remplacement ultérieur par des matériaux définitifs ;
d) L'installation de cantonnements pour les ouvriers affectés aux travaux
ci-dessus.
4° FINANCEMENT DES RÉPARATIONS
Depuis les dernières ordonnances des- 10 avril 1945 et 8 septembre 1945, les
sinistrés peuvent toucher plus rapidement des avances sur leurs dommages, dès
qu'ils entreprennent des travaux de reconstruction.
Il appartient aux sinistrés de déposer un devis sommaire de leurs dégâts et des
travaux qu'ils veulent entreprendre.
Sur le vu et après examen sommaire de ces pièces, les Services de la
Reconstruction prennent une décision provisoire de subvention, qui permet aux
sinistrés de toucher dès le commencement des travaux, une avance, et ensuite au
fur et à mesure du développement de ces travaux des acomptes dont le plafond est
de 60 % du montant du devis des dommages après vérification.
RESOLUTIONS
La Commission de Reconstruction et d'Urbanisme tient à souligner les difficultés
de transports et de main-d'oeuvre que rencontre le Service de la Reconstruction,
ainsi que la pénurie des matériaux qui reste grande encore malgré quelques
améliorations.
Compte tenu de cette situation, elfe se félicite des décisions et
simplifications résultant des récentes ordonnances ministérielles, et espère que
leur application amènera pour les sinistrés du département une amélioration
sensible de leur sort.
Elle demande au Service de la Reconstruction de poursuivre inlassablement les
efforts déjà entrepris, notamment la mise hors d'eau immédiate des immeubles, et
lui fait confiance pour amener à bien le programme de réalisation présenté.
Elle propose, d'accord avec le Service de Reconstruction, que les Maires des
communes sinistrées et les Conseillers généraux des cantons intéressés soient
réunis périodiquement pour information.
Elle suggère la constitution dans chaque commune sinistrée, de groupements de
défense qui, s'unissant en associations cantonales, se fédéreront à l'échelon
départemental. Ces groupements communaux et départementaux constitueront les
germes des futures Coopératives de Reconstruction, dont la Commission réclame la
création, et dont l'utilité après la guerre 1914-1918 ne saurait être contestée.
Elle confirme la volonté exprimée dans un voeu pour l'indemnisation intégrale
des dommages de guerre de toute nature, et exige du Parlement la promulgation
rapide de la loi organique définitive sur la réparation de ces dommages.
Elle demande instamment:
1° Que les personnes qui ont subi des pillages par les Allemands (biens
mobiliers, bétail, véhicules, etc..;), soient autorisées à récupérer leurs biens
ou des biens similaires en Allemagne, soit par voie individuelle, soit par
l'intermédiaire d'une Commission de récupération à créer;
2° Que les allocations dues aux sinistrés soient versées régulièrement et
intégralement.
M. CROUZIER. - Je pense que le Conseil s'associera à ces; résolutions.
M. le PRÉSIDENT. - Vous avez entendu le rapport de M. Crouzier-, qui est très
clair et la résolution qui le clôture. Quelqu'un demande-t-il la parole pour
faire une observation ou poser une question ? Personne ne demandant la parole,
je mets aux voix l'adoption du rapport et de la résolution.
Adoptés. |