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Nicolas Remy, le Torquemada lorrain
(notes renumérotées)

Voir Sorcellerie dans le Blâmontois


Le Pays Lorrain
1930

NICOLAS REMY
LE TORQUEMADA LORRAIN

Les procès de sorcellerie, en Lorraine tout particulièrement, ont fait l'objet d'abondantes et consciencieuses études. Or, le romantisme dont on célèbre actuellement le centenaire est susceptible de donner aux questions démonologiques un attrait nouveau les écrivains du début du XIXe siècle, les allemands surtout, ne se sont-ils pas épris de satanisme ? ne se sont-ils pas intéressé au monde des spectres sur lequel régnait le Prince du Mal, à la chevauchée des esprits et n'ont-ils pas été quelque peu séduits par les perspectives étranges du Sabbat ? Goethe, H. Heine et Hoffmann, pour ne citer que les principaux et chez nous Michelet, Barbey d'Aurevilly, Gérard de Nerval et Hugo se sont montrés amateurs de ce fantastique funèbre, et l'impertinent Musset, dans sa première lettre de Dupuis et Cotonet, tourne en dérision ce goût morbide de la littérature du temps pour «  les spectres, les gnomes, les goules, les psylles, les vampires, les squelettes, les ogres, les rats, les aspioles, les vipères, les sorcières, le sabbat, Satan, Puck, les mandragores ».
La Lorraine fut, nous le savons, au XVIe siècle, l'âge d'or des Démons, comme l'Alsace, en proie à une épidémie spéciale causée par l'homme lui-même, des milliers de bûchers s'allumèrent et quantité d'imaginatifs, d'hystériques, d'aliénés ou même d'individus normaux furent sacrifiés à la crédulité de leurs contemporains. D'où venait ce lamentable état de choses ? sans doute de la croyance funeste à l'Esprit malin, exaltée surtout depuis la prédiction de Luther et justifiée par des théoriciens, prétendus grands esprits de l'époque, qui ont démontré que la sorcière déchaînait autour d'elle les plus grandes calamités la peste et tous les maux possibles. La France citerait parmi ces soi-disant bienfaiteurs du genre humain, les Débris, les Bodin, les Boguet et les de Lancre. Mais la Lorraine eut aussi son démonographe: le lecteur pense naturellement à Nicolas Remy, dont la triste réputation dépasse les bornes de notre province; connu de Voltaire, il est cité par Michelet dans sa Sorcière (1). Sa biographie a été écrite de la manière la plus complète par M. Pfister dans sa magistrale Histoire de Nancy et, en 1869, le premier président Leclerc avait, dans son discours de réception à l'Académie de Stanislas, essayé de réhabiliter le trop fameux procureur général du bon duc Charles III malgré tout, nous rappellerons sommairement les principaux faits de sa de, vie qu'il crut bien remplie.
II naquit à Charmes vers 1530 - cependant ces lignes ne sont pas écrites à l'occasion de son quatrième centenaire, notre dessein n'étant pas de l'illustrer, mais de caractériser un temps et dans son Discours des choses advenues en Lorraine, Remy nous brosse un tableau de son pays natal :
«  Charmes est vne ville eslevée svr vn petit tertre, le pied dv qvel la Moselle arrovse dv costé dv Septentrion. Elle a à dos vers le midy vne petite prairie abovtie d'vne havte colline plâtvrevse en vignoble, et à ses flancs, tant dv dessvs vers le levant qve dv dessovs vers le ponent. de belles campagnes, av travers .des qvelles ceste rivière rovle ses eavx avec vue telle incôstance et impetvosité qv'il n'y a moyen de la contenir en son lict et en empescher les saillies et desbordements.
«  ...Et en est av demevrant le séiovr si aggreable, povr la bonté et clémence de son air qve nvlle ville de tovt le pays lvy, qvrelle ce pardessvs ».
Remy est d'origine plutôt modeste, mais grâce à la protection du marquis d'Havré, il peut faire de bonnes études en France et obtenir le grade de licencié ès lois. Il n'entre pas immédiatement dans la magistrature, son parchemin conquis, il embrasse la carrière de l'enseignement, et durant une vingtaine d'années, il donna des leçons de droit et de belles lettres. Cependant, l'un de ses oncles, François Mittat, lieutenant général du bailliage des Vosges, devenu «  vieil et caducque », demanda au duc l'autorisation de se démettre de sa charge en sa faveur ; après une enquête favorable, le prince, par lettre, patente du 25 mars 1570 (2) conféra à Me Nicolas Remy le dit état, étant donné ses «  sens, science, preud'hommie, intégrité, expérience, littérature, bonne diligence ». Il résida donc à Mirecourt; mais cinq ans après ses débuts dans la magistrature, il fut appelé auprès de Charles, à Nancy, comme secrétaire ordinaire et comme juge au tribunal des Echevins, juridiction qui faisait surtout office de bailliage, jugeait en outre les affaires personnelles des nobles et qui, au criminel jouait le rôle de Chambre de mises en accusation: les prévôts n'agissaient presque jamais sans l'avis des échevins (3). Et Remy, magistrat zélé, contribua pour une large part, avec ses collègues Nicolas Ott, Claude Maimbourg, Chrétien Philbert, Antoine Bertrand et Nicolas Bourgeois à condamner au bûcher neuf cents sorciers et sorcières, «  non gentorunt plus minus hominum ».
Grâce à ses mérites littéraires et juridiques, il fut anobli en 1583 ; ses armoiries portent deux chimères affrontées d'argent (4). Et le 24, août 1591, après avoir été deux ans conseiller d'état, il est élevé à la plus haute dignité judiciaire de Lorraine : il est nommé procureur général. Non seulement il devra «  faire poursuite de toutes amendes, excès commis et délits qui se feront et commettront » dans le Duché, mais il recevra la haute mission de représenter en diverses occasions le duc lui-même (5). Et après avoir été honoré, estimé, admiré, il mourut entouré de sa nombreuse famille en avril 1612 (et non pas sur le bûcher, comme l'a prétendu un historien fantaisiste) (6).
Durant ses loisirs ou au moment des épidémies de peste qui sévissaient en Lorraine, il se retirait dans sa propriété de Saint-Mard (près de Bayon). Qu'y faisait-il ? Il songeait.
Car que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?
Et toutes ces femmes, en réalité victimes de leur propre fantaisie, que Remy a envoyées au supplice ne sont pas sans hanter son imagination. A-t-il essayé de chasser de son esprit ces hallucinantes visions pour trouver un passe-temps plus heureux. Puisqu'il voulait taquiner sa muse, il eût certes pu, comme l'avait déjà fait Ausone, chanter là riante Moselle dont les rives l'avaient vu naître, ou bien les paysages lorrains :
Ces ciels purs, ces beaux soirs, ces vaporeux nuages,
L'air que joue à travers ces épis ondoyants,
Ces arbres agités et ces lointains fuyants (7).
Ou les charmes de la famille, puisqu'il eût au moins sept enfants (en 1598, alors qu'il atteignait presque sa 70e année, son épouse Anne Marchand, lui donna encore un fils, Charles) ou enfin, comme c'était courant à l'époque, il eût pu chanter les louanges de son prince.
Eh ! bien, non, il est obsédé par la lueur sinistre du bûcher, par les tragiques scènes de tortures, par les réponses incohérentes des questionnées, par toute cette diabolique féerie. Il avoue lui-même l'obstination avec laquelle ces pensées lui venaient. «  Depuis quinze ans que j'exerce en Lorraine les fonctions de rapporteur et de juge au criminel, j'ai pour ainsi dire la tête toujours occupée des sorciers, de leurs réunions mystérieuses, de leurs fêtes et de leurs danses, de leurs fascinations et maléfices. de leur trajet dans l'air et de leur commerce avec le démon. » (8).
Et ce qui est plus singulier encore, c'est son plaisir à évoquer tous ces souvenirs (9). Comment expliquer cette joie malsaine et anormale ? Peut-être l'orgueil était-il le mobile de cette conduite étrange ; il pouvait se considérer comme le héros qui combattait la sorcellerie, source, selon lui, des plus grands maux; son mérite n'était pourtant pas considérable, puisqu'il était établi que les sorcières ne pouvaient rien contre leurs juges.
Ou bien n'était-il pas animé par une certaine tendance vers l'occulte, le mystérieux, l'incompréhensible, celle-là même qui fait frémir les aïeules à la veillée ? Ronsard, le délicat Ronsard, n'a pas répugné à écrire un poème démonologique (1555), l' «  Hymne des Daimons ».
Qui veillent les coeurs des hommes sommeillants
Et donnent grand'frayeur à ceux qui sont veillants.
Un psychanalyste contemporain verrait dans cette attraction extraordinaire un effet de la libido et un intérêt inconscient pour le récit des orgies du Sabbat, mais ne nous égarons point en de telles conjectures et remarquons simplement que les souvenirs sont chers aux vieillards, les souvenirs de la profession surtout.
Et il notait ses souvenirs, les mêlait à de nombreuses citations comme c'était courant au XVIe siècle, sans intention toutefois de les publier. Mais Thierry Alix, président de la Chambre des Comptes, parla des travaux littéraires de Remy à Charles III. Aussitôt, le duc, ennemi juré des sorciers, demanda à son procureur général de livrer son oeuvre à l'impression : il s'exécuta sans trop se faire prier. Et en 1595, elle fut éditée à Lyon (10), chez Vincent, puis l'année suivante à Cologne, chez Falkenburg et à Francfort, chez Palthenius.
La Démonolatrie, écrite entièrement en latin, était dédiée à l'illustre prince et excellent cardinal Charles de Loraine, elle était précédée d'une dédicace, d'une préface et d'une argumentation en assez bons vers. L'auteur la présentait comme un livre de bonne foi, inspiré par un seul souci de vérité.
A vrai dire, le lecteur est embarrassé pour juger cet ouvrage fantasque: tant de monstruosités ne sauraient pas même le faire sourire, il est plutôt effaré de telles divagations: «  Ayant reçu une baguette, elles (les sorcières) battent tant soit peu l'eau jusqu'à ce qu'il s'en élève une grande vapeur et fumée avec laquelle elles montent dans l'air ».
Mais il faut être juste. Convient-il de traiter uniquement Remy de boucher, comme l'a fait un historien ? Non, mais nous pouvons voir dans l'âme du Torquemada lorrain c'est ainsi que le nomme l'abbé Bexon une dualité presque antithétique qui explique la diversité des jugements portés sur son compte.
Distinguons en lui l'esprit d'élite, le bon père de famille, l'homme qui aime son pays natal, celui qu'on chargeait de rédiger des vers latins pour les arcs de triomphe, en un mot, l'homme de bien, l'érudit, le fin lettré.
Il y a, dans la Démonolatrie, de mille à onze cents noms propres différents, hormis les noms des sorciers exécutés et des démons, il cite des personnages bibliques, des auteurs de l'antiquité (ainsi il s'agit au moins à dix reprises différentes d'Aristote, ce qui n'est peut-être pas sans indiquer le dogmatisme outré de Remy, «  magister dixit »), des écrivains de son temps.
Mais malheureusement il y a surtout eh lui le superstitieux, auteur d'un récit odieux et burlesque, assez crédule pour disserter sur la nature de la graisse dont se servaient les sorcières pour oindre le manche à balai qui leur servait de monture pour se rendre au sabbat, celui qui prend au sérieux les légendes de toutes les mythologies. Il nous fait songer à une astucieuse remarque de Naudé sur Jean Bodin, un autre démonographe.
«  Ce premier homme de France qui, après avoir par une merveilleuse vivacité d'esprit accompagnée d'une jugement solide, traité toutes les choses divines, naturelles et civiles, se fût peut-être méconnu pour homme et eût été infailliblement regardé par nous comme une Intelligence s'il n'eût laissé des marques de son humanité dans sa Démonomanie ».
Remy ne connut jamais la pitié: il n'admet pour les accusés de sortilège aucune circonstance atténuante, il regrette qu'on ne brûle point comme leurs parents, les enfants mis au service de l'Esprit malin; les vieillards ne méritent, selon lui, eux non plus, aucune miséricorde, ayant contracté leurs funestes habitudes dès leur jeune âge. Cet homme «  éclairé semble encore trouver sa justice trop peu expéditive, il prétend que les Grecs livraient à la mort la plus cruelle toute magicienne, sur une simple dénonciation de sa servante. Il considère qu'un juge quelque peu indulgent pour ceux à qui la piété du ciel n'accorde pas l'impunité est un impie; en effet, l'épigraphe de la Dêmonolatrie est empruntée à l'Ancien Testament: «  L'homme ou la femme qui sera possédé de Python ou de l'esprit de divination sera mis à mort » (Levit, chap. XX).
Ainsi, il croyait avoir fait oeuvre de charité et de religion lorsqu'il avait remis au bourreau quelque pauvre vieille femme inconsciente et bornée.
Ce qui manqua toujours à Remy, ce fut la sensibilité, la bonté et surtout l'esprit critique, il se révèle dangereux fanatique en ce qu'il ne sut jamais distinguer l'illusion de la réalité.
Il semble pourtant, d'après son oeuvre, qu'en 1595, un certain nombre d'esprits commençaient à se détacher de toutes les stupides légendes rapportées en détail dans la Démonolatrie. Ainsi Remy craint bien qu'on voit dans son oeuvre des «  tissus de contes effrayants propres à effrayer les esprits faibles ». Et d'autre part, un Jean de Wier apostrophait vigoureusement les émules du procureur général lorrain, un Rabelais se gaussait de la sorcellerie, un Montaigne écrivait dans les Essais: «  C'est mettre ses conjectures à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif ». Mais ceux-là étaient les vrais grands esprits.
Pourtant ne condamnons pas trop sévèrement Nicolas Remy, montrons vis-à-vis de lui un esprit large, plus large que celui de ses violents réquisitoires, car, après tout, qui sait comment nos arrière-neveux jugeront nos actes ? Considérons-le seulement comme la victime de son temps et plaignons ses contemporains et ceux qu'il envoya sur le bûcher, et plus encore ceux qui l'applaudirent et le louèrent sans réserve.

Lucien DINTZER,
Professeur à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Montigny-lès-Metz.


(1) Michelet. La Sorcière, édition Slailles, p. 8.
(2) Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 39, f 205.
(3) Le ressort du Tribunal des échevins s'étendait à 72 localité;
(4) Doit Pelletier. Armoriai de Lorraine, art. Remy.
(5) KRUG-BASSE. - Histoire du Parlement de Lorraine et de Barrais.
(6) Eliphas Lêvi. - Dogme et rituel de haute magie, T. II, p. 234-235.
(7) François de Neufchâteau. - Les Vosges.
(8) Les trois livres de la Dêmonolatrie de N. Remy. Traduction manuscrite Aveline.
(9) «  Ces pensées me revenaient avec une obstination qui ne m'était pas désagréable » (Trad. Dêmonolatrie).
(10) Nicolai Remigii Serenis. Ducis Lotharingie a consiliis interioribus, et in eus ditione Lotharingica cognitoris publici.
Doemonolatriae libri tres. Ad illustrissimum Principem, amplissimumque Cardinalem Carolum a Lotharingica (Lugduni, in officina Vincentii M.D.XCV).

 

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