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Espionnage 1888 - L'affaire Kuehn
 



Les vingt années qui précédèrent la première guerre mondiale furent marquées par de nombreuses affaires d'espionnage, dont la plus célèbre reste l'affaire Dreyfus, qui agita l'opinion de 1896 à 1906. Localement, on note aussi dans les dernières années l'affaire de l'avion de Croismare et celle du Zeppelin de Lunéville.
Mais dès 1888, l'affaire concernant Pierre Kuehn, inspecteur spécial de police à Avricourt, va défrayer la chronique.


Le Gaulois - 21 janvier 1888

L'AGENT KUEHN
Un de nos confrères du soir annonçait hier, en dernière heure, que le commissaire spécial de la police des chemins de fer, à Igney-Avricourt, nommé Kuehn, ne serait pas Français.
D'après notre confrère, M. Kuehn, prévenu par le commandant de recrutement de Nancy d'avoir à accomplir une période d'instruction de treize jours, aurait répondu qu'il ne devait aucun service militaire en France, qu'il avait bien opté, il est vrai, mais que son option n'était pas valable, et qu'il se considérait comme Allemand.
Une enquête, pratiquée aussitôt, démontra que M. Kuehn avait dit la vérité; aussi le releva-t-on immédiatement de ses fonctions.
Notre confrère ajoutait que cette affaire causait une certaine émotion sur la frontière.
Etant donnée l'importance des fonctions d'un commissaire spécial de la police des chemins de fer à la frontière, nous avons tenu à renseigner exactement nos lecteurs sur cet incident.
Une personne des plus autorisées nous a donné, à cet égard, des renseignements excessivement précis.
- C'est une vieille histoire, nous a dit, tout d'abord, notre interlocuteur.
«  Kuehn et non Kuhn n'a jamais été commissaire spécial à Avricourt ; ce poste est occupé actuellement par M. Fischer, ancien commissaire adjoint à la gare de l'Est, chargé de surveiller les expériences de mélinite aux environs de Saint-Quentin, l'an dernier.
«  M. Fischer a été nommé à Avricourt quelque temps après, et son prédécesseur fut envoyé à Lyon pour remplacer M. Rissler, qui alla à Pagny-sur-Moselle, à la place de M. Schnaebele.
«  Kuenn n'était que simple inspecteur spécial, et occupa fort peu de temps ces fonctions, car il fut mis en disponibilité, il y a dix-huit mois environ, c'est-à-dire moins de six mois après son entrée en fonctions, et voici pour quelles raisons : Lorsque Kuehn, qui est de Strasbourg, fit sa demande à l'administration, il produisit à l'appui ses états de service militaire, établis par le ministère de la guerre, et attestant qu'il avait servi dans l'armée française; il y ajouta un certificat d'option dans sa ville natale, c'est-à-dire à Strasbourg, en date du 13 mars 1872.
«  Au bout de quelque temps, sa demande aboutit, et il lut envoyé comme inspecteur à Igney-Avricourt.
«  De par la nature de leurs fonctions, nos agents sont classés dans l'indisponibilité de l'armée mais, comme un agent nouvellement entré dans notre administration peut, pour des raisons multiples, ne pas convenir aux fonctions qui lui sont dévolues, ce n'est généralement qu'après une sorte de stage que nous le faisons inscrire sur les contrôles de l'indisponibilité par l'administration de la guerre.
«  Ceux de nos agents qui sont appelés à servir dans la réserve de l'armée active ou dans l'armée territoriale envoient alors leurs livrets militaires à la direction de la Sûreté générale, qui les remet au Ministère de la guerre, où on fait la mutation nécessaire; ces livrets sont ensuite renvoyés à leurs propriétaires.
«  Or, jamais on ne put obtenir le livret militaire de Kuehn; aussi, après environ trois mois de réclamations inutiles, l'a-t-on mis en disponibilité.
- Et après?
- Après, rien; on a pensé, à la Sûreté générale, que ce Kuehn, qui était un homme paraissant avoir certaines ressources personnelles, s'était trouvé froissé de ce que son livret lui était réclamé avec une telle insistance, et on ne s'est plus occupé de lui; il a quitté Igney-Avricourt et un autre a pris sa place.
- Mais l'option de Kuehn n'était peut-être pas valable; car vous n'ignorez certainement pas, dis-je à mon interlocuteur, que beaucoup d'Alsaciens-Lorrains, après avoir opté, ont fait leur service militaire en France et qu'ensuite, retournés chez eux, les Allemands les ont repincés, sous prétexte qu'ils n'acceptaient pas, leur option, et ont incorporé dans leurs régiments des hommes qui avaient fait leur temps de service en France.
- Parfaitement; mais, du moment que nous reconnaissions bonne l'option de Kuehn, nous n'avions pas à nous préoccuper de savoir s'il en était de même chez les Allemands.
- Et sait-on ce que Kuehn est devenu depuis qu'il a quitté le service de la Sûreté générale.
- Nullement, il a accepté sans récriminations la mesure prise à son égard, et il disparut quelques jours après.

Notre interlocuteur nous permettra de ne pas partager l'indifférence du service de la Sûreté générale, au point de vue de ses agents employés sur la frontière. La mise en disponibilité d'un fonctionnaire, quelque minime que soit sa fonction, est une punition grave.
Ou le fait, par Kuehn, de refuser de remettre son livret à ses chefs était insignifiant, et alors il n'y avait pas lieu de lui infliger une pareille disgrâce ; ou ce fait, par lui-même, avait une telle importance qu'on ne devait pas, une fois Kuehn mis en disponibilité, le laisser s'éloigner sans plus s'occuper de ses faits et gestes.
Les papiers militaires et le certificat d'option pouvaient être faux; ce sont des pièces plus faciles à falsifier qu'un livret militaire, pièces grâce auxquelles Kuehn a pu, pendant six mois, renseigner les Allemands, en toute sécurité, sur les allées et venues à la frontière.
Nous n'insisterons pas davantage.


Journal des débats - 22 janvier 1888

L'affaire Kuehn.
Un journal du soir a publié vendredi une dépêche de Nancy disant que M. Kuehn, commissaire spécial à la gare-frontière d'Avricourt, dont le nom a été souvent prononcé au moment de l'affaire Schnoebelé, ne serait pas Français
L'agence Havas nous communique a ce sujet la dépêche suivante

Nancy, le 21 janvier 1888
II est inexact, comme l'annonçait un journal du soir que Kuehn ait été commissaire spécial d'Avricourt. Il remplissait simplement les fonctions d'inspecteur sous les ordres de M. Gerbert. Il a occupé ce poste une année environ.
Au mois de février 1887, il a quitté brusquement ce service et a été révoqué quelque temps après pour dettes et absence illégale. Il s'est alors établi à Nancy comme représentant de commerce; mais, depuis l'automne, il n'a pas reparu dans cette ville.
On prétend que, en apprenant sa révocation, Kuehn aurait déclaré qu'il se vengerait des auteurs de sa disgrâce.
Kuehn est Alsacien et a servi comme sous-officier dans un régiment de cuirassiers français. Après la guerre, il est rentré en Alsace.

D'autre part, les renseignemens que nous avons fait prendre nous permettent d'affirmer que M Kuehn, qui est de Strasbourg, est entré dans l'administration, il y a deux ans environ, après avoir produit, à l'appui de sa demande, ses états de service militaire, établis par le ministère de la guerre et un certificat d'option sans sa ville natale, en date du 13 mars 1872.
Au point de vue du service militaire, les commissaires spéciaux et les inspecteurs placés sous leurs ordres sont classés parmi les non-disponibles. A cet effet, les livrets militaires de ces employés doivent être envoyés au ministère de la guerre, où se font les inscriptions nécessaires. Soit qu'il eût perdu son livret, soit pour tout autre motif, M.Kuehn n'en fit pas la remise dans les délais qui lui étaient prescrits. Pour cette raison il fut mis en disponibilité, et depuis ce temps l'administration a cessé de s'occuper de lui.
Le poste en question est occupé actuellement par M.Fischer. ancien commissaire adjoint à la gare de l'Est.
Un de nos confrères annonce que M. Kuehn est à Paris; il fait des démarches pour être réintégré dans l'administration.


Le Gaulois - 23 janvier 1888

LE TRAITRE KUEHN
Plusieurs de nos confrères se sont occupés du cas de l'inspecteur du service spécial des chemins de fer, Kuehn, au sujet duquel nous avons publié, avant-hier, des détails des plus circonstanciés.
Nous avons reçu, hier, d'un de nos amis d'Alsace, la lettre suivante, mise à la poste de ce côté-ci de la frontière, et pour cause
Strasbourg, 21 janvier 1888.
Mon cher monsieur,
Je viens de lire votre article du Gaulois concernant l'illustre Kuehn, et je vais le compléter.
Lors du procès Klein à Leipzig, pour haute trahison, ne vous rappelez-vous pas que Kuehn a joué le rôle de dénonciateur ?
Pendant que Kuehn était inspecteur de police à Avricourt, il s'est rendu un jour à Strasbourg chez Klein, auquel il a tenu le discours suivant
- Je connais vos relations avec le bureau du colonel Vincent, inutile de nier; si vous ne me donnez pas cinq cents francs, je vous dénonce. »
Comme Klein ne s'exécuta pas, la menace de Kuehn fut mise à exécution, et c'est par lui que Klein fut dénoncé au parquet et condamné à ce que vous savez (six ans de forteresse).
Nous autres, Alsaciens, nous sommes tout étonnés de voir la police française ne tenir aucun compte de faits pareils.
A vous,
X...
Nous serions curieux de savoir ce que pense la Sûreté générale de ce fait, qu'elle n'ignorait certainement pas et qu'elle a caché avec le plus grand soin.


Journal des débats - 1er février 1888

Nouvelles judiciaires - L'Intransigeant annonce que le sieur Kuehn, l'ex-inspecteur de police de la gare d'Avricourt, lui réclame judiciairement 10,000 fr. de dommages-intérêts.
Dans son assignation devant la 9e chambre, à la date du 29 février prochain, «  il nous reproche, dit l'Intransigeant, d'avoir dit, avec nombre de nos confrères, qu'il était étrange qu'un Alsacien n'ayant pas opté, et qui est par conséquent Allemand, fût employé au  service de la France, et d'avoir apprécié comme il convenait cette situation suspecte. »


Journal des débats - 8 février 1888

Sur un ordre de la direction de la sûreté générale, l'ex-inspecteur spécial de police à Avricourt, Kuehn, qui avait été révoqué parce qu'il ne pouvait produire son livret militaire, et qu'un journal du soir avait, il y a quelque temps, signale comme espion allemand, a été arrêté hier soir par M. Escourrou, commissaire spécial de police attaché au ministère de l'intérieur.
Kuehn est prévenu de désertion. Il a été mis à la disposition de l'autorité militaire, qui a récemment décerné contre lui un ordre d'écrou.


Le Gaulois - 8 mars 1888

Conseil de guerre de Paris L'inspecteur Kuehn.
Le nommé Kuehn, ex-inspecteur spécial de police à Avricourt, qui avait été arrêté, à la fin de janvier dernier, sous l'inculpation de désertion et emprisonné au Cherche-Midi, a été jugé, hier, par le deuxième conseil de guerre, séant à Paris.
Kuehn a été condamné 1° pour désertion à l'intérieur, à trois ans de prison 2° pour emport d'effets, à un an de prison.
Avant le prononcé du jugement, un membre du conseil ayant demandé comment il se pouvait faire que Kuehn ait pu obtenir un emploi du ministère de l'intérieur alors qu'il était déserteur, le président a expliqué que, par suite d'une omission regrettable, la désertion de Kuehn n'avait pas été portée sur le relevé de ses états de service militaire.


Journal des débats - 8 mars 1888

Conseil de guerre de Paris. Le nommé Kuehn, ex-inspecteur spécial de police à Avricourt, qui avait été arrêté, à la fin de janvier dernier, sous l'inculpation de désertion et emprisonné au Cherche-Midi, vient d'être jugé par le 2e Conseil de guerre, séant à Paris.
Kuehn a été condamné : 1° pour désertion à l'intérieur, à trois ans de prison 2° pour emport d'effets, à un an de prison.
Avant le prononcé du jugement, un membre du Conseil ayant demandé comment il se pouvait faire que Kuehn ait pu obtenir un emploi du ministère de l'intérieur, alors qu'il était déserteur, le président a expliqué que, par suite d'une omission regrettable, la désertion de Kuehn n'avait pas été portée sur le relevé de ses états de service militaire.


La Croix - 27 février 1889

NOUVELLES DU PALAIS
Aujourd'hui comparaissait devant la 9e Chambre correctionnelle Kuehn, ancien inspecteur de police à Avricourt, sous les ordres de M. Schnoebelé.
Kuehn est accusé de tentative de communication de documents concernant la sureté extérieure de l'Etat.
A la demande de l'accusé, son avocat ne pouvant plaider aujourd'hui, les débats sont remis à huitaine.


Journal des débats - 20 mars 1889

BULLETIN JUDICIAIRE
L'affaire Kuehn. - Hier a comparu, devant la 9° chambre jugeant à huis-clos, Pierre Kuehn, ex-inspecteur spécial du commissariat d'Avricourt, et déserteur, poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage.
Le prévenu est un homme de trente-six ans, fort beau garçon : il s'exprime avec facilité, se défend avec adresse, et garde assez grand air sous le costume gris des détenus qu'il porte.
M. le substitut Lombard a soutenu la prévention.
Me Léon a présenté la défense de Pierre Kuehn.
Le tribunal, présidé par M. Moleux, a renvoyé son jugement a huitaine.


Journal des débats - 1er juin 1889

BULLETIN JUDICIAIRE
L'arrêt dans l'affaire Kuehn. La chambre des appels correctionnels de la Cour de Paris, présidée par M. Calary, a maintenu hier la peine de deux ans de prison et 1,000 fr. d'amende, prononcée par la 9e chambre du tribunal correctionnel de la Seine, contre l'espion Kuehn, l'ex-inspecteur spécial de police d'Avricourt.

 

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