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Histoires criminelles du Blâmontois (5)
Repaix - 1923

Voir aussi Histoires criminelles


François Auguste HANS, né le 26 avril 1871 à Wolsheim, ordonné prêtre le 7 juillet 1895, est devenu vicaire à Baccarat le 1er août 1895, puis curé de Repaix le 1er octobre 1896. Son assassinat dans le train Gérardmer-Saint-Dié le 28 septembre 1923 suscitera un grand émoi national (voir ainsi Le Gaulois - 29 septembre 1923, L'Ouest-Eclair - 29 septembre 1923, La Croix - 30 septembre 1923).

Au niveau national, le résumé le plus complet de cet assassinat est dans Le petit Parisien - 29 septembre 1923, et son épilogue dans Le Gaulois - 28 mars 1924, articles reproduits ci-dessous. Mais au niveau local, l'affaire donnera lieu à de multiples articles dans l'Est-Républicain (voir aussi l'article sur les funérailles du 2 octobre 1923, et au 20 octobre la polémique créée par le discours d'Adrien de Turckheim lors de ces funérailles).

Le petit Parisien
29 septembre 1923

UN PRÊTRE ASSASSINÉ DANS UN TRAIN

PAR UN GREDIN DE 19 ANS
Le coupable a fait des aveux C'est pour voler qu'il a tué

Samt-Dié, 28 sept. (dép. Petit Parisien.)
On a découvert, ce matin, dans un wagon de troisième classe du train 1818 qui, venant de Gérardmer, arrive à Saint-Dié à 6 h. 48, le cadavre de l'abbé Hans, curé de Repaix, près d'Avricourt (Meurthe-et-Moselle). C'est un visiteur de la compagnie qui, en voyant des gouttes de sang tomber du wagon, ouvrit la portière et aperçut le corps du prêtre.
L'abbé avait été tué d'une balle à la tête, Le projectile avait pénétré dans la tempe droite et était sorti par la tempe gauche.
Le corps était allongé sur le plancher en travers du wagon.
Les soupçons des employés du train sa portèrent immédiatement sur un jeune homme qui avait été vu sautant du wagon à l'arrivée du convoi à Saulcy-sur-Meurthe, la dernière gare avant Saint-Dié, et avait aussitôt pris la fuite.
Le parquet, avisé immédiatement, alerta la gendarmerie qui se mit aussitôt à la recherche de l'individu. Vers huit heures, les gendarmes Petit et Edgar arrêtèrent dans les environs de Sainte-Marguerite un jeune homme aux allures étranges, dont les vêtements étaient mouillés et la chemise ensanglantée. Cet individu, qui se nomme Jules Demangel, qui appartient à une honorable famille de Saint-Dié, et qui est un conscrit de la classe 1924, après avoir, subi un premier interrogatoire au bureau de la gendarmerie, fut amené à la gare par M. Ruoult, Juge d'instruction, qui le mit en présence de la victime. Sans s'émouvoir, regardant fixement le cadavre, Démangel leva la main et jura qu'il était innocent.

J'ai tiré sur des oiseaux

Il prétendit que le sang dont sa chemise était tachée provenait d'un saignement de nez, et que si son veston était mouillé c'était parce qu'il avait passé la nuit dans les champs et dormi à la belle étoile. On lui fit remarquer que son revolver, qu'il, avait pris la précaution de recharger, avait servi depuis peu il répondit que la veille il avait tiré sur des oiseaux.
M. Ruoult le mit alors en présence d'un cultivateur de Sainte-Marguerite que Demangel avait rencontré dans tes prés alors qu'il longeait la Meurthe pour regagner la route de Saint-Dié afin de pouvoir, pas les prés et les champs, rejoindre le domicile de ses parents sans traverser d'agglomération,
Le cultivateur le reconnut formellement. L'inculpé n'en continua pas moins à nier et prétendit, n'avoir rencontré personne. Cette déposition lui avait cependant porté un coup et un quart d'heure plus tard, il entrait dans la voie des aveux.

Pour un paquet qui était tombé

II déclara qu'entre Saint-Léonard et Saulcy il avait eu une. discussion avec l'abbé au sujet d'un paquet qu'il aurait fait tomber. Pour en imposer au prêtre, il aurait alors sorti son revolver. Mais le prêtre, qui était taillé en hercule, aurait saisi le jeune homme à la gorge. Celui-ci aurait tiré une première balle qui aurait traversé le chapeau de sa victime, puis une seconde qui l'atteignit au cou et le fit tomber. Alors, froidement, comme un criminel endurci, Demangel lui tira une troi1sième balle derrière l'oreille pour l'achever. Telle fut l'explication qu'il donna. On s'en est tenu là pour aujourd'hui, en attendant le résultat des recherches qui continuent.
Dans les poches de la soutane de l'abbé Hans, on a bien découvert une somme, de quatre cents francs, mais une sacoche qu'il portait à son départ de Gérardmer a disparu et on se demande si Demangel ne l'a pas volée. Celui-ci avait en sa possession une somme de cent trente et un francs, mais, hier, il avait retiré deux cents francs de la caisse d'épargne.
L'abbé Auguste Hans était né en 1874 dans le Bas-Rhin; il revenait de Gérardmer où il était allé voir son frère, industriel dans cette ville, et il se rendait à Saint-Dié, oit il comptait de nombreux amis. Jules Demangel, vigoureux jeune homme de dix-neuf ans, exerce le métier d'ouvrier graniteur. Il avait quitté son travail mercredi pour passer le conseil de révision et pendant deux jours s'était amusé avec des camarades. Le revolver dont il s'est servi avait été acheté la veille à l'un d'eux. Il avait pris le train à Epirial pour gagner Saint-Dié et avait fait le voyage seul jusqu'à Laveline-de-Bruyères. C'est à cette gare que l'abbé Hans était. monté dans son compartiment.


Le Gaulois
28 mars 1924

L'ASSASSIN DE L'ABBÉ HANS devant les assises

Condamné aux travaux forcés à perpétuité
La cour d'assises des Vosges a jugé hier Jules Demangel qui, le 28 septembre dernier, assassina, dans le train d'Epinal-Saint-Dié, l'abbé Hans, curé de Repaix (Meurthe-et-Moselle).
L'assassin est âgé de dix-neuf ans seulement est appartient à une honorable famille de Saint-Dié.
Cette affaire provoqué en son temps une vive émotion. Après le crime, le jeune homme s'était enfui dans la campagne, mais il a été arrêté et a fait des aveux. L'acte d'accusation, relate les conditions dans lesquelles, pour voler la sacoche de l'abbé, Démàrigel commit un crime avec un sang-froid déconcertant.
Puis vient ensuite l'interrogatoire Demangel répond avec assez de franchise aux questions qui lui sont posées : donne l'impression d'un garçon intelligent.
Le défilé des témoins commence ensuite. Le docteur Aubry, médecin-aliéniste à Nancy, vient déclarer que l'accusé est responsable, mais que toutefois, comme il avait commis des excès de boisson la veille, il se trouvait dans un état de responsabilité légèrement atténué le jour du crime.
Le président fait observer qu'au point de vue pénal, l'ivresse ne peut être une excuse.
Demangel est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il se voit également condamné à payer un franc de dommages-intérêts à la partie civile.


Est-Républicain
29 septembre 1923

Un prêtre assassiné dans un train sur la ligne Epinal-Saint-Dié

La victime est M. l'abbé Hans, curé de Repaix, près de Blâmont
L'assassin, un jeune homme de Saint-Dié, est arrêté Saint-Dié, 28 septembre. - Ce matin, à 6 h. 40, à l'arrivée à Saint-Dié d'un train venant de Gérardmer, on a découvert, dans un compartiment, le cadavre de l'abbé Auguste Hans, âgé de 52 ans, curé de Repaix et Igney (Meurthe-et-Moselle). L'abbé Hans revenait de Gérardmer, où il était allé voir son frère, industriel dans cette localité.
Il avait été tué de deux balles, dont une à la tête.
Ce dernier projectile a pénétré dans la tempe droite et est sorti par la tempe gauche. Aussitôt connue la nouvelle du drame, la brigade mobile de Nancy, le parquet de Saint-Dié et la gendarmerie ont procédé à l'enquête.
Des témoins ont déclaré qu'entre Saulcy-sur- Meurthe et Saint-Léonard, on avait remarqué un jeune homme sautant du train.
Ce jeune homme, nommé Demangel, fils d'une honorable famille de Saint-Dié, a été arrêté. Il avait les vêtements couverts de sang. Il a commencé par nier, puis il a fait des aveux.
L'émotion est vive dans la région.

La découverte de la victime
Tel est le récit succinct du drame, reçu vendredi matin et sur lequel notre correspondant de Saint-Dié nous a adressé, dans la journée, ces détails complémentaires :
Ce matin, à 6 h. 45, à l'arrivée du train 18.18 d'Epinal, un visiteur de la gare de Saint-Dié remarquait que des gouttes de sang s'écoulaient sur le marchepied sous la portière d'une voiture de 3e classe.
Ayant ouvert, il se trouva en présence du cadavre d'un prêtre qui, la tête ensanglantée était allongé sur le parquet en travers du compartiment.
Immédiatement, un convoyeur du service postal se rappela avoir vu, avant l'arrivée en gare de Saulcy-sur-Meurthe un individu sauter du train et fuir. On prévint M. Coulon, commissaire spécial qui fit lui-même prévenir les membres du parquet, la sous-préfecture et les gendarmes qui se mirent aussitôt en campagne à la recherche du bandit qui avait fait le coup.
Toute cette mobilisation s'est faite très rapidement, et lorsque M. le procureur de la République et M. le juge d'instruction arrivent sur les quais de la gare. On sait déjà que la victime, très bien connue à Saint-Dié, où elle compte de nombreux amis, était M. l'abbé Hans, curé de Repaix, canton de Blâmont (M.-et-M.).
La victime porte deux blessures provenant de balles d'un calibre de 9 millimètres, une au milieu du cou et l'autre derrière l'oreille. Une autre balle s'est logée dans une portière du wagon.
Les parois sont éclaboussées de sang. Une main ensanglantée a cherché un appui au-dessus de la banquette; on voit que le prêtre, qui est taillé en hercule, s'est défendu et le meurtrier doit être couvert du sang de la victime.

Le bandit est pris
Ces messieurs achevaient à peine leurs constatations à la gare, qu'ils apprenaient que les gendarmes Petiet et Egar venaient d'arrêter à Sainte-Marguerite, un jeune homme dont la chemise maculée de sang était un indice grave et que le prisonnier était à leur disposition au bureau de gendarmerie.
Une heure s'était à peine écoulée depuis la découverte du cadavre.

L'assassin essaie de nier
Interrogé immédiatement par M. Ruolt, juge d'instruction, le jeune homme arrêté, un nommé Jules Demangel, 19 ans, qui avait passé devant le conseil de révision jeudi dernier, protestait énergiquement et répondait avec un sang-froid incroyable pour un jeune homme de son âge à toutes les questions embarrassantes qu'on lui posait.
Son veston trempé indiquait qu'il venait de subir un lavage ; la chemise, la cravate, le mouchoir, des cigarettes étaient trempés de sang. Mais, pour lui, cela était naturel.
- Pourquoi votre veston est-il mouillé ?
- J'ai couché dans les champs.
- Et tout ce sang ?
- J'ai saigné du nez.
- Vous vous êtes servi de votre revolver depuis peu ?
- Je l'avais acheté hier à un camarade et je l'ai essayé en tirant sur des oiseaux.
M. Ruolt décida alors de le mettre en présence de sa victime. La confrontation a eu lieu devant le wagon, sur le quai de la gare.
Sans broncher, regardant fixement le corps allongé, il lève la main et jure que ce n'est pas lui.
On l'emmène ensuite dans le bureau du chef de gare : on lui fait retirer son veston.
La manche droite de sa chemise est ensanglantée jusqu'au coude.
Plus de doute, c'est bien lui, mais rien ne le démonte et il nie toujours avec autant de persistance.
Le juge d'instruction veut en finir. Il met en présence un cultivateur de Sainte-Marguerite qui l'a rencontré le matin, alors qu'il longeait la Meurthe, dans l'espoir sans doute de regagner le domicile de ses parents, à La Vigne-Henry, sans être trop remarqué.
Le cultivateur explique qu'en le voyant couvert de sang, il lui a demandé ce qu'il lui, était arrivé, et qu'il lui a répondu qu'il venait de faire une chute.
Malgré cette affirmation formelle, Demangel, se montrant de plus en plus cynique, répondit qu'il n'avait jamais causé au témoin et ne l'avait même jamais vu.

Les aveux avec une excuse mensongère
Cependant, cette déposition l'avait ébranlé. On le vit changer de figure et, un quart d'heure plus tard, il reconnaissait enfin que c'était bien lui.
Il raconta le drame à sa façon :
Ayant fait tomber un paquet du prêtre, dit-il, ce dernier lui aurait fait des observations qu'il aurait reçues en sortant un revolver, pour en imposer au colosse.
Devant cette menace, l'abbé Hans l'aurait saisi au collet. C'est alors que l'assassin aurait tiré une première balle, qui traversa le chapeau pour aller s'enfoncer dans la portière, puis une seconde, qui atteignit le malheureux prêtre dans le milieu du cou.
Enfin, avoue Demangel, lorsque l'abbé fut tombé, il lui tira une troisième balle derrière l'oreille «  pour l'achever ».

L'assassin a menti
Le mobile du crime est le vol
Des poches de la soutane du prêtre, le juge d'instruction a retiré une somme de 400 fr. environ, mais une sacoche, qu'il portait en quittant le domicile de son frère, industriel à Gérardmer, a disparu, emportée probablement par l'assassin, dans l'espoir qu elle contenait la forte somme. Et ceci explique bien mieux le mobile du crime que l'histoire racontée au juge d'instruction.

L'assassin est d'une bonne famille
Depuis mercredi, Demangel faisait la noce avec ses camarades de révision; jeudi il s'était rendu à Epinal en compagnie de quelques- uns d'entre eux. Ces derniers rentrèrent à Saint-Dié dans la soirée, mais il ne voulut pas les suivre, en prétextant qu'il avait l'intention de se rendre à Nancy, puis à Paris.
Or, il ne pouvait avoir sur lui qu'une somme de deux cents francs au maximum et il ne pouvait compter aller bien loin.
Et puis, pourquoi cet achat de revolver et de cartouches dans la journée de jeudi ?
Demangel appartient à une honnête famille d'ouvriers, mais lui ne jouit pas de la même réputation parmi ses camarades.

Les dernières occupations du criminel avant le drame
Jules Demangel, est jardinier. Il est né le 5 mai 1904, à Vagney.
Dans la journée d'avant-hier, Demangel a été déclaré bon pour le service, par le conseil de révision de Saint-Dié.
Dans le courant de l'après-midi, il a fêté l'événement avec ses camarades et l'un de ceux-ci lui a vendu le revolver avec lequel il a tué l'abbé Hans.
Dans la journée d'hier, il avait décidé de partir en voyage. Il est allé, à 16 heures, à Epinal, où il a passé la nuit sans se coucher.
Ce matin, vendredi, il est reparti pour St-Dié, par le train de 5 h. 55.
Il a fait, seul, le voyage jusqu'à Laveline-devant-Bruyères.
A cet endroit, est monté l'abbé Hans, qui venait de passer quelques jours chez son frère, industriel à Gérardmer, et qui se rendait à Saint-Dié. On sait le reste.

La victime
L'abbé Auguste Hans était né à Wolxheim, fin 1871. Il fut ordonné prêtre en 1895.
D'abord vicaire à Baccarat, il fut ensuite nommé curé de Repaix, en 1896, Il desservait en même temps la commune d'Igney.
Remarquable par sa haute stature, doué d'une force herculéenne, l'abbé Hans était très populaire dans la région de Blâmont.
Très modeste et très bon, il jouissait de l'estime de toute la population.
A l'armistice, bien qu'on lui eut offert des postes plus importants, il avait tenu à retourner près de ses paroissiens pour les soutenir et les encourager dans l'oeuvre de relèvement. Ajoutons que pendant de nombreux mois, partageant leurs privations et leurs souffrances, il vécut lui-même dans une cave. Aussi, la nouvelle de sa mort tragique a-t-elle causé dans le pays une véritable consternation. -. Ch. P.


Est-Républicain
30 septembre 1923

L'assassinat de l'abbé Hans aurait bien eu le vol pour mobile

La sacoche retrouvée en bordure de la voie
La sacoche dont été muni l'abbé Hans, curé de Repaix et Igney, assassiné dans le train d'Epinal à Saint-Dié, a été retrouvée samedi matin, en bordure de la voie, à cent mètres environ en amont du lieu où Demangel sauta du wagon pour prendre la fuite, en traversant les prés et la Meurthe, dans la direction du cimetière militaire qui se trouve sur la route de Saulcy à Sainte-Marguerite.
Cette sacoche, qui ne devait contenir aucune valeur, et qui est probablement la cause du drame, ne révèle aucune trace de lutte et ne porte aucune trace de sang.
Elle devait donc se trouver dans le porte-bagage, puisqu'elle n'a pas été éclaboussée.
De plus, charge accablante qui sape sérieusement le système de défense de l'inculpé, une jeune femme qui se trouvait dans les champs, à proximité de la voie, aurait vu un voyageur qu'elle ne put distinguer, jeter la sacoche par la portière du wagon.
Le train ne met guère que cinq minutes pour accomplir le trajet de Saint-Léonard à la station de Saulcy-sur-Meurthe. Demangel sauta bien avant l'arrivée en gare. Par conséquent, la soi-disant discussion, la lutte qui aurait précédé l'assassinat et la fuite avant l'arrêt du train, tout cela se serait passé en moins de quatre minutes, à en croire le criminel.
Or, il est établi par des témoignages de cheminots qu'au départ de la gare de St-Léonard, le prêtre lisait tranquillement dans le coin du compartiment. Demangel a donc menti...
Donnera-t-il maintenant des explications qui éclaireront mieux ? En ce moment, il est abattu ; il pense sans doute à ses bons parents, dont il empoisonne les vieux jours. Il réfléchit peut-être aux conséquences de son acte odieux.

A QUEL MOBILE A PU OBEIR L'ASSASSIN ?
Les discussions sur les motifs du crime vont leur train, car ce crime a produit une très grosse impression et passionne l'opinion.
Sans doute, l'histoire d'une discussion ne tient pas, mais le vol ? Pour quel besoin ?... Le voyage qu'avait projeté Demangel ? Peut-être. Cependant il n'était pas sans argent et il en avait disponible à la caisse d'épargne.
Il est étrange qu'un jeune homme, bon ouvrier, qui n'a reçu que de bons exemples de ses parents, soit arrivé à l'âge de 19 ans en dissimulant des instincts aussi bas. Ceux qui le connaissent bien le considèrent comme un jeune homme rangé, n'allant jamais au café, incapable d'une mauvaise action et sont convaincus qu'il a agi dans un moment de folie provoquée par les boissons absorbées pendant deux jours et la nuit qu'il a passée à Epinal en galante compagnie.

L'AUTOPSIE
L'autopsie du corps de l'abbé Hans, assassiné dans le train d'Epinal à Saint-Dié, vient d'être pratiquée. Elle a démontré que l'ecclésiastique avait reçu deux balles dans la tête. La première, qui n'était pas mortelle, avait pénétré dans la région du cou et s'était logée dans la paroi sous-maxillaire et avait déterminé une hémorragie abondante.
La deuxième avait pénétré derrière l'oreille gauche, dans le rocher et était sortie par le temporal droit.
Les parents de la victime sont arrivés à Saint-Dié et prennent toutes les dispositions pour les obsèques.

L'ARRIVÉE DU CORPS A REPAIX
Le corps de l'abbé Hans a été transporté, samedi matin, à Repaix, où il doit être inhumé lundi. Bien que la famille ait prévenu qu'il n'y aurait aucune cérémonie à l'arrivée, toute la population de la paroisse et les conseillers municipaux s'étalent massés à l'entrée du village pour recevoir les restes de leur pasteur bien aimé et l'escorter à l'église où, selon la coutume du pays, les jeunes filles récitaient le chapelet au milieu des sanglots de l'assistance.

HONNEUR AUX GENDARMES
Nous avons indiqué brièvement la célérité dont firent preuve les gendarmes pour arriver à cette arrestation qui fait le plus grand honneur à l'esprit de décision du gendarme et du gradé. Pendant que l'adjudant Pasquet organisait «  un barrage », le chef de brigade de Fraize, prévenu téléphoniquement, suivait la trace de l'assassin.
Nous sommes heureux de leur adresser nos vives félicitations.


Est-Républicain
28 mars 1924

Demangel, l'assassin de l'abbé Hans
DEVANT LE JURY DES VOSGES
II a été condamné aux travaux forcés à perpétuité
Epinal, jeudi 27 mars. - C'est aujourd'hui qu'a comparu devant la cour d'assises des
Vosges, sous la prévention d'assassinat suivi de vol qualifié, le jeune Jules Demangel, polisseur de granit, à Saint-Dié. On se rappelle qu'en septembre dernier, alors que pour fêter son conseil de révision, l'accusé était allé passer la nuit à Epinal et rentrait au matin à Saint-Dié, il fit la rencontre dans le train de l'abbé Hans, curé de Repaix, qu'il tua de deux coups de revolver pour lui voler une sacoche qu'il présumait bien garnie. Demangel a fait des aveux.
C'est M. Sadoul qui occupe le siège du ministère public. Le défenseur est Me Dussot, du barreau de Nancy ; la partie civile est représentée par Me Saby, de Saint-Dié. Le tirage au sort désigne comme chef du jury M. Denis, propriétaire à Lironcourt.

AVANT L'AUDIENCE
Cette tragique affaire, de beaucoup la plus grave de la session, avait attiré dans la salle des assises une énorme affluence d'un public oisif venu pour voir un jeune criminel défendre sa tête devant le jury.
A vrai dire, il ne s'agissait en somme que d'une affaire d'assassinat n'ayant d'importance qu'en raison de la personnalité de la victime et des circonstances du drame.
Dès huit heures 30, le public commençait à affluer ; le service d'ordre était assuré de façon parfaite par la gendarmerie et la police, ainsi que par un piquet du 11e génie.

L'ACCUSÉ
Demangel est amené au banc des criminels. Il faut reconnaître qu'il a une physionomie plutôt sympathique. A le voir, on est étonné que ce jeune homme, à l'attitude modeste, a pu se rendre coupable d'un aussi lâche attentat sur un prêtre inoffensif, sur un paisible voyageur lisant tranquillement son journal préféré.
D'apparence robuste, l'accusé est vêtu d'un complet noir-brun et coiffé d'un chapeau de feutre mou. Une fine moustache noire estompe sa lèvre ; ses cheveux abondants et crêpelés, sont coquettement rejetés en arrière. En raison de la longueur des débats, la cour ordonne qu'un treizième juré siégera pour cette affaire.
Après la constitution du Jury, la parole est donnée à Me Saby, avocat de la partie civile intervenant au procès. Au nom de celle-ci, Me Saby demande la somme de 30.001 francs à titre de dommages-intérêts.
La cour lui donne acte de son intervention
Le greffier procède ensuite à la lecture de

L'ACTE D'ACCUSATION
Le 28 septembre, à l'arrivée à 6 h. 56 en gare de Saint-Dié, d'un train venant d'Epinal, un employé remarqua de larges taches de sang sur le marche-pied d'un wagon de 3e classe. Il ouvrit la portière et aperçut le cadavre d'un prêtre étendu entre les banquettes : le visage de l'abbé était ensanglanté et par la bouche s'écoulait encore du sang spumeux. Dans le compartiment se trouvait le chapeau du prêtre troué d'une balle, un numéro de l' «  Est Républicain », un paquet de livres et un petit colis de fromages. Du sang était répandu un peu partout. Les premières recherches firent découvrir deux balles de revolver, l'une tombée sur le plancher du wagon, l'autre fichée dans une portière.
La victime fut immédiatement reconnue pour être l'abbé Hans, âgé de 53 ans, curé de Repaix (M.-et.-M.), qui venait de chez son frère, industriel à Gérardmer. Sur le cadavre on trouva un porte-monnaie renfermant une somme de 400 francs, une montre, un couteau et un chapelet, mais la sacoche dont l'ecclésiastique était habituellement porteur avait disparu.
L'examen et l'autopsie du corps effectués par le docteur Stoebber, médecin expert, révélèrent que l'abbé Hans, admirablement musclé, d'une stature véritablement herculéenne, avait été atteint par deux balles de revolver et ne portait aucune trace de violences.
La mort avait été instantanée, les projectiles tirés à très courte distance, presque à bout portant, avaient traversé le cou transversalement au niveau de l'angle de la mâchoire en causant des lésions destructives des organes vasculo-nerveux de la région.

L'ENQUÊTE
L'enquête apprit que trois employés de chemin de fer, qui se trouvaient dans le train qui venait d'Epinal avaient entendu deux détonations entre Saint-Léonard et Saulcy-sur-Meurthe. D'autre part, une jeune fille, Suzanne Benoît, qui était à la fenêtre de la maison de ses parents située à 200 mètres environ de la station de Saulcy avait vu un objet noir passer par la portière d'un wagon et des employés de chemin de fer s'étaient rendu compte qu'un voyageur avait sauté d'un compartiment pendant la marche du train.
Enfin, le cultivateur Mangeat, qui fauchait dans un pré à proximité de la gare de Saulcy vit venir dans sa direction peu après l'arrivée dans cette dernière station du train d'Epinal un jeune homme coiffé d'un chapeau noir et d'un complet sombre qui avait une partie du visage et le poignet gauche ensanglantés. Ce jeune homme, en passant près du cultivateur, lui dit rapidement qu'il venait de faire une chute sérieuse et, sans autres explications, prit la fuite à travers la prairie.
Les gendarmes, qui avaient été envoyés sur la route de Sainte-Marguerite rencontrèrent à 8 h. 15 du matin, près du village, un jeune homme qui cherchait à se dissimuler derrière une voiture et dont l'aspect général correspondait à celui du meurtrier présumé de l'abbé Hans. Aussitôt arrêté, cet individu fut trouvé porteur d'un revolver chargé et de cartouches identiques à celles qui avaient, été ramassées dans le wagon du train d'Epinal. Il avait replié sous sa veste le col de sa chemise maculé de sang. Ses vêtements et ses chaussures étaient mouillés comme s'ils avaient été lavés, et, dans ses poches, se trouvaient deux mouchoirs tachés de sang. Demangel ne fit aucune difficulté pour fournir son état civil, mais nia énergiquement le crime qui lui était imputé, prétendant que le sang remarqué sur ses vêtements provenait d'une hémorragie nasale.

LES AVEUX DU COUPABLE
Conduit; à la gare et mis en présence du cadavre de l'abbé Hans, il persista tout d'abord dans ses dénégations, mais, confronté avec le cultivateur Mangeat, qui reconnut formellement en lui l'individu qui lui avait parlé près de la station de Saulcy, il commença à passer des aveux : il reconnut avoir tiré trois coups de revolver, dont deux seulement avaient porté sur le curé de Repaix, qui était dans le même compartiment que lui. Pour expliquer son acte, Demangel prétendit qu'il avait été injurié et provoqué par le prêtre parce qu'il avait, par inadvertance, heurté un «  paquet noir » qui appartenait à son compagnon de voyage.
On apprit bientôt qu'on avait remarqué une sacoche a proximité de la gare de Saulcy. Les gendarmes se rendirent à l'endroit indiqué et découvrirent en effet dans le fossé de la voie ferrée, exactement à 90 mètres du lieu où Demangel avait sauté du train une sacoche en cuir noir. Elle contenait deux bouteilles pleines, trois livres pieux, quatre mouchoirs et des cigarettes ; elle fut reconnue comme ayant appartenu à l'abbé Hans A la suite de cette découverte, l'accusé finit par reconnaître qu'aucune discussion ne s'était élevée entre lui et l'abbé Hans Comme le prêtre se trouvait en face de lui occupé à lire son journal, l'idée vint à l'accusé de le voler. Sans que le prêtre ait pu apercevoir son geste, Demangel prit son revolver dans la poche de son pantalon et tira de la main gauche. Se sentant atteint l'abbé Hans eut encore la force de se lever et d'essayer de saisir par le cou son agresseur mais ce dernier fit passer rapidement l'arme dans sa main droite et tira un second coup de revolver sur le prêtre qui s'affaissa aussitôt. Demangel lança alors la sacoche par la portière de droite et quelques instants après, sauta sur la voie par la portière de gauche.

L'ACHAT DU REVOLVER
Au cours de l'information, l'accusé précisa qu'il avait conçu son projet criminel entre Corcieux et Saint-Léonard, ou tout au moins au départ de la station de Saint-Léonard. Voyant la sacoche aux pieds de son compagnon de voyage, il avait pensé qu'elle renfermait de l'argent. Pour tenter d'expliquer son acte, Demangel a déclaré que, depuis le moment où il avait passé le conseil de révision (qui l'avait d'ailleurs reconnu bon pour le service armé), il s'était livré pendant deux jours et trois nuits, tant à Saint-Dié qu'à Epinal, à des libations excessives auxquelles il n'était pas habitué. Il ajouta qu'il avait acheté sans but précis et sans mauvaise intention, le jour de la révision, à son camarade Louis Robert le revolver Hammerless à cinq coups, modèle 1882, calibre. 8 millimètres, avec lequel il avait tué l'abbé Hans, et fait l'acquisition de 25 cartouches à balles dans une quincaillerie de Saint-Dié.
Au moment de son arrestation, Demangel était porteur d'une somme de 131 francs et possesseur d'un livret de caisse d'épargne se montant à 1.229 francs. L'accusé n'a pas d'antécédents judiciaires. Les renseignements fournis sur son compte sont plutôt favorables. A la demande de son défenseur, il a été soumis à un examen mental. Le médecin aliéniste n'a constaté en lui aucun symptôme de maladie mentale. Demangel n'était pas en état de démence au moment de son crime, qui a été déterminé par un sentiment de cupidité qui en lui-même n'est pas pathologique. Le médecin expert estime cependant que les excès alcooliques occasionnels auxquels l'accusé s'était livré depuis le 26 septembre doivent être pris en considération et que sa responsabilité pénale apparaît, dans une certaine mesure, comme atténuée.

L'INTERROGATOIRE
Aux questions qui lui sont posées, l'accusé répondra presque toujours par de laconiques «  oui » ou «  non ».
Après l'interrogatoire d'identité, M. le président retrace la jeunesse de Demangel. Ses parents sont très honorables et jouissent de la considération publique. A sa sortie de l'école, l'accusé travaille d'abord dans une fonderie, puis il est apprenti jardinier. Son patron l'ayant congédié, il prend le métier de son père et travaille avec lui comme polisseur de métaux. Il est d'un caractère taciturne, renfermé.
On en arrive au crime lui-même.
Le 26 septembre 1923, les conscrits de Robache décident de faire une fête de quatre jours à l'occasion du conseil de révision. Demangel se joint à eux. Au cours de l'après-midi, l'un des jeunes gens, nommé Louis, ayant - pour fêter la classe - tiré six coups de revolver dans un talus, Demangel lui demande à acheter son arme. Le marché est conclu au prix de 50 francs, et l'accusé doit prendre livraison du revolver le lendemain, en en payant le prix.
D. - Pourquoi avez-vous acheté un revolver ?
R. - C'était un caprice ; je l'ai acheté comme j'aurais acheté autre chose.
Le lendemain, Demangel va retirer 200 fr, à la caisse d'épargne, et retourne à Robache, où il entre en possession du revolver de Louis, puis à Saint-Dié il achète 25 cartouches et il charge son arme.
A 13 heures, il se rend à la gare où il prend un billet pour Epinal ; dans le même train se trouvent deux de ses camarades.
D. - Pourquoi emportez-vous un revolver ?
R- - Je ne sais pas ; je ne croyais pas faire de mal.
D. - Qu'avez-vous fait à Epinal ?
R. - Je suis allé faire un tour à la foire.
L'accusé ayant manqué le train du retour, à 8 h. 30, erre toute la nuit dans les rues d'Epinal, et, à 4 heures du matin, harassé, la tête lourde, il prend le train pour Saint-Dié. Il est seul dans son compartiment jusqu'à Laveline-devant-Bruyères ; à cette gare monte M. l'abbé Hans qui, venant de Gérardmer, se rend à Saint-Dié. Aucune parole n'est échangée entre les deux voyageurs. L'abbé Hans a place sa sacoche sur la banquette à côté de lui.
D. - A quel moment avez-vous eu la pensée de voler l'abbé Hans ?
R. - Entre Corcieux et Saint-Léonard.
D. - Avez-vous jeté un coup d'oeil sur les autres compartiments du wagon ?
R. - Oui, et j'ai vu un monsieur seul.
Demangel, qui se trouvait à l'autre bout du compartiment, est allé s'asseoir en face de l'abbé Hans, puis, sortant doucement de sa poche gauche son revolver, il en tire un premier coup à bout portant. Atteint à la gorge, l'abbé Hans s'est levé dans un geste de défense pour saisir son agresseur, mais celui-ci passant rapidement son arme dans sa main droite, tire une seconde balle, et alors la victime s'effondre, frappée à mort.
D. - Est-ce exact ?
R. - Oui.
D. - Vous avez alors saisi la sacoche et l'avez jetée par la portière de gauche, puis, quelques instants après vous avez sauté par la portière de droite ?
R. - Oui.
D. - Vous vous êtes enfui à travers la campagne et, un kilomètre plus loin, vous vous êtes arrêté pour recharger votre arme. Pourquoi ?
R. - Pour me suicider.
D. - Non, c'était pour que l'on ne voie pas qu'il manquait des cartouches dans le barillet du revolver. Alors pourquoi ne vous êtes-vous pas suicidé ?
R. - Le courage m'a manqué...
D - Il ne vous a pas manqué pour tuer un prêtre inoffensif.
A 8 heures, alors que l'alarme avait été donnée et que la gendarmerie était en campagne, l'accusé est rencontré près de Sainte-Marguerite par deux gendarmes qui l'arrêtent.
Il nie tout d'abord être l'assassin. Mis en présence du cadavre de sa victime, il continue à nier, puis, se décide à passer aux aveux.
M. le président rappelle ce qu'était l'abbé Hans, curé de Repaix depuis 26 ans, et en fait le plus vif éloge.
D. - Vous aviez de l'argent sur vous et à la caisse d'épargne, pourquoi avez-vous volé l'abbé Hans ?
R. - Je ne sais pas.
D. - Avez-vous autre chose à dire pour votre défense ?
R. - Non.
D. - Eh bien, si. Vous pourriez au moins exprimer des regrets de votre acte abominable... Asseyez-vous.

LES TÉMOINS
M. Aubry, directeur de l'asile de Maréville a eu Demangel en observation. Il donne son opinion sur l'accusé. C'était un rêveur, fuyant la conversation, recherchant la solitude, mais il ne présente aucun signe d'aliénation mentale.
Cependant, l'état de demi-ivresse dans lequel il se trouvait au moment du crime, la dépression consécutive à des absorptions exagérées d'alcool - la g...1e de bois en somme - avaient affaibli sa force de résistance et sont une atténuation à sa responsabilité pénale.
Bref, il suffit à présent d'être en état d'ivresse pour commettre un crime et bénéficier des circonstances atténuantes. C'est une solution un peu simpliste, et le défenseur de Demangel ne manquera pas d'en faire état.
M. le docteur Stoeber, de Saint-Dié, a fait les premières constatations médicales en gare de Saint-Dié, d'abord, puis a procédé à l'autopsie du cadavre. Il fait connaître au jury le résultat de ses observations.
Mervelet Alphonse est un conscrit de Robache. Selon lui, Demangel causait peu ; «  il regardait tout le temps en bas ».
Louis Robert, autre conscrit, raconte dans quelles conditions il a vendu son revolver à Demangel. Le soir du 26 septembre, Demangel était «  un peu retourné ».
C'est chez Antoine Jules, débitant à Robache, que les jeunes gens ont fait leur banquet, Lorsqu'il s'est mis à table, Demangel était déjà «  ému »; après le repas, il était ivre.
Boudot André, conscrit lui-aussi, a vu Demangel sur le quai de la gare de Saint-Dié le 27 septembre, à 13 heures, mais il n'a pas voyagé avec lui. Il l'a revu dans la soirée sur le champ de foire d'Epinal et a rejoint Saint-Dié le soir même, laissant à Epinal son camarade.
Valence Emile, visiteur à la Cie de l'Est a découvert, dans le wagon du train venant d Epinal, le cadavre de l'abbé Hans, et a prévenu le chef de service à la gare.
A la gare de Biffontaine, le poseur auxiliaire Divoux J.-B. est monté dans un compartiment voisin de celui où se trouvait l'abbé Hans. En cours de route, il a entendu deux bruits qu'il a attribués à une portière restée ouverte.
Georges Emile, poseur auxiliaire, même déposition que le précédent.
Benoît Suzanne, 15 ans, de Saulcy-sur-Meurthe, se trouvait à la fenêtre d'une chambre de la maison de ses parents, lorsqu'au passage du train d'Epinal elle a vu jeter par la portière d'un wagon un paquet noir qui est tombé dans le fossé. Dans l'après-midi, elle a indiqué aux gendarmes l'endroit où ce paquet - qui était la sacoche de l'abbé Hans - était tombé.
Jeannette André, facteur convoyeur à Epinal, était de service dans le train. Il a entendu un bruit insolite qui l'a fait regardé à la portière. Il a vu alors un jeune homme dont le signalement correspondait bien à celui de Demangel, sauter par la portière de droite.
Denis François, cultivateur à Saint-Léonard, se trouvait dans le train. II a entendu un coup de feu, puis a vu un jeune homme sauter par la portière, rouler sur le ballast, se relever ensuite et s'enfuir.
Mangeat, cultivateur à Saulcy-sur-Meurthe fauchait un pré non loin de la voie. Il a vu passer près de lui un jeune homme à la figure ensanglantée, qui se sauvait à travers champs. En passant, celui-ci lui a dit : «  Je viens de ramasser une s... bûche », puis a disparu.

AUDIENCE DE L'APRES-MIDI
L'audience, levée à midi, est reprise à 2 heures de l'après-midi, devant un public aussi nombreux que le matin.
L'audition des témoins continue.
On entend tout d'abord le gendarme Petiet, de la brigade de Saint-Dié. Il relate dans quelles circonstances il arrêta, près de Sainte-Marguerite, l'accusé qui se dissimulait derrière une voiture. On trouva sur lui un révolver et une poignée de cartouches.
M. le Président fait présenter au gendarme Petiet un revolver que celui-ci reconnait comme étant celui qu'il prit à l'accusé.
M. le président s'adressant à Demangel lui demande si c'est bien avec ce revolver qu'il tua l'abbé Hans.
- Oui. répond l'accusé.
M. le président félicite le gendarme Petiet pour l'esprit de décision dont il fit preuve et qui amena l'arrestation de l'assassin une heure après le crime.
Le gendarme Henri Ritter, da la brigade de Fraize, trouva près de la voie ferrée la sacoche de l'abbé Hans. Il en détaille l'inventaire devant le jury.
M. Bromer, armurier à Saint-Dié, a examiné le revolver dont se servit l'assassin. Les balles pouvaient traverser un homme de part en part.
M. Dargent, commissaire de police mobile à Nancy, a recueilli des renseignements sur l'abbé Hans, qui fut pendant vingt-six ans curé de Repaix. Il avait refusé des cures plus importantes pour rester avec ses paroissiens qui l'affectionnaient et qui lui firent d'émouvantes funérailles. D'un esprit libéral, il était très charitable.
On passe ensuite à l'audition des témoins à décharge.
M. Gintz Auguste industriel et juge au tribunal de commerce de Saint-Dié, a eu l'accusé comme ouvrier pendant huit mois. Il n'eut qu'à se louer de ses services. Aussi fut-il étonné en apprenant qu'il s'était rendu coupable d'un crime,
Mlle Marie Braun, de Saint-Dié, dit que Demangel a reçu les meilleurs exemples dans sa famille. Le père souffrant, était allé deux fois en pèlerinage à Lourdes. Il avait parfois d'étranges pressentiments que Mlle Braun raconte en détail.
M. le président. - Alors le père avait parfois des visions ?
M. Albert Janot, à la Vigne-Henry, à Saint-Dié, dit que depuis quinze ans la famille Demangel habite chez lui. Il n'a que des éloges à en faire. L'accusé était travailleur mais il paraissait sombre et renfermé.
Mme Lemaire à Saint-Dié, confirme elle aussi les bons renseignements donnés sur la famille Demangel.
Pendant de nombreuses années, le mari étant malade, la mère travailla pour élever les enfants. L'accusé était sobre et poli. Tous les voisin de la famille Demangel furent malades, dit-elle, en apprenant le crime commis par l'accusé.
Mme Parmentier a toujours vu Jules Demangel travailler régulièrement, il était sobre et poli quoique d'un caractère renfermé.
M. Achille Zimmermann, marbrier, a eu, pendant 38 ans, comme ouvrier, le père de l'accusé et Jules Demangel fit également son apprentissage chez lui. C'était un jeune homme rangé et économe, dit-il. Le père, bon ouvrier, avait parfois des idées bizarres et se croyait persécuté par les autres ouvriers. Edouard Baumann, ouvrier polisseur, a travaillé pendant plus de deux ans avec l'accusé. II avait des tics et riait seul parfois. Le père Demangel était maladif. «  Il avait mal aux yeux, mal à la tête, mal partout, dit-il, et il avait des idées noires, mais c'est un brave homme. »
M. Joseph Kullmann, ouvrier polisseur, dit que l'accusé était serviable, poli, toujours prêt à donner un coup de main, mais dans les derniers temps avant le crime il paraissait endormi, taciturne. II ne fréquentait pas beaucoup les jeunes gens de son âge II avait loué un jardin, le cultivait et vendait des légumes pour s'amasser quelques économies Avant d aller au régiment.
Parlant du père Demangel, le témoin dit qu'il avait des idées bizarres.
- Comment se manifestaient ces idées bizarres ? demande M. le président.
- Je crois qu'il avait un peu de folie mystique, répond le témoin.
- Il allait à la messe et il disait ses prières. Est-ce pour cela que vous le soupçonnez d'avoir des idées mystiques ? questionne M. le procureur de la République
Le témoin répond que le père Demangel avait des visions. Il avait fait de graves maladies et il croyait quelquefois apercevoir la Sainte Vierge ou le Christ sur le calvaire. L'audition des témoins est terminée.
Me Dussaux se lève et demande à M. le président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de faire venir à la barre Mme Demangel, mère de l'accusé, qui assiste aux débats du procès.
Sur l'invitation de M. le président, Mme Demangel s'avance, puis se tournant, vers son fils, elle s écrie : «  Je ne sais pas quoi dire. Je ne peux rien lui reprocher... Il était travailleur, sobre... Je ne peux rien lui reprocher... »
Mme Demangel, qui est âgée de 57 ans, donne l'impression d'une brave paysanne, gestes vifs, au parler franc et pittoresque. Elle est proprement vêtue de noir.
Après avoir énuméré les menus services que son fils lui rendait dans les travaux du ménage, elle ajoute: «  Qu'est-ce que je veux dire... Je ne vois pas pourquoi il a fait une chose pareille... Qu'on me condamne aussi.... »
M. le président, - Il n'est pas question de vous condamner. Vous aviez bien élevé votre enfant. Vous lui aviez donné les meilleurs conseils et de bons exemple On ne peut rien vous reprocher. Vous n'êtes pas cause s'il a commis un meurtre.
Mme Demangel regagne ensuite sa place. L'accusé, après avoir manifesté une certain émotion au début de la déposition de sa mère, reprend bientôt une attitude impassible.

LA PARTIE CIVILE
La parole est donnée à Me Saby, du barreau de Saint-Dié, qui représente la partie civile.
«  C'est, dit-il pour collaborer à une œuvre de justice et aider à la recherche de la vérité que les frères de M. l'abbé Hans se sont portés partie civile au procès et demander seulement un franc de dommages-intérêts. »
Me Saby ajoute que c'est sans passion qu'il examinera les circonstances du crime dont il fait un minutieux récit.
Il montre qu'aussi bien avant, pendant, et après le meurtre, Demangel fit preuve d'un sang-froid incroyable, et qu'après son arrestation, au lieu de manifester un profond repentir il prétendit avoir tiré sur l'abbé Hans parce que celui-ci l'aurait insulté et frappé au cours d'une discussion.
Fort heureusement, des dépositions précises permirent de ruiner ce système de défense et Demangel dut faire des aveux complets.
Parlant de l'examen mental sollicité par l'accusé, Me Saby estime que Demangel a suffisamment montré par son attitude après le crime qu'il avait toute sa lucidité d'esprit.
Evoquant la carrière ecclésiastique de l'abbé Hans, Me Saby montre que le curé de Repaix ne vivait que pour ses paroissiens, qui d'ailleurs le vénéraient.
Me Saby termine en disant que si connue que fut l'inépuisable charité de M. Hans, on ne peut pas dire que sa miséricorde se serait étendue à son meurtrier, qui, mis par deux fois en présence de son cadavre, ne manifesta aucun repentir.

RÉQUISITOIRE ET PLAIDOIRIE
Après une courte suspension d'audience, M. Sadoul, procureur de la République, commence son réquisitoire.
Il salue tout d'abord en l'abbé Hans une belle figure de prêtre. Dégagé d'obligations militaires, il voulut cependant servir pendant la guerre et s'engagea. Après l'armistice, alors qu'on lui offrait une cure plus importante, il voulut revenir au milieu de ses paroissiens et leur apporter son concours dans l'oeuvre de reconstruction. Il portait un coeur d'or dans un corps d'athlète. Sa popularité avait gagné les communes environnantes.
L'abbé Hans était, on peut le dire, une personnalité lorraine et il faisait honneur au clergé de son diocèse.
Examinant ensuite la personnalité de l'accusé, M. le procureur de la République reconnaît volontiers que Demangel appartient à une honorable famille. «  Son père, dit-il, cherchait dans les pratiques religieuses exagérées une consolation à ses longues souffrances. »
L'accusé fréquenta un patronage religieux et ne manifestait aucune animosité pour les membres du clergé. Il avait même suivi les prédications d'une mission et il était bien considéré à Saint-Dié, quand la nouvelle de son forfait provoqua l'étonnement de tous ceux qui le connaissaient.
Après avoir retracé le crime et les circonstances qui le précédèrent ou l'accompagnèrent M. Sadoul estime que si Demangel avait fait un peu la fête à l'occasion du conseil de révision, ses excès de boisson n'étaient pas de nature à apporter un trouble bien profond dans ses idées.
Il demande aux jurés de se souvenir que Demangel, lorsqu'il fut mis en présence du cadavre de l'abbé Hans, jura devant Dieu qu'il n'était pas l'assassin. Au lieu de se jeter à ses genoux, d'avouer sa faute et d'exprimer un sincère repentir, il cherchait froidement quelle version il pourrait bien donner pour tenter de se disculper.
Bien que la Chambre des mises en accusation n'ait retenu que l'inculpation de meurtre contre Demangel, M. le procureur de la République n'en croit pas moins que l'accusé prémédita son forfait, au moins pendant un quart d'heure.
Il demanda aux jurés de répondre affirmativement à la question qui leur sera posée au sujet du vol qui a suivi le meurtre.
Discutant les conclusions du docteur Aubry, qui examina l'accusé, M. le procureur de la République rejette toute atténuation de la responsabilité de l'accusé car il a agi en pleine connaissance de cause.
C'est donc une répression impitoyable qu'il requiert. Il conclut en disant : «  En attaquant un paisible voyageur, Demangel s'est classé parmi les plus grands criminels. A vous de décider, Messieurs les jurés, s'il ne doit pas être à jamais éliminé de la société et s'il ne convient pas de lui appliquer la peine de mort. »
Drame effroyable... drame incompréhensible ! s'écrie Me Dussaux, du barreau de Nancy, en commençant sa plaidoirie, et il s'incline respectueusement devant la mémoire de M l'abbé Hans. Il s'étonne que les frères du curé de Repaix, industriels l'un à Gérardmer, l'autre à Verdun, aient cru devoir se porter partie civile, bien inutilement, estime-t-il, car il ne pouvait venir à l'esprit de personne que la mémoire du curé de Repaix aurait pu être discutée au cours de ces débats. Il n'y a que des éloges à en faire et il se serait acquitté de ce qu'il considère comme un devoir si Me Saby et M. le procureur de la République n'avaient déjà pas exalté comme il convenait les belles qualités et les solides vertus de ce prêtre lorrain.
Il croit même que si le curé de Repaix n'avait pas succombé à ses blessures, il eut certainement fait un geste de pardon en voyant le repentir de Demangel.
Examinant les faits de la cause, Me Dussaux se demande pourquoi Demangel eut l'idée de voler l'abbé Hans ?
Il ne manquait pas d'argent. Il avait 131 fr. sur lui. Quelle idée folle a donc pu germer dans sa tête ? II attribue cette idée à l'état de prostration que lui avait causé deux nuits passées sans dormir et des libations nombreuses alors qu'il n'avait pas mangé.
Me Dussaux puise dans l'enquête de police des renseignements qui, espère-t-on, vaudront un peu de pitié à l'accusé.
S'appuyant sur les conclusions du rapport de M. le docteur Aubry, il demande aux jurés d'atténuer leur verdict dans la mesure où la responsabilité de l'accusé a été reconnue atténuée, car il porte une lourde hérédité physique et morale.
Dans une très belle péroraison, Me Dussaux supplie les jurés d'écouter, dans leur salle de délibération, la voix d'outre-tombe de l'abbé Hans et ne pas plonger dans une irrémédiable consternation l'honorable famille de l'accusé, qui a déjà tant souffert du crime inexplicable commis par Jules Demangel.
Après de courtes répliques de l'accusation et de la défense, M. le président demande à l'accusé s'il a quelque chose à ajouter.
- Je regrette sincèrement l'acte que j'ai commis. Je ne sais pas ce que j'avais dans la tête, répond Demangel d'une voix sourde.
A 6 heures 45, le jury se retire dans la salle de délibération.
Il en revient une demi-heure après, avec un verdict affirmatif sur toutes les questions, mais mitigé par les circonstances atténuantes.
En conséquence, la Cour a condamné Jules Demangel aux travaux forcés à perpétuité et à un franc de dommages-intérêts envers la partie civile.
Il resta impassible en entendant la lecture de l'arrêt et sa mère s'efforçait d'arriver jusqu'à lui pour l'embrasser une dernière fois.

 

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