CRIMES ENNEMIS EN FRANCE- LA PERSECUTION RACIALE
Service d'information des crimes de guerre - 1947
L'AGGLOMERATION JUIVE DU CANTON DE LUNEVILLE
Les Israélites sont établis depuis fort longtemps dans la Lorraine de langue française. L'antiquité de leur résidence est attestée à Lunéville par une synagogue construite en 1785 et qui est un véritable chef d'oeuvre de l'art du 18e siècle. Il y a lieu de remarquer que
l'Abbé Grégoire, député du Tiers-Etat de Lunéville aux Etats-Généraux de 1789, a pu connaître. les moeurs et les sentiments des membres de cette communauté. Se basant sur cette expérience, et particulièrement sur la connaissance qu'il possédait de la fidélité de ces Juifs envers la France, il a été amené a proposer à l'Assemblée de leur attribuer la qualité de citoyen français.
D'autres communautés juives sont installées également dans des localités moins importantes de l'arrondissement de Lunéville, particulièrement à
Einville, à Baccarat et à Blamont. D'après les déclarations faites par les représentants de la communauté israélite de Lunéville, le nombre des Juifs dans le ressort de cette communauté s'établissait de la façon suivante au 1er septembre 1939 :
|
Environ |
Lunéville |
350 |
Einville |
10 |
Baccarat |
5 |
Blamont |
32 |
Au 25 juin 1940, environ 130 personnes juives avaient quitté Lunéville et 20
Blamont.
Après l'occupation de la France par les troupes allemandes, la population israélite de Lunéville et de l'arrondissement a subi de constantes fluctuations. Des Juifs d'Alsace-Lorraine sont venus se fixer à Lunéville et certains ont quitté cette localité au fur et a mesure que le danger s'accroissait.
Le nombre total des Juifs déportés se présente de la façon suivante :
Lunéville |
155 |
Einville |
6 |
Baccarat |
5 |
Blamont |
40 |
Autres communes |
36 |
Des habitants israélites de Lunéville ont été arrêtés dans des localités de refuge, à Vichy et à Aigueperse
(Puy-de-Dôme).
Les premières arrestations furent opérées le 19 juillet 1942 par les troupes d'occupation et par la Gestapo. Elles concernaient 19 personnes, toutes de nationalité étrangère, en grande majorité polonaise, hommes et femmes. On ne note pas d'enfants au cours de cette rafle, les deux plus jeunes parmi les personnes arrêtées sont des femmes de 21 ans.
Une deuxième série d'arrestations est opérée le 9 octobre 1942 et concerne 50 personnes. Cette fois, il s'agit également d'étrangers d'origine polonaise et également d'enfants nés en France, à Lunéville et en Moselle. C'est ainsi que dans une famille
Glücklich, dont la grand'mère et le père ont été arrêtés le 19 juillet, les enfants nés en France et
âgés respectivement de 18, 15, 13, 11, 10, 9 et 5 ans sont arrêtés le 9 octobre. La famille Tepfer est déportée : avec le père d'origine polonaise se trouvent cinq enfants nés à Lunéville, âgés de 17, 14, 11, 8 et 5 ans. On note l'arrestation d'une fillette née à Lunéville qui n'a pas atteint 2 ans 1/2.
Le 2 mars 1944 voit la déportation de tous les juifs restant à Lunéville, sauf de quelques malades. On y trouve pêle-mêle des Juifs originaires de Pologne, d'autres originaires de Lunéville et enfin de nombreux réfugiés d'Alsace. Parmi les réfugiés d'Alsace, on note deux vieillards de 86 ans. Des familles entières sont atteintes. Avec M. et Mme
Szymkowitz, le mari né à Sarrebourg et la femme à Baccarat, on arrête, pour les déporter, quatre enfants, tous nés a Sarrebourg,
âgés de 14, 11. 10 et 5 ans. La famille Rosenwald est déportée tout entière, la grand'mère, originaire
d'Odratzheim, âgée de 90 ans, ses enfants nés en Alsace et une petite-fille de 8 ans. Mentionnons encore la famille
Sticki: trois fillettes de 15, 10 et 8 ans sont arrêtées en même temps que leur père et leur mère.
Le 19 mai 1944, seize personnes, malades et infirmes, la plupart nées dans les départements de l'Est de la France, sont emmenées en déportation. La plus âgée a 86 ans et la plus jeune 51 ans. Neuf personnes sur 155 déportées sont revenues a Lunéville.
A Einville, les arrestations ont été opérées en mars 1944. A
Bauzemont, elles ont eu lieu les 6 mars et 18 juillet 1944. A Baccarat, la rafle des cinq Juifs vivant dans la ville date du début de mars 1944, ainsi que celle de Bertrichamps qui fait neuf victimes à la même date. Dans la commune de
Repaix, les réfugiés lorrains de Morhange et de Berthelming sont atteints au nombre de six par des opérations de police du 1er mars 1944; deux réfugiés
d'Insming sont transférés sur Ecrouves et sur Drancy le 13 juillet 1944.
On note encore à Frémonville six arrestations de réfugiés alsaciens en fin février 1944 ; à
Xermaménil, quatre arrestations le 4 mars 1944 de réfugiés de Vandreching (Moselle).
Dans l'importante communauté israélite de Blamont, après une arrestation individuelle le 14 juillet 1942, une rafle du 13 août 1943 conduit a l'incarcération de trente-trois personnes; cinq autres sont victimes des opérations du 13 juillet 1944.
Il y a lieu de noter que le représentant de l'U.G.I.F. de Lunéville, qui aurait du être couvert par sa carte de légitimation, a été arrêté en même temps que tous les Juifs français le 2 mars 1944. La synagogue de Lunéville a été complètement pillée par les troupes d'occupation qui ont fait enlever jusqu'au plancher.
Le soleil ne se lève
plus à l'est
Bernard Bajolet
Ed. Plon, 2018
Dès que j'eus l'âge de
comprendre, ma mère m'avait parlé de sa meilleure amie,
Jacqueline Mantout, raflée le 13 août 1943 à Blâmont, leur
village natal en Lorraine, avec sa sœur Alice et ses parents,
Paul et Marthe. Quarante personnes en tout, parce que juives. Ma
mère, qui arrivait à bicyclette du village voisin où habitaient
ses parents, n'eut que le temps de voir partir les deux autobus.
Les malheureux furent d'abord internés à Écrouves, près de Toul,
d'où Jacqueline écrivit encore quelques lettres à ma mère.
Ensuite, plus rien. On apprendrait plus tard, à la Libération,
que Jacqueline et sa famille avaient été déportées à Auschwitz
le 28 octobre 1943. Elles avaient peut-être été gazées dès leur
arrivée. On ne sait. Jacqueline venait d'avoir 15 ans et sa sœur
18. Elles étaient jolies. Elles avaient toutes les deux de beaux
cheveux châtain clair. La vie avait paru leur sourire. Elles
étaient gaies, comme ma mère et les jeunes filles de leur âge.
Je pense, mais cela fait partie des non-dits, que ma famille
s'en est toujours voulu de ne pas avoir caché les Mantout.
[...]
Rattaché au cabinet du secrétaire d'État, j'étais officiellement
en poste à Luxembourg, où se trouvait le siège du Parlement
européen, et me déplaçais entre cette ville et Strasbourg, où se
tenaient les sessions, Bruxelles, où se réunissaient les
commissions, et, bien sûr, Paris.
J'eus ainsi l'immense privilège de côtoyer Simone Veil, premier
président (elle tenait au masculin) du Parlement élu au suffrage
universel direct. Souvent, je dus tenter d'apaiser sa
frustration : elle avait le sentiment que le président Giscard
d'Estaing, après avoir œuvré pour qu'une Française - et de
quelle envergure ! - fût la première à prendre la présidence
d'une assemblée devenue plus démocratique, s'en était ensuite
désintéressé et ne prenait au sérieux ni le Parlement européen
ni son président. Par la suite, j'eus l'occasion de recevoir
Simone Veil dans plusieurs des pays où j'étais en poste et suis
resté en contact avec elle et avec son mari, Antoine, que
j'appréciais énormément. La famille de ce dernier était
originaire du même village que ma mère, Blâmont, en
Meurthe-et-Moselle. Nos grands-parents et arrière-grands-parents
se connaissaient et étaient amis. Ma famille, catholique, se
rendait parfois à la synagogue à l'invitation des Veil, ou
d'autres familles juives, et celles-ci à l'église pour les
cérémonies de baptême ou de mariage de ma famille.
[...]
Rédaction :
Thierry Meurant |
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