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Cinq pèlerinages dans le Blâmontois (4/5)
Abbé Alphonse Dedenon (1865-1940)
1926

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Les notes de bas de page ont été ici renumérotées et placées en fin de chaque document.

Pour d'autres informations, voir aussi Saint-Martin - Chapelle de Notre-Dame-de-Lorette


NOTRE-DAME DE LORETTE
A SAINT- MARTIN

Origines de la Chapelle

Revenons aux rives de la Vezouze, à Saint-Martin, où l'on pouvait goûter naguère une savoureuse friture, arrosée d'un vin clairet et odorant le soufre. C'est un village ancien, assis en plein soleil dans un cirque de coteaux, large Ier à cheval, planté de vignes. La pente est raide jusqu'à l'église. Dépassons le moutier massif, dont la tour arbore toujours le vieil auvent lorrain et montons par l'âpre chemin du bois Vannequel. Nous voici enfin sur la crête, qui surplombe les anneaux capricieux de la rivière. Une chapelle est là, toute neuve, offrant sa silhouette gracieuse que domine une grande statue de la Vierge : c'est Notre-Dame de Lorette. Pourquoi un pèlerinage en ce lieu écarté ? Quelle raison de lui donner ce titre inattendu ? c'est la question qui se pose, aussitôt que le regard a parcouru le vaste horizon.
L'enquête de l'abbé Guillaume sur les pèlerinages de la Sainte Vierge en Lorraine n'a pas négligé cet humble sanctuaire. Pour expliquer sa fondation, elle rapporte une vieille tradition du pays. Pendant les guerres du XIVe ou du XVe siècle, un général: campé sur cette côte, aurait promis à la Vierge qui est «  terrible comme une armée rangée en bataille» de lui ériger ici-même un autel, s'il l'emportait la victoire (1).
Les traditions locales reposent généralement sur un fond de vérité, dont les contours ont été ensuite amplifiés et embellis. Ici, nous. ferons grâce du général, dont le titre invite à sourire, si on le place au XVe siècle. Nous abandonnerons aussi la grande bataille dont on ne trouve aucune trace dans les annales de l'époque. Nous garderons cependant le fait de guerre que vient confirmer la récente découverte d'ossements humains mêlés à des armes, précisément en cet endroit, Ce détail significatif révèle une sépulture non de pestiférés: comme il s'en trouve ailleurs, mais de combattants inhumés sur place. En bâtissant une chapelle au milieu de leurs tombes, on a voulu, semble-t-il, appeler la protection de la Sainte Vierge sur leur mémoire. C'est dans la même pensée que fut érigée, aux portes de Nancy, la chapelle des Bourguignons, après la fameuse bataille de 1477.
Il faudrait des documents positifs pour déterminer avec certitude la date et les circonstances de cette rencontre sanglante. Or ils sont totalement défaut. Citons néanmoins un fait qui peut répondre aux données du problème. Il nous est fourni par les annales du Blâmontois et plus spécialement par celles de la Seigneurie d'Herbéviller. C'est l'attaque du sire de Courgirons contre cette seigneurie, en juin 1401. On était en pleine guerre de Cent ans, et notre région subissait les mêmes épreuves que la Lorraine et la France. Cet aventurier, parti de Dudelange, près de Thionville, vint ravager le domaine d'Herbèviller. Etait-ce simple brigandage d'un routier se rendant en France, comme tant d'autres, ou plutôt vengeance d'un Messin contre une famille dont l'influence à Metz grandissait chaque jour ? On ne sait. Toujours est-il que l'assaut fut terrible contre les trois maisons fortes, appartenant à la famille seigneuriale d'Herbéviller. Saint-Martin et La Tour souffrirent plus que Lannoy. Des renforts demandés au comte Henry IV de Blâmont furent lents à venir et plusieurs jours se passèrent dans l'angoisse. Enfin la délivrance fut apportée par le valeureux Olry, second fils du comte de Blâmont. Il était à Saint-Mihiel, après avoir pris congé du comte de Bar, quand il apprit, le 14 juin, la détresse d'Herbéviller. Accourir avec ses hommes, franchir la distance en moins de deux jours, disperser les Messins agresseurs par une brusque attaque, ne fut qu'un jeu pour l'intrépide chevalier. Dès lors, rien d'étrange qu'une escarmouche ou même le choc principal n'ait eu lieu sur la côte de Saint-Martin, dans la direction que durent prendre les fuyards (2). Le nombre des victimes importe peu. Il fut suffisant pour que l'on érigeât une chapelle votive en leur mémoire.
On objectera peut-être que le choix du titre de Notre-Dame de Lorette, donné à la chapelle, exige une date plus récente, puisque, d'après de bons auteurs, le culte de la Sancta Casa ne s'est répandu en Lorraine qu'au temps du duc Charles III (3). Nous accorderons volontiers que les pèlerinages à Notre-Dame de Lorette, en Italie, furent surtout en vogue vers 1585, en raison des privilèges dont les papes de ce temps les avaient enrichis. Mais il nous paraît hors de doute que la Madone de Lorette était connue de nos ancêtres bien avant la fin du XVIe siècle, comme le prouve l'usage déjà fréquent, vers 1400, de donner au baptême le gracieux nom de Lorette (4).
Notre opinion d'ailleurs ne prétend pas s'imposer. Quelle que soit l'origine de cette chapelle, il reste qu'échappant à toutes les vicissitudes, le culte de Notre-Dame de Lorette s'est perpétué jusqu'en plein XVIIIe siècle. Dès cette époque, les renseignements sont plus précis, grâce à l'ermitage qui lui fut ajouté.


L'Ermitage de Notre-Dame de Lorette

Nous n'avons aujourd'hui qu'une connaissance incomplète de la vie érémitique assez l'épandue alors et disparue après la Révolution. Dans nos contrées, les ermites suivaient une règle, dite de Saint Jean-Baptiste et de Saint Antoine. Ils se fixaient de préférence à proximité d'un lieu de pèlerinage pour le garder ou pour se rendre utiles aux pèlerins qui s'y rendaient; leur vie austère et édifiante en imposait aux fidèles, qui en parlent encore avec vénération. On cite dans notre contrée : l'ermitage Saint-Thiébaut, entre Foulcrey et Gogney; l'ermitage Saint-Jean, à Blâmont; La Rochotte, à Deneuvre ; Grand-Rupt, près de Gerbéviller; surtout Montfort, à Magnières, qui parait avoir été le berceau de l'institut.
D'après H. Lepage, un seul ermite résidait, vers 1770, à Notre-Dame de Lorette: il était natif de Saint-Martin et se nommait François Chalot. Cette donnée est tout au moins incomplète, car son nom ne se trouve pas dans les anciens papiers de la paroisse. D'autre part, le registre de la Confrérie du Saint-Sacrement, établie en 1740, mentionne les noms de François Dulubinc, frère ermite de Notre-Dame de Lorette, reçu le 15 novembre 1761, et de frère Chrysogone Collas, reçu le 1er juin 1765 (5). On ne sait s'il y en eut d'autres auparavant. L'ermitage, antérieur sans doute à 1760, semble avoir duré jusqu'en 1790 pour le plus grand bien du pèlerinage, Les lois révolutionnaires firent disparaître l'un et l'autre. Les ermites, n'étant pas des religieux, ne furent pas admis au bénéfice de la pension et durent se retirer dans leur famille, On sait les noms des trois ermites de Saint-Jean, de Blâmont, car ils figurent dans les papiers du district ; on ignore ceux des ermites de Saint-Martin ; peut-être, avaient-ils disparu avant la tourmente. Toujours est-il que leur modeste cabane fut détruite avec la chapelle voisine, quand la Convention fit abattre tous les signes religieux, placés hors des églises (1794). Le curé d'alors, François Potier. malheureusement gagné aux idées révolutionnaires, ne songea guère à protéger ces modestes édifices.


Les Pèlerinages récents

Les habitants de Saint-Martin gardent une affection fidèle à Notre-Dame de Lorette. La tourmente passée, ils désirèrent reconstruire la chapelle. Le curé, réconcilié sur place, revint à de meilleures dispositions; chacun promit son concours par corvées et l'oeuvre fut exécutée en 1810. La bénédiction lui fut donnée et le curé mourut le 11 septembre 1811.
L'édifice n'avait rien de remarquable ; ses proportions étaient moindres que celles de la chapelle primitive (6). Son plan était dépourvu d'élégance. Il ressemblait à une logette de vigne, surmontée de la croix, dépassant à peine les pampres verts de son rustique toit rouge.
En 1830, la commune, qui était propriétaire du terrain. consentit à abandonner tous ses droits à la fabrique paroissiale; ainsi les curés furent chargés désormais de la chapelle et du pèlerinage.
Depuis ce temps, que de fidèles se sont acheminés par les sentiers verdoyants vers le sanctuaire aimé ! Jadis. à la veille de la moisson, il en venait volontiers pour demander d'échapper aux douleurs dorsales qu'infligeait le faucillage prolongé. Aujourd'hui personne n'a plus ce souci, mais il en est d'autres et l'on aime toujours à confier ses peines à Celle que notre foi proclame le Secours des Chrétiens. Aux Rogations, la paroisse se rend une fois en procession à la chapelle et y chante la messe de la station. Aux lundis de Pâques et de Pentecôte. les pieux promeneurs viennent assister à un office qui prend. dans un tel cadre, un aspect poétique et grandiose. Mais ce qui donne au sanctuaire sa plus vive animation, ce sont les pèlerinages d'enfants au lendemain de leur première communion. Alors, la vie printanière déroule ses splendeurs par les sentiers fleuris, mêlant robes blanches et buissons blancs, cantiques sacrés et mélodies des oiseaux. Avec quelle allégresse, les âmes enfantines s'offrent à la Vierge, répétant la consécration de la veille, avec moins de recueillement peul-être. mais avec plus d'entrain ! Telle s'épanouissait la piété du pays, sans éclat comme sans prétention, confiante dans la protection séculaire de Notre-Dame de Lorette, quand, en août 1914, se renouvela le fléau de la guerre et de l'invasion.
Pendant les quatre années que durèrent les hostilités, le coteau de Saint-Martin se trouva placé à une faible distance du front qui s'était stabilisé vers le ruisseau d'Albe. Il subit d'effroyables bombardements qui défoncèrent toute sa crête. A en croire les communiqués de l'armée, Notre-Dame de Lorette en Lorraine ressembla plus d'une lois à la colline tragique de Notre-Dame de Lorette en Artois. Sous les ouragans de feu, la frêle chapelle devait fatalement périr comme les arbres, les ceps, les buissons d'alentour. Pourtant les hasards des combats ne furent pour rien dans sa destruction : la malfaisance allemande en est seule responsable. Le 6 ou le 7 février 1915, des sections de troupes bavaroises purent, en une sortie de nuit, parcourir, sans résistance, tout le plateau. Elles jugèrent spirituel, sans doute, pour marquer leur passage, de déposer des cartouches de dynamite aux quatre coins de l'inoffensif édicule et de les enflammer en se retirant ; on devine le reste. Le lendemain des patrouilles françaises constatèrent l'attentat et l'annoncèrent aux habitants de Saint-Martin, réfugiés dans les environs.
La protection de la Madone restait cependant acquise à ce lieu de désolation et la prière de nos héroïques soldats y continuait ses élans de foi et de confiance. Combien de grâces furent obtenues pendant tant d'heures terribles, nul ne le sait. Voici, du moins, un épisode qui vaut d'être raconté: c'est peut-être le plus merveilleux de toute l'histoire de Notre-Dame de Lorette (7).
C'était le soir du 6 avril 1915. Une compagnie du 37e territorial, commandée par le capitaine Ségaux, devait faire la relève et occuper les positions avancées en face du ruisseau d'Albe. Les cent vingt hommes de la compagnie, divisés en quatre sections, traversèrent Saint-Martin en bon ordre, avant de gravir la côte. La nuit arrivait ; un incendie dévorait une maison du village. Le défilé devant le foyer ardent produisit sans doute des ombres que l'ennemi put observer de loin. Aussitôt l'artillerie allemande, avertie du mouvement. reçut l'ordre de concentrer son tir sur la côte 311. «  Je passais devant ce qui restait de la chapelle, déclara le capitaine, et je finissais une courte prière que je faisais volontiers en cet endroit, en me rappelant mon frère, vicaire à Notre-Darne de Lorette à Paris, quand s'abattit soudain une grêle d'obus sur tout le plateau. Il en venait de Verdenal, du château Sainte-Marie, de la côte d'Igney, de Leintrey, du Remabois. Je criai de toutes mes forces à mes bommes : «  Tous à terre ! » et j'attendis. Une rafale suivait une autre rafale. La canonnade dura une demi-heure, déversant sur' nous plus de 3.000 obus de tous calibres. L'obscurité était si complète que je n'apercevais rien autour de moi. J'étais indemne, mais dans quel état allais-je trouver mes hommes ? Quand le feu cessa, un lieutenant m'appela et me dit: «  Cela ne va pas mal, je n'ai point de «  blessés. » D'autres sergents s'approchèrent, en disant: «  Nous l'avons échappé belle, il n'y a pas de casse. » L'appel fit retrouver les quatre sections au complet. Depuis lors, ajoutait le «  capitaine, je ne puis taire ma reconnaissance envers Notre-Dame de Lorette et, s'il m'arrive de rencontrer quelqu'un de mes poilus présents à cette affaire, je lui rappelle cette heure tragique et lui de répondre : «  Ah ! mon capitaine, je ne sais pas comment nous n'y sommes pas tous restés. » - Mais, parbleu ! c'est grâce à Notre-Dame de Lorette. »
Depuis six ans, le cauchemar s'est dissipé et dans ces régions dévastées règne une activité fiévreuse pour relever toutes les ruines. Le sanctuaire a-t-il trouvé place dans l'oeuvre de restauration ? Oui, certes; on pourrait même croire que son martyre lui fut un bien, à le voir reconstruit d'une façon si coquette et si riche. Ce fut le voeu de la paroisse et de toute la région que le plan en fût embelli et les proportions agrandies. On savait que les indemnités accordées seraient insuffisantes, mais, comme il y a cent ans, on promit d'y suppléer par corvées et par dons. Le monument de style gothique mesure 6 mètres de long, 3 m 20 de large et 6 mètres de hauteur. L'entrée porte, en guise de tour, une gracieuse image de Marie Immaculée, taillée dans la pierre par M. Huel, l'habile sculpteur de Nancy. M. le curé Huel et M. l'architecte Nicolas dirigèrent les travaux; les habitants transportèrent gracieusement tous les matériaux. L'autel en pierre, qui orne l'intérieur, fut payé par une souscription de la paroisse et des alentours. Le 14 juillet 1925 eut lieu la bénédiction. M. le chanoine Barbier, curé-doyen de Blâmont, récita les prières liturgiques et la messe Iut célébrée devant une assistance nombreuse et recueillie. M. le curé Huel exprima sa joie de rendre à la Sainte Vierge un sanctuaire à une place où elle était honorée depuis des siècles, et son espoir qu'Elle y continuerait sa protection maternelle.
Voilà donc la chaine renouée et les pratiques traditionnelles vivantes comme dans le passé.
Certes, la petite chapelle de Saint-Martin ne vaut pas la basilique de Lorette. comme ses buissons ne valent pas les lauriers de Récanati, comme notre ciel brumeux ne vaut pas le beau ciel d'Italie. Mais, dans ce doux sanctuaire, il y a la même dévotion à la Vierge, les mêmes enseignements pour la vie de famille, les mêmes consolations pour la pauvreté et le travail, les mêmes espérances d'une vie meilleure. Parents et enfants, laboureurs et artisans, n'hésiteront pas à suivre les pas de leurs aïeux et à gravir la colline ardue pour confier à Notre-Dame de Lorette leurs ferventes supplications et leurs hommages reconnaissants.

(à suivre)


(1) Voir: GUILLAUME, t. Il, p. 122.
(2) Voir pour ce fait: SERVAIS, Annales du duché de Bar, t. II.
(3) Voir: Semaine Religieuse de Nancy 1921, p. 259.
(4) On peut citer à Blâmont Lorette de la Chambre, épouse de Jean Fontoy dont la vie s'est écoulée entre 1390 et 1440 : Lorette d'Herbéviller, née vers 1400, épouse de Geoffroy d'Esch, fille de Jean III, le plus distingué de sa famille, qui remplit auprès des comtes de Blâmont un rôle particulièrement méritoire et qui pourrait passer pour l'auteur de la chapelle de Saint-Martin, si elle devait être attribuée à ce temps.
(5) Ce renseignement nous a été gracieusement donné par M, l'abbé Huel, curé de Saint-Martin.
(6) Voir: II. LEPAGE : Statistique de la Meurthe, p. 512.
(7) Le journal «  La Croix » l'a rapporté quelque temps après l'événement et il nous a été redit avec une émotion intense par le héros du drame.



Journal La Croix du 1er mai 1915 :

 

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