Chan. A. DEDENON
Cinq pèlerinages dans le Blâmontois
Notre-Dame de la Bonne-Fontaine, à Domjevin
Notre-Dame de Bon-Succès, à Fricourt
Notre-Dame des Ermites, à Avricourt
Notre-Dame de Lorette, à Saint-Martin
Notre-Dame de la Délivrance, à la Grande-Haye
Monstra te esse malrem.
NANCY
ANCIENNE IMPRIMERIE VAGNER
3, Rue du Manège, 3
1926
NIHIL OBSTAT
Nanceii, die 25 martii 1926.
E. MARTN, can. tit.
censor deputatus.
PERMIS D'IMPRIMER
Nancy, le 25 mars 1926.
L. JÉRÔME
Vic. gen.
Lettre de M le Vicaire général JÉROME
CHER MONSIEUR L'AUMONIER,
J'ai lu avec un très pieux intérêt les pages que vous consacrez
au culte de la Sainte Vierge dans ce pays de Blâmont qui vous
est cher. A faire revivre l'histoire de ces pèlerinages de
Notre-Dame, - à la Bonne Fontaine de Domjevin, à Avricourt, à
Saint-Martin, à Fricourt, à la Grande-Haye de Nonhigny, - vous
avez mis toute votre piété, toute cotre dévotion à Marie, comme
aussi tout votre amour pour cette petite patrie du Blâmontois,
au charme reposant, dont nous savons que vous vous faites une
joie, en toute occasion, de recueillir les vénérables souvenirs.
Je suis heureux de vous en exprimer ma très vive satisfaction,
et, bien volontiers, au Permis d'imprimer que vous sollicitez je
joins mes félicitations et mes remerciements. Avec vous je forme
le voeu - je suis sûr qu'il. sera exaucé - que ces pages doctes
et pieuses fassent mieux connaître ces pèlerinages, sanctuaires
modestes, mais très vénérés et très aimés, où l'Auguste Mère de
Dieu a reçu pendant de longs siècles l'hommage de nos pères, où
elle se plaît toujours à répandre les bienfaits de sa puissance
miséricordieuse sur les pèlerins qui viennent l'invoquer avec
confiance.
Je vous prie d'agréer; cher Monsieur le Chanoine, l'expression
de mes sentiments religieusement dévoués.
L. JÉROME,
Vicaire général de Nancy.
Nancy, le 25 mars 1926, fête de l'Annonciation de la Très Sainte
vierge.
AVANT-PROPOS
A certains jours de l'année, comme les lundis de Pâques et de
Pentecôte, nombreux sont les pèlerins qui se rendent vers
d'humbles sanctuaires, érigés en. pleine campagne par la piété
des aïeux. Cette touchante coutume est en grand honneur dans le
Blâmontois, Dans un espace restreint, on y peut compter cinq
lieux de pèlerinage, tous consacrés à la Sainte Vierge, tous
entourés de la vénération populaire. Ce sont : Notre-Dame de la
Bonne-Fontaine, à Domjevin; Notre-Dame de Bon-Succès, à Fricourt,
près de Remoncourt; Notre-Dame des Ermites, à Avricourt ;
Notre-Dame-de-Lorette, à Saint-Martin ; Notre Darne de la
Délivrance, à la Grande-Haye, près de Nonhigny. Si l'on étendait
quelque peu la zone du Blâmontois, on pourrait y ajouter :
Notre-Dame Consolatrice des Affligés, l'antique Madone du
Cloître de Saint-Sauveur et Notre-Dame Immaculée, vénérée dans
l'église de Neuviller, la première du diocèse qui fut placée
sous ce vocable, après la définition du dogme en 1854.
Certes, nos âmes vibrent toujours au nom de la Mère de Dieu :
c'est le résultat heureux d'une éducation chrétienne et de nos
traditions lorraines. Cependant on peut s'étonner que tant
d'empressement mène encore les foules vers de pauvres chapelles,
alors que l'église paroissiale contient des autels mieux ornés
et plus à la portée des fidèles. Quel charme religieux attire
vers les sanctuaires que nous avons nommés, une affluence si
fidèle et des prières si confiantes ? Rien ne l'explique mieux
que la connaissance des origines et des phases diverses de ces
lieux de pèlerinage. Cette question nous a paru intéressante à
étudier. Dégager cette histoire du passé, la présenter avec
ordre et clarté, tel est le but des notices qui suivent.
Déjà plusieurs publications ont abordé ce sujet : le lecteur en
retrouvera ici toutes les données, combinées avec les
renseignements fournis par les annales du pays.
Les pèlerinages locaux que nous décrivons, sont loin de valoir
en importance les grandioses manifestations de Lourdes ou les
solennités de Notre-Dame de Sion. Ils ont pourtant leur
physionomie particulière et leur rôle bienfaisant. Nous leur
garderons leur place modeste, en reconnaissant leurs avantages
propres, celui entr'autres d'être plus accessibles et de pouvoir
être renouvelés plus souvent.
Du reste, la piété, qui s'y donne rendez-vous, est-elle donc si
négligeable? Elle est l'écho lointain de la dévotion des moines
pour la Sainte Vierge, surtout des moines de Senones, grands
bienfaiteurs de ces régions. Elle est une tradition séculaire
que les générations se sont transmise religieusement et. qu'il
serait dommage de laisser péricliter. Elle est une expression
touchante de la foi et de la piété populaire. Elle est enfin une
de ces gracieuses manifestations du culte de la Sainte Vierge,
dans lesquelles l'Eglise, en prévenant toute superstition,
laisse à ses enfants une liberté plus expansive et une
simplicité plus familière.
Cette matière, nous le savons, est avant tout d'ordre religieux.
Aussi, nous empressons-nous de déclarer à l'avance notre ferme
intention d'accepter les jugements que l'autorité religieuse
pourrait prononcer à ce sujet. Nous protestons encore que, dans
l'exposé des faits touchant au surnaturel, nos expressions et
nos appréciations n'ont d'autre sens que celui qu'autorisent ses
décisions.
Puissent ces humbles pages trouver auprès des lecteurs un
accueil bienveillant ! Puissent-elles faire connaître et aimer
davantage nos pèlerinages locaux et rendre encore plus vive au
coeur de nos compatriotes la confiance filiale envers la
Vierge-Marie !
NOTRE-DAME DE LA BONNE-FONTAINE
A DOMJEVIN
Lointaines Origines
Dans un léger repli de la campagne monotone, à distance à peu
près égale de Domjevin, de Manonviller et de Vého, se trouve la
Bonne-Fontaine. Grâce à cet isolement, on n'y déplore jamais
l'encombrement des touristes. Il faut être tout près pour
apercevoir la jolie chapelle gothique qu'on a construite dans le
vallon humide. Des buissons touffus l'entourent; de grands
arbres, peupliers et tilleuls, l'ombragent. Par devant se trouve
la source, naturelle en cet endroit, qui alimente un bassin
propret, recouvert d'une grille. L'eau coule abondante, limpide,
silencieuse et va grossir un ruisselet tout proche, qui répond
au nom de Chazal: c'est toute la Bonne-Fontaine.
Mais, depuis longtemps, cette eau est réputée bienfaisante, non
pas qu'on lui attribue une vertu spéciale, tenant à ses
propriétés naturelles, mais parce que, mystérieux auxiliaire de
la Providence, elle a valu, en maintes circonstances, des grâces
ou des faveurs divines à ceux qui en usaient, après avoir prié
de tout leur coeur.
Ce nom de Bonne- Fontaine n'a prévalu que depuis un demi-siècle.
Auparavant et depuis longtemps, on appelait ce lieu: Notre-Dame
sous la Croix; c'est même le titre officiel, donné à la
chapelle, lors de sa bénédiction, le 28 octobre 1851. D'où
provenait ce premier vocable, assurément peu commun ?
Dans sa brochure (1), M. l'abbé Meyer, le regretté curé de Domjevin, suppose que ce titre a été donné en souvenir du nom
ancien de la paroisse, dite: Village sous la Croix. et non en
mémoire de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Cette opinion nous
paraît douteuse, car aucun des documents qui ont passé sous nos
yeux ne mentionne cette appellation. Il nous semble, au
contraire, plus probable de penser qu'au lieu indiqué fut
honorée une Vierge de Pitié, adossée au pied de la croix. La
description en est facile et nous est suggérée par des images
semblables, que l'on voit encore au carrefour des routes,
surtout dans la région de Neufchâteau. Sur un socle assez large,
la croix dresse son fût élancé; au bas, la Mère de Dieu est
assise, tenant sur ses genoux le divin Crucifié qu'elle
contemple avec douleur : c'est bien la
Vierge sous la Croix (2). Pour qu'on s'étonne moins de voir un
monument pareil à Domjevin, peut-être est-il bon de rappeler que
les cures de Domjevin et Manonviller, paroisses soeurs, furent
des filiales du Prieuré du Chesnois (3), situé autrefois non
loin de la gare actuelle d'Emberménil, et qu'elles furent
desservies jusqu'à la Révolution par des chanoines réguliers,
envoyés par l'abbaye de Chaumousey.
A supposer qu'un nom aussi caractéristique ne soit pas une
présomption suffisante, pour admettre la présence d'une Pieta à
la Bonne-Fontaine, nous ferons valoir une autre raison tirée de
la tradition locale. Celle-ci affirme, en effet. que le culte de
la Sainte Vierge, en cet endroit, est d'une ancienneté
immémoriale, sans préciser, il est vrai, sous quelle forme. Nous
invoquons ici le témoignage de l'abbé Guillaume qui a fait, vers
1860, une enquête sur les petits pèlerinages locaux usités en
Lorraine et qui a consigné les renseignements obtenus dans un
livre intitulé : Le Culte de la Sainte Vierge en
Lorraine. Ses données valent au moins comme indices des
traditions ayant cours de son temps. Or, reproduisant les
déclarations de M. Mengin, enfant du lieu et curé de Blâmont
(1834-1868), il nous dit: « La dévotion à Notre-Dame sous la
Croix perd son origine dans les ombres du passé. Les
générations, en se succédant, se sont transmis un profond
respect pour ce lieu sanctifié et une confiance sans limite en
la vertu des eaux de la Bonne-Fontaine. Du reste, d'innombrables
guérisons de toutes sortes d'infirmités entretenaient, comme
elles entretiennent encore aujourd'hui, ce respect religieux et
cette filiale confiance. Le pèlerinage à Notre-Dame sous la
Croix a été dès longtemps recommandé aux personnes affligées
(4). »
Comment l'image de la Vierge douloureuse a-t-elle été jadis
associée à cette fontaine ? Si l'absence de documents nous prive
de réponse précise à ce sujet, qu'il nous soit permis de faire
deux rapprochements qui ont leur intérêt. D'abord, Domjevin eut
à essuyer tous les malheurs communs à la Lorraine. De plus, en
1308, il subit un véritable désastre, que lui infligea une
incursion messine; au dire des chroniques, « tout y périt,
bestes, mobles, bleif et vin » (5). Un hameau répondant au
nom de Frisonviller, situé sur le ban de Domjevin fut anéanti,
au point qu'il n'en reste même plus trace dans les désignations
du cadastre (6). Qui sait si le choix de l'Image douloureuse n'a
pas son explication dans cet événement ? Ne serait-ce pas sous
l'instigation du clergé local que prirent vogue les pratiques
populaires qui s'adressaient à la Vierge sous la Croix ? Quand
éclata la Révolution, un courant existait, de l'aveu de
l'autorité religieuse, mettant en faveur auprès des fidèles
l'image sacrée de la Vierge et la source voisine, considérée
déjà comme privilégiée.
L'Ere des Prodiges
Chose singulière, ce furent les temps troublés de la Révolution,
qui donnèrent le plus de relief au culte de Notre-Dame sous la
Croix et lui valurent un prestige plus éclatant. Ce mot de
prodiges, dont nous nous servons, doit être pris dans son sens
le plus large. Avant d'entrer dans les détails, déclarons
simplement que nous nous bornerons à rapporter les rumeurs qui
ont eu cours, sans vouloir les accréditer, puisqu'aucune enquête
autorisée n'en a contrôlé la valeur. Nous élaguerons même les
points que l'imagination a pu inventer. Nous reconnaîtrons enfin
que, même ainsi réduits, les récits, dont nous nous faisons
l'écho, ont subi la contradiction et restent encore vivaces
après plus d'un siècle.
Donc, au temps de la Révolution, Domjevin et Manonviller,
rattachés au district de Lunéville, furent soumis à
l'application des lois contre le culte catholique. Les deux
curés, Poincarré à Domjevin (depuis 1780), et Fischer à
Manonviller (depuis 1785), prêtèrent tous les serments et
restèrent sur place, sans être inquiétés. Après la Toussaint de
1793, les églises furent fermées et, dans l'été suivant, les
signes religieux, placés au dehors des églises, renversés et
brisés. On peut croire que la Vierge de la Bonne-Fontaine eut le
même sort. L'odieuse tyrannie fut arrêtée cependant par un
réveil religieux que l'histoire a nommé réaction thermidorienne
et qui fut assez sensible dans la région blâmontoise (7). Les
faits que nous
allons relater, semblent se rapporter à ce mouvement et doivent
être placés dans les années 1796 ou 1797. Le thème général en
est que la Sainte Vierge fit sentir plusieurs fois sa présence,
près de la Bonne-Fontaine, promit des grâces à ceux qui
useraient de son eau et demanda l'érection d'une chapelle pour
qu'on y vint prier. Quant aux circonstances, les deux paroisses,
Domjevin et Manonviller, ont chacune leur version, qui trahit
visiblement le désir d'y jouer le rôle prépondérant.
Manonviller (8) est en tête, en revendiquant pour ses habitants
deux apparitions dans la même année. La première est fixée au
jour de l'Assomption. Les époux Michel, de la rue Haute, braves
chrétiens déjà âges, s'occupaient, près de la Bonne-Fontaine, de
leurs avoines, compromises par les pluies; ils songeaient à la
tristesse de ce jour sans offices religieux et priaient. Soudain
ils furent saisis d'un indicible sentiment que la Sainte Vierge
était là, qu'elle leur conseillait d'aller à la fontaine et
demandait l'érection d'une chapelle. Quand ils s'expliquèrent,
leurs voisins se moquèrent d'eux, mais ils gardèrent leur
conviction intime. Peu après, le fils d'un sabotier du lieu
s'étant blessé à la jambe, en arrachant
des pommes de terre, vit son mal empirer au point qu'on craignit
pour sa vie. La Micholette s'enhardit à lui proposer de recourir
à la Bonne-Fontaine, mais le malade et ses parents opposèrent un
refus formel. Devant l'imminence du péril, ils finirent
cependant par céder et on appliqua sur le mal une compresse
imbibée de l'eau de la Bonne-Fontaine. Le lendemain: tout danger
avait disparu et la guérison rapide déconcerta toutes les
prévisions ; les rires furent désarmés. La deuxième
manifestation eut lieu après la Noël. Le berger, nommé Divoux,
faillit périr au lieu dit: Les Pâtis, près de la Bonne-Fontaine.
Il s' était enlisé, le soir venu, dans la boue et la neige et
craignait la mort. quand il implora l'assistance de la Sainte
Vierge. Comme les Michol, il eut l'impression qu'elle venait à
son secours et lui répétait ses instructions relativement à la
fontaine et à la chapelle. Il put regagner sa demeure,
reconnaissant, mais impuissant à convaincre ses concitoyens. Tel
est le résumé des récits, transmis jusqu'à ce jour.
Domjevin allègue d'autres raits qui semblent postérieurs. L'abbé
Mengin, qui les relate dans le livre de l'abbé Guillaume: semble
un témoin très sérieux, presque contemporain des événements et
renseigné par les nombreux membres de sa famille. « De 1789 à
1802, dit-il, la croyance à diverses apparitions de la Mère de
Dieu, à l'endroit où s'élève aujourd'hui le sanctuaire de
Domjevin, accrut d'une manière prodigieuse la dévotion à la
Vierge sous la Croix et multiplia les processions et
pèlerinages, malgré les efforts de l'impiété alors triomphante.
Les récits circonstanciés de ces apparitions d'une belle Dame
blanche à des âmes innocentes faisaient sur ma jeune
intelligence la plus vive impression. De ces personnes
privilégiées, j'en ai connu cinq ou six ». D'autres prodiges du
même genre sont attribués à l'année 1803. Cependant on ne peut
que regretter l'absence de tout contrôle sérieux. Leur nombre
finit pal' inquiéter et, plus encore l' étrangeté de ces
statuettes merveilleuses aperçues dans l'eau avec ou sans
flambeau, telles que les décrit un narrateur dont la bonne roi
est hors de doute.
On comprend l'effervescence causée par de telles rumeurs et par
les commentaires qu'elles suscitaient. Plus les esprits forts
ricanaient, plus les partisans de la Vierge accentuaient leur
attachement : la clientèle de la Bonne-Fontaine allait plutôt en
augmentant. C'est pourquoi les autorités civiles s'émurent de
ces manifestations et essayèrent de les réprimer. Des patriotes
furent envoyés plusieurs fois de Lunéville à Domjevin avec
mission d'enrayer les progrès de la superstition. Une fois même,
25 carabiniers furent détachés pour y tenir garnison. « Mais un
tel appareil guerrier, lisons-nous dans le récit de l'abbé
Guillaume (9), ne pouvait arrêter les
pèlerins. Comment, avec quelque apparence de raison, gourmander
de pauvres gens paisibles, désarmés, venus pour boire l'eau
d'une fontaine et, tout au plus, en emporter quelques gouttes
dans leurs maisons ? Un ministre, instruit de ce qui se passait
à Domjevin, résolut d'y mettre bon ordre par un moyen efficace.
Il prescrivit à l'administration civile d'enjoindre au maire de
Domjevin de remplir de matières fort inciviles le bassin de la
fontaine, afin d'inspirer désormais aux visiteurs obstinés le
dégoût et le mépris. Le père de l'abbé Mengin ceignait alors
l'écharpe municipale. Cet homme honorable couvrit de planches,
chargées de fumier, le bassin de la fontaine et sut, de la
sorte, la soustraire aux profanations. »
La critique historique est maintenant très sévère; il lui est
permis de passer au crible toutes ces rumeurs. Elle en gardera,
sans doute, assez pour nous permettre de voir dans tous ces
faits, d'abord un signe des temps, puis un sourire du Ciel après
la tourmente et un encouragement de la Vierge Marie à reprendre
les pratiques chrétiennes.
La Chapelle
La construction d'une chapelle se fit longtemps attendre. Les
débuts du XIXe siècle, avec les guerres de l'Empire, imposaient
d'autres soucis. Le curé Poincarré, réconcilié sur place,
n'était pas homme à l'entreprendre; démissionnaire en 1805, il
alla mourir à Lunéville en 1808. Son successeur à Domjevin,
Nicolas Forcombat, enfant du lieu, remplit une belle tâche, en
remettant sur pied la paroisse, en ramenant ses ouailles aux
offices, en organisant une congrégation de la Sainte Vierge qui
eut grand renom. Quand la mort le frappa (1836), les pèlerinages
étaient toujours fréquentés, mais la chapelle toujours à venir.
Cependant on la souhaitait. On dit même qu'un berger de ce
temps, assurément fort pieux, déclara un jour, tant il était
impatient, que si on tardait à l'entreprendre, il ferait
lui-même un édifice en planches (10). Une guérison qui fit grand
bruit vers 1850 semble avoir été plus efficace et mit fin à l'irrésolution. On peut y ajouter foi et l'accepter telle
qu'elle est racontée par Jean Manonviller (11).
Un riche bourgeois de Lunéville, dont le nom n'est pas cité par
discrétion, fut atteint à la jambe d'un mal implacable, rebelle
à tous les soins et qui empirait, malgré les meilleurs
traitements. On connaissait bien à Manonviller ce chasseur
intrépide qui, dans ses randonnées, s'arrêtait parfois à
l'auberge et ne craignait pas d'effaroucher les villageois par
ses propos
d'incroyant. Or, les médecins ayant avoué leur impuissance, sa
famille lui conseilla de recourir à la Bonne-Fontaine. Son
premier mouvement fut un refus, puis, vaincu par la douleur, il
demanda d'être porté à la source. A peine eut-il lavé le membre
malade qu'il s'écria: « Je suis guéri ». Trois jours après, il
put marcher; toute la contrée le sut.
La population de Domjevin ne tarda pas à prendre la décision
qu'elle reculait depuis si longtemps. S'il faut en croire le
poème naïf, mais sincère, que composa l'abbé Mengin à cette
occasion (12), tous se mirent à l'oeuvre sous la direction du bon
curé Claude (1841-1879), les laboureurs charriant les matériaux,
les autres prêtant leurs bras. Ce que l'abbé Mengin ne dit pas,
c'est que lui-même fut le principal instigateur. Il était alors
au plus beau temps de son ministère, et il travaillait à édifier
la belle église que nous admirons à Blâmont. L'architecte
Vautrin lui dessina pour la Bonne-Fontaine le plan d'une
coquette chapelle, au mois de mai et, pour l'automne, tout était
fini. L'inauguration eut lieu le 28 octobre 1851. Le Journal
l'Esperance (31 octobre) relate en termes enthousiastes cette
cérémonie : « Par le temps le plus magnifique et le plus
inespéré, M. Delalle, vicaire général, a fait la bénédiction de
la chapelle sous le vocable de Notre-Dame sous la Croix. Qu'il était
beau de voir le monde accouru de toutes les paroisses
environnantes et même de localités assez éloignées ! Il y avait
environ 4.000 personnes groupées autour de la chapelle ».
Le bourgeois de Lunéville dont nous avons raconté la guérison se
hâta d'apporter ses béquilles en ex-voto. Il fit mieux, il donna
une statuette de la Sainte Vierge pour être placée dans la niche
qui domine l'autel. Il était fier de la montrer, écrit, Jean
Manonviller, et quand il gravissait la grande rue de notre
village, il disait à qui voulait l'entendre: « Voyez. j'ai fait
mettre au bas: Elle m'exauça ». Peu après, la statue fut
arrachée et mise en pièces. Un fou, parait-il, pénétra dans
l'édifice isolé, s'acharna contre l'image sainte, emporta les
béquilles et les rares objets qu'il trouva et fit du tout un
brasier.
En apprenant cet accident, l'excellent M. Régnier, juge de paix
de Blâmont, qui plus tard devint prêtre et prélat de la maison
du Pape, s'empressa d'offrir à son ami, le curé Mengin, de quoi
réparer le malheur et fit expédier à Domjevin la statue qui orne
encore la chapelle de la Bonne-Fontaine. Elle est de grande
dimension et reproduit l'image de Notre-Dame des Victoires à
Paris. La population de Domjevin l'intronisa en grande
solennité; les jeunes filles la portèrent depuis l'église
jusqu'à la chapelle et reçurent en souvenir une image gravée à
cet effet (1856).
Comme pour répondre aux avances de la terre, le ciel se plut à
accorder une nouvelle guérison, l'année même de l'inauguration
de la chapelle. Ce fut une personne de Blâmont qui en bénéficia.
Louise-Elisabeth Piant, atteinte d'un mal incurable au bras,
était soignée en vain par divers médecins à l'hôpital de
Blâmont, quand elle recouvra soudain la guérison et l'usage du
membre malade en le plongeant dans la Bonne-Fontaine de Domjevin.
Une enquête fut faite par les abbés Mengin et Marsal bien
connus; les témoignages des Soeurs sont irrécusables; les
certificats des médecins sont évasifs. On ne conclut pas au
miracle proprement dit; toutefois on ne peut nier une guérison
tout à l'ait extraordinaire et qui fut durable. Un procès-verbal
de ce fait est aux archives de l'Evêché.
Naguère, en une clinique de Nancy, une jeune fille qui avait
trouvé à Lourdes une guérison peu commune, était examinée par un
professeur célèbre. Son état avait été constaté avant son
départ, puis, après son retour. Or, devant ses élèves attentifs,
le praticien ne put s'empêcher de dire : « Mademoiselle, je vous
félicite, Vous pouvez vous vanter d'avoir été touchée par la
Sainte Vierge ». Acceptons le mot, sans prononcer celui de
miracle. Combien de solliciteurs, accourus à la Bonne-Fontaine,
furent ainsi touchés ! combien de désirs ont été exaucés ! Sans
doute toutes les demandes, ayant en vue des biens temporels,
n'ont pas été accordées, comme on le souhaitait. Toutefois les
suppliants ont obtenu des grâces spirituelles plus précieuses et
ont trouvé la force de supporter courageusement l'épreuve et de
mener une vie plus chrétienne et plus sainte.
Pèlerinages marquants
Depuis l'inauguration de la chapelle, le courant des pèlerinages
ne s'est pas interrompu. C'est aux lundis de Pâques et de
Pentecôte que l'affluence est la plus forte. Domjevin et
Manonviller s'associent à ces fêtes. Une messe solennelle est
célébrée en plein air et les pèlerins l'entendent avec piété. On
a regretté plusieurs fois les distractions bruyantes, qui
donnaient à ces Rapports (13) un aspect de fête foraine, mais le
zèle des curés a su écarter ce désordre.
En dehors de ces jours, les visiteurs sont plus rares; il en
vient toutefois en toute saison. Ils débouchent par les
sentiers, l'âme absorbée par le secret de leur démarche et
récitant un chapelet sur chaque ban qu'ils traversent. Dans la
chapelle toujours ouverte, ils s'agenouillent, accomplissent les
dévotions promises et vont à la source puiser de l'eau vive,
pour en boire et en remporter.
Les Ephémérides du pèlerinage contiennent peu de faits
saillants. La guerre de 1870 attira beaucoup de monde à la
Bonne-Fontaine, surtout aux environs de l'Assomption. L'invasion
était à ses débuts; les familles étaient en proie aux plus
grandes angoisses et beaucoup déjà étaient en deuil. La chapelle
n'eut rien à souffrir, mais, par prudence. on avait transporté
la statue à l'église de Domjevin ; on la remit après la
conclusion de la paix. Pendant nombre d'années, les pèlerinages
furent assez ternes ; aux jours les plus fréquentés, on ne
comptait que 150 ou 200 personnes, venues plutôt pour une
promenade de plaisir. Avec zèle, les curés firent peu à peu
prévaloir la piété, de sorte que, vers 1900, le pèlerinage avait
retrouvé sa splendeur et son cachet. Le chiffre de mille
pèlerins fut plusieurs fois dépassé; l'affluence et
l'édification progressaient en même temps.
A l'époque fâcheuse de la Séparation, il faut signaler un
attentat révoltant contre la paisible chapelle. En raison de son
isolement, il était facile d'escompter l'impunité. On ne sut
jamais à la suite de quelles excitations ni par quelles mains ce
sacrilège fut accompli. Aux premiers jours de juin 1908, on
trouva le crucifix de l'autel suspendu par moquerie aux branches
d'un arbre voisin; le 4, d'ignobles ordures souillèrent la
statue; le 2 août enfin, c'était un pillage complet de l'édifice
odieusement sali. L'indignation fut à son comble, quand se
répandit la nouvelle. Une cérémonie de réparation fut décidée
pour le dimanche 16 août. à 3 heures. L'annonce en fut faite
seulement. dans quelques églises. Cependant : 1500 personnes
accoururent pour protester et prier. « Pendant une heure, relate
la Semaine Religieuse du 22 août, un souffle du Ciel passa sur
cette foule et on eut comme une vision de Lourdes. En voyant
l'indifférence des uns, l'hostilité des autres, nous, prêtres,
nous sommes tentés de nous dire que la foi est morte dans les
coeurs et que nos efforts sont stériles. Cette démonstration est
un encouragement; elle nous montre qu'au fond des âmes les plus
indifférentes subsiste encore une étincelle de foi. Profitons
des circonstances pour écarter les cendres « et ranimer le loyer
».
Le 26 mai 1912 fut choisi pour commémorer le 60e anniversaire de
la chapelle. Ce fut une fête éclatante et bien préparée par le
pieux curé Meyer. Environ 3.000 personnes s'y rendirent; tous
les curés voisins étaient présents, ainsi que les chanoines
Carier, enfant de Domjevin et doyen de Saint-Nicolas-de-Port, et
Masson. curé de Villers-lès-Nancy. M. le vicaire général Huch,
depuis évêque de Nancy et de Strasbourg, donna le sermon, avec
son onction habituelle, sur ce sujet: La Sainte Vierge est la
Bonne Fontaine où l'âme vient puiser un soulagement à tous ses
maux; elle est la source d'où découlent tous les biens. Cette
fête, au dire d'un témoin, dépassa toutes les espérances (14).
La guerre mondiale était proche; elle éclata brutale en août
1914. Pendant quatre années, la chapelle de la Bonne-Fontaine
fut exposée aux plus grands dangers de destruction. Au début, le
bombardement du fort de Manonviller, situé à faible distance, et
la ruée des Allemands pouvaient l'anéantir: elle resta indemne.
Dans la suite, la défense du front français aurait dû lui être
plus funeste encore, puisqu'elle se trouvait englobée dans un
secteur occupé par l'artillerie lourde. Par une sage précaution,
la statue avait été transportée à Bénaménil. Bientôt la chapelle
émergea seule et presque sans blessure d'un sol criblé d'obus de
tous calibres; un seul projectile l'atteignit et lui causa de
légers dégâts, Les troupes de toutes sortes, qui se succédaient
là, auraient pu l'endommager. Mais, quand les soldats en
parlaient à l'arrière, c'était pour dire : « La Bonne-Fontaine ?
oui, nous la connaissons, elle nous sert de cuisine. mais il
n'yen a pas un seul pour lui manquer de respect. »
La guerre finie, j'avais hâte de revoir la Bonne-Fontaine. Peu
de personnes firent le pèlerinage du lundi de Pâques 1919. La
campagne était doublement en deuil avec son manteau d'hiver et
son sol affreusement troué; sur le paysage mélancolique, la
chapelle, avec son toit rouge, jetait une note joyeuse. Durant
quatre ans, elle avait affronté les coups d'une épouvantable
canonnade et elle était toujours debout, Non loin, un fort,
qu'on avait cru imprenable, profilait sur l'horizon ses ruines
chaotiques, accumulées en moins de huit jours. Quel saisissant
contraste, bien propre à représenter la sécurité des âmes sous
l'égide de Celle qui avait veillé sur ces lieux !
La confiance en Notre-Dame de la Bonne-Fontaine fut prompte à
renaître et le pèlerinage annuel reprit bien vite sa belle
allure. Celui de la Pentecôte 1922 surpassa tous les précédents
par le nombre des pèlerins, évalué à 3.000, et par l'édification
de leur tenue.
M. l'abbé Renault, dans un spirituel compte-rendu de la Semaine
Religieuse, pouvait écrire : « Cette fois, nous avons eu un vrai
pèlerinage. Le programme, en effet, était plein de promesses et
il fut bien rempli. Monseigneur l'Évêque avait accepté de
présider la cérémonie et de prononcer le discours de
circonstance; c'était la « première fois que pareil honneur
était fait au concours, d'ordinaire plus modeste, des riverains
de la Vezouze (15). » En termes pleins d'onction et de piété, Sa
Grandeur exhorta son auditoire attentif à une confiance sans
bornes envers Marie, co-rédemptrice du genre humain, sa
participation si touchante aux souffrances du divin crucifié,
lui donnant droit de puiser à pleines mains dans le trésor de
ses mérites, Ce fut, bien à propos, l'explication de la fêle
récemment instituée sous le titre de Notre-Dame-Médiatrice,
Que le branle si bien donné se perpétue ! Que Notre-Dame de la
Bonne-Fontaine soit pour toute la région la source intarissable
de tous les biens ! Que les pèlerins accourent nombreux à sa
fontaine
et à sa chapelle, répétant à la Vierge ce que lui disait un
poète (16) :
Vierge, nous venons boire à la Bonne-Fontaine.
La forêt devant vous courbe ses verts arceaux.
Pour vous ne cesse point le concert des oiseaux
Et le vent adoucit sa voix brusque et hautaine.
Le voyageur lassé d'une course lointaine
Respire la fraîcheur auprès de ces roseaux
Mais son âme s'abreuve à de célestes eaux,
Comme au puits de Jacob fit la Samaritaine.
Quand le pâtre naïf, en des gestes touchants,
Vous offre un gros bouquet de simples fleurs des champs,
Il voit, sur votre bouche, errer un doux sourire.
Et si quelque pécheur, au pied de votre autel,
Songeant à son passé, se lamente et soupire,
Vous recueillez ses pleurs pour les porter au ciel.
(à suivre)
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