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Est-Républicain - 21 mars 1915 - Les otages de Blâmont
 



Les otages de Blâmont
L'exode entre Baïonnettes
La menace du Conseil de guerre. - Les différentes étapes du Calvaire.
Il faut payer sa pension au Camp. - La Libération.

M. Joseph-Léon Lhuiller, propriétaire à Blâmont, qui vient de rentrer d'Allemagne avec sa famille, composée de quatre personnes, a bien voulu nous raconter son exode et les diverses péripéties de sa captivité. C'est un document de plus à la charge de la brutalité teutonne, et l'on y trouvera encore quelques détails inédits :
«  C'est le 14 août, vers sept heures du matin, que je suis arrêté avec ma famille, nous raconte M. Lhuillier. On nous accuse d'avoir tiré sur les troupes allemandes, ce qui est faux. Mais allez donc essayer de vous disculper ! On nous menace, on nous brutalise, on nous emmène entre d'impitoyable baïonnettes.
«  Nous étions ensemble vingt-trois personnes, y compris les femmes et les enfants.
«  Notre première étape se termine à Gondrexange. La journée avait été torride. On était exténué. Qu'allait-on faire à présent de nous ? Les femmes et les enfants ne pourraient certainement pas continuer la route.
«  Et de toutes parts, sur tous les chemins, dans les champs voisins, c'était une bousculade indescriptible de troupes de toutes armes, Les Allemands reculaient évidemment devant l'offensive française.
«  Cette retraite, on le comprend, n'était point faite pour attendrir les bourreaux. En revanche, elle nous dédommageait apparemment de nos misères.
«  Nous couchons à Gondrexange. Mais c'est un repos fort court. Avant l'aube, on fait l'appel, et notre triste cortège, toujours escorté de baïonnettes, se met en route pour une destination inconnue.
«  Voilà enfin Sarrebourg. On s'arrête. Longs conciliabules, au cours desquels on n'oublie qu'une chose, nous donner à manger. Mais les autorités ont bien d'autres préoccupations. Sarrebourg n'est plus désormais assez loin. On nous dirige vers Wissembourg.

***

«  Il fait nuit quand nous débarquons dans la jolie petite ville alsacienne. Nous mourrons de faim et nous sommes en quelques minutes trempés jusqu'aux os, car la pluie tombe maintenant à torrents. Minuit vient de sonner. Ou aller ? Que faire ?... On ne semble pas plus qu'à Sarrebourg, s'occuper de notre nourriture ni de notre gite.
«  Enfin un ordre arrive. Les Français qui en ont les moyens, peuvent, sous la garde de gendarmes, se mettre en quête d'un souper et d'un lit.
«  Voici justement un hôtel où une lumière brille encore. Nous frappons. C'est un officier qui apparaît. A notre vue, il semble pris d'une congestion, et d'un geste brutal il nous ferme la porte au nez en hurlant :
«  Aoust ! Sales Franzozen ! »
«  Les gendarmes qui nous conduisent sont aussi embarrassés que nous. Il délibèrent un instant, puis nous dirigent vers un poste de police, où l'on nous case dans les violons.
«  Tout le monde, hommes, femmes et enfants, est entassé pêle-mêle, en attendant, nous dit-on, que des locaux supplémentaires soient nettoyés.
«  Le lendemain matin, la toilette annoncée est sans doute faite, car les femmes et les enfants sont dirigés vers des locaux séparés.
«  Lorsque le triage est terminé, on nous apprend que nous sommes en prévention de conseil de guerre. On nous conduira sans retard à Haguenau, pour y répondre des coups de feu tirés par nous sur des sentinelles allemandes !...
«  Naturellement les «  Franzozen, capout ! » abondent dans les réponses de nos geôliers, et c'est là, d'ailleurs, pour la plupart d'entre nous, les seuls mots de leurs conversations dont nous saisissons bien le sens.
«  Stupéfaction ! On nous relâche !... Qu'y a-t-il donc de nouveau ? Est-ce la liberté définitivement reconquise ?
«  Hélas ! cet espoir est de bien courte durée. On nous apprend à la gare, qu'au lieu de nous laisser revenir sur nos pas, il nous faut prendre des billets pour Strasbourg, car j'ai oublié de le dire, partout où nous avons voyagé en chemin de fer, il nous a fallu payer notre billet.
«  Et voyez-vous ces voyageurs «  payants » enfermés comme des malfaiteurs dans des wagons que gardent à chaque porte des casques à points ! ...

***

«  Nous sommes à peine arrivés dans la grande capitale de l'Alsace que, sans nous permettre de passer par le buffet, on nous conduit en prison, les hommes d'un côté, et nos femmes de l'autre. On nous numérote, on nous fouille, on nous prend notre argent. Qu'allons nous devenir ?
«  Quatre heures d'incertitudes angoissantes, d'interrogatoires menaçants. Soudain ordre arrive de nous relâcher.
«  - Et notre argent ? réclamons-nous.
«  On nous le rend. Après quoi, on nous invite à nous «  débrouiller ».
«  Nous complotons aussitôt de renter en France par la Suisse, et nous demandons quelle est la gare frontière la plus rapprochée ?
«  Préoccupation inutile, espoir insensé ! On nous conduit bien à, la gare, on nous prend bien des billets, avec notre argent, mais ces billets au lieu d'être pour une localité suisse, sont pour Fribourg-en Brisgau !
«  - Ne nous désolons pas, me souffle à l'oreille un compagnon. Nous allons en Suisse, mais on nous fait prendre le chemin des écoliers.
«  A 6 heures du matin, le train stoppe à Fribourg-en-Brisgau. Nous ne savons plus si nous sommes des prisonniers ou des citoyens libres. Personne ne s'occupe den nous sur les quais sauf quelques méchants indigènes qui, en apprenant notre nationalité ou nous regardent comme des bêtes curieuses, ou nous lancent leurs éternels «  Franzozen, capout », avec des gestes de couperet.
«  Au dehors, temps de chien. Ce n'est pas l'averse, c'est le déluge. Nous nous décidons à pénétrer dans un buffet, où l'on ne fait aucune difficulté pour nous servir, argent comptant, bien entendu.
«  Nous étions loin de nous douter de ce qui nous menaçait. Pendant notre repas en effet, le buffetier a fait su zèle patriotique. Il est allé prévenir les autorités allemandes qu'une bande d'espions français était attablée chez lui, et nous en étions à peine aux dernières bouchées que des gendarmes arrivent et nous invitent à les suivre.

***

«  Et nous voici de nouveau en route entre des baïonnettes, à travers des rues pleines de menaces et d'injures. Nous voici de nouveau dans un poste de police et dans les geôles, où nous passons le restant de cette journée.
«  Le soit, toujours escortés de gendarmes et de soldats, nous regagnons la gare, où l'on nous achète nos billets, cette fois pour Donausechingen.
«  Nous n'avons plus guère d'illusions à nous faire. Donaueschingen est, en effet, on nous l'a appris dans le train, un camp de concentration qui n'est pas fait pour ne pas conserver les prisonniers.
«  Le trajet, de la gare au camp, s'opère entre une double haie de soldats.
«  On nous loge dans de grands baraquements militaires. On nous interroge, on nous numérote une fois de plus, et l'on nous prend notre argent, que, je dois le dire, on nous rend presque aussitôt. Nous en avons, au reste, besoin, car il nous faudra payer... notre pension !
«  Nous restons onze jours dans ce camp maudit, où la nourriture est aussi infecte que la paille et les copeaux qui nous servent de matelas !
«  C'est un coup, de sifflet qui annonce le repas de midi. Chacun doit se hâter de prendre sa gamelle et de se diriger vers les cuisines. On en revient avec quelques pommes de terre cuites à l'eau et arrosées de vinaigre rouge, ou avec une pâtée de farine dénommée par nous «  soupe à la colle »
«  Au réveil on recevait un quart de café de glands, et le soir, un autre quart d'une boisson tiède, très fade, et qu'on nous disait être du thé.
«  J'ignore le prix de revient de ce singulier régime à l'administration prussienne, mais ce que je n'ignore point, c'est le prix qu'il coûte aux prisonniers.
«  En effet, le onzième jour de notre séjour au camp, l'officier qui remplit les fonctions de trésorier, nous a fait appeler et nous invite à passer à la caisse... pour payer notre pension !
«  Ma foi - permettez-moi l'expression - on rouspète. D'aucuns même allèguent qu'ils n'ont plus d'argent.
«  - Ceux qui paieront, nous explique alors le commandant du camp, seront aussitôt remis en liberté. Quant aux autres...

***

«  Cette nouvelle amène le résultat attendu. Tout le monde s'arrange pour payer, et les plus pauvres apprennent que les riches ne sont pas égoïstes ?
«  Ma note s'élève pour onze jours, et pour quatre personnes, à 60 marks 67.
«  Cela fait une moyenne de 1 m. 15 par jour et par tête. Au prix où sont à présent farine et pommes de terre en Allemagne, ce n'est franchement pas cher. Il est vrai que, depuis, la pension a peut-être augmenté !
«  Je possède, au reste, pour qu'aucun doute ne puisse subsister à ce sujet, la quittance qui m'a été délivrée. Elle est écrite naturellement, en Allemand, mais en voici la traduction :
«  Famille Joseph-Léon Lhuillier, de Blâmont, quatre personnes, internées à Donaueschingen, a versé 60 marks 67 pour onze jours de pension.
«  Payé le 29 septembre 1914.
«  J.A. HOFFMANN, unteroffizier
«  Donaueschingen »
«  Au grand règlement de comptes, nous dit M. Lhuillier, en riant, je déposerai ma quittance à la préfecture.

***

«  Mais nos étapes ne sont pas encore terminées. Au lieu de nous expédier vers la Suisse, on nous embarque pour Baden-Baden. Là par exemple nous sommes à peu près libres, puisqu'il nous suffit de déclarer notre adresse à la police.
«  Nous vivons à nos frais, en garni, à Baden, sans être trop molestés, en attendant le jour heureux où l'autorisation nous sera venue de partir pour de bon vers la Suisse.
«  Enfin, on nous convoque à la police et tous les hommes non mobilisables sont autorisés à partir. Pour mon compte, j'ai un mal inouï à faire croire que je ne suis plus en âge de porter les armes. Mes papiers indiquent, en effet, 51 ans, et les Allemands veulent à tout prix que la France incorpore les hommes jusqu'à 55 ans...
«  Il est vrai que je suis devenu si maigre ! Je passe au travers du crible ! Je suis libre, avec ma femme et mes enfants. J'ai mes quatre sauf-conduits !
«  Le premier train pour la Suisse nous amène à Leipoldsen. C'est là qu'est la douane et la fin de tous nos maux.
«  Je le croyais du moins. Malheureusement, j'avais trop compté sans les gendarmes allemands.
«  L'un d'eux m'arrête et me demande mon âge.
«  51 ans ! lui dis-je fièrement, en lui montrant mes papiers.
«  Le pandore teuton me braque ses yeux dans les yeux et, me menaçant du doigt, me dit, en excellent français, comme vous pouvez vous en convaincre.
«  - Toi, si jamais je te rencontre sur le front, je te brule la gueule ! »
«  Et nous passons ! Je suis sauvé : Nous voici en Suisse !...
«  Ah ! Nous ne saurons jamais être assez reconnaissants pour nos bons amis les Suisses ! Quel accueil chaleureux ! Quelles fêteries ! Quelles sympathies pour la France ! Notre martyr a été vite oublié ! »

***

M. Lhuillier et sa famille, après un court arrêt à Saint-Julien (Haute-Savoie) ont séjourné plusieurs mois dans le Gard, à Aubais, au milieu des populations pleine de prévenances pour les malheureux réfugiés des régions envahies.
Depuis quelques jours, ils sont revenus tous les quatre dans leur Lorraine. Là, entourés de la douce affection des parents retrouvés, ils attendent le jour prochain où la chère petite ville de Blâmont sera à tout jamais débarrassée des hordes du kaiser.

J. MORY

Est-Républicain du 21 mars 1915
 

 

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