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10 juillet 1916 : pourquoi les entonnoirs de Leintrey ?


Le 10 juillet 1916, à 23 h 30, une compagnie du 162ème régiment d’infanterie est décimée par l’explosion de quatre mines allemandes qui vont former les « entonnoirs » de Leintrey.

On a vu dans un précédent article que le Journal des marches du régiment reste très imprécis, indiquant au 11 juillet 1916 : « [...] Enfin au petit jour, la situation apparaît nettement. Les Allemands ont fait exploser 4 mines qui ont englouti notre tranchée de 1ère ligne de T6 à T3 et enseveli la moitié de la 3ème Cie ainsi que 4 mitrailleuses et le personnel de la C.M.1 en position dans T6. Les entonnoirs ont chacun une profondeur de 15 à 20 mètres et un diamètre de 40 à 50 m. Le Ct de la Cie (Lt Chotin) a fait peu après sa section de soutien se porter au sud de ces entonnoirs et empêcher toute progression des Allemands. »

Dans l’ouvrage « Blâmont et le Blâmontois au fil des siècles », édité en 2009 suite aux Journées d’études Meurthe-et-Mosellanes d’octobre 2008, un article de Romain Sertelet intitulé « L’attaque allemande du 11 juillet 1916 entre Leintrey et Vého » revient sur ces événements, avec cependant beaucoup d’éléments qui ne sont que des conjectures. Ainsi, il y aurait eu une attaque allemande le 11 juillet, sur Leintrey, mais aussi sur le bois Zeppelin, et après l’explosion des entonnoirs, l’intervention rapide du lieutenant Chotin (qui ne se déploie pourtant qu’au matin) aurait empêché l’offensive allemande : « aucune nouvelle offensive car les Allemands ont compris que le moment propice était passé. Ils savent que la brèche a été comblée par de nouvelles forces », et plus loin encore dans le texte : « tout le bénéfice que les Allemands avaient juste après les explosions des mines est perdu. Ils sont passés à côté d’une occasion unique par manque d’effectifs d’infanterie affectés à l’attaque. » S’en suivent différentes hypothèses, du style « il est fort probable que les travaux et études des hommes du génie ont commencé plusieurs mois avant l’attaque. A ce moment, il était sans doute prévu une attaque de plus grande envergure mettant en jeu une infanterie de l’ordre de plusieurs milliers d’hommes. »

Hélas, toutes ces propositions apparaissent aujourd’hui comme erronées : nous avions déjà de gros doutes sur l’intérêt militaire d’une telle opération sur un front stabilisé, où aucune des deux armées n’envisageait d’offensive, la bataille de Verdun requérant l’attention de tous. La relation française de l’opération est aussi trop évasive : comment croire que si les Allemands avaient préparé si longuement une offensive, leur attaque aurait été bloquée par quelques fantassins français arrivés sur site plusieurs heures après l’explosion ? .Par ailleurs, dans l’article « Maquette du secteur de Leintrey -1916 ? » notre conclusion était « Il est donc plausible que la nécessité d'une telle représentation d'un secteur en trois dimensions ait une vertu éducative, et soit en relation directe avec l'opération allemande du 10 juillet 1916. ». Le front de Leintrey aurait-il servi de site de formation pour entraîner des régiments allemands à la guerre des mines, avant leur transfert sur le front de Verdun ?

Président du Souvenir français local depuis 2012, le lieutenant-colonel Claude Charbonnot (1938-2025) était devenu guide des entonnoirs, et avait à ce titre récolté de multiples documents. Il nous a quitté le 25 octobre 2025, sans exploiter l’ensemble des pièces en sa possession. En effet, un de ses correspondants lui avait remis en 2014 divers document (cinq ?) provenant des archives militaires bavaroises, dont nous avions immédiatement, à sa demande, assuré la traduction. Afin que ces données essentielles ne tombent pas aujourd'hui dans l'oubli, voici leur contenu selon la traduction conservée :

L’opération allemande du 10 juillet 1916 apparaît comme un exercice. Dans un premier document, l’opération est désignée sous le nom de code « Mineralwasser Fabrik »
 
5ème Brigade d'infanterie bavaroise
Message Il 752 du 3 juillet 1916
Hautement secret !
Répartition des temps de tâches pour la fabrication de l'usine à eau minérale du 10 juillet 1916
Durant la matinée Attaque des installations des flancs droits a et b par lance-mines de l'artillerie
De 11h25 à 11h29 du soir Tir de destruction par l'artillerie en face du secteur RJR60
11h30 le soir Dynamitage du secteur RJR60 et attaque consécutive.
11h33 le soir Dynamitage par mines en secteur 5, tirs consécutifs de mortiers sur les secteurs des flancs est, a et b (seulement jusque 11h34).
11h34 le soir Départ des colonnes d'attaque
11h33 le soir jusqu'au retour des troupes d'attaque Tirs de barrage soutenus par l'artillerie sur les position droites, a et b + positions de flancs au nord ouest du petits bois des français.
11h33 le soir jusque 11h37 Tir nourri de l'artillerie sur les zones de brèche au niveau des lignes 3 et 4 du point n°5 selon schéma.
11h37 le soir Avancée des tirs d'attaques sur les zones de tirs de barrage selon schéma.
De 11h37 le soir jusqu'au retour des troupes Tir de barrage de l'artillerie par vagues successives avec en point d'orgue le moment de l'attaque des troupes d'assaut sur les lignes 3 et 4.
A partir de 11h35 Rapport sur l'attaque des LJR 5 et 4. L'attaque doit être levée pour cette heure précise. Plus aucun bruit autorisé.

Remarques:
1) les temps par Brigade sont répartis comme suit : 9h du matin, 1 heure de l'am, 6h du soir, 11 h du soir. Il est impératif de regarder sa montre avant.
2) Durant les combats, seule l'utilisation de mots codés est autorisée. Si le moment l'autorise, vous pouvez parler normalement.
3) Information aux Brigades :
a) information de l'exécution par l'infanterie, l'artillerie et les lances-mortiers. Mot de passe : l'eau minérale peut être ramassée.
b) retour des troupes d'attaque : mot de passe : le stock d'eau minérale est utilisé
c) fermeture des obstacles.
- Grade - Weiss - Jonak

Le document suivant mentionne moins de trois semaines de creusement, et un ordre du 8 juillet 1916 (sur la base de l’ordre du 3 juillet ci-dessus).

Numéro 3830, reçu le 13.07.1916 par le 5e régiment d'infanterie bavarois
A l’attn de la 5e Brigade d'infanterie
Les tâches pour le 5e régiment d'infanterie étaient les suivantes :
Dynamitage des positions de défense ennemies au point n°5. Incursion par les troupes d'assaut jusqu'aux 3e et quatrième lignes. Rapatriement de prisonniers.
Détruire les positions ennemies.
Retour aux positions de départ.
Les préparatifs du dynamitage par creusement de mines depuis la position 6 à la position française n° 5 n'ont pas tout à fait duré 3 semaines. Ils ont constitué un exploit physique extraordinaire, en particulier les travaux préventifs de renforts des fossés et des abris, les travaux de déblaiement, le transport des munitions et du matériel, réalisés presque exclusivement la nuit.
Les dispositifs de galeries de mines furent réalisés sous la direction de la 18 compagnie du R.Pi (?) dont les équipes furent particulièrement bien formées.
Le 9 juillet 1916, les chambres de mines furent remplies et le 10 juillet à 11 heures du soir furent prêtes pour la mise à feu. L'exécution de l'intégralité des tâches de ces troupes fut organisée selon l'ordre réglementaire du 8 juillet 1916.
Quelques difficultés ont été rencontrées lors de la mise à disposition des troupes à la position n° 6 car les espaces protégés des tirs suffisaient à peine en terme de place et qu'ils étaient gênés par des obstacles de fils à proximité des positions de l'adversaire.

On peut citer encore ce compte-rendu allemand :

Le déplacement dans la pénombre demandait un grand sens de l'orientation malgré les nombreux panneaux et signes. La circulation des troupes sur la position 6 était rendue difficile. Une partie des fossés les plus en avant a reçu une forte couverture de protection contre les projections de terre, de bois, de métaux et de pierres. Couverture un peu trop renforcée semble t'il.
Les exercices d'entrainement et les discutions stratégiques au sein du commandement ont pleinement payé. Les exercices préparatifs ont été réalisés sur un terrain semblable, où tout avait été reproduit à l'identique (entonnoirs et tranchées d'attaques) du plan régimentaire (annexe 4).
Le dynamitage, l'intervention des colonnes d'assaut depuis les escaliers de sorties, l'artillerie, les lanceurs de mines se sont mis en branle à 11h33 du soir, de manière ponctuelle et conformément au plan. Un minutage précis fut donné par la brigade et un tableau d'attaque par le régiment. Le dynamitage n'a été suivi d'aucun impact négatif sur la position 6, les équipements ou le village de Leintrey.
La solide construction des positions mises en place a tenu bon. Nous craignions des problèmes de communication mais ils n'ont pas eu lieu car les conduites furent enfouies profondément. Une a cependant été endommagée par l'artillerie mais aussitôt reconstruite.
Les dynamitages ont été puissants, synchronisés, conformes aux calculs et ont donné leur plein effet.
Le paysage des entonnoirs a été remodelé. Certains couples d'entonnoirs à droite et à gauche se sont réunis en un seul sous l'effet de l'explosion. Entre les deux entonnoirs jumeaux se faufile une mince bande de terre en forme de selle jusqu'aux positions françaises. Les hauteurs des bords des entonnoirs avoisinent les trois à cinq mètres, la profondeur entre dix et quinze mètres et le diamètre entre 43 et 45 mètres.
A la suite de cela, deux sections d'assaut durent ... (puis texte coupé).

En résumé, les entonnoirs de Leintrey ne sont pas le résultat d’une offensive allemande, mais un exercice en situation réelle, avec coordination des explosions de mines, des tirs de barrage d’artillerie, et des attaques d’infanterie d’assaut. « Les exercices d'entrainement », « réalisés sur un terrain semblable, où tout avait été reproduit à l'identique », pourraient même faire référence à la maquette photographiée.

A la préparation d’artillerie, intensifiée à 23h25, succèdent les dynamitages à 23h30 et 23h33 et, sous la couverture de tirs de barrage, s’élancent dès 23h34 des colonnes d’attaque pour une opération d’une seule minute. A compter de 23h35, les troupes d’assaut se replient dans le silence, et à 23h37, tout est terminé.

Il n’y a donc aucune intention militaire allemande autre qu’un simple exercice de guerre des mines (sans doute en entrainement pour le front de Verdun), aucune intention de percer le front français, ni même d'occuper la position conquise.

C’est sans doute pour illustrer le succès de cet exercice que l’état major allemand va faire prendre la photo aérienne ci-contre dès cratères dès le 19 juillet 1916

 

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