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Partisans lorrains en cours d'assises - 1816

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LES PARTISANS EN COUR D'ASSISES
Le Pays lorrain - 1923

Dans sa très intéressante histoire des corps francs en 1814 et 1815, Raoul Brice signale que deux poursuites criminelles furent exercées contre des Partisans, devant la Cour d'assises de la Meurthe, au début de 1816. Des condamnations sévères furent prononcées.
J'ai eu la curiosité de me reporter aux archives judiciaires et les détails que j'y ai trouvés intéresseront peut-être. Ils éclairent, à la fois, la physionomie des partisans et les habitudes judiciaires d'alors.
Je dois dire qu'à la lecture des dossiers, l'allure de l'affaire est assez différente de celle qu'a trouvée Raoul Brice dans les documents militaires ou administratifs et qu'il rapporte dans son récit.
Le 12 juillet 1815, le commandant Brice et le corps franc tenaient le grand massif forestier qui va de la vallée de la Plaine au plateau lorrain Cirey-Badonviller. Cette forêt profonde, aux rares sentiers, leur assurait, pour quelque temps du moins, la sécurité. C'était un impénétrable réduit.
Dans la matinée du 12 juillet, Théodore Parmentier, âgé de 43 ans, capitaine pensionné à Parroy, se présente, avec 5 ou 6 partisans, chez un sieur Regnault qui habite le château de Châtillon, alors commune de Val-Bon-Moutier, aujourd'hui Val-et-Châtilon. Le château, perdu dans la forêt, est très écarté, loin de tout village.
Parmentier demande des vivres pour 200 hommes, qui sont immédiatement fournis par Regnault, sans doute peu rassuré ; il exige ensuite la remise des armes et on lui remet un fusil double et une paire de pistolets. Vivres et armes, c'était là, sans doute, l'objet de sa mission. Mais Parmentier a vu, dans l'écurie, un petit cheval blanc, à longue queue, dont la description minutieuse semble bien indiquer qu'il s'agissait d'un cheval arabe. Ce cheval appartient à Mme de Klopstein, fille de M. Regnault. Parmentier le détache et s'en va. Brice, aussitôt avisé de ce qui se passe, garde les vivres et les armes, mais fait renvoyer immédiatement le cheval, en priant Mme de Klopstein de vouloir bien agréer ses excuses.

Dans l'après-midi, 10 à 12 partisans reviennent au château de Châtillon. Ils sont à peine là, que Brice arrive à son tour, les rabroue, les fait sortir et, essayant de rassurer les habitants, leur dit que ses hommes agissent sans ordre et que s'ils reparaissent, il faut les chasser.
C'était plus facile à dire qu'à faire, la discipline ne paraît pas avoir été la vertu dominante des partisans. Sur le soir, malgré les ordres du commandant, ils reviennent pour la troisième fois au château et alors en force et assez excités. Parmentier est toujours là et, avec lui, Jean-Claude Deveney, sous-lieutenant à demi-solde, à Héming ; Jean-Baptiste Ména, serrurier à Lorquin ; Chaudron, d'autres encore et un individu déguisé en mameluck dont l'identité ne paraît pas avoir été établie au procès.
Deveney, menaçant, somme Regnault de lui livrer, dans les cinq minutes, les soixante armes qu'il possède, sinon on mettra le feu au château. Regnault résiste, parlemente et alors Deveney prend une botte de paille et l'allume sur le seuil de la porte. Regnault se sauve, fermant derrière lui toutes les portes de la maison. Ména et un autre le suivent, un sabre et un pistolet à la main, enfoncent les portes et, finalement, rattrapent le malheureux Regnault. Ils lui mettent la pointe du sabre et le pistolet sur la poitrine et se font remettre 7 ou 8 fusils. Ils savent que deux canons en fer de fonte (?) sont cachés, depuis un an, dans le jardin. Ils les déterrent et les emmènent triomphalement sur deux charriots attelés de trois chevaux pris dans les écuries.
Les émotions de ce pauvre M. Regnault n'étaient pas encore terminées. Peu après, Parmentier revenait tout seul et, pour la seconde fois, volait le cheval de Mme de Klopstein. C'est ce qui le perdit. Parmentier abandonna Brice et les partisans, alla à Sarrebourg cacher le cheval, dans l'auberge d'un certain Kintzel. Mais celui-ci reconnut le cheval et le renvoya à Mme de Klopstein. Quant à Parmentier, il fut arrêté par des soldats russes qui le conduisirent devant leur chef, le général Langeron. Par la suite, il prétendit qu'il était allé à Sarrebourg uniquement pour taire sa soumission, c'est assez peu vraisemblable.
Tous ces gens là comparurent devant la Cour d'assises de la Meurthe, le 13 janvier 1816. Les débats se prolongèrent et l'arrêt ne fut rendu que le 14 janvier, à 1 heure et demie du matin.
Chose curieuse, cette affaire, dont les faits étaient incontestablement graves, ne paraît pas avoir été prise très au sérieux, ou du moins, on devine, sous la sécheresse d'un procès-verbal de débats, que la bienveillance des jurés, et même des magistrats, était acquise aux accusés. La Cour d'assises d'il y a cent ans n'était cependant pas une juridiction débonnaire. J'en ai compulsé souvent les arrêts, j'ai trouvé des condamnations effrayantes, il n'y a guère d'autres mots. La rigueur et une répression impitoyable étaient alors les seules règles de justice. Victor Hugo n'a pas inventé de toutes pièces le personnage de Jean Valjean.
Les vols du château de Châtillon étaient entourés de multiples circonstances aggravantes. C'étaient, en particulier, des vols avec violence, commis par des individus porteurs d'armes et qui avaient menacé d'en faire usage. La peine que prononçait et que prononce encore le Code pénal est celle des travaux forcés à perpétuité. Mais en 1816, les circonstances atténuantes n'existaient pas. C'était tout ou rien, l'acquittement ou le bagne à jamais.
Par 7 voix contre 5, le jury condamna Parmentier, l'homme au cheval blanc, mais écarta toutes les circonstances aggravantes, ce n'était plus qu'un vol simple ; un à cinq ans d'emprisonnement. La Cour appliqua le minimum de la peine un an d'emprisonnement. Au bout de quelques mois, le 1er novembre, le roi accorda sa grâce à Parmentier.
Par 7 voix contre 5 aussi, Deveney et Ména furent reconnus coupables de vol avec violences. A une voix près, c'était l'acquittement; faute de cette voix, les travaux forcés à perpétuité, seuls, pouvaient être prononcés. Et alors on vit la Cour renvoyer le jury délibérer de nouveau, en lui demandant d'expliquer son vote. Le même verdict est rapporté. Deveney et Ména sont condamnés aux travanx forcés à vie. Ils ne devaient jamais les subir. Le 15 mai, la peine est commuée dans des proportions inusitées celle de Deveney, en deux ans d'emprisonnement celle de Ména, en 5 ans. Le 11 août 1819, remise fut faite à Ména du reste de sa peine.
Cette indulgence, si rare dans les habitudes de l'époque, les accusés de la seconde affaire ne devaient pas la retrouver.
La Cour se réunit à nouveau dans une session extraordinaire, en mars 1816. Elle est composée des mêmes magistrats : le président Magny, ancien conseiller à la Chambre des comptes de Lorraine ; quatre assesseurs, Estivant, un original dont je raconterai peut-être un jour les excentricités : de Roguier et de Bouvier, anciens membres du Parlement, en 1789 : Leseure, un magistrat de l'Empire. Le procureur général, baron de Metz, occupe le siège du ministère public. Au banc de la défense, un jeune avocat connu par ses idées libérales, Me Fabvier; les noms des autres avocats ne figurent pas à l'arrêt.
Neuf accusés sont cités, deux sont en fuite, le commandant Brice et le partisan Dominique Brisset. L'accusation est celle d'assassinat et vol. Les deux principaux accusés sont Nicolas About, 47 ans, vitrier à Nonhigny Joseph Piercy, 19 ans, manoeuvre à Soldatenthal.
Le 15 juillet, les partisans se trouvaient dans la forêt d'Allencombe, à l'est de Badonviller, au pied de la Chapelotte. A tort ou à raison, ils soupçonnaient de les avoir trahis un certain Gérard, habitant Neuviller, prés Badonviller. Ce jour donc, About, avec Jean-Claude Vécheder de Bertrambois, se présente chez Gérard et l'arrête fort brutalement. Ils ne cherchent en rien à dissimuler leurs intentions et, à Gérard qui demande à frotter, sur du pain, une gousse d'ail «  pour s'exciter l'appétit », ils répondent, sans ménagement, qu'on ne donne pas à manger aux cochons qu'on va tuer.
Puis ils emmènent Gérard dans la forêt et le présentent au commandant. Le rôle de Brice, en la circonstance, est assez mal éclairci. Ordonna-t-il de tuer Gérard ? Se contenta-t-il de dire à ses hommes de lui administrer une sévère correction. Cette hypothèse paraît plus probable. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'un groupe de partisans, About et Piercy en tête, attachent Gérard à un canon et le frappent à tour de bras, tant et si bien que le malheureux en mourut. Les partisans, qui ne manquaient ni d'audace, ni d'imagination, ont alors une idée qui serait fort cocasse, si elle ne leur était venue dans ces sanglantes circonstances. About, Piercy et Vécheder retournent à Neuviller chez la dame Gérard et lui annoncent la mort de son mari. Puisque Gérard est mort, il faut maintenant partager sa succession les partisans se sont proclamés ses héritiers, ils viennent chercher leur part. La veuve de Gérard était une femme énergique, elle ne se démonte pas, elle proteste et finalement les partisans s'en vont, emportant seulement une bouteille et des verres. Ils se rendent alors tout droit chez deux débiteurs de Gérard, dans les poches duquel ils ont trouvé des reconnaissances de dettes. Ils expliquent à nouveau aux deux paysans qu'ils sont les héritiers de Gérard et que maintenant, il faut faire les reconnaissances en leur nom. Les deux débiteurs, qui se disent qu'au fond ils ne risquent pas grand'chose, à changer de créanciers, ne font aucune difficulté et signent des billets au nom des partisans. C'est la note comique qu'on retrouve toujours dans les affaires criminelles les plus tragiques.
L'affaire fut appelée le 9 mars 1816 et, ce jour-là, il ne fut pas question d'indulgence, Un certain vague demeura sur les détails de l'affaire, les accusés cherchèrent, comme d'usage, à diminuer leur responsabilité, à la rejeter sur le voisin et surtout sur ceux qui n'étaient pas là.
Deux partisans, Simonin et Roch, furent acquittés. Vécheder fut condamné à 8 ans de travaux forcés Marchal, charbonnier à Abreschwiller, à 10 ans de réclusion, et François Chrétien, journalier à Desseling, à 2 ans d'emprisonnement Joseph Piercy bénéficia sans doute de son jeune âge, il n'avait que 19 ans le jury ne retint pas la préméditation et il fut condamné, pour meurtre, aux travaux forcés à perpétuité. La peine ne pouvait être diminuée, puisque les circonstances atténuantes n'existaient pas.
Nicolas About fut condamné à mort pour assassinat, arrestation illégale et vols. L'exécution aura lieu à Blâmont.
Au bas de l'arrêt, un procès-verbal dressé par Thimothée Thomas, greffier de la justice de paix de Blâmont, porte que le 13 mai 1816, à 5 heures du soir, le condamné About a subi sa peine et a été exécuté sur la place principale de la ville. Le lendemain, 14 mai, à 10 heures du matin, Joseph Piercy fut exposé, pendant une heure, sur la place du Marché, à Nancy, ayant au-dessus de la tète un écriteau portant ses nom, prénoms, domicile et les causes de la condamnation. Puis le bourreau lui marqua sur l'épaule, au fer rouge, les deux lettres T.P. (travaux forcés à perpétuité). Piercy subit sa peine au bagne de Toulon ou de Brest. La révolution de juillet le rendit à la liberté. Des lettres de grâce du 26 septembre 1830, que la Cour entérina le 24 décembre, lui firent remise du reste de sa peine. L'avocat de l'affaire de 1816, Me Fabvier, était devenu Procureur général. Depuis le mois d'août, il avait remplacé, au Parquet de la Cour, le baron Saladin, suspect de légitimisme.
On a dit souvent que l'histoire aboutissait toujours au Palais de Justice. Où trouver un miroir qui reflète mieux les passions du jour, les préoccupations du moment, un tableau qui retrace, avec plus de précision, les moeurs, les hommes ou les choses. Dans les dossiers poudreux du greffe, Brice et ses partisans revivent avec un relief et une vérité de vie dont je n'ai pu donner qu'une pâle esquisse. Je n'ai point voulu entrer dans les détails qui seraient vite devenus monotones; peut-être ceux que j'ai recueillis compléteront-ils utilement l'histoire des corps francs de 1814. et de 1815, que la légende populaire n'a point oubliée et qu'elle fait revivre à côté de Wolf, dans les Vosges, du Fou Yegof, au Donon, et des francs-tireurs de Fontenoy. On s'est toujours battu en Lorraine et il est des lieux prédestinés. En 1815, on se battait autour du château de Châtillon et les partisans y volaient le cheval blanc de Mme de Klopstein. En 1914, on s'y battait encore, M. de Klopstein était tué devant son château, par une balle allemande, un jour que les troupes françaises essayaient de délivrer Cirey.

Louis SADOUL.

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