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Jean-Baptiste Collet (1754-1793), prêtre
Notes renumérotées


Les ecclésiastiques de la Meurthe, martyrs et confesseurs de la foi pendant la Révolution française
Eugène Mangenot
Ed. Nancy 1895

CHAPITRE PREMIER.

L'Abbé Collet, curé de Voinémont, exécuté à Nancy, le 25 octobre 1793.
Sous le règne de la Terreur, la guillotine fit tomber peu de têtes à Nancy. Un prêtre du diocèse, l'abbé Jean-Baptiste Collet, curé de Voinémont, ouvrit la marche funèbre. Une courte relation de sa mort glorieuse a déjà paru dans le Martyrologe lorrain (1). Le sacrifice du martyr a eu un cachet particulier de grandeur d'âme, digne d'Eléazar et des Machabées, et sa fin tragique sur l'échafaud excita autrefois le plus tendre intérêt et les plus vifs regrets des gens de bien.

I. - LES ANTÉCÉDENTS DU MARTYR.

Fils de Sébastien Collet et de Christine Duménil, Jean-Baptiste naquit, le 7 juillet 1754, à Adoménil, ancien fief dépendant de la paroisse de Rehainviller, à une lieue de Lunéville, et fut baptisé le lendemain. Ses parents, peu favorisés des biens de la terre, étaient de fervents chrétiens. Leur fils n'avait pas encore dépassé les années de l'enfance, lorsqu'ils quittèrent Adoménil et revinrent habiter Haraucourt-les-Saint-Nicolas, qui était le lieu de leur origine. Les heureuses dispositions que, dès l'âge le plus tendre, Jean-Baptiste montra pour la piété et l'étude, engagèrent le vénérable abbé Dominique-Joseph Vautrin (2), chapelain du château, à se charger du soin de son éducation. Il le prit donc au nombre de ses élèves. Sous la direction de ce maître habile, le jeune Collet fit de grands progrès dans les lettres humaines et plus encore dans la piété. Après avoir achevé avec distinction ses études d'humanités au Collège de Nancy, placé dès lors aux mains des chanoines réguliers de Notre-Sauveur, il y suivit le cours de philosophie. Ce fut pendant cette année, qu'après avoir consulté le ciel par la prière, il se détermina à embrasser l'état religieux. A l'exemple du père Badel, son compatriote, il demanda à être reçu dans l'Ordre du Carmel. Son vœu ayant été exaucé, il entra au couvent des Carmes déchaussés de Nancy et y prit l'habit. Mais l'année de son noviciat ne s'était pas écoulée qu'après de mûres réflexions, il le quitta. Il crut qu'il travaillerait plus efficacement à procurer la gloire de Dieu, s'il s'engageait dans le clergé séculier (3).
Il entra donc au Séminaire de Toul, à une époque où l'esprit de cette maison se ressentait trop des idées du siècle. Le jeune abbé évita de se lier avec ceux de ses condisciples, dont la compagnie eut été pour lui un danger. « Nous l'avons plus d'une fois entendu, écrit Chatrian (4), rendre grâces à la surveillance particulière de la Providence de Dieu sur lui, d'avoir été préservé de l'irréligion et du libertinage que tant d'autres y ont puisés ». Ce bon séminariste donna constamment l'exemple d'une grande innocence de mœurs, d'une sérieuse application à l'étude et d'une parfaite régularité. Il vint achever ses cours de théologie à l'Université de Nancy, et le 24 août 1775 au soir, il subit une soutenance publique sur le traité de la pénitence pour la tentative et les baccalauréats biblique et formé. L'heureux candidat conquit les grades, auxquels il avait concouru; mais, aussi modeste qu'instruit, il ne retira pas ses lettres testificatives (5).
Ses études terminées, l'abbé Collet n'avait pas encore l'âge requis pour la réception du sacerdoce. Il passa les interstices des ordres sacrés au château de Noviant-aux-Prés en qualité de précepteur. Le 19 septembre 1778, il fut ordonné prêtre à Toul par Mgr de Champorcin, mais avec destination pour le diocèse de Nancy, qui avait été créé quelques mois auparavant et auquel il appartenait par sa naissance. Au mois d'avril de l'année suivante, le jeune prêtre était envoyé à Romont, paroisse voisine de Rambervillers, comme vicaire commensal de son parent, Antoine-François Collet (6). Il n'y fit pas une longue résidence, car, le 2 octobre suivant, il était accordé au même titre au curé de Brouville, qui l'avait demandé. Ses prédications étaient recherchées. Au mois de novembre 1782, il prêcha l'Octave des morts dans l'église paroissiale d'Azerailles. Le 12 octobre 1783, il avait été invité à prêcher pour le 3e jour des fêtes, organisées par les capucins de Blâmont à l'occasion de la béatification du vénérable Laurent de Brindisi, général de leur ordre; mais il refusa et il n'y eut pas de sermon ce jour-là.
Une douceur inaltérable formait la marque distinctive de son caractère, et cette belle vertu se reflétait sur son intéressante figure. Aussi était-il l'ami intime de M. Voirin (7), son curé, et de tous les prêtres qui le connaissaient. Plusieurs curés, entre autres celui de Saint-Pierre de Nancy, Arnould, lui offrirent des postes d'un revenu supérieur, qu'il refusa modestement. Cependant M. François Huin (8), curé de Nossoucourt, réussit à l'attirer auprès de lui et, le 9 janvier 1784, le fit désigner aux fonctions de vicaire-résident à Ménil-les-Rambervillers, dépendance de sa paroisse. Le vicaire desservait en même temps Sainte-Barbe. Sa mère, sa sœur, déjà veuve à 25 ans, et une cousine-germaine, nièce de Mme Collet, partageaient sa résidence. C'est dans la durée de son vicariat et sur sa demande, que la congrégation des filles fut canoniquement établie à Ménil par décret de Mgr de Fontanges, en date du 1er mars 1786 (11). Le 6 novembre de cette même année, un incendie ayant détruit trois maisons de deux particuliers de Sainte-Barbe. Dominique Colin et Nicolas Simon, le vicaire obtint, le 14 décembre, du bureau de Nancy pour les sinistrés un secours de 750 livres, 500 pour le premier qui avait cinq enfants, et 250 pour le second qui était simple manœuvre (10). Il eut aussi à se plaindre de l'instituteur, « insolent et cabaleur », qui bientôt après fut interdit de ses fonctions. Le 19 février 1787, il prêcha les Quarante heures à Deneuvre. En novembre de la même année, il fut question de transférer le vicaire de Ménil à Azerailles ; les propositions faites n'aboutirent pas.
L'abbé Collet fréquentait les concours (3). Il était bon concourant; ses mérites l'eussent fait désigner, si le temps eût été venu de le nommer à une cure. En attendant, il sollicita auprès des vicaires généraux, au mois de décembre 1787, la place d'administrateur spirituel de l'importante maison de Maréville. Il y fut institué, le 10 janvier 1788. Onze jours après, il quittait son vicariat pour se rendre à son nouveau poste. Il n'y trouva pas au début les satisfactions qu'il avait espérées, et bientôt de légers dissentiments s'élevèrent entre lui et les Frères des Ecoles chrétiennes, qui dirigeaient l'établissement. Jusqu'alors le Frère Jean-Marie (12), supérieur, avait présidé les Vêpres solennelles; l'aumônier réclamait cet honneur comme un droit du sacerdoce. Estimant aussi que sa charge dépassait les forces d'un seul prêtre (13), il demandait un coopérateur. « Les spéculatifs, ajoute Chatrian, qui nous apprend ces détails (14), jugent qu'il ne restera pas longtemps à Maréville ». Il y demeura cependant assez, pour y donner une grande preuve de désintéressement. Quand, à l'Assemblée, tenue à l'Hôtel-de-Ville de Nancy, le 21 janvier 1789, les députés du clergé, en leur nom et au nom des ecclésiastiques de la Lorraine, dont ils étaient sûrs d'exprimer le vœu, eurent déclaré qu'ils consentaient « de supporter à l'avenir toutes les impositions pécuniaires quelconques, en proportion de leurs forces et facultés » (15), l'abbé Collet, qui y assistait, donna adhésion complète aux déclarations de ses confrères. Son patriotisme éclairé et généreux le portait ainsi à partager les charges de l'Etat, à renoncer à d'anciens privilèges et à sacrifier une portion de ses revenus aux besoins de la nation.
Cette généreuse résolution fut renouvelée, le 30 mars de la même année, par l'ordre du clergé du bailliage de Nancy, réuni à l'Hôtel-de-Ville; l'abbé Collet, qui était membre de l'assemblée, la vota avec tous ses collègues. Il concourut, les jours suivants, à l'approbation des cahiers de son ordre et à la nomination des électeurs immédiats des députés ecclésiastiques aux Etats généraux (16).
Au mois de juin suivant, l'aumônier de Maréville devint vicaire-résident à Ogéviller. La desserte de Mignéville et de Fréménil rentrait dans ses nouvelles attributions. Les Frères, qui avaient vite estimé l'abbé Collet, furent désolés de son départ, « et nous avons entendu dire au Frère Jean-Marie, supérieur, qu'il ne serait pas dignement remplacé » (17). Dans les différents postes qu'il occupa, continue le curé de Saint-Clément, des mœurs pures, une piété exemplaire, un zèle sage et réglé, une doctrine toujours conforme à celle de l'Eglise lui avaient mérité l'estime de ses curés et de ses confrères, la confiance de ses paroissiens, la vénération publique et la bienveillance de ses supérieurs.
Ces derniers eurent bientôt l'occasion de récompenser son application aux sciences ecclésiastiques et ses succès aux concours. Le 19 novembre 1789, Louis Maire-Richard, curé de Voinémont, mourait après une longue et pénible maladie, à l'âge de 75 ans (18). Le concours, destiné à lui fournir un remplaçant, eut lieu, le 20 janvier 1790. Vingt concurrents se présentèrent ; l'abbé Collet, qui était à son neuvième essai et que désignaient d'avance ses confrères, fut choisi cette fois par Mgr de la Fare (19). L'élu, éloigné de toute ambition et ami de la retraite, n'avait jamais désiré qu'une petite cure de campagne, où il pût faire le bonheur des bons villageois, en les instruisant des vérités saintes et en leur apprenant à être heureux dans la vertu. La jouissance du bénéfice, qui lui était conféré, lui fut contestée. Deux jours avant sa mort, Louis Maire-Richard avait résigné sa cure en faveur d'un ancien lazariste, Joseph Martin (20), qui entra aussitôt en fonctions. Cependant, après la nomination de l'abbé Collet, Martin promit de se désister, si Grégoire, nommé lui-même par cette voie à la cure d'Emberménil, assurait que l'Assemblée nationale, dont il était membre, en défendant le recours à Rome pour toutes résignations et provisions de bénéfices, n'avait point voulu abolir les anciennes règles. L'une d'elles, qui s'appliquait à l'espèce, exigeait que la résignation fut consommée vingt jours au moins avant la mort du résignataire. Nous ignorons si Grégoire fut consulté. Ce qui est certain, c'est que, muni des Bulles du Pape, de l'institution canonique de l'évêque diocésain et d'un arrêt du Parlement de Nancy, l'abbé Collet vint, le 9 avril, prendre possession de sa cure. Mais son compétiteur refusa de tenir sa promesse, et pour faire valoir ses droits, le titulaire dut intenter un procès. Il fit assigner l'abbé Martin au bailliage de Vézelise, duquel ressortissait Voinémont, pour la première audience qui suivrait la quinzaine de Pâques.
Autorisé le 27 mars, le procès commença le 24 avril (21); il fut renvoyé à la grande audience (22) et ne fut entièrement terminé qu'au mois de juillet. L'abbé Martin perdit son bénéfice et ne plaida pas en appel. La résignation de Maire-Richard était entachée d'un vice de forme : elle n'avait pas été faite, avant la mort du titulaire, dans le laps de temps requis par le droit canonique. Les frais de la procédure devaient être prélevés sur les revenus de la cure (23). Sa cause gagnée, l'abbé Collet qui, le 4 juin, avait pris possession du temporel, quitta Ogéviller et s'installa à Voinémont, le 16 août 1790. Content de sa modeste cure, il ne pensa plus qu'à travailler à la sanctification de ses ouailles ; il espérait demeurer parmi elles jusqu'à la fin de sa vie et y mourir dans la paix du Seigneur. Un mémoire, écrit peu après sa mort, vante sa rare piété et son soin à remplir toutes les fonctions du saint ministère. « Tout en lui édifiait et portait à Dieu. Ses paroles, animées d'un saint zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, pénétraient et forçaient les cœurs les plus durs par le charme de l'onction divine, dont elles étaient accompagnées » (24). Il ne jouit pas longtemps du repos, et à peine avait-il achevé de monter son ménage que les troubles publics firent cesser sa vie paisible. La Révolution le trouva ferme et fidèle.

II. - Les premières persécutions du martyr.

Tant qu'il ne s'agit que d'obéir aux lois nouvelles qui diminuaient ses ressources pécuniaires, sans blesser sa conscience, l'abbé Collet se soumit. C'est ainsi que, le 5 février 1791, il dressa l'état estimatif des recettes et des dépenses de sa cure pour l'année 1790, état demandé pour fixer le chiffre de sa pension. Le 8 mars, il en présenta un second, qui complétait le premier. Plus tard, il paya, sans se plaindre, le vingtième de ses revenus et les autres impositions qui le frappaient, et accepta le traitement de 1,200 livres qui lui fut accordé, quoiqu'il fût inférieur à ses revenus précédents. Mais dès que la doctrine catholique fut en cause, il aima mieux, à l'exemple des Apôtres, obéir à Dieu qu'aux hommes. Aussi se trouva-t-il au nombre des pasteurs courageux, qui refusèrent de prêter le serment d'adhésion à la Constitution civile du clergé. La pénétration de son esprit et la droiture de son cœur suffirent à l'éloigner du serment schismatique. « Sa vertueuse mère, femme vraiment forte, loin de chercher comme beaucoup d'autres à ébranler sa constance par des intérêts naturels, fut la première à encourager et à exhorter son fils à la ferme persévérance aux dépens de sa fortune, de ses aises, de sa vie même, si Dieu en demandait le sacrifice (25). Si noblement soutenu, le digne curé de Voinémont ne se contenta pas d'opposer à la réquisition du serment un refus absolu; il en transmit la nouvelle à son évêque, alors exilé à Trèves. Il reçut du prélat, à la date du 21 mars 1781, cette lettre de félicitation:
« J'ai reçu, Monsieur et cher coopérateur, la lettre que vous m'avez écrite. Rien n'est plus propre à me consoler dans cet océan de tribulations générales et particulières qui affligent l'Eglise de France et tous ses ministres, que les sentiments de foi et de catholicité que tout mon clergé témoigne. Je vous remercie spécialement de ceux que vous m'exprimez comme à votre premier pasteur. Entretenez-vous bien de moi avec vos vénérables confrères ; parlez-leur de l'estime et de l'affection inaltérable que je leur porte. Leur conduite dans les malheureuses circonstances où nous nous trouvons, honore la religion, le diocèse de Nancy et mon épiscopat. Dieu ne châtie pas toujours ; le temps viendra, et peut-être n'est-il pas éloigné, qu'il rendra la paix à son Eglise désolée. J'aurai le bonheur alors de me trouver au milieu d'ecclésiastiques et de coopérateurs qui me sont devenus si chers. Ce sera une douce satisfaction pour moi de vous renouveler l'assurance de mon inaltérable affection. Témoignez à M. Mathieu, votre vicaire (26), ma satisfaction de sa conduite et mes sentiments » (27).
Craignant, en outre que sa conduite n'étonnât ses paroissiens et ne fût mal interprétée, le curé de Voinémont déposa au greffe de la municipalité une déclaration écrite de sa pensée intime.
« Ce jourd'hui, 23 mars 1791, je soussigné, Prêtre, Curé de Voinémont et de Lemainville, mon annexe, me suis transporté au greffe de la municipalité pour y déclarer que, ma conscience ne m'ayant pas permis de prêter le serment exigé de tous ecclésiastiques en fonctions, et que souscrivant de cœur à la doctrine renfermée dans l’Exposition des principes sur la Constitution du clergé par les Evêques députés à l'Assemblée nationale, je me borne à faire la déclaration suivante, afin de ne pas laisser ignorer mes sentiments à des Paroissiens dont le salut me sera toujours cher.
1° Je déclare, comme citoyen et ministre d'une Religion, qui prêche l'obéissance aux puissances temporelles dans tout ce qui dépend de leur ressort, que je donnerai toujours l'exemple de la plus entière soumission à la loi, rendrai à César ce qui appartient à César, toutes les fois que César n'exigera de moi rien qui m'empêche de rendre à Dieu ce que je dois à Dieu.
2° Je ne reconnais et ne reconnaîtrai jamais, pour tout ce qui concerne le régime spirituel, d'autre autorité que celle de l'Eglise et du Saint-Siège Apostolique et Romain.
3° Je reconnais et ferai toujours profession de croire et d'enseigner que le souverain Pontife, dans la communion duquel je veux vivre et mourir, a, de droit divin, sur toute l'Eglise, une primauté de juridiction qu'il doit exercer conformément aux lois canoniques, soit de l'Eglise générale, soit des Eglises particulières.
4° Tant que le digne et vertueux Prélat, Monseigneur Anne-Louis Henry de la Fare, qui occupe le siège épiscopal de Nancy, n'en aura pas fait une démission libre et volontaire, acceptée par l'Eglise, ou qu'il n'en aura pas été destitué canoniquement, je ne puis et ne dois en reconnaître un autre pour mon évêque.
5° Si la puissance temporelle venait, de sa seule autorité, à supprimer la cure de Voinémont, la réunir et en désunir Lemainville, son annexe, je proteste à cet égard, tant que l'Eglise n'y aura pas interposé son autorité.
6° Le refus d'un serment, que ma conscience repousse, ne pouvant être regardé comme une renonciation libre et volontaire à mon bénéfice-cure, ni comme une destitution canonique, je suis et resterai Pasteur de Voinémont, tant que je n'en aurai pas donné une démission libre, volontaire et acceptée par l'Eglise, ou que je n'en serai pas destitué canoniquement.
7° Comme je ne veux pas être un Pasteur mercenaire qui fuit au premier danger, je resterai au milieu de mon troupeau jusqu'à ce que j'en sois séparé par la force, à laquelle, cependant, je n'opposerai que la douceur et la modération, qui doivent caractériser le ministre de l'Evangile.
8° Tout prêtre qui, sans une mission de mon légitime Evêque, s'ingérerait dans l'exercice des fonctions pastorales envers le troupeau, dont la conduite m'a été confiée par l'Eglise, serait un intrus, incapable, par conséquent, d'exercer avec validité la juridiction spirituelle qu'il aurait envahie.
« Telle est la déclaration que ma conscience me dicte et que j'ai insérée moi-même dans les registres du greffe de la municipalité de Voinémont, les jour, mois et an avant dits » (28).
Le zélé pasteur ne s'en tint pas là. Afin de prémunir son troupeau contre la séduction et de le maintenir fortement attaché à la pure doctrine de l'Eglise catholique, il lui adressa de solides instructions. En prêchant la vérité intégrale, il encourait, il ne l'ignorait pas, des poursuites judiciaires, la prison et l'exil. La crainte ne lui ferma pas la bouche. Cette fidélité et cette fermeté lui attirèrent une persécution, qui le couvrit de gloire devant Dieu et devant les hommes. Sa conduite fut tenue pour séditieuse, et dès le commencement du mois de juin, il fut déféré comme perturbateur du repos public et poursuivi par une procédure extraordinaire devant le tribunal du district de Vézelise, « pour avoir prêché inconstitutionnellement et avoir cherché à soulever les esprits de ses paroissiens » (29). Les motifs de l'instruction ouverte contre lui nous ont été révélés par des pièces officielles. « C'est moins le défaut de prestation du serment requis par la loi, que les discours inconstitutionnels et séditieux qu'il a tenus publiquement et dans le particulier, qui out donné lieu aux poursuites ; ce sont les propos graves et inconsidérés dont il a fait parade en toutes circonstances, qui ont provoqué contre lui le zèle du ministère public ». L'enquête terminée, le tribunal porta, le 1er juillet, un jugement provisoire, et lança contre l'inculpé un décret d'ajournement personnel, qui lui fut notifié aussitôt (30). Les juges auraient d'après les réponses du curé, converti ce décret en celui d'assigné pour être ouï, si une loi nouvelle n'eut exigé que, l'information faite et l'accusé entendu, le tout fût envoyé à l'Assemblée nationale.
Un décret d'ajournement personnel suppose un crime grave, qui emporte une espèce d'infamie et rend, selon l'esprit de l'Eglise, l'accusé suspens de ses fonctions. Exact observateur des lois justes, l'abbé Collet s'abstint des actes du saint ministère et se contenta de célébrer des messes basses. Son vicaire de Lemainville et d'autres prêtres voisins étaient disposés à le remplacer pour les solennités du culte. L'inculpé espérait donc, en attendant la sentence définitive, conserver son titre curial et demeurer au poste. Les administrateurs du district de Vézelise en décidèrent autrement, dès le 8 juillet. « Prévenu de l'éclat et des causes de révolte occasionnées par la conduite inconsidérée du sieur Collet, le Directoire délibéra qu'il était à propos de pourvoir provisoirement à l'administration de la paroisse de Voinémont; à l'effet de quoi, il serait présenté à M. l'Evêque un sujet conformiste pour l'administrer ».
Le choix du Directoire du district se fixa sur le père Saintin George, ancien prieur des Dominicains de Blainville-sur-l'Eau (31).
Aucun avis ne fut signifié au curé dépossédé ; mais, dans sa séance du 9 juillet, le Directoire de Vézelise s'occupa de l'installation de l'administrateur désigné. « Voulant prévenir le désordre et l'éclat que la conduite du sieur Collet annonçait suffisamment, il crut devoir nommer deux commissaires pour maintenir l'ordre menacé. » C’étaient deux membres du district, André-Etienne Joly et François-Joseph Poinsignon. Les délégués accomplirent leur mission, le lendemain, dimanche 10 juillet, et c'est à leur présence que nous devons la connaissance de la plupart des détails suivants.
Le curé célébra à six heures du matin une messe basse, à laquelle assistaient presque tous les paroissiens. Puis, animé de sentiments bien différents de ceux que lui attribuait le Directoire, « de crainte, dit-il lui-même, que sa présence ne soit l'occasion de quelques bruits », par esprit de paix, il s'éloigna de sa paroisse pour la journée entière. Dans la matinée, arrivèrent les commissaires de Vézelise. Ils invitèrent aussitôt le maire de Voinémont « à faire ce que son zèle ordinaire et les devoirs attachés à sa place lui suggéraient, et à convoquer les officiers municipaux et notables pour assister à la messe paroissiale et être présents à la prestation du serment de George ». Mais aucun des officiers municipaux et des notables ne répondit à l'invitation du maire et ne se trouva à l'église. Les commissaires et le maire s'y rendirent. A dix heures, l'administrateur chanta la grand'messe paroissiale. Les membres d'une seule famille, vraisemblablement celle du maire, y assistaient. Après la messe, le père George prêta le serment, édicté par la loi. Ce même dimanche, les curés devaient lire au prône la première lettre pastorale de Lalande, évêque intrus du département de la Meurthe. Le curé légitime de Voinémont, opposé au schisme constitutionnel, s'était bien gardé d'en donner lecture à son troupeau. Par ordre du maire, l'administrateur le fit, à l'issue de la messe paroissiale, aux rares assistants qui entraient en communion avec lui.
Le soir venu, l'abbé Collet était rentré dans son presbytère et le lendemain matin, dès l'Angelus, se présentait à l'église pour dire la sainte messe. Mais, conformément aux ordres de Poinsignon, le maître d'école lui refusa les clefs de la sacristie. Le curé se rendit chez le maire dans l'espoir d'obtenir satisfaction. Le maire répondit que les ordres étaient formels, et qu'en outre il était chargé de signifier au réfractaire de remettre la clef de l'église et d'évacuer le presbytère dans trois jours. L'abbé Collet, « toujours curé même aux yeux de la loi jusqu'à son remplacement » par voie d'élection, réclama aux administrateurs du département l'usage de son presbytère et de la clef de l'église et la liberté de dire jusqu'à son départ et avec les services du maître d'école des messes basses dans sa paroisse.
Sa pétition fut renvoyée de Nancy, le 11 juillet, au Directoire de Vézelise pour qu'il donnât son avis. Il fut défavorable. D'après la connaissance intime qu'il avait des faits, le district estimait que « le sieur Collet ne peut et ne doit décemment continuer l'administration de la paroisse de Voinémont, que les décrets que lui-même invoque le déterminent ainsi et que ce serait ouvrir la porte au scandale que de le tolérer ». Sa réclamation doit donc être rejetée, « d'autant plus que de son accueil résulterait le renversement de l'ordre, la contravention aux décrets, l'inédification publique, plus que cela, les attentats des autres ecclésiastiques réfractaires qui déjà ne sont que trop multiples ».
En conséquence, le Directoire du département décida, le 16 juillet, qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande. Il alla même plus loin, « et attendu les circonstances et vu qu'un des premiers devoirs des corps administratifs est de maintenir la tranquillité publique, le Directoire délibère que le sieur Collet sera tenu de quitter le lieu de Voinémont dans la huitaine, et ce à la diligence du procureur-syndic du district de Vézelise; mande, au surplus, à la municipalité de Voinémont de veiller, sous peine de responsabilité, sur la conduite du sieur Collet jusqu'à sa sortie et d'en informer le procureur-syndic, le cas échéant ». Le 21 juillet, un huissier de Vézelise, dépêché par le procureur-syndic, signifiait cette délibération au curé et aux officiers municipaux de Voinémont, et les sommait de s'y conformer. Bien que la force publique n'atteignit pas ses droits, le pasteur légitime, fidèle à sa déclaration du 23 mars, quitta le cher troupeau qu'il aimait avec la tendresse d'un père pour ses enfants, et revint à Nancy chez sa mère.
Une question incidente, celle de son traitement, avait mis aussi l'abbé Collet eu lutte avec l'administration. Dès le 8 juillet, le district de Vézelise s'appuyait sur le décret d'ajournement personnel, dont était frappé le curé de Voinémont, pour refuser le paiement du traitement du mois de juin. Mais, par un arrêté du 11 juillet, le département fit droit à la requête du curé lésé et donna ordre au receveur de Vézelise de lui verser cent livres de France, eu raison des fonctions qu'il avait exercées pendant le mois de juin. Fort de la justice de sa cause et intrépide jusqu'au bout, le curé violemment dépossédé réclama encore, le 22 juillet, avant son départ de sa paroisse, le paiement de la part de son traitement afférente aux dix jours du mois de juillet, durant lesquels il avait rempli son ministère. Le district de Vézelise fit de nouveau opposition, et cette fois avec succès, car le département n'accueillit pas la dernière pétition de l'abbé Collet. Il lui accorda cependant pour le reste de l'année la part qui lui revenait du secours annuel de 500 livres, assigné à tous les prêtres réfractaires.
Rentré au sein de sa famille naturelle, l'abbé Collet ne fut pas laissé en repos par l'administration tracassière et persécutrice. Le tribunal du district de Vézelise reprit la cause des sermons « séditieux et anticonstitutionnels » et assigna à sa barre le ci-devant curé de Voinémont pour y répondre personnellement sur les griefs portés contre lui. La paroisse était privée de prêtre ; le père George l'avait quittée pour Saint-Vincent-Saint-Fiacre à Nancy, où il avait été élu, le 24 juillet. D'ailleurs, en vertu d'une délibération du Directoire du département, en date du 17 du même mois, Voinémont, qui n'avait que 244 âmes, cessait d'être paroisse et devenait un simple vicariat (32). Il avait été question de supprimer l'oratoire et de réunir Ceintrey et Voinémont en une seule paroisse. Voinémont se trouvant sur le chemin de Nancy à Vézelise, l'ancien curé résolut d'y passer, en allant répondre à l'assignation du tribunal, afin d'y remplir les devoirs de sa charge pastorale et d'administrer à ses ouailles les secours spirituels, dont elles étaient dénuées. Il y arriva donc le 30 août dans la soirée. Le maire, Etienne François l'ayant aperçu, conçut aussitôt le dessein de l'arrêter. Mais comptant peu sur le concours de ses administrés, toujours attachés à leur curé, il alla chercher main-forte à Ceintrey. Cinq hommes de la garde citoyenne vinrent avec leurs armes, s'emparèrent de l'abbé Collet et, vers six heures du soir, le conduisirent comme un criminel à travers les rues du village. Ils tenaient à l'envi leurs sabres étincelants sur la tête du paisible prêtre comme sur celle d'un scélérat (33). Les paroissiens fidèles s'ameutèrent et s'efforcèrent en vain de délivrer leur curé, qui resta aux mains de ses ennemis et fut enfermé pour la nuit dans une sorte de cachot improvisé. « Il est impossible de peindre tout ce qu'il eut à souffrir dans cette nuit cruelle ; il ne cessa de prier pour ses ennemis, qu'il portait dans son cœur comme ses enfants et dont l'aveuglement le touchait plus sensiblement que les outrages qu'il en recevait ».
Dès le point du jour, le prisonnier fut mené sous bonne garde à Vézelise. Son unique occupation durant le voyage - lui-même en a fait la confidence à un ami - était de se rappeler et de se représenter les exemples de Jésus-Christ dans sa Passion; il s'efforçait de copier ce modèle et de l'imiter, « autant qu'un simple mortel peut imiter un Homme-Dieu dans de semblables circonstances. Et dans cet entretien intérieur quelles consolations n'éprouva-t-il pas ? Il avoua qu'il n'avait rien souffert, quoiqu'il fût hué, moqué, insulté à l'excès ; il assura que la grâce lui avait adouci toutes ses amertumes. Il craignait même d'avoir pris trop de satisfaction dans le plaisir qu'il ressentait au fond de son âme, inondée de délices. Il trouvait de la gloire de se voir traiter comme son adorable Sauveur ou, du moins, d'acquérir quelque trait de ressemblance avec lui. Aussi ses dispositions intimes le portaient à offrir dès lors à Dieu le sacrifice de sa vie, qu'il croyait lui être demandée » (34).
Cependant la municipalité de Voinémont, assemblée au greffe, ce 31 août, de grand matin, avait délibéré, sur la réquisition du procureur de la commune, de former plainte au procureur du district de Vézelise contre la conduite, « contraire aux décrets », de l'ancien curé. Une copie de cette délibération fut vraisemblablement emportée par les gardiens du prisonnier (35). Cette nouvelle accusation ne fit pas l'objet d'un procès nouveau ; elle ne fut qu'une aggravation des charges qui pesaient sur l'abbé Collet et dont il allait répondre devant le tribunal du district.
N'ayant pas trouvé aux archives de la Cour d'appel les pièces de la procédure, nous possédons peu de renseignements précis sur cette information. Chatrian, par une erreur évidente, la fixe au 3 juillet ; elle n'eût certainement lieu qu'après le 30 août. « Toutes les charges, résultant des dépositions, ne se réduisent qu'à la doctrine qu'il a enseignée dans sa paroisse, à savoir, la soumission à la puissance de l'Eglise dans tout ce qui la concerne et à la puissance temporelle dans tout ce qui est de son ressort » (36). L'interrogatoire dura treize heures et ne se termina qu'un peu avant minuit. L'accusé, instruit et ferme, saisit avec empressement l'occasion, qui lui était donnée, de confesser publiquement devant les juges la doctrine et la foi de l'Eglise. Il répondit à toutes les questions avec tant d'esprit, de précision et d'énergie tout à la fois, qu'il fut renvoyé absous (37). Le juge, d'ailleurs, « qui était homme de bien, trouva aisément dans son cœur et dans son esprit le moyen de délivrer des mains de ses persécuteurs le ministre et l'imitateur de Jésus-Christ » (38) Sorti victorieux de la lutte, l'abbé Collet envoya à son évêques une copie authentique du procès-verbal de son interrogatoire et de ses réponses. De Trèves, Mgr de la Fare lui adressa, à la date du 14 novembre 1791, cette lettre de félicitation: «J'ai reçu, Monsieur, le procès-verbal de votre audition personnelle, que vous m'avez fait passer. Je l'ai lu avec autant d'édification que d'intérêt. La rage des méchants, s'attachant à vous, préparait un triomphe de plus à la religion. J'applaudis à votre zèle, à la sagesse et au sang-froid de vos réponses. J'aime à croire que .ceux qui vous ont entendu, ne doivent pas avoir été peu confirmés dans la vraie doctrine. Continuez avec vos dignes collègues de combattre vaillamment le combat du Seigneur. Son jour aussi viendra et alors il reconnaîtra, pour les récompenser, ceux qui lui seront restés fidèles. Recevez, mon cher coopérateur, l'assurance de mon estime et de ma sincère affection (39).
Fatigué sans doute de la lutte ouverte qu'il menait si courageusement, depuis plusieurs mois, l'abbé Collet, probablement aussitôt après sa sentence d'absolution, demeura à Vézelise chez les religieuses de la Congrégation. Il rendit aux filles du Bienheureux Pierre Fourier les plus importants services et vécut chez elles dans un secret si profond que ses plus intimes amis eux-mêmes ignoraient sa retraite. C'est de là que, dans les premiers jours de janvier 1792, il adressa au Directoire du département une pétition en vue d'obtenir le paiement du secours annuel de 500 livres, auquel il avait droit. L'administration départementale renvoya, le 9 janvier, la demande au Directoire du district de Vézelise. Celui-ci manda, le 12, l'abbé Collet, et le lendemain, prit une délibération défavorable. Se souvenant de la « conduite séditieuse » du sieur Collet, et considérant que loin de s'être conformé à la disposition de la loi, qui exigeait des pensionnaires une entière soumission à la législation, loin d'avoir prêté comme les citoyens de l'empire son serment civique, il cherche à renverser par tous les moyens l'immortel édifice de la Constitution, qu'en « accueillant dans les circonstances actuelles la demande du sieur Collet, ce serait favoriser les attentats des prêtres réfractaires qui déjà ne sont que trop multipliés, et enlever aux organes des lois tous moyens de concourir à leur exécution, il estime en conséquence que l'exposant sous tous ses aspects ne peut être dans le cas de prétendre au secours, qu'en conséquence il doit être déclaré déchu par l'effet même de sa désobéissance aux lois et du refus de son serment civique » (40). Moins sectaires que les administrateurs du district de Vézelise, ceux du département firent droit à la requête du curé de Voinémont, dont le nom figure au tableau des prêtres et religieux qui recevaient, en 1792, le secours annuel de 500 livres (41).
L'abbé Collet demeura chez les religieuses de la Congrégation jusqu'à la fin du mois de mai 1792. Obligé de quitter alors son refuge, il se retira chez son beau-frère à Nancy. Quand fut publié le décret qui condamnait à la déportation tous les prêtres insermentés, il demanda au Directoire du district de Nancy et obtint, le 11 septembre 1792, un arrêté de déportation pour Deux-Ponts (42). Son zèle pour les âmes l'eût retenu en France; il en fit le sacrifice, s'arracha avec la douleur la plus vive des bras de sa tendre mère et partit pour l'exil. Toutefois, pour se ménager la faculté de rentrer à la première occasion favorable, il voulut ne pas s'éloigner beaucoup de la frontière (43).
A Trèves, où il arriva le 19 septembre en compagnie de l'abbé Antoine, vicaire à Vigneulles, ses belles qualités le firent distinguer parmi ses compagnons d'émigration. Un dignitaire de la ville, M. Standt, le chargea de l'éducation de ses enfants. L'abbé Collet accepta cette charge avec reconnaissance, bénissant la divine Providence qui pourvoyait ainsi à son entretien. Il plut à toute la maison. Tandis qu'au mois de novembre, à l'arrivée du roi de Prusse, la plupart de ses confrères furent obligés de quitter Trèves pour faire place à l'armée prussienne, il reçut, à cause de ses fonctions, l'autorisation de demeurer (44). Rien, semble-t-il, ne manquait à son bonheur; mais, loin de son troupeau chéri, loin d'une mère désolée et souffrante, son âme ne put goûter de contentement (45). Plusieurs fois, il écrivit à ses « chers paroissiens ». Une de ses lettres, datée « du lieu de son exil, le 6 novembre 1792 », et précieusement conservée aux archives paroissiales de Voinémont, décèle les sentiments de son cœur:
« Une occasion se présente encore pour vous donner de mes nouvelles; jugez de mon empressement à la saisir.
« Que faites-vous donc tous, chers et tendres enfants ? Etes-vous toujours la plupart inébranlables dans votre foi ? ou quelqu'un ne l'aurait-il pas trahie par séduction ou par crainte ? Voilà la pensée qui agite continuellement mon esprit. Ah! quelle serait ma consolation, si j'apprenais que le nombre des vrais catholiques, au lieu de diminuer, s'accroît et se fortifie ! Au moins, j'aime à me le persuader, et c'est cette confiance qui peut seule tempérer toute l'amertume de mon exil et adoucir mes peines. Je pense même que le bandeau tombe déjà des yeux de ceux qui se sont laissés aveugler. Le mariage des prêtres, l'abolition des ordres religieux, la spoliation des églises, l'évacuation de tous les monastères, surtout de ceux des religieuses fidèles à la religion; le divorce, c'est-à-dire, la liberté aux époux de se séparer l'un de l'autre, au moyen de quelques formalités de contracter même une nouvelle alliance; le mariage effacé du nombre des Sacrements; la défense aux ecclésiastiques, religieux et religieuses de porter les marques et les livrées de leur état ; enfin le bannissement de tout le clergé fidèle à son Dieu et à son Roi, etc., tout cela ne peut que contribuer à leur faire reconnaître l'erreur, et concevoir enfin que la religion est violemment attaquée, ou plutôt qu'on n'en veut plus ; et c'est ce que je prévoyais déjà, lorsqu'étant encore au milieu de mon cher troupeau, je faisais tout mon possible pour le prémunir contre la séduction, et vous avez été tous témoins que la crainte des persécutions, de la prison et de l'exil ne m'a pas empêché de vous dire la vérité, et c'est cette même vérité que je suis encore prêt, avec la grâce de Dieu, de sceller de mon sang.
« Soyez tranquilles, chers enfants, sur mon sort; une providence particulière, qui veille continuellement sur moi, y a pourvu avantageusement; mais quelqu'avantageux qu'il soit, je quitterai ma place pour me rendre auprès de mon cher troupeau, aussitôt que les circonstances le permettront et je n'en perds pas l'espoir, et peut-être le moment n'en est-il pas aussi éloigné que les méchants se l'imaginent; leur triomphe ne sera pas de longue durée; notre Dieu se laissera un jour fléchir; nos prières, nos gémissements et nos larmes désarmeront sa justice, et alors il rendra la paix à son Eglise désolée. Quelle sera la joie mutuelle du pasteur et du troupeau fidèle! Quel épanchement du cœur entre eux!
« Dans le lieu de mon exil, j'ai la consolation de célébrer chaque jour nos saints mystères et d'assister aux bénédictions et autres cérémonies de l'Eglise; mais tout cela, les communions que votre pasteur voit donner et qu'il donne lui-même aux fidèles, les autres sacrements qu'il voit fréquenter ou qu'il administre, lui rappelant les malheurs de son infortunée patrie et en particulier de son troupeau délaissé..., son esprit se livre aux réflexions les plus attendrissantes et son cœur à la douleur la plus profonde.
« Je vous répète à tous les avis paternels que je vous ai donnés autrefois: Observez fidèlement les commandements de Dieu et ceux de l'Eglise; c'est-à-dire ceux dont l'accomplissement est en votre pouvoir; remplissez tous les devoirs de votre état ; aimez-vous les uns les autres, vos ennemis mêmes; rendez-leur le bien pour le mal ; priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient; ne vous laissez pas abattre dans vos peines; souvenez-vous que le Dieu qui vous afflige est un bon père! et quelque grandes que soient vos afflictions et vos croix, il vous donnera toujours la force de les supporter, si vous lui êtes fidèles et si vous lui adressez des humbles et ferventes prières.
« Pour ne pas vous compromettre, je ne nomme personne; mais mon cœur vous nomme tous, principalement mes fidèles paroissiens et paroissiennes. Je ne signe pas également par la même raison, mais vous reconnaîtrez ma lettre. Je vous embrasse tous dans le Seigneur et je suis toujours votre fidèle et dévoué pasteur » (46).
Cette correspondance ne suffisait pas au zèle du curé ; la piété filiale sollicitait aussi le fils à revoir sa mère. Ces deux puissants motifs déterminèrent l'abbé Collet à rentrer en France. La mort l'y attend, il le sait; loin de la redouter, il la désire et aspire secrètement au martyre que le Seigneur lui réserve.

III. - LE MARTYRE.

Muni d'un passeport quelconque, l'abbé Collet quitta Trèves au bout de trois mois de séjour, par conséquent vers la fin de 1792. Il arriva sans encombre jusqu'aux portes de Metz; mais là, il est arrêté et conduit à l'Hôtel-de-Ville. Il se présente avec assurance et sans trouble devant les officiers municipaux, soustrait habilement à leurs regards des papiers, capables de le faire monter à l'échafaud, et n'exhibe que son passeport. Cette pièce pouvait être discutée et compromettre son détenteur. La Providence ferma les yeux à la municipalité messine, qui laissa aller le voyageur.
Continuant sa marche, l'abbé Collet courut à Pont-à-Mousson un second danger, dont la Providence le sauva encore. Une personne qu'il connaissait et dont le père était un partisan enthousiaste et exalté de la Révolution, l'invita à souper chez elle. Convention faite des moyens à prendre pour ne pas se dévoiler, il accepta l'invitation. Pendant le repas, l'hôtesse oubliant la gravité de la situation, donne en conversant au prétendu laïc, assis à sa table, son titre de curé. A ce nom détesté, le père entre dans une grande fureur, et sort brusquement chercher main-forte pour arrêter le prêtre et le livrer à la justice. Sans tarder, le voyageur s'enfuit, marche toute la nuit, et à l'aube, arrive à Nancy, sans nouvel accident.
Sa première visite est pour un ami, qui le revoit avec une surprise mêlée de joie et d'inquiétude, et fait préparer doucement Mme Collet au bonheur du retour de son fils. L'entrevue fut des plus attendrissantes. La bonne mère goûtait, non sans mélange de crainte, le plaisir de posséder son fils avec elle chez son gendre. A Nancy, malgré la contagion du philosophisme, des mœurs corrompues et des mauvais exemples, beau coup d'âmes étaient restées fidèles à Dieu et recouraient au ministère des prêtres insermentés. L'abbé Collet se consacra tout entier à leur service. Il célébrait avec précaution les saints Mystères chez son beau-frère et y administrait les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Un laïc de ses amis qui assista à une cérémonie, où. se trouvait un autre confesseur de la foi, martyr aussi plus tard, assura que la rare modestie, la piété de ces deux saints personnages et un je ne sais quoi de divin lui firent éprouver des consolations inexprimables, dont les suites furent pour lui des plus heureuses (47).
Aux chrétiens qui ne pouvaient venir le visiter ou qui appréhendaient une indiscrétion, le prêtre courageux portait des consolations, des encouragements et les secours spirituels, dont ils avaient besoin. L'ardeur de son zèle l'exposait à des dangers, dont ses amis crurent plus d'une fois devoir l'avertir. A leurs représentations il répondait toujours: « Le salut des âmes doit m'être bien plus cher que la conservation de mes jours, et je serais trop heureux si une aussi belle cause me valait les honneurs du martyre. » (48)
Il n'oubliait pas ses chers paroissiens de Voinémont qui, de leur côté, se préoccupaient des dangers courus par leur pasteur. Peu après son retour à Nancy, il leur adressa une lettre d'exhortation et d'encouragement: « Je trouve, chers enfants, une occasion favorable que je saisis avec le plus vif empressement ; et c'est pour vous répéter que vous m'êtes sans cesse présents à l'esprit et au cœur.
« Oui, ô portion choisie de mon troupeau, votre pasteur ne vit que pour vous et tout le prix qu'il donne à sa vie n'est autre que celui que vous y attachez vous-mêmes. Ses peines, ses travaux, ses persécutions, son exil, sa captivité; tout cela lui parait doux, dès lors qu'il apprend que vous êtes non-seulement inébranlables dans la foi, mais que vous travaillez à l'accompagner des œuvres.
« J'apprends que votre affection filiale vous exagère des dangers pour mes jours ; tranquillisez-vous, chers enfants; la divine Providence, qui jusqu'à présent en a pris soin, saura encore les conserver, si elle juge que ma vie vous soit nécessaire ou utile.
« Je consens que vous soyez sensibles à mon sort; mais je ne veux pas que vous vous en affligiez. La cause pour laquelle je souffre persécution est trop honorable, et pour vous maintenir dans la voie du salut fallût-il ma vie, dès ce moment j'en fais volontiers le sacrifice. Gardez-vous bien, chers enfants, de murmurer et même de vous plaindre de la grandeur et de la durée de nos maux: le maître pour lequel nous les souffrons, nous en récompensera un jour. Souvenez-vous d'ailleurs que les persécutions, les croix et les humiliations sont les moyens les plus sûrs pour parvenir à cette patrie céleste, où les méchants ne pourront plus vous nuire.
« Ne perdez pas aussi la confiance que le Seigneur, après nous avoir purifiés et châtiés, rendra la paix à son Eglise désolée. Peut-être même que nous touchons au terme. En attendant, comptez toujours sur ma vigilance et mes soins paternels. Enlevé à mon troupeau, exilé de ma patrie, je n'y suis rentré furtivement que pour vos intérêts spirituels, et si mon corps est séparé de vous, mon cœur et mon esprit seront toujours .au milieu de vous. Votre pasteur vous salue et vous embrasse tous dans le Seigneur » (49).
A Nancy, l'abbé Collet dut se tenir dans une sorte de captivité, non moins pénible que l'exil. Quand, au mois d'avril 1793, les jours de la Terreur se levèrent sombrement sur la Lorraine, les confrères, dont il avait partagé à Trèves la retraite, tremblaient pour sa vie. Il échappa alors aux recherches des terroristes. Cependant son zèle se trouva bientôt à l'étroit dans la maison de son beau-frère ; malgré les dangers de l'entreprise, il le poussait à sortir de Nancy et à entreprendre des courses apostoliques dans les villages de la campagne, privés de pasteurs. Toutefois, avant de prendre une décision aussi grave, il consulte, il délibère, il écrit même à un ami pour lui demander son avis et pour ainsi dire l'autorisation de réaliser son projet. Il voulait se rendre à Haraucourt (50) et porter les secours de la religion aux fidèles de ces cantons délaissés et privés de prêtres. La réponse tardant et l'ardeur l'entraînant, il n'attendit pas l'avis demandé et partit avant de l'avoir reçu. Arrivé de nuit, il commence aussitôt l'exercice de son apostolat. Mais bientôt il est reconnu, dénoncé par un traître et poursuivi; il s'échappe et s'enfuit dans les bois. Des fidèles discrets vinrent l'y rejoindre en assez grand nombre et se confesser.
C'était au mois de juin 1793. La présence du prêtre fut aussitôt dénoncée aux procureurs-syndics du département et du district de Nancy. Une lettre du maire d'Haraucourt au premier annonçait que la commune éprouvait des agitations, causées par des prêtres réfractaires et fanatiques. Différentes personnes de Lenoncourt avaient aperçu un rassemblement d'hommes armés à Bosserville et à Réméréville. Le 18 juin, cette lettre et les procès-verbaux, dressés par les municipalités d'Haraucourt et de Gellenoncourt, étaient envoyés par le procureur-syndic du département à son collègue du district de Nancy. En même temps, était donné l’ordre de s'assurer de la vérité et de prendre des mesures promptes et rigoureuses pour réprimer les délits constatés (51). De son côté, le procureur-syndic du district avait été informé que plusieurs prêtres déportés étaient rentrés dans ces cantons, « que ces hommes abominables, nourris du charlatanisme sacerdotal, habitaient dans la forêt, y attiraient les âmes faibles et surtout le sexe, qu'ils fanatisent et excitent à l'insurrection. On assure qu'ils se sont associés plusieurs brigands ». Craignant pour le district des troubles, pareils à ceux de la Vendée, le Directoire délégua quatre commissaires pour vérifier les faits dénoncés et prendre des renseignements et ordonna des patrouilles chargées d'arrêter tous les étrangers (52). Les recherches n'aboutirent à rien; l'enquête n'obtint aucun résultat. L'abbé Collet était paisiblement rentré à Nancy; l'ange du Seigneur l'avait encore gardé en cette occasion.
Ce n'était qu'un répit; la victime, mûrie pour l'éternité, devait être immolée à Dieu comme un holocauste d'agréable odeur, et son sacrifice volontaire devait contribuer à apaiser la justice divine. Un de ces hommes, que l'esprit d'erreur avait alors si étrangement égarés, alla déceler aux autorités publiques la cachette du digne ministre de Jésus-Christ. Des visites domiciliaires réitérées et faites avec la plus grande sévérité le firent découvrir. Arrêté aussitôt par des gardes citoyens, il fut conduit en prison. C'était le 18 octobre 1793. La perquisition fit trouver dans la maison des ornements d'église, qui furent confisqués. Le juge de paix lut à ce sujet, le jour même, un rapport au conseil général de la commune. Les officiers municipaux laissèrent les ornements sacrés à la disposition du juge, mais décidèrent eux-mêmes que la mère du prêtre réfractaire et les ex-religieuses, qui étaient chez lui, seraient mises à l'instant en état d'arrestation (53).
Le juge de paix, à la barre de qui le prisonnier avait été amené, écrivit aussitôt au procureur général syndic du département pour lui demander des renseignements sur la déportation de l'abbé Collet. Le procureur fit exécuter dans les bureaux de son administration les recherches nécessaires et en transmit les résultats, le 28 vendémiaire an II, 19 octobre: « J'ai trouvé, dit-il, sur le tableau dressé par le district de Vézelise un nommé Jean-Baptiste Collet, ci-devant curé de Voinémont, dans le cas de la déportation à raison de son refus de prêter le serment, et qui a disparu du territoire de son district. Dans l'état fourni par le district de Nancy, se trouve également un nommé Jean-Baptiste Collet, prêtre réfractaire, qui le 11 septembre 1792 a demandé un passeport de déportation pour se rendre à Deux-Ponts. Je vous fais passer l'expédition de ces renseignements pour vous servir ainsi que de droit, dans le cas qu'ils auraient rapport à l'individu arrêté ». Ils le concernaient manifestement. Le juge de paix put s'en convaincre par l'interrogatoire qu'il fit subir ce jour-là même au prévenu. Ayant constaté que l'abbé Collet était un déporté, rentré sur le territoire de la République, ce juge, nommé Brisse, le renvoya à un jury militaire et rédigea à cette fin une ordonnance officielle. Deux jours après, le 30 vendémiaire, le Directoire du département ordonna à son tour « que Jean-Baptiste Collet, prêtre déporté et arrêté sur le territoire de la République, sera jugé par un juré militaire conformément à la loi du 18 mars ». Le 2 brumaire, 23 octobre, le procureur-syndic, en exécution de cet arrêté, écrivait au commandant de la place de Nancy : « Je vous adresse les pièces concernant l'arrestation de cet ecclésiastique. Je vous invite en conséquence et vous requiers au nom de la loi de faire former sans délai le juré militaire, qui doit prononcer sur lui... Comme le juré militaire ne doit prononcer que sur le fait de déportation et de rentrée en France, j'ai cru inutile de vous adresser les brochures, calices et autres ustensiles, trouvés chez le détenu, attendu qu'ils ne serviront en aucune manière à son jugement. Veuillez m'accuser la réception du présent envoi et me faire part de vos dispositions pour l'exécution de l'arrêté dont je dois rendre compte au Directoire du département » (54).
Durant les huit jours que l'abbé Collet passa en prison avant la consommation de son sacrifice, il signala sa patience et édifia ses compagnons d'infortune. Il subit divers interrogatoires, dans lesquels il déclara toujours la vérité, quoiqu'elle dût lui coûter la vie. Après un des interrogatoires, dans lequel il avait en vain espéré entendre sa condamnation, il revint très triste à la prison. Un prêtre, son compagnon de captivité, voyant sa désolation : « Eh! qu'avez-vous donc, mon ami? lui dit-il; est-ce que les choses vont mal ? Etes-vous jugé à mort? - Non, réplique le généreux athlète ; je suis triste, parce que mon affaire va prendre une tournure plus favorable. Le Seigneur ne veut donc pas m'accorder la grâce du martyre. Ah! Je sais bien que je n'en suis pas digne! » La grâce qu'il souhaitait si vivement ne lui fut pas longtemps refusée (55). Le lendemain, il comparut devant de nouveaux juges, disposés à le soustraire, s'il était possible, à la mort à laquelle le dévouaient ses précédents aveux. Dans ces bienveillantes dispositions, ils exposèrent l'accusé à une séduisante tentation, dont sa vertu sut triompher. Sa politesse et sa douceur lui avaient ménagé dans tous les partis, qui divisaient alors la société, de nombreux amis. Beaucoup de personnes honnêtes parlèrent en sa faveur au président du tribunal criminel (56), Jean-Baptiste Febvé. Ce magistrat essaya l'unique moyen de salut qui lui restait: l'accusé n'aurait qu’à déclarer qu'il ignorait, à sa rentrée en France, le décret qui interdisait, sous peine de mort, aux émigrés de mettre le pied sur le sol de la République. Le président dirigea tout son interrogatoire vers ce but, multiplia les questions et les disposa si habilement qu'il eût amené un prévenu moins attentif à faire, presque à son insu, cette déclaration mensongère. Mais l'abbé Collet remarqua promptement à quoi tendait le complaisant magistrat, et, préférant la mort au plus léger mensonge, renouvela la réponse du vieil Eléazar. « Citoyen, dit-il, je vois bien ce que vous voulez me faire dire ; mais sachez que je n'estime pas assez la vie pour l'acheter au prix d'un mensonge, appuyé du serment. Je vous déclare qu'eu revenant dans ma patrie, je n'ignorais pas qu'il était défendu aux émigrés, sous peine de la vie, de rentrer en France. » Les juges admiraient ce courage et le regardaient comme surhumain ; ils concevaient difficilement comment un prêtre zélé, dans la force de l'âge, refusait de dire un si petit mensonge pour échapper à la mort. Ils durent appliquer la loi et prononcèrent à regret une condamnation qu'ils eussent voulu éviter. Magistrats et assistants restèrent pénétrés de respect pour le noble condamné et publièrent partout le courage, la vertu et la gloire du prêtre réfractaire (57).
Content de mourir pour Dieu, la religion et la vérité, l'abbé Collet rentra à la prison, la joie peinte sur le visage. A son aspect souriant, l'ami qu'il aborde, oubliant leur entretien de la veille, se méprend encore sur les vrais sentiments de son cœur. « Vous êtes donc absous de la mort, s'écrie-t-il. Votre gaieté l'annonce. - Point du tout, mon ami, répond la victime ; je suis gai, parce que je vais mourir; rendons ensemble grâces à Dieu de la faveur qu'il m'accorde de mourir pour la foi. »
Depuis son arrestation, le vénérable curé avait employé tous les loisirs de la prison à écrire des paroles d'édification. Ces billets, empreints d'une vive piété, édifièrent grandement leurs destinataires. Le calme et la possession de soi, que suppose leur rédaction, sont un témoignage frappant de l'assistance de la grâce, accordée aux saints au milieu des épreuves extraordinaires que Dieu leur envoie pour sa gloire et l'honneur de la religion. Reconduit à la Conciergerie (58) après sa condamnation, le curé de Voinémont continua sa correspondance spirituelle. Sans trouble et avec la plus parfaite présence d'esprit, il écrivit des paroles de consolation et d'exhortation au dos de quantités d'images, destinées à ses amis et à ses paroissiens. Son testament et ses adieux à ses enfants spirituels sont remarquables (59). Nous en avons trouvé une copie; nous la publions comme le fidèle miroir des dernières pensées du martyr.
« Du lieu de ma prison, le 25 octobre 1793 (60), avant que d'aller entendre prononcer ma sentence qui sera peut-être celle de mort, j'ai eu le précieux avantage de trouver un confesseur de la foi, à qui j'ai fait l'aveu de toutes mes fautes dans toute l'amertume de mon âme, et j'ai la grande confiance que le Seigneur aura confirmé dans le ciel la sentence d'absolution qu'il a prononcée sur moi, et que les persécutions que j'ai essuyées et le supplice que je vais peut-être subir seront agréés par le Dieu de bonté et de miséricorde en satisfaction pleine et entière de tous mes péchés, pour lesquels je n'aurais pas entièrement satisfait à sa justice ; après avoir mis ordre à ma conscience, bien résolu avec la grâce du Seigneur de rendre hommage à la foi en en faisant une profession authentique, et de la soutenir aux dépens de ma vie, avant de quitter mon confesseur, je lui ai remis cet écrit avec prière d'en faire l'usage dont je lui ai parlé. - 1° Je demande très humblement pardon à ma mère de tous les chagrins et de toutes les peines que j'ai pu lui causer depuis le premier usage de la raison jusqu'à ce moment. Je demande le même pardon à ma sœur et à toutes les personnes que j'aurais pu offenser dans tout le cours de ma vie. 2° Je pardonne également de tout mon cœur, comme je désire que le Seigneur me pardonne, à tous ceux qui m'auraient fait du mal, ou qui auraient eu le moindre désir de m'en faire, et en particulier à ceux qui auront contribué à ma mort, et à l'exemple de mon divin Sauveur et de saint Etienne, premier martyr, je prierai pour leur conversion jusqu'au dernier soupir.
3° Je désire que ma mort soit utile à la gloire de la religion, au salut des âmes, surtout à celui de mes paroissiens, qu'elle serve à affermir dans la foi les bons catholiques et à ramener dans le giron de l'Eglise ceux qui ont le malheur d'en être séparés. 4° Je désire aussi qu'elle soit utile au clergé séculier et régulier, qu'elle serve à encourager ceux qui sont fidèles à Dieu et à leur Roi et à rappeler ceux qui ont manqué à cette fidélité. 5° Je souhaite enfin qu'elle procure le même avantage à toutes les religieuses et en particulier à celles qui ont le plus de droit à ma reconnaissance. Je ne les nomme pas dans la crainte que cet écrit découvert avant la paix, elles ne deviennent victimes d'une plus grande persécution, et c'est pour cette raison que je tais les noms de toutes les personnes que les liens du sang et plus encore ceux de la religion rendent plus chères à mon cœur.
6° Si les choses vont au point que l'on exige des serments soit des religieuses soit des autres catholiques, je les supplie par le salut de leurs âmes et au nom de notre mère la sainte Eglise de ne jamais souiller leurs bouches par des serments aussi impies qu'anti-catholiques. Je ne répéterai pas ici ma profession de foi déjà consignée dans les archives du greffe de Voinémont, ma paroisse, et du tribunal de Vézelise, où en 1791 j'ai essuyé une procédure criminelle.
Je finis en déclarant qu'exilé de ma patrie par une autorité incompétente, je n'y suis rentré furtivement que pour être utile âmes paroissiens, aux dames religieuses et aux fidèles catholiques, à qui la prudence permettait de découvrir le secret de ma rentrée; et j'ai la plus grande confiance que ma mort ne contribuera pas peu à l'avantage spirituel des uns et des autres. Je fais mes adieux à tous mes fidèles confrères, je prie en particulier Mgr de la Fare, prélat aussi recommandable par sa piété que par sa vaste érudition, d'être convaincu des sentiments de mon profond respect et de ma parfaite soumission. Je fais mes adieux à ma tendre mère et à ma bonne sœur, qui, loin de s'affliger de mon supplice, doivent en rendre gloire au Seigneur qui m'appelle à lui dans sa miséricorde. Je fais mes tendres adieux à tous mes paroissiens et en particulier à la portion choisie de mon cher troupeau. Je fais mes adieux à toutes les personnes consacrées au Seigneur, fidèles à Dieu et au Roi, et en particulier à celles que j'ai dirigées ainsi qu'à tous mes parents, amis et bienfaiteurs, et si le Seigneur me fait miséricorde, je les prie de croire qu'ils auront tous auprès de lui un intercesseur de plus » (61).
Dans le temps qui s'écoula entre sa condamnation et son supplice, on envoya à l'abbé Collet pour le confesser et le disposer à la mort un prêtre assermenté, l'abbé François, ancien vicaire de Nomeny et curé intrus de la paroisse Saint-Epvre de Nancy. Le confesseur de la foi ne se contenta pas de refuser son ministère, il lui dit en peu de mots, mais avec une énergie vraiment apostolique, les vérités les plus propres à faire sur son esprit et son cœur une profonde impression et à le ramener dans le sein de l'Eglise catholique (62). Durant le même intervalle, deux femmes des plus exaltées vinrent à la prison insulter et couvrir d'outrages le condamné. « Mais à la vue de son air plein de suavité et d'une sorte de majesté pour ainsi dire céleste, elles sont demeurées muettes, la langue liée, saisies d'admiration. Prévenues encore de sa part de paroles d'honnêteté et de douceur, elles ne purent s'empêcher de dire en sortant: Ah ! c'est un saint ! ».
Lorsqu'il quitta la prison pour aller au lieu du supplice (63), il salua gracieusement, d'un air doux, et la joie peinte sur le visage, tous les assistants; il marcha ensuite modestement, recueilli eu lui-même, les yeux fixés sur un crucifix qu'il avait fait attacher sur sa poitrine. Arrivé au pied de l'échafaud, il monte et se livre aux mains des bourreaux. Ceux-ci, pour accomplir leur œuvre, durent vaincre la répugnance qu'ils éprouvaient à la vue de la sainteté du digne ministre de Jésus-Christ. Le fer de la guillotine, en tranchant la tête de l'innocente victime, fit d'elle un martyr de la foi catholique.
Cette bienheureuse mort d'un héros chrétien fut suivie de fruits merveilleux. Dans la paroisse de Voinémont, les esprits désabusés et détrompés revinrent à la foi de Jésus-Christ et à la soumission à l'Eglise. Les plus égarés dans la voie de l'erreur se frappaient la poitrine et versaient des larmes sur leur bon curé; ils les renouvelaient chaque fois que l'on en faisait mention devant eux et au souvenir des persécutions qu'ils lui avaient fait endurer. Sans doute, ils avaient sujet d'espérer trouver grâce auprès de Dieu, ayant au ciel dans ce pasteur zélé, qui ne cessait de prier pour eux, un puissant intercesseur. La vive contrition, dont les cœurs de ses ennemis ont été pénétrés, peut bien être regardée comme le fruit de ses prières (64).
La justice révolutionnaire poursuivit sa victime jusqu'après sa mort, et en vertu de la loi du 22 ventôse an II, 12 mars 1794, les biens de l'abbé Collet furent confisqués par la nation (65).

IV. - Le centenaire du martyr.

Au centième anniversaire de sa glorieuse mort, le 25 octobre 1893, le martyr a reçu dans son ancienne paroisse les honneurs dus à sa mémoire. Une fête de solennelle réparation avait été organisée par M. l'abbé Vantillard, curé de Voinémont. Elle a présenté un caractère exclusivement religieux. Mgr Turinaz, évêques de Nancy, la présidait. Après les Vêpres, Sa Grandeur a fait le panégyrique du héros et a glorifié le pasteur et le martyr qui, à l'imitation de Jésus-Christ, a donné sa vie pour ses brebis. Au retour d'une procession à travers les rues du village dans lesquelles, le soir du 30 août 1791, l'abbé Collet avait été conduit comme un criminel, l'évêque bénit un beau monument funèbre, élevé par les paroissiens de Voinémont à leur ancien curé. Dans le champ des morts, à l'entrée de l'église, adossé au mur entre les tombeaux des curés de la paroisse, il remplace la tombe ignorée et peut-être profanée du martyr.
C'est une grande croix nue, que supporte un soubassement, chargé d'inscriptions et de sculptures. Au sommet du piédestal, on lit, gravée dans la pierre, la réponse généreuse de l'accusé au président du tribunal : « Je ne veux pas racheter ma vie par un mensonge. » Un calice et un ciboire, des épis de blé et des grappes de raisin, noués et encadrés par l'étole pastorale, constituent l'ornement central. Immédiatement au-dessous, une plaque de marbre reproduit cette inscription : A LA MEMOIRE DE L'ABBÉ COLLET, CURÉ DE VOINÉMONT, MORT SUR L'ÉCHAFAUD, CONFESSEUR DE LA FOI ET MARTYR DE LA VÉRITÉ, LE 25 OCTOBRE 1793. Les dernières assises portent enfin cette prière: O Saint Pasteur, priez pour Nous », et tout à fait en exergue, cette mention et cette date : « Erigé parla piété des paroissiens. - Centenaire 1793-1893 ». Une pierre tombale complète ce monument, qui perpétuera le souvenir d'un saint martyr parmi les descendants de ses chers paroissiens (66).

(1) Semaine religieuse du 14 avril 1867, p. 9-10. Cf. Guillaume, Histoire du diocèse de Tout, t . V, p. 198-199.
(2) Ce respectable prêtre, ordonné en 1752, était depuis 1753, titulaire de la chapelle Saint-Antoine, érigée en 1599 dans l'église d'Haraucourt, lieu de sa naissance. « Sous le poids des infirmités et des glaces de la vieillesse, il brûlait de zèle pour la gloire de son Dieu et le salut des âmes, et employait ce qui lui restait de forces à l'éducation de la jeunesse. » Masson, Manuel d'éducation, t. I, p. 281. Encelade, dont l'acte d'impiété envers une croix fut suivi d'un prodige étonnant, était son élève. Ibid., p. 281-284. Nous raconterons plus loin les persécutions dont il fut l'objet pendant la Révolution. L'abbé Vautrin est mort à Haraucourt, le 2 ventôse an XII, 22 février 1801, âgé de 80 ans, moins 17 jours.
(3) Notes du chanoine Chariot.
(4) Journal ecclésiastique du diocèse de Nancy, t. XVII, 1794, p. 137.
(5) Registre des gradués.
(6) Né à Bruyères en 1738, incorporé au clergé du diocèse d'Auxerre, puis revenu dans son diocèse d'origine par raison de santé, prêtre à Toul au mois de septembre 1763, curé en janvier 1764 sur la présentation du chevalier de Lambertye, prieur de Romont, Antoine-François Collet refusa le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé et émigra l'un des premiers à Manheim, puis à Rastadt, ville du grand-duché de Bade, où il mourut en septembre 1798, à l'âge de 57 ans.
(7) « M. Jean-Claude Voirin, né à Azerailles, le 26 février 1736, a fait ses premières humanités près de son oncle, curé de Brouville; il a étudié ensuite au Collège d'Epinal; il est entré chez les Jésuites à Nancy en 1752, y a fait ses premiers vœux en septembre 1754, a fait sa philosophie à Pont-à-Mousson, a régenté les humanités au Collège de Metz, a été ordonné prêtre à Trèves en septembre 1764, sorti de la Société dans les premiers jours de janvier en 1765, a été fait vicaire à Brouville chez son oncle, après Pâques de cette même année. En mars 1766, il est devenu curé là même par la résignation de Georges Voirin, son oncle; mais il a eu la faiblesse pour pouvoir obtenir son arrêt de prise de possession temporelle de ce bénéfice, de faire et de signer au Parlement de Metz le serment de renonciation à la Société de Jésus; démarche que ne lui a pas pardonnés feu M. Drouas, évêque de Toul. En 1791, il a refusé le serment schismatique de la Constitution civile du clergé, et ayant été remplacé le 30 juillet de la même année, il s'est retiré à Lunéville au mois d'août. Ayant été déporté en septembre 1792, il s'est retiré de Nancy à Deux-Ponts, où il est mort le 23 octobre suivant. Les agréments de son commerce, la solidité de ses principes, ses connaissances en littérature, l'honnêteté de ses mœurs le firent chérir de tous ses confrères. » CHATRIAN.
(8) « M. Huin a répandu, durant sa vie et à sa mort, une telle odeur de piété et de zèle, jointe aux talents les plus rares dans la conduite des âmes, que nous nous faisons un devoir de donner place dans notre journal à un si beau modèle. - Né à Azerailles, le 29 octobre 1733, de parents chrétiens, il en reçut une heureuse éducation, et il montra de bonne heure les dispositions les plus favorables, du goût pour l'étude, un jugement droit, une bonté de caractère et une sagesse de mœurs qui le firent distinguer par ses maîtres. Après avoir parcouru la carrière des humanités et de la philosophie au Collège des Jésuites à Epinal, il entra au Séminaire de Toul en novembre 1754, s'y distingua en théologie par son application et son intelligence, et fut ordonné prêtre, le 25 mars 1758. - Il était destiné au vicariat de Brouville, où il espérait acquérir les connaissances les plus précieuses dans l'exercice du saint ministère sous M. Voirin, très digne curé, qui avait pris la peine de lui enseigner les premiers principes de la langue latine, lorsque la Providence l'enleva à ce poste et au diocèse de Toul pour six à sept ans, par une circonstance qui devait le rendre ailleurs plus utile à la religion, en lui donnant à lui-même l'heureuse occasion d'acquérir des connaissances théologiques qu'il n'eut pas eu le bonheur de trouver dans son diocèse. - Madame la marquise de Queutrey, en Franche-Comté, devenue veuve et désirant donner à trois enfants une éducation suivie et chrétienne, s'était adressée à M. Drouas, évêque de Toul, pour en obtenir un instituteur doué des talents et des vertus propres à lui donner la satisfaction qu'elle désirait. Ce prélat, d'après les notes que les Lazaristes lui avaient données, jugeant M. Huin plus propre que tout autre à l'état et aux fonctions d'instituteur dans une grande maison, lui proposa celte place et la lui fit agréer, en lui faisant promettre que, cette éducation finie, il reviendrait dans le diocèse de Toul et s'y rendrait utile selon les vues que la Providence pourrait alors avoir sur lui. - M. Huin a fait honneur au diocèse de Toul pendant son séjour dans celui de Besançon, soit pour les soins qu'il s'est donné pour l'éducation des enfants de Madame la marquise de Queutrey, soit par les succès qu'il a obtenus, soit par ses connaissances en littérature et en théologie qui l'ont lié particulièrement avec les professeurs de cette science en l'Université de Besançon (a). - M. Huin, revenu en Lorraine en 1767, consentit à exercer le saint ministère dans la paroisse de Brouville avec le curé, son ancien compatriote, condisciple et ami, et en 1779, fut nommé à l'excellent bénéfice-cure de Nossoncourt. C'est là qu'il a fait preuve de ses talents pour le bon gouvernement d'une grande paroisse de son zèle laborieux, de son attention à former de bons vicaires, de sa tendre charité pour les pauvres. Aussi était-il chéri des paroissiens et respecté de tous ses confrères. - La Révolution l'a compté au nombre des prêtres réfractaires, insermentés, fidèles à l'Eglise ; il a émigré, supporté tous les inconvénients, toutes les privations, toutes les fatigues de l'exil; est rentré en 1802, et malgré son grand âge et ses infirmités, a bien voulu accepter la chétive place de succursalier à Nompatelize, dans le département des Vosges ». CHATRIAN.
(a) Un de ces professeurs était le célèbre Bullet, auteur des Réponses critiques aux difficultés proposées par les nouveaux incrédules sur divers endroits des Livres saints.
(9) Archives paroissiales de Ménil. Cette congrégation eut ses élections régulières, même en pleine Révolution, jusqu'en 1797. Elle fut restaurée le 23 floréal ou 12 mai 1803.
(10) Etat sommaire des quêtes et distributions, p. 2, et Chatrian.
(11) Le 9 mai 1780 pour Haraucourt, le 11 avril 1782 pour Moriviller et Sommerviller, le 9 octobre suivant pour Amance, Ourches (Cercueil) et Deuxville, le 19 février 1783 pour Rozelieures, le 3 décembre de la même année pour Saint-Remimont, le 7 juillet, 1784 pour Magnières, le 31 août 1786 pour Amance et Bayon, le 12 décembre 1787 pour Velaine-sous-Amance.
(12) André Toye Collègue, né le 29 mai 1736 à Abriès (diocèse d'Embrun), entré dans l'Institut le 17 décembre 1759, n'était plus en 1792 supérieur local de Maréville, mais visiteur général de la Congrégation en résidence à Maréville. Sa pension fut liquidée à raison de 596 livres 15 sous 10 deniers (A.D., H 2355). « Homme actif et partisan zélé de la bonne cause », ce digne religieux, se contentant d'une modique pension, réunit à Maréville, à la fin de 1791, plus de soixante prêtres insermentés. Le 12 juillet 1792, ces pensionnaires d'un nouveau genre demandèrent au Directoire du département d'être gardés à leurs dépens dans cette maison. En réponse à cette requête, la populace de Nancy, conduite par deux vicaires épiscopaux, se porta au nombre de plus de 2000 personnes, le dimanche 31 juillet, à Maréville. Quoiqu'intrépide et homme de tête, le frère Jean-Marie ne put apaiser la troupe irritée, qu'en lui promettant la dispersion prochaine des prêtres catholiques. La plupart émigrèrent aux mois d'août et septembre suivants. Le frère supérieur fut accusé d'avoir délivré de faux certificats à quelques émigrés ; il fut enfermé à la Conciergerie de Nancy. Au mois de février 1793, son procès s'instruisait au criminel. Le 19 avril 1793, les corps administratifs et judiciaires prononçaient encore son arrestation. Comme l'accusation n'était pas fondée, le tribunal criminel rendit le 19 août une sentence d'acquittement. Rendu à la liberté, le frère émigra vers Luxembourg. Il y arriva le 19 novembre après avoir fait bien des détours et couru bien des dangers. Au mois de janvier 1794, il quitta cette ville et chercha à établir un pensionnat à Liège; il avait réuni quelques jeunes Frères, échappés à la milice. Obligé de s'éloigner, il gagna l'Italie au mois de juillet suivant. En 1797, Mgr de la Fare comptait sur lui pour la réintégration des Frères des Ecoles chrétiennes dans son diocèse; au mois de juillet 1798, il prenait des informations sur le lieu de sa retraite. Les circonstances politiques ne permirent pas la réalisation des projets de l'évêque de Nancy. Le frère Jean-Marie mourut, sans avoir pu y concourir, à Ferrare, le 9 septembre 1799.
(13) A la maison de force les Frères avaient joint un pensionnat libre pour les enfants ayant dépassé l'âge de 14 ans, et un noviciat de leur congrégation. Ce noviciat reçut, du 16 octobre 1751 au 15 février 1790, 546 novices, qui ne persévérèrent pas tous dans l'Institut- Arch. dép., H 2355.
(14) Calendrier historique et ecclésiastique du diocèse de Nancy, 22 avril 1788, p. 118.
(15) Procès-verbal de l'Assemblée.
(16) Procès-verbal des séances et délibérations de l'ordre du clergé du bailliage de Nancy.
(17) Chatrian, Journal, t. XVII, p. 138. L'abbé Collet permutait avec le digne abbé Mangin, guillotiné à Mirecourt, quelques semaines après lui.
(18) Né à Vittel en 1714, prêtre de 1745, il fut, en 1762, nommé par le prieur de Relanges, curé de Norroy-sur-Vair, en 1766, maintenu à ce poste par arrêt de la Cour souveraine de Nancy, enfin en 1784 curé de Voinémont par résignation de son neveu, Joseph Maire-Richard, qui passa à la cure de Benney. Dans ses deux paroisses, « il a rempli avec distinction les devoirs de pasteur. » Le lendemain du décès, son corps a été inhumé à l'entrée de l'église. (Acte de décès, extrait des registres paroissiaux de Voinémont.)
(19) Ce concours fut le dernier qui se tint dans le diocèse de Nancy. L'évêque accorda, comme prix d'émulation et d'encouragement, cinquante livres de France à chacun des quatre concurrents, qui venaient par ordre de mérite après l'abbé Collet. D'après les Fouilles de Chatrian, les revenus du bénéfice étaient, en 1779, de 3,200 livres et en 1784 de 3,000 livres. D'après la déclaration faite en 1790, les dîmes étaient louées pour la somme de 960 livres de France; le bouvrot rapportait 18 paires et un bichet de pois, le tout évalué, suivant le prix des halles, à 383 livres 10 sous, même cours ; le revenu total était donc de 1,343 livres 10 sous. Le vingtième et les autres impositions, payés en mars 1791, formaient la somme de 131 livres 9 sous. L 2735 et 2736. Il y avait aussi, pour subvenir aux frais de fondations pieuses, douze hommées de prés, qui produisaient deux voitures de foin, et cinq hommées de vignes, qui donnaient cinq mesures de vin.
(20) Martin était charitable et, durant le rude hiver 1789-1790, il fit distribuer aux pauvres sur les revenus de la cure cinq résaux de blé, à une époque où il se vendait 30 livres le resal. L'abbé Collet les lui paya plus tard. L 2735 et 2736. Les paroissiens de Voinémont récompensèrent la générosité de Martin, en le nommant, le 17 février 1790, au second scrutin pour l'élection des officiers municipaux, maire à l'unanimité des voix.
Mais, le 28 du même mois, le curé donna sa démission de maire et fut remplacé par Etienne François, le futur persécuteur de l'abbé Collet. Registre des actes de la municipalité de Voinémont. Retiré à Vittel, il y passa tranquillement toutes les années de la Révolution, grâce aux serments de liberté et d'égalité et de haine à la royauté, qu'il prêta successivement, mais rétracta plus tard. Sa vie privée fut toujours édifiante. Il s'opposa de toutes ses forces a la propagation du schisme dans la paroisse qu'il habitait et rendit tous les services qu'il put aux missionnaires catholiques. En 1803, il désirait y demeurer en qualité de vicaire. Registre d'information des provicaires généraux de Toul.
(21) Le dimanche du Bon Pasteur (18 avril), l'abbé Collet, venu pour suivre son procès, fit le prône à l'église de Houdreville, le curé Alba n'osant plus monter en chaire.
(22) Registre des causes du bailliage de Vézelise. Archives de la Cour d'appel de Nancy.
(23) Ils s'élevaient à 208 livres 16 sous, dont 154 l. 3 s. 8 deniers pour la part de l'abbé Collet, et 54 l. 12 s. 9 d. pour la part de l'abbé Martin. Ils ont été payés le 16 août 1790. Le nouveau titulaire eut encore à payer 46 l. 10 s. pour frais d'inventaire des papiers de la cure.
(24) Relation de la mort du vénérable M. Collet. Une copie de celle Relation, faisait partie des papiers de l'abbé Jean-Baptiste Déblaye et nous a été obligeamment communiquée par leur propriétaire actuel, M. Chapelier, curé-doyen de Lamarche (Vosges).
(25) Ibid.
(26) C'était le vicaire de Lemainville, annexe de Voinémont; il avait refusé le serment. Il mourut, déporté à Rochefort, le 20 juin 1793. Cf. Thiriet, Le Séminaire de Nancy, p. 27.
(27) Recueil manuscrit de lettres de Mgr de la Fare, appartenant au Grand-Séminaire de Saint-Dié.
(28) Registre des actes de la municipalité de Voinémont. Un extrait, certifié conforme par le maire, nous en a été communiqué par M. l'abbé Vantiliard, curé actuel.
(29) L 2739. Les faits qui vont suivre nous sont connus par plusieurs pièces, qui sont conservées au même dépôt (L 2743 et 2744) et qu'il serait trop long d'énumérer en détail.
(30) « On appelle ajournement personnel un décret rendu contre un accusé en matière criminelle, pour qu'il vienne répondre personnellement sur certains faits ». André, Dictionnaire de droit canonique, nouvelle édit. t. I, p. 89.
(31) Fils de Nicolas George et d'Anne Créplat, Saintin naquit et fut baptisé le 9 février 1752, à Merles, annexe de Dombrat (diocèse de Verdun). Il fit profession religieuse, le 25 novembre 1741, chez les Dominicains de la rue Saint-Honoré, à Paris. Le 3 décembre 1746, il devenait conventuel à Nancy. Arch. dép., II. 824. Au début de la Révolution, il était prieur du couvent de son Ordre à Blainville-sur-l'Eau. Quand les Ordres religieux furent supprimés, il opta pour la vie privée. Après un court séjour à Voinémont au titre d'administrateur provisoire, il fut installé, le dimanche 31 juillet 1791, comme curé constitutionnel des Trois-Maisons à Nancy (voir Thiriet, L'abbé Gabriel Mollevaut, p. 81-83), avec un traitement de 3,000 francs. Le 30 brumaire an II, 20 novembre 1793, il dépotait ses lettres de prêtrise sur l'autel de la Déesse Raison et néanmoins, les 5 et 6 nivôse suivants, fêtes de Noël et de saint Etienne, il célébrait la messe à Saint-Fiacre. Pour ce crime, le comité de surveillance le fit emprisonner aux Carmélites, 8 pluviôse, 28 décembre. « Réclamé par tous les bons patriotes », il fut bientôt relâché, obtint le 24 prairial suivant, 12 juin 1794, de la municipalité de Nancy, un certificat de civisme et se retira au mois d'octobre 1794, à Blainville, où il toucha un secours annuel de 1,200 francs. Il reparut à Saint-Fiacre, le jour de Pâques 1797. Patriote et attaché au gouvernement, il accepta, au mois de janvier 1799, de célébrer les décadis au lieu des dimanches et fêtes ecclésiastiques. Exerçant le culte à Malzéville, il prêta, le 8 brumaire an VIII, 29 octobre 1799, le serment de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III et jura de s'opposer de tout son pouvoir au rétablissement de la tyrannie. Après le Concordat, demandé, puis décommandé par les habitants de Lay-Saint-Christophe, il fut nommé curé de Bagneux, germinal an XI, mars-avril 1803; il quitta ce poste le 1er vendémiaire an XIII, 22 septembre 1805, pour se retirer à Pierre.
(32) Dés le mois de septembre suivant, Voinémont recevait comme administrateur un ancien cordelier, retiré à Ceintrey, le père Jean-Claude Marchal. Né le 20 mai 1739 à Ceintrey et fils de Claude Marchal et de Marie Genet, il avait fait profession à Nancy, le 27 décembre 1760. En 1780, il était conventuel à Mirecourt, en 1788 à Nancy et au début de la Révolution à Rosières-aux-Salines. Ayant d'abord opté pour la vie commune, il fut placé, le 9 avril 1791, au couvent de Toul ; mais, le 5 août suivant, il déclara au secrétariat du district de cette ville qu'il se retirait à Ceintrey pour y jouir de sa modeste pension de religieux. Pour rétablir l'ordre qui se trouvait troublé par l'effet de l'incivisme du ci-devant curé de Voinémont et du vicaire de Lemainville, il a sacrifié sa tranquillité et s'est dévoué sans réserve à la chose publique ». Aussi le district de Vézelise, qui lui rend cet hommage, lui assigna-t-il un traitement de 700 livres, indépendamment de sa pension de religieux. Le père Marchal rédigea les actes civils de Voinémont jusqu'en novembre 1792; à cette époque, le maire se transporta au presbytère pour sommer le curé de lui remettre les registres (archives municipales). Au mois de décembre suivant, Marchal devint curé constitutionnel de Praye et de Saxon. A Praye, le père Marchal parut royaliste par ses propos, « regrettant beaucoup Capet ». On l'accusa au comité de surveillance de Vézelise d'avoir détourné les garçons de se rendre au recrutement et d'avoir dit : « Si j'étais garçon, je ne tirerais pas ». Le juge de paix et le maire avaient entendu sortir de sa bouche des propos incendiaires. Cette dénonciation n'eut pas de suite. Mais, le 16 brumaire an III, 6 novembre 1793, Marchai demanda au district un exeat pour Bar-sur-Ornain et, le 23 frimaire, 13 décembre, reçut de Praye un certificat de « bon citoyen, républicain français ».
La paroisse de Voinémont fut ensuite desservie par Jean-Baptiste Nicolas, dont le frère aîné était alors vicaire épiscopal de Lalande et devint plus tard évêque intrus de la Meurthe. Né à Epinal le 5 juin 1751, prêtre à Toul le 15 mars 1777, il avait été successivement vicaire à Ramonchamp, administrateur à Tantonville à la place de son frère, simple chapelain et roulant le monde. En 1791, il prêta serment et fut intronisé à Vaudeville. Le 30 brumaire an II, il vint à Nancy abdiquer au temple de la liaison le ministère du culte catholique et déposer ses lettres de prêtrise. Il resta laïque, devint secrétaire à la Préfecture d'Epinal et mourut dans cette ville, le 14 mars 1814.
Ce fut le dernier pasteur constitutionnel de Voinémont. Après son départ, le presbytère fut loué à Jean-Basile Pitoux.qui demanda au département, le 24 thermidor an II, 11 août 1791, l'autorisation d'y faire les réparations nécessaires. Le devis fut approuvé, le 27 fructidor, 13 septembre.
La paroisse ne fut pas dépourvue de tout secours religieux. L'abbé Nicolas-Antoine Colson, de Ceintrey, retiré chez ses parents avec son oncle, curé de Saint-Ouen administrait les sacrements aux catholiques de Voinémont. Voir Thiriet, Le Séminaire de Nancy, p. 37. Il avait émigré à Constance.
Une note administrative de l'évêché de Nancy rend au vicaire de La Vacheresse ce beau témoignage: « M. Colson, qui dessert Voinémont depuis dix ans, est vivement réclamé par les habitants de cette commune. Elle se charge de l'entretenir. Cette paroisse, composée de quatre vingts feux, ne veut pas être réunie à Ceintrey. M. Colson y convient parfaitement ». Postérieurement, on a ajouté: « M. Colson demande à retourner à Saint-Ouen comme Vicaire; c'est un sujet capable de diriger cette paroisse ». D'autre part, le Registre d'information des provicaires généraux de Toul nous apprend qu'il y était désiré et qu'il y avait une pétition pour le demander. Il y fut nommé.
(33) La relation manuscrite, que nous avons déjà citée, dit que l'abbé Collet fut saisi et arrêté par une cohorte de ses paroissiens égarés et des plus méchants d'alors. La délibération du corps municipal, dont nous allons parler, mentionne seulement le maire de Voinémont et cinq gardes nationaux de Ceintrey.
(34) Relation.
(35) Registre des actes de la municipalité de Voinémont. (Extrait communiqué par M. l'abbé Vantillard).
(36) Remontrance de l'abbé Collet, adressée, le 8 juillet, au Directoire du département, L. 2743.
(37) Chatrian.
(38) Relation.
(39) Recueil du Grand-Séminaire de Saint-Dié.
(40) Délibération du 13 janvier 1792, L. 2739.
(41) L. 1701.
(42) Ibid. 461.
(43) Relation manuscrite.
(44) Chatrian.
(45) Relation manuscrite.
(46) Dans la copie, qui est conservée à Voinémont, suivent néanmoins la signature du curé et une longue énumération de noms, dont la plupart ne sont plus portés dans la paroisse.
(47) Relation manuscrite.
(48) Chatrian.
(49) Archives paroissiales de Voinémont. - En post-scriptum: « Je ne désespère encore pas de Joseph Carel, de Macet le tailleur, de Remy Briclot et de Nicolas Briclot. Je prie leurs femmes de me rappeler dans leur souvenir, et je prie le Seigneur pour leur retour dans la foi qu'ils ne trahissent que par faiblesse. »
(50)« Lieu de sa naissance », dit pour « lieu de sa résidence » la relation manuscrite qui fournit ces détails. La paroisse n'avait plus de prêtre catholique depuis l'emprisonnement du chapelain Vautrin .et du diacre Jean Michel.
(51) Correspondance de l'administration départementale, L. 164.
(52) Délibérations du district de Nancy, L 1490.
(53) Actes et délibérations de l'autorité municipale de Nancy, t. X, p. 113 (manuscrit de la bibliothèque publique de Nancy). Le registre d'écrou des Cordeliers inscrit l'entrée du Mme Collet, rentière, à la date du 27 octobre seulement. Les motifs de son arrestation sont qu'elle savait la rentrée de son fils prêtre et qu'elle l'avait couché chez elle. Avait-elle d'abord été enfermée à la Conciergerie ? Avait-elle servi de témoin dans la procédure ? En l'absence des pièces officielles, nous ne pouvons que le conjecturer. La commission populaire, créée par le représentant du peuple Michaud pour le jugement des détenus, s'occupa une première fois, le 27 vendémiaire an III, 18 octobre 1794, de la prisonnière. Elle estima que, n'ayant donné aucune preuve de civisme, elle ne pouvait obtenir sa liberté. Celte décision fut cassée, le 7 brumaire suivant, 28 octobre. Dans l'intervalle Mme Collet avait atteint 73 ans. « La commission s'est convaincue par le rapport de plusieurs de ses membres que la veuve Collet, en recélant son fils pendant 24 ou 48 heures, n'avait pas entendu contrevenir à la loi, que son grand âge ne lui permet pas de connaître, mais seulement suivre ses inclinations naturelles; vu son âge et ses infirmités, la commission ne persiste pas dans son premier avis et demande même sa liberté ». De fait, la prisonnière fut libérée deux jours après, le 9 brumaire. L 3337. Elle avait été enfermée plus d'une année entière.
(54) L 164.
(55) Relation manuscrite.
(56) Le tribunal criminel siégeait dans la salle où se tiennent aujourd'hui les assises. Voir L. Lallement, Les maisons historiques de Nancy, p. 24.
(57) Relation et Chatrian.
(58) La Conciergerie touchait au Palais de justice. Construite en 1759, elle a été démolie en 1871. Cfr Courbe, Les rues de Nancy, t. Ier, p. 186-187.
(59) Relation.
(60) Il fut décapité ce jour-là, et non pas le 1er janvier 1798, comme le disent l'abbé Aimé Guillon, les Martyrs de la Foi pendant la Révolution française, t. II, p. 448, et après lui, M. Victor Pierre, la Terreur sous le Directoire, 1887, p. 146. Ce dernier historien a corrigé sa première erreur. 18 fructidor, 1893, p. 373, note.
(61) Copie faite par Chatrian. Ce pieux testament est suivi d'un Avis particulier à Madame Collet: « Faites dire à ma mère qu'elle trouvera dans mes papiers, renfermés dans un portefeuille de peau, un billet signé de ma main par lequel je lui laisse tout mon mobilier qui est toute ma fortune. Elle verra mes autres dispositions. Ce portefeuille renferme plusieurs lettres qu'elle brûlera après les avoir lues en secret. Comme j'avais encore des messes à acquitter avant mon arrestation, elle donnera 200 livres en assignats pour en faire dire cent cinquante, tant pour celles-là que pour le repos de mon âme. Mes effets personnels seront pour les prêtres persécutés qui sont dans le besoin, les plus grands sont la part pour mon digne vicaire. J.-B. Collet, curé de Voinémont et Lemainville, son annexe, paroisse du diocèse de Nancy ». (Manuscrit 200 de la Société d'Archéologie lorraine, p. 72.)
(62) Chatrian, Journal, t. XVII, p. 140. « On disait M. François converti par les discours et les exemples de religion et de courage de l'abbé Collet ; on le disait rétractant et comme tel emprisonné; mais ces nouvelles ne se confirment pas ». Chatrian, Calendrier, 7 novembre 1793.
(63) La grande place de Grève, appelée alors place de la Liberté. La guillotine était dressée sur l'emplacement actuel du Château d'eau de la place de l'Académie; elle y fut en permanence pendant la Révolution. Cfr Courbe, Les rues de Nancy, t. II, p. 246, 253 et 329.
(64) Relation manuscrite.
(65) Etat nominatif, dressé le 14 prairial an II, 2 juin 1794, L 460.
(66) Voir La Semaine religieuse de la Lorraine du 28 octobre 1893, p. 843-847, ou l’Espérance de Nancy, du même jour.
 

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