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Les vergers de Vého - 1915
 


Les Archives de la Grande Guerre
T. 19 - Février 1921

DEUX ANS EN LORRAINE AVEC LE 222e RÉGIMENT D'INFANTERIE
(Août 1914-Août 1916).
Suite (1)

[année 1915]

UN SECTEUR DE DÉSOLATION
Le P. A. XVI et les vergers de Vého

«  Les compagnies en deuxième ligne seront au repos dans les vergers de Vého ». De loin cela sonne comme une promesse d'Eden ; mais de près... Déjà en été les vergers de Vého n'étaient pas enchanteurs, maintenant, en plein hiver, ce sont, auprès de ce village complètement détruit, des cloaques de boue. Les troupes y vivent sur de la paille pourrie dans des abris souterrains qui boivent l'eau comme des éponges. Et il pleut, il pleut. Quand il ne pleut pas, il neige, puis il gèle, ensuite il dégèle et il pleut de nouveau. Alors la terre n'est plus qu'une mer mouvante de boue déliquescente.
La lutte contre l'eau, contre les rats qui pullulent, contre la vermine dont tous les hommes sont couverts, suffit au repos du jour ; pour celui de la nuit il y a les «  travaux », ce tonneau des Danaïdes du fantassin dans la guerre de tranchée.
C'est le 20 novembre que le régiment, embarqué par petits paquets dans le chemin de fer sur route de Lunéville à Blamont, vint reprendre les avant-postes dans ce secteur dépourvu de charmes. Il devait y faire, coupés par une quinzaine à l'arrière, deux séjours de deux semaines chacun qui comptèrent parmi ses plus mauvais souvenirs.
Plus encore que les vergers de Vého, le P. A. XVI est d'une tragique désolation. D'abord l'artillerie s'en donne à coeur joie. Une batterie de crapouillots est installée là. Chaque fois qu'elle tire une copieuse distribution de 150 répond.
Sur la droite, le fameux bois Zeppelin est, en partie, aux mains de l'ennemi ; il en résulte que tout ce coin du secteur est pris d'enfilade de telle manière qu'aucun mouvement dans le dédale de ses boyaux et de ses tranchées n'échappe à l'adversaire. Un casque n'émerge pas d'un parapet sans être salué de coups de feu.
Les nuits sont longues, toujours troublées par la fusillade et l'éclatement des grenades, sans lune, le plus souvent sans étoiles, elles sont noires comme un tombeau. Seule, de temps à autre, une fusée lumineuse éclaire d'une lueur blafarde ces ténèbres malveillantes. On dort peu. Cependant, dans les abris, par la grâce de braseros au charbon de bois on acquiert, en s'allongeant, un état de demi-asphyxie qui vous procure de voluptueux anéantissement dans le sommeil. Alors les rats poursuivent sur vous-même les exercices variés auxquels ils se livrent sans répit.
En divers endroits des sapes sont amorcées. Quelles ont été les intentions du génie ? On ne le sait pas exactement. De son côté l'ennemi a-t-il songé à attaquer par la mine ? Pendant un instant on a pu le craindre. Lors du dernier séjour, au mois d'août, le capitaine qui commandait ce point d'appui s'est ému de bruits insolites que l'on percevait en cet endroit et a fait part de ses appréhensions. Mais les «  techniciens » consultés ont affirmé que c'était une illusion.
L'avenir devait démontrer pourtant que ces alarmes étaient justifiées et que ce capitaine, pour myope qu'il fut, n'en avait pas moins l'oreille fine. Des mois plus tard, alors que le régiment avait depuis longtemps quitté ce secteur pendant l'été de 1916, un beau jour le P. A. XVI a sauté.
Tantôt lent et continu, tantôt intermittent et violent, le bombardement se poursuit de part et d'autre.
Les abris, tels qu'on les construit à ce moment, sont couverts d'une épaisseur de rondins qui les défend contre les 150. Les nôtres en font l'expérience et démontrent qu'ils peuvent être atteints coups sur coups par les obus sans autre inconvénient qu'une émotion un peu vive pour les occupants. Mais il arrive aussi que, pour une raison ou pour une autre, ils se chargent de la démonstration contraire, alors...
Journellement les tranchées sont bouleversées, mais de quelque talent que l'artillerie fasse preuve en matière de destruction, rien n'égale en efficacité l'action de l'eau survenant après une forte gelée.
Une première fois, le 30 novembre, ce petit désastre se produit. Les clayonnages des tranchées et des boyaux cèdent sous la poussée des terres ; en dépit des étrésillons ils se rejoignent par le haut, tout s'éboule, tout s'effondre, des abris s'affaissent, des sources jaillissent, partout ce ne sont que ruisseaux ou mares de boues sur lesquels flottent des caillebotis. Sous peine d'affronter 50 centimètres d'eau, de vase et de boue il faut renoncer à faire usage du grand boyau qui relie le P. A. XVI aux vergers de Vého.
La terre se délite, se fond, se délaye dans les torrents d'eau que le ciel ne se lasse pas de déverser. Alors la canonnade se raréfie, comme si un accord tacite s'était établi entre artilleries ennemies, elle se tait tout à fait ; et voici que de tous les points de cet horizon dévasté, on voit surgir des têtes, émerger des corps, se dresser des silhouettes d'humains qui, d'un côté comme de l'autre, vaincus par les éléments, renoncent pour un instant à lutte. Chassés, par l'eau de leurs taupinières, les adversaires se trouvent nez-à-nez et une trêve de la boue s'établit.
Certaines unités y souscrivent avec discrétion, mais d'autres soulignent avec ostentation ce qu'une telle situation a d'anormal : d'un réseau à l'autre des colloques s'échangent, d'aucuns même s'avisent de profiter de l'occasion pour entreprendre à frais communs la réfection de brèches qu'en d'autres circonstances on ne se fut hasardé à aborder ni d'un côté ni de l'autre. Des photographies sont prises où l'on peut voir des soldats allemands tenant des piquets que des soldats français enfoncent à coups de maillet.
Le commandement s'émeut. Des ordres arrivent condamnant ces familiarités et l'artillerie les ponctue de son accompagnement, obligeant chacun de rentrer dans sa boue.
Pendant toute une journée des officiers de la 9e di vision de cavalerie ont reconnu le secteur comme s'ils avaient l'intention de nous relever ; c'est cependant le 299e qui, dans la nuit du 4 au 5 décembre, vient nous remplacer et c'est encore nous qui le relevons 13 jours plus tard. !
Dans l'intervalle, la situation n'a pas changé. De nouveau il a neigé et gelé, et de nouveau il dégèle, de nouveau il pleut à torrents, de nouveau ce ne sont qu'éboulements, déluges et inondations. Pendant 14 jours on vit dans une invraisemblable bouillasse.
Pour se réconforter on a une instruction du G.Q.G. qui a prescrit à la date du 13 octobre «  d'étudier l'amélioration des conditions d'installation des troupes dans les tranchées. » et que l'on a maintenant tout le loisir de relire attentivement.
«  Les rigueurs de la mauvaise saison, dit ce document, tendent à augmenter les fatigues imposées aux hommes, à faire baisser l'état sanitaire, à occasionner par suite une chute des effectifs, à diminuer, en définitive, la valeur des troupes.
«  Il est donc indispensable d'en combattre les effets en plaçant celles-ci dans les meilleures conditions matérielles qu'il sera possible.
«  Dans cet ordre d'idées, l'attention du commandement doit se porter particulièrement sur les points ci- après examinés : il faut en premier lieu éviter que les troupes de service dans les tranchées ne soient contraintes à séjourner dans l'eau ou dans la boue, donc assurer l'évacuation de l'eau, recouvrir le sol de la tranchée (les caillebotis en planches ou en rondins, qui peuvent être fabriqués en dehors des tranchées par élément facilement transportables, seront d'un emploi généralement indiqué).
«  Il faut créer des abris pour la totalité de l'effectif, pourvoir les unités d'appareil de chauffage.
«  Il faut prévoir les moyens de remédier aux dégradations produites par les intempéries et maintenir les communications en bon état, de manière que la circulation y soit facile en tout temps... On organisera méthodiquement l'entretien des voies de communication... On s'efforcera de réduire au minimum les transports exécutés à bras d'hommes (nourriture, matériel divers à destination des tranchées) qui sont lents, absorbent de gros effectifs et accroissent notablement les fatigues imposées aux troupes,.. Les travaux que comporte l'amélioration des conditions de la vie matérielle des troupes doivent faire l'objet de prévisions d'ensemble minutieusement arrêtées dès maintenant.
Il faut prévoir, il faut voir large, organiser en grand les travaux d'utilité générale... etc., etc. »
Le 17 octobre, l'Armée a transmis cette instruction à la Division en y ajoutant quelques recommandations, celle-ci par exemple : «  Le Génie procurera des pompes d'épuisement en quantité suffisante, en se basant sur l'expérience de l'année dernière », et en prescrivant l'établissement d'un plan de prévision à lui envoyer pour le 22 octobre.
Le 19 octobre, la Division a expédié le tout à la Brigade en demandant des propositions en vue de ce plan de prévision pour le 20 octobre.
Le même jour la Brigade les a réclamées aux commandants de secteurs pour le 20, avant midi. Ceux-ci, à leur tour, ont dépêché, dans la nuit du 19 au 20, l'ordre aux commandants de points d'appuis d'établir ce plan de prévision et de le leur faire parvenir le 20, avant 6 heures du matin.
Comme en fin de compte c'est à ces derniers qu'est incombé tout le travail, comme avec la meilleure volonté, la plus grande lucidité d'esprit, une connaissance parfaite de leur P. A. et des besoins de la garnison qui l'occupe, il a dû être difficile, même aux plus actifs et aux plus intelligents d'entre eux, de faire dans un délai aussi court un travail sérieux pour servir de base à une entreprise aussi considérable : on s'explique qu'en dépit des précautions du haut commandement «  les meilleures conditions matérielles » n'aient pas été réalisées.
Enfin, le 31 décembre, une division, composée des trois régiments de Toul et du régiment de Tulle, relève la 74e. Des camions-autos la transportent dans la région de Remenoville d'où après un court arrêt elle gagne les villages autour du camp de Saffais.
C'est le grand repos. Le grand repos ! c'est-à-dire que tous les jours de 6 heures du matin à 6 heures du soir on patauge dans la boue du camp : creusant des trous, alignant des tranchées, des boyaux, des places d'armes, sortant de terre, ou plutôt enfonçant en terre tout un magnifique terrain d'attaque du dernier modèle...
Ensuite, sur ce terrain, on donne de grandes répétitions devant des escouades de généraux.
Le régiment cantonne à Velle-sur-Moselle.

(1) Voir les numéros 10, 16, 17 et 18 des Archives de la Grande Guerre.

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