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30 mai 1831 - Les obsèques de l’abbé Grégoire
 


Le Mémorial bordelais
3 juin 1831

Les obsèques de M. l’abbé Grégoire, ancien évêque de Blois, ont eu lieu hier, 30 mai, avec toute la régularité et la décence qu’exigeait une cérémonie de ce genre. Le gouvernement avait pris toutes les précautions dans l’intérêt de la tranquillité publique, et la population a récompensé ses soins en y répondant par une sagesse qui prouve de sa part un esprit de justice et de tolérance fort louable.
On savait que l’autorité ecclésiastique ne croyait pas pouvoir accorder les prières de la communion catholique à cet ancien évêque. Sans vouloir examiner jusqu’il quel point cette détermination était compatible avec de hautes considérations d’état, et sans oublier que les libertés religieuses font aussi partie des libertés françaises, le gouvernement ne dut s’appliquer qu’à prévenir les fâcheuses interprétations ou les prétextes de troubles qui pouvaient résulter de ce refus.
Le curé de l'Abbaye-aux-Bois, dont la prudence dans cette affaire mérite des éloges, fut averti qu’en vertu du décret du 25 prairial an 12, la cérémonie religieuse des funérailles aurais lieu dans son église, avec ou sans son concours, selon que sa conscience serait plus ou moins enchaînée par ses idées personnelles sur cette matière, ou par les ordres de ses supérieurs.
L’article en question est ainsi conçu :
« Lorsque le ministre d’un culte, sous quelque prétexte que ce soit, refusera son ministère pour l’inhumation d’un corps, l’autorité civile, soit d’office, soit sur la réquisition de la famille, commettera un autre ministre du même culte, pour remplir ces fonctions. Dans tous les cas, l’autorité civile est chargée de faire porter, présenter, déposer et inhumer le corps».
M. le curé de l’Abbaye-aux-Bois fit répondre à l’autorité que si ses principes et ses devoirs ne lui permettaient pas de prendre part à la célébration du service, il n’entendait faire aucune démonstration pour fermer l’église au convoi, ni refuser les ornemens du culte nécessaires à la cérémonie. Tout s’est passé en effet, à l’église, dans le plus grand ordre. Des prêtres qui avaient été prévenus ont prêté volontairement leur ministère. Ils ont reçu à la grille extérieure le corps, avec tout l’appareil d’usage.
Le cortège était nombreux. L’entrée des cours de l’église est restée constamment libre. La tranquillité la plus parfaite n’a pas cessé de régner. Le service a fini à midi trois quarts. Quelques personnes, qui avaient préalablement, et aux termes de la loi, obtenu l’autorisation de M. le maire du 11e arrondissement, ont dételé le corbillard, et l’ont traîné jusqu’au cimetière du Mont-Parnasse. Des discours ont été prononcés sur le cercueil. Nous nous abstiendrons de toute réflexion sur quelques passages de ces harangues : conservons à ce récit le ton pacifique qui lui convient ; gardons une mesure qui fasse regretter à d’autres de s’en être écartés. Les honneurs militaires ont été rendus au défunt, en sa qualité de commandeur de la Légion-d’Honneur.
Après la cérémonie, la foule s’est écoulée avec calme, rendant justice aux précautions de l’autorité, et reconnaissant que chacun était resté dans son droit et avait fait son devoir. Les lieux ont été remis régulièrement à M. le curé de l’Abbaye-au-Bois. Tout est calme.
Nous voilà bien loin des scandales qui, il y a peu d’années, accompagnaient des conflits de ce genre. C’est un des fruits de la raison publique, dont les progrès deviennent sensibles et profitables à tout le monde On comprend mieux toutes les libertés ; on les possède plus sûrement; on en jouit avec plus de sagesse. (Moniteur.)
Parmi les discours qui ont été prononcés, on a remarqué celui de M. Crémieux, avocat distingué, qui, à la tête du consistoire israélite, est venu acquitter la dette de la reconnaissance sur la tombe du prêtre chrétien qui le premier avait plaidé pour qu’on rendit au juifs les droits de citoyen.
Voici quelques passages de ce discours :
« Messieurs, après tant d’hommages rendus à une si belle vie, à une si belle mort, ne vous semble-t-il pas qu'il manque encore un dernier hommage à la mémoire de celui dont nous allons quitter les restes mortels ? Son âme si douce, si bonne, n’attend-elle pas encore un tribut de douleur et de reconnaissance ? Curé d’Emberménil, voici près de ta tombe des citoyens français ! qui viennent te dire un dernier adieu, des citoyens français jouissant de tous les droits, de tout l’honneur attaché à ce beau titre, réunis confondus au sein de la grande nation, enfans de la France, qu’il est si glorieux d’avoir pour patrie; ces citoyens, ils étaient juifs, lorsque le premier tu vins rappeler qu’ils étaient hommes ; ils étaient juifs, c’est-à-dire méprisés, haïs, livrés aux persécutions de l’ignorance et du fanatisme, lorsque ta voix généreuse osa proclamer leurs droits foulés aux pieds pendant dix-sept siècles. Aujourd’hui, la France qui les adopte les voit marcher les égaux de ses autres fils, et avant que la tombe s'ouvrît pour toi tu fus heureux d’entendre le législateur lui-même proclamer entre leur cultes chrétiens la plus parfaite égalité. Ce grand acte de justice, nous nous félicitons que tu en aies été le témoin ; c’est la récompense de tes soins, de tes écrits, de tes courageux discours : c’est presque une couronne pour un cercueil.
» Messieurs, vous l’avez vu dans ses premiers pas, nous vers la fin. A qui de vous ou de nous s’est-il montré plus digne de l’estime et de l’admiration publiques ? Celui qui réclamait l’émancipation des juifs, avant qu’il fut permis de l’espérer, se trouva, dans l’assemblée constituante, le premier à la tribune pour la réclamer encore, soutenu par plusieurs de ses collègues et surtout par Lafayette, dont le nom rappelle tous les combats de la raison contre les préjugés, de la liberté contre tous les genres de despotisme.
» Sa vie à la convention, vons venez de l’entendre raconter par un conventionnel (M. Thibaudeau), dont la mâle éloquence retentit encore au fond de nos âmes. Plus tard, il osa protester, lui cinquième, contre l’élévation à l’empire de ce grand capitaine qui, malgré ses erreurs, n’en demeurera pas moins le premier génie des temps modernes ; il fut pendant dix années membre de l’imperceptible opposition qui étonnait au milieu de ses flots de courtisans l’Empereur Napoléon ; et lorsque l’absurde restauration parut après nos revers, comme pour les rendre Irréparables, la voix de Grégoire fut en quelque sorte la dernière qui se fit entendre au nom de la souveraineté nationale.
» On vous a dit son exclusion de cette Chambre, qui préludait par l’expulsion de Grégoire à l’expulsion de Manuel ; mais ce qu’on ne vous a pas dit, c’est le charité qui l’animait lorsqu’il parlait de ceux qui avaient provoqué ce lâche attentat. La première fois que j’eus l’honneur de la voir, j’entendis ces expressions que j’ai toujours retenues : Ils m’ont déclaré indigne! Indigne ! oh ! puissent-ils, devant un autre tribunal, ne pas paraître eux-mêmes indignes aux yeux de celui qui lit au fond des cœurs; ils ont voulu me faire bien de mal; mais je ne leur en veux pas, et chaque jour je prie Dieu pour eux.
» Messieurs, j’affirme que voilà ses propres expressions; que ceux qui l’ont connu disent s’il tint jamais un autre langage.
» Il est mort comme il a vécu ; en philosophe, en homme religieux, en bon citoyen. Il s’est éteint après une longue carrière, toute pleine de vertus, et de services rendus à sa patrie et à l’humanité.
» Grégoire, écoute : Voici nos derniers adieux ; ils seront dignes de tes vertus; tu seras pleuré sur tous les points du globe, car il n’est pas un point du globe où ne se trouvent quelques membres réunis de cette antique nation que ta voix a retirée de l’abîme. M’entends-tu, prêtre de Jésus-Christ ? les juifs répandus dans tout l'univers te pleureront, et pendant que la philosophie te jugera digne d’une statue, pendant que la liberté te proclamera l’un de ses serviteurs les plus fidèles, la religion te remerciera d’avoir appuyé son empire sur la tolérance et l’humanité »!
Ce discours a été souvent interrompu par des bravos et des applaudissemens. A peine l’orateur avait-il terminé, que l’un des exécuteurs testamentaires s’est écrié : « Veuillez, Monsieur, recevoir mes remercîmens et ceux de mes collègues, pour cet hommage si touchant à la mémoire de notre ami : vous l’avez loué comme il méritait de l’être ». (Messager).

 

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