Ce récit évoque le ralliement
autour de René II de tous les ennemis du Duc de Bourgogne : «
Arrivé à Saint-Nicolas avec ses dix mille Suisses, il y trouva
quatre mille Lorrains en armes; de plus, les troupes auxiliaires
des villes confédérées d'Alsace et d'Allemagne attendaient son
arrivée à Ogéviller », vers Nöel 1476, savoir les princes de
la Haute Allemagne, Strasbourg, Schelestadt, Thann et Colmar...
Don Calmet ajoute dans son « Histoire ecclésiastique et civile
de Lorraine » (éd. 1728) : « Dans le même temps, les Chefs
des Villes les alliées, & des Princes confederez, qui avoient
d'abord si mal répondu à la demande de René, honteux de se voir
ainsi prévenus par les Suisses, assemblerent les Deputez de la
Ligue, & leur parlerent avec tant de force, qu'ils les
déterminerent à aller au secours de ce Prince. Peu de jours
aprés ils partirent. Il y avoit un bon nombre de gens de cheval,
& d'infanterie, bien armez, & fournis de vivres, qui les
suivoient. Ils userent de tant de diligence, qu'avant que les
Suisses fussent arrivez sur les Terres de Lorraine, ils étoient
déja parvenus aux environs d'Ogéviller, à quatre ou cinq lieues
de Lunéville, attendant les Suisses, qui y arriverent à quelques
jours de là, avec le Duc René ».
S’ensuivra la bataille de Nancy le 5 janvier 1477.
Histoire
universelle de l'église catholique
René François Rohrbacher, 1789-1856
Ed. Paris : Gaume 1850
Demeuré seul à Trêves, le duc
de Bourgogne résolut de visiter la Lorraine, dont il avait
besoin pour établir la communication entre ses divers États. Le
nouveau duc René II, quoique dévoué secrètement au roi, n'avait
pas osé refuser de signer avec lui, le 15 octobre, un traité
d'alliance ; il le reçut avec respect à Nancy, au milieu de
décembre, lorsque Charles, à la tête de huit mille combattants,
traversa son duché. De là, le duc de Bourgogne entra dans son
comté de Ferrette en Alsace. C'était le domaine qu'il tenait en
gage du duc Sigismond d'Autriche ; son lieutenant, le sire de
Hagenbach, y avait exercé la plus cruelle tyrannie. Charles
avait paru approuver ses violences et ses caprices, les
extorsions auxquelles il soumettait les bourgeois et les
marchands, l'insolence de ses débauches avec leurs filles et
leurs femmes. Le duc de Bourgogne se plaisait à professer ainsi
hautement son mépris pour la race allemande, qu'il traitait de
brutale et grossière, son dessein étant d'anéantir tous les
privilèges des cités, et de défier les Suisses, qui lui avaient
envoyé des ambassadeurs pour se plaindre des affronts qu'ils
avaient reçus de Hagenbach. Le duc voulut que celui-ci commandât
son avant-garde, composée de mille cavaliers et de deux mille
aventuriers lombards qu'il avait pris à sa solde ; et, sans
accorder d'audience aux ambassadeurs suisses, il les conduisit
avec lui au travers de l'Alsace et de la Franche-Comté jusqu'à
Dijon, où il fit son entrée le 23 janvier 1474 (1).
La même année, pour narguer l'empereur, il promet à Robert de
Bavière, archevêque déposé de Cologne, de le rétablir sur son
siège, et d'en chasser Herman de Hesse-Cassel, élu archevêque à
sa place. Il persistait toujours dans son projet d'ériger ses
Etats en royaume indépendant, auquel il songeait à donner le
titre de royaume de la Gaule-Belgique. Il avait, le 3 janvier,
institué à Malines un parlement sur le modèle de celui de Paris,
et ordonné que toutes les causes de sa nouvelle monarchie en
ressortissent. Il paraissait considérer comme les limites
naturelles de cette nouvelle monarchie celles dans lesquelles
avait été renfermé l'ancien royaume de Lorraine après le partage
de Charlemagne, et il voulait soumettre à sa domination tous les
pays situés sur les deux rives du Rhin, dès son origine jusqu'à
la mer. Cette ambition l'appelait à dompter les Suisses et
plusieurs peuples de la race allemande qui interrompaient la
communication entre la Franche-Comté et les Pays-Bas.
L'entreprise n'était point aisée ; mais, outre qu'il était
très-puissant, une bonne fortune vint encore à son aide. René
d'Anjou offrit de lui vendre son héritage, la Provence, le duché
de Bar et d'Anjou, aussi bien que ses prétentions aux couronnes
de Sicile, de Jérusalem et d'Aragon. Charles comptait, de cette
manière, pouvoir se passer de la consécration de l'empereur pour
se faire roi, et renouveler les royaumes d'Arles, de Bourgogne
et de Lorraine, se fondant sur le fait seul qu'il en réunissait
tous les États (2).
Mais, d'autre part, il apprit que son lieutenant, Hagenbach,
dont il n'avait pas voulu réprimer la tyrannie, avait été
arrêté, jugé et décapité ; que le peuple avait rendu le pays à
Sigismond d'Autriche, qui d'ailleurs offrait de lui rendre la
somme pour laquelle il avait été engagé ; que les princes et les
villes le long du Rhin avaient fait entre eux une alliance de
dix ans ; que les Suisses avaient fait un traité avec le roi
Louis XI. A cette nouvelle, Charles le Téméraire ne se possède
plus de fureur. Aussitôt il traite avec le roi d'Angleterre,
Edouard IV, promettant de lui rendre son royaume de France, à
condition d'en avoir une partie pour arrondir le sien. Charles
s'occupait dans le Luxembourg à rassembler une armée formidable,
avec laquelle il comptait triompher en peu de temps de tous ses
ennemis. Il se proposait d'abord d'envahir l'électorat de
Cologne, puis de se venger d'une manière effroyable des
Alsaciens et des Suisses, enfin de revenir sur le roi de France
et de terminer par une grande victoire leur longue rivalité.
Au mois de juillet 1474, il entra dans l'électorat de Cologne,
et mit le siège devant la petite et forte ville de Neuss ou
Nuits, où Herman de Hesse, l'archevêque rival de Robert, s'était
enfermé avec dix-huit cents hommes. Charles rencontra bien plus
de résistance qu'il ne s'y était attendu. Guillaume d'Aremberg,
sire de la Mark, surnommé le sanglier des Ardennes, rassembla
sur la rive droite du Rhin une armée avec laquelle il tenait en
échec toute la puissance des Bourguignons. Frédéric III, au mois
de novembre, s'était avancé sur la gauche du même fleuve avec
l'armée de l'empire, qu'on disait forte de soixante mille
hommes. Un héraut d'armes vint trouver Charles dans son camp
devant Neuss pour lui déclarer la guerre au nom de la ligue de
la Haute-Allemagne. Le duc René II de Lorraine l'envoya défier
de même, et entra dans le Luxembourg. Les Suisses entrèrent en
Bourgogne, et détruisirent une armée de Bourguignons. Charles le
Téméraire s'épuisa au siège de Neuss ; il y perdit seize mille
hommes, les plus braves de son armée : le reste, fatigué,
découragé, était peu en état de recommencer la campagne. Après
avoir obtenu l'avantage dans un combat, le 2-4 mai 1475, contre
Frédéric, il entra en négociation avec lui, et, le 27 juin, leva
le siège de Neuss, qui avait duré onze mois. A son instigation,
le roi d'Angleterre, Edouard IV, venait de passer la mer avec
une armée brillante, pour faire avec lui la conquête de la
France ; mais Charles n'osa lui montrer les débris de son armée,
et la fit passer en Lorraine, pour venir de là au couronnement
d'Edouard à Reims comme roi de France. Ce contre-temps, joint
aux adroites négociations de Louis XI, fit avorter cette grande
entreprise. Elle finit, la même année 1475, par un traité de
paix entre Louis et Edouard, et une trêve de neuf ans entre
Louis et Charles le Téméraire, laquelle, un mois après, fut
également changée en un traité de paix.
Le but en ceci de Charles le Téméraire était de faire la
conquête de la Lorraine. Il y entra au mois de septembre, et se
rendit maître de Nancy le 30 novembre 1475. Quoique la
résistance eût été longue et obstinée, il accorda à la ville la
capitulation qu'elle dressa elle-même. Il se soumit à faire le
serment que faisaient les ducs de Lorraine, et il reçut celui
des Lorrains ; il rendit la justice en personne, comme faisaient
les ducs, écoutant tout le monde infatigablement, tenant les
portes de son hôtel ouvertes jour et nuit, accessible à toute
heure. Il ne voulait pas être le conquérant, mais le vrai duc de
Lorraine, accepté du pays qu'il adoptait lui-même. Cette belle
plaine de Nancy, cette ville élégante et guerrière, lui semblait
autant, et plus que Dijon, le centre naturel du nouvel empire,
dont les Pays-Bas, l'indocile et orgueilleuse Flandre, ne
seraient plus qu'un accessoire. Depuis son échec de Neuss, il
détestait tous les hommes de langue allemande, et les impériaux,
qui lui avaient ôté des mains Neuss et Cologne, et les Flamands,
qui l'avaient laissé sans secours, et les Suisses qui, le voyant
retenu là, avaient insolemment couru ses provinces (3).
De Nancy, Charles le Téméraire alla plus loin. La Suisse, par
laquelle il allait commencer, n'était qu'un passage pour lui ;
les Suisses étaient bons soldats, et tant mieux ; il les
battrait d'abord, puis les payerait, les emmènerait. La Savoie
et la Provence étaient ouvertes ; le bon roi René l'appelait. Le
petit duc de Savoie et sa mère lui étaient acquis, livrés
d'avance par Jacques de Savoie, oncle de l'enfant, qui était
maréchal de Bourgogne. Maître de ce côté-ci des Alpes, il
descendait aisément l'autre pente. Une fois là, il avait beau
jeu, dans l'état misérable de désolation où se trouvait
l'Italie. Le fils du roi de Naples de la maison d'Aragon, l'un
de ses gendres en espérance, ne le quittait pas. D'autre part,
il avait recueilli les serviteurs italiens de la maison d'Anjou,
tels que Campobasso. Le duc de Milan, qui voyait le Pape, Naples
et Venise déjà gagnés, s'effrayait d'être seul, et il envoya en
hâte au duc pour lui demander alliance. Donc, rien ne l'arrêtait
; il suivait la route d'Annibal, et, comme lui, préludait par la
petite guerre des Alpes; au delà, plus heureux, il n'avait pas
de Romains à combattre, et l'Italie l'invitait elle-même (4).
Ses premiers pas furent des succès, mais sans gloire. Après
avoir surpris Yverdun, occupé Orbe, il arrive avec cinquante
mille hommes devant la petite ville et le château de Grandson, défendu par huit cents Suisses. Un premier assaut est repoussé,
un second ne rend les Bourguignons maîtres que de la ville. Le
château est canonné jour et nuit pendant dix jours, sans qu'il y
ait moyen d'y faire passer aucun approvisionnement. Des filles
de mauvaise vie y pénètrent du camp ennemi, et amollissent la
résolution de quelques soldats. Un gentilhomme bourguignon y
pénètre après elles. Connu et estimé des Suisses, il leur parle
d'un ton cordial. Il admire leur courage, mais déplore leur
erreur, d'espérer encore aucun secours de leur confédération.
N'avez-vous pas vu la fumée et la rougeur au ciel, là, pardessus
la montagne? Fribourg n'est plus. On n'a épargné ni magistrats,
ni prêtres, ni moines, ni hommes, ni femmes, ni enfants ; tous
sont ensevelis sous les débris de leurs maisons brûlées. Berne
et Soleure ont présenté leurs clefs; mais le duc a juré leur
destruction. La confédération est dissoute : l'Allemagne attend
le bon plaisir de Charles le Grand. Vous seuls lui avez résisté
: cela lui plaît, il vous estime ; mais ne poussez pas la chose
à l'extrême. Tout à l'heure, à table, il parlait de vous avec
admiration : aussitôt nous intercédâmes tous. Il me permit de
vous offrir une libre retraite. C'est une grâce. Il pensait que
vous m'en sauriez quelque gré ; car je suis votre sauveur. - Les
Suisses rappelèrent une circonstance où le duc avait manqué à sa
promesse : l'entremetteur les rassura sur sa parole de
gentilhomme et sur l'honneur de sa famille. Les Suisses,
rassurés, lui donnèrent cent écus d'or pour lui témoigner leur
reconnaissance, et sortirent du château. A mesure qu'ils
entraient dans le camp, on les liait ensemble par dix et par
vingt, pour les donner en spectacle à toute l'armée. Le duc, en
les voyant, s'écria : Par saint Georges ! quelles gens sont ceci
? - Monseigneur, dit le Bourguignon gentilhomme, c'est la
garnison qui s'est mise à votre miséricorde. - Je ne leur ai
rien promis, répliqua Charles. Et il les livra au prévôt de son
armée, qui en fit pendre les uns aux arbres du voisinage, et
noyer les autres dans le lac. Le calme avec lequel ils
endurèrent la mort inspira la terreur à leurs ennemis. Ce fut
pour Charles de Bourgogne le dernier jour de l’honneur et du
bonheur.
Le 3 mars 1476, au matin, les guerriers de Lucerne entendaient
la messe dans leur camp, lorsqu'ils furent rejoints par une
petite troupe du canton de Schwitz et par d'autres braves : ils
allaient présenter la bataille à toute l'armée de Bourgogne,
près de Grandson même. Dès que Charles en est averti, il met son
armée en mouvement et s'écrie : Marchons à ces vilains, quoique
ce ne soient pas gens pour nous. A ce moment, parvenus au milieu
des vignobles qui entourent le lac, les Suisses se jettent à
genoux, et font leur prière, suivant leur coutume, avant
d'engager le combat. Les Bourguignons en font de grandes risées,
croyant que déjà ils demandaient miséricorde. Déterminés à n'en
accorder aucune, ils s'élancent sur ce carré long, tout hérissé
de hallebardes, qui avançait d'un pas égal et ferme : toute leur
bravoure et leurs efforts répétés ne peuvent l'entamer un seul
instant. Les plus nobles et les plus vaillants, de l'armée de
Bourgogne tombent tout autour sans y faire nulle impression.
Les Bourguignons s'épuisèrent ainsi, jusqu'à trois heures après
midi, contre les seules milices de Schwitz, Berne, Lucerne,
Fribourg et Zurich, sans pouvoir les entamer. A ce moment, un
écho effroyable attire tous les yeux, une nouvelle armée de
Suisses couvre la montagne voisine, les troupes d'Uri et
d'Unterwald annoncent la mort à l'ennemi. Les Bourguignons sont
glacés de terreur : en vain Charles les rallie, les ramène au
combat, se précipite où le danger paraît le plus imminent ; de
toutes parts les bataillons dont il s'éloigne prennent la fuite
; son camp déjà est traversé par les vainqueurs, ses soldats
ont déjà dépassé Grandson dans leur retraite, quand lui-même,
séparé des siens, pour lesquels il ne voit plus de salut, prend
la fuite à son tour, et, avec cinq cavaliers seulement, vient
chercher un refuge dans le fort de Joigne, au passage du Jura.
Les immenses richesses dont il avait fait un pompeux étalage
tombent au pouvoir des paysans vainqueurs, qui n'en
connaissaient pas le prix. Les trois plus gros diamants de la
chrétienté, qui ornent encore aujourd'hui les trésors du Pape,
de l'empereur et du roi de France, furent vendus d'abord pour
quelques écus : la vaisselle d'or et d'argent ne fut point
distinguée de celle d'étain ou de cuivre, et les riches tapis de
Flandre se vendirent à l'aune, dans une petite boutique de
village, comme étoffe lourde et grossière.
Le duc de Bourgogne avait perdu peu et beaucoup ; peu d'hommes,
le nombre n'en montait qu'à mille ; mais il avait perdu tout son
trésor, mais il avait perdu sa renommée : il avait fui, vaincu
par des ennemis qu'il méprisait, lui accoutumé à ce que rien ne
lui résistât; il en perdit comme l'esprit. Il se retira dans la
solitude, laissa croître sa barbe, se mit à boire du vin,
qu'auparavant il ne goûtait jamais ; il fut quelque temps
gravement malade. Toutefois, il fit effort sur lui-même, et
reprit bientôt son activité, avec son désir ardent de se venger.
Mais son caractère en était devenu plus impérieux et plus féroce
encore : c'était désormais sous peine de la vie qu'il ordonnait
à ses serviteurs d'exécuter ses ordres ; personne ne songeait
plus à l'approcher pour lui donner un conseil ; et lui-même ne
montrait plus dans sa conduite la prudence ou la connaissance de
l'art de la guerre, qu'on y avait remarquées autrefois (5).
Ayant réorganisé son armée à Lausanne, il en partit à la tête de
soixante mille hommes. Après sa défaite de Grandson, il avait
envoyé porter au roi Louis XI des paroles humbles et gracieuses.
Se voyant de nouveau à la tête d'une puissante armée, il reprit
tout son orgueil, et envoya menacer le même roi, s'il ne
s'arrangeait point avec le Pape touchant les possessions du
Saint-Siège en Provence. Pour se venger des Suisses, il vint
avec ses soixante mille hommes assiéger la petite ville de
Morat, défendue par deux mille confédérés. Des assauts répétés,
dix jours durant, ne produisirent rien. Morat était comme le
faubourg de Berne, où se rassemblait l'armée des Suisses et de
leurs alliés ; ils se trouvèrent trente-quatre mille hommes.
Parmi eux on remarquait le jeune duc de Lorraine, René II, âgé
de vingt-cinq ans, beau, bien fait, brave, bon et sage.
Dépouillé de ses Etats par Charles le Téméraire, il s'était
retiré auprès de Louis XI, qui lui donna de belles paroles.
D'autres, qui n'étaient pas rois, se montrèrent plus généreux.
Lorsque le duc entra dans Lyon à la suite de Louis, une garde
d'honneur, aux couleurs de Lorraine, le reçut au milieu de la
porte, l'accompagna à son hôtel, l'escortait à la messe, pendant
tout son séjour. C'étaient de jeunes Allemands que le négoce
avait attirés à Lyon, et qui s'étaient fait faire secrètement
l'uniforme lorrain pour témoigner leur affection à un prince
pauvre et délaissé. Son aïeule, Marie d'Harcourt, épouse du
comte Antoine de Vaudémont, qu'il alla voir sur son lit de mort,
lui donna des vêlements de soie, avec tout ce qu'elle avait
d'argent. Il demeura quelque temps à Joinville, auprès de sa
mère Yolande d'Anjou, tille aînée du roi René de Sicile, et
veuve de Ferri II de Vaudémont. Bientôt il reçut une députation
des Suisses et des Allemands, qui l'invitait à venir prendre le
commandement de leur armée. Il en écrivit à Louis XI, qui, avec
quelque argent, lui envoya quatre cents lances, avec lesquelles
il traversa la Lorraine, où déjà quelques places avaient secoué
le joug des Bourguignons. Arrivé à Saint-Nicolas-de-Port, entre
Nancy et Lunéville, il entendit une messe solennelle dans
l'église du Pèlerinage. Pendant la messe, une bonne femme, la
femme du vieux Gautier, passa près de lui, le poussa du coude,
et lui glissa une bourse où il y avait plus de quatre cents
florins, disant tout bas : Monseigneur, pour aider à notre
délivrance ! Il baissa la tête, en la remerciant. On racontait
de lui maint trait de bonté. Un prisonnier bourguignon se
plaignit de manquer de pain depuis vingt-quatre heures : « Si tu
n'en as pas eu hier, dit René, c'est ta faute ; il fallait m'en
parler : désormais ce sera la mienne, si tu en manques. »
Quoique la Lorraine eût beaucoup souffert, il ne manqua de rien,
non plus que sa troupe. Arrivés à Sarrebourg, le duc, les
commandants français et les seigneurs du pays logèrent dans la
ville, et leurs troupes dans les villages voisins. On les y
traita pendant trois jours à l'allemande, comme disent les
chroniques, c'est-à-dire force vin et viande, à cinq repas par
jour. L'hospitalité de Strasbourg ne fut pas moins cordiale. Les
Suisses y envoyèrent une escorte, avec laquelle il arriva par
Zurich à Morat, le 22 juin 1476.
La veille au soir, pendant que tout le monde à Berne était dans
les églises à prier Dieu pour la bataille, ceux de Zurich
passèrent. Toute la ville fut illuminée ; devant toutes les
maisons on dressa des tables pour eux, on leur fît fête. Après
quelques moments de repos, ils partirent à dix heures ; on les
embrassa, on faisait pour eux les vœux les plus ardents. Ils
entonnèrent leur chant de guerre ; la nuit était obscure, la
pluie battante. Quand ils eurent joint l'armée, tout le monde
entendit matines.
De son côté, Charles de Bourgogne, par une grande pluie de la
matinée, met ses troupes sous les armes ; puis, à la longue, les
arcs et la poudre se mouillant, ils finissent par rentrer. Les
Suisses prennent ce moment. De l'autre versant des montagnes
boisées qui les cachaient, ils montent ; au sommet, ils font
leur prière. Le soleil reparaît, leur découvre le lac, la plaine
et l'ennemi. Ils descendent a grands pas en criant : Grandson !
Grandson ! La lutte fut terrible ; le duc René de Lorraine eut
son cheval tué sous lui ; les Bourguignons furent enfoncés,
quinze à vingt mille périrent sur le champ de bataille, dans le
lac, dans la fuite; les Suisses, qui, cette fois, avaient des
chevaux, les poursuivirent à outrance. Charles le Téméraire,
voyant de nouveau la bataille perdue, son armée détruite et son
camp au pouvoir de l'ennemi, s'enfuit, la rage dans le cœur,
avec trois mille chevaux, qui bientôt se dispersèrent, en sorte
qu'en arrivant sur le lac de Genève, il ne lui restait pas plus
de douze compagnons. Les vainqueurs, revenus sur le champ de
bataille, se jetèrent à genoux pour remercier Dieu. Puis le son
des trompettes, le son des cloches, des messages couronnés de
laurier annoncèrent la victoire à toute la confédération.
Suivant la coutume de leurs ancêtres, ils campèrent trois jours
sur le champ de bataille, attendant que quelqu'un vînt leur
disputer la victoire.
Les Suisses donnèrent au duc René de Lorraine les tentes du duc
de Bourgogne, avec une partie de l'artillerie qui se trouva au
camp ; ils lui promirent, ainsi que les autres alliés, de le
mettre en possession de ses États. En attendant que les choses
fussent prêtes, il se tint dans la ville de Strasbourg, dont les
habitants lui témoignèrent beaucoup d'affection et de dévouement
en ces conjonctures. Dans l'intervalle, les seigneurs lorrains
reprenaient aux Bourguignons tantôt une ville, tantôt une autre
; ils finirent par mettre le siège devant Nancy. Le duc leur
vint en aide avec plus de deux mille Strasbourgeois et plusieurs
garnisons lorraines. Le commandant bourguignon rendit la ville
le 6 d'octobre 1476. C'était Antoine de Rubempré et de Bièvre,
parent par alliance des deux ducs de Bourgogne et de Lorraine.
Quand il parut avec ses parents au sortir de la ville, René
descendit de cheval, mit la main au chapeau, et s'inclina devant
lui. Antoine de Bièvre voulut aussi mettre pied à terre, mais
René l'empêcha, et lui dit : Monsieur mon oncle, je vous
remercie très-humblement de ce que vous avez si courtoisement
gouverné mon duché. Si vous avez pour agréable de demeurer avec
moi, vous aurez le même traitement que moi-même. Car ce seigneur
était très-doux et très-humain, et avait gouverné le pays avec
beaucoup de bonté, se faisant aimer de tout le monde. Il
remercia très-humblement le duc, et lui dit : Monsieur, j'espère
que vous ne me saurez pas mauvais gré de cette guerre. J'aurais
fort souhaité que monsieur de Bourgogne ne l'eût jamais
commencée; et je crains qu'à la fin lui et nous n'y demeurions
et n'en soyons la victime.
Trois jours après la reddition de Nancy, le duc Charles de
Bourgogne arrivait à Toul. Battu à Morat, il courut douze lieues
jusqu'à Morges, sur le lac de Genève, sans dire un mot ; puis il
passa à Gex, où le maître d'hôtel du duc de Savoie l'hébergea et
le refit un peu. La duchesse vint, comme à Lausanne, avec ses
enfants, et lui donna de bonnes paroles. Lui, farouche et
défiant, il lui demanda si elle voulait le suivre en
Franche-Comté. Il n'y avait à cela nul prétexte. Sur sa réponse
évasive, il la fît enlever aux portes de la ville, avec ses
enfants. Un seul des enfants échappa, le seul qu'il importât de
prendre, l'aîné, le jeune duc, qui fut caché dans les blés par
son gouverneur. Ce guet-apens ne porta ni honneur ni bonheur au
duc de Bourgogne. Tous ses sujets se montrèrent rétifs à ses
demandes d'hommes et d'argent ; la Flandre refusa de lui envoyer
sa fille unique. La duchesse de Savoie, sœur de Louis XI,
échappe de sa prison par le secours de son frère. Il formait un
camp, et il n'y venait personne, à peine quelques recrues. Ce
qui venait, et coup sur coup, c'étaient les mauvaises nouvelles
; tel allié avait tourné, tel serviteur désobéi, telle ville de
Lorraine s'était rendue, et le lendemain une autre. A tout cela
il ne disait rien ; il ne voyait personne, il restait enfermé.
Mais quand on vint lui apprendre qu'il allait perdre Nancy, la
capitale désignée de son empire bourguignon, il se réveille, il
y arrive avec ce qu'il a ramassé de troupes, mais trois jours
trop tard; Nancy est repris par le duc de Lorraine; repris, mais
non approvisionné ; il y a chance encore de s'en rendre maître.
Après la victoire de Morat, les confédérés de la Haute-Allemagne
et de la Suisse avaient promis des secours à René de Lorraine
pour rentrer dans son duché. Maintenant qu'il leur en vient
demander pour empêcher Charles de Bourgogne de reprendre sa
capitale, ils remettent d'un jour à l'autre. La chose pressait
pourtant ; Nancy, dépourvu de munitions et de vivres, souffrait
beaucoup. Enfin, à force d'instances, René obtient des cantons
suisses la permission de lever quelques hommes à quatre florins
par mois. C'était tout obtenir; il s'en présenta tant, qu'on fut
obligé de leur donner les bannières des cantons ; il fallut
borner le nombre de ceux qui partaient; tous seraient partis.
Pour payer tant de monde, René employa tout son argent, sa
vaisselle; il empruntait ; Louis XI, suivant Comines, lui
envoyait sous main.
Cependant l'hiver, cette année-là, fut terrible ; dans le camp
bourguignon, devant Nancy, quatre cents hommes gelèrent dans la
seule nuit de Noël, beaucoup perdirent les pieds et les mains.
Les chevaux crevaient, le peu qui restait était malade et
languissant. Et pourtant comment quitter le siège, lorsque d'un
jour à l'autre tout pouvait finir, lorsqu'un Gascon, échappé de
la place, annonçait qu'on avait mangé tous les chevaux, qu'on en
était aux chiens et aux chats ? La chose n'était que trop vraie.
Ce qui augmentait l'inquiétude des Nancéiens, c'est qu'ils
avaient mandé leur détresse à René, et n'en recevaient ni
secours ni nouvelles. Sur les entrefaites, un bûcheron, revenant
du bois avec un fagot, traversait le quartier des Bourguignons,
qui demandèrent à l'acheter ; il répondit qu'il était déjJi
vendu au quartier des Anglais, près de la porte. Arrivé là, il
profite d'un moment, s'élance au bas des remparts en criant :
Lorraine ! Lorraine ! Reçu dans la ville, il court à l'église
remercier Dieu du succès de son voyage. C'était le nommé
Thierry, qui venait de Bâle, d'auprès du duc René, lequel en
partait sous peu de jours, avec dix mille Suisses, pour délivrer
sa capitale. Cette nouvelle, annoncée par le son des cloches,
répandit une joie incroyable et dans la ville et dans tout le
pays. Les Lorrains ont toujours aimé leurs princes. Quand le duc
René revint donc par Saint Dié, ce fut une joie, un bonheur à
quiconque pouvait toucher la queue de son cheval. Arrivé à
Saint-Nicolas avec ses dix mille Suisses, il y trouva quatre
mille Lorrains en armes; de plus, les troupes auxiliaires des
villes confédérées d'Alsace et d'Allemagne attendaient son
arrivée à Ogéviller, près de Lunéville; son armée se vit encore
renforcée par un bon nombre de noblesse française; tout compris,
elle allait à vingt mille hommes.
C'était le dimanche 5 janvier 1477, veille de la fête des rois.
Le duc de Bourgogne, s'attendant à la bataille, sortit de son
camp et alla se poster sur la route de Saint-Nicolas, à
l'endroit même où est maintenant Notre-Dame de Bon-Secours. Les
Nancéiens, avertis pendant la nuit, par des fallots allumés sur
les tours de Saint-Nicolas, qu'il y avait quelque chose
d'extraordinaire, firent une sortie le malin et mirent le feu au
camp des Bourguignons. Au même temps, un déserteur, introduit
dans la ville, leur apprit positivement que le duc René
s'avançait de Saint-Nicolas avec son armée, et que, dans le
moment même, il n'était pas à une demi-lieue du duc de
Bourgogne. Aussitôt les capitaines assemblèrent tout le peuple
et tous les prêtres, et firent faire des prières et des
processions publiques pour le bon succès de la bataille, pendant
que les gens de guerre et leurs officiers étaient sur les
remparts pour observer s'ils pourraient voir la bataille et
aider à la victoire.
A Saint Nicolas, toutes les troupes lorraines et auxiliaires
étant réunies, on dit la messe le dimanche matin en plusieurs
endroits de la ville, afin que tout le monde pût l'entendre.
L'armée prit ensuite son repas. Les habitants n'épargnèrent pas
leur vin, et les soldats, fatigués d'une longue marche, ne s'en
laissèrent pas manquer. D'ailleurs il faisait grand froid :
c'était le 5 janvier. Quand le duc fut arrivé près de l'ermitage
de la Madelaine, à quelque distance de la ville, plusieurs
gentilshommes, tant de Lorraine que d'Allemagne, le prièrent de
les faire chevaliers. Il leur fit prêter le serment ordinaire,
leur ceignit le baudrier et l'épée, et leur donna l'accolade. Le
duc de Bourgogne les attendait avec son artillerie sur la route
à l'endroit où est Bon-Secours, étendant de là son armée sur la
rivière de la Meurthe. Le duc de Lorraine lui opposa sur la
route un corps d'aventuriers ayant derrière eux, au coin du bois
de Jarville, le bagage de l'armée, pour faire accroire que le
gros de l'armée débusquerait par là. Mais, laissant les Lorrains
et une partie des Suisses pour attaquer à droite sur la Meurthe,
le duc René, avec le reste des Suisses et les alliés, s'avança
silencieusement derrière ce même bois, jusque passé la Malgrange, afin de prendre en flanc l'armée bourguignonne, qui ne s'était
pas aperçue de cette marche. Ayant passé la Malgrange, et sur le
point de commencer l'attaque, tout le monde s'arrête : le duc
René au milieu des bannières de Berne, Zurich. Fribourg, Sarnen,
Soleure, Bâle, Strasbourg, Schelestadt, Thann et Colmar, avec
cent hommes pour sa garde. Un prêtre allemand, revêtu d'un
surplis et d'une étole, monte sur une éminence, tenant à ia main
le Saint-Sacrement; il remontre à toute l'armée l'injustice que
le duc de Bourgogne fait au jeune duc René, les exhorte à
combattre généreusement pour sa défense, leur dit que, s'ils ont
une foi sincère, une véritable espérance et une bonne
contrition, combattant pour une cause aussi juste, ils seront
tous sauvés. Au même temps, ils se mettent à genoux, lèvent
leurs mains jointes vers le ciel, font une croix avec la main
sur la terre, la baisent dévotement, et se relèvent pleins de
courage.
Le duc de Bourgogne, qui s'attendait à être fortement attaqué
sur la route, ne s'y vit que harcelé. Son aile gauche, appuyée
sur la Meurthe, est enfoncée par les Suisses et les Lorrains,
qui ont dérobé leur marche à son artillerie dans des chemins
creux et derrière des buissons. Au même temps, à sa droite, il
entend les funestes trompes ou cornes d'Uri et d'Unterwald, qui,
des hauteurs de la Malgrange, sonnaient l'épouvante et la mort,
comme des hauteurs de Granson et de Morat. La mêlée, le carnage
furent effroyables. La plupart des Bourguignons prennent la
fuite, les uns à travers la Meurthe, les autres par ailleurs, du
côté de Metz. Le duc de Bourgogne tenait ferme. Un lion d'argent
doré, qui surmontait son casque, lui tombe sur l'arçon: Hoc est
signum Dei, dit-il en latin, c'est un signe de Dieu. ! Il se
jette au plus fort de la mêlée, fait des prodiges de valeur,
mais ne peut rassurer les siens, qui l'entraînent dans leur
fuite. La plupart se sauvaient vers le pont de Bouxières-aux-Dames
; mais un chef bourguignon, passé aux Lorrains dès avant la
bataille, le comte de Campo-Basso, qui occupait ce poste, les
arrête, les tue, les noie, tandis que les Lorrains et les
Suisses les pressent et les écharpent par derrière ; de manière
qu'il y eut en cet endroit autant de morts que sur le champ de
bataille.
Le duc René était encore dans les jardins de Bouxières-aux-Dames
à cinq heures du soir, toujours fort inquiet de savoir ce
qu'était devenu le duc de Bourgogne. L'auteur d'une chronique de
Lorraine, qui était présent, lui dit : Monseigneur, j'ai fait un
prisonnier qui m'a assuré qu'il avait vu ce prince abattu de son
cheval auprès de Saint-Jean; mais il ne sait s'il est mort ou
pris. Effectivement, le duc de Bourgogne voulut gagner ce
quartier, où il logeait pendant le siège ; mais comme il passait
à la queue de l'étang, qui en est près, il s'embourba ; un
gentilhomme lorrain lui porta par derrière un coup qui le
renversa de cheval; frappé de nouveau, il s'écria : Sauvez le
duc de Bourgogne ! Mais l'autre, qui était sourd, crut entendre
: Vive le duc de Bourgogne ! et lui fendit la tête depuis
l'oreille jusqu'à la mâchoire. Telle fut, suivant les récits les
plus communs, la fin du dernier duc souverain de Bourgogne,
Charles le Téméraire.
Le soir même, le duc René entra dans Nancy comme en triomphe,
accompagné de sa noblesse, de ses gardes et des bannières des
alliés, qui ne le quittèrent point. Il y entra aux flambeaux, et
les habitants le reçurent avec des marques de joie
inexprimables. Il alla d'abord rendre grâces à Dieu dans
l'église de Saint-Georges ; puis entra dans son palais, dans la
cour duquel les habitants avaient élevé une espèce de trophée
avec des têtes de chevaux, d'ânes, de chiens, de chats et de
rats, qu'ils avaient été réduits à manger pendant le siège.
Cependant un page romain, de la famille des Colonnes, qui se
trouvait auprès du duc de Bourgogne quand il fut abattu de
cheval, donna des indications sur le lieu de sa mort. Le
troisième jour après la bataille, lendemain de l'Epiphanie, il
visita, lui et plusieurs autres, le marais glacé de Saint-Jean,
dit aussi Virilet. On examinait, on retournait tous les
cadavres. Enfin on en trouva un tout nu, une partie du corps et
du visage engagée dans la glace du ruisseau et couvert du sang
de trois blessures. C'était le duc de Bourgogne, Charles le
Hardi ou le Téméraire, le prince aux vastes projets, le
fondateur manqué d'un nouvel empire. Il fut reconnu par ses deux
frères bâtards, par ses deux médecins, ses valets de chambre, sa
lavandière et plusieurs personnes de sa maison. Le duc René lui
fit faire de magnifiques funérailles. Le corps resta exposé sur
un lit funèbre pendant trois jours. Le duc René y vint en
cérémonie, suivi de sa cour, en habit de deuil. Il était vêtu à
l'antique, portant une grande barbe, à fil d'or, qui lui venait
jusqu'à la ceinture, pour marquer la victoire qu'il avait
remportée et pour imiter l'air des anciens preux; puis,
s'approchant du corps, il lui piit la main, fondant en larmes,
et lui dit : Chier cousin, vos âmes ait Dieu ! vous nous avez
fait moult maux et douleurs. Puis, s'étant mis à genoux et ayant
prié un quart d'heure, il lui donna l'eau bénite.
Le duc Charles de Bourgogne fut enterré dans l'église de
Saint-Georges ; il y resta sous un mausolée jusqu'en 1550, où, à
la demande de l'empereur Charles-Quint, il fut transféré à
Bruges. On dit que le gentilhomme lorrain qui le tua sans le
connaître en mourut de chagrin. Le seigneur de Rubempré et de
Bièvre, ce gouverneur bourguignon si humain de Nancy et de
Lorraine, fut trouvé mort à ses côtés. L'étang et le marais de
Saint-Jean ou du Virilet ont été transformés en prairies et en
jardins. A l'endroit même où succomba le duc de Bourgogne,
s'élève une croix de Lorraine, c'est-à-dire à deux croisillons.
Quant à l'endroit où le même duc de Bourgogne s'était posté au
commencement de la bataille, sur la route de Nancy à
Saint-Nicolas, le duc René y fit amasser tous les morts qui
avaient été tués. On y en rassembla, décompte fait, trois mille
neuf cents, parmi lesquels n'étaient pas compris ceux qui
avaient péri dans les eaux, dans les bois et au pont de
Bouxières. On fit une procession solennelle pour leur rendre les
derniers devoirs, et on les enterra tous dans plusieurs grandes
fosses. Au même endroit, le duc René fit bâtir une chapelle qui
fut appelée Notre-Dame de la Victoire et des Rois, Chapelle des
Bourguignons, Notre-Dame de Bon-Secours : ce dernier nom a
prévalu. Un prêtre desservait la chapelle. Donnée plus tard aux
religieux de Saint-François de Paule, ils y commencèrent, en
1629, une nef plus grande. Stanislas, roi de Pologne et dernier
duc de Lorraine, la rebâtit en 1738 telle qu'elle est encore. Il
y a son tombeau, ainsi que la reine, sa femme. Aujourd'hui,
Notre-Dame de Bon-Secours est un chapitre collégial pour les
prêtres émérites du diocèse de Nancy, à qui l'âge ou les
infirmités ne permettent plus de remplir les fonctions du
ministère pastoral. Matin et soir on y voit les vétérans et les
invalides du sacerdoce lorrain priant sur la tombe commune de la
Lorraine, de la Bourgogne et de la Pologne.
(1) Hist. des Français, t. 14, c. 18, p. 405. -
Hist. de Bourgogne, I. 21, t. 4. Barante, t. 10.
(2) Barante, t. 10, p. 212.
(3) Michelet, Hist. de France, t. 6.
(4) Michelet, Hist. de France, t. 6.
(5) PhiIippe de Com., t. 5, c. 3, |