Les Cahiers lorrains : organe des
sociétés littéraires et scientifiques de Metz et de la
Moselle
Ed. Société d'histoire et d'archéologie de Lorraine.
Janvier 1925
Deux termes lorrains
d'institutions.
Le premier terme se rencontre sous les formes suivantes
: chaffenaire, schaffenaire, xaffenaire. L'étymologie en
est claire, surtout si l'on retient la seconde forme,
dérivée directement de l'allemand Schaffner : homme
d'affaires, intendant, économe, qui vient lui-même de
schaffen : créer, travailler. Dans la première forme, S
inutile pour les bouches françaises a disparu : la
troisième n'a rien que de très normal, puisqu'en
dialecte lorrain X se prononce ch. Le changement de la
finale er en aire est tout aussi courant : c'est ainsi
que Basler a donné Bazelaire, nom d'une famille
lorraine. Et de la sorte, ce nom d'origine germanique a
pris une tournure tout-à-fait romane.
On ne le trouve pas dans les dictionnaires généraux du
langage d'autrefois, sauf dans le grand Dictionnaire de
l'ancienne langue française de Frédéric Godefroy qui en
donne un seul exemple que nous rapporterons plus loin.
Il n'est pas non plus dans les glossaires du dialecte
lorrain, ni dans les lexiques qui suivent certaines
éditions de monuments de ce dialecte, ni dans les
dictionnaires du patois lorrain, pas même dans l'ouvrage
étendu de M. Zéliqzon, car ces dictionnaires
répertorient exclusivement le patois actuel et la
fonction de schaffenaire n'existant plus, le terme
lui-même n'avait plus de raison d'être et a disparu.
Peur connaître le sens de ce mot, les temps et les lieux
de son emploi, il faut donc se reporter aux documents
d'archives et voici, rangés par dates, ceux que nous
avons pu réunir. Tous sont tirés des archives de
Meurthe-et-Moselle ; nous maintenons la graphie que
chacun donne au mot :
1354, une charte latine parle de quicunque xaffenarius
de Sarburg, entendez Sarrebourg (H 3224) ;
1453, une charte mentionne une journée qui a été tenue à
Saint-Médard (cant. de Dieuze), par devant le
schaffenaire de Marsal (H 2482) ;
1480, le Dictionnaire de Godefroy cite Henri Rattel,
receveur et schaffenaire de Marsal ;
1538, mention de Nicolas Salvaige, xaffenaire de Marsal
(sentences du baill. de Vic, 1535-38, fol. 192 v°) ;
1553, mention d'Hanus Franc, xaffenaire à Sallebourg,
c'est-à-dire Sarrebourg (mêmes sentences, 1552-54, fol.
53);
1554, mention de Didier Liégeois, xaffenaire de Marsal
(même registre, fol. 141) ;
1579, treize actes sur parchemin nomment Nicolas
Sartoris, xaffenaire et châtelain de l'abbesse de
Vergaville à Haboudange (cant. de Château-Salins) (H
2469) ;
1573 et 1579, mentions de noble homme César Liégeois,
xaffenaire à Marsal (mêmes sentences, 1572-73, fol. 146
v° et 1579-80, fol. 55 v°) ;
1590, 1591, 1093, mentions de Jean de Chaudenet,
conseiller au bailliage de Vic et xaffenaire à Marsal
(mêmes sentences, 1589-90, fol. 127, 1591, fol. 71,
1593, fol. 5 v°) ;
1624, mention de Jean-Christophe Hüntinger,
amptschaffner de Lixheim (B 6601). Ici, le mot est
composé, il s'emploie en pays de langue allemande et a
donc gardé sa forme allemande.
On le voit, le terme qui nous occupe ne se rencontre que
sur la frontière de deux langues, en particulier à
Marsal. Nous ne l'avons jamais relevé dans des documents
de la Lorraine purement française. On constate aussi que
le schaffenaire est un personnage de quelque importance
: il exerce ses fonctions dans de petites villes ou de
gros bourgs, il peut les cumuler avec les fonctions
honorables de conseiller au bailliage épiscopal de Vic;
l'un d'eux est qualifié noble homme ; dans une charte le
mot est donné comme équivalent de châtelain, dans une
autre comme synonyme de receveur. Le schaffenaire est
donc un officier de l'évêque de Metz ou du duc de
Lorraine dont les attributions doivent être surtout
financières.
Commençant à être employé à la fin du moyen âge, ce
terme disparaît au XVIIe siècle. Mais dans un document
de 1727, il est question d'une certaine Anne Schaffenard
(saisies du baill. de Vic, 1727, fol. 69); c'est sans
doute le nom de l'emploi, légèrement modifié, qui est
devenu un nom de famille.
De schaffenaire on peut, semble-t-il, rapprocher un mot
qui se trouve aussi dans les anciens documents sous des
formes multiples : chaff, schaff, schafft, et qui
désigne un impôt. On voit cette taxe levée en 1629 à
Sarrewerden (B 9279), en 1665, à Fénétrange (B 6090), en
1688 à Siersberg (B 939, n° 2), en 1701 à Bitche (B
3205), en 1788 à Guénestroff, canton de Dieuze (H 2436,
2475) ; à Munster et à Vergaville son existence est
constatée par des textes du XVIIIe siècle (Lepage,
Communes de la Meurthe, t. II, p. 92, 649). Si schaff et
schaffenaire ont bien même origine, ceci confirmerait
l'idée que le schaffenaire était avant tout un agent
financier.
Plus encore que le premier, le second terme se rencontre
sous des formes très diverses : Haimbulle, hembulle,
heymbelle, heymbulle, himbulle, humbeulle, humbriel,
humbulle, hymbreuil, imbulle,
ymbulle. On ne le trouve pas dans les glossaires de
l'ancienne langue. Seul, un érudit du XVIIIe siècle,
Pierre-Camille Lemoine, le relève dans sa Diplomatique
pratique (t. I, p. 355): « humbeule, hymbreuil,
gouverneur de ville, l'un des treize établis pour
gouverner la ville de Badonviller, 1588 ». Selon M.
Charles Bruneau, professeur à l'Université de Nancy, ce
mot dériverait du moyen allemand heimburge, qui équivaut
à bourgmestre ; le glossaire latin de Ducange donne
heimburgensis, heimburgius, avec les significations peu
différentes d'appariteur, crieur public.
Comme le schaffenaire, l'himbule se trouve à la limite
des deux langues, du XVIe au XVIIIe siècle. Voici les
mentions que nous en avons trouvées, la plupart aux
archives de Meurthe-et-Moselle ;
dans chacune, nous respectons la graphie du mot :
1513, l'élection des hembulles de Blâmont se fait au
plaid annal de la Saint-Martin d hiver (B 3240). Les
Communes de la Meurthe t. I, p. 156, nous apprennent que
ces personnages sont au nombre
de deux. En 1549, Ie personnel administratif de cette
ville est constitué par le maire, deux échevins, trois
jurés, deux heymbelles (B 3263). Par analogie, on
admettra que, lorsque Lemoine donne
le chiffre treize pour Badonviller, il s'agit non pas de
treize himbules, mais de treize magistrats en tout.
En 1592, un avocat au bailliage de Vic qui eut son heure
de célébrité, Alphonse de Rambervillers, plaide pour les
hembulles de Hattigny et Landange (cant. de Lorquin), de
Bertrambois (cant. de Cirey), de Saint-Georges, Richeval
et Hableutz (cant. De Réchicourt-le-Château). (Sentences
du bailliage de Vic, 1592, fol. 115 v°). Nous ignorons
par malheur l'objet du procès qui nous apprendrait
beaucoup sur les fonctions des himbules.
En 1615, Mathis Lemaire est haimbule de Réchicourt-le-Château.
(Mêmes sentences, 1615, fol. 68).
Le 9 juin 1706, les habitants de Domèvre-sur-Vezouse
(cant. de Blâmont) s'assemblent dans la cour de l'abbaye
pour procéder à l'élection de deux humbulles, syndics ou
commis de ville, capables de prendre soin des affaires
de la communauté. (H 1397).
A une époque indéterminée, les habitants de Donnelay
(cant. de Vic) élisent un humbriel ou deux pour négocier
leurs affaires communales. (Comm. de la Meurthe, t. I,
p. 317).
Ces textes suffisent pour indiquer ce qu'est l'himbule :
on le trouve non seulement, comme le schaffenaire, dans
de petites villes, mais aussi dans de simples villages.
Il est élu par les habitants et presque partout, il y en
a deux ensemble. Dans les communautés de langue
allemande ou voisines de cette langue, les himbules ont
les mêmes fonctions que ces agents qui, dans le reste de
la Lorraine, sont appelés deux de ville, commis de
ville, ou parfois (à Vézelise par exemple) jurés. On a
remarqué d'ailleurs qu'à Domèvre, himbule est interprété
par commis de ville. Ces agents sont chargés pendant une
année d'effectuer les recettes et les dépenses de la
communauté et, à la fin de l'année, ils présentent leurs
comptes à l'assemblée des habitants.
En publiant ces notes, à coup sûr incomplètes, nous
voudrions attirer l'attention sur ces deux termes et sur
les institutions qu'ils désignent et provoquer de
nouvelles recherches, en particulier aux archives de la
Moselle, pour nous les faire mieux connaître.
Emile DUVERNOY. |