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1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
 


Est-Républicain
27 octobre 1940

LES COMMUNES MEURTRIES
de la région de LUNÉVILLE
Reportage de Fernand ROUSSELOT

PAR ce sombre après-midi, battu de pluie glaciale, sous un ciel tumultueux haillonné de nuages qui semblent courir vers quelque lointaine bataille, une randonnée sur les routes rappelle à l'esprit la parole de Renan : «  dans ce pays de Lorraine, si souvent crucifié, la joie et la beauté elle-même est toujours triste. »
Aujourd'hui, cette impression de beauté triste est poignante.
Octobre, en effet, a semé à pleines mains son or sur les peupliers grêles et les robustes platanes ; au versant des coteaux, les mirabelliers resplendissent de tons éclatants, et l'on dirait que les fruits d'une deuxième récolte viennent de s'épanouir en floraison vermeille !
Aucun rayon, hélas, ne mêlera son flamboiement à cette féerie automnale. Les averses successives de ces derniers jours ont fait déborder les rivières, transformant les prairies en étangs immenses, d'où émergent les saules trapus et, ici et là, des chicanes de fer et des carcasses de véhicules abandonnés, vestiges du désastre... Et la brume, qui monte des nappes d'eau dormante, et le ciel d'étain qui pleure toutes ses larmes, vous serrent le coeur d'une véritable angoisse.

Dans la vallée de la Meurthe
Partis de Lunéville, nous abordons la côte de Rehainviller, d'où l'on domine la vallée de la Meurthe. C'est de la crête qui se prolonge jusqu'à la forêt, que les batteries françaises tirèrent leurs derniers obus sur les troupes allemandes, entrées dans Lunéville.
Ces projectiles n'occasionnèrent que d'insignifiants dégâts dans un faubourg de la ville, mais firent quelques victimes civiles.
Fait historique, curieux à rappeler, c'est sur le plateau de Rehainviller qu'était établi, en 1638. lorsque Lunéville subit le siège des Français, le quartier général de M. de Bellefonds.
Dans la nuit du 19 au 20 juin, il y eut un bref combat, à proximité de Rehainviller. Plusieurs maisons du village ont été détruites et un tiers des immeubles plus ou moins endommagé. La population est unanime à rendre hommage au courage et au dévouement du maire, M. André de Ravinel qui, en dépit de son âge, témoigna à ses administrés la plus grande sollicitude.
Nous arrivons à Blainville où les troupes allemandes éprouvèrent une assez vive résistance. Le bombardement, commencé à 14 heures, dura jusqu'à 22 heures. Ici, les dégâts ont été assez importants: écoles atteintes, deux maisons brûlées et quelques victimes. A Damelevières, deuxième commune de l'agglomération, l'excellent maire, M. Liébaut, un ancien Nancéien,
membre autrefois de la municipalité Bauchet, nous reçoit avec infiniment de cordialité. Dans sa commune, on compte six maisons brûlées, cinquante maisons endommagées par le bombardement.
Contrairement à ce qu'il eût été permis de supposer, l'importante gare de triage de Blainville-Damelevières n'a pas souffert des bombardements. Au lendemain même de l'occupation de la gare, la reprise du travail n'a nullement été gênée. Trois jours auparavant, trente-deux bombes étaient tombées le long de la voie, dans la traversée du bois de Vitrimont, n'occasionnant que des dégâts insignifiants.
De Damelevières, nous nous dirigeons vers Bayon par Haussonville, berceau d'une des plus vieilles familles de notre province; les d'Haussonville comptant parmi les «  petits chevaux » de Lorraine. Un d'Haussonville. on le sait, fut pair de France sous le Premier Empire, deux autres membres de l'Académie française.

Dans la vallée de la Moselle
En arrivant vers Lorey, une route est coupée par l'inondation et le souvenir de ce détail nous rappelle que nous, avons négligé de parler des ponts détruits, rencontrés sur notre parcours. Ces destructions de ponts, dont notre état-major attendait d'importants résultats, ont été absolument inopérantes ; elles n'ont point retardé d'un instant l'avance des troupes allemandes, mais révélé seulement notre fatale impuissance...
Soudaine accalmie ! La pluie, un instant, cesse de tomber. Il semble même que, vers le couchant, le ciel tend à s'éclairer. La couleur du paysage, à ce moment, me fait penser aux fastueuses descriptions de Moselly. Entre les nuages épais et bas, s'ouvre une bande étroite de ciel bleuâtre, d'une transparence légère, humide et frissonnante, et qui domine la cime d'une colline lointaine. Vision brève comme l'éclair...
Nous arrivons à Bayon dans une bourrasque d'une violence accrue.

Chez le maire de guerre de Bayon
Nous trouvons M. Fernand Gauthier dans sa magnifique demeure, construite sur le mode Renaissance, et dont la terrasse surplombe la Moselle. Victimes de la bataille, les vastes communs ont été incendiés ; il n'en reste que les murs. Fort heureusement, le château a été épargné ; seul, un obus a troué sa toiture en façade et c'est une blessure facilement réparable.
M. Fernand Gauthier, faisant fonctions de maire, remplaçait M. Pierron, mobilisé. Maire de guerre, sa conduite fut exemplaire.
Le 20 juin, vers 7 h. 30, les premières troupes allemandes apparurent, venant de la direction de Lunéville. Le maire se porta alors à leur rencontre et se présenta aux avant-postes.
«  L'officier qui me reçut, nous dit M. Gauthier, me demanda si des troupes françaises se trouvaient dans la ville. De très bonne foi, je lui répondis : Non ! Levé avant le jour, j'avais, en effet, parcouru les rues, dont la tranquillité absolue attestait le départ des quelques éléments français qui s'y trouvaient la veille. Comme il n'y a plus rien à faire ici, pensai-je, ils ont quitté Bayon dans la nuit.
«  Soucieux de protéger la population dont j'avais la charge, je répondais avec assurance aux questions que me posait l'officier, lorsque, soudain, un bref crépitement déchira l'air. Une invisible mitrailleuse était entrée en action. Dans le petit groupe qui m'entourait, trois soldats tombèrent, tués ou blessés. On devine l'émoi causé par cet incident imprévu.
- S'il n'y a pas de soldats, s'exclama l'officier, ce sont alors les civils qui tirent sur nous ?
- Je suis certain que ce ne sont pas des civils, répondis-je, mais des soldats. Je les croyais tous partis...
«  A ce moment, le tac-tac de la mitrailleuse retentit de nouveau, venant de la direction du silo de la Coopérative Agricole.
«  En toute hâte, je pris alors le chemin du silo. En y arrivant, je trouvai un lieutenant qui commandait le petit groupe de mitrailleuses. Je lui montrai l'inutilité de toute résistance. «  Vous ne pouvez plus rien, lui dis-je ; si vous persistez à tirer, c'est toute la population de Bayon qui sera victime de votre obstination. » Il ne voulut rien entendre.
«  Je revins alors vers les Allemands et leur fis part du résultat négatif de ma démarche.
- C'est bien, dit simplement l'officier, nous allons bombarder.
«  Une heure après, le bombardement faisait rage. Vous en avez vu les cruelles conséquences : toutes ces maisons détruites, de la mairie à l'intersection des routes et jusque sur la place, tous les entours de la propriété de Bouvier et de ma demeure...
«  Le bombardement cessa vers 16 heures. Le petit groupe des défenseurs du silo s'étant replié, les Allemands firent leur entrée dans Bayon à 16 heures. Je les accompagnai de l'entrée de la ville jusqu'à l'hôtel de Lorraine... »
Ce que ne dit pas M. Gauthier, c'est que, pendant le bombardement, il ne cessa de se préoccuper de l'installation de ses concitoyens, réfugiés dans les caves, avec une sollicitude et un cran dignes des plus grands éloges.
Dans le canton, plusieurs communes, notamment Charmois, Velle et Villacourt, ont particulièrement souffert.

D'Azerailles à Blâmont
Toujours sous la pluie, nous quittons Bayon et montons, entre les vergers, la côte charmante d'où le panorama, désencombré, s'étend jusqu'aux monts vosgiens. Nous traversons quelques communes épargnées, sauf Lamath, dont 19 maisons ont souffert du bombardement. Laissant Lunéville à gauche, nous voici à Moncel, puis a Saint-Clément, Chenevières, Flin, - Flin, défendu pendant quelques heures par un de ses enfants, le commandant Paté, à la tête de ses chasseurs, du côté de Chévremont - et, enfin, Azerailles. Les ruines sont ici nombreuses et impressionnantes. 27 maisons ont été complètement détruites et beaucoup d'autres gravement endommagées. L'église a été atteinte et la grosse cloche, coupée en deux par un obus.
L'ancien maire, M. Guilleré, nous reçoit chez lui avec une cordiale affabilité.
«  Le 19 juin, nous dit-il, les troupes allemandes arrivaient vers Azerailles en descendant le chemin d'Hablainville.
«  A ce moment, un groupe de soldats français, appartenant à diverses formations, sans chef, qui se trouvait à la gare, ouvrit le feu sur les arrivants. Quelques instants après, un bombardement d'une extrême violence se déclenchait. L'artillerie allemande se trouvait entre Azerailles et Gélacourt. Les pièces françaises et l'artillerie polonaise lui répondirent. Le village se trouva ainsi pris entre deux feux. Toute la population civile s'était mise à l'abri dans les caves, aussi n'avons-nous eu à déplorer que deux victimes civiles. Le lendemain seulement, à 13 heures, le bombardement . prenait fin et les troupes allemandes faisaient leur entr » dans le village... »
Nous quittons Azerailles et, par Baccarat, intact, et Merviller, nous nous dirigeons vers Blâmont. Plusieurs des communes traversées ont été plus ou moins marquées par la guerre : Repaix, dont l'église a reçu un projectile ; Igney, qui compte une trentaine de maisons plus ou moins sérieusement atteintes. Et nous voici, dévalant la petite route d'où bientôt nous apercevons le panorama si délicatement pittoresque de l'agglomération blâmontoise, avec les clochers si élégamment effilés de son église, ses ruines féodales et les tours de sa Maison seigneuriale, si heureusement restaurée.
Le sympathique maire de Blâmont, M. Jean Crouzier, capitaine d'artillerie démobilisé, vient de reprendre sa place à l'Hôtel de Ville.
Blâmont n'a souffert que de l'explosion du pont de la Vezouze, au coeur même de la Cité. Cette explosion fut suivie d'autres, d'ordre technique. Si nous en ignorons les raisons, nous en jugeons les résultats visibles : 5 gros immeubles complètement détruits et 210 maisons endommagées.
La brave petite ville a recouvré, néanmoins, son aimable physionomie et sa tradition de bel accueil est toujours vivante.
Nous nous arrêtons, un instant, sur la place. Peinte sur le mur d'angle de la rue conduisant à l'Hôtel de ville, une inscription réalise et résume, avec une cruelle éloquence, la situation dans laquelle les sycophantes de la politique, les responsables de la dissolution matérielle et morale de notre malheureux pays, nous ont précipités :
Reichgrenze 6 kil...
Frontière à 6 kilomètres !

Dans la vallée de la Vezouze
De Blâmont, nous arrivons à Domêvre. Au cours de la dernière guerre, Domêvre, se trouvant dans le «  No mans land » fut complètement détruit.
Reconstruit en 1920 et 21, Domêvre a vécu de nouveau, cette fois, des heures tragiques. De six de ses maisons neuves, situées à l'entrée du village, il ne reste que des décombres et les murs noircis par le feu.
Quelques dégâts encore à Herbéviller, village voisin d'un terrain d'aviation, et qui connut, de ce fait, maintes alertes ; à Bénaménil, où l'on aperçoit à gauche de la route, dans les jardins, d'énormes entonnoirs ; à Thiébauménil, où un groupe d'enfants, se tenant par la main, processionne, en chantant, sous la pluie. De la joie candide sous les larmes du ciel ! Elles nous apparaissent, ces bonnes râces du pays lorrain, comme l'insouciant cortège de la jeune espérance...
Bientôt, dans le lointain brumeux, se profilent les tours de l'église Saint-Jacques, de Lunéville.
Nous arrivons, et nous excusons en même temps de n'avoir pu, dans ce bref après-midi, visiter d'autres communes douloureuses de la région, comme Pexonne, dans le canton de Badonviller, comme Bonviller et les villages de la vallée du Sânon, Maixe, Parroy et surtout Hénaménil. Un de ces prochains jours, nous nous efforcerons à combler cette lacune involontaire.

Comment Lunéville a été protégée
Pour une fois, depuis qu'il y a des hommes et des guerres, Lunéville, si souvent meurtrie et ruinée au cours de son histoire, a été protégée. La ville ducale, qui connut les splendeurs de la Cour du roi Stanislas, avec ses artistes, ses philosophes, ses poètes, ses jolies femmes et toute la légèreté d'une époque, qui présageait l'imminence de la Révolution, Lunéville n'a reçu de l'invasion dernière que quelques meurtrissures, bénignes à côté de celles de la guerre précédente.
En dépit des ordres du gouvernement, diffusés la veille par la radio, informant les populations que les villes de plus de 20.000 habitants étaient considérées comme villes ouvertes et ne devaient, en conséquence, offrir aucune résistance à l'ennemi, des troupes françaises avaient, dès l'après-midi du mardi 18 juin, mis les faubourgs de la ville en état de défense. Au Champ de Mars et à l'extrémité de l'avenue Voltaire, des pièces avaient été mises en batterie ; des engins motorisés et des canons de 75, braqués rue Chanzy, vers la place des Carmes et le faubourg d'Einville. Une section de mitrailleuses avait pris possession des appartements et des caves de la librairie Quantin, au coin de la place du Château et de la rue de la République ; de cette position, les mitrailleuses avaient pour mission de balayer la grande voie d'accès de la ville. Sur la route longeant le canal des Petits-Bosquets, plusieurs sections de mitrailleuses et des chars se trouvaient en réserve.
Au milieu de la nuit et à l'aube, dans un épouvantable fracas, les ponts sautaient : pont Chanzy, pont métallique de la prairie de Jolivet, pont de la voie de contournement, pont de Viller. Ce fut, pour Lunéville, le dernier acte de la tragédie. Acte bien inutile si l'on en considère les résultats. L'explosion du pont Chanzy, sur la Vezouze, détruisit complètement la charcuterie Malherbe, une partie de l'immeuble construit sur l'emplacement de l'ancienne caserne des Cadets, endommageant très gravement les toitures des immeubles de la rue, notamment le vieux Pavillon des Pages, ainsi que les maisons situées au delà du pont.
Au matin, la population, accourue sur les lieux, put constater que cette suprême sottise n'avait servi à rien puisque l'on pouvait passer la rivière à gué !
On s'aperçut alors que les engins motorisés avaient été abandonnés. On apprit également que, vers quatre heures du matin, un colonel était venu donner aux mitrailleurs occupant la maison Quantin l'ordre de se replier immédiatement. Les éléments motorisés de la rue Chanzy et du quai des Petits-Bosquets, obéissant sans doute au même ordre, avaient également quitté Lunéville. Néanmoins, certains îlots restaient encore, au Champ de Mars en particulier, dont la résistance éventuelle pouvait faire courir à la ville le plus grave danger.
Arrivé dès la première heure à l'Hôtel de Ville, le maire, M. Jules Français, envoya des cyclistes dans toutes les directions pour se rendre compte de la situation et lui permettre de prendre immédiatement les mesures indispensables qu'elle comportait.
Rassuré du côté des faubourgs de Nancy et d'Einville, M. Français se préoccupa du secteur route de Strasbourg et Champ de Mars. Il délégua M. Druon, président de l'Association des Familles nombreuses, auprès de l'officier commandant l'îlot de résistance du Champ-de-Mars. M. Druon se heurta à un refus catégorique de la part de celui-ci. M. Français envoya alors M. Druon, en auto et accompagné d'un officier, à Vathiménil, où se trouvait le commandant
de l'unité, pour solliciter un ordre de repli immédiat.
A ce moment, les troupes allemandes faisaient leur entrée ville. en M. Français dépêcha alors un nouveau messager, M. Ehrmann, au Champ-de-Mars, mais, se rendant enfin compte de l'inutilité de toute résistance, les mitrailleurs venaient de partir par le pont des Mossus. A 9 heures, une compagnie allemande formait les faisceaux sur la place de l'Hôtel-de-Ville et le maire, ayant à ses côtés ses dé- voués adjoints. MM. Louis Crabouillet et Emile Rouyer, recevait les officiers allemands dans son cabinet. Et c'est ainsi que Lunéville a été sauvée !
La population ne saurait témoigner trop de reconnaissance à son vieux maire, entré dans sa 75e année, qui, depuis le début de la guerre, dans toutes, les circonstances et à toutes les heures, s'est dévoué corps et âme à ses concitoyens.
Resté seul avec ses excellents adjoints - tous les services publics ayant quitté Lunéville - il a assuré la protection, la sécurité, le ravitaillement de ses concitoyens, prenant avec une bonhomie charmante et un gai courage les plus lourdes responsabilités.
M. Jules Français, maire de Lunéville, a bien mérité de la Cité.
Fernand ROUSSELOT.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
Le Château de Stanislas vu de la terrasse des Bosquets.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
BLAMONT. - Effets du bombardement.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
Deux aspects de la Grande-Rue de AZERAILLES.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
BAYON. - Immeuble incendié, derrière le château.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
LUNÉVILLE. - Maison détruite après l'explosion du pont.

1940 - Les communes meurtries de la région de Lunéville
BAYON. - Immeuble détruit.

 

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