Les ecclésiastiques de la Meurthe, martyrs et
confesseurs de la foi pendant la Révolution française
Eugène Mangenot
Ed. Nancy 1895
Dom Antoine Lottinger,
chartreux, fusillé a Nancy, le 1er mai 1798
Les fils de saint Bruno n'ont
pas à envier la gloire de la famille de saint Norbert. Un de
leurs frères de la chartreuse de Bosserville a été, après dom
Sigisbert Thouvenin, son ami, fusillé à Nancy pour la cause
sainte de la religion. Ce nouveau martyr est dom Antoine
Lottinger. Sa famille était depuis longtemps fixée à Blâmont
(1). Le trisaïeul du chartreux, Nicolas Lottinger, époux de
Marie Marchal, était hoste ou hôtelier de la Croix-d'Or. Il
mourut, le 6 mai 1672 et son fils, François- Sébastien, né le 30
mai 1636 et décédé le 4 avril 1696, resta à la tête de
l'établissement paternel, très renommé au XVIIe siècle. Sa
fille, Claude, née en 1638, épousa en secondes noces le chef du
Lyon d'Or, hôtellerie de Blâmont également célèbre (2). Leurs
descendants entrèrent dans l'administration, la magistrature et
les carrières libérales. L'aïeul de dom Antoine, Joseph
Lottinger, né le 29 décembre 1692 et mort le 31 mars 1744, fut
receveur des consignations au comté de Blâmont. Le 20 février
1724, il épousait la fille d'un notaire impérial, Joseph Poirot.
De leur mariage, naquirent onze enfants, six garçons et cinq
filles. L'aîné, Joseph-Antoine, né le 4 février 1725, s'adonna
de bonne heure à l'étude de la médecine. Dans l'acte de son
mariage, contracté le 22 janvier 1746, avec Marie-Louise
Vaultrin, il est déjà, malgré son jeune âge, qualifié « docteur
en médecine ». Après avoir exercé pendant plusieurs années son
art à Lorquin et à Blâmont, il devint médecin stipendié de la
ville de Sarrebourg. Il publia dans les journaux diverses études
de médecine et d'histoire naturelle. Un de ses mémoires, imprimé
à Nancy en 1775, a pour titre : Le coucou, discours
apologétique, ou mémoire sur le coucou. Cet ouvrage est
uniquement fondé sur des faits qui, étant aussi extraordinaires
que peu connus, rendent très intéressante l'histoire de cet
oiseau singulier (3). La science du docteur lui ouvrit les
portes des sociétés savantes. Il fut associé correspondant
d'abord du collège royal des médecins de Nancy, et plus tard, de
la Faculté de médecine de cette ville. Membre de la Société
royale et patriotique de Suède et de la Société de
Hesse-Hambourg, il fut, en 1780, associé à la Société royale de
médecine de Paris, puis correspondant du cabinet du roi de
France (4). Collaborateur de Buffon, avec qui il entretenait une
correspondance fort intime, et à qui il fournit « de nombreuses
et très bonnes observations sur les oiseaux » (5), il avait
recueilli un cabinet d'histoire naturelle, qui fut dispersé
après sa mort, et dont on aliénait encore quelque pièce en 1803
(6). Un de ses frères, Jean-Etienne, né le 11 octobre 1727, fut
dans une autre carrière, l'émule de sa gloire. En 1750, il était
déjà avocat à la cour souveraine de Lorraine et Barrois ; en
1784, il était juge à Milan, et il envoyait au médecin de
Sarrebourg « un très beau soleil d'argent dont partie des
ornements vermeille, d'un travail excellent, pour en faire
présent en son nom à l'église paroissiale de Blâmont, où il a
été baptisé »(7). Plus tard, il fut membre du conseil suprême de
Milan.
Joseph-Antoine eut cinq enfants, qui naquirent à Blâmont.
L'aîné, Antoine-Joseph, né le 11 février 1748, se fit religieux
dans l'ordre des Capucins. Profès d'un couvent de la province de
Bretagne, il fut envoyé en 1788 par ses supérieurs aux Iles
sous-le-vent, où il fut chargé d'une cure (8). Le chartreux
était le quatrième enfant. Né le 11 décembre 1751, il fut
baptisé le même jour sous les prénoms de
Charles-François-Xavier. « Il a eu pour parrain le sieur
Jean-Claude Vaultrin, avocat à la cour et tabellion royal au
bailliage de Blâmont, et pour marraine demoiselle
Barbe-Elisabeth Vaultrin ». Attiré comme son frère à la vie
religieuse, il choisit la famille de saint Bruno et entra à la
chartreuse de Bosserville. Le 24 mars 1772, il prit l'habit de
novice sous le nom de dom Antoine. L'année du noviciat écoulée,
il fit profession solennelle, le 25 mars 1773 (9). Le 23
septembre 1775, samedi des Quatre-temps, il reçut à Toul les
ordres mineurs et le sous-diaconat (10). Ordonné prêtre en 1777,
« il devint bientôt le modèle vivant de ses frères, par la
pratique de toutes les vertus qui font le vrai chrétien, le
saint prêtre, le religieux parfait, par sa régularité, sa
ponctualité, sa charité et surtout par le dédain de la vie
présente et le désir de la vie future » (11).
Pendant la Révolution, le saint religieux resta constamment
fidèle à l'Eglise et fut successivement confesseur de la foi
dans l'exil, apôtre missionnaire dans sa malheureuse patrie, et
enfin martyr pour la cause de Jésus-Christ. Le 17 janvier 1791,
il déclara opter pour la vie commune. Sa pension de religieux,
fixée à 900 livres, lui fut payée tant qu'il resta à Bosserville
(12). Dès le début de la Révolution, dom Antoine soupirait après
la grâce du martyre. Un jour qu'une troupe de brigands avait
assailli la Chartreuse, il se réjouissait déjà dans l'espoir
d'être assassiné par ces ennemis de Dieu et de la religion.
Après leur départ, il témoigna du regret d'avoir échappé à la
mort en cette occasion. Souvent, en se recommandant aux prières
de ses amis, il leur demandait de réclamer pour lui la gloire du
martyre. Le 6 octobre 1792, les Chartreux durent quitter leur
solitude de Bosserville. Ce jour-là, ils avaient célébré leur
fête patronale et conduit à sa dernière demeure l'un des leurs,
dom Nicolas Payen, mort la veille. Un certain nombre des
religieux se retirèrent à Maréville. Mais pour dom Antoine, on
ne savait où il était (13). Passa-t-il quelque temps à
Sarrebourg, chez son père ? Nous l'ignorons. Il ne dut pas y
faire un long séjour, car le docteur Lottinger tout en restant
attaché à la foi chrétienne, avait adopté avec enthousiasme les
nouvelles idées et s'en était fait le champion.
En 1789, le citoyen Lottinger, qui « par état et par amour pour
le bien de la chose publique s'est depuis longtemps et
particulièrement occupé de ce qui peut y préjudicier ou y
servir, et qui a publié et adressé au Gouvernement plusieurs
écrits relatifs à cet objet d'utilité », fit imprimer des
Considérations patriotiques (14). Comme citoyen, il doit faire
son possible pour sauver l'Etat, quand il est en danger.
Actuellement le péril existe. Lottinger le voit dans la dette
publique, qui va amener une banqueroute déshonorante. Il énumère
les ressources immenses, propres à acquitter cette dette. Dans
l'accord des trois Ordres et la justice rendue au Tiers par la
noblesse et le clergé, il salue « l'aurore du plus beau jour qui
aura éclairé la France et de la Révolution la plus mémorable
pour la nation ». Il attend « une constitution la plus sage
possible et assez heureuse pour assurer au souverain ses droits
et à la nation les siens, et procurer à l'un et à l'autre toute
la puissance, toute la gloire, toute la prospérité et tout le
bonheur désirables ». Toutefois la félicité publique ne dépend
pas exclusivement du meilleur état des finances; pour qu'elle
soit réalisée, il faut remédier à d'autres désordres,
l'irréligion, la dépravation des moeurs et le luxe. Lottinger
propose des réformes sages et conseille un choix judicieux parmi
celles, qui étaient alors mises en avant.
Dans l'ancien ordre des choses, il avait été premier échevin de
Sarrebourg. En 1790, il fut placé à la tête de la nouvelle
municipalité. Il s'efforça de faire prêter le serment
constitutionnel à l'abbé Georgel, curé de Sarrebourg. Ce prêtre
éclairé résista à ses sollicitations, refusa le serment et
émigra. Le maire eut plus de succès auprès de son client et ami,
l'abbé Mangenot, chanoine de la collégiale (15) et il le décida
en 1792 à prêter le serment de la liberté et de l'égalité. A la
fin de 1793, le chanoine, atteint par une maladie de langueur,
se repentit de sa faiblesse, fit venir un prêtre catholique,
rétracta son serment et se réconcilia à l'Eglise. Il envoya sa
rétractation au greffe de la municipalité ; mais le maire s'en
empara et la mit aux oubliettes, selon l'expression pittoresque
de Chatrian. Le chanoine ne survécut pas longtemps; il mourut,
le 24 nivôse an II, 13 janvier 1794, à l'âge de 62 ans. Les
sentiments de dom Antoine différaient trop de ceux de son père,
pour qu'il demeurât à la maison paternelle ; il préféra émigrer
plutôt que faire la moindre concession à la politique du temps.
Joseph-Antoine mourut, dans le cours de l'an II (1793-1794), «
partisan et à peu près victime de la Révolution française »
(16).
Nous ne connaissons pas toutes les étapes de dom Lottinger sur
le chemin de l'exil. Il se retira en Suisse et pour donner
satisfaction à sa tendre dévotion à la Sainte-Vierge, il fit le
pèlerinage de Notre-Dame-desErmites. Il y éprouva tant de joie
et de consolation qu'il s'était proposé d'y retourner. Il passa
ensuite en Italie, alla peut-être visiter son oncle à Milan et
se rendit à Rome. Devant les tombeaux des saints Apôtres Pierre
et Paul, il puisa un redoublement de zèle apostolique. Son
pèlerinage accompli, il revint en Suisse et à la fin de 1795, il
se fixa dans une chartreuse de la Turgovie, située aux environs
de Toggembourg (canton d'Appenzel). Le vénérable chartreux forma
le dessein d'aller en Chine prêcher l'Evangile et cueillir les
palmes du martyre. Il ne réalisa pas ce généreux projet, quand
il eut compris qu'il pouvait remplir dans sa propre patrie un
apostolat fécond et trouver l'occasion d'une mort glorieuse.
Il résolut donc de rentrer en Lorraine. Une lettre (17), qu'il
écrivait alors à un prêtre, nous apprend la date de son départ
et les nobles sentiments qui 1 animaient: « Nous partons pour la
frontière aujourd'hui, jour de la Sainte-Trinité, à midi précis.
Quel bonheur ! Quel transport de joie remplit mon coeur ! Je ne
puis vous l'exprimer. Nous partons pour aller combattre le démon
et ses aveugles clients; nous partons pour aller empourprer nos
travaux de notre sang; nous partons pour aller donner notre vie
en sacrifice. O sort des sorts! O sort heureux! O sort dont nous
ne sommes pas dignes, mais qu'une immense miséricorde nous
prépare ! Sort que nous ne changerions pas pour tous les
royaumes du monde. Quanta est glorioe dignitas ! Quanta felicitas,
proeside Deo congredi et Christo judice coronari.22 mai 1796 ».
Rentré dans sa patrie après trois ans d'exil, dom Antoine
s'employa, dès qu'il le put et autant qu'il le put, à
l'administration des Sacrements pour le salut des âmes. De
passage à Ramonchamp, il baptisa un enfant. Il exposait sa vie,
il le savait, mais loin de craindre la mort, il la désirait
(18). L'espoir du martyre l'avait décidé à revenir en Lorraine ;
la marche des événements lui faisait présager le sort qui lui
était réservé. Il l'annonça plusieurs fois, et son annonce était
si ferme et si assurée qu'elle peut passer pour une sorte de
prédiction. Une seule réflexion pouvait tempérer son désir de
mourir, c'est l'utilité des âmes et le bien de la religion. Dans
ses prières, il demandait souvent à Dieu l'honneur du martyre;
il s'y préparait. « Il portait ordinairement avec lui un recueil
de gravures représentant les divers genres de tourments, par
lesquels les persécuteurs exerçaient la patience et éprouvaient
la foi des premiers chrétiens, et dans ses moments de loisir, il
le feuilletait avec complaisance, contemplant pendant des heures
entières les roues, les chevalets, les peignes de fer, les
martinets pour la flagellation, les bûchers, les chaudières
bouillonnantes, et faisant de ces divers instruments de supplice
l'objet favori de ses méditations (19). Il portait aussi sur lui
des reliques de divers martyrs, pour lesquelles il avait une
vénération profonde, en lesquelles il mettait une confiance
pleine et entière et dont la vue l'aidait à cultiver son désir
de marcher sur les traces des premiers témoins du Christ ».
Néanmoins, pour faire le bien sans témérité et avec plus
d'efficacité, il usait, à regret, il est vrai, de prudence et de
discrétion. Le théâtre de son zèle comprenait tous les environs
de Nancy. Il les parcourait, administrant les Sacrements et
donnant l'instruction religieuse. Il allait de village en
village, en toute saison et partait avec empressement, sans se
donner ni repos ni trêve, partout où il y avait un pécheur à
absoudre, un malade à consoler, un mourant à bénir et à
fortifier au moment suprême contre les terreurs de la mort et
les derniers assauts de l'enfer. Bien qu'il fût d'une santé très
délicate et que la fatigue l'exténuât, rien ne diminuait son
zèle. Continuellement en marche et presque toujours de nuit, il
ne demeurait que fort peu de temps, deux jours au plus, au même
endroit. Une oeuvre achevée, il courait à une autre. Aussi
instruit que zélé, il avait composé et fait imprimer à Nancy en
1797 un ouvrage, qui respire la plus tendre piété et qui a pour
titre: Sentences et consolations chrétiennes (20). Dans ses
courses apostoliques, il en distribuait des exemplaires qui
servaient à l'instruction des fidèles. Le père Doré nous en a
conservé une maxime que nous ne voulons pas omettre: < r Le
temps des souffrances est de tous les temps de notre vie le plus
précieux. Ne le passez pas à vous plaindre, mais à faire des
actes de conformité à la volonté de Dieu. Unissez vos peines à
celles du Sauveur; rappelez-vous son amour pour vous, et
n'oubliez pas que vous devez imiter sa patience comme ses autres
vertus » (p. 84).
Les mesures de prudence, dont il s'entourait pour ne pas être
découvert, dom Antoine ne les prenait que pour obéir à sa
conscience. Il voulait être agréable aux personnes qui lui
portaient intérêt et craignait d'être taxé de témérité. S'il
avait suivi les mouvements de sa nature, il se serait exposé au
péril et aurait couru ouvertement le risque d'être arrêté. Un
soir qu'il voyageait par une nuit froide et obscure, il fut
assailli par deux volontaires, qui n'avaient ni mission ni
mandat de le saisir. Sa première pensée fut de leur offrir de
l'argent pour avoir la liberté de continuer sa marche. Un des
agresseurs acceptait volontiers les six livres et consentait â
relâcher le prisonnier; le second, ne cédant pas à l'appât de
l'argent, employait la violence pour le traduire devant les
tribunaux. Mais dom Antoine, par un mouvement vigoureux, se
dégagea de ses étreintes et s'enfuit d'un pas rapide et léger.
Plus tard, il se reprochait d'avoir agi de la sorte et dans son
désir ardent de mourir pour Jésus-Christ, il regrettait d'avoir
volontairement perdu l'occasion d'aller au martyre.
Son extrême délicatesse lui faisait tout particulièrement
respecter les droits de la vérité. Il n'aurait pas permis que
pour sauver sa vie, on blessât la vertu de sincérité. Comme il
n'eut pu se procurer des certificats et des passeports, sans
recourir à des détours, il voyageait sans ces pièces
nécessaires, qu'il eut tenues pour des supercheries. Ne voulant
pas être la cause ou l'occasion de querelles, surtout de
querelles sanglantes, il défendait aux hommes qui
l'accompagnaient de nuit, de porter des armes. Son
désintéressement égalait son abandon à la divine Providence. Il
était fort pauvrement vêtu. Tout ce qu'on lui donnait, il le
rendait aux pauvres. Si une bonne chrétienne lui offrait du
linge propre, il laissait en compensation celui dont il se
dépouillait, et voulait qu'il fut distribué aux pauvres. Ses
vertus les plus remarquables étaient une foi vive, un ardent
amour envers l'Eucharistie et une tendre et solide dévotion à
l'égard de la Sainte-Vierge. Il se distinguait par sa profonde
vénération pour les reliques des Saints et il mettait à s'en
procurer une application extraordinaire. Quelques personnes
pensaient, mais à tort, qu'il n'apportait pas dans ses
recherches tout le discernement nécessaire et n'exigeait pas des
garanties suffisantes d'authenticité.
Son désir du martyre, loin de diminuer, croissait avec le temps
des épreuves. Quand il apprit la mort de dom Sigisbert, il
répéta plusieurs fois ces paroles: « Le père Thouvenin était mon
ami. Je le prie de m'obtenir du Seigneur la grâce qui lui a été
faite de mourir martyr, afin d'aller partager son bonheur ». Sa
prière fut bientôt exaucée. Quinze jours après la mort du
prémontré, le chartreux était arrêté. Dom Antoine a raconté
lui-même les circonstances de son arrestation. Le 26 avril 1798,
il reçut d'un prêtre missionnaire un billet. Son confrère lui
proposait d'aller, s'il le pouvait, porter les secours
spirituels à quelques personnes de Gerbéviller. Le zélé
religieux part sans hésiter, emportant la sainte Eucharistie.
Son unique compagnon de route l'ayant averti que des patrouilles
parcouraient le pays, il lui confia son dépôt sacré, de crainte
qu'il ne fut profané, si lui-même était arrêté. Les deux
voyageurs arrivèrent à Gerbéviller vers onze heures du soir. Ils
aperçurent de la lumière dans une maison; mais comme elle était
habitée par de fidèles catholiques, ils jugèrent qu'ils
n'avaient rien à craindre. Un peu plus loin, ils virent de la
clarté dans une autre maison. Ses habitants étaient des ennemis
de la religion ; néanmoins, parce que c'était une auberge, ils
ne crurent pas nécessaire d'avancer avec circonspection. Ils
entendirent cependant tout proche d'eux parler à voix basse;
l'obscurité de la nuit était si profonde qu'ils ne virent
personne. Ils pénétrèrent bientôt au lieu, où ils étaient
attendus et où se trouvaient réunies des religieuses de la
Congrégation de Notre-Dame. Dom Antoine confessa le malade,
auprès duquel on l'avait appelé; mais il avait été vu et
dénoncé. Le lendemain, 8 floréal an VI, vendredi 27 avril 1798,
à midi, les gendarmes vinrent le prendre.
Le prisonnier n'était muni d'aucun passeport ; il déclara aux
gendarmes qu'il n'avait point de résidence fixe. Le juge de paix
du canton, devant lequel il fut aussitôt conduit, lui fit subir,
en qualité d'officier de police judiciaire, un premier
interrogatoire. Sans hésitation et sans crainte, avec le calme
d'un innocent, dom Antoine se fit connaître comme « prêtre du
ci-devant ordre des Chartreux de la maison de Bosserville près
Nancy », avouant qu'il avait émigré deux fois, qu'il n'avait pas
de résidence fixe et qu'il menait une vie errante et vagabonde.
Le lendemain, les gendarmes l'emmenèrent directement à Nancy
(21) et présentèrent son interrogatoire de la veille à
l'administration centrale du département de la Meurthe. Cette
autorité renvoya l'affaire à l'accusateur public près le
tribunal criminel, pour que ce fonctionnaire pût régulariser
l'opération du juge de paix, qui n'avait terminé
l'interrogatoire par aucune ordonnance ni indication du tribunal
compétent, et qui même n'avait décerné aucun mandat d'arrêt. En
communiquant ces renseignements au ministre de la police
générale, le commissaire du Directoire exécutif près
l'administration centrale ajoutait : « Il est plus que
vraisemblable que ce prêtre sera traduit devant une commission
militaire; j'aurai l'honneur de vous informer du jugement qui
sera rendu à son égard ». Le ministre de la police générale
faisait répondre : « Je vous observe que, si cet individu a été
soumis aux lois de 1792 et 1793 et qu'il soit porté sur la liste
des émigrés comme prêtre déporté, c'est le cas de lui faire
subir la peine de la déportation. Dans le cas contraire,
c'est-à-dire si, n'étant pas soumis aux lois de 1792 et 1793, il
se trouve porté sur la liste des émigrés comme émigré, il
devient alors justiciable de la commission militaire. Vous me
rendrez compte des suites de cette affaire » (22).
Le prisonnier avait été déposé à la Conciergerie, le 28 avril,
vers onze heures du matin. A quatre heures du soir, il fut amené
devant le président du tribunal criminel de la Meurthe et il
subit un nouvel interrogatoire. Ce document nous manque. Les
interrogations achevées, le prévenu fut reconduit à la
Conciergerie. Tout le temps qu'il passa dans cette prison, il
s'entretint de ses derniers moments. La joie intime qu'il
éprouvait d'être incarcéré, éclatait sur son visage et se
manifestait dans toute sa conduite. Il chantait des hymnes et
des cantiques en action de grâces du bonheur, dont il espérait
jouir, s'il lui était accordé de mourir pour .Jésus-Christ. II
en composait lui-même pour exprimer son vif désir d'être réuni à
Dieu. Tous ses entretiens étaient spirituels. Il se recommandait
aux prières des catholiques et des prêtres qui vinrent le
visiter; mais dans son attachement à l'Eglise catholique, il
ajoutait : « Ne me recommandez pas aux prières des prêtres qui
ont prêté le serment et ne sont pas réconciliés. Ils sont pour
moi des hommes qui se mettent eu présence du crucifix, pour lui
cracher au visage ». On lui suggérait des moyens de défense. Il
voulut mettre en pratique les recommandations de Jésus aux
Apôtres: « Ne vous inquiétez pas de ce que vous répondrez aux
juges, quand vous comparaîtrez devant eux pour mon nom; le
Saint-Esprit vous suggérera ce que vous aurez à dire ».
Le 10 floréal, 29 avril, le tribunal criminel rendit le
jugement, qui envoyait le prévenu devant la commission militaire
de Nancy. Dom Antoine était donc considéré comme émigré et non
comme déporté rentré. La distinction, établie par le ministre de
la police générale, parvint trop tard pour que le tribunal pût
l'appliquer au chartreux et lui infliger, au lieu de la peine de
mort, celle de la déportation. Soumis à la juridiction
militaire, le prévenu fut transféré, le 29 avril, vers trois
heures de l'après-midi, de la Conciergerie à la tour Notre-Dame,
réservée aux prisonniers de guerre. Dans cette nouvelle prison,
il chantait encore son bonheur par des cantiques de sa
composition. Ses compagnons de captivité étaient ravis
d'admiration et s'édifiaient de tant de vertus. Beaucoup de
personnes du dehors le visitèrent et remportèrent une grande
édification de sa piété, de sa constance et de son allégresse.
Il se réjouissait d'être bientôt réuni à ses deux amis Henry et
Georgin, prébendés de la cathédrale, morts à Rochefort. Le frère
de dom Sigisbert fut du nombre des visiteurs. Le vénérable
chartreux lui dit avec une admirable douceur: « Voyez combien
votre frère a de pouvoir auprès de Dieu? Dès que j'ai su sa
mort, je l'ai prié de m'obtenir le sort qui lui a été réservé ;
je vois que ma prière a été exaucée puisque me voici dans la
même prison. Pourvu que je sois trouvé digne de faire le même
sacrifice que lui ! » Il dit encore: « Je répondrai avec
franchise aux questions, que me feront mes juges et je ne
prétends pas ternir la gloire du martyre par le moindre mensonge
». Ses amis lui proposèrent un défenseur pour plaider sa cause.
Celui-ci s'engageait à le sauver si le prévenu le laissait dire
ce qu'il voudrait. « A la bonne heure ! répondit le religieux,
détendez-moi et sauvez ma vie, si vous le pouvez ; mais que ce
ne soit pas au détriment de la vérité, car si vous avancez
quelque fausseté, je dirai le vrai sur-le-champ ». Le défenseur
voulait faire passer son client pour un esprit faible ; ce qui
eut été facile, soit parce que son corps était exténué par les
fatigues de l'apostolat, soit parce que la simplicité
évangélique de son âme se manifestait par une grande naïveté. A
cette proposition, dom Antoine s'indigne et s'écrie: « Non, je
ne souffrirai point qu'on recoure à un tel subterfuge. Si mon
défenseur l'emploie, je me lèverai devant les juges et je leur
ferai voir par mes réponses que je possède toute ma présence
d'esprit. Je serais un lâche, si j'agissais autrement ».
Le lundi, 30 avril, le rapporteur de la commission militaire
vint à la tour vers dix heures du matin. Il prit dom Antoine à
part dans une chambre et lui ordonna de se déshabiller. Cette
enquête inutile imposa au bon religieux un pénible sacrifice. En
le fouillant, cet officier trouva sur lui deux mouchoirs ; il
voulut s'emparer du plus propre et du meilleur. Dom Antoine le
pria de le lui laisser pour bander ses yeux au moment de la
fusillade. Le rapporteur accéda à sa demande et en le quittant,
lui dit : « Demain, premier jour de mai, vous paraîtrez au
jugement à huit heures du matin ». Dès lors, le prévenu ne
s'occupa plus que de sa dernière heure. Il dit aux prisonniers
qui l'environnaient: « .l'ai besoin de tout le temps qui me
reste pour me préparer à mon sacrifice ». Et au cours d'une
conversation avec des amis, il dit encore: « J'aurais plus
besoin de résignation pour entendre une sentence, qui me
priverait du bonheur du martyre, que pour entendre ma
condamnation à mort que je désire ».
Le mardi, 1er mai, à l'heure fixée, l'accusé est conduit devant
la commission militaire, qui devait le juger. Une foule de
spectateurs étaient là, attirés les uns parla curiosité, les
autres par la commisération et la religion. Au nombre de ces
derniers se trouvait un chartreux, dom Bernard Abram (23). Dom
Antoine se tint en paix et en pleine possession de lui-même. Il
écouta avec tranquillité les questions de ses juges et y
répondit en toute simplicité. On lui présenta les procès-verbaux
de son arrestation et de sa comparution devant le tribunal
criminel de la Meurthe, et on lui demanda s'il reconnaissait
pour siennes les signatures, qui étaient apposées au bas de ces
pièces. « Oui, dit-il, je les reconnais. J'ai signé celui-ci :
prêtre catholique, et encore celui-là -.prêtre catholique. Sur
cet autre, on m'a défendu d'écrire: prêtre catholique ». Il
prononçait ces mots : Prêtre catholique, avec affection et
bonheur. Il dit ensuite un bon mot si naïf, (la naïveté était le
fond de son caractère), que les fidèles et ses amis, qui
assistaient pâles et tremblants, ne purent s'empêcher de rire et
de partager un instant la gloire du confesseur de Jésus-Christ.
Son attachement à la religion était tout son crime, ses réponses
le manifestèrent hautement.
A la question : « Avez-vous prêté les serments, exigés par les
lois », il répondit: « Aucun. - Pourquoi avez-vous refusé de les
prêter ? - Parce que ma religion et ma conscience ne me les
permettaient pas ». Il refusa de déclarer les familles, chez
lesquelles il avait logé, parce que la religion lui défendait de
compromettre personne. La suite de l'interrogatoire fit voir que
les juges n'eussent pas été fâchés de trouver un biais pour
éviter une sentence capitale. L'accusé eut été absous, s'il eut
voulu dire qu'il ignorait la loi. Le défenseur cherchait aussi à
tirer avantage d'une sorte d'équivoque sur ses noms de famille
et de religion. Le chartreux ne lui permit pas d'en user. Comme
on feuilletait la liste des émigrés pour s'assurer s'il y était
inscrit, le greffier, qui voulait le sauver, lui dit: « Votre
nom n'y est pas. - Il doit y être, répondit Lottinger. - Il n'y
a point de Charles-François Lottinger, reprend le greffier. - Eh
bien ! cherchez aux A, vous y trouverez Antoine, chartreux de
Bosserville; c'est moi ». Dans ses malles, saisies avec lui, on
avait trouvé des vases sacrés et des ornements sacerdotaux, qui
étaient une pièce de conviction. L'avocat lui proposa de dire
que ces objets ne lui appartenaient pas. « Non, répliqua-t-il,
c'est à moi ; je suis prêtre catholique, je dis la Messe et je
continuerai à la dire tant que je le pourrai ». C'est ainsi qu'
« il dérouta par ses réponses toutes franches » la bonne volonté
de ses juges à son égard.
Vers onze heures du matin, après une séance de trois heures,
tandis que les juges délibéraient, l'accusé est reconduit à la
tour Notre-Dame.
Il y trouve, en arrivant, un repas modeste qui lui avait été
envoyé par une personne touchée de son malheur. Il ne fait
d'abord que goûter les mets ; puis, changeant tout à coup
d'avis, il mangea de bon appétit et dit avec gaîté : « C'est un
beau jour que celui-ci, c'est un jour de fête ; ordinairement je
ne bois pas de vin, j'en boirai un peu aujourd'hui ». Un laïque,
qui assistait à ce repas, lui fit le récit détaillé des derniers
moments de dom Sigisbert. Lottinger, se félicitant de partager
le sort du prémontré, répondit que « lui faire ce récit, c'était
lui servir un bon dessert ». A deux heures, les juges viennent
lire la sentence, qui le condamnait à mort. Il l'entend, sans
rien perdre de sa sérénité habituelle. Sa première parole fut un
cri de reconnaissance: « Béni soit le Seigneur qui a bien voulu
exaucer mes voeux! » Sa joie intérieure se refléta si
manifestement sur son visage qu'un assistant ne put s'empêcher
de dire: « Il faut que cet homme soit fou; on n'a jamais vu
recevoir une sentence de mort d'un air si joyeux ». Le condamné
n'avait d'autre folie que celle de la Croix, et la vivacité de
sa foi lui avait toujours fait regarder comme une grande grâce
celle de mourir pour la religion. Il dit encore à ce moment : «
J'éprouve sensiblement la protection de Sigisbert Thouvenin
auprès de Dieu, car je l'ai prié d'intercéder pour moi et de
m'obtenir le bonheur de verser mon sang pour la foi de
Jésus-Christ ».
Dès que la lecture de la sentence fut terminée, le condamné fut
enfermé au secret dans une cellule jusqu'à cinq heures du soir.
On vint alors le prendre pour le conduire à la place de Grève, «
la place des nouveaux martyrs ». Il y marche comme un généreux
athlète, avec joie et en priant. De temps en temps, il regardait
modestement les spectateurs. Ses yeux ayant rencontré dans la
foule un de ses amis, il le salua trois fois. Au moment de
parvenir au lieu de l'exécution, son visage perdit sa pâleur
ordinaire et naturelle, ses joues s'enflammèrent, son visage
s'illumina et brilla d'une beauté extraordinaire et céleste. Il
marchait d'un pas si ferme et si rapide qu'il dépassa le lieu du
supplice. Un soldat de l'escorte lui cria: « Arrête donc ; tu
vas trop loin ; c'est ici ». Alors, il s'arrêta, ôta son
chapeau, tira de sa poche le mouchoir qu'il avait préparé dès le
dimanche précédent et qu'il avait eu soin de bénir, se banda les
yeux, fit le signe de la croix, joignit les mains, se mit à
genoux et reçut une décharge. Une balle l'avait atteint à la
lèvre supérieure. Il tomba sur son côté gauche, sans être
mortellement blessé. Il tira sa jambe gauche comme pour se
relever. Deux fusiliers apercevant ce mouvement s'approchent du
côté droit et lui lâchent à bout portant deux coups de fusil
derrière la tête. Le patient qu'on croyait mort, est aussitôt
placé dans un cercueil; mais, ô surprise ! on le vit joindre les
mains comme pour prier. C'était un dernier signe de vie. Une
troisième décharge le frappa dans son cercueil et l'enleva à ce
triste monde. Il était mort comme un saint. C'était le 12
floréal de l'an VI de la République française, 1er mai 1798
(24).
Une foule considérable, attirée par le spectacle inaccoutumé de
l'exécution capitale d'un prêtre, fut témoin du courage héroïque
de dom Antoine. Les catholiques y étaient venus pour bénir Dieu
et admirer la force de sa grâce. Les indifférents et les ennemis
de la religion eux-mêmes y assistèrent dans un respectueux
silence. Tous étaient dans une sorte de saisissement. Le peuple
donna au martyr de grandes marques de sa vénération. Tous les
objets qui avaient été à son usage, furent considérés comme de
précieuses reliques. Beaucoup d'assistants, bravant la défense
et la force brutale des soldats, recueillirent le sang qui avait
coulé abondamment sur la place. Le plus grand nombre
accompagnèrent le corps jusqu'au cimetière des Trois-Maisons.
Les gendarmes ne purent les empêcher d'y entrer. Sur la tombe on
se disputa les reliques. Ceux-ci trempaient des linges dans le
sang qui s'était répandu dans le cercueil. Ceux-là arrachaient
l'herbe sur laquelle ses vêtements avaient été déposés ;
d'autres prenaient de la terre imprégnée de sang. On se disputa
le mouchoir qui avait couvert ses yeux; un particulier l'acheta.
Les plus forts seuls réussirent à s'emparer de ces reliques, que
tous désiraient posséder. Chacun remporta chez soi une vive
impression de cette mort édifiante. Elle fut le sujet des
entretiens de toutes les familles chrétiennes et de l'admiration
de plusieurs ennemis de la religion. L'un disait : « Il y a dans
tout cela quelque chose d'extraordinaire ». Un autre: « Il ne
convient pas de traiter ainsi des innocents ». On entendit un
homme en place adresser à un de ses collègues cette réflexion :
« Remarquez-vous comment ces prêtres catholiques vont à la mort
et la subissent ! En voit-on d'autres la recevoir avec ce
courage et cette paix ? ». Le peuple, qui ne pouvait se
dissimuler l'innocence du condamné, laissa échapper assez
librement ses murmures contre la rigueur qu'on exerçait sur des
citoyens paisibles, et on a cru à cette époque que l'opinion
publique avait ému les juges et les avait empêchés de condamner
à mort deux jours plus tard, le 14 floréal an VI, 3 mai 1798,
Charles Morel, curé de Troussey. Dom Antoine avait vu ce
confrère arriver le 1er mai à la prison. Bien qu'il ne le connût
pas, il lui dit : « Vous êtes encore jeune et plein de force et
en état de servir longtemps encore l'Eglise. Quand je serai
devant Dieu, je le prierai de ne pas permettre que vous soyez
condamné à mort ». Sa prière fut exaucée (25). Les fidèles, de
leur côté, recouraient à l'intercession du martyr et les
contemporains lui ont attribué plusieurs guérisons miraculeuses.
Le soir de l'exécution, vers neuf heures, les catholiques
envoyèrent au cimetière des linges propres et un cercueil
convenable pour ensevelir dignement les restes glorieux du
martyr. Ils avaient remarqué que le sang avait abondamment coulé
dans le premier cercueil et ils voulaient y tremper des draps
pour le recueillir. Comme le corps du religieux avait été
meurtri et fracassé, on trouva dans sa chemise, en lui rendant
ces suprêmes honneurs, des morceaux détachés de sa chair et de
ses dents. On eut soin de glisser dans le cercueil une plaque
oblongue de cuivre, sur laquelle on avait gravé assez
grossièrement ces mots : « Charles-François-Xavier Lottinger,
prêtre chartreux à Bosserville sous le nom de Dom Antoine, natif
de Blâmont, Agé de 47 ans, a été fusillé à Nancy comme prêtre
catholique, le 1er mai 1798, entre 4 et 5 heures » (26). En
1832, un fossoyeur, en défonçant le terrain ou en creusant une
nouvelle fosse, mit à jour avec sa pioche cette plaque, un
crâne, trois ossements, dont un humérus, trois petits osselets
et quelques dents sorties de leurs alvéoles. Le bruit de cette
découverte se répandit dans la ville de Nancy et parvint
jusqu'au grand séminaire. Un diacre, l'abbé Thiébeult, allié à
la famille Lottinger, fut envoyé réclamer les restes de son
parent. Ils lui furent remis et il les conserva avec soin et
respect. Tandis qu'il était vicaire à la cathédrale de Nancy, il
les avait placés dans un petit oratoire qu'il avait dressé
auprès de son lit et devant lequel il aimait à prier. Le 11
octobre 1864, il les confia avec émotion au R. P. Dom
Marie-Joseph Engler, alors procureur de la Chartreuse de
Bosserville, en présence de l'abbé Charlot, chanoine honoraire
de la cathédrale (27). Les pieux fils de saint Bruno conservent
dans la cellule du prieur ce précieux dépôt.
Le ministre de la police générale avait demandé qu'on lui rendit
compte des suites du procès. Le 17 floréal an VI, 6 mai 1798, le
commissaire du Directoire exécutif près l'administration
centrale du département de la Meurthe, Mourer, lui annonça que
le 13 du courant, 2 mai, le chartreux avait été condamné par une
commission militaire à la peine de mort comme émigré rentré et
qu'il avait été exécuté le même jour (28).
Les termes laconiques et froids de cette lettre diffèrent
profondément des paroles émues et respectueuses des fidèles
catholiques qui s'entretenaient de la mort du martyr. Pour
préparer un des amis du chartreux à la pénible nouvelle de son
trépas, on prit ce détour : « Dom Antoine est bien malade,
dit-on ; sa vie est entièrement désespérée. - Ah! j'en suis
peiné, répond l'ami ; car il ne désirait rien tant que de mourir
pour la religion par le martyre. - Eh bien ! consolez-vous,
répliqua-t-on, son désir est satisfait, il est mort comme il
demandait de mourir ». Les contemporains n'ont pas hésité à
proclamer dom Antoine martyr de la foi. « Son attachement à la
religion était tout son crime », a écrit le père Doré. Dom
Antoine, ajoute-t-il, s'était préparé à cette mort glorieuse par
une-vie toute consacrée à la piété, aux fonctions du zèle, aux
exercices de la charité et à la pratique de la mortification. «
Un tel homme était bien éloigné de causer du trouble et de nuire
à personne... Quoiqu'il en soit, heureux ceux dont la pureté de
conscience fait envisager la mort avec tranquillité, et qui, au
lieu de reproches à se faire, ont à se rendre le doux témoignage
qu'ils meurent fidèles à Dieu et pour la cause de la religion.
S'il n'appartient qu'à l'Eglise de conférer et de confirmer le
nom de martyr et de saint, il est bien consolant d'avoir agi de
manière à mériter ces titres glorieux ».
(1) Les actes religieux de la paroisse de Blamont
datent de 1634. Le 30 mai 1636, il y a un acte de baptême d'un
fils Lottinger. Le nom est diversement orthographié: le plus
souvent, on lit Lottinger ou Lottingre, et quelquefois Lothinger
ou Lothingre. Tous ces détails généalogiques sont dus aux
recherches que M. l'abbé Xilliez, professeur de philosophie ù
l'Institution Pierre Fourier à Lunéville, a bien voulu faire
dans les registres paroissiaux de Blâmont.
(2) Des voyageurs ont parlé de ces hôtelleries dans leurs récits
de voyage. Les maisons existent encore.
(3) Catalogue Noël, n° 5881. Le 17 octobre 1776, il adressait à
Buffon de nouvelles observations sur le coucou. Cfr oeuvres, t.
XVIII, p. 443.
(4) Chatrian, Hommes illustres de la Lorraine, p. 197.
(5) Buffon, oeuvres, édit. de 1845, t. XV, p. 369.
(6) Lamoureux, Mémoire pour servir à l'histoire littéraire du
département de la Meurthe, p. 50.
(7) Chatrian, Calendrier, 4 juin 1784.
(8) Ibid., 19 avril 1788. L'unique fille, Marie-Anne-Théodore,
née le 26 février 1749, épousa M. de Voilan. Elle avait habité
successivement Lunéville et Nancy. En 1815, elle résidait à
Strasbourg. Voir Correspondance de Grégoire avec des Lorrains,
p. 78 (manuscrit 534 de la bibliothèque de la Ville de Nancy).
(9) Registre des professions. Arch. dép., H 683.
(10) Liste officielle des ordinands de ce jour.
(11) Berseaux, L'ordre des Chartreux, p. 266.
(12) L 401-462,1699-1700 et 1720.
(13) Chatrian, Calendrier, 12 septembre 1792. Cfr Berseaux, p.
247.
(14) Chez Levrault, Strasbourg, 12 p. in-8.
(15) Fils de Nicolas Mangenot, avocat à la cour, et de
Marguerite Jeanjean, Claude-Charles naquit à Lunéville, le 7
mars 1732. Il commença ses études littéraires au collège de sa
ville natale, alla les achever à Pont-à-Mousson. puis entra au
séminaire de Toul. Ordonné prêtre le 24 septembre 1757, il fut
envoyé comme vicaire commensal à Einville-au-Jard. Il se fit
estimer de son curé et monta avec succès dans plusieurs chaires
de la contrée. Au mois de juin 1765, il fut nommé à la cure de
Xouaxange, et un mois plus tard, il fut doté des deux chapelles,
fondées dans l'église de Bauzemont. Il gouverna avec zèle et
prudence sa paroisse, qui était difficile et pénible. Sa
mauvaise santé ne lui permettant plus de remplir assidûment tous
les devoirs pastoraux, il accepta la résignation d'un canonicat
de Sarrebourg. Sa vie édifiante et ses vertus, que Chatrian se
comptait à vanter, le firent élire par ses collègues doyen du
chapitre. Ils lui donnèrent une autre marque de confiance, en le
chargeant de veiller sur le collège de la ville, dont le
chapitre était supérieur. Sa pension, fixée en 1791 à 1161
livres 16 sous, ne lui fut payée en 1792 qu'au taux de 1009
livres 12 sous 6 deniers. L 2288. Le 20 août 1789, il était allé
avec Chatrian, son compatriote, à Bosserville visiter dom
Lottinger.
(16) Chatrian, Hommes illustres, p. 197. Cfr Michel, Biographie,
p. 330-331. Le 13 messidor an II, 1er juillet 1791, on vendit à
Sarrebourg connue bien national une maison, sise Grande-rue, et
un jardin, qui appartenaient à « défunt Lottinger ». Répertoire
des ventes des biens nationaux, 2° origine.
(17) Nous avons eu deux copies de cette lettre; l'une se lit
dans un manuscrit du séminaire de Saint-Dié, l'autre fait
partie d'un Recueil, (manuscrit n° 79 du monastère de la
Visitation de Nancy). Ce dernier Recueil contient aussi un
Cantique en cinq couplets, composé par un bon prêtre
(probablement le père Doré), qui reproduit les Sentiments et
paroles du saint Martyr, exprimés dans celle lettre. Le
quatrième couplet est inspiré des paroles de saint Cyprien,
qu'avait citées dom Lottinger.
(18) Toute la suite de notre récit repose sur plusieurs
relations: 1° Celle, que composa le père Doré et qui fait suite
au récit de la mort de dom Sigisbert Thouvenin. 2° Elle est
complétée par des Additions, dont l'original, conservé à la
chartreuse de Bosserville, est de la main de l'abbé Mollevaut,
curé de Saint-Vincent-Saint-Fiacre. 3° Des Notes sur des
Chartreux de Bosserville, mis en prison à l'époque de la
Révolution française, de l'écriture du chanoine Charlot, à la
Chartreuse de Bosserville. 4° Le récit de l'abbé Berseaux, op.
cit., p. 266-275. Cet historien a utilisé d'autres documents,
qu'il cite et que nous n'avons pas retrouvés.
(19) Une image sur vélin, qui vient de lui et que possède M.
Minoux, curé de Domgermain. représente l'enfant Jésus sur les
bras de sa Mère. Un ange lui apporte les insignes de la Passion
et le divin enfant ouvre ses petites mains pour les recevoir. Au
verso, on a transcrit la lettre du 22 mai 1796.
(20) Grégoire, Notes biographiques, p. 363, (manuscrit 583 de la
bibliothèque publique de Nancy). L'ancien curé d'Emberménil
attribue encore an chartreux de Bosserville des Anecdotes pour
servir à l'histoire de la persécution, 2e édition, Paris, 1801,
Ibid., p.579.
(21) Et non à Lunéville, comme le dit l'abbé Berseaux, op. cit.,
p. 271.
(22) Victor Pierre, 18 fructidor, p. 367-369.
(23) Cfr Berseaux, op. cit., p. 257-258.
(24) Extrait des registres des actes civils de la ville de
Nancy.
(25) La relation manuscrite, due à l'abbé Mollevaut, cite ici le
père Laruelle, prieur de Blanzey. L'âge du prémontré et surtout
la date de son jugement prouvent clairement l'erreur du
narrateur.
(26) Postérieurement à l'exhumation de cette plaque, une main y
a tracé à la pointe sèche ces mots: « Il a absous Philippe
d'Orléans, 1793, Crétineau-Joly, page 202 ». L'auteur de cette
note a confondu le chartreux de Bosserville avec François-Joseph
Lothringer, prêtre séculier, d'origine alsacienne, aumônier des
étrangers à l'Hôtel-Dieu de Paris et vicaire épiscopal de Gobel,
évêque intrus de la Seine. Emprisonné sous la Terreur, il donna
l'absolution à plusieurs de ses co-détenus. Revenu au pays
natal, il se rétracta dès 1795 et le 11 mars 1797, il écrivit de
Thann, où il habitait, une lettre à l'auteur des Annales
catholiques, qui fut rendue publique. Cfr L'abbé Lothringer, un
aumônier des prisons de Paris pendant la Terreur, dans la Revue
catholique d'Alsace, n° de février 1893.
(27) Note de dom Jérôme Keiflin, prieur, enfermée dans un sachet
d'étoffe avec le crâne de dom Lottinger.
(28) Victor Pierre, op. cit., p. 069. Mourer se trompe sur la
date et la retarde d'un jour. L'éditeur, p. 367, a adopté
lui-même cette date fautive. |