Nous avons déjà publié
l'article Journal des Débats du 19 novembre 1819 (L'abbé
Grégoire controversé - 1819), fort peu courtois envers
l'abbé Grégoire. La relation des mêmes événements en décembre
1819 par L'Ami de la religion et du roi est encore plus
violente, et s'appuie sur un long exposé en septembre de la même
année.
L'Ami de la
religion et du roi
N° 554 - Mercredi 1er décembre 1819
M. Grégoire n'a point paru à
la messe du Saint-Esprit, ni à la séance royale; mais il a
envoyé tous ses papiers, et entr'autres son acte de naissance,
d'où il résulte qu'il est fils de Basile Grégoire, manouvrier,
et qu'il est né, le 4 décembre 1750, à Vého, village près
Blamont, en Lorraine. Ainsi, il n'y a pas de doute qu'il se
présentera à la chambre. Sera-t-il admis ? C'est ce que nous
saurons sous
peu de jours. En attendant, on doit convenir qu'il faut s'être
bien endurci au blâme pour s'exposer, comme il l'a fait, à voir
rappeler tous ses dits et gestes. Depuis deux ou trois mois,
chacun cite de
lui de nouveaux traits, tous plus révoltans les uns que les
autre. Nous avons dans le temps fourni notre continrent pour son
éloge ; et nous renvoyons à l'article qui le concerne,
dans-notre dernier volume, N°. 535. Que pourrions nous ajouter
aux citations que nous avons données de ses discours et de ses
écrits, et entr'autres à passage louchant d'une homélie
épiscopale, prononcé en chaire dans la cathédrale de Blois, en
1792 : Oh ! avec quelle joie je porterois ma tête sur le billot,
si à côté devait tomber celle du dernier des tyrans ? Quand on
pense que ces douces paroles ont été proférées par un évêque,
dans une église et en chaire, on admire comment un tel homme, au
lieu de se montrer avec audace, n'est pas allé cacher sa honte
dans la retraite la plus obscure. Que si à ce trait révoltant,
il vous plait d'ajouter cette autre phrase, extraite, dit-on,
d'un rapport fait a la convention, en l'an II, sur les
inscriptions des monuments publics : Il faut que tout ce qui est
beau, tout ce qui est grand, entre dans la définition du sans
culotisme, on se demande s'il y a assez de sifflets en Europe
pour accueillir cette hideuse image et son ignoble auteur.
L'Ami de la
religion et du roi
N° 535 - Samedi 25 septembre 1819
(notes renumerotées)
SUR M. GRÉGOIRE
Il parut, en 1814, un petit imprimé de seize pages in-8°.,
intitulé : Réponse aux calomnies contre M. Grégoire, ancien
membre de la Convention nationale, ou Extraits de ses discours
et de ses écrits. Cet imprimé offre encore plus d'intérêt en ce
moment, où M. Grégoire reparoît de nouveau sur la scène, et où
il est sans doute flatté d'appeler sur lui l'attention publique.
Nous allons en conséquence mettre sous les yeux du lecteur ce
qui nous a le plus frappé dans cette réponse, et nous n'y
ajouterons que quelques passages qui avoient échappé à l'auteur:
M. Grégoire se plaint d'être en butte à la calomnie, qui lui
attribue ries écrits qu'il n'a pas faits; il se plaint qu'elle a
interpolé ses ouvrages, et qu'elle le déchire par des diatribes.
Ces réclamations nous ont paru dignes d'être examinées. L'amour
de la vérité nous a donc engagés à recueillir les passages des
écrits de M. Grégoire, qui peuvent le mieux fixer l'opinion sur
le compte d'un des plus illustres membres de la Convention
nationale. Nous avons puisé dans les sources, nous citons ses
propres paroles, nous indiquons soigneusement d'où elles sont
tirées. C'est donc M. Grégoire seul que l'on va lire; c'est
lui-même qui va répondre à ses détracteurs : il faudrait qu'ils
fussent bien mal avisés pour avoir encore désormais recours à la
calomnie contre ce sensible et intéressant écrivain, ainsi que
l'appelle si bien son collègue, M. Moyse, dans l'écrit qu'il a
publié pour le justifier.
M. Grégoire fut un des premiers curés qui abandonnèrent leur
ordre, en juin 1789, pour se réunir au tiers, et il soutint
constamment ce que cette première démarche avoit fait présager
de lui. .Le 8 juillet 1789, il s'opposa fortement à l'approche
des troupes que le Roi appeloit vers Paris, et il dit à cette
occasion, que si les François consentoient à redevenir esclaves,
ils seroient la lie des nations. Le 13, il parla contre la cour;
le 14, jour de la prise de la Bastille, il dénonça les ministres
qui avoient fait avancer des troupes pour empêcher
l'insurrection. Le 5 octobre, il dénonça M. de Bouillé et le
repas des gardes-du corps. Le 18 janvier 1791, nommé président
de l'assemblée affiliée à la société des Amis des noirs, il fut
un de leurs plus ardens protecteurs, et fut accusé d'avoir
provoqué par ses écrits l'insurrection de ces hommes faciles à
égarer. Lors du voyage de Varennes, il demanda que Louis XVI fût
mis en jugement ; lui et sept de ses collègues proposèrent la
convocation d'une Convention nationale pour juger le Roi. Ainsi
c'est à lui qu'appartient cette heureuse idée, et il a le mérite
d'avoir prononcé le premier ce nom devenu depuis si fameux.
On se rappelle que, le 3 mars 1792, un nommé Simonneau, maire
d'Etampes, fut tué dans le marché de cette ville, en voulant y
maintenir l'ordre. On lui rendit de grands honneurs, et M.
Grégoire, alors évêque de Loir et Cher, fit célébrer un service
pour lui dans la cathédrale de Blois, et ne voulut pas laisser à
d'autres le soin de prononcer un discours en cette circonstance.
Ce discours est d'une énergie remarquable. Nous en citerons
quelques fragmens :
« Autrefois nos temples retentissoient de cantiques lorsque dans
une guerre entreprise pour assouvir la luxure ou l'ambition d'un
roi, quelques milliers d'hommes avoient été massacrés. Lui-même
il alloit offrir au ciel des actions de grâces abhorrées du
ciel, quand il pouvoit agrandir sa domination sur des débris,
des cadavres, et river les fers de ceux qu'il nommait ses
sujets. Autrefois on ordonnoit des prières publiques quand la
fécondité d'une reine promettait à l'Etat un être de plus pour
le dévorer, ou quand un bourreau du peuple, près de terminer sa
carrière, craignoit d'aller rendre compte au père du genre
humain de ses attentats contre l'humanité. Autrefois on faisoit
l'éloge funèbre d'un haut et puissant seigneur ou prince
immobile dans son cercueil, qui souvent n'avoit été qu'un
fainéant titré on un brigand couronné. Le plus oppresseur fut
toujours le plus flatté, parce que la bassesse se traîne sur les
pas de la terreur. Quand les pleurs d'une cour débordée dévoient
être pour le peuple le signal de l'allégresse, le peuple portail
stupidement le deuil de la mort de ses maîtres, après avoir
porté, par ses malheurs, le deuil de leur vie...
Dans Simonneau, l'Homme-Dieu a trouvé un imitateur... O
Simonneau ! du séjour éternel, sans doute, tu nous entends... Il
semble que l'avantage de te revoir dans le séjour du bonheur
doublera le nôtre.
Comparez l'état actuel de la France avec les temps qui l'ont
précédé. Des rois fainéans et libertins remettoient à des
brigands les rênes de l'Etat. Chambord élevé par des mains
esclaves, Menars bâti en l'honneur d'une impure, (en note :
Sardanapale régnoit alors et la cour valoit le maître), sont, à
vos portes, des monumens qui attestent les malheurs de vos pères
et les vôtres. Alors... la France couverte d'esclaves et de
tyran, retentissoit des scandales de ceux-ci, des gémissemens de
ceux là.
Quelles expressions pourroient peindre l'horreur du crime commis
en la personne du maire d'Etampes et récemment de celui de
Rouffac ! Attenter à la vie de l'homme public (1), c'est vouloir
décourager tous les magistrats du peuple, anéantir la loi et
assassiner la nation.
Ils versent le fiel sur les sociétés d'amis de la constitution,
où l'on prêche sans cesse la subordination aux lois, le payement
des contributions, et dont la gloire est d'avoir pour ennemis
tous les ennemis du bien.
Périsse celui qui oseroit proposer une honteuse capitulation !
Dans chaque siècle, une centaine de brigands se relaie pour
torturer l'humanité. Tour à tour ils se vautrent dans la fange
de la luxure ou se baignent dans le sang des nations Leur
existence est une preuve de plus de l'existence des enfers, et
leur domination donne sans doute une idée assez exacte de
l'empire des démons. Aujourd'hui c'est la guerre de la liberté,
de l'égalité contre les privilèges, et c'est avec raison qu'on a
crié: La guerre aux tyrans, la paix aux nations ; à ceux-là il
faut lancer le tonnerre, à celles-ci présenter l'olivier de la
paix II s'agit d'exterminer le despotisme, d'anéantir son
orgueil stupide, de purger la terre, de broyer ces monstres qui
se disputent les lambeaux des hommes. Il faut que le sceptre des
despotes s'incline avec respect devant la majesté nationale,
sinon, qu'il soit brisé sur leurs têtes, que les fragmens soient
jetés épars sur leurs tombeaux, et que le drapeau de la liberté
soit planté sur le cadavre de la tyrannie... Oh! avec quelle
joie je porterois ma tête sur le billot, si à côté devoit tomber
celle du dernier des tyrans !
Arrêtons-nous ici ; car aussi bien celle dernière pensée donne
seule la mesure d'un orateur. Quel pathétique dans cette
exclamation : Oh ! avec quelle joie je porterois ma tête sur le
billot, si à-côté devait tomber celle du dernier des tyrans ! et
cela a été dit en chaire devant les autels du Dieu de charité !
Que l'on est heureux de trouver de tels sentimens dans son coeur,
et combien un tel voeu est digne d'un philanthrope, d'un
chrétien, d'un évêque ! Ne pourroit-on pas écrire cette phrase en
gros caractères sur la place où va siéger M. Grégoire dans la
chambre ?
Nous passerons au discours de M. Grégoire dans la Convention
nationale, le 21 septembre. 1792. Le comédien Collot-d'Herbois
émit le premier, dans cette séance, le projet d'abolir la
royauté; mais M. Grégoire fut celui qui l'énonça avec plus de
force. Certes, dit-il, personne de nous ne proposera jamais de
conserver en Fiance la race funeste des rois. Nous savons trop
bien que toutes les dynasties n'ont jamais été que des races
dévorantes qui ne vivoient que de chair humaine. Mais il faut
pleinement rassurer les amis de la liberté. Il faut détruire ce
talisman dont la force magique seroit propre à stupéfier encore
bien des hommes. Je demande donc que par une loi solennelle,
vous consacriez l'abolition de la royauté (2).
Un membre ayant proposé de discuter cette proposition, M.
Grégoire reprit vivement la parole : Eh ! qu'est-il besoin de
discuter, dit-il, quand tout le monde est d'accord ? Les rois
sont, dans l'ordre moral, ce que les monstres sont dans l'ordre
physique. Les cours sont l'atelier des crimes et la tanière des
tyrans. L'histoire des rois est le martyrologe des nations. Des
que nous sommes tous également pénétrés de cette vérité,
qu'est-il besoin de discuter (3) ?
Ce fut apparemment ce zèle qui procura a M. Grégoire l'honneur
d'être nommé, peu après, président de In Convention nationale.
Il y prononça, le 15 novembre 1792, un discours sur un jugement
mémorable. Voici les passages les plus remarquables de ce
discours :
« La postérité s'étonnera sans doute qu'on ait pu mettre en
question su une nation entière a le privilège de quiconque
délègue, et si elle peut juger son premier commis. Il y a seize
mois aujourd'hui, qu'à cette tribune, j'ai prouvé que Louis XVI
pouvoit être mis en jugement. J'avois l'honneur de figurer dans
la classe peu nombreuse de patriotes qui luttoient, mais avec
désavantage, contre la masse des brigands de l'assemblée
constituante » (4).
L'orateur réfute le principe de l'inviolabilité du Roi, puis il
continue ainsi :
« La royauté fut toujours pour moi un objet d'horreur; mais
Louis XVI n'en est plus revêtu. Je me dépouille de toute
animadversion contre lui, peur le juger d'une manière impartiale
; d'ailleurs, il a tout fait pour obtenir le mépris, qu'il n'y a
plus de place à la haine (5)... Rappelez vous toutes ses
perfidies, et voyez sil n'a pas réduit l'art de la
contre-révolution en système, et s'il ne fut pas toujours le
chef des conspirateurs (6)... Quel homme s'est joué, avec plus
d'effronterie, de la foi des sermens (7) ?.... Ce digne
descendant de Louis XI venoit, sans y être invité, dire à
l'assemblée, que les ennemis les plus dangereux de l'Etat
étoient ceux qui répandoient des doutes sur sa loyauté. Il
rentroit ensuite dans son tripot monarchique, dans ce château
qui étoit le repaire de tous les crimes. Il alloit avec Jésabel,
avec sa cour, combiner et mûrir tous les genres de perfidie.
Grâces à Louis XVI et aux émigrés, plus que jamais l'univers
saura ce que valent la parole d'un roi et la foi d'un
gentilhomme (8)....
Quoi! celui qui s'efforça sans cesse d'égarer l'opinion
publique, d'avilir les législateurs, de paralyser la volonté
nationale, d'étouffer la liberté, de déchirer le sein de la
patrie, d'affamer, d'égorger un peuple qui avoit accumulé les
honneurs sur sa tête, qui économisoit des deniers de misère pour
l'assouvir, cet homme eût été le roi d'un peuple généreux ! Non,
il n'en fut jamais que le bourreau, et dès-lors il est pour nous
un prisonnier de guerre, il doit être traité comme un ennemi (9)
Est-il un parent, un ami de nos frères immolés sur la frontière
ou dans la journée du 10 août, qui n'ait eu le droit de traîner
le cadavre aux pieds de Louis XVI, en lui disant : Voilà ton
ouvrage ! Et cet homme ne seroit pas jugeable ! Législateurs,
pourquoi donc êtes-vous ici (10) ?.... Vos commettans ne vous
ont-ils pas chargés de prononcer sur son sort (11) ?....
L'histoire, qui burinera ses crimes, pourra le peindre d'un seul
trait. Aux Tuileries, des milliers d'hommes étoient égorgés par
son ordre; il entendoit le canon qui vomissoit, sur les
citoyens, le carnage et la mort, et là il mangeoit, il digéroît.
Ses trahisons ont enfin amené notre délivrance (12)...
Il importe au bonheur, à la liberté de l'espèce humaine que
Louis soit jugé .... La raison approche de sa maturité; elle
sonne le canon d'alarme contre les tyrans... Tous les monument
de l'histoire déposent que les rois sont la classe d'hommes la
plus immorale....; que cette classe d'êtres purulens fut
toujours la lèpre des gouvernemens et l'écume de l'espère
humaine. Dans toutes les contrées de l'univers, ils ont imprimés
leurs pas sanglans ; des millions d'hommes, des milliards
d'hommes, immolés à leurs querelles atroces, semblent, du
silence des tombeaux, élever la voix et crier vengeance... Qu'arriveroit-il,
si, au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous
assuriez l'impunité à Louis XVI ? L'Europe douterait si ce n'est
pas pusillanimité de votre part. Les despotes saisiroient
habilement ce moyen d'attacher encore quelque importance à
l'absurde maxime qu'ils tiennent leur couronne de Dieu et de
leur épée, d'égarer l'opinion, et de river le fer des peuples au
moment où les peuples, prêts à broyer ces monstres qui se
disputent les lambeaux des hommes, alloient prouver qu'ils
tiennent leur liberté de Dieu et de leurs sabres. L'impunité
d'un seul homme seroit un outrage à la justice, un attentat
contre la liberté universelle » (13)...
Il est hors de doute que ce discours auroit eu plus de force, si
nous avions pu le citer ici en entier; mais sa longueur nous a
obligés de nous contenter de ces extraits ; il faut savoir se
borner même dans les meilleures choses.
Six jours après ce discours, M. Grégoire eut à répondre, en
qualité de président, aux députés des Savoyards nouvellement
conquis. Sa réponse fut fort applaudie dans l'assemblée.
L'orateur dit entr'autres :
« Dès l'origine des sociétés, les rois sont en révolte ouverte
contre les nations, mais les nations commencent à se lever en
masse pour écraser les rois. ... Il arrive donc ce moment, où
l'orgueil stupide des tyrans sera humilié, où les négriers et
les rois seront l'horreur de l'Europe purifiée, où leur
perversité héréditaire n'existera plus que dans les archives du
crime Les efforts des rois sont le codicille de la royauté...
Les statues des Capet ont roulé dans la poussière; elles se
changent en canons pour les foudroyer s'ils osoient relever la
tête pour lutter contre la nation. Si quelqu'un tentoit de nous
imposer de nouveaux fers, nous les briserions sur sa tête. La
liberté ne périra chez nous que quand il n'y aura plus de
François, et périssent tous les François plutôt que d'en voir un
seul esclave » (14).
Ce dernier voeu surtout fut couvert d'applaudissemens.
L'assemblée et les tribunes témoignèrent à l'orateur, par des
battemens de mains prolongés, combien ils admiraient son
énergie; et il faut convenir, en effet, qu'on ne trouve, dans
les écrits des Pères de l'Eglise-, rien qui approche de ce zèle
charitable et de cette vigueur épiscopale.
Le 27 novembre 1792, le même orateur fit un rapport sur la
réunion de la Savoie à la France. Ce rapport fut très goûté dans
la Convention- Nous n'en citerons que ces phrases :
« Les peuples trouveront toujours en nous appui et fraternité, à
moins qu'ils ne veuillent remplacer les tyrans par des tyrans.
Car, si mon voisin nourrit des serpens, j'ai droit de les
étouffer par la crainte d'en être victime... Le sort en est
jeté, nous sommes lancés dans la carrière. Tous les gouvernemens
sont nos ennemis, tous les peuples sont nos amis. Nous serons
détruits, ou ils seront libres. Ils le seront, et la hache de la
liberté, après avoir brisé les trônes, s'abaissera sur la tête
de quiconque voudrait en rassembler les débris » (15).
On voit que l'auteur revient souvent sur son idée favorite, et
qu'il aime non-seulement à déployer son zèle contre la tyrannie,
mais à montrer toute son horreur pour les rois eux-mêmes. Il ne
peut résister au plaisir de présenter fréquemment ces images
énergiques: Ecraser les rois, broyer ces monstres, étouffer ces
serpens, briser leurs têtes...
Trabit sua quemque voluptas.
Au mois de janvier 1793 lors du jugement de Louis XVI, M.
Grégoire étoit absent. Il avoit été envoyé en Savoie pour y
organiser la révolution, et l'on a prétendu qu'il s'étoit fort
bien acquitté de sa mission. Mais nous ne devons parler que de
la lettre que M. Grégoire et ses trois collègues, Hérault, Simon
et Jagot, écrivirent de Chambéri, à la Convention, le 14 janvier
1793. Elle est ainsi conçue :
« Nous apprenons par les papiers publics que la convention doit
prononcer demain sur Louis Capet. Privés (16) de prendre part à
vos délibérations, mais instruits, par une lecture réfléchie des
pièces imprimées, et par la connoissance que chacun de nous
avoit acquise depuis long-temps des trahisons non interrompues
de ce roi parjure, nous croyons que c'est un devoir pour tous
les députés d'annoncer leur opinion publiquement, et que ce
serait une lâcheté de profiter de notre éloignement pour nous
soustraire à cette obligation. Nous proférons donc que notre voeu
est pour la condamnation de Louis Capet, par la convention, sans
appel au peuple. Nous proférons ce voeu dans la plus intime
conviction, à cette distance des agitations où la vérité se
montre sans mélange, et dans le voisinage du tyran piémontois »
(17).
Cette lettre est authentique. Elle a été copiée aux archives sur
l'original des procès-verbaux de la Convention, et la copie en a
été certifiée par le garde des archives, feu Camus, ami de
l'auteur. D'ailleurs, M. Grégoire a lui-même reconnu cette
lettre, et l'a fait insérer en entier dans un petit écrit
destiné à persuader qu'il n'avoit pas voté la mort de Louis XVI.
Dans cet écrit, qui est sous le nom de M. Moyse, évêque
constitutionnel du Jura, et qui a été inséré dans Les Annales de
la Religion (de Desbois), tome XIV, pages 35 et suivantes, on
fait celle question:
A quoi M. Grégoire vouloit-il que Louis XVI fût condamné : et on
répond : à l'existence. Plus bas, l'auteur répète que M.
Grégoire vouloit que Louis XVI fût condamné à vivre. Il faut
être de bon compte ; sans la gravité du sujet, on prendroit
cette explication pour une mauvaise plaisanterie. On ne condamne
point à vivre ; il n'y a pas besoin pour cela de condamnation.
Puisque M. Grégoire a voulu que Louis XVI fût jugé, puisqu'il
s'est si fort élevé contre ceux qui lui assureroient l'impunité,
puisque dans ses discours, il a cherché à provoquer
l'animadversion contre l'accusé, puisqu'il l'a peint comme un
tyran et un bourreau, puisqu'il a voté pour sa condamnation sans
appel au peuple, il ne peut être soupçonné d'avoir été trop
favorable à Louis. Ce n'est pas tout-à-fait ainsi que s'y sont
pris ceux qui vouloient le sauver. Ils ne l'ont pas peint sous
de si noires couleurs, ils n'ont pas dit qu'ils le condamnaient,
ils n'ont pas repoussé l'appel au peuple.
A l'appui de son apologie, M. Moyse, dans l'écrit que rois
venons de citer, rapporte un passage du discours de M. Grégoire,
du 15 novembre 1792, dont nous avons déjà donné quelques
extraits. Voici ce passage, qui paroit en effet atténuer le vote
de M. Grégoire :
« Et moi aussi je réprouve la peine De mort, et je l'espère, ce
reste de barbarie disparaîtra de nos lois. Il suffit à la
société que le coupable ne puisse plus nuire. Assimilé en tout
aux autres criminels, Louis Capet partagera le bienfait de la
loi, si vous abrogez la peine de mort. Vous le condamnerez alors
à l'existence, afin que l'horreur de ses forfaits l'assiège sans
cesse, et le poursuive dans le silence de la solitude » (18).
M. Moyse conclut de la, que son collègue n'a condamné Louis XVI
qu'à vivre. Mais dans ce passage même, M. Grégoire ne parle pas
formellement contre la mort de l'accusé. Il dit que Louis
partagera le bienfait de la loi, si on abroge la peine de mort.
Mais si on ne l'abroge pas, Louis, qui est assimilé en tout aux
autres criminels, doit subir le même sort qu'eux. Or, au mois de
janvier 1793, quand M. Grégoire écrivit sa lettre, la .peine de
mort n'avoit pas été abrogée. Il le savoit; le Roi devoit donc,
dans les principes de l'auteur, être assimilé en tout aux autres
criminels, et subir le même sort qu'eux. Le condamner alors, c'étoit
donc le destiner à la même peine, d'autant mieux que l'auteur a
soin d'écarter l'appel au peuple, qui avoit été invoqué pour
sauver Louis. Si M. Grégoire l'a condamné, il doit donc passer
pour un de ses condamnateurs. Car, sans doute, il est inoui dans
les annales de la jurisprudence, que condamner ait voulu dire
acquitter, et qu'un juge qui condamne, soit censé avoir voulu
sauver. Il n'y a pas de tribunal où une telle interprétation fût
admise, et où, lorsqu'il s'agit pour un accusé de la peine de
mort, le juge qui l'auroit condamné, fût recevable, après coup,
à dire qu'il ne l'avoit condamné qu'à vivre. L'explication qu'on
a imaginée si long-temps après l'événement, et dans un temps où
il y avoit quelque intérêt à manifester des opinions plus
douces, cette explication est bénigne, sans doute, mais
quelques-uns la jugeroient un peu tardive, et surtout un peu
forcée.
Au surplus, M. Grégoire a pris lui-même la peine d'éclaircir la
question, et de mettre dans le plus grand jour son sentiment sur
le jugement de Louis XVI. Il a composé, en l'an 2, après la mort
du Roi, un petit écrit, intitulé : Essai historique et
patriotique sur les arbres de la liberté (19). Le nom de
l'auteur y est toutes lettres, avec sa qualité de membre de la
Convention nationale. Or, dans cet écrit, M. Grégoire rappelle,
plusieurs fois, quoique sans beaucoup de nécessité, la fin
tragique de Louis XVI, et la manière dont il en parle n'est pas
tout-à-fait d'un homme qui déplorât cette fin. Il dit, par
exemple :
« Tout ce qui est royal, ne doit figurer que dans les archives
du crime. La destruction d'une bête féroce, la cessation d'une
peste, la mort d'un rat, sont pour l'humanité des motifs
d'allégresse. Tandis
que par des chansons triomphales nous célébrons l'époque où le
tyran monta sur l'échafaud, l'Anglois avili porte le deuil
anniversaire de Charles Ier, l'Anglois s'incline devant Tibère
et Séjan » (20)
Quelques lignes plus bas, l'auteur dit :
« Ah ! qu'ils ne se découragent point (les patriotes anglois);
qu'ils aient une marche intrépide et concertée. La massue de la
vérité est en leurs mains. Avec elle ils terrasseront les
brigands de la cour de Saint James, et planteront sur les
cadavres sanglans de la tyrannie l'arbre de la liberté, qui ne
peut prospérer s'il n'est arrosé du sang des rois » (21).
M. Grégoire ne pouvoit manifester, d'une manière plus précise et
plus franche, son sentiment sur la mort des rois. Il poursuit
ainsi :
« La main impure de Capet avoit déshonoré un arbre planté dans
le jardin national au nom de la liberté qu'il vouloit
assassiner: La convention a autorisé à le renverser (22) ....
Alors ils (les peuples) courront aux armes pour exterminer
jusqu'au dernier rejeton de la race sanguinaire des rois » (23).
Enfin, l'auteur s'explique avec non moins de force encore dans
ce curieux passage, le dernier que nous ayons à citer :
« Aristogilon, que Thucydide et Lucien nous peignent comme le
plus pauvre et le plus vertueux de ses concitoyens, comme un
vrai sans-culotte, de concert avec son ami Harinodius, tua le
Capet d'Athènes, le tyran Pisistrate, qui avoit à peu près l'âge
et la scélératesse de celui que nous avons exterminé » (24).
Que nous avons exterminé ! Il est difficile d'être plus clair et
plus énergique, et ces passages nous semblent lever tous les
doutes sur l'opinion de M. Grégoire dans le jugement du Roi.
Assurément, il n'a pas condamné Louis XVI à vivre, celui qui
voit dans la mort d'un roi, comme dans la destruction d'une bête
féroce, des motifs d'allégresse; celui qui célèbre par des
chansons triomphales l'époque du 21 janvier; celui qui jugé que
l'arbre de la liberté ne peut prospérer s'il n'est arrosé du
sang des rois. Assurément on ne peut pas l'accuser d'avoir voulu
sauver Louis XVI,- celui qui se compte lui-même au nombre des
exterminateurs de ce prince, celui qui l'appelle un parjure, un
scélérat, un bourreau, celui qui ne parle que d'écraser,
d'étouffer, d'exterminer les rois. M. Grégoire est sensible et
intéressant (25). .Mais ce grand homme n'a pas cru pouvoir
déroger à ses principes. La royauté fut toujours pour lui un
objet d'horreur; et puisqu'il pense que l'arbre de la liberté ne
peut prospérer s'il n'est arrosé du sang des rois, il est clair
qu'il a du appeler la haine et la vengeance contre un prince qui
avait déshonoré de sa main impure un arbre planté au nom de la
liberté qu'il vouloit assassiner. M. Grégoire est donc fondé à
dire qu'il l'a exterminé. C'est un honneur qu'il réclame, et
qu'on ne peut lui ravir sans injustice.
Ainsi parloit en 1814 l'auteur de la Réponse aux calomnies
contre M. Grégoire; nous n'ajouterons rien à ses réflexions, et
nous nous contenterons de remarquer que les passages qu'il cite
paraissent tous tirés d'écrits authentiques et de pièces
officielles. Il aurait bien dû envoyer son travail à MM. les
électeurs de l'Isère pour servir de supplément à la notice
flatteuse qu'on leur a distribuée en l'honneur de M. Grégoire.
(1) Est-ce que Louis XVI étoit moins un homme
public que le maire d'Etampes ?
(2) Moniteur universel, séance du 21 septembre 1792, page 1125.
(3) lbid. même séance, page 1130.
(4) Le Procès de Louis XVI, ou Collection complète des opinions,
discours et mémoires des membres de la Convention nationale sur
les crimes de Louis XVI. tome Ier. des opinions. (A Paris, chez
DeBarle, an III, en 9 volumes), page 104
(5) Même ouvrage, même volume, page 104.
(6) Ibid. page 105.
(7) Ibidem.
(8) Ibidem.
(9) Ibid. page 105.
(10) Ibidem.
(11) Ibidem.
(12) Ibid. page 106.
(13) Le Procès de Louis XVI, tome Ier., page 106.
(14) Journal des Débats et Décrets, séance du mercredi 21
novembre 1792, pag. 334 et suiv.
(15) Moniteur universel, séance du mardi 37 novembre 1792, page
1411.
(16) Quelle privation !
(17) « Collationné et trouvé conforme à l'original du procès-
verbal, registre A II, n°. 184, et à l'imprimé in-folio du
Bulletin de correspondance étant aux archives, par moi garde des
archives. En foi de quoi j'ai signé et fait apposer le sceau des
archives. Paris, le 2 vendémiaire an X de la république
françoise. Signé, Camus ». C'est le certificat de l'archiviste,
tel qu'il est rapporté dans l'écrit publié sous le nom de M.
Moyse.
(18) Le Procès de Louis XVI, en 9 vol., tom. 1er. pag. 106, M.
Moyse, dans son écrit sur l'opinion de M. Grégoire, n'a pas cité
ce passage entier. Nous l'avons rétabli dans son intégralité.
(19) Un petit volume in-24. de 68 pages. A Paris, cher Desenne,
Bleuet et Firmin Didot, an II de la république françoise.
(20) Essai historique et patriotique sur les arbres de la
liberté, pag. 46 et 47.
(21) Même ouvrage, pag. 47 et 48.
(22) Ibid. pag. 48.
(23) Ibid. pag. 50.
(24) Essai historique, pag. 58, dans les notes du chapitre Ier.
Dans le texte, ces mots, sans-culotte et Capet, sont en
italique.
(25) De l'opinion de M. Grégoire dans le procès de Louis XVI,
écrit imprimé dans les Annales de Desbois, loin. XIV, pag. 35 et
suiv., et réimprimé, en 1810, avec un avertissement. Celle
brochure est de 14 pages d'impression. C'est tout à la fin qu'un
lit ces mots : Le sensible et intéressant évêque n'a pas terni
sa gloire... Nous croyons en effet, comme M. Moyse, que son
sensible et intéressant collègue n'a pas été dans le cas de
ternir sa gloire.
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