Témoignage de
sympathie et de reconnaissance offert à
Ma chère soeur supérieure
par le personnel de l'hôpital de Blâmont.
16 novembre 1919
Le 17 septembre dernier le journal
l'Eclair de l'Est publiait en tête de son édition
l'article suivant :
L'occupation allemande de Blâmont
La croix de guerre à la soeur Léopold - Ceux qui ont
tenu tête aux boches - Noble attitude de M. le Curé -
Belle conduite de M. Squivet
Le 20 août 1919 l'appariteur publiait dans les rues
dévastées de la petite ville de Blâmont une note de Mr
Bentz, chevalier de la Légion d'honneur, maire de
Blâmont, invitant la population à assister le vendredi
22 à 9 heures du matin, à l'hôpital où devrait avoir
lieu la remise de la croix de guerre avec palme, à
Madame Perrin Victoire, en religion soeur Léopold,
supérieure de l'hôpital de Blâmont. Ses amis, qui sont
tout le monde, s'étaient multipliés pour orner la cour
et son entrée de trophée de drapeaux, de fleurs à
profusion, pour donner à cette patriotique cérémonie
tout l'éclat qu'il convenait.
A neuf heures, Mr le
Maire entouré se son conseil, des notabilités, des
mutilés de guerre et des décorés de la croix de guerre,
reçoit Mr le général Jacquot commandant le
21ème corps d'armée, qui apporte à la supérieure, au nom
de Mr le Maréchal de France commandant en
chef les armées, de l'Est, la décoration de la croix de
guerre avec palme et une citation la félicitant de sa
belle conduite, la remerciant au nom de l'armée
française des soins donnés à nos blessés, des son
inlassable dévouement et de sa résistance opiniâtre aux
exigences de l'envahisseur pendant les quatre ans passés
sous l'occupation allemande.
Après la lecture de la citation à l'ordre de l'armée qui
rendait hommage à ses exploits, au milieu de la profonde
émotion de l'assistance qui s'était rendue nombreuse à
l'invitation de Mr le Maire, Mr le
général Jacquot lui adressa ses félicitations
personnelles et épingla l'insigne des braves sur la
poitrine de la courageuse supérieure.
Après l'accolade, Mr le sous-préfet de
Lunéville, dans une chaleureuse allocution, apporta à
son tout à la nouvelle décorée ses félicitations au nom
du gouvernement.
Il faut avoir, comme l'auteur de ces lignes, vécu toutes
les angoisses de cette terrible période du 4 août au 5
octobre 1918, au milieu des périls de tous les instants
auxquels l'hôpital était particulièrement exposé par sa
proximité des buts de tir de l'artillerie française,
pour apprécier les mérites et les vertus de nos
admirables religieuses qui, toutes, rivalisèrent de zèle
pour seconder les insurmontables difficultés que
l'invasion subite de l'ennemi avait déchaînées sur leur
établissement. A ce premier début succédait bien vite
autour de Blâmont des combats meurtriers d'où les
blessés français et allemands affluaient sans cesse,
jour et nuit, à l'hôpital dont les allemands s'étaient
emparés et où ils commandaient en maîtres, en maîtres
allemands comme on n'en voit que dans cette nation,
vociférant les injures, la haine de la France et des
français. Nos religieuses, chassées de leurs offices par
les médecins, durent céder la place à une bande de
gourgandines qui suivaient les troupes soi-disant comme
infirmières jusqu'au jour où un retour offensif de nos
armées les refoulèrent sur Sarrebourg, mais hélas ! pour
quelques heures seulement ; aussi le personnel de
l'hôpital eut à subir les plus cruels traitements au
milieu du continuel fracas des obus arrêtant la marche
de ces nouveaux Huns qui accusaient tout le monde de
tirer sur leurs troupes, de communiquer par téléphone
caché avec l'armée française. De continuelles
perquisitions avaient lieu dans les chambres, au
clocher, dans les meubles, dans les lits et le revolver
au poing ces forcenés sommaient les occupants de leur
montrer des téléphones qui n'existaient que dans leur
imagination.
Mais pour soeur Léopold ces dangers n'étaient rien à
côté des menaces d'arrestation, d'amendes, de prison, de
mort même que les autorités ennemies proféraient contre
elle à tout propos.
Plus le péril devenait imminent, plus son courage
s'exaltait et défiait la brutalité teutonne. Péril,
danger, étaient des mots d'une langue étrangère inconnue
de cette patriote lorraine quand elle cachait, sous de
faux états civils, des soldats français échoués parmi
nous, qu'elle faisait rentrer dans la patrie envahie,
par les convois d'évacuation.
Au milieu de tous ces dangers, par des prodiges de
sollicitude et d'ingéniosité, malgré l'épuisement des
provisions et la difficulté du ravitaillement, elle a su
trouver les moyens d'assurer la subsistance du personnel
hospitalisé, jusqu'au jour où ces bandits résolurent le
pillage qu'ils convoitaient depuis longtemps.
Le 5 octobre 1918, elle fut arrachée avec ses compagnes,
les infirmes et les mourants, de l'établissement qu'elle
avait jusque là, au prix de tant d'efforts, dirigé et
tenu avec tout le bon ordre possible. Tout ce monde,
avec ce qui restait de la population de Blâmont, fut
jeté dans un train, comme du bétail, après avoir subi
d'odieuses visites des policiers allemands, sous
prétexte que nous pouvions cacher des papiers ou
documents dangereux pour la sécurité de l'Allemagne, ou
de l'or et de l'argent français qu'il nous était
interdit d'emporter ? Quantité de nos compagnons
d'infortune furent dévalisés au cours de ces opérations
vexatoires et criminelles. Ce triste convoi se mit en
marche pour une destination qu'on nous laissa ignorer
jusqu'à Anvers. Pendant les soixante heures de ce
pénible voyage à travers l'Allemagne et la Belgique, le
dévouement et la charité de nos religieuses eurent,
hélas, bien des occasions de se manifester.
A Anvers comme à Blâmont, les trésors de consolations et
de compassion de soeur Léopold et de ses compagnes
furent largement ouverts à tous ceux qui en eurent
besoin. Non seulement ses compatriotes, mais les blessés
français, belges, américains en traitement dans les
hôpitaux d'Anvers reçurent de ses mains généreuses les
douceurs réconfortantes dont sa charité ne tarissait
pas.
Après ces dures épreuves, le retour au foyer ménageait à
ces saintes femmes les plus cruelles surprises. Le
vandalisme allemand n'avait laissé que la trace de ses
souillures et du pillage le plus complet. La vue de
cette ruine pouvait abattre le courage le plus ferme,
mais la vaillante supérieure eut tôt fait de parer au
plus pressé, et sous son intelligente impulsion, la vie
renait progressivement dans cet asile des déshérités.
La distinction que le gouvernement lui a décernée est
une oeuvre de justice à laquelle toute la population qui
l'a vue à son poste, sans défaillance, applaudit de tout
son coeur.
Que nos sympathies religieuses trouvent ici, avec les
félicitations que nous adressons à leur supérieure,
l'hommage que nous rendons à leur dévouement, à leur
modestie, qui n'ont d'égale que l'indomptable énergie
qu'elles ont déployée à la face de l'ennemi.
Monsieur le curé Barbier reçut
aussi les félicitations de Mr le général
Jacquot pour être demeuré à Blâmont pendant toute
l'occupation, quand il aurait pu, comme beaucoup, se
faire évacuer en France avec sa mère et s'épargner le
chagrin de voir celle-ci mourir près de lui, tuée par un
obus au cours d'un bombardement. Lui même ne doit la vie
qu'à un hasard miraculeux, comme la providence n'en
réserve qu'à ses élus, qui fit rater l'éclatement d'un
obus tombé la nuit au pied du lit où il dormait quand,
au même instant, dans une chambre voisine, un officier
allemand était foudroyé par un autre obus. Mais ce
prêtre courageux plaçait son devoir au d-dessus de tous
les dangers qu'il courait au milieu de ces hordes de
brigands. Brigand est le mot juste qui dépeint leur
conduite à l'égard de Mr le curé Barbier dont
le calme et le sang froid qu'il opposait à leurs
extravagantes prétentions exaspéraient leur fureur.
L'opinion estime que des félicitations verbales, mêmes
officielles, sont une bien modeste récompense et exprime
l'espoir qu'un jour Mr le Maréchal de France
commandant les armées de l'Est apprendra qu'il y avait
derrière le front allemand une population meurtrie par
les évènements et que Mr le curé Barbier a
accompli son devoir patriotique jusqu'à l'extrême
limite.
Mr Squivet, ancien
officier de la marine, eut particulièrement à souffrir
de son courageux dévouement pour ses concitoyens qu'il
n'a cessé de réconforter et de secourir dans la limite
de ses moyens pendant toute la durée de l'occupation. Il
reçut aussi les félicitations de Mr le
général Jacquot.
Lui aussi aurait pu se faire évacuer en France, où ses
enfants le réclamaient. Mais avec une abnégation
admirable il a estimé que sa place était au danger,
prenant sur sa maigre ration de ravitaillement pour
secourir ceux que la faim torturait ; ensevelissant et
enterrant lui même, malgré l'interdiction des autorités
allemandes, nos blessés qui décédaient à l'hôpital.
Au cours d'une perquisition qui fit découvrir son
uniforme d'officier qui dormait depuis quarante ans dans
une armoire ouverte, il fut arrêté, emprisonné
préventivement pendant plusieurs semaines, sans
nourriture et finalement traduit devant un conseil de
guerre qui ne put rien relever de condamnable à sa
charge que sa bienveillante sollicitude à l'égard de la
malheureuse population de Blâmont. Il fut acquitté, mais
son dévouement patriotique était fait pour déplaire à
ses persécuteurs, aussi il n'est pas d'avanies qu'il
n'ait eu à subir jusqu'au dernier jour de l'occupation.
Le 2 octobre 1919, le Figaro de Paris publiait sous la
rubrique - Renseignements mondains :
Les belles citations :
A l'ordre des armées est citée Madame Victoire Perrin,
supérieure de l'hôpital hospice de Blâmont, qui est
restée à la tête de cette maison pendant toute
l'occupation allemande.
Suit une liste d'autres citations concernant M. Mes
la princesse Murat, née d'Elchingen, comtesse de
Janssens, baronne Grouvel, infirmières de guerre.
Le 16 octobre 1919 l'intéressante
publication de « l'Echo de St Maurice »
faisait paraître l'article suivant :
- Statistique paroissiale -
Nous venons de passer de tristes anniversaires :
Anniversaire de la première occupation du 4 au 15 août
1914, pendant laquelle l'ennemi fi régner sur nous
le plus épouvantable terrorisme, assassina Mlle
Cuny, Mr Barthélémy, Mr Foël,
multiplia les fusillades pour avoir le prétexte d'en
accuser les civils, arracha presque chaque nuit les
innocents de leur lit pour les traîner en prison, mania
le revolver en guise de raisonnement, menaça, condamna
sans procédure, emmena les otages, ce fut ce qui a été
appelé l'invasion des Huns ;
Anniversaire d'une joie éphémère, au 15 août, joie
triomphante suivie de nos défaites de Morhange et de
Sarrebourg, suivie d'une désastreuse retraite, de
l'effroi universel et de la fuite des trois quarts des
habitants ;
Anniversaire de la deuxième invasion, du retour d'une
partie des fuyards, des nouvelles malversations, des
nuits passées au poste, des corvées répugnantes, des
menaces annoncées à son de caisse, puis subitement de la
reprise des fusillades, de l'assassinat de Mr
Beaupert, des perquisitions sévères, de l'immixtion des
prétendues soeurs bavaroises dans les services de
l'hôpital, de l'oppression de la communauté et des
menaces de mort aux religieuses françaises ;
Anniversaire de la très courte éclaircie du 17 au 20
septembre 1914, des espérances fallacieuses et des
désappointements cruels ;
Anniversaire de la troisième invasion, de l'arrivée des
saxons de l'emprise définitive de la botte allemande sur
notre sol, de l'écrasement de la population sous le
talon du tyran ;
Anniversaire de l'inauguration de la guerre des
tranchées, des duels interminables d'artillerie, des
incendies des églises et des villages voisins, en
particulier de l'église de Harbouey dont le vénérable
curé nous arrive le premier octobre et devient notre
compagnon de malheur pendant six mois.
S'il y a certaines classes de personnes qui croient
devoir célébrer ces anniversaires en se livrant à une
joie malsaine dans les bals et autres occasions de
désordres, il ne convient pas de les imiter. N'est-il
pas mieux de sanctifier ces tristes souvenirs par des
messes de propitiation pour nos chères victimes, par des
prières d'action de grace pour notre délivrance et de
supplications pour notre préservation dans l'avenir. Ne
convient-il pas surtout de voir en tous ces évènements
le bras de la Providence qui nous a donné pour le bien
de nos âmes de sévères leçons. Recevons les docilement
pour ne pas perdre le mérite de notre long martyre.
Le dévouement de nos excellentes religieuses de
Saint-Charles pendant cette cruelle tourmente, leurs
privations, leurs sacrifices, les immenses services
rendus aux civils et aux soldats français au prix de
grands dangers, ont été hautement appréciés par le
gouvernement qui, le 22 août dernier, a récompensé nos
bonnes soeurs en décorant leur vénéré supérieure Léopold
de la Croix de guerre avec palme. C'st sur les épaules
de la courageuse supérieure qu'a pesé pendant cinq
années le poids de la responsabilité, le souci de
l'entretien, la diplomatie de la résistance aux
exigences allemandes, la prévoyance des nécessités du
lendemain, la charge de l'émigration sur la terre
étrangère, la direction du retour, la résurrection de la
maison saccagée, le rétablissement de tous les services
hospitaliers ; il était bien juste que sur sa poitrine
aussi brille la croix des braves, c'est ce qu'a
éloquemment fait ressortir Monsieur le général
commandant le 21me corps d'armée lorsqu'il a
épinglé sur la bure monacale l'insigne de l'héroïsme.
Nous sommes certain que la population a applaudi à cet
acte de reconnaissance publique non moins que de
justice.
Extrait du Livre
d'Ordres des armées françaises de l'Est
- Citation -
Madame Perrin
Victoire, en religion Soeur Léopold, congrégation de
Saint-Charles, supérieure de l'hôpital hospice de
Blâmont ;
supérieure de l'hôpital hospice de Blâmont ; est restée
à la tête de la maison pendant toute la durée de
l'occupation allemande. D'une charité et d'un dévouement
sans borne, a donné ses soins aux blessés français.
Par la suite au cours de la campagne, a caché à
plusieurs reprises des patrouilles égarées dans les
lignes allemandes et les a aidées à regagner nos lignes
sans souci es représailles ennemies auxquelles elle
s'exposait.
La présente citation comporte l'attribution de la croix
de guerre avec palme.
Le Maréchal de France
Commandant en Chef les armées françaises de l'Est.
Signé : Pétain.
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