La France nouvelle : revue de l'Union française
Union française - association nationale pour l'expansion morale
et matérielle de la France
Avril 1922
Le Pays de France
LE TOURISME EN ALSACE
Alsace ! Quel mot prestigieux, dont chaque syllabe résonne dans
l'âme de tout français, vibrante de souvenirs, émouvants ou
tragiques, de symboles sacrés, d'impérissables visions qui
restent gravées au plus profond des coeurs ! Tous ceux qui ont,
eu le bonheur de rentrer, auréolés des couronnes du vainqueur,
dans l'Alsace libérée, ont eu, à cette minute précise, la
sensation nette de n'avoir pas « fait la guerre pour rien ». Et
ils ont pu crier sur les tombes à peine fermées de leurs
camarades, comme sur celles, nivelées depuis un demi-siècle, de
leurs grand pères ; « Reposez en paix, votre sacrifice n'a pas
été vain, nous sommes dans cette Alsace qui hantait les rêves du
peuple de France, et nous l'avons retrouvée fidèle, palpitante,
aussi et plus française de coeur que si le boche n'était jamais
passé là ».
On ne connaît bien quelque chose que lorsqu'on l'a perdu. C'est
après qu'elle nous fut arrachée que nous apprîmes à connaître
l'Alsace, à travers les romans et les poèmes, mais tous en
parlaient et nulle province de France ne tenait une place plus
grande, dans les oeuvres de l'esprit et dans les préférences
avouées ou secrètes du coeur, que les chères provinces que les
géographes avaient marquées d'un violet de deuil sur les cartes
des Ecoles.
Avant la guerre, en arrivant à Avricourt, lorsqu'on venait de
Paris, ou à Montreux-Vieux lorsqu'on venait de Lyon, on
ressentait à la frontière une indéfinissable angoisse. Ces
uniformes verts, ces casques pointus et ces casquettes plates,
tout cela avait un air d'hostilité manifeste et provocante.
Cette frontière là était la seule de France qu'on ne franchît
pas sans un gros serrement de coeur. Ce n'était pas la frontière
italienne qui vous ouvre le prestigieux musée de son art et de
son histoire, ce n'était pas la frontière espagnole que l'on
franchit dans une joyeuse surabondance de lumière, ce n'était
pas non plus cette frontière belge que Déroulède saluait, bien
avant la guerre, de ces prophétiques paroles :
Salut, vaillant petit peuple, si grand de fierté
Où l'on vous rend si légère l'hospitalité.
A Avricourt. où le ciel brumeux et la plaine morne, semblaient
concourir à jeter un froid, le français sentait peser sur lui le
regard du policier secret. Il savait qu'il serait « filé »
espionné, trahi, surtout s'il appartenait à cette catégorie de
français qui quittèrent l'Alsace pour ne pas servir sous le
casque à pointe. A Avricourt on enlevait les rubans et les
rosettes rouges qui trahissaient l'officier et on observait dès
lors la règle du silence.
Une fois par an, Avricourt s'éveillait : c'était le 14 juillet.
Ce jour-là de très bonne heure les trains arrivaient de
Strasbourg, comblés d'une foule silencieuse. Deutsch-Avricourt
passé, cette foule se mettait soudain à crier comme si elle se
fut éveillée d'un mauvais rêve : de dessous toutes les vestes,
du fond des chapeaux surgissaient miraculeusement des rubans et
des cocardes. C'étaient les patriotes d'Alsace qui allaient
passer le i4 juillet « en France ».
Le soir, quand on avait bien crié, chanté la Marseillaise toute
la journée, vu les défilés de nos soldats, espoir ultime de
l'Alsace, on reprenait le train. Et le miracle inverse se
produisait. Passé le poteau frontière, ce pylône de fer gris
surmonté d'un disque sur lequel s'étalait, hideux et noir,
l'aigle héraldique, les chants cessaient brusquement et les
cocardes disparaissaient, les fronts un moment déridés
reprenaient leur aspect fermé et buté, sous l'oeil narquois des
gardes frontière et des douaniers. Les Alsaciens réintégraient
leur Prison, mais raffermis dans leur foi dans la Patrie, ayant
respiré pendant douze heures l'air de la France.
En passant à Avricourt, je voudrais que les Français accordent
une seconde de recueillement à ceux pour qui le jour de la
victoire n'a pas lui, à ceux qui sont morts avant que l'Alsace
redevienne libre. Maintenant la halte de Montreux ou celle d'Avricourt
ne saurait nous rappeler qu'un souvenir heureux, elle est en
quelque sorte l'entrée de la terre promise.
Entre Sarrebourg et Saverne le train franchit en sept tunnels et
autant d'admirables Vallées, les Vosges qui ferment l'Alsace au
nord. Les sapins couvrent les délicieux massifs qui laissent par
endroits apparaître leur chair de grès rouge, de ce grès dont a
été faite la Cathédrale de Strasbourg.
[...]
Georges WAGNER |